Speaker #0On prend les mêmes et on recommence. Avec le retour de Sébastien Lecornu comme Premier ministre, malgré sa démission quelques jours auparavant, et la nomination d'un nouveau gouvernement composé des habituels macronistes incompétents, on a comme l'impression d'être pris dans une boucle temporelle. La situation politique devient tellement absurde qu'elle nous fait nous sentir totalement impuissants. À moins qu'elle ne doive, au contraire, nous conduire à nous révolter ? On en parle avec Albert Camus. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions J.C. Lattès. Merci pour votre soutien. Dans le film Un jour sans fin... Sorti en 1993, un homme se retrouvait prisonnier d'une boucle temporelle, condamné à revivre éternellement le jour de la marmotte, une fête locale censée annoncer l'arrivée du printemps. À la fois comédie romantique et conte philosophique, ce film proposait une réflexion sur la répétition, sur le temps qui passe et sur la possibilité de donner du sens à sa vie quand celle-ci nous semble absurde et dérisoire. Une excellente allégorie de la situation politique actuelle. Darmanin, Vautrin, Montchalin, le gouvernement macronien est un jour sans fin. Qu'importent les élections, qu'importent les contestations sociales, qu'importent les renversements successifs de Barnier et Bayrou, Emmanuel Macron nous condamne à l'impuissance. Il nous enferme dans cette boucle temporelle et nous inflige la répétition du coup de force antidémocratique. Tout comme dans le film, quelques éléments changent. Laurent Nunez, l'ultra-violent préfet de police de Paris, remplace par exemple Bruno Retailleau. l'ultra-violent chef des Républicains au ministère de l'Intérieur. Mais le fond reste le même. Macron s'acharne, s'obstine dans son délire autocratique, confisque toujours plus la démocratie. Il a même eu l'audace de déclarer en début de semaine « Les forces politiques qui ont joué la déstabilisation de le corps nu sont les seuls responsables de ce désordre » . Comme d'habitude, rien n'est de sa faute. Et comme d'habitude, son attitude n'a aucune conséquence. Chacune de ses outrances Chacun de ces dénis démocratiques ne fait que révéler notre immobilité et notre impuissance. Face à cette humiliation continuelle, nous ressentons une lassitude teintée d'écœurement. C'est ce que le philosophe et écrivain Albert Camus nomme l'absurde. Au milieu du XXe siècle, Albert Camus a cherché à penser l'absurde. c'est-à-dire le sentiment que nous éprouvons face au caractère répétitif de l'existence. Pour lui, la vie n'est pas très éloignée de l'histoire de Sisyphe. Dans ce mythe grec, Sisyphe a été puni de mort pour avoir offensé Zeus, mais il parvient à déjouer le dieu de la mort en l'attachant avec des menottes. Il est donc puni par un châtiment devenu célèbre. Tous les jours, il doit faire rouler un énorme rocher en haut d'une montagne. Tous les matins, la pierre retombe. Et il doit recommencer. Et ce, pour l'éternité. Pour Camus, la vie humaine est comparable à celle de Sisyphe. L'existence nous semble souvent machinale et de ce fait, elle nous apparaît parfois comme insupportable. Il arrive, écrit-il, que les décors s'écroulent. Levé, tramway, quatre heures de bureau ou d'usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil. et lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le pourquoi s'élève, et tout commence dans cette lassitude teintée d'écureuillement. Pour Camus, au moment où nous nous confrontons au monde et à sa répétition, nous nous sentons soudain dépossédés, étrangers à nous-mêmes, comme des scisifs condamnés à pousser inlassablement un lourd rocher en haut d'une montagne escarpée. Nous ressentons l'absurde. Alors, que faire ? Se suicider ? Absolument pas. Ce serait accepter notre condition, consentir à l'absurde et abandonner le combat. Pas de renoncement chez Camus. L'absurde éveille la révolte, qui est la seule position philosophique cohérente. La révolte, c'est un confrontement perpétuel de l'homme et de sa propre obscurité. Elle remet le monde en question à chacune de ses secondes. Elle nous permet de nous expérimenter comme être libre. Nous trouvons la liberté de refuser les conditions qui nous sont imposées. Il ne faut donc pas fuir l'absurde, mais s'y confronter. Voilà la condition humaine. Camus nous dit La révolte, ce n'est pas seulement un refus de l'absurde, mais c'est donc un principe de fraternité, un principe de compassion, un amour de la vie. La révolte devient créatrice. Elle n'est pas seulement un refus du monde, mais elle crée du nouveau, du commun. Elle nous fait passer d'une souffrance individuelle à une aventure collective. Elle fait naître la communauté, la fraternité. Camus le résume dans cette phrase restée célèbre. « Je me révolte, donc nous sommes » . La révolte, c'est donc la sortie hors du mythe de Sisyphe vers le mythe de Prométhée. Dans ce mythe grec, Prométhée vole le feu au Dieu pour le donner aux humains. Et il sera d'ailleurs cruellement puni pour son acte. Pour Camus, Prométhée est la figure du révolté. Il s'oppose à la cruauté et à l'absurdité du monde. Il lutte pour la liberté et la passion, par amour, pour l'humanité. Attention, chez Camus, il s'agit bien de révolte et non de révolution. Il fait une distinction importante entre les deux, qui scellera d'ailleurs sa rupture amicale avec Jean-Paul Sartre. Alors que Sartre défendait une révolution communiste possiblement violente, Camus faisait de la révolte un refus pacifiste. Pour lui, la révolte vise la fraternité entre les hommes révoltés. C'est pour cette raison qu'on a parfois reproché à Camus son manque d'engagement politique, ou bien le manque de clarté de certains de ses concepts. Au point d'ailleurs que sa pensée a été récupérée par tous les bords politiques, de la Ausha la droite. Camus défend l'humanisme, un beau concept, certes, mais un peu vague. Dans les faits, Camus se disait anarchiste de cœur et social-démocrate de raison. De gauche donc, mais d'une gauche parfois aveugle aux dynamiques réelles de domination. Par exemple, il a dénoncé les misères du colonialisme, mais n'était pour autant pas partisan de l'indépendance de l'Algérie et défendait plutôt une alliance franco-arabe. Une manière de prôner la réconciliation, tout en gommant les violences passées et en perpétuant le colonialisme français. Néanmoins, la pensée de Camus est précieuse pour nous réveiller face à l'absurde et à l'impuissance. Sa pensée de la révolte nous permet de conquérir une liberté nouvelle, nous appelle à vivre de manière lucide et engagée, sans sombrer ni dans le nihilisme, c'est-à-dire l'impuissance et le renoncement, ni dans l'égoïsme et l'individualisme. En nous enjoignant à créer une communauté de révoltés, il nous permet de redonner du sens à ce qui en paraissait férocement dépourvu. Et il nous appelle à nous réconcilier avec le monde, car, dit-il, le monde est beau et hors de lui, point de salut. En effet, pour avoir la force et le courage de transformer le monde, il faut d'abord savoir l'aimer, non pas forcément tel qu'il est, mais tel qu'on peut le créer par notre révolte commune. Alors, sommes-nous décisifs ? Condamné à pousser sans broncher le rocher infâme de la Macronie, il est tentant de fuir ces viles manœuvres politiciennes et de fermer les yeux devant l'absurdité du monde politique de la Ve République. Il est tentant de sombrer dans la lassitude et l'écœurement, de se résigner à cette implacable dépossession politique. Mais avec Camus, nous pouvons décider d'embrasser la révolte. Nous pouvons devenir des prométhées. En 1957, alors qu'il reçoit le prix Nobel de littérature, Camus déclare « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. » Empêcher que le monde se défasse, cela voudrait dire aujourd'hui ne pas laisser l'autoritarisme et le fascisme l'emporter. Cela veut dire ne pas céder aux forces politiques qui organisent notre impuissance et nous dépossèdent. La révolte Ça veut dire reconquérir une liberté commune, créer un système véritablement démocratique, reconstruire une communauté politique juste et écologique. Ça veut dire refuser les règles du jeu qu'on nous impose, comme si celles-ci étaient les seules possibles. Nous ne voulons pas d'une dissolution qui risquerait de mettre le RN au pouvoir et prolongerait le système injuste de la Ve République. Nous ne nous contenterons pas d'une destitution qui ferait tomber ce monarque-ci pour en installer un autre. Il me semble qu'aujourd'hui, il nous faut exiger une assemblée constituante, seule capable de construire un système politique véritablement démocratique et écologique. Il est probable que le gouvernement Lecornu tombe très vite. Il sera impératif d'accompagner cette fin de règne par une contestation sociale d'envergure. Car nous ne devons pas nous laisser déposséder, encore une fois. En 1958, la Constitution de la Vème République avait été rédigée par des comités restreints, composés d'hommes politiques puissants, ce qui a conduit à construire un système politique ultra-vertical où la quasi-totalité des pouvoirs a été concentrée entre les mains d'un seul homme. Si nous parvenons à arracher une assemblée constituante, il faudra nous battre pour que cette fois-ci, le texte soit rédigé par des assemblées citoyennes, véritablement représentatives, décentralisées et de préférence tirées au sort. Il n'y a que de cette manière que nous pourrons mettre en place un projet véritablement juste, équitable, écologique et que nous éviterons la catastrophe qui ne cesse de se rapprocher. Fini le jour de la marmotte, place au jour de la révolte. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram sur mon compte Alice de Rochechouart. 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