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Le Phil d'Actu - Philosophie et Actualité

Loi sur la séparation des Églises et de l'Etat : une philosophie de la laïcité

Loi sur la séparation des Églises et de l'Etat : une philosophie de la laïcité

15min |10/12/2025
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15min |10/12/2025
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Description

Le 9 décembre 2025, nous avons fêté les 120 ans de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’Etat. Une loi importante, qui fait l’objet de réinterprétations depuis plus d’un siècle. En France, la laïcité suscite des débats vifs, et s’est durcie par rapport à la loi originelle, en s’attaquant de plus en plus fortement à l’Islam. Alors, comment penser la laïcité aujourd’hui ? On en parle avec l’historien Jean Baubérot, et la philosophe Cécile Laborde.


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Transcription

  • Speaker #0

    Le 9 décembre 2025, nous avons fêté les 120 ans de la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État. Une loi importante qui fait l'objet de réinterprétations et de discussions depuis plus d'un siècle. En France, la laïcité suscite en effet des débats vides et elle s'est durcie par rapport à la loi originelle en s'attaquant de plus en plus fortement à l'islam. Alors, comment penser la laïcité aujourd'hui ? On en parle avec l'historien Jean Bobéro. et la philosophe Cécile Laborde. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le fil d'actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions Juste et la Tess. Merci pour votre soutien. Nous sommes en 1905. Depuis un siècle se pose la question du pouvoir politique et social de la religion, en particulier de la religion catholique. Dans les années 1860, un terme fait même son apparition, celui de laïcité, qui défend la séparation de l'Église et de l'État, notamment dans l'éducation. En 1882, la Troisième République supprime l'enseignement religieux et crée une école publique unique et laïque. Trente ans plus tard, La laïcité dépasse le contexte scolaire pour toucher l'intégralité de la société. C'est la loi de séparation de l'Église et de l'État. Comme l'a montré l'historien Jean Bobéro, spécialiste de la laïcité, cette loi de 1905 est l'aboutissement d'un conflit politique entre la République française et l'Église catholique. En ce début de XXe siècle, la France est encore majoritairement catholique, mais il y a une forte montée de l'anticléricalisme, c'est-à-dire les opinions hostiles aux clergés, et une diversification des croyances religieuses. Ainsi, si les politiques s'accordent à vouloir réduire la toute-puissance de l'Église catholique, il y a de grands débats sur les modalités de cette laïcité. Faut-il adopter une loi dure, anti-religieuse, ou bien une loi plus souple, qui garantirait la liberté des cultes ? Au terme de discussions houleuses, c'est finalement une loi de compromis qui est adoptée. Ce qu'on cherche, c'est la coexistence pacifique, et non la mise au banc des religions. Le but de cette loi, c'est de créer un espace commun et de faire baisser les tensions entre cléricaux et anticléricaux. La loi de 1905, dans laquelle d'ailleurs le terme de laïcité n'apparaît pas, énonce deux grands principes. D'abord, l'article 1 affirme que la République assure la liberté de conscience et qu'elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public. Autrement dit, la loi protège la liberté religieuse des individus pourvu que la pratique de la religion respecte bien les lois de la République. Ensuite, l'article 2 énonce qu'elle ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte. Cela signifie que l'État est neutre, qu'il est séparé des institutions religieuses. Comme le montre Jean Bobéro, la laïcité de 1905 est donc libérale, puisqu'elle garantit la liberté de conscience religieuse et qu'elle n'est pas du tout hostile aux religions ni à leur expression dans la société civile. Alors, comment expliquer un tel durcissement de la laïcité aujourd'hui ? En 1989, à Creil, deux élèves marocaines refusent d'enlever leur foulard au sein de leur école. La même année, trois jeunes filles voilées sont renvoyées de leur lycée à Aubervilliers. Ces deux affaires relancent la discussion sur la laïcité, sur l'intégration des personnes immigrées. La religion musulmane commence à être considérée comme un obstacle à l'intégration. En 1994, François Bayrou, alors ministre de l'éducation nationale, fait paraître une circulaire interdisant les signes religieux ostentatoires à l'école. Dix ans plus tard, en 2004, une loi confirme cette nouvelle disposition. La conception de la laïcité change. Alors que la loi de 1905 défendait la liberté de conscience et la neutralité de l'État, la loi de 2004 est beaucoup plus interventionniste et marque les débuts de ce qu'on appelle aujourd'hui la laïcité à la française. Un tournant confirmé en 2021 avec la loi séparatisme, qui donne à l'État le pouvoir de surveiller et de fermer les associations culturelles. Selon Jean Bobéro, la laïcité libérale, celle de 1905, est devenue une laïcité de contrôle, une laïcité identitaire. où la religion, et plus spécifiquement la religion musulmane, est perçue comme une atteinte à l'identité nationale française. Alors que la loi de 1905 visait la neutralité de l'État, les lois contemporaines visent désormais la neutralité des individus. Finie la coexistence pacifique, la laïcité française est désormais combative. Pour quelles raisons ? Pour la philosophe Cécile Laborde, la dérive identitaire de la laïcité provient d'une certaine tradition républicaine qui revendique l'autonomie radicale des personnes. Pour ce courant, le foulard islamique est le symbole d'une soumission des femmes et il est intolérable dans une démocratie moderne. Pourtant, montre-t-elle, cette conception est incohérente et liberticide. On ne peut prétendre émanciper les individus en agissant contre leur volonté et soi-disant au nom de leur liberté. Cette approche est en réalité paternaliste et colonialiste, puisqu'en voulant imposer un modèle unique, on met des individus sous tutelle et on leur refuse toute autonomie morale et intellectuelle. Cécile Laborde s'interroge. Est-il réellement acceptable d'assimiler toute forme de foi à une posture d'asservissement ? Est-il acceptable de considérer que les femmes musulmanes sont forcément des victimes passives et jamais les agentes de leur propre vie ? D'autant plus que les études sociologiques montrent que la plupart des femmes musulmanes qui portent le hijab le font pour des raisons personnelles et spirituelles, et non par contrainte. Mais l'État n'écoute pas les premières concernées, si bien que, comme le dit Cécile Laborde, les femmes musulmanes sont doublement dominées dans le débat français. C'est d'elles dont on parle, mais on ne les entend jamais. Pour la philosophe, cette conception stricte de la laïcité ouvre la porte à tous les abus. Celui d'un État qui restreint la liberté des citoyens au nom d'une conception universaliste et anti-religieuse du bien. De plus, les mesures politiques prises au nom de la laïcité peuvent avoir des conséquences liberticides. Par exemple, si une élève souhaite porter le voile pour des raisons religieuses, elle n'a plus que deux options. Soit ne plus aller à l'école, soit aller dans une école privée confessionnelle. Cette élève est donc totalement exclue de l'espace public. précisément en raison de ses croyances religieuses, une trahison radicale de la loi de 1905. Les polémiques successives sur le voile et le durcissement des lois sur la laïcité conduisent ainsi à des discriminations systématiques envers les personnes musulmanes, qui se voient refuser l'entrée à des lieux publics et connaissent de nombreuses difficultés pour trouver un emploi. La laïcité est ainsi instrumentalisée pour servir un agenda islamophobe. En témoigne par exemple les propositions de loi pour interdire le port du voile dans la rue ou pour les enfants mineurs. L'idéal républicain d'émancipation et de liberté devient un outil puissant de contrôle et d'exclusion, qui prive les musulmans d'une véritable participation démocratique et citoyenne. Au nom de l'intégration et de l'assimilation, on stigmatise toute une communauté jusqu'à les mettre en danger. Les actes islamophobes explosent depuis quelques années et 80% des agressions sont commises sur des femmes. La trahison de la loi de 1905 conduit ainsi à des mesures liberticides et contre-productives qui excluent et stigmatisent toute une partie de la population française. D'ailleurs, à l'étranger, nombreux sont les pays qui sont choqués par notre conception stricte de la laïcité et qui l'aperçoivent comme une hostilité envers les musulmans. Il faut dire que la différence de traitement entre les différentes religions est assez flagrante. Par exemple, on entend moins les chantres de la laïcité lorsqu'il est question du financement des écoles catholiques, qui représentent la quasi-totalité des écoles privées sous contrat, et qui sont financées au trois-quarts par de l'argent public pour une somme de 12 milliards d'euros par an. Et pour avoir fréquenté ces écoles, je peux vous assurer qu'elles ne respectent pas la loi séparatisme de 2021. C'est pour cette raison que Cécile Laborde décrit la laïcité française comme une catholaïcité, L'omniprésence de l'héritage catholique par exemple avec les jours fériés religieux, montre bien que la laïcité n'est stricte que lorsqu'elle concerne la religion musulmane. En France, il serait ainsi impensable qu'une personnalité politique se revendique musulmane et soit élue, comme par exemple aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, alors que des personnalités comme Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau ou François Bayrou n'ont aucune peine à se revendiquer catholiques pratiquants. Alors, quelle pourrait être une conception de la laïcité qui soit véritablement ouverte ? et conforme à l'esprit de liberté de la loi 1905. Pour Cécile Laborde, il ne faut ni tomber dans le républicanisme paternaliste et identitaire, ni dans l'exaltation des identités communautaires. Il faut penser ce qu'elle appelle un républicanisme critique, qui permet la reconnaissance des identités multiples et la lutte contre la domination, tout en créant un espace de citoyenneté commun. Il faut ainsi renoncer à la tentation d'imposer un modèle uniforme, une identité nationale unique, sans toutefois revenir à des identités communautaires figées. Pour cela, elle propose de penser une laïcité minimale. La laïcité ne doit pas chercher à éradiquer la religion de l'espace public, mais l'État doit garantir que chacun et chacune puisse croire et exercer sa religion sans discrimination ni inégalité de pratique. Cette laïcité ne devrait donc pas chercher à effacer la religion de l'espace public, mais être pensée en termes de non-domination. c'est-à-dire le fait de ne pas être soumis au pouvoir arbitraire de quelqu'un. Cela signifierait, d'une part, que l'État ne devrait pas pouvoir dominer les citoyens en tentant de leur imposer une neutralité religieuse. Et cela signifierait, d'autre part, qu'il faudrait changer de perspective. Ce ne sont pas les religions qui doivent être combattues, mais la possible domination au sein des groupes et des communautés. Prenons l'exemple du voile. Celui-ci ne devrait pas être systématiquement considéré comme une contrainte et comme un symbole de soumission. La société doit accepter que des femmes autonomes choisissent librement de le porter. Mais selon ceci l'aborde, l'État doit aussi être vigilant sur les cas où le voile serait imposé par contrainte familiale et pouvoir intervenir si c'est le cas. Pour illustrer cette approche, assez subtile, on peut peut-être faire une comparaison avec le couple hétérosexuel. L'État ne considère pas qu'une femme en couple avec un homme est nécessairement dominée et privée de sa liberté. Et le couple hétérosexuel n'est pas interdit. En revanche, l'État garantit des droits aux femmes et met en place des protocoles de protection en cas de violence conjugale ou de situation d'emprise. Enfin pardon, l'État devrait le faire, même si c'est loin d'être le cas aujourd'hui. De manière similaire, on pourrait considérer une laïcité où la pratique religieuse ne serait pas stigmatisée en tant que telle tant qu'elle respecterait l'autonomie et la liberté des personnes, où l'on ne déciderait pas à la place des gens ce qui est bon pour eux, mais où on garantirait les libertés individuelles fondamentales des individus. Un modèle qu'il faudrait construire, ou plutôt co-construire, en collaboration étroite avec les personnes concernées. Pour ceci de l'abord, la laïcité minimale doit donc empêcher les rapports de domination sans devenir elle-même oppressive au nom de la neutralité. L'objectif, c'est de créer une identité collective plurielle où chacun, chacune, pourrait choisir librement ses engagements et les remettre en cause s'il ou elle le souhaite. Dans ce cadre, le rôle de l'État est de garantir le respect des personnes en empêchant la méconnaissance de certaines religions, les préjugés à leur encontre, et les discriminations dont sont victimes celles et ceux qui la pratiquent. Alors, pour Cécile Laborde, le problème est moins la reconnaissance des identités que la prise en compte des conditions sociales et matérielles, et plus spécifiquement des structures de domination qui écrasent certaines classes vulnérables. En posant le problème à partir de la domination, Cécile Laborde montre que la question doit toujours porter sur les conditions sociales, politiques, matérielles, qui empêche une pleine participation à la vie démocratique. Et en l'occurrence, la laïcité identitaire menée par la France conduit à l'exclusion, à la stigmatisation et à la discrimination systématique de la communauté musulmane. Elle est le symptôme d'une islamophobie d'État qui banalise une islamophobie ordinaire de plus en plus décomplexée et violente. Il devient alors urgent de rompre avec cette laïcité de surveillance généralisée qui va jusqu'à mesurer la longueur des robes des jeunes filles et interdire des mères d'accompagner leurs enfants à des sorties scolaires. Il nous faut renouer avec une laïcité pluraliste qui ouvrirait à une véritable liberté. Cette laïcité pourrait de nouveau permettre une coexistence pacifique entre les différentes croyances et non-croyances, en cessant de vouloir imposer un modèle unique à des individus qu'on considère incapables de penser par eux-mêmes. Il n'y a que de cette façon que l'on pourra véritablement reconstruire une citoyenneté laïque, inclusive et protectrice des libertés fondamentales. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram sur mon compte Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Un grand merci à Lamine, Marie, Christophe, Mathieu, Clément, Cédric, Laurent, Claire, Bastien, Lucille, Vincent, Sophie, Emmanuel, Sylvain, Héloïse, Thomas, Vincent, Élodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Aurélien, Bertrand, Carole-Anne, Aymeric, Amine, Mathilde, Laura, Barthélémy, Romain, Arnaud, Pierre, Aurélie, Denis, Gauthier, Franck, Tristan, Florence et tous les autres. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

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Le 9 décembre 2025, nous avons fêté les 120 ans de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’Etat. Une loi importante, qui fait l’objet de réinterprétations depuis plus d’un siècle. En France, la laïcité suscite des débats vifs, et s’est durcie par rapport à la loi originelle, en s’attaquant de plus en plus fortement à l’Islam. Alors, comment penser la laïcité aujourd’hui ? On en parle avec l’historien Jean Baubérot, et la philosophe Cécile Laborde.


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    Le 9 décembre 2025, nous avons fêté les 120 ans de la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État. Une loi importante qui fait l'objet de réinterprétations et de discussions depuis plus d'un siècle. En France, la laïcité suscite en effet des débats vides et elle s'est durcie par rapport à la loi originelle en s'attaquant de plus en plus fortement à l'islam. Alors, comment penser la laïcité aujourd'hui ? On en parle avec l'historien Jean Bobéro. et la philosophe Cécile Laborde. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le fil d'actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions Juste et la Tess. Merci pour votre soutien. Nous sommes en 1905. Depuis un siècle se pose la question du pouvoir politique et social de la religion, en particulier de la religion catholique. Dans les années 1860, un terme fait même son apparition, celui de laïcité, qui défend la séparation de l'Église et de l'État, notamment dans l'éducation. En 1882, la Troisième République supprime l'enseignement religieux et crée une école publique unique et laïque. Trente ans plus tard, La laïcité dépasse le contexte scolaire pour toucher l'intégralité de la société. C'est la loi de séparation de l'Église et de l'État. Comme l'a montré l'historien Jean Bobéro, spécialiste de la laïcité, cette loi de 1905 est l'aboutissement d'un conflit politique entre la République française et l'Église catholique. En ce début de XXe siècle, la France est encore majoritairement catholique, mais il y a une forte montée de l'anticléricalisme, c'est-à-dire les opinions hostiles aux clergés, et une diversification des croyances religieuses. Ainsi, si les politiques s'accordent à vouloir réduire la toute-puissance de l'Église catholique, il y a de grands débats sur les modalités de cette laïcité. Faut-il adopter une loi dure, anti-religieuse, ou bien une loi plus souple, qui garantirait la liberté des cultes ? Au terme de discussions houleuses, c'est finalement une loi de compromis qui est adoptée. Ce qu'on cherche, c'est la coexistence pacifique, et non la mise au banc des religions. Le but de cette loi, c'est de créer un espace commun et de faire baisser les tensions entre cléricaux et anticléricaux. La loi de 1905, dans laquelle d'ailleurs le terme de laïcité n'apparaît pas, énonce deux grands principes. D'abord, l'article 1 affirme que la République assure la liberté de conscience et qu'elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public. Autrement dit, la loi protège la liberté religieuse des individus pourvu que la pratique de la religion respecte bien les lois de la République. Ensuite, l'article 2 énonce qu'elle ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte. Cela signifie que l'État est neutre, qu'il est séparé des institutions religieuses. Comme le montre Jean Bobéro, la laïcité de 1905 est donc libérale, puisqu'elle garantit la liberté de conscience religieuse et qu'elle n'est pas du tout hostile aux religions ni à leur expression dans la société civile. Alors, comment expliquer un tel durcissement de la laïcité aujourd'hui ? En 1989, à Creil, deux élèves marocaines refusent d'enlever leur foulard au sein de leur école. La même année, trois jeunes filles voilées sont renvoyées de leur lycée à Aubervilliers. Ces deux affaires relancent la discussion sur la laïcité, sur l'intégration des personnes immigrées. La religion musulmane commence à être considérée comme un obstacle à l'intégration. En 1994, François Bayrou, alors ministre de l'éducation nationale, fait paraître une circulaire interdisant les signes religieux ostentatoires à l'école. Dix ans plus tard, en 2004, une loi confirme cette nouvelle disposition. La conception de la laïcité change. Alors que la loi de 1905 défendait la liberté de conscience et la neutralité de l'État, la loi de 2004 est beaucoup plus interventionniste et marque les débuts de ce qu'on appelle aujourd'hui la laïcité à la française. Un tournant confirmé en 2021 avec la loi séparatisme, qui donne à l'État le pouvoir de surveiller et de fermer les associations culturelles. Selon Jean Bobéro, la laïcité libérale, celle de 1905, est devenue une laïcité de contrôle, une laïcité identitaire. où la religion, et plus spécifiquement la religion musulmane, est perçue comme une atteinte à l'identité nationale française. Alors que la loi de 1905 visait la neutralité de l'État, les lois contemporaines visent désormais la neutralité des individus. Finie la coexistence pacifique, la laïcité française est désormais combative. Pour quelles raisons ? Pour la philosophe Cécile Laborde, la dérive identitaire de la laïcité provient d'une certaine tradition républicaine qui revendique l'autonomie radicale des personnes. Pour ce courant, le foulard islamique est le symbole d'une soumission des femmes et il est intolérable dans une démocratie moderne. Pourtant, montre-t-elle, cette conception est incohérente et liberticide. On ne peut prétendre émanciper les individus en agissant contre leur volonté et soi-disant au nom de leur liberté. Cette approche est en réalité paternaliste et colonialiste, puisqu'en voulant imposer un modèle unique, on met des individus sous tutelle et on leur refuse toute autonomie morale et intellectuelle. Cécile Laborde s'interroge. Est-il réellement acceptable d'assimiler toute forme de foi à une posture d'asservissement ? Est-il acceptable de considérer que les femmes musulmanes sont forcément des victimes passives et jamais les agentes de leur propre vie ? D'autant plus que les études sociologiques montrent que la plupart des femmes musulmanes qui portent le hijab le font pour des raisons personnelles et spirituelles, et non par contrainte. Mais l'État n'écoute pas les premières concernées, si bien que, comme le dit Cécile Laborde, les femmes musulmanes sont doublement dominées dans le débat français. C'est d'elles dont on parle, mais on ne les entend jamais. Pour la philosophe, cette conception stricte de la laïcité ouvre la porte à tous les abus. Celui d'un État qui restreint la liberté des citoyens au nom d'une conception universaliste et anti-religieuse du bien. De plus, les mesures politiques prises au nom de la laïcité peuvent avoir des conséquences liberticides. Par exemple, si une élève souhaite porter le voile pour des raisons religieuses, elle n'a plus que deux options. Soit ne plus aller à l'école, soit aller dans une école privée confessionnelle. Cette élève est donc totalement exclue de l'espace public. précisément en raison de ses croyances religieuses, une trahison radicale de la loi de 1905. Les polémiques successives sur le voile et le durcissement des lois sur la laïcité conduisent ainsi à des discriminations systématiques envers les personnes musulmanes, qui se voient refuser l'entrée à des lieux publics et connaissent de nombreuses difficultés pour trouver un emploi. La laïcité est ainsi instrumentalisée pour servir un agenda islamophobe. En témoigne par exemple les propositions de loi pour interdire le port du voile dans la rue ou pour les enfants mineurs. L'idéal républicain d'émancipation et de liberté devient un outil puissant de contrôle et d'exclusion, qui prive les musulmans d'une véritable participation démocratique et citoyenne. Au nom de l'intégration et de l'assimilation, on stigmatise toute une communauté jusqu'à les mettre en danger. Les actes islamophobes explosent depuis quelques années et 80% des agressions sont commises sur des femmes. La trahison de la loi de 1905 conduit ainsi à des mesures liberticides et contre-productives qui excluent et stigmatisent toute une partie de la population française. D'ailleurs, à l'étranger, nombreux sont les pays qui sont choqués par notre conception stricte de la laïcité et qui l'aperçoivent comme une hostilité envers les musulmans. Il faut dire que la différence de traitement entre les différentes religions est assez flagrante. Par exemple, on entend moins les chantres de la laïcité lorsqu'il est question du financement des écoles catholiques, qui représentent la quasi-totalité des écoles privées sous contrat, et qui sont financées au trois-quarts par de l'argent public pour une somme de 12 milliards d'euros par an. Et pour avoir fréquenté ces écoles, je peux vous assurer qu'elles ne respectent pas la loi séparatisme de 2021. C'est pour cette raison que Cécile Laborde décrit la laïcité française comme une catholaïcité, L'omniprésence de l'héritage catholique par exemple avec les jours fériés religieux, montre bien que la laïcité n'est stricte que lorsqu'elle concerne la religion musulmane. En France, il serait ainsi impensable qu'une personnalité politique se revendique musulmane et soit élue, comme par exemple aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, alors que des personnalités comme Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau ou François Bayrou n'ont aucune peine à se revendiquer catholiques pratiquants. Alors, quelle pourrait être une conception de la laïcité qui soit véritablement ouverte ? et conforme à l'esprit de liberté de la loi 1905. Pour Cécile Laborde, il ne faut ni tomber dans le républicanisme paternaliste et identitaire, ni dans l'exaltation des identités communautaires. Il faut penser ce qu'elle appelle un républicanisme critique, qui permet la reconnaissance des identités multiples et la lutte contre la domination, tout en créant un espace de citoyenneté commun. Il faut ainsi renoncer à la tentation d'imposer un modèle uniforme, une identité nationale unique, sans toutefois revenir à des identités communautaires figées. Pour cela, elle propose de penser une laïcité minimale. La laïcité ne doit pas chercher à éradiquer la religion de l'espace public, mais l'État doit garantir que chacun et chacune puisse croire et exercer sa religion sans discrimination ni inégalité de pratique. Cette laïcité ne devrait donc pas chercher à effacer la religion de l'espace public, mais être pensée en termes de non-domination. c'est-à-dire le fait de ne pas être soumis au pouvoir arbitraire de quelqu'un. Cela signifierait, d'une part, que l'État ne devrait pas pouvoir dominer les citoyens en tentant de leur imposer une neutralité religieuse. Et cela signifierait, d'autre part, qu'il faudrait changer de perspective. Ce ne sont pas les religions qui doivent être combattues, mais la possible domination au sein des groupes et des communautés. Prenons l'exemple du voile. Celui-ci ne devrait pas être systématiquement considéré comme une contrainte et comme un symbole de soumission. La société doit accepter que des femmes autonomes choisissent librement de le porter. Mais selon ceci l'aborde, l'État doit aussi être vigilant sur les cas où le voile serait imposé par contrainte familiale et pouvoir intervenir si c'est le cas. Pour illustrer cette approche, assez subtile, on peut peut-être faire une comparaison avec le couple hétérosexuel. L'État ne considère pas qu'une femme en couple avec un homme est nécessairement dominée et privée de sa liberté. Et le couple hétérosexuel n'est pas interdit. En revanche, l'État garantit des droits aux femmes et met en place des protocoles de protection en cas de violence conjugale ou de situation d'emprise. Enfin pardon, l'État devrait le faire, même si c'est loin d'être le cas aujourd'hui. De manière similaire, on pourrait considérer une laïcité où la pratique religieuse ne serait pas stigmatisée en tant que telle tant qu'elle respecterait l'autonomie et la liberté des personnes, où l'on ne déciderait pas à la place des gens ce qui est bon pour eux, mais où on garantirait les libertés individuelles fondamentales des individus. Un modèle qu'il faudrait construire, ou plutôt co-construire, en collaboration étroite avec les personnes concernées. Pour ceci de l'abord, la laïcité minimale doit donc empêcher les rapports de domination sans devenir elle-même oppressive au nom de la neutralité. L'objectif, c'est de créer une identité collective plurielle où chacun, chacune, pourrait choisir librement ses engagements et les remettre en cause s'il ou elle le souhaite. Dans ce cadre, le rôle de l'État est de garantir le respect des personnes en empêchant la méconnaissance de certaines religions, les préjugés à leur encontre, et les discriminations dont sont victimes celles et ceux qui la pratiquent. Alors, pour Cécile Laborde, le problème est moins la reconnaissance des identités que la prise en compte des conditions sociales et matérielles, et plus spécifiquement des structures de domination qui écrasent certaines classes vulnérables. En posant le problème à partir de la domination, Cécile Laborde montre que la question doit toujours porter sur les conditions sociales, politiques, matérielles, qui empêche une pleine participation à la vie démocratique. Et en l'occurrence, la laïcité identitaire menée par la France conduit à l'exclusion, à la stigmatisation et à la discrimination systématique de la communauté musulmane. Elle est le symptôme d'une islamophobie d'État qui banalise une islamophobie ordinaire de plus en plus décomplexée et violente. Il devient alors urgent de rompre avec cette laïcité de surveillance généralisée qui va jusqu'à mesurer la longueur des robes des jeunes filles et interdire des mères d'accompagner leurs enfants à des sorties scolaires. Il nous faut renouer avec une laïcité pluraliste qui ouvrirait à une véritable liberté. Cette laïcité pourrait de nouveau permettre une coexistence pacifique entre les différentes croyances et non-croyances, en cessant de vouloir imposer un modèle unique à des individus qu'on considère incapables de penser par eux-mêmes. Il n'y a que de cette façon que l'on pourra véritablement reconstruire une citoyenneté laïque, inclusive et protectrice des libertés fondamentales. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram sur mon compte Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Un grand merci à Lamine, Marie, Christophe, Mathieu, Clément, Cédric, Laurent, Claire, Bastien, Lucille, Vincent, Sophie, Emmanuel, Sylvain, Héloïse, Thomas, Vincent, Élodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Aurélien, Bertrand, Carole-Anne, Aymeric, Amine, Mathilde, Laura, Barthélémy, Romain, Arnaud, Pierre, Aurélie, Denis, Gauthier, Franck, Tristan, Florence et tous les autres. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

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Description

Le 9 décembre 2025, nous avons fêté les 120 ans de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’Etat. Une loi importante, qui fait l’objet de réinterprétations depuis plus d’un siècle. En France, la laïcité suscite des débats vifs, et s’est durcie par rapport à la loi originelle, en s’attaquant de plus en plus fortement à l’Islam. Alors, comment penser la laïcité aujourd’hui ? On en parle avec l’historien Jean Baubérot, et la philosophe Cécile Laborde.


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  • Speaker #0

    Le 9 décembre 2025, nous avons fêté les 120 ans de la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État. Une loi importante qui fait l'objet de réinterprétations et de discussions depuis plus d'un siècle. En France, la laïcité suscite en effet des débats vides et elle s'est durcie par rapport à la loi originelle en s'attaquant de plus en plus fortement à l'islam. Alors, comment penser la laïcité aujourd'hui ? On en parle avec l'historien Jean Bobéro. et la philosophe Cécile Laborde. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le fil d'actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions Juste et la Tess. Merci pour votre soutien. Nous sommes en 1905. Depuis un siècle se pose la question du pouvoir politique et social de la religion, en particulier de la religion catholique. Dans les années 1860, un terme fait même son apparition, celui de laïcité, qui défend la séparation de l'Église et de l'État, notamment dans l'éducation. En 1882, la Troisième République supprime l'enseignement religieux et crée une école publique unique et laïque. Trente ans plus tard, La laïcité dépasse le contexte scolaire pour toucher l'intégralité de la société. C'est la loi de séparation de l'Église et de l'État. Comme l'a montré l'historien Jean Bobéro, spécialiste de la laïcité, cette loi de 1905 est l'aboutissement d'un conflit politique entre la République française et l'Église catholique. En ce début de XXe siècle, la France est encore majoritairement catholique, mais il y a une forte montée de l'anticléricalisme, c'est-à-dire les opinions hostiles aux clergés, et une diversification des croyances religieuses. Ainsi, si les politiques s'accordent à vouloir réduire la toute-puissance de l'Église catholique, il y a de grands débats sur les modalités de cette laïcité. Faut-il adopter une loi dure, anti-religieuse, ou bien une loi plus souple, qui garantirait la liberté des cultes ? Au terme de discussions houleuses, c'est finalement une loi de compromis qui est adoptée. Ce qu'on cherche, c'est la coexistence pacifique, et non la mise au banc des religions. Le but de cette loi, c'est de créer un espace commun et de faire baisser les tensions entre cléricaux et anticléricaux. La loi de 1905, dans laquelle d'ailleurs le terme de laïcité n'apparaît pas, énonce deux grands principes. D'abord, l'article 1 affirme que la République assure la liberté de conscience et qu'elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public. Autrement dit, la loi protège la liberté religieuse des individus pourvu que la pratique de la religion respecte bien les lois de la République. Ensuite, l'article 2 énonce qu'elle ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte. Cela signifie que l'État est neutre, qu'il est séparé des institutions religieuses. Comme le montre Jean Bobéro, la laïcité de 1905 est donc libérale, puisqu'elle garantit la liberté de conscience religieuse et qu'elle n'est pas du tout hostile aux religions ni à leur expression dans la société civile. Alors, comment expliquer un tel durcissement de la laïcité aujourd'hui ? En 1989, à Creil, deux élèves marocaines refusent d'enlever leur foulard au sein de leur école. La même année, trois jeunes filles voilées sont renvoyées de leur lycée à Aubervilliers. Ces deux affaires relancent la discussion sur la laïcité, sur l'intégration des personnes immigrées. La religion musulmane commence à être considérée comme un obstacle à l'intégration. En 1994, François Bayrou, alors ministre de l'éducation nationale, fait paraître une circulaire interdisant les signes religieux ostentatoires à l'école. Dix ans plus tard, en 2004, une loi confirme cette nouvelle disposition. La conception de la laïcité change. Alors que la loi de 1905 défendait la liberté de conscience et la neutralité de l'État, la loi de 2004 est beaucoup plus interventionniste et marque les débuts de ce qu'on appelle aujourd'hui la laïcité à la française. Un tournant confirmé en 2021 avec la loi séparatisme, qui donne à l'État le pouvoir de surveiller et de fermer les associations culturelles. Selon Jean Bobéro, la laïcité libérale, celle de 1905, est devenue une laïcité de contrôle, une laïcité identitaire. où la religion, et plus spécifiquement la religion musulmane, est perçue comme une atteinte à l'identité nationale française. Alors que la loi de 1905 visait la neutralité de l'État, les lois contemporaines visent désormais la neutralité des individus. Finie la coexistence pacifique, la laïcité française est désormais combative. Pour quelles raisons ? Pour la philosophe Cécile Laborde, la dérive identitaire de la laïcité provient d'une certaine tradition républicaine qui revendique l'autonomie radicale des personnes. Pour ce courant, le foulard islamique est le symbole d'une soumission des femmes et il est intolérable dans une démocratie moderne. Pourtant, montre-t-elle, cette conception est incohérente et liberticide. On ne peut prétendre émanciper les individus en agissant contre leur volonté et soi-disant au nom de leur liberté. Cette approche est en réalité paternaliste et colonialiste, puisqu'en voulant imposer un modèle unique, on met des individus sous tutelle et on leur refuse toute autonomie morale et intellectuelle. Cécile Laborde s'interroge. Est-il réellement acceptable d'assimiler toute forme de foi à une posture d'asservissement ? Est-il acceptable de considérer que les femmes musulmanes sont forcément des victimes passives et jamais les agentes de leur propre vie ? D'autant plus que les études sociologiques montrent que la plupart des femmes musulmanes qui portent le hijab le font pour des raisons personnelles et spirituelles, et non par contrainte. Mais l'État n'écoute pas les premières concernées, si bien que, comme le dit Cécile Laborde, les femmes musulmanes sont doublement dominées dans le débat français. C'est d'elles dont on parle, mais on ne les entend jamais. Pour la philosophe, cette conception stricte de la laïcité ouvre la porte à tous les abus. Celui d'un État qui restreint la liberté des citoyens au nom d'une conception universaliste et anti-religieuse du bien. De plus, les mesures politiques prises au nom de la laïcité peuvent avoir des conséquences liberticides. Par exemple, si une élève souhaite porter le voile pour des raisons religieuses, elle n'a plus que deux options. Soit ne plus aller à l'école, soit aller dans une école privée confessionnelle. Cette élève est donc totalement exclue de l'espace public. précisément en raison de ses croyances religieuses, une trahison radicale de la loi de 1905. Les polémiques successives sur le voile et le durcissement des lois sur la laïcité conduisent ainsi à des discriminations systématiques envers les personnes musulmanes, qui se voient refuser l'entrée à des lieux publics et connaissent de nombreuses difficultés pour trouver un emploi. La laïcité est ainsi instrumentalisée pour servir un agenda islamophobe. En témoigne par exemple les propositions de loi pour interdire le port du voile dans la rue ou pour les enfants mineurs. L'idéal républicain d'émancipation et de liberté devient un outil puissant de contrôle et d'exclusion, qui prive les musulmans d'une véritable participation démocratique et citoyenne. Au nom de l'intégration et de l'assimilation, on stigmatise toute une communauté jusqu'à les mettre en danger. Les actes islamophobes explosent depuis quelques années et 80% des agressions sont commises sur des femmes. La trahison de la loi de 1905 conduit ainsi à des mesures liberticides et contre-productives qui excluent et stigmatisent toute une partie de la population française. D'ailleurs, à l'étranger, nombreux sont les pays qui sont choqués par notre conception stricte de la laïcité et qui l'aperçoivent comme une hostilité envers les musulmans. Il faut dire que la différence de traitement entre les différentes religions est assez flagrante. Par exemple, on entend moins les chantres de la laïcité lorsqu'il est question du financement des écoles catholiques, qui représentent la quasi-totalité des écoles privées sous contrat, et qui sont financées au trois-quarts par de l'argent public pour une somme de 12 milliards d'euros par an. Et pour avoir fréquenté ces écoles, je peux vous assurer qu'elles ne respectent pas la loi séparatisme de 2021. C'est pour cette raison que Cécile Laborde décrit la laïcité française comme une catholaïcité, L'omniprésence de l'héritage catholique par exemple avec les jours fériés religieux, montre bien que la laïcité n'est stricte que lorsqu'elle concerne la religion musulmane. En France, il serait ainsi impensable qu'une personnalité politique se revendique musulmane et soit élue, comme par exemple aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, alors que des personnalités comme Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau ou François Bayrou n'ont aucune peine à se revendiquer catholiques pratiquants. Alors, quelle pourrait être une conception de la laïcité qui soit véritablement ouverte ? et conforme à l'esprit de liberté de la loi 1905. Pour Cécile Laborde, il ne faut ni tomber dans le républicanisme paternaliste et identitaire, ni dans l'exaltation des identités communautaires. Il faut penser ce qu'elle appelle un républicanisme critique, qui permet la reconnaissance des identités multiples et la lutte contre la domination, tout en créant un espace de citoyenneté commun. Il faut ainsi renoncer à la tentation d'imposer un modèle uniforme, une identité nationale unique, sans toutefois revenir à des identités communautaires figées. Pour cela, elle propose de penser une laïcité minimale. La laïcité ne doit pas chercher à éradiquer la religion de l'espace public, mais l'État doit garantir que chacun et chacune puisse croire et exercer sa religion sans discrimination ni inégalité de pratique. Cette laïcité ne devrait donc pas chercher à effacer la religion de l'espace public, mais être pensée en termes de non-domination. c'est-à-dire le fait de ne pas être soumis au pouvoir arbitraire de quelqu'un. Cela signifierait, d'une part, que l'État ne devrait pas pouvoir dominer les citoyens en tentant de leur imposer une neutralité religieuse. Et cela signifierait, d'autre part, qu'il faudrait changer de perspective. Ce ne sont pas les religions qui doivent être combattues, mais la possible domination au sein des groupes et des communautés. Prenons l'exemple du voile. Celui-ci ne devrait pas être systématiquement considéré comme une contrainte et comme un symbole de soumission. La société doit accepter que des femmes autonomes choisissent librement de le porter. Mais selon ceci l'aborde, l'État doit aussi être vigilant sur les cas où le voile serait imposé par contrainte familiale et pouvoir intervenir si c'est le cas. Pour illustrer cette approche, assez subtile, on peut peut-être faire une comparaison avec le couple hétérosexuel. L'État ne considère pas qu'une femme en couple avec un homme est nécessairement dominée et privée de sa liberté. Et le couple hétérosexuel n'est pas interdit. En revanche, l'État garantit des droits aux femmes et met en place des protocoles de protection en cas de violence conjugale ou de situation d'emprise. Enfin pardon, l'État devrait le faire, même si c'est loin d'être le cas aujourd'hui. De manière similaire, on pourrait considérer une laïcité où la pratique religieuse ne serait pas stigmatisée en tant que telle tant qu'elle respecterait l'autonomie et la liberté des personnes, où l'on ne déciderait pas à la place des gens ce qui est bon pour eux, mais où on garantirait les libertés individuelles fondamentales des individus. Un modèle qu'il faudrait construire, ou plutôt co-construire, en collaboration étroite avec les personnes concernées. Pour ceci de l'abord, la laïcité minimale doit donc empêcher les rapports de domination sans devenir elle-même oppressive au nom de la neutralité. L'objectif, c'est de créer une identité collective plurielle où chacun, chacune, pourrait choisir librement ses engagements et les remettre en cause s'il ou elle le souhaite. Dans ce cadre, le rôle de l'État est de garantir le respect des personnes en empêchant la méconnaissance de certaines religions, les préjugés à leur encontre, et les discriminations dont sont victimes celles et ceux qui la pratiquent. Alors, pour Cécile Laborde, le problème est moins la reconnaissance des identités que la prise en compte des conditions sociales et matérielles, et plus spécifiquement des structures de domination qui écrasent certaines classes vulnérables. En posant le problème à partir de la domination, Cécile Laborde montre que la question doit toujours porter sur les conditions sociales, politiques, matérielles, qui empêche une pleine participation à la vie démocratique. Et en l'occurrence, la laïcité identitaire menée par la France conduit à l'exclusion, à la stigmatisation et à la discrimination systématique de la communauté musulmane. Elle est le symptôme d'une islamophobie d'État qui banalise une islamophobie ordinaire de plus en plus décomplexée et violente. Il devient alors urgent de rompre avec cette laïcité de surveillance généralisée qui va jusqu'à mesurer la longueur des robes des jeunes filles et interdire des mères d'accompagner leurs enfants à des sorties scolaires. Il nous faut renouer avec une laïcité pluraliste qui ouvrirait à une véritable liberté. Cette laïcité pourrait de nouveau permettre une coexistence pacifique entre les différentes croyances et non-croyances, en cessant de vouloir imposer un modèle unique à des individus qu'on considère incapables de penser par eux-mêmes. Il n'y a que de cette façon que l'on pourra véritablement reconstruire une citoyenneté laïque, inclusive et protectrice des libertés fondamentales. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram sur mon compte Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Un grand merci à Lamine, Marie, Christophe, Mathieu, Clément, Cédric, Laurent, Claire, Bastien, Lucille, Vincent, Sophie, Emmanuel, Sylvain, Héloïse, Thomas, Vincent, Élodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Aurélien, Bertrand, Carole-Anne, Aymeric, Amine, Mathilde, Laura, Barthélémy, Romain, Arnaud, Pierre, Aurélie, Denis, Gauthier, Franck, Tristan, Florence et tous les autres. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

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Le 9 décembre 2025, nous avons fêté les 120 ans de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’Etat. Une loi importante, qui fait l’objet de réinterprétations depuis plus d’un siècle. En France, la laïcité suscite des débats vifs, et s’est durcie par rapport à la loi originelle, en s’attaquant de plus en plus fortement à l’Islam. Alors, comment penser la laïcité aujourd’hui ? On en parle avec l’historien Jean Baubérot, et la philosophe Cécile Laborde.


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    Le 9 décembre 2025, nous avons fêté les 120 ans de la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État. Une loi importante qui fait l'objet de réinterprétations et de discussions depuis plus d'un siècle. En France, la laïcité suscite en effet des débats vides et elle s'est durcie par rapport à la loi originelle en s'attaquant de plus en plus fortement à l'islam. Alors, comment penser la laïcité aujourd'hui ? On en parle avec l'historien Jean Bobéro. et la philosophe Cécile Laborde. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le fil d'actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions Juste et la Tess. Merci pour votre soutien. Nous sommes en 1905. Depuis un siècle se pose la question du pouvoir politique et social de la religion, en particulier de la religion catholique. Dans les années 1860, un terme fait même son apparition, celui de laïcité, qui défend la séparation de l'Église et de l'État, notamment dans l'éducation. En 1882, la Troisième République supprime l'enseignement religieux et crée une école publique unique et laïque. Trente ans plus tard, La laïcité dépasse le contexte scolaire pour toucher l'intégralité de la société. C'est la loi de séparation de l'Église et de l'État. Comme l'a montré l'historien Jean Bobéro, spécialiste de la laïcité, cette loi de 1905 est l'aboutissement d'un conflit politique entre la République française et l'Église catholique. En ce début de XXe siècle, la France est encore majoritairement catholique, mais il y a une forte montée de l'anticléricalisme, c'est-à-dire les opinions hostiles aux clergés, et une diversification des croyances religieuses. Ainsi, si les politiques s'accordent à vouloir réduire la toute-puissance de l'Église catholique, il y a de grands débats sur les modalités de cette laïcité. Faut-il adopter une loi dure, anti-religieuse, ou bien une loi plus souple, qui garantirait la liberté des cultes ? Au terme de discussions houleuses, c'est finalement une loi de compromis qui est adoptée. Ce qu'on cherche, c'est la coexistence pacifique, et non la mise au banc des religions. Le but de cette loi, c'est de créer un espace commun et de faire baisser les tensions entre cléricaux et anticléricaux. La loi de 1905, dans laquelle d'ailleurs le terme de laïcité n'apparaît pas, énonce deux grands principes. D'abord, l'article 1 affirme que la République assure la liberté de conscience et qu'elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public. Autrement dit, la loi protège la liberté religieuse des individus pourvu que la pratique de la religion respecte bien les lois de la République. Ensuite, l'article 2 énonce qu'elle ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte. Cela signifie que l'État est neutre, qu'il est séparé des institutions religieuses. Comme le montre Jean Bobéro, la laïcité de 1905 est donc libérale, puisqu'elle garantit la liberté de conscience religieuse et qu'elle n'est pas du tout hostile aux religions ni à leur expression dans la société civile. Alors, comment expliquer un tel durcissement de la laïcité aujourd'hui ? En 1989, à Creil, deux élèves marocaines refusent d'enlever leur foulard au sein de leur école. La même année, trois jeunes filles voilées sont renvoyées de leur lycée à Aubervilliers. Ces deux affaires relancent la discussion sur la laïcité, sur l'intégration des personnes immigrées. La religion musulmane commence à être considérée comme un obstacle à l'intégration. En 1994, François Bayrou, alors ministre de l'éducation nationale, fait paraître une circulaire interdisant les signes religieux ostentatoires à l'école. Dix ans plus tard, en 2004, une loi confirme cette nouvelle disposition. La conception de la laïcité change. Alors que la loi de 1905 défendait la liberté de conscience et la neutralité de l'État, la loi de 2004 est beaucoup plus interventionniste et marque les débuts de ce qu'on appelle aujourd'hui la laïcité à la française. Un tournant confirmé en 2021 avec la loi séparatisme, qui donne à l'État le pouvoir de surveiller et de fermer les associations culturelles. Selon Jean Bobéro, la laïcité libérale, celle de 1905, est devenue une laïcité de contrôle, une laïcité identitaire. où la religion, et plus spécifiquement la religion musulmane, est perçue comme une atteinte à l'identité nationale française. Alors que la loi de 1905 visait la neutralité de l'État, les lois contemporaines visent désormais la neutralité des individus. Finie la coexistence pacifique, la laïcité française est désormais combative. Pour quelles raisons ? Pour la philosophe Cécile Laborde, la dérive identitaire de la laïcité provient d'une certaine tradition républicaine qui revendique l'autonomie radicale des personnes. Pour ce courant, le foulard islamique est le symbole d'une soumission des femmes et il est intolérable dans une démocratie moderne. Pourtant, montre-t-elle, cette conception est incohérente et liberticide. On ne peut prétendre émanciper les individus en agissant contre leur volonté et soi-disant au nom de leur liberté. Cette approche est en réalité paternaliste et colonialiste, puisqu'en voulant imposer un modèle unique, on met des individus sous tutelle et on leur refuse toute autonomie morale et intellectuelle. Cécile Laborde s'interroge. Est-il réellement acceptable d'assimiler toute forme de foi à une posture d'asservissement ? Est-il acceptable de considérer que les femmes musulmanes sont forcément des victimes passives et jamais les agentes de leur propre vie ? D'autant plus que les études sociologiques montrent que la plupart des femmes musulmanes qui portent le hijab le font pour des raisons personnelles et spirituelles, et non par contrainte. Mais l'État n'écoute pas les premières concernées, si bien que, comme le dit Cécile Laborde, les femmes musulmanes sont doublement dominées dans le débat français. C'est d'elles dont on parle, mais on ne les entend jamais. Pour la philosophe, cette conception stricte de la laïcité ouvre la porte à tous les abus. Celui d'un État qui restreint la liberté des citoyens au nom d'une conception universaliste et anti-religieuse du bien. De plus, les mesures politiques prises au nom de la laïcité peuvent avoir des conséquences liberticides. Par exemple, si une élève souhaite porter le voile pour des raisons religieuses, elle n'a plus que deux options. Soit ne plus aller à l'école, soit aller dans une école privée confessionnelle. Cette élève est donc totalement exclue de l'espace public. précisément en raison de ses croyances religieuses, une trahison radicale de la loi de 1905. Les polémiques successives sur le voile et le durcissement des lois sur la laïcité conduisent ainsi à des discriminations systématiques envers les personnes musulmanes, qui se voient refuser l'entrée à des lieux publics et connaissent de nombreuses difficultés pour trouver un emploi. La laïcité est ainsi instrumentalisée pour servir un agenda islamophobe. En témoigne par exemple les propositions de loi pour interdire le port du voile dans la rue ou pour les enfants mineurs. L'idéal républicain d'émancipation et de liberté devient un outil puissant de contrôle et d'exclusion, qui prive les musulmans d'une véritable participation démocratique et citoyenne. Au nom de l'intégration et de l'assimilation, on stigmatise toute une communauté jusqu'à les mettre en danger. Les actes islamophobes explosent depuis quelques années et 80% des agressions sont commises sur des femmes. La trahison de la loi de 1905 conduit ainsi à des mesures liberticides et contre-productives qui excluent et stigmatisent toute une partie de la population française. D'ailleurs, à l'étranger, nombreux sont les pays qui sont choqués par notre conception stricte de la laïcité et qui l'aperçoivent comme une hostilité envers les musulmans. Il faut dire que la différence de traitement entre les différentes religions est assez flagrante. Par exemple, on entend moins les chantres de la laïcité lorsqu'il est question du financement des écoles catholiques, qui représentent la quasi-totalité des écoles privées sous contrat, et qui sont financées au trois-quarts par de l'argent public pour une somme de 12 milliards d'euros par an. Et pour avoir fréquenté ces écoles, je peux vous assurer qu'elles ne respectent pas la loi séparatisme de 2021. C'est pour cette raison que Cécile Laborde décrit la laïcité française comme une catholaïcité, L'omniprésence de l'héritage catholique par exemple avec les jours fériés religieux, montre bien que la laïcité n'est stricte que lorsqu'elle concerne la religion musulmane. En France, il serait ainsi impensable qu'une personnalité politique se revendique musulmane et soit élue, comme par exemple aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, alors que des personnalités comme Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau ou François Bayrou n'ont aucune peine à se revendiquer catholiques pratiquants. Alors, quelle pourrait être une conception de la laïcité qui soit véritablement ouverte ? et conforme à l'esprit de liberté de la loi 1905. Pour Cécile Laborde, il ne faut ni tomber dans le républicanisme paternaliste et identitaire, ni dans l'exaltation des identités communautaires. Il faut penser ce qu'elle appelle un républicanisme critique, qui permet la reconnaissance des identités multiples et la lutte contre la domination, tout en créant un espace de citoyenneté commun. Il faut ainsi renoncer à la tentation d'imposer un modèle uniforme, une identité nationale unique, sans toutefois revenir à des identités communautaires figées. Pour cela, elle propose de penser une laïcité minimale. La laïcité ne doit pas chercher à éradiquer la religion de l'espace public, mais l'État doit garantir que chacun et chacune puisse croire et exercer sa religion sans discrimination ni inégalité de pratique. Cette laïcité ne devrait donc pas chercher à effacer la religion de l'espace public, mais être pensée en termes de non-domination. c'est-à-dire le fait de ne pas être soumis au pouvoir arbitraire de quelqu'un. Cela signifierait, d'une part, que l'État ne devrait pas pouvoir dominer les citoyens en tentant de leur imposer une neutralité religieuse. Et cela signifierait, d'autre part, qu'il faudrait changer de perspective. Ce ne sont pas les religions qui doivent être combattues, mais la possible domination au sein des groupes et des communautés. Prenons l'exemple du voile. Celui-ci ne devrait pas être systématiquement considéré comme une contrainte et comme un symbole de soumission. La société doit accepter que des femmes autonomes choisissent librement de le porter. Mais selon ceci l'aborde, l'État doit aussi être vigilant sur les cas où le voile serait imposé par contrainte familiale et pouvoir intervenir si c'est le cas. Pour illustrer cette approche, assez subtile, on peut peut-être faire une comparaison avec le couple hétérosexuel. L'État ne considère pas qu'une femme en couple avec un homme est nécessairement dominée et privée de sa liberté. Et le couple hétérosexuel n'est pas interdit. En revanche, l'État garantit des droits aux femmes et met en place des protocoles de protection en cas de violence conjugale ou de situation d'emprise. Enfin pardon, l'État devrait le faire, même si c'est loin d'être le cas aujourd'hui. De manière similaire, on pourrait considérer une laïcité où la pratique religieuse ne serait pas stigmatisée en tant que telle tant qu'elle respecterait l'autonomie et la liberté des personnes, où l'on ne déciderait pas à la place des gens ce qui est bon pour eux, mais où on garantirait les libertés individuelles fondamentales des individus. Un modèle qu'il faudrait construire, ou plutôt co-construire, en collaboration étroite avec les personnes concernées. Pour ceci de l'abord, la laïcité minimale doit donc empêcher les rapports de domination sans devenir elle-même oppressive au nom de la neutralité. L'objectif, c'est de créer une identité collective plurielle où chacun, chacune, pourrait choisir librement ses engagements et les remettre en cause s'il ou elle le souhaite. Dans ce cadre, le rôle de l'État est de garantir le respect des personnes en empêchant la méconnaissance de certaines religions, les préjugés à leur encontre, et les discriminations dont sont victimes celles et ceux qui la pratiquent. Alors, pour Cécile Laborde, le problème est moins la reconnaissance des identités que la prise en compte des conditions sociales et matérielles, et plus spécifiquement des structures de domination qui écrasent certaines classes vulnérables. En posant le problème à partir de la domination, Cécile Laborde montre que la question doit toujours porter sur les conditions sociales, politiques, matérielles, qui empêche une pleine participation à la vie démocratique. Et en l'occurrence, la laïcité identitaire menée par la France conduit à l'exclusion, à la stigmatisation et à la discrimination systématique de la communauté musulmane. Elle est le symptôme d'une islamophobie d'État qui banalise une islamophobie ordinaire de plus en plus décomplexée et violente. Il devient alors urgent de rompre avec cette laïcité de surveillance généralisée qui va jusqu'à mesurer la longueur des robes des jeunes filles et interdire des mères d'accompagner leurs enfants à des sorties scolaires. Il nous faut renouer avec une laïcité pluraliste qui ouvrirait à une véritable liberté. Cette laïcité pourrait de nouveau permettre une coexistence pacifique entre les différentes croyances et non-croyances, en cessant de vouloir imposer un modèle unique à des individus qu'on considère incapables de penser par eux-mêmes. Il n'y a que de cette façon que l'on pourra véritablement reconstruire une citoyenneté laïque, inclusive et protectrice des libertés fondamentales. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram sur mon compte Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Un grand merci à Lamine, Marie, Christophe, Mathieu, Clément, Cédric, Laurent, Claire, Bastien, Lucille, Vincent, Sophie, Emmanuel, Sylvain, Héloïse, Thomas, Vincent, Élodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Aurélien, Bertrand, Carole-Anne, Aymeric, Amine, Mathilde, Laura, Barthélémy, Romain, Arnaud, Pierre, Aurélie, Denis, Gauthier, Franck, Tristan, Florence et tous les autres. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

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