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Le Phil d'Actu - Philosophie et Actualité

Norman Ajari et la philosophie afrodécoloniale

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1h12 |27/09/2024
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1h12 |27/09/2024
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Description

De quoi les Noirs souffrent-ils ?  Quels sont les obstacles, les violences, les privations, les humiliations qui définissent l’histoire qui est la leur ? 

Voilà les questions qui animent les recherches du philosophe Norman Ajari.


Norman Ajari étudie les Black Studies à l’université d’Edimbourg, et il vient de publier un Manifeste Afro-décolonial. Il s’interroge sur la déshumanisation contemporaine des Noirs à travers l’histoire de l’esclavage et du colonialisme, et propose une critique radicale des rapports de race, de pouvoir et de violence.

Il m’a fait l’immense honneur d’être mon premier invité pour les entretiens du Phil d’Actu. Une conversation essentielle pour comprendre notre monde, dévoiler ses fractures, et envisager des possibilités de réconciliation.



Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

Une chronique tous les mercredis, et un entretien par mois.


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Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui remet la philosophie au cœur de l'actualité. Ici, pas de philo prétentieuse et déconnectée du monde, mais une philo accessible et ancrée dans la société. Tous les mercredis, je vous propose une chronique commentant l'actualité et, une fois par mois, l'interview d'un ou d'une philosophe contemporaine. Prêt et prête pour une philosophie vivante et engagée ? Bienvenue dans le fil d'actu. De quoi les Noirs souffrent-ils ? Quels sont les obstacles, les violences, les privations, les humiliations qui définissent l'histoire qui est la leur ? Voilà les questions qui animent les recherches du philosophe Norman Hajari que vous allez entendre aujourd'hui. Norman Hajari étudie les Black Studies à l'Université d'Edimbourg et il vient de publier un manifeste afro-décolonial. Il s'interroge sur la déshumanisation contemporaine des Noirs à travers l'histoire de l'esclavage et du colonialisme et propose une critique radicale des rapports de race, de pouvoir et de violence. Il m'a fait l'immense honneur d'être mon premier invité pour les entretiens du Fil d'Actu, une conversation essentielle pour comprendre notre monde, dévoiler ses fractures et envisager des possibilités de réconciliation. Vous allez entendre une réflexion intense, souvent inattendue. Une philosophie vibrante, incarnée. La philosophie de Norman Najari vous prend aux tripes. Et je n'ai aucun doute qu'elle vous bouleversera autant qu'elle m'a parfois laissé sans voix. Bonjour Norman. Salut. Merci d'avoir accepté l'invitation dans le fil d'actu.

  • Speaker #1

    Merci de m'inviter pour ce premier entretien.

  • Speaker #0

    Et oui, c'est effectivement mon première interview, donc je suis un peu émue et stressée. Et super honorée que ce soit toi qui fasses cette interview.

  • Speaker #1

    Tout l'honneur est pour moi.

  • Speaker #0

    Ah, bon, j'aime beaucoup ces civilités, ces politesses. Alors, on va commencer tout de suite. Première question, mais une question qui me taraude pas mal, et je pense que je n'ai pas tout à fait résolu malgré toutes mes années de philosophie. C'est quoi pour toi la philosophie ? C'est quoi la définition de la philosophie et du philosophe ?

  • Speaker #1

    Oula, on commence tout de suite. Très, très fort, ça tape fort directement. Je n'ai pas vraiment de définition, de définition massive de la philosophie. à la Deleuze, qu'est-ce que la philosophie, ou à la Gamben, et peut-être ce que j'essaye de faire, ou ce qui me semble le plus intéressant dans l'exercice philosophique pour moi. Et là, j'irais plutôt du côté d'un philosophe allemand du XXe siècle qui s'appelle Théodore Adorno. L'une des choses qu'il dit, je ne suis même plus sûr que ce soit exactement une définition de la philosophie, mais en tout cas, il parle de la nécessité, pour la pensée, de nous reconnecter à notre propre misère.

  • Speaker #0

    Ah, c'est beau !

  • Speaker #1

    C'est pas mal, je pense que c'est dans les minima moralia, c'est son espèce de recueil d'aphorismes et de textes assez courts qu'il écrit pendant la Deuxième Guerre mondiale.

  • Speaker #0

    Se reconnecter avec sa propre misère. Oui. C'est magnifique.

  • Speaker #1

    Ça, je pense que c'est quelque chose de tout à fait important, surtout lorsqu'on est dans des temps troublés, surtout lorsqu'on travaille sur des questions comme moi, des questions de racisme, de conditions noires, de violences sociales et politiques. Ce rôle de la philosophie, que je ne considère pas comme un absolu, que je ne considère pas comme étant... l'essence de la philosophie, mais plutôt ce qui m'intéresse, ce qui m'a intéressé depuis de nombreuses années dans cette discipline ou dans cet exercice intellectuel, c'est d'aller chercher une compréhension de ce qui nous fait souffrir, au lieu de tenter de le dissimuler, de le dévoiler, de l'habiter, de le comprendre. Et en ça, c'est une manière de concevoir la philosophie qui est assez différente à la fois de ce qui est à la mode, c'est-à-dire... Toutes les hybridations de la philosophie avec le développement personnel, etc.

  • Speaker #0

    On pourra en parler si tu veux.

  • Speaker #1

    Ou même des choses un petit peu plus nobles, comme par exemple des grands philosophes comme Deleuze, etc. qui insistent beaucoup sur Spinoza, sur la joie, etc. Avec cette idée que je n'ai jamais réussi véritablement à comprendre, même du point de vue politique, selon laquelle la résistance politique serait du côté de la joie. Je n'ai jamais réussi à... adhérer à cette idée, je n'ai jamais compris d'où ça venait en fait. J'ai toujours eu l'impression spontanée que la joie, c'était fondamentalement un affect qui est du côté de l'obéissance. Il n'y a rien de plus facile que de manipuler et d'imposer ses options à un peuple joyeux. Il n'y a rien de plus bête que la joie d'une certaine façon.

  • Speaker #0

    L'imbécile heureux en fait.

  • Speaker #1

    Voilà, c'est exactement ça. C'est l'imbécile heureux. Et encore, je trouve que le bonheur a... à plus de noblesse que la joie. La joie, il y a une espèce d'hébétude. Je ne sais pas si tu te souviens, le film classique des philosophes, Matrix. Dans Matrix, c'est ce personnage très intéressant qui s'appelle Cypher. C'est un type...

  • Speaker #0

    Celui qui mange le steak à un moment.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. C'est celui qui mange le steak dans Matrix 1. Celui qui choisit de revenir, enfin qui projette de revenir à ce monde imaginaire de la Matrice, c'est-à-dire de perdre sa connaissance, de perdre sa connaissance des enjeux réels du monde, c'est-à-dire le fait que le monde est une simulation qui vise à maintenir l'humanité en tant que ressource. absorbé par les machines. Bref, en gros, on est exploité à notre insu et on vit dans une simulation, notre cerveau vit dans une simulation alors que notre corps est exploité. Lui se rend compte de ça et dit Mais moi, j'ai envie de revenir à cette sorte de vie primordiale, de vie luxueuse que m'offre la simulation. Je veux oublier la réalité et je veux m'enfermer dans cet espèce de monde de joie perpétuelle que m'offre la simulation. Cette espèce d'apologie de la joie dans le monde, à de nombreux égards, injuste, abjecte, abominable dans lequel on vit, a quelque chose de tout à fait obscène. Et je ne peux pas concevoir une philosophie dont le but, l'objectif serait cette espèce de quête ou de recherche de la joie, cette recherche de la consolation. Au contraire, je pense que... Il n'y a rien de plus nécessaire, de plus indispensable que de nous reconnecter à notre propre misère et au contraire de déclencher la colère, le dégoût, même la détestation de ce type de situation. Et je pense que c'est ça qui provoque la résistance, c'est ça qui provoque la révolte, c'est ça qui provoque la rébellion contre cette situation, pas la joie. On peut avoir des moments de joie dans la révolte. des moments de joie du fait d'être ensemble. Mais ce n'est certainement pas un point de départ.

  • Speaker #0

    D'accord, c'est un point d'arrivée éventuellement.

  • Speaker #1

    C'est un point d'arrivée éventuellement et c'est quelque chose qui nécessairement alimente la lutte. On a ces moments un petit peu d'extase qu'on peut avoir collectifs, dans le militantisme, dans l'engagement, dans la pensée, mais ce n'est ni le point de départ ni le moteur de ce qu'on fait. Si on en arrive à ne rechercher que ce type de satisfaction et non plus une véritable transformation du monde ni... par le sentiment, la conscience et la compréhension du fait que ce monde est détestable, alors on n'a pas ce qu'il faut pour parvenir à un but. Si le militantisme provoque tellement de joie qu'on veut qu'il dure, alors on va continuer à militer au lieu de tenter de faire en sorte d'arrêter de militer en archevant le projet qu'on recherche.

  • Speaker #0

    Pour toi, à quelle émotion est associée la philosophie ? Moi, je pense que la philosophie, c'est quelque chose... très émotionnel quand même. Les gens qui prétendent que c'est juste une vue de l'esprit totalement désincarnée, désincorporée. Je ne suis pas du tout d'accord avec cette conception-là. Et je pense que oui, c'est quelque chose qui nous prend aux tripes au départ. Je dis toujours que on fait de la philosophie pour moi parce que la psychothérapie n'est pas remboursée par la sécu. Et que du coup, il faut y aller. Donc en fait, on a une colère à canaliser.

  • Speaker #1

    C'est pas mal. Et pour répondre à ta question sur les affects. fondamentaux de la philosophie ou les sentiments fondamentaux de la philosophie, on sait que, traditionnellement, pour revenir encore une fois à ces bons vieux grecs classiques, à Platon, pour les grecs, la philosophie a pour affect fondamental le taumazène, c'est-à-dire ce qu'on traduit le plus souvent par l'émerveillement ou l'étonnement. Et à cela, le philosophe camerounais Fabien Ebussiboulaga avait donné une réponse que je trouve tout à fait fascinante. Il avait dit, pour la philosophie africaine, ça ne commence pas par l'émerveillement ou par l'étonnement, mais cette philosophie commence par la stupeur causée par une défaite totale. Parlons évidemment de la colonisation, de l'esclavagisme, etc. Évidemment, avec le travail que je fais, c'est une analyse qui a beaucoup d'écho, puisque je passe un temps considérable à lire des horreurs, des récits de torture. issus de l'esclavage, etc. Parfois, j'ai assez souvent, de plus en plus souvent, l'impression de pratiquer la philosophie dans une chambre de torture parce que c'est le type de recherche que j'ai choisi de faire, le type de travaux que j'ai choisi de faire, ce qui est quand même quelque chose d'assez étrange, d'un petit peu malsain. Mais je me dis qu'il faut bien que quelqu'un le fasse. Parce qu'on n'est pas très nombreux à faire ça. J'ai la conviction de... qu'il est nécessaire de se poser ce genre de questions. Et c'est sûr, ce ne sont pas des sujets ou ce ne sont pas des choses qui rendent heureux. Ce n'est pas la quête du bonheur promise par Montaigne et par le développement personnel. Non,

  • Speaker #0

    c'est sûr que tu n'es pas dans l'apaisement et la sérénité.

  • Speaker #1

    Non, pas du tout.

  • Speaker #0

    Tu es dans la mission, quelque part. Est-ce que tu décris, c'est presque une mission de dévoilement, de mise à jour de ce envers quoi d'habitude on tente de fermer les yeux et de faire l'autruche en fait ?

  • Speaker #1

    Voilà, oui, c'est vrai, c'est une manière de le dire. Il y a de ça, il y a cet affect là qui nous pousse à fréquenter des choses parfois atroces et à fuir la consolation comme la peste.

  • Speaker #0

    Et alors justement, parce que là on tourne un peu autour de tes thèmes, mais est-ce que tu pourrais nous résumer tes grands thèmes de recherche, tes grandes analyses ? ton approche ?

  • Speaker #1

    Je dirais que peut-être l'idée la plus basique de mon travail est que dans de nombreuses métaphysiques africaines, dans de nombreuses visions du monde africaine, il n'y a pas de limite tranchée entre le monde des vivants et le monde des morts. Dans le monde chrétien, la frontière entre les vivants et les morts est extrêmement bien définie. C'est pour ça que... lorsque le Christ ressurgit d'entre les morts, c'est l'événement du millénaire, même de plein de millénaires, de tous les millénaires, d'une certaine façon.

  • Speaker #0

    C'est un petit happening,

  • Speaker #1

    quand même. Voilà, oui, c'est quand même le gros truc. C'est le gros truc. Mais lorsque, dans les pensées, dans les philosophies d'Afrique de l'Ouest, les spectres reviennent, c'est juste les ancêtres qui sont encore parmi nous. Ils ont des choses à nous dire. C'est pas si... fabuleux que ça. C'est même plutôt ordinaire. Nos morts sont encore parmi nous si on continue à penser à eux. Ce que j'ai cherché à penser, c'est la subsistance de ce type de pensée au-delà du moment colonial et notamment du moment esclavagiste. Les esclaves ont vécu des situations qu'eux-mêmes, lorsqu'ils ont survécu, ont souvent décrites comme pire que la mort. Et les esclavagistes, comme les esclaves, étaient sidérés du fait que les Africains aient résisté de façon assez exceptionnelle parfois au type de violence qu'ils ont subi. Et je pense que cette conception de la réversibilité entre la vie et la mort est l'un des éléments fondamentaux qui leur ont permis de résister à la violence coloniale. Parce qu'ils ont survécu au deuil de manière différente et ils ont compris que cette traversée de la mort pouvait avoir un sens, pouvait avoir une signification, non pas dans l'au-delà, mais demain, dans ce monde. Il y avait une conception différente de la mort et de la vie. Et donc ce qui m'intéresse, c'est ce rapport entre les technologies coloniales, esclavagistes, néocoloniales, de la violence, de l'exploitation économique, de la mise à mort, et comment certains types de philosophies qui repense le rapport entre la vie et la mort, nous aide à nous rebeller contre ça.

  • Speaker #0

    Comment est-ce que, selon toi, cette frontière poreuse entre la vie et la mort, quelles sont les conséquences, justement, sur ce que tu décris ? Est-ce que ça veut dire qu'il y a une résistance, une résilience par l'idée qu'il faudrait une transmission, un témoignage ? Est-ce que c'est ça ce que tu laisses entendre ? Est-ce que c'est autre chose ? Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

  • Speaker #1

    Cette question de transmission est extrêmement importante. Le fondateur du parti des Panthères Noirs, le Black Panther Party, Huey Newton, dans son autobiographie qui s'intitule, sacré titre, Le suicide révolutionnaire Ça pose un homme. Ça pose un homme.

  • Speaker #0

    On revient à la misère et à la colère dont on a parlé.

  • Speaker #1

    Je n'avais pas menti. J'avais joué carte sur table. C'est ça. Il parle de ça, la manière dont cette transmission des luttes du passé, les révoltes d'esclaves, les révoltes d'Africains sur les côtes atlantiques qui refusaient de se laisser embarquer sur les bateaux, qui coulaient les bateaux par le fond. Plein de choses dont on ne parle guère, plein de choses qu'on ne transmet pas. Comment la transmission de cela... nous permet d'une part, en tant que Noir, de transformer l'image, donc le tome qu'on peut avoir de nous-mêmes, l'image de béni-oui-oui, l'image de faiblard, d'ignaux, de crétin, qu'on peut avoir de nous-mêmes, et aussi comment ça enrichit notre vision aujourd'hui et comment ça nous aide à lutter contre la mort, contre notre propre mort, ce que lui-même appelle une mort spirituelle. Huey Newton dit que les Noirs... aux États-Unis, mais ce serait valable malheureusement pour beaucoup d'endroits du monde, souffrent d'une mort spirituelle. On a tendance à se laisser suicider. À se laisser mourir, à se laisser dépérir spirituellement. Et au-delà, dans notre propre vie, à ne plus rien attendre de l'existence, en vivant sous une forme de menace, en croyant aux langages dépréciatifs et humiliants qui sont tenus sur nous-mêmes, en y accordant trop de crédit. Cette reconnexion avec une certaine profondeur historique, cet exercice de connaissance et cet exercice de mémoire collective, de pouvoir se laisser hanter justement. des spectres du passé.

  • Speaker #0

    Comment la mort physique des personnes noires du passé permet de lutter contre la mort spirituelle et symbolique des personnes noires aujourd'hui qui sont disqualifiées, dépréciées. C'est absolument magnifique.

  • Speaker #1

    Regarde George Floyd. Regarde Adama Traoré. C'est des types d'engagement politique, de mobilisation politique autour... de la mort d'une personne, récemment même aussi avec Naël, ce sont des types d'engagements collectifs qui sont propres à ce type de mise à mort. Et ça rejoue toute cette histoire anticoloniale. Ça rejoue toute cette histoire de politisation collective des processus de deuil.

  • Speaker #0

    Politisation collective des processus de deuil. L'idée que la mort n'est pas quelque chose qui nous frappe individuellement.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas une affaire privée.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas une affaire privée.

  • Speaker #1

    On ne va pas juste mettre du noir. processionner devant une église ou une mosquée et pleurer en silence. On va porter ça dans la rue, et s'il le faut, dans une confrontation avec les forces de l'ordre qui sont responsables de ces morts. Reconnecter notre collectif à sa propre misère, comme je le disais. Et là, en l'espèce, dans les cas qu'on vient de décrire, on a vu la cause de cette misère. C'était les mains ou les armes des flics. Et donc, le deuil, c'est aussi un processus, dans ce cadre-là, de conscientisation de ça, se rendre compte de la nature, des mécanismes de la violence sociale qui ont conduit à ces mises à mort injustes.

  • Speaker #0

    Dans ce cas, il y a à la fois une réappropriation symbolique, pour essayer de comprendre comment on en est arrivé à une telle mise à mort, que cette mise à mort donne lieu à une émotion collective de colère qui permette de se réapproprier une place dans la société, ou en tout cas de lutter en vue de se réapproprier une certaine place dans la société.

  • Speaker #1

    C'est tout à fait ça.

  • Speaker #0

    J'ai presque envie de m'arrêter. Non, on ne va pas s'arrêter. Mais bon, est-ce qu'on pourra faire mieux ? On sent à quel point c'est quelque chose qui est très émotionnel chez toi. On sent quand on parle. que ce n'est pas du tout une philosophie froide. Pas du tout. On sent que c'est quelque chose que tu as dans ta chair. Est-ce que tu peux nous parler de ton éveil à la fois philosophique et ton éveil à ces thèmes-là ? Qu'est-ce qui, dans ton histoire, dans ton parcours, fait qu'aujourd'hui, tu parles de ces thèmes de cette façon-là, qui est extrêmement puissante ? Très sincèrement, j'en ai des frissons tout à l'heure quand on en parlait. Et voilà, est-ce que tu peux nous transmettre un peu ton histoire ou en tout cas, des parties de ton histoire qui te paraissent significatives et des choses que tu as envie de partager ?

  • Speaker #1

    Oui, je suis nigérian de par mon père et lorrain de par ma mère. Je suis né aux États-Unis, mais j'ai grandi en France. L'endroit où j'ai grandi, pendant la Deuxième Guerre mondiale, faisait partie du Reich allemand. C'est-à-dire que ce n'était pas un territoire occupé. C'était littéralement un territoire, ça faisait partie du territoire avec l'Alsace. L'Alsace et la Moselle ont été appropriées par le Reich allemand. Parce que Hitler disait, ici c'est des germaniques, et donc... Ça appartient au Reich. Ça appartient au Troisième Reich. Et donc, ma grand-mère et peut-être mon grand-père aussi, je ne sais plus, ont fait leur test d'arianité. Vous savez, pour savoir si c'était des vrais ariens. Je peux dire que je suis 50% arien. C'est quand même rigolo.

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que je ne l'avais pas vu venir. Et je ne sais pas combien de personnes peuvent se dire...

  • Speaker #1

    Surtout avec ma gueule, peuvent dire qu'ils sont à moitié ariens. J'ai passé beaucoup de temps... de temps dans la maison, enfin dans l'appartement de mes grands-parents, qui est un peu l'artère principale de Forbach, qui s'appelle aujourd'hui la rue nationale, mais qui, sous le Troisième Reich, ça aussi je l'ai découvert récemment, s'appelait Adolf-Hitler-Straße. Ça veut dire la rue de Adolf Hitler. Aujourd'hui, c'est une ville dont le député est évidemment Front National, enfin Rassemblement National.

  • Speaker #0

    Oui, maintenant, tu sais, ils sont plus racistes. Il ne faut pas dire Front National.

  • Speaker #1

    Oui, parce que le Front... un front, visiblement, c'est raciste, mais un rassemblement.

  • Speaker #0

    Un rassemblement,

  • Speaker #1

    c'est un rassemblement.

  • Speaker #0

    Les gens qui ont... D'Armanin a dit quoi ? Ils ne sont pas racistes, ils ont une vision du monde orientée par un certain rejet de l'autre. Il a dit ça. Ouais,

  • Speaker #1

    ouais. Voilà. On sent l'ancien de l'action française. Bref.

  • Speaker #0

    C'était le point d'Armanin, pardon.

  • Speaker #1

    Ouais. L'infâme d'Armanin. Donc, c'était pas... Évidemment, j'étais le seul noir quasiment. Donc c'était un contexte un petit peu hostile. Je me suis fait aussi de très bons amis, qui sont encore des amis aujourd'hui, évidemment. Ce n'est pas que c'était un lieu absolument invivable, non. Mais c'était à la fois un lieu de convivialité, à la fois un lieu d'amitié et aussi un lieu d'hostilité. Marqué par cette histoire du nazisme, j'ai grandi dans un environnement marqué historiquement, par un racisme explicite et virulent. Je pense que ça, c'est quelque chose que je n'avais pas forcément pris conscience pendant assez longtemps, mais c'est certain que ça m'a beaucoup marqué, que ça a peut-être participé à me donner ce que tu appelais tout à l'heure comme une mission d'élucider ce racisme dont j'avais été témoin ou l'objet. dans ma prime jeunesse.

  • Speaker #0

    Je voudrais qu'on revienne à ton ouvrage que tu viens de publier, qui s'appelle Manifeste afro-décolonial Est-ce que tu peux nous raconter un peu de quoi ça parle ? Quelle est ton approche ? Quelle est ta mission ? Ta vie avec ce bouquin ?

  • Speaker #1

    J'ai essayé de récapituler, de revisiter ce que le politologue africain-américain Cedric Robinson appelle la tradition radicale noire, c'est-à-dire toute une histoire d'intellectualité. intellectuels, militants de gauche, noirs, dans l'histoire de la pensée moderne. Notamment des militants du panafricanisme, Frantz Fanon sur lequel j'ai fait ma thèse, évidemment c'est une grande référence, mais aussi les Black Panthers, on en a aussi parlé, et bien d'autres, notamment issus du continent africain.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu peux, excuse-moi je te coupe, expliquer pour ceux qui nous écoutent, justement cette tradition radicale noire et le panafricanisme, qui est peut-être pas connu de tout le monde ? Est-ce que tu peux nous décrire un petit peu l'approche et en quoi ça se différencie d'autres approches ?

  • Speaker #1

    Bien sûr. Le panafricanisme, c'est une idée très simple qui consiste à dire que l'Afrique a été divisée hasardeusement en 1885 au moment de ce qu'on appelle le partage de l'Afrique lors de la conférence de Berlin, où les puissances européennes se sont assises autour d'une table, à Berlin donc, et ont divisé l'Afrique comme un gâteau. Et ce sont... pour distribuer les parts entre elles. Un petit morceau pour la Grande-Bretagne, un petit morceau pour la France, un petit morceau pour le Portugal, un petit morceau pour l'Allemagne. L'Allemagne qui, après la Première Guerre mondiale, va perdre ses morceaux, c'est pour ça qu'on se souvient assez peu, finalement, des colonies possédées par l'Allemagne. Mais, voilà, la part du lion va à la Grande-Bretagne et à la France, et un petit peu le Portugal et un tout petit bout l'Espagne. Et c'est aussi pour ça que, lorsqu'on regarde une carte de l'Afrique, on voit... des frontières au cordeau, ce qui est assez étonnant lorsqu'on compare ça avec les frontières européennes qui sont extrêmement ciselées, d'une part parce que elles suivent souvent des frontières naturelles, des rivières, des fleuves, des montagnes. C'est pour ça qu'elles ont des formes un petit peu irrégulières et elles sont aussi l'objet de décennies, de centaines d'années, de millénaires de guerres et d'affrontements entre ces pays qui ont dessiné ces frontières. Or, Les frontières précoloniales africaines étaient tout aussi précises, tout aussi floues et aussi souvent mobiles, etc. Mais avec cette conférence de Berlin, on a découpé des frontières au laser.

  • Speaker #0

    Oui, la carte de l'Afrique comme on la voit aujourd'hui,

  • Speaker #1

    elle est géométrique.

  • Speaker #0

    C'est à la règle.

  • Speaker #1

    C'est à la règle. C'est comme beaucoup d'États aux États-Unis. C'est à la règle parce que ce sont des frontières coloniales, ce sont des frontières purement et simplement administratives qui ne correspondent pas aux traditions des pays. Des pays qui ne correspondent pas aux divisions linguistiques, qui ne correspondent pas aux divisions familiales, qui ne correspondent pas à l'histoire, tout simplement. C'est une histoire étrangère qui vient se surimposer en un instant à l'histoire millénaire de ce lieu. Le panafricanisme, c'est le projet de dire balayons ces frontières illusoires, non pas pour les remplacer par des frontières ethniques ou nationales plus pertinentes, mais par, précisément, des États-Unis d'Afrique, c'est-à-dire une unité continentale où on redessinerait à l'intérieur des frontières plus pertinentes, mais des frontières de sous-régions, non pas des frontières d'États-nations avec une identité forte.

  • Speaker #0

    Un fédéralisme, en fait.

  • Speaker #1

    Mais voilà, un véritable fédéralisme africain. Ça, c'est l'idée du panafricanisme. Il y en a différentes tendances. La tendance à laquelle moi je me réfère, celle qui m'intéresse, c'est une tradition socialiste. c'est-à-dire celles qui considèrent que le principal moteur, la principale motivation pour achever ce but, ça doit être de mettre en place une économie politique qui bénéficierait à tous les Africains et qui lutterait contre les monopolisations, qui lutterait contre une économie de marché qui a absolument ravagé l'Afrique depuis des décennies et surtout qui lutterait contre l'impérialisme qui persiste et qui s'impose aujourd'hui encore en Afrique puisque c'est le néocolonialisme qui continue à faire des victimes innombrables sur ce continent. Donc ça, c'est le projet du... panafricanisme. La tradition radicale noire, c'est une notion qui était, comme je le disais tout à l'heure, élaborée par Cedric Robinson. Toute l'histoire dont je parlais avant avec Huey Newton, toute cette histoire de révolte d'esclaves, toute cette histoire de lutte anticoloniale en Afrique, en Amérique et au-delà, c'est ça la tradition radicale noire. C'est cette sorte de motivation foncière pour vivre autrement, pour se débarrasser, débarrasser de nos existences, des structures coloniales. et inventer de nouvelles formes de vie communautaire. C'est ça, pour Cedric Robinson, ce qui constitue, je dirais, l'essence de la tradition radicale noire, depuis les premiers marrons. Les marrons, ça veut dire les esclaves qui ont fui les plantations pour élaborer de nouvelles manières de vivre en collectif, loin de la plantation, et qui, quand ils en ont eu l'occasion, ont été brûler les plantations. Ça, c'est pas bon, ça, c'est mauvais. Cedric Robinson dit quelque chose de très intéressant. Il dit que c'est ça qui fait la différence entre la tradition radicale occidentale et la tradition radicale noire. Lorsque vous lisez Marx, Lénine, ce n'est pas se débarrasser du travail, c'est se débarrasser d'une certaine forme de division du travail, c'est se débarrasser de l'aliénation, c'est se débarrasser de l'exploitation. Ça veut dire qu'on ne va pas se débarrasser des usines. On va juste travailler moins, on va travailler de manière plus intelligente et surtout, les travailleurs vont avoir tous les fruits et tous les bénéfices de leur travail. Finalement, le communisme au sens de Marx, c'est tous les bénéfices du capitalisme sans les désavantages, sans les désagréments. C'est pour ça que parfois, les gens se moquent des gens qui ont un iPhone en disant toi t'es communiste, t'as un iPhone, t'es débile Pour Marx, dans le communisme, il y a des iPhones, il n'y a pas de problème. Il y a des iPhones à 1 euro pour Marx.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut imaginer juste Marx avec son iPhone ?

  • Speaker #1

    J'y pense, j'y pense où les choses. Je pense même à Lénine avec un iPhone. Pour cette tradition-là, il ne s'agit pas de se débarrasser de l'usine. Maintenant, il y a des gens qui essayent de dire Marx écologiste etc.

  • Speaker #0

    On a toujours dit que Marx était productiviste.

  • Speaker #1

    C'est quand même un petit peu le consensus sur la pensée de Marx et sur le marxisme. En tout cas, en ce qui concerne le marxisme-délinisme, c'est certain. Se débarrasser de l'aliénation, mais non pas se débarrasser de la forme moderne de la production.

  • Speaker #0

    Oui, et surtout que chez Marx, le travail accompli émancipe l'homme.

  • Speaker #1

    Absolument.

  • Speaker #0

    l'homme est l'être qui travaille. C'est vraiment le cœur de son identité.

  • Speaker #1

    C'est son anthropologie, vraiment c'est une anthropologie héritée de Hegel, selon laquelle l'homme transforme la nature et ce faisant se transforme lui-même. Il y a toute une anthropologie qui sous-tend ça, c'est quelque chose de très important. Et Cedric Robinson dit, dans la tradition radicale noire, ça se passe différemment. Les esclaves, la première chose qu'ils ont fait, ce n'est pas de dire, oh ! On va s'approprier les plantations et on va les réorganiser pour produire autrement. Ça, ça va venir dans un deuxième temps par la nécessité de la révolution. Au départ, ils se disent on va tout brûler. On va tout brûler. On va brûler toutes les plantations. On brûle tout. On n'en veut plus. Les plantations, c'est de la merde. On ne va pas travailler là-dessus. Ça nous a tués pendant des générations. Ça nous ruine la santé. Ces choses sont des abominations. On les brûle et après, dès qu'ils en ont la possibilité, ils s'installent des petits lopins de... terre, etc. Ils vivent dans les ruines des plantations et ils y vivent extrêmement bien. Ce sont deux façons différentes de considérer l'émancipation ou la libération.

  • Speaker #0

    Si tu te places dans cet héritage-là, ce serait l'idée que toutes les personnes noires dans le monde partageraient une condition, quelque part, une condition noire, et que ces personnes pour lutter contre les structures de domination qui sont encore en place dans les sociétés aujourd'hui, n'auraient d'autre choix que de quoi ? Faire sécession et d'aller créer une nouvelle communauté ailleurs ?

  • Speaker #1

    Non, ce n'est pas ça. Ce serait un très bon point de départ pour un ouvrage de science-fiction, par exemple. Mais ce n'est pas exactement ce que je dis. Ce que je dis, c'est un petit peu plus tragique que ça, d'une certaine façon. C'est de dire que la condition des Noirs ne pourra pas s'améliorer à l'échelle globale tant que l'Afrique sera soumise à... cette violence néocoloniale de très haute intensité.

  • Speaker #0

    C'est pour ça que je dis que c'est tragique. Ce n'est pas pour dire, oh les gars, prenons un billet d'avion, on va en Afrique et tout va être génial. Non, absolument pas, ce n'est pas du tout ça. Ce n'est pas du tout ça l'idée. C'est l'idée de dire que, bien sûr, il y a une grande pertinence au combat antiraciste n'importe où dans le monde. On parlait tout à l'heure de George Floyd, de Traoré, de Nahel, etc. Aucun doute là-dessus. Mais sans transformation des structures néocoloniales, c'est-à-dire sans abolition de l'impérialisme qui violente l'Afrique et sans constitution de l'Afrique en grand pôle de puissance politique, jamais il n'y aura de reconnaissance de l'humanité des Noirs à l'échelle globale, puisqu'on aura toujours l'exemple de ce continent peuplé de nègres imbéciles, incapables de s'organiser, pauvres, misérables, etc. Ce sera toujours ça qui nous sera renvoyé au visage. Ce sera toujours ça, finalement, la preuve ultime de notre incapacité intellectuelle, politique, économique, etc.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Donc, ce que je dis, ce n'est pas une espèce de volontarisme en disant Bon, on va faire sécession ou que sais-je. C'est de dire, sans la libération de ce lieu qui est le lieu d'où... où ultimement on provient, ce lieu qui est le synonyme de notre être aujourd'hui. Partout, le noir et l'africain. Le noir et l'africain, c'est pareil. C'est évident. Même aux États-Unis, où les descendants d'esclaves sont là depuis 400 ans, on entend encore des types leur dire retourne en Afrique

  • Speaker #1

    on les appelle les african-american african-american,

  • Speaker #0

    bah oui bien sûr parce que c'est évident on peut pas se cacher derrière son petit doigt en faisant comme si, bah non j'entends parfois des personnalités des intellectuels, tu viens d'où ? je suis français oui évidemment t'es français, tu as la carte y'a pas de problème, mais tout le monde sait très bien que si tu ressembles à ça, c'est parce que tes ancêtres venaient d'Afrique ce n'est absolument pas infamant ça ne t'enlève pas ta citoyenneté... On sait très bien que la citoyenneté et l'histoire d'une famille, d'une personne, de quoi elle est issue, ce sont deux choses différentes. Et c'est pas...

  • Speaker #1

    Ça ne te vexe pas quand on te pose cette question ? Parce que c'est un sujet qu'on entend souvent comme étant une micro-agression, de dire quand on demande à une personne noire tu viens d'où ? Non mais en vrai, les gens se disent, se sentent complètement disqualifiés dans leur... Enfin, il y en a beaucoup qui racontent se sentir disqualifiés. Et toi, tu n'as pas cette approche-là du coup.

  • Speaker #0

    Je sais que c'est le cas pour beaucoup de gens, parce que le problème, ce n'est pas l'explicite de cette question. Le problème, c'est que souvent, cette question sous-entend une forme d'illégitimité à être là où on est. Et je pense que c'est ça qui pose problème la plupart du temps.

  • Speaker #1

    Tu viens d'où en vrai, sous-entendu ?

  • Speaker #0

    Parce que tu n'as pas ta place ici. Je pense que c'est ça qui vexe. C'est l'implicite qui me gêne. Et souvent, on sent quand il y a cet implicite ou pas.

  • Speaker #1

    D'accord. Tu sens une différence quand les gens te demandent ?

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    de manière vraiment intéressée. Ah, mais toi, ta famille est originaire de quel endroit ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. D'ailleurs, la manière la plus simple de se rendre compte et la plus évidente, c'est qu'entre Noirs, on se pose la question tout le temps. On se pose la question tout le temps. Tu viens d'où ? Tu viens du Congo ? Quel Congo ? Des questions bêtes comme ça. Et personne ne se vexe. Personne ne se vexe. Martinique ou Guadeloupe ? Personne ne se vexe quand les Noirs se posent ce genre de questions. Mais quand c'est un blanc, on peut se vexer. Moi, la plupart du temps, je ne me vexe pas. Sauf quand je me rends bien compte que c'est une manière de métaphoriser une espèce de dédain. Moi, c'est ça qui me pose problème. C'est l'espèce d'illusion qu'on a à se dire je suis un Français comme un autre Bien sûr, tu es Français, évidemment. Tu as le passeport français, tu as la carte d'identité française, pas de problème. Mais tu es noir. Il n'y a pas lieu de s'en émouvoir ou de faire comme si ce n'était pas le cas. de demander aux gens, ou d'installer, ou d'avoir l'attente que les gens passent semblant qu'ils ne voient pas que tu es noir. Ça, c'est, je pense...

  • Speaker #1

    Avec le couleur, le fait. Voilà,

  • Speaker #0

    exactement. Moi,

  • Speaker #1

    je ne suis pas raciste, je ne vois pas les couleurs.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et cette espèce de censure sur la question Quelles sont tes origines ? Quelle origine ? La censure sur cette question me semble être, pour les personnes qui se vexent lorsqu'on se pose cette question, une espèce d'attente implicite d'une société colorblind, une société où on ne voit pas les couleurs, d'une société post-raciale. Or, je pense, et là, j'utilise une belle formule d'une collègue qui travaille à l'Université de la ville de New York qui s'appelle Nathalie Etoquet, qui dit le projet ne doit pas être d'imaginer ou de fonder une société post-raciale, mais une société post-raciste. Ça, ce sont deux choses différentes. Ce sont deux choses différentes.

  • Speaker #1

    Société post-raciale qui serait une société on ne voit plus les couleurs, nous sommes tous des genres humains. Voilà. société post-raciste, une société où on peut être de la couleur qu'on est ou de l'identité qu'on est, sans que ce soit synonyme de hiérarchie, de disqualification.

  • Speaker #0

    Absolument, absolument. Je donne un exemple, c'est un exemple un petit peu bateau, mais souvent en philosophie, on aime bien les exemples bateau parce que ça aide à comprendre. Quelqu'un peut avoir, et on va le dire, les yeux bleus, les yeux verts, les yeux marrons. Après, il a les yeux marrons et parfois il va se vexer, il va se dire Ah non, j'ai pas les yeux marrons, j'ai les yeux noisettes parce que noisette c'est plus cool qu'avoir les yeux marrons n'est-ce pas ?

  • Speaker #1

    Moi je dis que j'ai les yeux marrons-verts par exemple parce que marron je trouve ça vraiment pas cool Mais ils sont verts non ? Merci, ma journée Je dis à tout le monde les yeux sont verts Pour les auditeurs,

  • Speaker #0

    sachez que ces yeux-là sont tout à fait verts et les miens sont marrons évidemment ou noisettes si vous voulez Non, on peut parler de ça sans comment dire que les gens s'émeuvent ce sont des différences physiquement attestables et sur lesquels on n'a pas forcément besoin de passer des heures. Or, lorsqu'il s'agit de notre carnation, lorsqu'il s'agit de notre pigmentation, d'un seul coup, ce sont des différences qu'il faudrait ne même pas mentionner ou par rapport auxquelles on devrait faire les aveugles. Ça, c'est quelque chose de tout à fait malsain. C'est quelque chose de tout à fait malsain parce que le fait d'instaurer ou d'entretenir cette espèce d'atmosphère où ces choses-là ne doivent pas être nommées, où la question des origines ne doit pas être posée, ça consiste à entretenir de manière sous-jacente ce tabou, et c'est-à-dire aussi, du même coup, tous les stéréotypes et tous les fantasmes qui sont attachés à ces couleurs et à cette apparence. Et ça, c'est un problème.

  • Speaker #1

    Ça participe de l'imaginaire que quand on dit de quelqu'un qu'il est noir, c'est une insulte.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Et d'ailleurs, ça me fait penser à la question des mots dont tu parles, avec l'idée, les gens qui disent il est black ça c'est plus à la mode heureusement mais ça se dit encore beaucoup et c'est fait par quelque part pas avec une mauvaise intention souvent c'est fait avec une idée justement d'être délicat sauf que ça reconduit exactement ce que tu dis tu peux dire qu'il est noir c'est pas une insulte peut-être que ça participe de tout ce que tu décris là il y a cet inconscient collectif dépréciatif en fait tout à fait c'est l'interaction je dirais nuisible

  • Speaker #0

    entre d'une part cet inconscient collectif dépréciatif qui nous travaille souterrainement et l'idéologie républicaine qui vise à faire comme si désigner la différence était déjà une espèce d'atteinte à notre idéal de citoyenneté. Ces deux choses-là font extrêmement mauvais ménage. Elles font mauvais ménage parce qu'elles nous forcent vraiment à mettre cette poussière-là sous le tapis, comme si c'était la seule solution pour se débarrasser de ce genre de problème, c'est de ne pas... le nommer. C'est ça, en tout cas, ce que l'idéal républicain de citoyenneté est devenu en France, une espèce de figure idéale sans aucune caractéristique. Et ça, c'est vraiment le problème fondamental de la philosophie politique française, je crois, que je nomme à chaque fois, c'est son incapacité à penser en même temps l'égalité et la différence. Cet idéal de citoyenneté qui est centré, qui est absolument, comment dire... arc-bouté sur cette espèce d'idéal d'égalité, évidemment pas d'égalité économique bien entendu, mais d'égalité formelle, d'égalité juridique etc. de liberté et surtout bien sûr la liberté économique pour le coup, mais la question de la différence le paralyse absolument. Il faut censurer les différences, il faut les étouffer, il faut les briser, sinon on a l'idée à mon avis tout à fait fausse que la citoyenneté, la participation politique, la participation sociale devient impossible. Or, rien n'est plus faux. La seule motivation à participer à la vie politique, c'est justement de faire valoir des intérêts. C'est justement de dire, voilà en tant que pauvre ce que j'ai envie de passer comme message politique. Voilà en tant que noir, voilà en tant que femme, voilà en tant que trans, voilà en tant que... n'importe quelle minorité, voilà en tant que patron mes intérêts, voilà en tant que riche, voilà en tant que millionnaire, que milliardaire, ce que j'ai envie de voir appliqué dans ce pays-là. La politique, c'est avant tout faire valoir des intérêts. Je ne soustris pas du tout à cette espèce de mythologie issue de la philosophie des Lumières, selon laquelle on arrive dans l'espace public, dans l'espace politique, en ayant uniquement en tête le bien commun. Non, je suis malheureusement trop marxiste pour ça. Je pense que ce sont des conflits, des divergences d'intérêts, une lutte d'intérêts. lutte de classe et toute une série évidemment d'autres luttes qui sont le cœur de l'action politique. Et donc la citoyenneté idéale, l'idée qu'on pourrait uniquement penser à des lois qui bénéficieraient à tous les citoyens de manière absolument égale, c'est, je suis loin d'être le premier à le dire, une ruse de la bourgeoisie, une ruse de la suprématie blanche pour ne jamais qu'on s'attaque à... un certain nombre de problèmes.

  • Speaker #1

    C'est des raisonnements auxquels on n'est pas forcément habitués, parce que justement on baigne dans ce discours de la bourgeoisie, du citoyen universel. L'universalisme, c'est une valeur qui est considérée comme une valeur somptueuse d'émancipation, alors que justement on se rend compte que c'est plutôt un dogme assez centralisateur, qui cherche à homogénéiser les citoyens, qui explique aussi l'histoire de la France, qui comprend l'immigration comme devant être synonyme d'assimilation, c'est-à-dire que les gens qui immigrent doivent se départir de leurs caractéristiques et de leur culture et adopter les comportements de la France pour être des véritables Français. Et donc cette idée d'universalisme qui est au départ une universalité des droits et donc qui laisse une possibilité à la différence devient une universalité comme homogénéisation. Est-ce que c'est quelque chose que tu ressens encore aujourd'hui ? On peut peut-être passer à une analyse un peu de l'actualité. de la société française aujourd'hui. Alors, je précise, si vous nous écoutez, qu'on enregistre cet épisode trois jours avant les élections législatives du 30 juin.

  • Speaker #0

    Moment de vérité, premier tour.

  • Speaker #1

    Premier tour, ouais. Donc, on est dans un cadre un peu particulier. Donc, quand vous écouterez cet épisode, on sera quelques mois plus tard. Donc, je suis désolée, Norman, tu auras cette position très agréable qui est de faire la boule de cristal. Ou en tout cas... Non, peut-être pas la boule de cristal. Mais en tout cas, quand vous écouterez, la société aura peut-être un peu changé d'une manière ou d'une autre.

  • Speaker #0

    Qui est Premier ministre ? Est-ce Jordan ? Est-ce Jean-Luc ?

  • Speaker #1

    Jean-Luc, je ne pense pas.

  • Speaker #0

    Est-ce François Hollande ?

  • Speaker #1

    Horrible ! La capsule temporelle nous a ramenés en 2012. Ça va être le retour de Jean-Marc Hérault. Mais voilà. Est-ce que tu peux nous raconter aujourd'hui, toi, quelle est ta lecture de la société française dans un contexte historique comme celui qu'on est en train de vivre, où il y a une élection qui a des enjeux considérables ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est un petit peu difficile à dire. puisque je ne vis plus en France depuis un certain nombre d'années, même si j'y vais de temps en temps. Je ne vais pas dire qu'il y a une progression du racisme, mais les racistes cèdent, pour utiliser une formule assez célèbre de Jacques Lacan, du psychanalyste Jacques Lacan, les racistes cèdent de moins en moins sur leur désir. Ils se censurent de moins en moins. Le bel exemple de ça, c'est Ciotti. Et Ciotti a raison. C'est celui, comme je le disais, qui cède le moins dans son camp sur son désir. et qui suit la voie de la raison. Jean-François Copé et d'autres de ses collègues qui disent Non mais attendez, c'est un scandale, ce qu'il fait n'est pas républicain c'est évidemment hypocrite.

  • Speaker #1

    Quand il fait une alliance avec le RN, tu veux dire ?

  • Speaker #0

    Quand il fait une alliance avec le RN. Ils font la politique du RN depuis au moins, au moins, depuis que Chirac n'est plus aux affaires. C'est le dernier qui peut-être, au moins formellement, a maintenu le cordon sanitaire. qui considéraient que c'était vraiment l'une des raisons d'être, on va dire, de la droite en France, c'était ce cordon sanitaire, parce que c'est l'héritage de De Gaulle, etc. C'était cette philosophie politique, là. C'est pas pour dire que la droite française c'est génial et tout, absolument pas, c'est abominable.

  • Speaker #1

    Vous avez changé de programme sans vous en rendre compte, vous êtes passé sur un autre podcast.

  • Speaker #0

    On est sur Radio Courtoisie. C'est pour dire qu'à partir de Sarkozy, toute cette affaire-là change un petit peu. Ils ont commencé à trafiquer avec l'extrême droite de plus en plus sévèrement. Et Ciotti dit simplement, on a changé d'époque. Ça fait longtemps qu'on est d'extrême droite, regardez, on est raciste, non ? Vous avez vu ce qu'on a voté ? Tout simplement, il reconnaît la réalité. Il admet la réalité, il en tire les conséquences. Les deux ont fait du chemin, si vous voulez. C'est-à-dire que la droite française a fait... tout doucement son chemin vers le racisme et le Rassemblement national a refait tout doucement son chemin vers une politique économique de droite libérale et néolibérale. Ça devient un parti de droite tout à fait ordinaire et calque son programme sur le programme des Républicains. D'ailleurs, Sioti lui-même le dit, on a le même programme économique, etc. Ces deux parties de droite ont cheminé chacun vers l'autre. La droite traditionnelle issue de l'UMP. P, issu du RPR, etc., a cheminé de plus en plus vers l'extrême droite sur les questions de l'immigration, de l'islam. et de l'identité française, pendant que le Rassemblement national a cheminé de plus en plus vers la droite libérale française, en gardant ses thèmes racistes, mais en adaptant de plus en plus son programme économique au desiderata de M. Bolloré.

  • Speaker #1

    Je vais essayer de faire le lien entre ton manifeste afro-décolonial, dont tu nous as un petit peu parlé, sur tes analyses de l'émancipation possible et de la lutte. de cette idée que c'est la colère qui est au cœur de la lutte et qui permettrait une réappropriation, un horizon d'émancipation et de réappropriation. Et donc je voudrais faire le lien entre tes analyses philosophiques et l'actualité. Je suis très intéressée par ce que tu décrivais, le fait que c'est parce qu'il y a encore des situations néocoloniales en Afrique, parce que finalement il y a une ingérence des puissances occidentales en Afrique qui s'accaparent les ressources et qui font perdurer des États. de domination, des systèmes de domination et d'exploitation, que ce serait en s'émancipant de ces structures-là qu'on pourrait réhabiliter quelque part dans l'inconscient collectif l'image des personnes noires et que ça aurait une incidence sur le racisme aussi dans les pays occidentaux. Si j'ai bien résumé ta pensée, comment concrètement tu envisagerais ce projet décolonial, ce projet afro-décolonial, en lien avec vraiment le monde très incarné et l'actualité qui est la nôtre ?

  • Speaker #0

    C'est difficile de faire cette connexion dans la conjoncture qui est la nôtre, parce que malheureusement, ce n'est pas un thème qu'on a réussi à imposer. Il est vrai que l'actualité est assez particulière. L'actualité, et souvent en plus l'actualité africaine et le parent pauvre, en ce qui concerne les médias, notamment en France. Par ailleurs, certaines questions liées à la colonisation, les questions coloniales, ont été extrêmement centrales. dans la campagne des Européennes et dans cette campagne très courte des législatives. Je pense évidemment à la question du génocide à Gaza. C'était une question extrêmement débattue. Et on a des lignes tout à fait différentes. On voit la ligne de la France insoumise et du nouveau Front populaire n'est pas tout à fait parfaite, mais au moins il y a quelque chose qui va dans le sens de la reconnaissance. d'un État palestinien. Il y a aussi la question de la Kanaki Nouvelle-Calédonie, qui était une autre question coloniale extrêmement brûlante. Et là aussi, on a des options très différentes. Une option plutôt qui va vers dans le sens de la décolonisation à gauche et des options qui vont dans le sens du maintien du statu quo colonial à droite.

  • Speaker #1

    Illustration, je dis pour ceux qui nous écoutent, d'une mesure qui a été prise, qui me paraît totalement empreinte de colonialisme, de néocolonialisme, c'est qu'il y a une... si je ne me trompe pas, une dizaine de personnes qui ont été considérées comme des leaders du mouvement indépendantiste qui ont été ramenées en métropole pour être emprisonnées. Donc des gens qui sont emprisonnés à 15 000 kilomètres de leur famille pour être isolés. Quand même, on est complètement dans un imaginaire néocolonial.

  • Speaker #0

    C'est exactement ce qui arrivait à Toussaint Louverture lorsqu'il a été défait par les armées de Napoléon. Il a été emprisonné en métropole pour... l'éloigner de son peuple, de son armée, de ses soldats et de ses officiers.

  • Speaker #1

    Et ça reconduit l'idée que dans ces colonies, ou dans ces anciennes colonies, le mot ancienne est clairement sujet à débat, on peut disposer de la vie des personnes qui y habitent, comme des poules mobiles, parce que finalement, on les possède.

  • Speaker #0

    C'est vraiment une manifestation du caractère impérial de cette nation. Oui, nous avons des terres ici, nous avons des terres là. Même dans les discours de gauche, on entend parfois, Jean-Luc Mélenchon le dit, la France est présente sur les cinq continents. Parfois, oui, certaines personnes peuvent en tirer fierté, d'autres peuvent avoir froid dans le dos en entendant de telles formules. Bon, je vois un petit peu les relents universalistes qu'il tente d'y mettre. Je veux bien comprendre cela, mais il y a aussi des hectolitres de sang qui ont été versés pour ces territoires-là et qui continuent d'être versés.

  • Speaker #1

    Et qui viennent hanter, pour revenir à ce dont tu parlais tout à l'heure, leur deuil physique vient hanter un deuil psychique et symbolique qui marquerait aujourd'hui les populations qui sont encore opprimées dans ces endroits.

  • Speaker #0

    Oui, c'est exact. Eh bien, malheureusement, les questions pourtant extrêmement importantes stratégiquement qui concernent l'Afrique n'ont pas été objet de telles discussions. Il n'y a pas de véritable programme. de décolonisation ou d'émancipation africaine qui a acquis une place centrale dans le débat public. Ces questions coloniales, ces questions décoloniales... sont toujours la proie de l'actualité, alors que ce n'est pas une question d'actualité. Oui,

  • Speaker #1

    c'est une question au contraire d'histoire au long cours et de structure.

  • Speaker #0

    Absolument. La situation, par exemple, à Gaza, c'est une accélération de l'histoire qui a lieu.

  • Speaker #1

    Ça fait 75 ans que ça dure.

  • Speaker #0

    Exactement, ça fait 75 ans que ça dure. La situation aujourd'hui, c'est une différence de degré, une différence d'intensité, mais non pas une différence de nature. La situation coloniale perdure, comme tu viens de le dire, depuis plusieurs décennies. Et donc, on est un peu otage de l'actualité sur ces questions-là. Ce ne sont jamais des questions centrales. Et ce qui est normal, parce que la France bénéficie beaucoup, c'est plusieurs points de PIB qui bénéficient de ce rapport privilégié, je me fais des guillemets avec les mains, ce rapport privilégié avec l'Afrique.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous expliquer en deux, trois mots en quoi il y a encore des structures néocoloniales qui persistent ?

  • Speaker #0

    Pour le faire très simplement. Normalement, ordinairement, lorsque vous avez des ressources minérales, ce qu'on appelle des ressources minérales, ça veut dire par exemple un gisement de pétrole ou une mine de tantal, de coltan, je crois qu'on dit coltan en français, je ne sais jamais. C'est un métal rare qu'on utilise pour faire les processeurs des téléphones cellulaires et des ordinateurs portables. De l'iPhone de Lénine. Exactement, celui de Lénine aussi bien que celui de Xi Jinping, qui d'ailleurs a plus de rapports de rapport avec ça en tant que communiste. On le salue. Salut camarade, continue à faire ce que tu fais, t'inquiète pas, ton communisme, c'est de la balle. Mais ordinairement, ce qu'on conçoit, la manière dont on conçoit les choses, c'est que une entreprise vient là, elle extrait ses ressources, elle les achète au pays, à la nation qui possède ce sol, ou bien elle paye une espèce de location pour pouvoir être là, etc. Et après, elle doit... le revendre avec force taxe douanière pour l'exporter ailleurs. Donc, normalement, cette extraction bénéficie par des taxes, par des coûts, au pays où cette extraction a lieu. En Afrique, ça se passe différemment. Pourquoi est-ce qu'on parle de néocolonialisme ? Eh bien, parce que quand Areva va au Congo ou ailleurs, elle fait comme si elle était en France. Elle graisse la pâte à qui de droit, c'est-à-dire... que la manière dont l'argent circule là est, pour dire le moins, extrêmement obscure. Ça, avec le partenariat plus ou moins avoué ou plus ou moins secret de la France, à travers, par exemple, des aides publiques au développement, c'est-à-dire qui sont en gros des valises de billets, c'est un peu caricatural, mais malheureusement, pendant très longtemps, ça a fonctionné de la sorte, qui vont arroser des ministres, qui vont arroser des présidents, qui vont développer, on ne sait quoi. participer au développement du pays, afin d'acheter, non pas seulement leur silence, mais leur autorisation pour procéder à ces extractions. Pour faire, en gros, comme si on était chez soi. Et évidemment, c'est beaucoup moins cher d'enrichir un petit groupe d'individus pour avoir ces droits-là, que de devoir passer au crible d'un véritable système juridique, d'un véritable système économique, où chaque baril de pétrole va être pesé, chaque... tonnes de tantales va être pesée et on va dire, voilà combien ça te coûte. Là, tu as un blanc-seing, tu payes un forfait, en fait. C'est un peu le Netflix du pétrole. Tu es là, tu as le droit d'exploiter autant que tu peux, tant que tu me donnes tel nombre de millions à moi et à mes potes, chaque année ou chaque mois. C'est un peu caricatural, la manière dont je le dis, mais je pense que là, on comprend bien la perversion de la chose.

  • Speaker #1

    Tu donnes de l'argent et tu enrichis un petit groupe de personnes. qui font perdurer un système comme ça, où tu vas bypasser les structures juridiques. Donc, les personnes que tu enrichis sont plus puissantes, sont encore plus puissantes, et donc peuvent continuer une relation privilégiée avec des entreprises françaises. Et donc, ça court-circuite totalement l'État, qui est laissé impuissant devant la force et l'enrichissement de ces petits groupes.

  • Speaker #0

    Tout à fait, ça court-circuite l'État, en court-circuitant l'impôt. Qui dit court-circuiter l'impôt, dit pas d'argent pour améliorer les services publics en Afrique. les services publics africains qui ont été fortement travaillés au moment de la décolonisation pour une éducation de qualité, pour des hôpitaux, etc. Mais il y a eu un moment qu'on appelle le moment des plans d'ajustement structurel dans les années 80-90. C'est un moment où la Banque centrale s'est immiscée dans les affaires de nombreux gouvernements africains qui tendaient vers le socialisme. La Banque mondiale et le FMI... le FMI sont venus mettre leur nez là-dedans et dire mais c'est pas libéral votre système ce qui fonctionne c'est l'économie de marché si vous voulez qu'on vous prête de l'argent vous devez libéraliser, vous devez privatiser ces services publics Et donc, pour des États qui étaient déjà des États fragiles, ça a été un coup extrêmement dur. Et plus on sabote le service public, surtout dans ce genre de contexte où le néocolonialisme peut s'immiscer, moins on a de capacité à capter l'impôt. Et donc, c'est un cercle vicieux où les services publics vont être de plus en plus difficiles à maintenir et il y aura de moins en moins d'argent pour les alimenter. Les États se sont extrêmement appauvris à cause de ces plans d'ajustement structurel. Et... Maintenant, ils sont dans des situations où les multinationales ne payent, pour ainsi dire, pas d'impôts. Et il est très difficile de faire en sorte que les particuliers, dont beaucoup sont pauvres de toute façon, obtiennent leur argent en participant plus à l'économie informelle qu'à une économie régulée. C'est aussi très difficile de les astreindre à l'impôt. Et donc, l'État est dans une certaine situation d'impuissance.

  • Speaker #1

    Qui est en fait entretenue. Par le comportement de la France et des entreprises françaises, sous couvert d'aides au développement, en réalité, on...

  • Speaker #0

    C'est ça, et malheureusement aussi, et plus tragiquement encore, parce que les entreprises françaises jouent leur jeu, mais dans de nombreux pays, également par les gouvernements locaux qui en tirent bénéfice, puisque leur enrichissement personnel leur paraît nettement plus important que le maintien... de la bonne santé et de la pérennité de l'État. Je pense que c'est ça une des leçons du néolibéralisme, surtout lorsqu'on s'intéresse au contexte africain. On voit que c'est assez beau de rêver au dépérissement communiste de l'État, mais malheureusement, le dépérissement néolibéral de l'État, c'est une toute autre affaire. C'est une affaire de démultiplication des foyers de violence, de démultiplication de la misère. Et la réinvention d'une force ou d'un... d'une capacité d'action pour l'État. Et dans ce cadre-là, la seule manière, je pense, dans l'immédiat, de tendre vers davantage de justice sociale.

  • Speaker #1

    Je voudrais revenir un petit peu à la situation en France. Qu'est-ce que tu répondrais aux gens qui accusent les personnes qui revendiquent d'avoir des identités plurielles ? Je veux dire, je suis français, mais je suis aussi d'origine de tel ou tel pays, par exemple d'Afrique. Et souvent, ces personnes qui revendiquent le droit à avoir leur propre pratique culturelle sont souvent taxées de communautarisme, de séparatisme, voire d'être violents, une menace pour la République. Qu'est-ce que tu répondrais à ça ? Quel serait un modèle de République, une compréhension de la République qui pourrait fonctionner avec ces revendications ?

  • Speaker #0

    Je pense que ce type de menace est fortement, fortement exagéré et terriblement fantasmé. Pour le coup, c'est assez simple de répondre à ça, parce que c'est tellement incroyablement faux, et c'est une perspective si fermée que j'en suis souvent sans voix. Il suffit de se déplacer, par exemple, là où je vis, en Grande-Bretagne, pour se rendre compte que le modèle multiculturel n'est pas l'espèce de guerre civile permanente que certains intellectuels français conservateurs s'imaginent, ou certains hommes politiques de droite s'imaginent. Le fait de pouvoir porter un voile en faisant tout un tas de professions différentes, c'est quelque chose auquel j'assiste quotidiennement à Édimbourg et auquel n'importe quel habitant de Grande-Bretagne assiste quotidiennement sans que ça cause quelque type de violence ou quelque type de déstabilisation de l'État que ce soit. Mais c'est vrai qu'on pose souvent le multiculturalisme anglo-saxon comme une espèce de... contre-modèle absolu, comme une espèce de système effroyable. Et j'avoue que je ne sais pas pourquoi, je trouve ce système infiniment plus vivable qu'un système où on dit aux jeunes, aux enfants, quoi faire. J'ai une fille qui est à l'école primaire, elle a 7 ans, et parfois, quand c'est les fêtes indiennes, l'Aïd, les Pâques, on célèbre un peu toutes les fêtes. Et donc il y a ce côté un peu multiculturel. On va parler de cette culture, etc. Oui, il y a un côté un peu gnangnan, un peu naïf, si vous voulez, mais c'est des enfants. C'est bien pour les enfants, je trouve.

  • Speaker #1

    Je ne trouve pas ça nirgant du tout, à vrai dire. C'est plutôt cool.

  • Speaker #0

    Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas révolutionnaire, évidemment. Ce n'est pas avec ça qu'on change le monde. Mais pourquoi pas ? Pourquoi pas ? Ça fait plaisir à tout le monde. Et c'est bien de faire des choses un peu naïves pour les enfants. C'est bien pour les kids de célébrer leurs particularités. Ça leur donne de la confiance en soi. Ça apporte de la culture aux jeunes. Et même pour les autres, ça leur ouvre l'esprit sur quels sont les différents types. de populations qu'on trouve dans ce pays, dans cette ville. On les interpelle à partir de leurs différences pour les mettre en valeur. C'est une méthode éducative qui est employée là-bas. Et je ne vois pas quel est le problème. C'est tout à fait que ça devienne un objet de discussion et par là même un objet éducatif, un objet de pédagogie. De pédagogie justement à la citoyenneté. Non pas à la citoyenneté abstraite, mais de manière pratique, comment coexister avec des personnes qui n'ont pas les mêmes croyances, qui n'ont pas les mêmes manières de vivre, qui n'ont pas la même langue maternelle, mais qui se retrouvent dans cet endroit où tout le monde parle anglais et où, voilà, il y a la reine au-dessus, enfin, le roi, maintenant. J'avais pas prévu qu'on parle de la reine. Non, non, non. Très bien, allons-y. Maintenant, c'est le roi. C'est le roi Charles, maintenant. Et encore une fois, c'est nullement un modèle révolutionnaire. C'est un modèle social libéral, mais on a des choses à apprendre et à retenir de bien du libéralisme politique. Et en l'espèce, je pense que le multiculturalisme, sans qu'il soit évidemment parfait, a de très bons côtés. Et à mon avis, pour les citoyens, et surtout les citoyens membres de minorités, j'imagine, un modèle infiniment supérieur au républicanisme. En tout cas, au républicanisme comme on le comprend en France. Parce que le républicanisme en Grande-Bretagne, ça veut juste dire être contre les rois, etc. Et bon, je reste contre les rois, je reste contre les rois et tout. Je reste français malgré tout. Je pense que si la Grande-Bretagne était une république et qu'on votait pour un président, ce ne serait pas plus mal. Surtout si tous ces nobles la rendaient toutes les terres qu'ils ont, parce que c'est une autre dinguerie. Mais en tout cas, le modèle multiculturel, je le trouve plus vivable. Je pense que c'est une bonne chose pour tout le monde.

  • Speaker #1

    Oui, ça dépassionne. En plus, la différence devient, comme tu le disais. source de confiance en soi, de partage, et non plus quelque chose qui est pointé du doigt, qui conduit à un repli sur soi, à une identité fermée, une identité très excluante, en fait.

  • Speaker #0

    Il y a cette espèce d'idée, d'imaginaire qui est souvent agitée par l'extrême droite, selon laquelle la société multiculturelle c'est une société des dénaines multiples, une société incroyablement violente, et ça nous dira, regardez les modèles de sociétés culturelles. C'est les États-Unis, c'est le Brésil, regardez comme ces sociétés sont violentes, etc.

  • Speaker #1

    Mais ce n'est pas vraiment ça le problème.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas vraiment ça le problème. Ces sociétés ne sont pas violentes parce que ce sont des sociétés multiculturelles. Elles sont violentes parce que ce sont des sociétés bâties sur le colonialisme de peuplement. Toutes les sociétés bâties sur le colonialisme de peuplement sont des sociétés incroyablement violentes. C'est pour ça que toutes les sociétés américaines en général sont très violentes. À part lorsqu'elles ont vraiment réussi par la violence à atteindre une homogénéité. ethniques, raciales, comme l'Argentine par exemple. L'Argentine, c'est l'Italie. C'est l'Italie, c'est magnifique, c'est génial. Ben oui, il n'y a que des Blancs, ils ont tué tout le monde. Ils ont tué tous les Noirs. Forcément, là, ça vous plaît. Ça vous plaît un pays d'Amérique latine où il n'y a que des Blancs aux yeux bleus qui s'appellent Marcello.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous les Argentins qui nous écoutent.

  • Speaker #0

    Oui, vous savez ce que vos ancêtres ont fait.

  • Speaker #1

    Le colonialisme de peuplement, pour ceux qui nous écoutent, c'est quand le pays colonial fait venir sa population dans le pays colonisé afin justement d'imposer sa culture et de dominer ce nouveau pays, pas seulement par les armes, mais aussi par la culture,

  • Speaker #0

    de s'y implanter, de faire un grand remplacement. C'est différent des colonies d'exploitation. Après, il y a plusieurs modèles d'économie, mais je dirais que les deux grands modèles, c'est colonies de peuplement et colonies d'exploitation. Colonies d'exploitation, c'est ce qu'on a connu pour l'essentiel à travers l'Afrique noire. C'est-à-dire, on envoie juste un petit nombre de coloniaux, c'est-à-dire des militaires et des fonctionnaires, pour faire tourner d'autres types de machines, c'est-à-dire de l'exploitation de ressources essentielles. C'est pour ça qu'on dit colonie d'exploitation. On ne cherche pas à y implanter des autochtones européens. Et pourquoi on ne l'a pas fait ? Parce que le climat, on n'aimait pas trop le climat. C'est ça les justifications ? Bien sûr, les Blancs ne peuvent pas vivre là. Pourquoi est-ce que vous avez les deux grandes colonies de peuplement historiquement en Afrique ? C'est l'Afrique du Sud et l'Algérie. Parce qu'ils sont aux deux extrêmes. Ils ne sont pas sur le tropique. Ils ne sont pas sur les dessous des tropiques. Ou sous l'Équateur. Et donc,

  • Speaker #1

    on est maintenant dans l'émission Le Dessous des Cartes.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Comment le relief et le climat organisent une géographie politique.

  • Speaker #0

    Absolument. C'est des endroits qui n'étaient pas très visibles. Les Blancs ne voulaient pas y aller. Mais l'Algérie, c'est super, le climat, c'est la Méditerranée, etc. Et l'Afrique du Sud aussi, c'est pas mal comme climat. Donc là, les Blancs pouvaient y aller. Après, en Amérique latine, c'est un peu différent. C'était l'époque des conquistadors, les Espagnols et les Portugais étaient un peu des cinglés. Et d'ailleurs, ils ont rationalisé ça parce que, eux, racialement, ils n'avaient pas exactement les mêmes idées que les Anglais, que les Britanniques et les Français. Donc, ils se sont dit non, mais nous, on va se métisser à gogo et comme ça, nos descendants supporteront mieux le climat.

  • Speaker #1

    Là encore, c'était des questions vraiment aussi spécifiques que ça ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, c'est des questions si bêtes que ça.

  • Speaker #1

    Mais il y a vraiment des gens... Ça me semble incroyable.

  • Speaker #0

    Expliquement, il se soit dit... Il se pose des questions. La question du métissage et la question de la résistance au climat, c'est malheureusement une question que tout le monde s'est posée. Parfois, ils ont décidé qu'il fallait du métissage à gogo, mais ça, c'est les Portugais. Mais après, c'est souvent lorsqu'il s'agit de questions en dessous de la ceinture, ce sont souvent que des rationalisations a posteriori de nos désirs et de nos pulsions les plus primaires. Les Portugais voulaient pouvoir violer à gogo ou même prendre femme, etc. Et donc, ils se sont dit, oui, on va créer une descendance métissée, on s'en fiche, c'est pas grave, etc. Et le puritanisme britannique jugeait que ce n'était pas une très, très bonne idée. Et donc, ils ont instauré une véritable censure du rapport interracial qui a culminé dans ce qui est devenu la colonie américaine. Oui, le ségrégationnisme interdit. Le ségrégationnisme interdit, interdit, interdit. Et si même... noir est vu en train de faire un clin d'œil à une blanche, il est lynché directement. Il y a une espèce de culture de l'interdiction de toute promiscuité raciale qui est extrêmement intense. Et entre les deux, vous avez les Français qui étaient le cul entre deux chaises, c'est-à-dire, oui, un peu de métissage si on veut, mais ça devient une espèce particulière. Les gens de couleur, ils ont un statut différent. Et il y a quand même une aristocratie de la blancheur et une blancheur. aristocratiques. Les grandes familles, c'était quand même souvent des aristocrates à Saint-Domingue, etc. Et puis après, en Martinique, en Guadeloupe, etc. Maintenir une certaine pureté, etc. où la branche métissée de l'arbre généalogique devient quand même une espèce de branche inférieure, etc. de cette lignée. Oui,

  • Speaker #1

    on le tait. D'ailleurs, si je ne me trompe pas, par exemple, sur l'histoire d'Alexandre Dumas, pendant longtemps, on a tué ses origines métissées, justement à cause de ça. Oui,

  • Speaker #0

    mais c'est dans un... Dans un deuxième temps, parce qu'à l'époque, on savait qu'ils faisaient partie de ce qu'on appelle les gens de couleur. C'est-à-dire, en gros, les mulâtres, les métisses. C'est une catégorie juste qui désigne les noirs libres. Et quand je dis les noirs libres, ça veut dire des personnes qui ont au moins une goutte de sang africain. Et donc, esthétiquement, ils peuvent être facilement pris pour une personne blanche ou avoir des origines africaines extrêmement visibles. Mais c'est une catégorie sociale, une catégorie raciale, une catégorie... politique. Et on savait pendant longtemps que Dumas faisait partie de cette catégorie des gens de couleur. Les contemporains le savaient, mais c'est après qu'on l'a oublié pour réécrire justement un petit peu cette espèce de légende républicaine de la littérature française, où voilà, on ne va pas s'intéresser à ce genre de basse question, c'est juste une grande plume de la littérature française. On a universalisé Dumas. Voilà, on a universalisé Dumas.

  • Speaker #1

    J'ai commencé par te demander ce qu'était pour toi la philosophie. Et j'aimerais terminer cette interview en te demandant quel est pour toi le rôle du philosophe dans la cité ?

  • Speaker #0

    C'est encore une vaste question, mais j'ai commencé à répondre tout à l'heure en parlant de cette reconnexion avec notre propre misère. Je pense que c'est la première étape. Parler des choses qui posent problème, mais qui posent problème terriblement. tragiquement, parler des questions graves. Et je pense que c'est ce qu'on a fait. On n'a fait que ça pendant cette conversation. On a essentiellement parlé des questions les plus tragiques. Amener dans l'espace public, amener ces questions difficiles. Aussi, les connecter à leur profondeur historique. Réinscrire ces questions-là dans l'histoire. Amener une forme de connaissance ou de compréhension. plus large.

  • Speaker #1

    Mise en perspective.

  • Speaker #0

    Mise en perspective des éléments de connaissance. S'agit-il pour autant d'apporter des solutions ? Si on en a, tant mieux ! Mais la plupart du temps, on n'a pas de solution toute faite.

  • Speaker #1

    On essaye en tout cas.

  • Speaker #0

    On essaye, en tout cas, on essaye de s'orienter vers le fait de chercher collectivement une solution. Je n'aime pas spécialement cette espèce de figure solitaire du philosophe, même si je le suis. Je suis cet individu, cette espèce d'ermite dans sa caverne qui passe son temps à lire des ouvrages pour apprendre à écrire des ouvrages imbitables. Oui, c'est moi. Mais pas dans l'idée que je vais trouver des solutions tout seul. C'est pour ça que j'écris ce manifeste. Ce manifeste, c'est vraiment un hommage. aux mouvements noirs, aux mouvements décoloniaux, aux mouvements panafricains, tenter non pas de leur apporter des solutions, mais de leur apporter des clarifications, de leur apporter une perspective, tenter d'enrichir des discussions qui existent déjà, accompagner un engagement. C'est fondamental, même si ça va contre notre nature parfois, ce qui est mon cas, d'avoir quand même, de garder quand même une prise sur le collectif, une prise sur des actions collectives, sur du militantisme, d'essayer d'être en prise sur... ce qui se fait sur l'actualité. Je pense que c'est très important pour essayer d'avoir un discours le plus pertinent possible, savoir à qui on s'adresse et essayer de participer à des discussions qui existent déjà autant que faire se peut. Plutôt que d'avoir cette sorte de vivre, cette sorte de mythe, de l'aérolite génial qui va s'écraser sur le monde en s'ouvrant à portée. inonder le pays de vérité absolument fondamentale. Ce n'est pas ça la mission du philosophe, selon moi. C'est participer à donner des armes aux personnes qui se battent pour des causes que nous estimons justes.

  • Speaker #1

    Merci. Merci Norman Hajari pour cet échange. Je retiendrai trois émotions, les émotions philosophiques dont on parlait, la colère, la joie et la stupeur. Je pense que j'ai ressenti les trois pendant notre discussion. Merci. Merci pour cet échange incroyable.

  • Speaker #0

    Merci pour cette invitation, j'en suis honoré.

  • Speaker #1

    Avec grand, grand plaisir. À bientôt.

  • Speaker #0

    Bye.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un entretien du Fil d'Actu. J'espère que l'épisode vous a plu. Et avant de se quitter, je voulais vous dire un petit mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant et sans publicité. Et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent. en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien et on se retrouve mercredi pour un nouvel épisode du Fil d'actu.

Description

De quoi les Noirs souffrent-ils ?  Quels sont les obstacles, les violences, les privations, les humiliations qui définissent l’histoire qui est la leur ? 

Voilà les questions qui animent les recherches du philosophe Norman Ajari.


Norman Ajari étudie les Black Studies à l’université d’Edimbourg, et il vient de publier un Manifeste Afro-décolonial. Il s’interroge sur la déshumanisation contemporaine des Noirs à travers l’histoire de l’esclavage et du colonialisme, et propose une critique radicale des rapports de race, de pouvoir et de violence.

Il m’a fait l’immense honneur d’être mon premier invité pour les entretiens du Phil d’Actu. Une conversation essentielle pour comprendre notre monde, dévoiler ses fractures, et envisager des possibilités de réconciliation.



Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui remet la philosophie au cœur de l'actualité. Ici, pas de philo prétentieuse et déconnectée du monde, mais une philo accessible et ancrée dans la société. Tous les mercredis, je vous propose une chronique commentant l'actualité et, une fois par mois, l'interview d'un ou d'une philosophe contemporaine. Prêt et prête pour une philosophie vivante et engagée ? Bienvenue dans le fil d'actu. De quoi les Noirs souffrent-ils ? Quels sont les obstacles, les violences, les privations, les humiliations qui définissent l'histoire qui est la leur ? Voilà les questions qui animent les recherches du philosophe Norman Hajari que vous allez entendre aujourd'hui. Norman Hajari étudie les Black Studies à l'Université d'Edimbourg et il vient de publier un manifeste afro-décolonial. Il s'interroge sur la déshumanisation contemporaine des Noirs à travers l'histoire de l'esclavage et du colonialisme et propose une critique radicale des rapports de race, de pouvoir et de violence. Il m'a fait l'immense honneur d'être mon premier invité pour les entretiens du Fil d'Actu, une conversation essentielle pour comprendre notre monde, dévoiler ses fractures et envisager des possibilités de réconciliation. Vous allez entendre une réflexion intense, souvent inattendue. Une philosophie vibrante, incarnée. La philosophie de Norman Najari vous prend aux tripes. Et je n'ai aucun doute qu'elle vous bouleversera autant qu'elle m'a parfois laissé sans voix. Bonjour Norman. Salut. Merci d'avoir accepté l'invitation dans le fil d'actu.

  • Speaker #1

    Merci de m'inviter pour ce premier entretien.

  • Speaker #0

    Et oui, c'est effectivement mon première interview, donc je suis un peu émue et stressée. Et super honorée que ce soit toi qui fasses cette interview.

  • Speaker #1

    Tout l'honneur est pour moi.

  • Speaker #0

    Ah, bon, j'aime beaucoup ces civilités, ces politesses. Alors, on va commencer tout de suite. Première question, mais une question qui me taraude pas mal, et je pense que je n'ai pas tout à fait résolu malgré toutes mes années de philosophie. C'est quoi pour toi la philosophie ? C'est quoi la définition de la philosophie et du philosophe ?

  • Speaker #1

    Oula, on commence tout de suite. Très, très fort, ça tape fort directement. Je n'ai pas vraiment de définition, de définition massive de la philosophie. à la Deleuze, qu'est-ce que la philosophie, ou à la Gamben, et peut-être ce que j'essaye de faire, ou ce qui me semble le plus intéressant dans l'exercice philosophique pour moi. Et là, j'irais plutôt du côté d'un philosophe allemand du XXe siècle qui s'appelle Théodore Adorno. L'une des choses qu'il dit, je ne suis même plus sûr que ce soit exactement une définition de la philosophie, mais en tout cas, il parle de la nécessité, pour la pensée, de nous reconnecter à notre propre misère.

  • Speaker #0

    Ah, c'est beau !

  • Speaker #1

    C'est pas mal, je pense que c'est dans les minima moralia, c'est son espèce de recueil d'aphorismes et de textes assez courts qu'il écrit pendant la Deuxième Guerre mondiale.

  • Speaker #0

    Se reconnecter avec sa propre misère. Oui. C'est magnifique.

  • Speaker #1

    Ça, je pense que c'est quelque chose de tout à fait important, surtout lorsqu'on est dans des temps troublés, surtout lorsqu'on travaille sur des questions comme moi, des questions de racisme, de conditions noires, de violences sociales et politiques. Ce rôle de la philosophie, que je ne considère pas comme un absolu, que je ne considère pas comme étant... l'essence de la philosophie, mais plutôt ce qui m'intéresse, ce qui m'a intéressé depuis de nombreuses années dans cette discipline ou dans cet exercice intellectuel, c'est d'aller chercher une compréhension de ce qui nous fait souffrir, au lieu de tenter de le dissimuler, de le dévoiler, de l'habiter, de le comprendre. Et en ça, c'est une manière de concevoir la philosophie qui est assez différente à la fois de ce qui est à la mode, c'est-à-dire... Toutes les hybridations de la philosophie avec le développement personnel, etc.

  • Speaker #0

    On pourra en parler si tu veux.

  • Speaker #1

    Ou même des choses un petit peu plus nobles, comme par exemple des grands philosophes comme Deleuze, etc. qui insistent beaucoup sur Spinoza, sur la joie, etc. Avec cette idée que je n'ai jamais réussi véritablement à comprendre, même du point de vue politique, selon laquelle la résistance politique serait du côté de la joie. Je n'ai jamais réussi à... adhérer à cette idée, je n'ai jamais compris d'où ça venait en fait. J'ai toujours eu l'impression spontanée que la joie, c'était fondamentalement un affect qui est du côté de l'obéissance. Il n'y a rien de plus facile que de manipuler et d'imposer ses options à un peuple joyeux. Il n'y a rien de plus bête que la joie d'une certaine façon.

  • Speaker #0

    L'imbécile heureux en fait.

  • Speaker #1

    Voilà, c'est exactement ça. C'est l'imbécile heureux. Et encore, je trouve que le bonheur a... à plus de noblesse que la joie. La joie, il y a une espèce d'hébétude. Je ne sais pas si tu te souviens, le film classique des philosophes, Matrix. Dans Matrix, c'est ce personnage très intéressant qui s'appelle Cypher. C'est un type...

  • Speaker #0

    Celui qui mange le steak à un moment.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. C'est celui qui mange le steak dans Matrix 1. Celui qui choisit de revenir, enfin qui projette de revenir à ce monde imaginaire de la Matrice, c'est-à-dire de perdre sa connaissance, de perdre sa connaissance des enjeux réels du monde, c'est-à-dire le fait que le monde est une simulation qui vise à maintenir l'humanité en tant que ressource. absorbé par les machines. Bref, en gros, on est exploité à notre insu et on vit dans une simulation, notre cerveau vit dans une simulation alors que notre corps est exploité. Lui se rend compte de ça et dit Mais moi, j'ai envie de revenir à cette sorte de vie primordiale, de vie luxueuse que m'offre la simulation. Je veux oublier la réalité et je veux m'enfermer dans cet espèce de monde de joie perpétuelle que m'offre la simulation. Cette espèce d'apologie de la joie dans le monde, à de nombreux égards, injuste, abjecte, abominable dans lequel on vit, a quelque chose de tout à fait obscène. Et je ne peux pas concevoir une philosophie dont le but, l'objectif serait cette espèce de quête ou de recherche de la joie, cette recherche de la consolation. Au contraire, je pense que... Il n'y a rien de plus nécessaire, de plus indispensable que de nous reconnecter à notre propre misère et au contraire de déclencher la colère, le dégoût, même la détestation de ce type de situation. Et je pense que c'est ça qui provoque la résistance, c'est ça qui provoque la révolte, c'est ça qui provoque la rébellion contre cette situation, pas la joie. On peut avoir des moments de joie dans la révolte. des moments de joie du fait d'être ensemble. Mais ce n'est certainement pas un point de départ.

  • Speaker #0

    D'accord, c'est un point d'arrivée éventuellement.

  • Speaker #1

    C'est un point d'arrivée éventuellement et c'est quelque chose qui nécessairement alimente la lutte. On a ces moments un petit peu d'extase qu'on peut avoir collectifs, dans le militantisme, dans l'engagement, dans la pensée, mais ce n'est ni le point de départ ni le moteur de ce qu'on fait. Si on en arrive à ne rechercher que ce type de satisfaction et non plus une véritable transformation du monde ni... par le sentiment, la conscience et la compréhension du fait que ce monde est détestable, alors on n'a pas ce qu'il faut pour parvenir à un but. Si le militantisme provoque tellement de joie qu'on veut qu'il dure, alors on va continuer à militer au lieu de tenter de faire en sorte d'arrêter de militer en archevant le projet qu'on recherche.

  • Speaker #0

    Pour toi, à quelle émotion est associée la philosophie ? Moi, je pense que la philosophie, c'est quelque chose... très émotionnel quand même. Les gens qui prétendent que c'est juste une vue de l'esprit totalement désincarnée, désincorporée. Je ne suis pas du tout d'accord avec cette conception-là. Et je pense que oui, c'est quelque chose qui nous prend aux tripes au départ. Je dis toujours que on fait de la philosophie pour moi parce que la psychothérapie n'est pas remboursée par la sécu. Et que du coup, il faut y aller. Donc en fait, on a une colère à canaliser.

  • Speaker #1

    C'est pas mal. Et pour répondre à ta question sur les affects. fondamentaux de la philosophie ou les sentiments fondamentaux de la philosophie, on sait que, traditionnellement, pour revenir encore une fois à ces bons vieux grecs classiques, à Platon, pour les grecs, la philosophie a pour affect fondamental le taumazène, c'est-à-dire ce qu'on traduit le plus souvent par l'émerveillement ou l'étonnement. Et à cela, le philosophe camerounais Fabien Ebussiboulaga avait donné une réponse que je trouve tout à fait fascinante. Il avait dit, pour la philosophie africaine, ça ne commence pas par l'émerveillement ou par l'étonnement, mais cette philosophie commence par la stupeur causée par une défaite totale. Parlons évidemment de la colonisation, de l'esclavagisme, etc. Évidemment, avec le travail que je fais, c'est une analyse qui a beaucoup d'écho, puisque je passe un temps considérable à lire des horreurs, des récits de torture. issus de l'esclavage, etc. Parfois, j'ai assez souvent, de plus en plus souvent, l'impression de pratiquer la philosophie dans une chambre de torture parce que c'est le type de recherche que j'ai choisi de faire, le type de travaux que j'ai choisi de faire, ce qui est quand même quelque chose d'assez étrange, d'un petit peu malsain. Mais je me dis qu'il faut bien que quelqu'un le fasse. Parce qu'on n'est pas très nombreux à faire ça. J'ai la conviction de... qu'il est nécessaire de se poser ce genre de questions. Et c'est sûr, ce ne sont pas des sujets ou ce ne sont pas des choses qui rendent heureux. Ce n'est pas la quête du bonheur promise par Montaigne et par le développement personnel. Non,

  • Speaker #0

    c'est sûr que tu n'es pas dans l'apaisement et la sérénité.

  • Speaker #1

    Non, pas du tout.

  • Speaker #0

    Tu es dans la mission, quelque part. Est-ce que tu décris, c'est presque une mission de dévoilement, de mise à jour de ce envers quoi d'habitude on tente de fermer les yeux et de faire l'autruche en fait ?

  • Speaker #1

    Voilà, oui, c'est vrai, c'est une manière de le dire. Il y a de ça, il y a cet affect là qui nous pousse à fréquenter des choses parfois atroces et à fuir la consolation comme la peste.

  • Speaker #0

    Et alors justement, parce que là on tourne un peu autour de tes thèmes, mais est-ce que tu pourrais nous résumer tes grands thèmes de recherche, tes grandes analyses ? ton approche ?

  • Speaker #1

    Je dirais que peut-être l'idée la plus basique de mon travail est que dans de nombreuses métaphysiques africaines, dans de nombreuses visions du monde africaine, il n'y a pas de limite tranchée entre le monde des vivants et le monde des morts. Dans le monde chrétien, la frontière entre les vivants et les morts est extrêmement bien définie. C'est pour ça que... lorsque le Christ ressurgit d'entre les morts, c'est l'événement du millénaire, même de plein de millénaires, de tous les millénaires, d'une certaine façon.

  • Speaker #0

    C'est un petit happening,

  • Speaker #1

    quand même. Voilà, oui, c'est quand même le gros truc. C'est le gros truc. Mais lorsque, dans les pensées, dans les philosophies d'Afrique de l'Ouest, les spectres reviennent, c'est juste les ancêtres qui sont encore parmi nous. Ils ont des choses à nous dire. C'est pas si... fabuleux que ça. C'est même plutôt ordinaire. Nos morts sont encore parmi nous si on continue à penser à eux. Ce que j'ai cherché à penser, c'est la subsistance de ce type de pensée au-delà du moment colonial et notamment du moment esclavagiste. Les esclaves ont vécu des situations qu'eux-mêmes, lorsqu'ils ont survécu, ont souvent décrites comme pire que la mort. Et les esclavagistes, comme les esclaves, étaient sidérés du fait que les Africains aient résisté de façon assez exceptionnelle parfois au type de violence qu'ils ont subi. Et je pense que cette conception de la réversibilité entre la vie et la mort est l'un des éléments fondamentaux qui leur ont permis de résister à la violence coloniale. Parce qu'ils ont survécu au deuil de manière différente et ils ont compris que cette traversée de la mort pouvait avoir un sens, pouvait avoir une signification, non pas dans l'au-delà, mais demain, dans ce monde. Il y avait une conception différente de la mort et de la vie. Et donc ce qui m'intéresse, c'est ce rapport entre les technologies coloniales, esclavagistes, néocoloniales, de la violence, de l'exploitation économique, de la mise à mort, et comment certains types de philosophies qui repense le rapport entre la vie et la mort, nous aide à nous rebeller contre ça.

  • Speaker #0

    Comment est-ce que, selon toi, cette frontière poreuse entre la vie et la mort, quelles sont les conséquences, justement, sur ce que tu décris ? Est-ce que ça veut dire qu'il y a une résistance, une résilience par l'idée qu'il faudrait une transmission, un témoignage ? Est-ce que c'est ça ce que tu laisses entendre ? Est-ce que c'est autre chose ? Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

  • Speaker #1

    Cette question de transmission est extrêmement importante. Le fondateur du parti des Panthères Noirs, le Black Panther Party, Huey Newton, dans son autobiographie qui s'intitule, sacré titre, Le suicide révolutionnaire Ça pose un homme. Ça pose un homme.

  • Speaker #0

    On revient à la misère et à la colère dont on a parlé.

  • Speaker #1

    Je n'avais pas menti. J'avais joué carte sur table. C'est ça. Il parle de ça, la manière dont cette transmission des luttes du passé, les révoltes d'esclaves, les révoltes d'Africains sur les côtes atlantiques qui refusaient de se laisser embarquer sur les bateaux, qui coulaient les bateaux par le fond. Plein de choses dont on ne parle guère, plein de choses qu'on ne transmet pas. Comment la transmission de cela... nous permet d'une part, en tant que Noir, de transformer l'image, donc le tome qu'on peut avoir de nous-mêmes, l'image de béni-oui-oui, l'image de faiblard, d'ignaux, de crétin, qu'on peut avoir de nous-mêmes, et aussi comment ça enrichit notre vision aujourd'hui et comment ça nous aide à lutter contre la mort, contre notre propre mort, ce que lui-même appelle une mort spirituelle. Huey Newton dit que les Noirs... aux États-Unis, mais ce serait valable malheureusement pour beaucoup d'endroits du monde, souffrent d'une mort spirituelle. On a tendance à se laisser suicider. À se laisser mourir, à se laisser dépérir spirituellement. Et au-delà, dans notre propre vie, à ne plus rien attendre de l'existence, en vivant sous une forme de menace, en croyant aux langages dépréciatifs et humiliants qui sont tenus sur nous-mêmes, en y accordant trop de crédit. Cette reconnexion avec une certaine profondeur historique, cet exercice de connaissance et cet exercice de mémoire collective, de pouvoir se laisser hanter justement. des spectres du passé.

  • Speaker #0

    Comment la mort physique des personnes noires du passé permet de lutter contre la mort spirituelle et symbolique des personnes noires aujourd'hui qui sont disqualifiées, dépréciées. C'est absolument magnifique.

  • Speaker #1

    Regarde George Floyd. Regarde Adama Traoré. C'est des types d'engagement politique, de mobilisation politique autour... de la mort d'une personne, récemment même aussi avec Naël, ce sont des types d'engagements collectifs qui sont propres à ce type de mise à mort. Et ça rejoue toute cette histoire anticoloniale. Ça rejoue toute cette histoire de politisation collective des processus de deuil.

  • Speaker #0

    Politisation collective des processus de deuil. L'idée que la mort n'est pas quelque chose qui nous frappe individuellement.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas une affaire privée.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas une affaire privée.

  • Speaker #1

    On ne va pas juste mettre du noir. processionner devant une église ou une mosquée et pleurer en silence. On va porter ça dans la rue, et s'il le faut, dans une confrontation avec les forces de l'ordre qui sont responsables de ces morts. Reconnecter notre collectif à sa propre misère, comme je le disais. Et là, en l'espèce, dans les cas qu'on vient de décrire, on a vu la cause de cette misère. C'était les mains ou les armes des flics. Et donc, le deuil, c'est aussi un processus, dans ce cadre-là, de conscientisation de ça, se rendre compte de la nature, des mécanismes de la violence sociale qui ont conduit à ces mises à mort injustes.

  • Speaker #0

    Dans ce cas, il y a à la fois une réappropriation symbolique, pour essayer de comprendre comment on en est arrivé à une telle mise à mort, que cette mise à mort donne lieu à une émotion collective de colère qui permette de se réapproprier une place dans la société, ou en tout cas de lutter en vue de se réapproprier une certaine place dans la société.

  • Speaker #1

    C'est tout à fait ça.

  • Speaker #0

    J'ai presque envie de m'arrêter. Non, on ne va pas s'arrêter. Mais bon, est-ce qu'on pourra faire mieux ? On sent à quel point c'est quelque chose qui est très émotionnel chez toi. On sent quand on parle. que ce n'est pas du tout une philosophie froide. Pas du tout. On sent que c'est quelque chose que tu as dans ta chair. Est-ce que tu peux nous parler de ton éveil à la fois philosophique et ton éveil à ces thèmes-là ? Qu'est-ce qui, dans ton histoire, dans ton parcours, fait qu'aujourd'hui, tu parles de ces thèmes de cette façon-là, qui est extrêmement puissante ? Très sincèrement, j'en ai des frissons tout à l'heure quand on en parlait. Et voilà, est-ce que tu peux nous transmettre un peu ton histoire ou en tout cas, des parties de ton histoire qui te paraissent significatives et des choses que tu as envie de partager ?

  • Speaker #1

    Oui, je suis nigérian de par mon père et lorrain de par ma mère. Je suis né aux États-Unis, mais j'ai grandi en France. L'endroit où j'ai grandi, pendant la Deuxième Guerre mondiale, faisait partie du Reich allemand. C'est-à-dire que ce n'était pas un territoire occupé. C'était littéralement un territoire, ça faisait partie du territoire avec l'Alsace. L'Alsace et la Moselle ont été appropriées par le Reich allemand. Parce que Hitler disait, ici c'est des germaniques, et donc... Ça appartient au Reich. Ça appartient au Troisième Reich. Et donc, ma grand-mère et peut-être mon grand-père aussi, je ne sais plus, ont fait leur test d'arianité. Vous savez, pour savoir si c'était des vrais ariens. Je peux dire que je suis 50% arien. C'est quand même rigolo.

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que je ne l'avais pas vu venir. Et je ne sais pas combien de personnes peuvent se dire...

  • Speaker #1

    Surtout avec ma gueule, peuvent dire qu'ils sont à moitié ariens. J'ai passé beaucoup de temps... de temps dans la maison, enfin dans l'appartement de mes grands-parents, qui est un peu l'artère principale de Forbach, qui s'appelle aujourd'hui la rue nationale, mais qui, sous le Troisième Reich, ça aussi je l'ai découvert récemment, s'appelait Adolf-Hitler-Straße. Ça veut dire la rue de Adolf Hitler. Aujourd'hui, c'est une ville dont le député est évidemment Front National, enfin Rassemblement National.

  • Speaker #0

    Oui, maintenant, tu sais, ils sont plus racistes. Il ne faut pas dire Front National.

  • Speaker #1

    Oui, parce que le Front... un front, visiblement, c'est raciste, mais un rassemblement.

  • Speaker #0

    Un rassemblement,

  • Speaker #1

    c'est un rassemblement.

  • Speaker #0

    Les gens qui ont... D'Armanin a dit quoi ? Ils ne sont pas racistes, ils ont une vision du monde orientée par un certain rejet de l'autre. Il a dit ça. Ouais,

  • Speaker #1

    ouais. Voilà. On sent l'ancien de l'action française. Bref.

  • Speaker #0

    C'était le point d'Armanin, pardon.

  • Speaker #1

    Ouais. L'infâme d'Armanin. Donc, c'était pas... Évidemment, j'étais le seul noir quasiment. Donc c'était un contexte un petit peu hostile. Je me suis fait aussi de très bons amis, qui sont encore des amis aujourd'hui, évidemment. Ce n'est pas que c'était un lieu absolument invivable, non. Mais c'était à la fois un lieu de convivialité, à la fois un lieu d'amitié et aussi un lieu d'hostilité. Marqué par cette histoire du nazisme, j'ai grandi dans un environnement marqué historiquement, par un racisme explicite et virulent. Je pense que ça, c'est quelque chose que je n'avais pas forcément pris conscience pendant assez longtemps, mais c'est certain que ça m'a beaucoup marqué, que ça a peut-être participé à me donner ce que tu appelais tout à l'heure comme une mission d'élucider ce racisme dont j'avais été témoin ou l'objet. dans ma prime jeunesse.

  • Speaker #0

    Je voudrais qu'on revienne à ton ouvrage que tu viens de publier, qui s'appelle Manifeste afro-décolonial Est-ce que tu peux nous raconter un peu de quoi ça parle ? Quelle est ton approche ? Quelle est ta mission ? Ta vie avec ce bouquin ?

  • Speaker #1

    J'ai essayé de récapituler, de revisiter ce que le politologue africain-américain Cedric Robinson appelle la tradition radicale noire, c'est-à-dire toute une histoire d'intellectualité. intellectuels, militants de gauche, noirs, dans l'histoire de la pensée moderne. Notamment des militants du panafricanisme, Frantz Fanon sur lequel j'ai fait ma thèse, évidemment c'est une grande référence, mais aussi les Black Panthers, on en a aussi parlé, et bien d'autres, notamment issus du continent africain.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu peux, excuse-moi je te coupe, expliquer pour ceux qui nous écoutent, justement cette tradition radicale noire et le panafricanisme, qui est peut-être pas connu de tout le monde ? Est-ce que tu peux nous décrire un petit peu l'approche et en quoi ça se différencie d'autres approches ?

  • Speaker #1

    Bien sûr. Le panafricanisme, c'est une idée très simple qui consiste à dire que l'Afrique a été divisée hasardeusement en 1885 au moment de ce qu'on appelle le partage de l'Afrique lors de la conférence de Berlin, où les puissances européennes se sont assises autour d'une table, à Berlin donc, et ont divisé l'Afrique comme un gâteau. Et ce sont... pour distribuer les parts entre elles. Un petit morceau pour la Grande-Bretagne, un petit morceau pour la France, un petit morceau pour le Portugal, un petit morceau pour l'Allemagne. L'Allemagne qui, après la Première Guerre mondiale, va perdre ses morceaux, c'est pour ça qu'on se souvient assez peu, finalement, des colonies possédées par l'Allemagne. Mais, voilà, la part du lion va à la Grande-Bretagne et à la France, et un petit peu le Portugal et un tout petit bout l'Espagne. Et c'est aussi pour ça que, lorsqu'on regarde une carte de l'Afrique, on voit... des frontières au cordeau, ce qui est assez étonnant lorsqu'on compare ça avec les frontières européennes qui sont extrêmement ciselées, d'une part parce que elles suivent souvent des frontières naturelles, des rivières, des fleuves, des montagnes. C'est pour ça qu'elles ont des formes un petit peu irrégulières et elles sont aussi l'objet de décennies, de centaines d'années, de millénaires de guerres et d'affrontements entre ces pays qui ont dessiné ces frontières. Or, Les frontières précoloniales africaines étaient tout aussi précises, tout aussi floues et aussi souvent mobiles, etc. Mais avec cette conférence de Berlin, on a découpé des frontières au laser.

  • Speaker #0

    Oui, la carte de l'Afrique comme on la voit aujourd'hui,

  • Speaker #1

    elle est géométrique.

  • Speaker #0

    C'est à la règle.

  • Speaker #1

    C'est à la règle. C'est comme beaucoup d'États aux États-Unis. C'est à la règle parce que ce sont des frontières coloniales, ce sont des frontières purement et simplement administratives qui ne correspondent pas aux traditions des pays. Des pays qui ne correspondent pas aux divisions linguistiques, qui ne correspondent pas aux divisions familiales, qui ne correspondent pas à l'histoire, tout simplement. C'est une histoire étrangère qui vient se surimposer en un instant à l'histoire millénaire de ce lieu. Le panafricanisme, c'est le projet de dire balayons ces frontières illusoires, non pas pour les remplacer par des frontières ethniques ou nationales plus pertinentes, mais par, précisément, des États-Unis d'Afrique, c'est-à-dire une unité continentale où on redessinerait à l'intérieur des frontières plus pertinentes, mais des frontières de sous-régions, non pas des frontières d'États-nations avec une identité forte.

  • Speaker #0

    Un fédéralisme, en fait.

  • Speaker #1

    Mais voilà, un véritable fédéralisme africain. Ça, c'est l'idée du panafricanisme. Il y en a différentes tendances. La tendance à laquelle moi je me réfère, celle qui m'intéresse, c'est une tradition socialiste. c'est-à-dire celles qui considèrent que le principal moteur, la principale motivation pour achever ce but, ça doit être de mettre en place une économie politique qui bénéficierait à tous les Africains et qui lutterait contre les monopolisations, qui lutterait contre une économie de marché qui a absolument ravagé l'Afrique depuis des décennies et surtout qui lutterait contre l'impérialisme qui persiste et qui s'impose aujourd'hui encore en Afrique puisque c'est le néocolonialisme qui continue à faire des victimes innombrables sur ce continent. Donc ça, c'est le projet du... panafricanisme. La tradition radicale noire, c'est une notion qui était, comme je le disais tout à l'heure, élaborée par Cedric Robinson. Toute l'histoire dont je parlais avant avec Huey Newton, toute cette histoire de révolte d'esclaves, toute cette histoire de lutte anticoloniale en Afrique, en Amérique et au-delà, c'est ça la tradition radicale noire. C'est cette sorte de motivation foncière pour vivre autrement, pour se débarrasser, débarrasser de nos existences, des structures coloniales. et inventer de nouvelles formes de vie communautaire. C'est ça, pour Cedric Robinson, ce qui constitue, je dirais, l'essence de la tradition radicale noire, depuis les premiers marrons. Les marrons, ça veut dire les esclaves qui ont fui les plantations pour élaborer de nouvelles manières de vivre en collectif, loin de la plantation, et qui, quand ils en ont eu l'occasion, ont été brûler les plantations. Ça, c'est pas bon, ça, c'est mauvais. Cedric Robinson dit quelque chose de très intéressant. Il dit que c'est ça qui fait la différence entre la tradition radicale occidentale et la tradition radicale noire. Lorsque vous lisez Marx, Lénine, ce n'est pas se débarrasser du travail, c'est se débarrasser d'une certaine forme de division du travail, c'est se débarrasser de l'aliénation, c'est se débarrasser de l'exploitation. Ça veut dire qu'on ne va pas se débarrasser des usines. On va juste travailler moins, on va travailler de manière plus intelligente et surtout, les travailleurs vont avoir tous les fruits et tous les bénéfices de leur travail. Finalement, le communisme au sens de Marx, c'est tous les bénéfices du capitalisme sans les désavantages, sans les désagréments. C'est pour ça que parfois, les gens se moquent des gens qui ont un iPhone en disant toi t'es communiste, t'as un iPhone, t'es débile Pour Marx, dans le communisme, il y a des iPhones, il n'y a pas de problème. Il y a des iPhones à 1 euro pour Marx.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut imaginer juste Marx avec son iPhone ?

  • Speaker #1

    J'y pense, j'y pense où les choses. Je pense même à Lénine avec un iPhone. Pour cette tradition-là, il ne s'agit pas de se débarrasser de l'usine. Maintenant, il y a des gens qui essayent de dire Marx écologiste etc.

  • Speaker #0

    On a toujours dit que Marx était productiviste.

  • Speaker #1

    C'est quand même un petit peu le consensus sur la pensée de Marx et sur le marxisme. En tout cas, en ce qui concerne le marxisme-délinisme, c'est certain. Se débarrasser de l'aliénation, mais non pas se débarrasser de la forme moderne de la production.

  • Speaker #0

    Oui, et surtout que chez Marx, le travail accompli émancipe l'homme.

  • Speaker #1

    Absolument.

  • Speaker #0

    l'homme est l'être qui travaille. C'est vraiment le cœur de son identité.

  • Speaker #1

    C'est son anthropologie, vraiment c'est une anthropologie héritée de Hegel, selon laquelle l'homme transforme la nature et ce faisant se transforme lui-même. Il y a toute une anthropologie qui sous-tend ça, c'est quelque chose de très important. Et Cedric Robinson dit, dans la tradition radicale noire, ça se passe différemment. Les esclaves, la première chose qu'ils ont fait, ce n'est pas de dire, oh ! On va s'approprier les plantations et on va les réorganiser pour produire autrement. Ça, ça va venir dans un deuxième temps par la nécessité de la révolution. Au départ, ils se disent on va tout brûler. On va tout brûler. On va brûler toutes les plantations. On brûle tout. On n'en veut plus. Les plantations, c'est de la merde. On ne va pas travailler là-dessus. Ça nous a tués pendant des générations. Ça nous ruine la santé. Ces choses sont des abominations. On les brûle et après, dès qu'ils en ont la possibilité, ils s'installent des petits lopins de... terre, etc. Ils vivent dans les ruines des plantations et ils y vivent extrêmement bien. Ce sont deux façons différentes de considérer l'émancipation ou la libération.

  • Speaker #0

    Si tu te places dans cet héritage-là, ce serait l'idée que toutes les personnes noires dans le monde partageraient une condition, quelque part, une condition noire, et que ces personnes pour lutter contre les structures de domination qui sont encore en place dans les sociétés aujourd'hui, n'auraient d'autre choix que de quoi ? Faire sécession et d'aller créer une nouvelle communauté ailleurs ?

  • Speaker #1

    Non, ce n'est pas ça. Ce serait un très bon point de départ pour un ouvrage de science-fiction, par exemple. Mais ce n'est pas exactement ce que je dis. Ce que je dis, c'est un petit peu plus tragique que ça, d'une certaine façon. C'est de dire que la condition des Noirs ne pourra pas s'améliorer à l'échelle globale tant que l'Afrique sera soumise à... cette violence néocoloniale de très haute intensité.

  • Speaker #0

    C'est pour ça que je dis que c'est tragique. Ce n'est pas pour dire, oh les gars, prenons un billet d'avion, on va en Afrique et tout va être génial. Non, absolument pas, ce n'est pas du tout ça. Ce n'est pas du tout ça l'idée. C'est l'idée de dire que, bien sûr, il y a une grande pertinence au combat antiraciste n'importe où dans le monde. On parlait tout à l'heure de George Floyd, de Traoré, de Nahel, etc. Aucun doute là-dessus. Mais sans transformation des structures néocoloniales, c'est-à-dire sans abolition de l'impérialisme qui violente l'Afrique et sans constitution de l'Afrique en grand pôle de puissance politique, jamais il n'y aura de reconnaissance de l'humanité des Noirs à l'échelle globale, puisqu'on aura toujours l'exemple de ce continent peuplé de nègres imbéciles, incapables de s'organiser, pauvres, misérables, etc. Ce sera toujours ça qui nous sera renvoyé au visage. Ce sera toujours ça, finalement, la preuve ultime de notre incapacité intellectuelle, politique, économique, etc.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Donc, ce que je dis, ce n'est pas une espèce de volontarisme en disant Bon, on va faire sécession ou que sais-je. C'est de dire, sans la libération de ce lieu qui est le lieu d'où... où ultimement on provient, ce lieu qui est le synonyme de notre être aujourd'hui. Partout, le noir et l'africain. Le noir et l'africain, c'est pareil. C'est évident. Même aux États-Unis, où les descendants d'esclaves sont là depuis 400 ans, on entend encore des types leur dire retourne en Afrique

  • Speaker #1

    on les appelle les african-american african-american,

  • Speaker #0

    bah oui bien sûr parce que c'est évident on peut pas se cacher derrière son petit doigt en faisant comme si, bah non j'entends parfois des personnalités des intellectuels, tu viens d'où ? je suis français oui évidemment t'es français, tu as la carte y'a pas de problème, mais tout le monde sait très bien que si tu ressembles à ça, c'est parce que tes ancêtres venaient d'Afrique ce n'est absolument pas infamant ça ne t'enlève pas ta citoyenneté... On sait très bien que la citoyenneté et l'histoire d'une famille, d'une personne, de quoi elle est issue, ce sont deux choses différentes. Et c'est pas...

  • Speaker #1

    Ça ne te vexe pas quand on te pose cette question ? Parce que c'est un sujet qu'on entend souvent comme étant une micro-agression, de dire quand on demande à une personne noire tu viens d'où ? Non mais en vrai, les gens se disent, se sentent complètement disqualifiés dans leur... Enfin, il y en a beaucoup qui racontent se sentir disqualifiés. Et toi, tu n'as pas cette approche-là du coup.

  • Speaker #0

    Je sais que c'est le cas pour beaucoup de gens, parce que le problème, ce n'est pas l'explicite de cette question. Le problème, c'est que souvent, cette question sous-entend une forme d'illégitimité à être là où on est. Et je pense que c'est ça qui pose problème la plupart du temps.

  • Speaker #1

    Tu viens d'où en vrai, sous-entendu ?

  • Speaker #0

    Parce que tu n'as pas ta place ici. Je pense que c'est ça qui vexe. C'est l'implicite qui me gêne. Et souvent, on sent quand il y a cet implicite ou pas.

  • Speaker #1

    D'accord. Tu sens une différence quand les gens te demandent ?

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    de manière vraiment intéressée. Ah, mais toi, ta famille est originaire de quel endroit ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. D'ailleurs, la manière la plus simple de se rendre compte et la plus évidente, c'est qu'entre Noirs, on se pose la question tout le temps. On se pose la question tout le temps. Tu viens d'où ? Tu viens du Congo ? Quel Congo ? Des questions bêtes comme ça. Et personne ne se vexe. Personne ne se vexe. Martinique ou Guadeloupe ? Personne ne se vexe quand les Noirs se posent ce genre de questions. Mais quand c'est un blanc, on peut se vexer. Moi, la plupart du temps, je ne me vexe pas. Sauf quand je me rends bien compte que c'est une manière de métaphoriser une espèce de dédain. Moi, c'est ça qui me pose problème. C'est l'espèce d'illusion qu'on a à se dire je suis un Français comme un autre Bien sûr, tu es Français, évidemment. Tu as le passeport français, tu as la carte d'identité française, pas de problème. Mais tu es noir. Il n'y a pas lieu de s'en émouvoir ou de faire comme si ce n'était pas le cas. de demander aux gens, ou d'installer, ou d'avoir l'attente que les gens passent semblant qu'ils ne voient pas que tu es noir. Ça, c'est, je pense...

  • Speaker #1

    Avec le couleur, le fait. Voilà,

  • Speaker #0

    exactement. Moi,

  • Speaker #1

    je ne suis pas raciste, je ne vois pas les couleurs.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et cette espèce de censure sur la question Quelles sont tes origines ? Quelle origine ? La censure sur cette question me semble être, pour les personnes qui se vexent lorsqu'on se pose cette question, une espèce d'attente implicite d'une société colorblind, une société où on ne voit pas les couleurs, d'une société post-raciale. Or, je pense, et là, j'utilise une belle formule d'une collègue qui travaille à l'Université de la ville de New York qui s'appelle Nathalie Etoquet, qui dit le projet ne doit pas être d'imaginer ou de fonder une société post-raciale, mais une société post-raciste. Ça, ce sont deux choses différentes. Ce sont deux choses différentes.

  • Speaker #1

    Société post-raciale qui serait une société on ne voit plus les couleurs, nous sommes tous des genres humains. Voilà. société post-raciste, une société où on peut être de la couleur qu'on est ou de l'identité qu'on est, sans que ce soit synonyme de hiérarchie, de disqualification.

  • Speaker #0

    Absolument, absolument. Je donne un exemple, c'est un exemple un petit peu bateau, mais souvent en philosophie, on aime bien les exemples bateau parce que ça aide à comprendre. Quelqu'un peut avoir, et on va le dire, les yeux bleus, les yeux verts, les yeux marrons. Après, il a les yeux marrons et parfois il va se vexer, il va se dire Ah non, j'ai pas les yeux marrons, j'ai les yeux noisettes parce que noisette c'est plus cool qu'avoir les yeux marrons n'est-ce pas ?

  • Speaker #1

    Moi je dis que j'ai les yeux marrons-verts par exemple parce que marron je trouve ça vraiment pas cool Mais ils sont verts non ? Merci, ma journée Je dis à tout le monde les yeux sont verts Pour les auditeurs,

  • Speaker #0

    sachez que ces yeux-là sont tout à fait verts et les miens sont marrons évidemment ou noisettes si vous voulez Non, on peut parler de ça sans comment dire que les gens s'émeuvent ce sont des différences physiquement attestables et sur lesquels on n'a pas forcément besoin de passer des heures. Or, lorsqu'il s'agit de notre carnation, lorsqu'il s'agit de notre pigmentation, d'un seul coup, ce sont des différences qu'il faudrait ne même pas mentionner ou par rapport auxquelles on devrait faire les aveugles. Ça, c'est quelque chose de tout à fait malsain. C'est quelque chose de tout à fait malsain parce que le fait d'instaurer ou d'entretenir cette espèce d'atmosphère où ces choses-là ne doivent pas être nommées, où la question des origines ne doit pas être posée, ça consiste à entretenir de manière sous-jacente ce tabou, et c'est-à-dire aussi, du même coup, tous les stéréotypes et tous les fantasmes qui sont attachés à ces couleurs et à cette apparence. Et ça, c'est un problème.

  • Speaker #1

    Ça participe de l'imaginaire que quand on dit de quelqu'un qu'il est noir, c'est une insulte.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Et d'ailleurs, ça me fait penser à la question des mots dont tu parles, avec l'idée, les gens qui disent il est black ça c'est plus à la mode heureusement mais ça se dit encore beaucoup et c'est fait par quelque part pas avec une mauvaise intention souvent c'est fait avec une idée justement d'être délicat sauf que ça reconduit exactement ce que tu dis tu peux dire qu'il est noir c'est pas une insulte peut-être que ça participe de tout ce que tu décris là il y a cet inconscient collectif dépréciatif en fait tout à fait c'est l'interaction je dirais nuisible

  • Speaker #0

    entre d'une part cet inconscient collectif dépréciatif qui nous travaille souterrainement et l'idéologie républicaine qui vise à faire comme si désigner la différence était déjà une espèce d'atteinte à notre idéal de citoyenneté. Ces deux choses-là font extrêmement mauvais ménage. Elles font mauvais ménage parce qu'elles nous forcent vraiment à mettre cette poussière-là sous le tapis, comme si c'était la seule solution pour se débarrasser de ce genre de problème, c'est de ne pas... le nommer. C'est ça, en tout cas, ce que l'idéal républicain de citoyenneté est devenu en France, une espèce de figure idéale sans aucune caractéristique. Et ça, c'est vraiment le problème fondamental de la philosophie politique française, je crois, que je nomme à chaque fois, c'est son incapacité à penser en même temps l'égalité et la différence. Cet idéal de citoyenneté qui est centré, qui est absolument, comment dire... arc-bouté sur cette espèce d'idéal d'égalité, évidemment pas d'égalité économique bien entendu, mais d'égalité formelle, d'égalité juridique etc. de liberté et surtout bien sûr la liberté économique pour le coup, mais la question de la différence le paralyse absolument. Il faut censurer les différences, il faut les étouffer, il faut les briser, sinon on a l'idée à mon avis tout à fait fausse que la citoyenneté, la participation politique, la participation sociale devient impossible. Or, rien n'est plus faux. La seule motivation à participer à la vie politique, c'est justement de faire valoir des intérêts. C'est justement de dire, voilà en tant que pauvre ce que j'ai envie de passer comme message politique. Voilà en tant que noir, voilà en tant que femme, voilà en tant que trans, voilà en tant que... n'importe quelle minorité, voilà en tant que patron mes intérêts, voilà en tant que riche, voilà en tant que millionnaire, que milliardaire, ce que j'ai envie de voir appliqué dans ce pays-là. La politique, c'est avant tout faire valoir des intérêts. Je ne soustris pas du tout à cette espèce de mythologie issue de la philosophie des Lumières, selon laquelle on arrive dans l'espace public, dans l'espace politique, en ayant uniquement en tête le bien commun. Non, je suis malheureusement trop marxiste pour ça. Je pense que ce sont des conflits, des divergences d'intérêts, une lutte d'intérêts. lutte de classe et toute une série évidemment d'autres luttes qui sont le cœur de l'action politique. Et donc la citoyenneté idéale, l'idée qu'on pourrait uniquement penser à des lois qui bénéficieraient à tous les citoyens de manière absolument égale, c'est, je suis loin d'être le premier à le dire, une ruse de la bourgeoisie, une ruse de la suprématie blanche pour ne jamais qu'on s'attaque à... un certain nombre de problèmes.

  • Speaker #1

    C'est des raisonnements auxquels on n'est pas forcément habitués, parce que justement on baigne dans ce discours de la bourgeoisie, du citoyen universel. L'universalisme, c'est une valeur qui est considérée comme une valeur somptueuse d'émancipation, alors que justement on se rend compte que c'est plutôt un dogme assez centralisateur, qui cherche à homogénéiser les citoyens, qui explique aussi l'histoire de la France, qui comprend l'immigration comme devant être synonyme d'assimilation, c'est-à-dire que les gens qui immigrent doivent se départir de leurs caractéristiques et de leur culture et adopter les comportements de la France pour être des véritables Français. Et donc cette idée d'universalisme qui est au départ une universalité des droits et donc qui laisse une possibilité à la différence devient une universalité comme homogénéisation. Est-ce que c'est quelque chose que tu ressens encore aujourd'hui ? On peut peut-être passer à une analyse un peu de l'actualité. de la société française aujourd'hui. Alors, je précise, si vous nous écoutez, qu'on enregistre cet épisode trois jours avant les élections législatives du 30 juin.

  • Speaker #0

    Moment de vérité, premier tour.

  • Speaker #1

    Premier tour, ouais. Donc, on est dans un cadre un peu particulier. Donc, quand vous écouterez cet épisode, on sera quelques mois plus tard. Donc, je suis désolée, Norman, tu auras cette position très agréable qui est de faire la boule de cristal. Ou en tout cas... Non, peut-être pas la boule de cristal. Mais en tout cas, quand vous écouterez, la société aura peut-être un peu changé d'une manière ou d'une autre.

  • Speaker #0

    Qui est Premier ministre ? Est-ce Jordan ? Est-ce Jean-Luc ?

  • Speaker #1

    Jean-Luc, je ne pense pas.

  • Speaker #0

    Est-ce François Hollande ?

  • Speaker #1

    Horrible ! La capsule temporelle nous a ramenés en 2012. Ça va être le retour de Jean-Marc Hérault. Mais voilà. Est-ce que tu peux nous raconter aujourd'hui, toi, quelle est ta lecture de la société française dans un contexte historique comme celui qu'on est en train de vivre, où il y a une élection qui a des enjeux considérables ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est un petit peu difficile à dire. puisque je ne vis plus en France depuis un certain nombre d'années, même si j'y vais de temps en temps. Je ne vais pas dire qu'il y a une progression du racisme, mais les racistes cèdent, pour utiliser une formule assez célèbre de Jacques Lacan, du psychanalyste Jacques Lacan, les racistes cèdent de moins en moins sur leur désir. Ils se censurent de moins en moins. Le bel exemple de ça, c'est Ciotti. Et Ciotti a raison. C'est celui, comme je le disais, qui cède le moins dans son camp sur son désir. et qui suit la voie de la raison. Jean-François Copé et d'autres de ses collègues qui disent Non mais attendez, c'est un scandale, ce qu'il fait n'est pas républicain c'est évidemment hypocrite.

  • Speaker #1

    Quand il fait une alliance avec le RN, tu veux dire ?

  • Speaker #0

    Quand il fait une alliance avec le RN. Ils font la politique du RN depuis au moins, au moins, depuis que Chirac n'est plus aux affaires. C'est le dernier qui peut-être, au moins formellement, a maintenu le cordon sanitaire. qui considéraient que c'était vraiment l'une des raisons d'être, on va dire, de la droite en France, c'était ce cordon sanitaire, parce que c'est l'héritage de De Gaulle, etc. C'était cette philosophie politique, là. C'est pas pour dire que la droite française c'est génial et tout, absolument pas, c'est abominable.

  • Speaker #1

    Vous avez changé de programme sans vous en rendre compte, vous êtes passé sur un autre podcast.

  • Speaker #0

    On est sur Radio Courtoisie. C'est pour dire qu'à partir de Sarkozy, toute cette affaire-là change un petit peu. Ils ont commencé à trafiquer avec l'extrême droite de plus en plus sévèrement. Et Ciotti dit simplement, on a changé d'époque. Ça fait longtemps qu'on est d'extrême droite, regardez, on est raciste, non ? Vous avez vu ce qu'on a voté ? Tout simplement, il reconnaît la réalité. Il admet la réalité, il en tire les conséquences. Les deux ont fait du chemin, si vous voulez. C'est-à-dire que la droite française a fait... tout doucement son chemin vers le racisme et le Rassemblement national a refait tout doucement son chemin vers une politique économique de droite libérale et néolibérale. Ça devient un parti de droite tout à fait ordinaire et calque son programme sur le programme des Républicains. D'ailleurs, Sioti lui-même le dit, on a le même programme économique, etc. Ces deux parties de droite ont cheminé chacun vers l'autre. La droite traditionnelle issue de l'UMP. P, issu du RPR, etc., a cheminé de plus en plus vers l'extrême droite sur les questions de l'immigration, de l'islam. et de l'identité française, pendant que le Rassemblement national a cheminé de plus en plus vers la droite libérale française, en gardant ses thèmes racistes, mais en adaptant de plus en plus son programme économique au desiderata de M. Bolloré.

  • Speaker #1

    Je vais essayer de faire le lien entre ton manifeste afro-décolonial, dont tu nous as un petit peu parlé, sur tes analyses de l'émancipation possible et de la lutte. de cette idée que c'est la colère qui est au cœur de la lutte et qui permettrait une réappropriation, un horizon d'émancipation et de réappropriation. Et donc je voudrais faire le lien entre tes analyses philosophiques et l'actualité. Je suis très intéressée par ce que tu décrivais, le fait que c'est parce qu'il y a encore des situations néocoloniales en Afrique, parce que finalement il y a une ingérence des puissances occidentales en Afrique qui s'accaparent les ressources et qui font perdurer des États. de domination, des systèmes de domination et d'exploitation, que ce serait en s'émancipant de ces structures-là qu'on pourrait réhabiliter quelque part dans l'inconscient collectif l'image des personnes noires et que ça aurait une incidence sur le racisme aussi dans les pays occidentaux. Si j'ai bien résumé ta pensée, comment concrètement tu envisagerais ce projet décolonial, ce projet afro-décolonial, en lien avec vraiment le monde très incarné et l'actualité qui est la nôtre ?

  • Speaker #0

    C'est difficile de faire cette connexion dans la conjoncture qui est la nôtre, parce que malheureusement, ce n'est pas un thème qu'on a réussi à imposer. Il est vrai que l'actualité est assez particulière. L'actualité, et souvent en plus l'actualité africaine et le parent pauvre, en ce qui concerne les médias, notamment en France. Par ailleurs, certaines questions liées à la colonisation, les questions coloniales, ont été extrêmement centrales. dans la campagne des Européennes et dans cette campagne très courte des législatives. Je pense évidemment à la question du génocide à Gaza. C'était une question extrêmement débattue. Et on a des lignes tout à fait différentes. On voit la ligne de la France insoumise et du nouveau Front populaire n'est pas tout à fait parfaite, mais au moins il y a quelque chose qui va dans le sens de la reconnaissance. d'un État palestinien. Il y a aussi la question de la Kanaki Nouvelle-Calédonie, qui était une autre question coloniale extrêmement brûlante. Et là aussi, on a des options très différentes. Une option plutôt qui va vers dans le sens de la décolonisation à gauche et des options qui vont dans le sens du maintien du statu quo colonial à droite.

  • Speaker #1

    Illustration, je dis pour ceux qui nous écoutent, d'une mesure qui a été prise, qui me paraît totalement empreinte de colonialisme, de néocolonialisme, c'est qu'il y a une... si je ne me trompe pas, une dizaine de personnes qui ont été considérées comme des leaders du mouvement indépendantiste qui ont été ramenées en métropole pour être emprisonnées. Donc des gens qui sont emprisonnés à 15 000 kilomètres de leur famille pour être isolés. Quand même, on est complètement dans un imaginaire néocolonial.

  • Speaker #0

    C'est exactement ce qui arrivait à Toussaint Louverture lorsqu'il a été défait par les armées de Napoléon. Il a été emprisonné en métropole pour... l'éloigner de son peuple, de son armée, de ses soldats et de ses officiers.

  • Speaker #1

    Et ça reconduit l'idée que dans ces colonies, ou dans ces anciennes colonies, le mot ancienne est clairement sujet à débat, on peut disposer de la vie des personnes qui y habitent, comme des poules mobiles, parce que finalement, on les possède.

  • Speaker #0

    C'est vraiment une manifestation du caractère impérial de cette nation. Oui, nous avons des terres ici, nous avons des terres là. Même dans les discours de gauche, on entend parfois, Jean-Luc Mélenchon le dit, la France est présente sur les cinq continents. Parfois, oui, certaines personnes peuvent en tirer fierté, d'autres peuvent avoir froid dans le dos en entendant de telles formules. Bon, je vois un petit peu les relents universalistes qu'il tente d'y mettre. Je veux bien comprendre cela, mais il y a aussi des hectolitres de sang qui ont été versés pour ces territoires-là et qui continuent d'être versés.

  • Speaker #1

    Et qui viennent hanter, pour revenir à ce dont tu parlais tout à l'heure, leur deuil physique vient hanter un deuil psychique et symbolique qui marquerait aujourd'hui les populations qui sont encore opprimées dans ces endroits.

  • Speaker #0

    Oui, c'est exact. Eh bien, malheureusement, les questions pourtant extrêmement importantes stratégiquement qui concernent l'Afrique n'ont pas été objet de telles discussions. Il n'y a pas de véritable programme. de décolonisation ou d'émancipation africaine qui a acquis une place centrale dans le débat public. Ces questions coloniales, ces questions décoloniales... sont toujours la proie de l'actualité, alors que ce n'est pas une question d'actualité. Oui,

  • Speaker #1

    c'est une question au contraire d'histoire au long cours et de structure.

  • Speaker #0

    Absolument. La situation, par exemple, à Gaza, c'est une accélération de l'histoire qui a lieu.

  • Speaker #1

    Ça fait 75 ans que ça dure.

  • Speaker #0

    Exactement, ça fait 75 ans que ça dure. La situation aujourd'hui, c'est une différence de degré, une différence d'intensité, mais non pas une différence de nature. La situation coloniale perdure, comme tu viens de le dire, depuis plusieurs décennies. Et donc, on est un peu otage de l'actualité sur ces questions-là. Ce ne sont jamais des questions centrales. Et ce qui est normal, parce que la France bénéficie beaucoup, c'est plusieurs points de PIB qui bénéficient de ce rapport privilégié, je me fais des guillemets avec les mains, ce rapport privilégié avec l'Afrique.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous expliquer en deux, trois mots en quoi il y a encore des structures néocoloniales qui persistent ?

  • Speaker #0

    Pour le faire très simplement. Normalement, ordinairement, lorsque vous avez des ressources minérales, ce qu'on appelle des ressources minérales, ça veut dire par exemple un gisement de pétrole ou une mine de tantal, de coltan, je crois qu'on dit coltan en français, je ne sais jamais. C'est un métal rare qu'on utilise pour faire les processeurs des téléphones cellulaires et des ordinateurs portables. De l'iPhone de Lénine. Exactement, celui de Lénine aussi bien que celui de Xi Jinping, qui d'ailleurs a plus de rapports de rapport avec ça en tant que communiste. On le salue. Salut camarade, continue à faire ce que tu fais, t'inquiète pas, ton communisme, c'est de la balle. Mais ordinairement, ce qu'on conçoit, la manière dont on conçoit les choses, c'est que une entreprise vient là, elle extrait ses ressources, elle les achète au pays, à la nation qui possède ce sol, ou bien elle paye une espèce de location pour pouvoir être là, etc. Et après, elle doit... le revendre avec force taxe douanière pour l'exporter ailleurs. Donc, normalement, cette extraction bénéficie par des taxes, par des coûts, au pays où cette extraction a lieu. En Afrique, ça se passe différemment. Pourquoi est-ce qu'on parle de néocolonialisme ? Eh bien, parce que quand Areva va au Congo ou ailleurs, elle fait comme si elle était en France. Elle graisse la pâte à qui de droit, c'est-à-dire... que la manière dont l'argent circule là est, pour dire le moins, extrêmement obscure. Ça, avec le partenariat plus ou moins avoué ou plus ou moins secret de la France, à travers, par exemple, des aides publiques au développement, c'est-à-dire qui sont en gros des valises de billets, c'est un peu caricatural, mais malheureusement, pendant très longtemps, ça a fonctionné de la sorte, qui vont arroser des ministres, qui vont arroser des présidents, qui vont développer, on ne sait quoi. participer au développement du pays, afin d'acheter, non pas seulement leur silence, mais leur autorisation pour procéder à ces extractions. Pour faire, en gros, comme si on était chez soi. Et évidemment, c'est beaucoup moins cher d'enrichir un petit groupe d'individus pour avoir ces droits-là, que de devoir passer au crible d'un véritable système juridique, d'un véritable système économique, où chaque baril de pétrole va être pesé, chaque... tonnes de tantales va être pesée et on va dire, voilà combien ça te coûte. Là, tu as un blanc-seing, tu payes un forfait, en fait. C'est un peu le Netflix du pétrole. Tu es là, tu as le droit d'exploiter autant que tu peux, tant que tu me donnes tel nombre de millions à moi et à mes potes, chaque année ou chaque mois. C'est un peu caricatural, la manière dont je le dis, mais je pense que là, on comprend bien la perversion de la chose.

  • Speaker #1

    Tu donnes de l'argent et tu enrichis un petit groupe de personnes. qui font perdurer un système comme ça, où tu vas bypasser les structures juridiques. Donc, les personnes que tu enrichis sont plus puissantes, sont encore plus puissantes, et donc peuvent continuer une relation privilégiée avec des entreprises françaises. Et donc, ça court-circuite totalement l'État, qui est laissé impuissant devant la force et l'enrichissement de ces petits groupes.

  • Speaker #0

    Tout à fait, ça court-circuite l'État, en court-circuitant l'impôt. Qui dit court-circuiter l'impôt, dit pas d'argent pour améliorer les services publics en Afrique. les services publics africains qui ont été fortement travaillés au moment de la décolonisation pour une éducation de qualité, pour des hôpitaux, etc. Mais il y a eu un moment qu'on appelle le moment des plans d'ajustement structurel dans les années 80-90. C'est un moment où la Banque centrale s'est immiscée dans les affaires de nombreux gouvernements africains qui tendaient vers le socialisme. La Banque mondiale et le FMI... le FMI sont venus mettre leur nez là-dedans et dire mais c'est pas libéral votre système ce qui fonctionne c'est l'économie de marché si vous voulez qu'on vous prête de l'argent vous devez libéraliser, vous devez privatiser ces services publics Et donc, pour des États qui étaient déjà des États fragiles, ça a été un coup extrêmement dur. Et plus on sabote le service public, surtout dans ce genre de contexte où le néocolonialisme peut s'immiscer, moins on a de capacité à capter l'impôt. Et donc, c'est un cercle vicieux où les services publics vont être de plus en plus difficiles à maintenir et il y aura de moins en moins d'argent pour les alimenter. Les États se sont extrêmement appauvris à cause de ces plans d'ajustement structurel. Et... Maintenant, ils sont dans des situations où les multinationales ne payent, pour ainsi dire, pas d'impôts. Et il est très difficile de faire en sorte que les particuliers, dont beaucoup sont pauvres de toute façon, obtiennent leur argent en participant plus à l'économie informelle qu'à une économie régulée. C'est aussi très difficile de les astreindre à l'impôt. Et donc, l'État est dans une certaine situation d'impuissance.

  • Speaker #1

    Qui est en fait entretenue. Par le comportement de la France et des entreprises françaises, sous couvert d'aides au développement, en réalité, on...

  • Speaker #0

    C'est ça, et malheureusement aussi, et plus tragiquement encore, parce que les entreprises françaises jouent leur jeu, mais dans de nombreux pays, également par les gouvernements locaux qui en tirent bénéfice, puisque leur enrichissement personnel leur paraît nettement plus important que le maintien... de la bonne santé et de la pérennité de l'État. Je pense que c'est ça une des leçons du néolibéralisme, surtout lorsqu'on s'intéresse au contexte africain. On voit que c'est assez beau de rêver au dépérissement communiste de l'État, mais malheureusement, le dépérissement néolibéral de l'État, c'est une toute autre affaire. C'est une affaire de démultiplication des foyers de violence, de démultiplication de la misère. Et la réinvention d'une force ou d'un... d'une capacité d'action pour l'État. Et dans ce cadre-là, la seule manière, je pense, dans l'immédiat, de tendre vers davantage de justice sociale.

  • Speaker #1

    Je voudrais revenir un petit peu à la situation en France. Qu'est-ce que tu répondrais aux gens qui accusent les personnes qui revendiquent d'avoir des identités plurielles ? Je veux dire, je suis français, mais je suis aussi d'origine de tel ou tel pays, par exemple d'Afrique. Et souvent, ces personnes qui revendiquent le droit à avoir leur propre pratique culturelle sont souvent taxées de communautarisme, de séparatisme, voire d'être violents, une menace pour la République. Qu'est-ce que tu répondrais à ça ? Quel serait un modèle de République, une compréhension de la République qui pourrait fonctionner avec ces revendications ?

  • Speaker #0

    Je pense que ce type de menace est fortement, fortement exagéré et terriblement fantasmé. Pour le coup, c'est assez simple de répondre à ça, parce que c'est tellement incroyablement faux, et c'est une perspective si fermée que j'en suis souvent sans voix. Il suffit de se déplacer, par exemple, là où je vis, en Grande-Bretagne, pour se rendre compte que le modèle multiculturel n'est pas l'espèce de guerre civile permanente que certains intellectuels français conservateurs s'imaginent, ou certains hommes politiques de droite s'imaginent. Le fait de pouvoir porter un voile en faisant tout un tas de professions différentes, c'est quelque chose auquel j'assiste quotidiennement à Édimbourg et auquel n'importe quel habitant de Grande-Bretagne assiste quotidiennement sans que ça cause quelque type de violence ou quelque type de déstabilisation de l'État que ce soit. Mais c'est vrai qu'on pose souvent le multiculturalisme anglo-saxon comme une espèce de... contre-modèle absolu, comme une espèce de système effroyable. Et j'avoue que je ne sais pas pourquoi, je trouve ce système infiniment plus vivable qu'un système où on dit aux jeunes, aux enfants, quoi faire. J'ai une fille qui est à l'école primaire, elle a 7 ans, et parfois, quand c'est les fêtes indiennes, l'Aïd, les Pâques, on célèbre un peu toutes les fêtes. Et donc il y a ce côté un peu multiculturel. On va parler de cette culture, etc. Oui, il y a un côté un peu gnangnan, un peu naïf, si vous voulez, mais c'est des enfants. C'est bien pour les enfants, je trouve.

  • Speaker #1

    Je ne trouve pas ça nirgant du tout, à vrai dire. C'est plutôt cool.

  • Speaker #0

    Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas révolutionnaire, évidemment. Ce n'est pas avec ça qu'on change le monde. Mais pourquoi pas ? Pourquoi pas ? Ça fait plaisir à tout le monde. Et c'est bien de faire des choses un peu naïves pour les enfants. C'est bien pour les kids de célébrer leurs particularités. Ça leur donne de la confiance en soi. Ça apporte de la culture aux jeunes. Et même pour les autres, ça leur ouvre l'esprit sur quels sont les différents types. de populations qu'on trouve dans ce pays, dans cette ville. On les interpelle à partir de leurs différences pour les mettre en valeur. C'est une méthode éducative qui est employée là-bas. Et je ne vois pas quel est le problème. C'est tout à fait que ça devienne un objet de discussion et par là même un objet éducatif, un objet de pédagogie. De pédagogie justement à la citoyenneté. Non pas à la citoyenneté abstraite, mais de manière pratique, comment coexister avec des personnes qui n'ont pas les mêmes croyances, qui n'ont pas les mêmes manières de vivre, qui n'ont pas la même langue maternelle, mais qui se retrouvent dans cet endroit où tout le monde parle anglais et où, voilà, il y a la reine au-dessus, enfin, le roi, maintenant. J'avais pas prévu qu'on parle de la reine. Non, non, non. Très bien, allons-y. Maintenant, c'est le roi. C'est le roi Charles, maintenant. Et encore une fois, c'est nullement un modèle révolutionnaire. C'est un modèle social libéral, mais on a des choses à apprendre et à retenir de bien du libéralisme politique. Et en l'espèce, je pense que le multiculturalisme, sans qu'il soit évidemment parfait, a de très bons côtés. Et à mon avis, pour les citoyens, et surtout les citoyens membres de minorités, j'imagine, un modèle infiniment supérieur au républicanisme. En tout cas, au républicanisme comme on le comprend en France. Parce que le républicanisme en Grande-Bretagne, ça veut juste dire être contre les rois, etc. Et bon, je reste contre les rois, je reste contre les rois et tout. Je reste français malgré tout. Je pense que si la Grande-Bretagne était une république et qu'on votait pour un président, ce ne serait pas plus mal. Surtout si tous ces nobles la rendaient toutes les terres qu'ils ont, parce que c'est une autre dinguerie. Mais en tout cas, le modèle multiculturel, je le trouve plus vivable. Je pense que c'est une bonne chose pour tout le monde.

  • Speaker #1

    Oui, ça dépassionne. En plus, la différence devient, comme tu le disais. source de confiance en soi, de partage, et non plus quelque chose qui est pointé du doigt, qui conduit à un repli sur soi, à une identité fermée, une identité très excluante, en fait.

  • Speaker #0

    Il y a cette espèce d'idée, d'imaginaire qui est souvent agitée par l'extrême droite, selon laquelle la société multiculturelle c'est une société des dénaines multiples, une société incroyablement violente, et ça nous dira, regardez les modèles de sociétés culturelles. C'est les États-Unis, c'est le Brésil, regardez comme ces sociétés sont violentes, etc.

  • Speaker #1

    Mais ce n'est pas vraiment ça le problème.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas vraiment ça le problème. Ces sociétés ne sont pas violentes parce que ce sont des sociétés multiculturelles. Elles sont violentes parce que ce sont des sociétés bâties sur le colonialisme de peuplement. Toutes les sociétés bâties sur le colonialisme de peuplement sont des sociétés incroyablement violentes. C'est pour ça que toutes les sociétés américaines en général sont très violentes. À part lorsqu'elles ont vraiment réussi par la violence à atteindre une homogénéité. ethniques, raciales, comme l'Argentine par exemple. L'Argentine, c'est l'Italie. C'est l'Italie, c'est magnifique, c'est génial. Ben oui, il n'y a que des Blancs, ils ont tué tout le monde. Ils ont tué tous les Noirs. Forcément, là, ça vous plaît. Ça vous plaît un pays d'Amérique latine où il n'y a que des Blancs aux yeux bleus qui s'appellent Marcello.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous les Argentins qui nous écoutent.

  • Speaker #0

    Oui, vous savez ce que vos ancêtres ont fait.

  • Speaker #1

    Le colonialisme de peuplement, pour ceux qui nous écoutent, c'est quand le pays colonial fait venir sa population dans le pays colonisé afin justement d'imposer sa culture et de dominer ce nouveau pays, pas seulement par les armes, mais aussi par la culture,

  • Speaker #0

    de s'y implanter, de faire un grand remplacement. C'est différent des colonies d'exploitation. Après, il y a plusieurs modèles d'économie, mais je dirais que les deux grands modèles, c'est colonies de peuplement et colonies d'exploitation. Colonies d'exploitation, c'est ce qu'on a connu pour l'essentiel à travers l'Afrique noire. C'est-à-dire, on envoie juste un petit nombre de coloniaux, c'est-à-dire des militaires et des fonctionnaires, pour faire tourner d'autres types de machines, c'est-à-dire de l'exploitation de ressources essentielles. C'est pour ça qu'on dit colonie d'exploitation. On ne cherche pas à y implanter des autochtones européens. Et pourquoi on ne l'a pas fait ? Parce que le climat, on n'aimait pas trop le climat. C'est ça les justifications ? Bien sûr, les Blancs ne peuvent pas vivre là. Pourquoi est-ce que vous avez les deux grandes colonies de peuplement historiquement en Afrique ? C'est l'Afrique du Sud et l'Algérie. Parce qu'ils sont aux deux extrêmes. Ils ne sont pas sur le tropique. Ils ne sont pas sur les dessous des tropiques. Ou sous l'Équateur. Et donc,

  • Speaker #1

    on est maintenant dans l'émission Le Dessous des Cartes.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Comment le relief et le climat organisent une géographie politique.

  • Speaker #0

    Absolument. C'est des endroits qui n'étaient pas très visibles. Les Blancs ne voulaient pas y aller. Mais l'Algérie, c'est super, le climat, c'est la Méditerranée, etc. Et l'Afrique du Sud aussi, c'est pas mal comme climat. Donc là, les Blancs pouvaient y aller. Après, en Amérique latine, c'est un peu différent. C'était l'époque des conquistadors, les Espagnols et les Portugais étaient un peu des cinglés. Et d'ailleurs, ils ont rationalisé ça parce que, eux, racialement, ils n'avaient pas exactement les mêmes idées que les Anglais, que les Britanniques et les Français. Donc, ils se sont dit non, mais nous, on va se métisser à gogo et comme ça, nos descendants supporteront mieux le climat.

  • Speaker #1

    Là encore, c'était des questions vraiment aussi spécifiques que ça ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, c'est des questions si bêtes que ça.

  • Speaker #1

    Mais il y a vraiment des gens... Ça me semble incroyable.

  • Speaker #0

    Expliquement, il se soit dit... Il se pose des questions. La question du métissage et la question de la résistance au climat, c'est malheureusement une question que tout le monde s'est posée. Parfois, ils ont décidé qu'il fallait du métissage à gogo, mais ça, c'est les Portugais. Mais après, c'est souvent lorsqu'il s'agit de questions en dessous de la ceinture, ce sont souvent que des rationalisations a posteriori de nos désirs et de nos pulsions les plus primaires. Les Portugais voulaient pouvoir violer à gogo ou même prendre femme, etc. Et donc, ils se sont dit, oui, on va créer une descendance métissée, on s'en fiche, c'est pas grave, etc. Et le puritanisme britannique jugeait que ce n'était pas une très, très bonne idée. Et donc, ils ont instauré une véritable censure du rapport interracial qui a culminé dans ce qui est devenu la colonie américaine. Oui, le ségrégationnisme interdit. Le ségrégationnisme interdit, interdit, interdit. Et si même... noir est vu en train de faire un clin d'œil à une blanche, il est lynché directement. Il y a une espèce de culture de l'interdiction de toute promiscuité raciale qui est extrêmement intense. Et entre les deux, vous avez les Français qui étaient le cul entre deux chaises, c'est-à-dire, oui, un peu de métissage si on veut, mais ça devient une espèce particulière. Les gens de couleur, ils ont un statut différent. Et il y a quand même une aristocratie de la blancheur et une blancheur. aristocratiques. Les grandes familles, c'était quand même souvent des aristocrates à Saint-Domingue, etc. Et puis après, en Martinique, en Guadeloupe, etc. Maintenir une certaine pureté, etc. où la branche métissée de l'arbre généalogique devient quand même une espèce de branche inférieure, etc. de cette lignée. Oui,

  • Speaker #1

    on le tait. D'ailleurs, si je ne me trompe pas, par exemple, sur l'histoire d'Alexandre Dumas, pendant longtemps, on a tué ses origines métissées, justement à cause de ça. Oui,

  • Speaker #0

    mais c'est dans un... Dans un deuxième temps, parce qu'à l'époque, on savait qu'ils faisaient partie de ce qu'on appelle les gens de couleur. C'est-à-dire, en gros, les mulâtres, les métisses. C'est une catégorie juste qui désigne les noirs libres. Et quand je dis les noirs libres, ça veut dire des personnes qui ont au moins une goutte de sang africain. Et donc, esthétiquement, ils peuvent être facilement pris pour une personne blanche ou avoir des origines africaines extrêmement visibles. Mais c'est une catégorie sociale, une catégorie raciale, une catégorie... politique. Et on savait pendant longtemps que Dumas faisait partie de cette catégorie des gens de couleur. Les contemporains le savaient, mais c'est après qu'on l'a oublié pour réécrire justement un petit peu cette espèce de légende républicaine de la littérature française, où voilà, on ne va pas s'intéresser à ce genre de basse question, c'est juste une grande plume de la littérature française. On a universalisé Dumas. Voilà, on a universalisé Dumas.

  • Speaker #1

    J'ai commencé par te demander ce qu'était pour toi la philosophie. Et j'aimerais terminer cette interview en te demandant quel est pour toi le rôle du philosophe dans la cité ?

  • Speaker #0

    C'est encore une vaste question, mais j'ai commencé à répondre tout à l'heure en parlant de cette reconnexion avec notre propre misère. Je pense que c'est la première étape. Parler des choses qui posent problème, mais qui posent problème terriblement. tragiquement, parler des questions graves. Et je pense que c'est ce qu'on a fait. On n'a fait que ça pendant cette conversation. On a essentiellement parlé des questions les plus tragiques. Amener dans l'espace public, amener ces questions difficiles. Aussi, les connecter à leur profondeur historique. Réinscrire ces questions-là dans l'histoire. Amener une forme de connaissance ou de compréhension. plus large.

  • Speaker #1

    Mise en perspective.

  • Speaker #0

    Mise en perspective des éléments de connaissance. S'agit-il pour autant d'apporter des solutions ? Si on en a, tant mieux ! Mais la plupart du temps, on n'a pas de solution toute faite.

  • Speaker #1

    On essaye en tout cas.

  • Speaker #0

    On essaye, en tout cas, on essaye de s'orienter vers le fait de chercher collectivement une solution. Je n'aime pas spécialement cette espèce de figure solitaire du philosophe, même si je le suis. Je suis cet individu, cette espèce d'ermite dans sa caverne qui passe son temps à lire des ouvrages pour apprendre à écrire des ouvrages imbitables. Oui, c'est moi. Mais pas dans l'idée que je vais trouver des solutions tout seul. C'est pour ça que j'écris ce manifeste. Ce manifeste, c'est vraiment un hommage. aux mouvements noirs, aux mouvements décoloniaux, aux mouvements panafricains, tenter non pas de leur apporter des solutions, mais de leur apporter des clarifications, de leur apporter une perspective, tenter d'enrichir des discussions qui existent déjà, accompagner un engagement. C'est fondamental, même si ça va contre notre nature parfois, ce qui est mon cas, d'avoir quand même, de garder quand même une prise sur le collectif, une prise sur des actions collectives, sur du militantisme, d'essayer d'être en prise sur... ce qui se fait sur l'actualité. Je pense que c'est très important pour essayer d'avoir un discours le plus pertinent possible, savoir à qui on s'adresse et essayer de participer à des discussions qui existent déjà autant que faire se peut. Plutôt que d'avoir cette sorte de vivre, cette sorte de mythe, de l'aérolite génial qui va s'écraser sur le monde en s'ouvrant à portée. inonder le pays de vérité absolument fondamentale. Ce n'est pas ça la mission du philosophe, selon moi. C'est participer à donner des armes aux personnes qui se battent pour des causes que nous estimons justes.

  • Speaker #1

    Merci. Merci Norman Hajari pour cet échange. Je retiendrai trois émotions, les émotions philosophiques dont on parlait, la colère, la joie et la stupeur. Je pense que j'ai ressenti les trois pendant notre discussion. Merci. Merci pour cet échange incroyable.

  • Speaker #0

    Merci pour cette invitation, j'en suis honoré.

  • Speaker #1

    Avec grand, grand plaisir. À bientôt.

  • Speaker #0

    Bye.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un entretien du Fil d'Actu. J'espère que l'épisode vous a plu. Et avant de se quitter, je voulais vous dire un petit mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant et sans publicité. Et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent. en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien et on se retrouve mercredi pour un nouvel épisode du Fil d'actu.

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Description

De quoi les Noirs souffrent-ils ?  Quels sont les obstacles, les violences, les privations, les humiliations qui définissent l’histoire qui est la leur ? 

Voilà les questions qui animent les recherches du philosophe Norman Ajari.


Norman Ajari étudie les Black Studies à l’université d’Edimbourg, et il vient de publier un Manifeste Afro-décolonial. Il s’interroge sur la déshumanisation contemporaine des Noirs à travers l’histoire de l’esclavage et du colonialisme, et propose une critique radicale des rapports de race, de pouvoir et de violence.

Il m’a fait l’immense honneur d’être mon premier invité pour les entretiens du Phil d’Actu. Une conversation essentielle pour comprendre notre monde, dévoiler ses fractures, et envisager des possibilités de réconciliation.



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  • Speaker #0

    Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui remet la philosophie au cœur de l'actualité. Ici, pas de philo prétentieuse et déconnectée du monde, mais une philo accessible et ancrée dans la société. Tous les mercredis, je vous propose une chronique commentant l'actualité et, une fois par mois, l'interview d'un ou d'une philosophe contemporaine. Prêt et prête pour une philosophie vivante et engagée ? Bienvenue dans le fil d'actu. De quoi les Noirs souffrent-ils ? Quels sont les obstacles, les violences, les privations, les humiliations qui définissent l'histoire qui est la leur ? Voilà les questions qui animent les recherches du philosophe Norman Hajari que vous allez entendre aujourd'hui. Norman Hajari étudie les Black Studies à l'Université d'Edimbourg et il vient de publier un manifeste afro-décolonial. Il s'interroge sur la déshumanisation contemporaine des Noirs à travers l'histoire de l'esclavage et du colonialisme et propose une critique radicale des rapports de race, de pouvoir et de violence. Il m'a fait l'immense honneur d'être mon premier invité pour les entretiens du Fil d'Actu, une conversation essentielle pour comprendre notre monde, dévoiler ses fractures et envisager des possibilités de réconciliation. Vous allez entendre une réflexion intense, souvent inattendue. Une philosophie vibrante, incarnée. La philosophie de Norman Najari vous prend aux tripes. Et je n'ai aucun doute qu'elle vous bouleversera autant qu'elle m'a parfois laissé sans voix. Bonjour Norman. Salut. Merci d'avoir accepté l'invitation dans le fil d'actu.

  • Speaker #1

    Merci de m'inviter pour ce premier entretien.

  • Speaker #0

    Et oui, c'est effectivement mon première interview, donc je suis un peu émue et stressée. Et super honorée que ce soit toi qui fasses cette interview.

  • Speaker #1

    Tout l'honneur est pour moi.

  • Speaker #0

    Ah, bon, j'aime beaucoup ces civilités, ces politesses. Alors, on va commencer tout de suite. Première question, mais une question qui me taraude pas mal, et je pense que je n'ai pas tout à fait résolu malgré toutes mes années de philosophie. C'est quoi pour toi la philosophie ? C'est quoi la définition de la philosophie et du philosophe ?

  • Speaker #1

    Oula, on commence tout de suite. Très, très fort, ça tape fort directement. Je n'ai pas vraiment de définition, de définition massive de la philosophie. à la Deleuze, qu'est-ce que la philosophie, ou à la Gamben, et peut-être ce que j'essaye de faire, ou ce qui me semble le plus intéressant dans l'exercice philosophique pour moi. Et là, j'irais plutôt du côté d'un philosophe allemand du XXe siècle qui s'appelle Théodore Adorno. L'une des choses qu'il dit, je ne suis même plus sûr que ce soit exactement une définition de la philosophie, mais en tout cas, il parle de la nécessité, pour la pensée, de nous reconnecter à notre propre misère.

  • Speaker #0

    Ah, c'est beau !

  • Speaker #1

    C'est pas mal, je pense que c'est dans les minima moralia, c'est son espèce de recueil d'aphorismes et de textes assez courts qu'il écrit pendant la Deuxième Guerre mondiale.

  • Speaker #0

    Se reconnecter avec sa propre misère. Oui. C'est magnifique.

  • Speaker #1

    Ça, je pense que c'est quelque chose de tout à fait important, surtout lorsqu'on est dans des temps troublés, surtout lorsqu'on travaille sur des questions comme moi, des questions de racisme, de conditions noires, de violences sociales et politiques. Ce rôle de la philosophie, que je ne considère pas comme un absolu, que je ne considère pas comme étant... l'essence de la philosophie, mais plutôt ce qui m'intéresse, ce qui m'a intéressé depuis de nombreuses années dans cette discipline ou dans cet exercice intellectuel, c'est d'aller chercher une compréhension de ce qui nous fait souffrir, au lieu de tenter de le dissimuler, de le dévoiler, de l'habiter, de le comprendre. Et en ça, c'est une manière de concevoir la philosophie qui est assez différente à la fois de ce qui est à la mode, c'est-à-dire... Toutes les hybridations de la philosophie avec le développement personnel, etc.

  • Speaker #0

    On pourra en parler si tu veux.

  • Speaker #1

    Ou même des choses un petit peu plus nobles, comme par exemple des grands philosophes comme Deleuze, etc. qui insistent beaucoup sur Spinoza, sur la joie, etc. Avec cette idée que je n'ai jamais réussi véritablement à comprendre, même du point de vue politique, selon laquelle la résistance politique serait du côté de la joie. Je n'ai jamais réussi à... adhérer à cette idée, je n'ai jamais compris d'où ça venait en fait. J'ai toujours eu l'impression spontanée que la joie, c'était fondamentalement un affect qui est du côté de l'obéissance. Il n'y a rien de plus facile que de manipuler et d'imposer ses options à un peuple joyeux. Il n'y a rien de plus bête que la joie d'une certaine façon.

  • Speaker #0

    L'imbécile heureux en fait.

  • Speaker #1

    Voilà, c'est exactement ça. C'est l'imbécile heureux. Et encore, je trouve que le bonheur a... à plus de noblesse que la joie. La joie, il y a une espèce d'hébétude. Je ne sais pas si tu te souviens, le film classique des philosophes, Matrix. Dans Matrix, c'est ce personnage très intéressant qui s'appelle Cypher. C'est un type...

  • Speaker #0

    Celui qui mange le steak à un moment.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. C'est celui qui mange le steak dans Matrix 1. Celui qui choisit de revenir, enfin qui projette de revenir à ce monde imaginaire de la Matrice, c'est-à-dire de perdre sa connaissance, de perdre sa connaissance des enjeux réels du monde, c'est-à-dire le fait que le monde est une simulation qui vise à maintenir l'humanité en tant que ressource. absorbé par les machines. Bref, en gros, on est exploité à notre insu et on vit dans une simulation, notre cerveau vit dans une simulation alors que notre corps est exploité. Lui se rend compte de ça et dit Mais moi, j'ai envie de revenir à cette sorte de vie primordiale, de vie luxueuse que m'offre la simulation. Je veux oublier la réalité et je veux m'enfermer dans cet espèce de monde de joie perpétuelle que m'offre la simulation. Cette espèce d'apologie de la joie dans le monde, à de nombreux égards, injuste, abjecte, abominable dans lequel on vit, a quelque chose de tout à fait obscène. Et je ne peux pas concevoir une philosophie dont le but, l'objectif serait cette espèce de quête ou de recherche de la joie, cette recherche de la consolation. Au contraire, je pense que... Il n'y a rien de plus nécessaire, de plus indispensable que de nous reconnecter à notre propre misère et au contraire de déclencher la colère, le dégoût, même la détestation de ce type de situation. Et je pense que c'est ça qui provoque la résistance, c'est ça qui provoque la révolte, c'est ça qui provoque la rébellion contre cette situation, pas la joie. On peut avoir des moments de joie dans la révolte. des moments de joie du fait d'être ensemble. Mais ce n'est certainement pas un point de départ.

  • Speaker #0

    D'accord, c'est un point d'arrivée éventuellement.

  • Speaker #1

    C'est un point d'arrivée éventuellement et c'est quelque chose qui nécessairement alimente la lutte. On a ces moments un petit peu d'extase qu'on peut avoir collectifs, dans le militantisme, dans l'engagement, dans la pensée, mais ce n'est ni le point de départ ni le moteur de ce qu'on fait. Si on en arrive à ne rechercher que ce type de satisfaction et non plus une véritable transformation du monde ni... par le sentiment, la conscience et la compréhension du fait que ce monde est détestable, alors on n'a pas ce qu'il faut pour parvenir à un but. Si le militantisme provoque tellement de joie qu'on veut qu'il dure, alors on va continuer à militer au lieu de tenter de faire en sorte d'arrêter de militer en archevant le projet qu'on recherche.

  • Speaker #0

    Pour toi, à quelle émotion est associée la philosophie ? Moi, je pense que la philosophie, c'est quelque chose... très émotionnel quand même. Les gens qui prétendent que c'est juste une vue de l'esprit totalement désincarnée, désincorporée. Je ne suis pas du tout d'accord avec cette conception-là. Et je pense que oui, c'est quelque chose qui nous prend aux tripes au départ. Je dis toujours que on fait de la philosophie pour moi parce que la psychothérapie n'est pas remboursée par la sécu. Et que du coup, il faut y aller. Donc en fait, on a une colère à canaliser.

  • Speaker #1

    C'est pas mal. Et pour répondre à ta question sur les affects. fondamentaux de la philosophie ou les sentiments fondamentaux de la philosophie, on sait que, traditionnellement, pour revenir encore une fois à ces bons vieux grecs classiques, à Platon, pour les grecs, la philosophie a pour affect fondamental le taumazène, c'est-à-dire ce qu'on traduit le plus souvent par l'émerveillement ou l'étonnement. Et à cela, le philosophe camerounais Fabien Ebussiboulaga avait donné une réponse que je trouve tout à fait fascinante. Il avait dit, pour la philosophie africaine, ça ne commence pas par l'émerveillement ou par l'étonnement, mais cette philosophie commence par la stupeur causée par une défaite totale. Parlons évidemment de la colonisation, de l'esclavagisme, etc. Évidemment, avec le travail que je fais, c'est une analyse qui a beaucoup d'écho, puisque je passe un temps considérable à lire des horreurs, des récits de torture. issus de l'esclavage, etc. Parfois, j'ai assez souvent, de plus en plus souvent, l'impression de pratiquer la philosophie dans une chambre de torture parce que c'est le type de recherche que j'ai choisi de faire, le type de travaux que j'ai choisi de faire, ce qui est quand même quelque chose d'assez étrange, d'un petit peu malsain. Mais je me dis qu'il faut bien que quelqu'un le fasse. Parce qu'on n'est pas très nombreux à faire ça. J'ai la conviction de... qu'il est nécessaire de se poser ce genre de questions. Et c'est sûr, ce ne sont pas des sujets ou ce ne sont pas des choses qui rendent heureux. Ce n'est pas la quête du bonheur promise par Montaigne et par le développement personnel. Non,

  • Speaker #0

    c'est sûr que tu n'es pas dans l'apaisement et la sérénité.

  • Speaker #1

    Non, pas du tout.

  • Speaker #0

    Tu es dans la mission, quelque part. Est-ce que tu décris, c'est presque une mission de dévoilement, de mise à jour de ce envers quoi d'habitude on tente de fermer les yeux et de faire l'autruche en fait ?

  • Speaker #1

    Voilà, oui, c'est vrai, c'est une manière de le dire. Il y a de ça, il y a cet affect là qui nous pousse à fréquenter des choses parfois atroces et à fuir la consolation comme la peste.

  • Speaker #0

    Et alors justement, parce que là on tourne un peu autour de tes thèmes, mais est-ce que tu pourrais nous résumer tes grands thèmes de recherche, tes grandes analyses ? ton approche ?

  • Speaker #1

    Je dirais que peut-être l'idée la plus basique de mon travail est que dans de nombreuses métaphysiques africaines, dans de nombreuses visions du monde africaine, il n'y a pas de limite tranchée entre le monde des vivants et le monde des morts. Dans le monde chrétien, la frontière entre les vivants et les morts est extrêmement bien définie. C'est pour ça que... lorsque le Christ ressurgit d'entre les morts, c'est l'événement du millénaire, même de plein de millénaires, de tous les millénaires, d'une certaine façon.

  • Speaker #0

    C'est un petit happening,

  • Speaker #1

    quand même. Voilà, oui, c'est quand même le gros truc. C'est le gros truc. Mais lorsque, dans les pensées, dans les philosophies d'Afrique de l'Ouest, les spectres reviennent, c'est juste les ancêtres qui sont encore parmi nous. Ils ont des choses à nous dire. C'est pas si... fabuleux que ça. C'est même plutôt ordinaire. Nos morts sont encore parmi nous si on continue à penser à eux. Ce que j'ai cherché à penser, c'est la subsistance de ce type de pensée au-delà du moment colonial et notamment du moment esclavagiste. Les esclaves ont vécu des situations qu'eux-mêmes, lorsqu'ils ont survécu, ont souvent décrites comme pire que la mort. Et les esclavagistes, comme les esclaves, étaient sidérés du fait que les Africains aient résisté de façon assez exceptionnelle parfois au type de violence qu'ils ont subi. Et je pense que cette conception de la réversibilité entre la vie et la mort est l'un des éléments fondamentaux qui leur ont permis de résister à la violence coloniale. Parce qu'ils ont survécu au deuil de manière différente et ils ont compris que cette traversée de la mort pouvait avoir un sens, pouvait avoir une signification, non pas dans l'au-delà, mais demain, dans ce monde. Il y avait une conception différente de la mort et de la vie. Et donc ce qui m'intéresse, c'est ce rapport entre les technologies coloniales, esclavagistes, néocoloniales, de la violence, de l'exploitation économique, de la mise à mort, et comment certains types de philosophies qui repense le rapport entre la vie et la mort, nous aide à nous rebeller contre ça.

  • Speaker #0

    Comment est-ce que, selon toi, cette frontière poreuse entre la vie et la mort, quelles sont les conséquences, justement, sur ce que tu décris ? Est-ce que ça veut dire qu'il y a une résistance, une résilience par l'idée qu'il faudrait une transmission, un témoignage ? Est-ce que c'est ça ce que tu laisses entendre ? Est-ce que c'est autre chose ? Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

  • Speaker #1

    Cette question de transmission est extrêmement importante. Le fondateur du parti des Panthères Noirs, le Black Panther Party, Huey Newton, dans son autobiographie qui s'intitule, sacré titre, Le suicide révolutionnaire Ça pose un homme. Ça pose un homme.

  • Speaker #0

    On revient à la misère et à la colère dont on a parlé.

  • Speaker #1

    Je n'avais pas menti. J'avais joué carte sur table. C'est ça. Il parle de ça, la manière dont cette transmission des luttes du passé, les révoltes d'esclaves, les révoltes d'Africains sur les côtes atlantiques qui refusaient de se laisser embarquer sur les bateaux, qui coulaient les bateaux par le fond. Plein de choses dont on ne parle guère, plein de choses qu'on ne transmet pas. Comment la transmission de cela... nous permet d'une part, en tant que Noir, de transformer l'image, donc le tome qu'on peut avoir de nous-mêmes, l'image de béni-oui-oui, l'image de faiblard, d'ignaux, de crétin, qu'on peut avoir de nous-mêmes, et aussi comment ça enrichit notre vision aujourd'hui et comment ça nous aide à lutter contre la mort, contre notre propre mort, ce que lui-même appelle une mort spirituelle. Huey Newton dit que les Noirs... aux États-Unis, mais ce serait valable malheureusement pour beaucoup d'endroits du monde, souffrent d'une mort spirituelle. On a tendance à se laisser suicider. À se laisser mourir, à se laisser dépérir spirituellement. Et au-delà, dans notre propre vie, à ne plus rien attendre de l'existence, en vivant sous une forme de menace, en croyant aux langages dépréciatifs et humiliants qui sont tenus sur nous-mêmes, en y accordant trop de crédit. Cette reconnexion avec une certaine profondeur historique, cet exercice de connaissance et cet exercice de mémoire collective, de pouvoir se laisser hanter justement. des spectres du passé.

  • Speaker #0

    Comment la mort physique des personnes noires du passé permet de lutter contre la mort spirituelle et symbolique des personnes noires aujourd'hui qui sont disqualifiées, dépréciées. C'est absolument magnifique.

  • Speaker #1

    Regarde George Floyd. Regarde Adama Traoré. C'est des types d'engagement politique, de mobilisation politique autour... de la mort d'une personne, récemment même aussi avec Naël, ce sont des types d'engagements collectifs qui sont propres à ce type de mise à mort. Et ça rejoue toute cette histoire anticoloniale. Ça rejoue toute cette histoire de politisation collective des processus de deuil.

  • Speaker #0

    Politisation collective des processus de deuil. L'idée que la mort n'est pas quelque chose qui nous frappe individuellement.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas une affaire privée.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas une affaire privée.

  • Speaker #1

    On ne va pas juste mettre du noir. processionner devant une église ou une mosquée et pleurer en silence. On va porter ça dans la rue, et s'il le faut, dans une confrontation avec les forces de l'ordre qui sont responsables de ces morts. Reconnecter notre collectif à sa propre misère, comme je le disais. Et là, en l'espèce, dans les cas qu'on vient de décrire, on a vu la cause de cette misère. C'était les mains ou les armes des flics. Et donc, le deuil, c'est aussi un processus, dans ce cadre-là, de conscientisation de ça, se rendre compte de la nature, des mécanismes de la violence sociale qui ont conduit à ces mises à mort injustes.

  • Speaker #0

    Dans ce cas, il y a à la fois une réappropriation symbolique, pour essayer de comprendre comment on en est arrivé à une telle mise à mort, que cette mise à mort donne lieu à une émotion collective de colère qui permette de se réapproprier une place dans la société, ou en tout cas de lutter en vue de se réapproprier une certaine place dans la société.

  • Speaker #1

    C'est tout à fait ça.

  • Speaker #0

    J'ai presque envie de m'arrêter. Non, on ne va pas s'arrêter. Mais bon, est-ce qu'on pourra faire mieux ? On sent à quel point c'est quelque chose qui est très émotionnel chez toi. On sent quand on parle. que ce n'est pas du tout une philosophie froide. Pas du tout. On sent que c'est quelque chose que tu as dans ta chair. Est-ce que tu peux nous parler de ton éveil à la fois philosophique et ton éveil à ces thèmes-là ? Qu'est-ce qui, dans ton histoire, dans ton parcours, fait qu'aujourd'hui, tu parles de ces thèmes de cette façon-là, qui est extrêmement puissante ? Très sincèrement, j'en ai des frissons tout à l'heure quand on en parlait. Et voilà, est-ce que tu peux nous transmettre un peu ton histoire ou en tout cas, des parties de ton histoire qui te paraissent significatives et des choses que tu as envie de partager ?

  • Speaker #1

    Oui, je suis nigérian de par mon père et lorrain de par ma mère. Je suis né aux États-Unis, mais j'ai grandi en France. L'endroit où j'ai grandi, pendant la Deuxième Guerre mondiale, faisait partie du Reich allemand. C'est-à-dire que ce n'était pas un territoire occupé. C'était littéralement un territoire, ça faisait partie du territoire avec l'Alsace. L'Alsace et la Moselle ont été appropriées par le Reich allemand. Parce que Hitler disait, ici c'est des germaniques, et donc... Ça appartient au Reich. Ça appartient au Troisième Reich. Et donc, ma grand-mère et peut-être mon grand-père aussi, je ne sais plus, ont fait leur test d'arianité. Vous savez, pour savoir si c'était des vrais ariens. Je peux dire que je suis 50% arien. C'est quand même rigolo.

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que je ne l'avais pas vu venir. Et je ne sais pas combien de personnes peuvent se dire...

  • Speaker #1

    Surtout avec ma gueule, peuvent dire qu'ils sont à moitié ariens. J'ai passé beaucoup de temps... de temps dans la maison, enfin dans l'appartement de mes grands-parents, qui est un peu l'artère principale de Forbach, qui s'appelle aujourd'hui la rue nationale, mais qui, sous le Troisième Reich, ça aussi je l'ai découvert récemment, s'appelait Adolf-Hitler-Straße. Ça veut dire la rue de Adolf Hitler. Aujourd'hui, c'est une ville dont le député est évidemment Front National, enfin Rassemblement National.

  • Speaker #0

    Oui, maintenant, tu sais, ils sont plus racistes. Il ne faut pas dire Front National.

  • Speaker #1

    Oui, parce que le Front... un front, visiblement, c'est raciste, mais un rassemblement.

  • Speaker #0

    Un rassemblement,

  • Speaker #1

    c'est un rassemblement.

  • Speaker #0

    Les gens qui ont... D'Armanin a dit quoi ? Ils ne sont pas racistes, ils ont une vision du monde orientée par un certain rejet de l'autre. Il a dit ça. Ouais,

  • Speaker #1

    ouais. Voilà. On sent l'ancien de l'action française. Bref.

  • Speaker #0

    C'était le point d'Armanin, pardon.

  • Speaker #1

    Ouais. L'infâme d'Armanin. Donc, c'était pas... Évidemment, j'étais le seul noir quasiment. Donc c'était un contexte un petit peu hostile. Je me suis fait aussi de très bons amis, qui sont encore des amis aujourd'hui, évidemment. Ce n'est pas que c'était un lieu absolument invivable, non. Mais c'était à la fois un lieu de convivialité, à la fois un lieu d'amitié et aussi un lieu d'hostilité. Marqué par cette histoire du nazisme, j'ai grandi dans un environnement marqué historiquement, par un racisme explicite et virulent. Je pense que ça, c'est quelque chose que je n'avais pas forcément pris conscience pendant assez longtemps, mais c'est certain que ça m'a beaucoup marqué, que ça a peut-être participé à me donner ce que tu appelais tout à l'heure comme une mission d'élucider ce racisme dont j'avais été témoin ou l'objet. dans ma prime jeunesse.

  • Speaker #0

    Je voudrais qu'on revienne à ton ouvrage que tu viens de publier, qui s'appelle Manifeste afro-décolonial Est-ce que tu peux nous raconter un peu de quoi ça parle ? Quelle est ton approche ? Quelle est ta mission ? Ta vie avec ce bouquin ?

  • Speaker #1

    J'ai essayé de récapituler, de revisiter ce que le politologue africain-américain Cedric Robinson appelle la tradition radicale noire, c'est-à-dire toute une histoire d'intellectualité. intellectuels, militants de gauche, noirs, dans l'histoire de la pensée moderne. Notamment des militants du panafricanisme, Frantz Fanon sur lequel j'ai fait ma thèse, évidemment c'est une grande référence, mais aussi les Black Panthers, on en a aussi parlé, et bien d'autres, notamment issus du continent africain.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu peux, excuse-moi je te coupe, expliquer pour ceux qui nous écoutent, justement cette tradition radicale noire et le panafricanisme, qui est peut-être pas connu de tout le monde ? Est-ce que tu peux nous décrire un petit peu l'approche et en quoi ça se différencie d'autres approches ?

  • Speaker #1

    Bien sûr. Le panafricanisme, c'est une idée très simple qui consiste à dire que l'Afrique a été divisée hasardeusement en 1885 au moment de ce qu'on appelle le partage de l'Afrique lors de la conférence de Berlin, où les puissances européennes se sont assises autour d'une table, à Berlin donc, et ont divisé l'Afrique comme un gâteau. Et ce sont... pour distribuer les parts entre elles. Un petit morceau pour la Grande-Bretagne, un petit morceau pour la France, un petit morceau pour le Portugal, un petit morceau pour l'Allemagne. L'Allemagne qui, après la Première Guerre mondiale, va perdre ses morceaux, c'est pour ça qu'on se souvient assez peu, finalement, des colonies possédées par l'Allemagne. Mais, voilà, la part du lion va à la Grande-Bretagne et à la France, et un petit peu le Portugal et un tout petit bout l'Espagne. Et c'est aussi pour ça que, lorsqu'on regarde une carte de l'Afrique, on voit... des frontières au cordeau, ce qui est assez étonnant lorsqu'on compare ça avec les frontières européennes qui sont extrêmement ciselées, d'une part parce que elles suivent souvent des frontières naturelles, des rivières, des fleuves, des montagnes. C'est pour ça qu'elles ont des formes un petit peu irrégulières et elles sont aussi l'objet de décennies, de centaines d'années, de millénaires de guerres et d'affrontements entre ces pays qui ont dessiné ces frontières. Or, Les frontières précoloniales africaines étaient tout aussi précises, tout aussi floues et aussi souvent mobiles, etc. Mais avec cette conférence de Berlin, on a découpé des frontières au laser.

  • Speaker #0

    Oui, la carte de l'Afrique comme on la voit aujourd'hui,

  • Speaker #1

    elle est géométrique.

  • Speaker #0

    C'est à la règle.

  • Speaker #1

    C'est à la règle. C'est comme beaucoup d'États aux États-Unis. C'est à la règle parce que ce sont des frontières coloniales, ce sont des frontières purement et simplement administratives qui ne correspondent pas aux traditions des pays. Des pays qui ne correspondent pas aux divisions linguistiques, qui ne correspondent pas aux divisions familiales, qui ne correspondent pas à l'histoire, tout simplement. C'est une histoire étrangère qui vient se surimposer en un instant à l'histoire millénaire de ce lieu. Le panafricanisme, c'est le projet de dire balayons ces frontières illusoires, non pas pour les remplacer par des frontières ethniques ou nationales plus pertinentes, mais par, précisément, des États-Unis d'Afrique, c'est-à-dire une unité continentale où on redessinerait à l'intérieur des frontières plus pertinentes, mais des frontières de sous-régions, non pas des frontières d'États-nations avec une identité forte.

  • Speaker #0

    Un fédéralisme, en fait.

  • Speaker #1

    Mais voilà, un véritable fédéralisme africain. Ça, c'est l'idée du panafricanisme. Il y en a différentes tendances. La tendance à laquelle moi je me réfère, celle qui m'intéresse, c'est une tradition socialiste. c'est-à-dire celles qui considèrent que le principal moteur, la principale motivation pour achever ce but, ça doit être de mettre en place une économie politique qui bénéficierait à tous les Africains et qui lutterait contre les monopolisations, qui lutterait contre une économie de marché qui a absolument ravagé l'Afrique depuis des décennies et surtout qui lutterait contre l'impérialisme qui persiste et qui s'impose aujourd'hui encore en Afrique puisque c'est le néocolonialisme qui continue à faire des victimes innombrables sur ce continent. Donc ça, c'est le projet du... panafricanisme. La tradition radicale noire, c'est une notion qui était, comme je le disais tout à l'heure, élaborée par Cedric Robinson. Toute l'histoire dont je parlais avant avec Huey Newton, toute cette histoire de révolte d'esclaves, toute cette histoire de lutte anticoloniale en Afrique, en Amérique et au-delà, c'est ça la tradition radicale noire. C'est cette sorte de motivation foncière pour vivre autrement, pour se débarrasser, débarrasser de nos existences, des structures coloniales. et inventer de nouvelles formes de vie communautaire. C'est ça, pour Cedric Robinson, ce qui constitue, je dirais, l'essence de la tradition radicale noire, depuis les premiers marrons. Les marrons, ça veut dire les esclaves qui ont fui les plantations pour élaborer de nouvelles manières de vivre en collectif, loin de la plantation, et qui, quand ils en ont eu l'occasion, ont été brûler les plantations. Ça, c'est pas bon, ça, c'est mauvais. Cedric Robinson dit quelque chose de très intéressant. Il dit que c'est ça qui fait la différence entre la tradition radicale occidentale et la tradition radicale noire. Lorsque vous lisez Marx, Lénine, ce n'est pas se débarrasser du travail, c'est se débarrasser d'une certaine forme de division du travail, c'est se débarrasser de l'aliénation, c'est se débarrasser de l'exploitation. Ça veut dire qu'on ne va pas se débarrasser des usines. On va juste travailler moins, on va travailler de manière plus intelligente et surtout, les travailleurs vont avoir tous les fruits et tous les bénéfices de leur travail. Finalement, le communisme au sens de Marx, c'est tous les bénéfices du capitalisme sans les désavantages, sans les désagréments. C'est pour ça que parfois, les gens se moquent des gens qui ont un iPhone en disant toi t'es communiste, t'as un iPhone, t'es débile Pour Marx, dans le communisme, il y a des iPhones, il n'y a pas de problème. Il y a des iPhones à 1 euro pour Marx.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut imaginer juste Marx avec son iPhone ?

  • Speaker #1

    J'y pense, j'y pense où les choses. Je pense même à Lénine avec un iPhone. Pour cette tradition-là, il ne s'agit pas de se débarrasser de l'usine. Maintenant, il y a des gens qui essayent de dire Marx écologiste etc.

  • Speaker #0

    On a toujours dit que Marx était productiviste.

  • Speaker #1

    C'est quand même un petit peu le consensus sur la pensée de Marx et sur le marxisme. En tout cas, en ce qui concerne le marxisme-délinisme, c'est certain. Se débarrasser de l'aliénation, mais non pas se débarrasser de la forme moderne de la production.

  • Speaker #0

    Oui, et surtout que chez Marx, le travail accompli émancipe l'homme.

  • Speaker #1

    Absolument.

  • Speaker #0

    l'homme est l'être qui travaille. C'est vraiment le cœur de son identité.

  • Speaker #1

    C'est son anthropologie, vraiment c'est une anthropologie héritée de Hegel, selon laquelle l'homme transforme la nature et ce faisant se transforme lui-même. Il y a toute une anthropologie qui sous-tend ça, c'est quelque chose de très important. Et Cedric Robinson dit, dans la tradition radicale noire, ça se passe différemment. Les esclaves, la première chose qu'ils ont fait, ce n'est pas de dire, oh ! On va s'approprier les plantations et on va les réorganiser pour produire autrement. Ça, ça va venir dans un deuxième temps par la nécessité de la révolution. Au départ, ils se disent on va tout brûler. On va tout brûler. On va brûler toutes les plantations. On brûle tout. On n'en veut plus. Les plantations, c'est de la merde. On ne va pas travailler là-dessus. Ça nous a tués pendant des générations. Ça nous ruine la santé. Ces choses sont des abominations. On les brûle et après, dès qu'ils en ont la possibilité, ils s'installent des petits lopins de... terre, etc. Ils vivent dans les ruines des plantations et ils y vivent extrêmement bien. Ce sont deux façons différentes de considérer l'émancipation ou la libération.

  • Speaker #0

    Si tu te places dans cet héritage-là, ce serait l'idée que toutes les personnes noires dans le monde partageraient une condition, quelque part, une condition noire, et que ces personnes pour lutter contre les structures de domination qui sont encore en place dans les sociétés aujourd'hui, n'auraient d'autre choix que de quoi ? Faire sécession et d'aller créer une nouvelle communauté ailleurs ?

  • Speaker #1

    Non, ce n'est pas ça. Ce serait un très bon point de départ pour un ouvrage de science-fiction, par exemple. Mais ce n'est pas exactement ce que je dis. Ce que je dis, c'est un petit peu plus tragique que ça, d'une certaine façon. C'est de dire que la condition des Noirs ne pourra pas s'améliorer à l'échelle globale tant que l'Afrique sera soumise à... cette violence néocoloniale de très haute intensité.

  • Speaker #0

    C'est pour ça que je dis que c'est tragique. Ce n'est pas pour dire, oh les gars, prenons un billet d'avion, on va en Afrique et tout va être génial. Non, absolument pas, ce n'est pas du tout ça. Ce n'est pas du tout ça l'idée. C'est l'idée de dire que, bien sûr, il y a une grande pertinence au combat antiraciste n'importe où dans le monde. On parlait tout à l'heure de George Floyd, de Traoré, de Nahel, etc. Aucun doute là-dessus. Mais sans transformation des structures néocoloniales, c'est-à-dire sans abolition de l'impérialisme qui violente l'Afrique et sans constitution de l'Afrique en grand pôle de puissance politique, jamais il n'y aura de reconnaissance de l'humanité des Noirs à l'échelle globale, puisqu'on aura toujours l'exemple de ce continent peuplé de nègres imbéciles, incapables de s'organiser, pauvres, misérables, etc. Ce sera toujours ça qui nous sera renvoyé au visage. Ce sera toujours ça, finalement, la preuve ultime de notre incapacité intellectuelle, politique, économique, etc.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Donc, ce que je dis, ce n'est pas une espèce de volontarisme en disant Bon, on va faire sécession ou que sais-je. C'est de dire, sans la libération de ce lieu qui est le lieu d'où... où ultimement on provient, ce lieu qui est le synonyme de notre être aujourd'hui. Partout, le noir et l'africain. Le noir et l'africain, c'est pareil. C'est évident. Même aux États-Unis, où les descendants d'esclaves sont là depuis 400 ans, on entend encore des types leur dire retourne en Afrique

  • Speaker #1

    on les appelle les african-american african-american,

  • Speaker #0

    bah oui bien sûr parce que c'est évident on peut pas se cacher derrière son petit doigt en faisant comme si, bah non j'entends parfois des personnalités des intellectuels, tu viens d'où ? je suis français oui évidemment t'es français, tu as la carte y'a pas de problème, mais tout le monde sait très bien que si tu ressembles à ça, c'est parce que tes ancêtres venaient d'Afrique ce n'est absolument pas infamant ça ne t'enlève pas ta citoyenneté... On sait très bien que la citoyenneté et l'histoire d'une famille, d'une personne, de quoi elle est issue, ce sont deux choses différentes. Et c'est pas...

  • Speaker #1

    Ça ne te vexe pas quand on te pose cette question ? Parce que c'est un sujet qu'on entend souvent comme étant une micro-agression, de dire quand on demande à une personne noire tu viens d'où ? Non mais en vrai, les gens se disent, se sentent complètement disqualifiés dans leur... Enfin, il y en a beaucoup qui racontent se sentir disqualifiés. Et toi, tu n'as pas cette approche-là du coup.

  • Speaker #0

    Je sais que c'est le cas pour beaucoup de gens, parce que le problème, ce n'est pas l'explicite de cette question. Le problème, c'est que souvent, cette question sous-entend une forme d'illégitimité à être là où on est. Et je pense que c'est ça qui pose problème la plupart du temps.

  • Speaker #1

    Tu viens d'où en vrai, sous-entendu ?

  • Speaker #0

    Parce que tu n'as pas ta place ici. Je pense que c'est ça qui vexe. C'est l'implicite qui me gêne. Et souvent, on sent quand il y a cet implicite ou pas.

  • Speaker #1

    D'accord. Tu sens une différence quand les gens te demandent ?

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    de manière vraiment intéressée. Ah, mais toi, ta famille est originaire de quel endroit ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. D'ailleurs, la manière la plus simple de se rendre compte et la plus évidente, c'est qu'entre Noirs, on se pose la question tout le temps. On se pose la question tout le temps. Tu viens d'où ? Tu viens du Congo ? Quel Congo ? Des questions bêtes comme ça. Et personne ne se vexe. Personne ne se vexe. Martinique ou Guadeloupe ? Personne ne se vexe quand les Noirs se posent ce genre de questions. Mais quand c'est un blanc, on peut se vexer. Moi, la plupart du temps, je ne me vexe pas. Sauf quand je me rends bien compte que c'est une manière de métaphoriser une espèce de dédain. Moi, c'est ça qui me pose problème. C'est l'espèce d'illusion qu'on a à se dire je suis un Français comme un autre Bien sûr, tu es Français, évidemment. Tu as le passeport français, tu as la carte d'identité française, pas de problème. Mais tu es noir. Il n'y a pas lieu de s'en émouvoir ou de faire comme si ce n'était pas le cas. de demander aux gens, ou d'installer, ou d'avoir l'attente que les gens passent semblant qu'ils ne voient pas que tu es noir. Ça, c'est, je pense...

  • Speaker #1

    Avec le couleur, le fait. Voilà,

  • Speaker #0

    exactement. Moi,

  • Speaker #1

    je ne suis pas raciste, je ne vois pas les couleurs.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et cette espèce de censure sur la question Quelles sont tes origines ? Quelle origine ? La censure sur cette question me semble être, pour les personnes qui se vexent lorsqu'on se pose cette question, une espèce d'attente implicite d'une société colorblind, une société où on ne voit pas les couleurs, d'une société post-raciale. Or, je pense, et là, j'utilise une belle formule d'une collègue qui travaille à l'Université de la ville de New York qui s'appelle Nathalie Etoquet, qui dit le projet ne doit pas être d'imaginer ou de fonder une société post-raciale, mais une société post-raciste. Ça, ce sont deux choses différentes. Ce sont deux choses différentes.

  • Speaker #1

    Société post-raciale qui serait une société on ne voit plus les couleurs, nous sommes tous des genres humains. Voilà. société post-raciste, une société où on peut être de la couleur qu'on est ou de l'identité qu'on est, sans que ce soit synonyme de hiérarchie, de disqualification.

  • Speaker #0

    Absolument, absolument. Je donne un exemple, c'est un exemple un petit peu bateau, mais souvent en philosophie, on aime bien les exemples bateau parce que ça aide à comprendre. Quelqu'un peut avoir, et on va le dire, les yeux bleus, les yeux verts, les yeux marrons. Après, il a les yeux marrons et parfois il va se vexer, il va se dire Ah non, j'ai pas les yeux marrons, j'ai les yeux noisettes parce que noisette c'est plus cool qu'avoir les yeux marrons n'est-ce pas ?

  • Speaker #1

    Moi je dis que j'ai les yeux marrons-verts par exemple parce que marron je trouve ça vraiment pas cool Mais ils sont verts non ? Merci, ma journée Je dis à tout le monde les yeux sont verts Pour les auditeurs,

  • Speaker #0

    sachez que ces yeux-là sont tout à fait verts et les miens sont marrons évidemment ou noisettes si vous voulez Non, on peut parler de ça sans comment dire que les gens s'émeuvent ce sont des différences physiquement attestables et sur lesquels on n'a pas forcément besoin de passer des heures. Or, lorsqu'il s'agit de notre carnation, lorsqu'il s'agit de notre pigmentation, d'un seul coup, ce sont des différences qu'il faudrait ne même pas mentionner ou par rapport auxquelles on devrait faire les aveugles. Ça, c'est quelque chose de tout à fait malsain. C'est quelque chose de tout à fait malsain parce que le fait d'instaurer ou d'entretenir cette espèce d'atmosphère où ces choses-là ne doivent pas être nommées, où la question des origines ne doit pas être posée, ça consiste à entretenir de manière sous-jacente ce tabou, et c'est-à-dire aussi, du même coup, tous les stéréotypes et tous les fantasmes qui sont attachés à ces couleurs et à cette apparence. Et ça, c'est un problème.

  • Speaker #1

    Ça participe de l'imaginaire que quand on dit de quelqu'un qu'il est noir, c'est une insulte.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Et d'ailleurs, ça me fait penser à la question des mots dont tu parles, avec l'idée, les gens qui disent il est black ça c'est plus à la mode heureusement mais ça se dit encore beaucoup et c'est fait par quelque part pas avec une mauvaise intention souvent c'est fait avec une idée justement d'être délicat sauf que ça reconduit exactement ce que tu dis tu peux dire qu'il est noir c'est pas une insulte peut-être que ça participe de tout ce que tu décris là il y a cet inconscient collectif dépréciatif en fait tout à fait c'est l'interaction je dirais nuisible

  • Speaker #0

    entre d'une part cet inconscient collectif dépréciatif qui nous travaille souterrainement et l'idéologie républicaine qui vise à faire comme si désigner la différence était déjà une espèce d'atteinte à notre idéal de citoyenneté. Ces deux choses-là font extrêmement mauvais ménage. Elles font mauvais ménage parce qu'elles nous forcent vraiment à mettre cette poussière-là sous le tapis, comme si c'était la seule solution pour se débarrasser de ce genre de problème, c'est de ne pas... le nommer. C'est ça, en tout cas, ce que l'idéal républicain de citoyenneté est devenu en France, une espèce de figure idéale sans aucune caractéristique. Et ça, c'est vraiment le problème fondamental de la philosophie politique française, je crois, que je nomme à chaque fois, c'est son incapacité à penser en même temps l'égalité et la différence. Cet idéal de citoyenneté qui est centré, qui est absolument, comment dire... arc-bouté sur cette espèce d'idéal d'égalité, évidemment pas d'égalité économique bien entendu, mais d'égalité formelle, d'égalité juridique etc. de liberté et surtout bien sûr la liberté économique pour le coup, mais la question de la différence le paralyse absolument. Il faut censurer les différences, il faut les étouffer, il faut les briser, sinon on a l'idée à mon avis tout à fait fausse que la citoyenneté, la participation politique, la participation sociale devient impossible. Or, rien n'est plus faux. La seule motivation à participer à la vie politique, c'est justement de faire valoir des intérêts. C'est justement de dire, voilà en tant que pauvre ce que j'ai envie de passer comme message politique. Voilà en tant que noir, voilà en tant que femme, voilà en tant que trans, voilà en tant que... n'importe quelle minorité, voilà en tant que patron mes intérêts, voilà en tant que riche, voilà en tant que millionnaire, que milliardaire, ce que j'ai envie de voir appliqué dans ce pays-là. La politique, c'est avant tout faire valoir des intérêts. Je ne soustris pas du tout à cette espèce de mythologie issue de la philosophie des Lumières, selon laquelle on arrive dans l'espace public, dans l'espace politique, en ayant uniquement en tête le bien commun. Non, je suis malheureusement trop marxiste pour ça. Je pense que ce sont des conflits, des divergences d'intérêts, une lutte d'intérêts. lutte de classe et toute une série évidemment d'autres luttes qui sont le cœur de l'action politique. Et donc la citoyenneté idéale, l'idée qu'on pourrait uniquement penser à des lois qui bénéficieraient à tous les citoyens de manière absolument égale, c'est, je suis loin d'être le premier à le dire, une ruse de la bourgeoisie, une ruse de la suprématie blanche pour ne jamais qu'on s'attaque à... un certain nombre de problèmes.

  • Speaker #1

    C'est des raisonnements auxquels on n'est pas forcément habitués, parce que justement on baigne dans ce discours de la bourgeoisie, du citoyen universel. L'universalisme, c'est une valeur qui est considérée comme une valeur somptueuse d'émancipation, alors que justement on se rend compte que c'est plutôt un dogme assez centralisateur, qui cherche à homogénéiser les citoyens, qui explique aussi l'histoire de la France, qui comprend l'immigration comme devant être synonyme d'assimilation, c'est-à-dire que les gens qui immigrent doivent se départir de leurs caractéristiques et de leur culture et adopter les comportements de la France pour être des véritables Français. Et donc cette idée d'universalisme qui est au départ une universalité des droits et donc qui laisse une possibilité à la différence devient une universalité comme homogénéisation. Est-ce que c'est quelque chose que tu ressens encore aujourd'hui ? On peut peut-être passer à une analyse un peu de l'actualité. de la société française aujourd'hui. Alors, je précise, si vous nous écoutez, qu'on enregistre cet épisode trois jours avant les élections législatives du 30 juin.

  • Speaker #0

    Moment de vérité, premier tour.

  • Speaker #1

    Premier tour, ouais. Donc, on est dans un cadre un peu particulier. Donc, quand vous écouterez cet épisode, on sera quelques mois plus tard. Donc, je suis désolée, Norman, tu auras cette position très agréable qui est de faire la boule de cristal. Ou en tout cas... Non, peut-être pas la boule de cristal. Mais en tout cas, quand vous écouterez, la société aura peut-être un peu changé d'une manière ou d'une autre.

  • Speaker #0

    Qui est Premier ministre ? Est-ce Jordan ? Est-ce Jean-Luc ?

  • Speaker #1

    Jean-Luc, je ne pense pas.

  • Speaker #0

    Est-ce François Hollande ?

  • Speaker #1

    Horrible ! La capsule temporelle nous a ramenés en 2012. Ça va être le retour de Jean-Marc Hérault. Mais voilà. Est-ce que tu peux nous raconter aujourd'hui, toi, quelle est ta lecture de la société française dans un contexte historique comme celui qu'on est en train de vivre, où il y a une élection qui a des enjeux considérables ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est un petit peu difficile à dire. puisque je ne vis plus en France depuis un certain nombre d'années, même si j'y vais de temps en temps. Je ne vais pas dire qu'il y a une progression du racisme, mais les racistes cèdent, pour utiliser une formule assez célèbre de Jacques Lacan, du psychanalyste Jacques Lacan, les racistes cèdent de moins en moins sur leur désir. Ils se censurent de moins en moins. Le bel exemple de ça, c'est Ciotti. Et Ciotti a raison. C'est celui, comme je le disais, qui cède le moins dans son camp sur son désir. et qui suit la voie de la raison. Jean-François Copé et d'autres de ses collègues qui disent Non mais attendez, c'est un scandale, ce qu'il fait n'est pas républicain c'est évidemment hypocrite.

  • Speaker #1

    Quand il fait une alliance avec le RN, tu veux dire ?

  • Speaker #0

    Quand il fait une alliance avec le RN. Ils font la politique du RN depuis au moins, au moins, depuis que Chirac n'est plus aux affaires. C'est le dernier qui peut-être, au moins formellement, a maintenu le cordon sanitaire. qui considéraient que c'était vraiment l'une des raisons d'être, on va dire, de la droite en France, c'était ce cordon sanitaire, parce que c'est l'héritage de De Gaulle, etc. C'était cette philosophie politique, là. C'est pas pour dire que la droite française c'est génial et tout, absolument pas, c'est abominable.

  • Speaker #1

    Vous avez changé de programme sans vous en rendre compte, vous êtes passé sur un autre podcast.

  • Speaker #0

    On est sur Radio Courtoisie. C'est pour dire qu'à partir de Sarkozy, toute cette affaire-là change un petit peu. Ils ont commencé à trafiquer avec l'extrême droite de plus en plus sévèrement. Et Ciotti dit simplement, on a changé d'époque. Ça fait longtemps qu'on est d'extrême droite, regardez, on est raciste, non ? Vous avez vu ce qu'on a voté ? Tout simplement, il reconnaît la réalité. Il admet la réalité, il en tire les conséquences. Les deux ont fait du chemin, si vous voulez. C'est-à-dire que la droite française a fait... tout doucement son chemin vers le racisme et le Rassemblement national a refait tout doucement son chemin vers une politique économique de droite libérale et néolibérale. Ça devient un parti de droite tout à fait ordinaire et calque son programme sur le programme des Républicains. D'ailleurs, Sioti lui-même le dit, on a le même programme économique, etc. Ces deux parties de droite ont cheminé chacun vers l'autre. La droite traditionnelle issue de l'UMP. P, issu du RPR, etc., a cheminé de plus en plus vers l'extrême droite sur les questions de l'immigration, de l'islam. et de l'identité française, pendant que le Rassemblement national a cheminé de plus en plus vers la droite libérale française, en gardant ses thèmes racistes, mais en adaptant de plus en plus son programme économique au desiderata de M. Bolloré.

  • Speaker #1

    Je vais essayer de faire le lien entre ton manifeste afro-décolonial, dont tu nous as un petit peu parlé, sur tes analyses de l'émancipation possible et de la lutte. de cette idée que c'est la colère qui est au cœur de la lutte et qui permettrait une réappropriation, un horizon d'émancipation et de réappropriation. Et donc je voudrais faire le lien entre tes analyses philosophiques et l'actualité. Je suis très intéressée par ce que tu décrivais, le fait que c'est parce qu'il y a encore des situations néocoloniales en Afrique, parce que finalement il y a une ingérence des puissances occidentales en Afrique qui s'accaparent les ressources et qui font perdurer des États. de domination, des systèmes de domination et d'exploitation, que ce serait en s'émancipant de ces structures-là qu'on pourrait réhabiliter quelque part dans l'inconscient collectif l'image des personnes noires et que ça aurait une incidence sur le racisme aussi dans les pays occidentaux. Si j'ai bien résumé ta pensée, comment concrètement tu envisagerais ce projet décolonial, ce projet afro-décolonial, en lien avec vraiment le monde très incarné et l'actualité qui est la nôtre ?

  • Speaker #0

    C'est difficile de faire cette connexion dans la conjoncture qui est la nôtre, parce que malheureusement, ce n'est pas un thème qu'on a réussi à imposer. Il est vrai que l'actualité est assez particulière. L'actualité, et souvent en plus l'actualité africaine et le parent pauvre, en ce qui concerne les médias, notamment en France. Par ailleurs, certaines questions liées à la colonisation, les questions coloniales, ont été extrêmement centrales. dans la campagne des Européennes et dans cette campagne très courte des législatives. Je pense évidemment à la question du génocide à Gaza. C'était une question extrêmement débattue. Et on a des lignes tout à fait différentes. On voit la ligne de la France insoumise et du nouveau Front populaire n'est pas tout à fait parfaite, mais au moins il y a quelque chose qui va dans le sens de la reconnaissance. d'un État palestinien. Il y a aussi la question de la Kanaki Nouvelle-Calédonie, qui était une autre question coloniale extrêmement brûlante. Et là aussi, on a des options très différentes. Une option plutôt qui va vers dans le sens de la décolonisation à gauche et des options qui vont dans le sens du maintien du statu quo colonial à droite.

  • Speaker #1

    Illustration, je dis pour ceux qui nous écoutent, d'une mesure qui a été prise, qui me paraît totalement empreinte de colonialisme, de néocolonialisme, c'est qu'il y a une... si je ne me trompe pas, une dizaine de personnes qui ont été considérées comme des leaders du mouvement indépendantiste qui ont été ramenées en métropole pour être emprisonnées. Donc des gens qui sont emprisonnés à 15 000 kilomètres de leur famille pour être isolés. Quand même, on est complètement dans un imaginaire néocolonial.

  • Speaker #0

    C'est exactement ce qui arrivait à Toussaint Louverture lorsqu'il a été défait par les armées de Napoléon. Il a été emprisonné en métropole pour... l'éloigner de son peuple, de son armée, de ses soldats et de ses officiers.

  • Speaker #1

    Et ça reconduit l'idée que dans ces colonies, ou dans ces anciennes colonies, le mot ancienne est clairement sujet à débat, on peut disposer de la vie des personnes qui y habitent, comme des poules mobiles, parce que finalement, on les possède.

  • Speaker #0

    C'est vraiment une manifestation du caractère impérial de cette nation. Oui, nous avons des terres ici, nous avons des terres là. Même dans les discours de gauche, on entend parfois, Jean-Luc Mélenchon le dit, la France est présente sur les cinq continents. Parfois, oui, certaines personnes peuvent en tirer fierté, d'autres peuvent avoir froid dans le dos en entendant de telles formules. Bon, je vois un petit peu les relents universalistes qu'il tente d'y mettre. Je veux bien comprendre cela, mais il y a aussi des hectolitres de sang qui ont été versés pour ces territoires-là et qui continuent d'être versés.

  • Speaker #1

    Et qui viennent hanter, pour revenir à ce dont tu parlais tout à l'heure, leur deuil physique vient hanter un deuil psychique et symbolique qui marquerait aujourd'hui les populations qui sont encore opprimées dans ces endroits.

  • Speaker #0

    Oui, c'est exact. Eh bien, malheureusement, les questions pourtant extrêmement importantes stratégiquement qui concernent l'Afrique n'ont pas été objet de telles discussions. Il n'y a pas de véritable programme. de décolonisation ou d'émancipation africaine qui a acquis une place centrale dans le débat public. Ces questions coloniales, ces questions décoloniales... sont toujours la proie de l'actualité, alors que ce n'est pas une question d'actualité. Oui,

  • Speaker #1

    c'est une question au contraire d'histoire au long cours et de structure.

  • Speaker #0

    Absolument. La situation, par exemple, à Gaza, c'est une accélération de l'histoire qui a lieu.

  • Speaker #1

    Ça fait 75 ans que ça dure.

  • Speaker #0

    Exactement, ça fait 75 ans que ça dure. La situation aujourd'hui, c'est une différence de degré, une différence d'intensité, mais non pas une différence de nature. La situation coloniale perdure, comme tu viens de le dire, depuis plusieurs décennies. Et donc, on est un peu otage de l'actualité sur ces questions-là. Ce ne sont jamais des questions centrales. Et ce qui est normal, parce que la France bénéficie beaucoup, c'est plusieurs points de PIB qui bénéficient de ce rapport privilégié, je me fais des guillemets avec les mains, ce rapport privilégié avec l'Afrique.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous expliquer en deux, trois mots en quoi il y a encore des structures néocoloniales qui persistent ?

  • Speaker #0

    Pour le faire très simplement. Normalement, ordinairement, lorsque vous avez des ressources minérales, ce qu'on appelle des ressources minérales, ça veut dire par exemple un gisement de pétrole ou une mine de tantal, de coltan, je crois qu'on dit coltan en français, je ne sais jamais. C'est un métal rare qu'on utilise pour faire les processeurs des téléphones cellulaires et des ordinateurs portables. De l'iPhone de Lénine. Exactement, celui de Lénine aussi bien que celui de Xi Jinping, qui d'ailleurs a plus de rapports de rapport avec ça en tant que communiste. On le salue. Salut camarade, continue à faire ce que tu fais, t'inquiète pas, ton communisme, c'est de la balle. Mais ordinairement, ce qu'on conçoit, la manière dont on conçoit les choses, c'est que une entreprise vient là, elle extrait ses ressources, elle les achète au pays, à la nation qui possède ce sol, ou bien elle paye une espèce de location pour pouvoir être là, etc. Et après, elle doit... le revendre avec force taxe douanière pour l'exporter ailleurs. Donc, normalement, cette extraction bénéficie par des taxes, par des coûts, au pays où cette extraction a lieu. En Afrique, ça se passe différemment. Pourquoi est-ce qu'on parle de néocolonialisme ? Eh bien, parce que quand Areva va au Congo ou ailleurs, elle fait comme si elle était en France. Elle graisse la pâte à qui de droit, c'est-à-dire... que la manière dont l'argent circule là est, pour dire le moins, extrêmement obscure. Ça, avec le partenariat plus ou moins avoué ou plus ou moins secret de la France, à travers, par exemple, des aides publiques au développement, c'est-à-dire qui sont en gros des valises de billets, c'est un peu caricatural, mais malheureusement, pendant très longtemps, ça a fonctionné de la sorte, qui vont arroser des ministres, qui vont arroser des présidents, qui vont développer, on ne sait quoi. participer au développement du pays, afin d'acheter, non pas seulement leur silence, mais leur autorisation pour procéder à ces extractions. Pour faire, en gros, comme si on était chez soi. Et évidemment, c'est beaucoup moins cher d'enrichir un petit groupe d'individus pour avoir ces droits-là, que de devoir passer au crible d'un véritable système juridique, d'un véritable système économique, où chaque baril de pétrole va être pesé, chaque... tonnes de tantales va être pesée et on va dire, voilà combien ça te coûte. Là, tu as un blanc-seing, tu payes un forfait, en fait. C'est un peu le Netflix du pétrole. Tu es là, tu as le droit d'exploiter autant que tu peux, tant que tu me donnes tel nombre de millions à moi et à mes potes, chaque année ou chaque mois. C'est un peu caricatural, la manière dont je le dis, mais je pense que là, on comprend bien la perversion de la chose.

  • Speaker #1

    Tu donnes de l'argent et tu enrichis un petit groupe de personnes. qui font perdurer un système comme ça, où tu vas bypasser les structures juridiques. Donc, les personnes que tu enrichis sont plus puissantes, sont encore plus puissantes, et donc peuvent continuer une relation privilégiée avec des entreprises françaises. Et donc, ça court-circuite totalement l'État, qui est laissé impuissant devant la force et l'enrichissement de ces petits groupes.

  • Speaker #0

    Tout à fait, ça court-circuite l'État, en court-circuitant l'impôt. Qui dit court-circuiter l'impôt, dit pas d'argent pour améliorer les services publics en Afrique. les services publics africains qui ont été fortement travaillés au moment de la décolonisation pour une éducation de qualité, pour des hôpitaux, etc. Mais il y a eu un moment qu'on appelle le moment des plans d'ajustement structurel dans les années 80-90. C'est un moment où la Banque centrale s'est immiscée dans les affaires de nombreux gouvernements africains qui tendaient vers le socialisme. La Banque mondiale et le FMI... le FMI sont venus mettre leur nez là-dedans et dire mais c'est pas libéral votre système ce qui fonctionne c'est l'économie de marché si vous voulez qu'on vous prête de l'argent vous devez libéraliser, vous devez privatiser ces services publics Et donc, pour des États qui étaient déjà des États fragiles, ça a été un coup extrêmement dur. Et plus on sabote le service public, surtout dans ce genre de contexte où le néocolonialisme peut s'immiscer, moins on a de capacité à capter l'impôt. Et donc, c'est un cercle vicieux où les services publics vont être de plus en plus difficiles à maintenir et il y aura de moins en moins d'argent pour les alimenter. Les États se sont extrêmement appauvris à cause de ces plans d'ajustement structurel. Et... Maintenant, ils sont dans des situations où les multinationales ne payent, pour ainsi dire, pas d'impôts. Et il est très difficile de faire en sorte que les particuliers, dont beaucoup sont pauvres de toute façon, obtiennent leur argent en participant plus à l'économie informelle qu'à une économie régulée. C'est aussi très difficile de les astreindre à l'impôt. Et donc, l'État est dans une certaine situation d'impuissance.

  • Speaker #1

    Qui est en fait entretenue. Par le comportement de la France et des entreprises françaises, sous couvert d'aides au développement, en réalité, on...

  • Speaker #0

    C'est ça, et malheureusement aussi, et plus tragiquement encore, parce que les entreprises françaises jouent leur jeu, mais dans de nombreux pays, également par les gouvernements locaux qui en tirent bénéfice, puisque leur enrichissement personnel leur paraît nettement plus important que le maintien... de la bonne santé et de la pérennité de l'État. Je pense que c'est ça une des leçons du néolibéralisme, surtout lorsqu'on s'intéresse au contexte africain. On voit que c'est assez beau de rêver au dépérissement communiste de l'État, mais malheureusement, le dépérissement néolibéral de l'État, c'est une toute autre affaire. C'est une affaire de démultiplication des foyers de violence, de démultiplication de la misère. Et la réinvention d'une force ou d'un... d'une capacité d'action pour l'État. Et dans ce cadre-là, la seule manière, je pense, dans l'immédiat, de tendre vers davantage de justice sociale.

  • Speaker #1

    Je voudrais revenir un petit peu à la situation en France. Qu'est-ce que tu répondrais aux gens qui accusent les personnes qui revendiquent d'avoir des identités plurielles ? Je veux dire, je suis français, mais je suis aussi d'origine de tel ou tel pays, par exemple d'Afrique. Et souvent, ces personnes qui revendiquent le droit à avoir leur propre pratique culturelle sont souvent taxées de communautarisme, de séparatisme, voire d'être violents, une menace pour la République. Qu'est-ce que tu répondrais à ça ? Quel serait un modèle de République, une compréhension de la République qui pourrait fonctionner avec ces revendications ?

  • Speaker #0

    Je pense que ce type de menace est fortement, fortement exagéré et terriblement fantasmé. Pour le coup, c'est assez simple de répondre à ça, parce que c'est tellement incroyablement faux, et c'est une perspective si fermée que j'en suis souvent sans voix. Il suffit de se déplacer, par exemple, là où je vis, en Grande-Bretagne, pour se rendre compte que le modèle multiculturel n'est pas l'espèce de guerre civile permanente que certains intellectuels français conservateurs s'imaginent, ou certains hommes politiques de droite s'imaginent. Le fait de pouvoir porter un voile en faisant tout un tas de professions différentes, c'est quelque chose auquel j'assiste quotidiennement à Édimbourg et auquel n'importe quel habitant de Grande-Bretagne assiste quotidiennement sans que ça cause quelque type de violence ou quelque type de déstabilisation de l'État que ce soit. Mais c'est vrai qu'on pose souvent le multiculturalisme anglo-saxon comme une espèce de... contre-modèle absolu, comme une espèce de système effroyable. Et j'avoue que je ne sais pas pourquoi, je trouve ce système infiniment plus vivable qu'un système où on dit aux jeunes, aux enfants, quoi faire. J'ai une fille qui est à l'école primaire, elle a 7 ans, et parfois, quand c'est les fêtes indiennes, l'Aïd, les Pâques, on célèbre un peu toutes les fêtes. Et donc il y a ce côté un peu multiculturel. On va parler de cette culture, etc. Oui, il y a un côté un peu gnangnan, un peu naïf, si vous voulez, mais c'est des enfants. C'est bien pour les enfants, je trouve.

  • Speaker #1

    Je ne trouve pas ça nirgant du tout, à vrai dire. C'est plutôt cool.

  • Speaker #0

    Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas révolutionnaire, évidemment. Ce n'est pas avec ça qu'on change le monde. Mais pourquoi pas ? Pourquoi pas ? Ça fait plaisir à tout le monde. Et c'est bien de faire des choses un peu naïves pour les enfants. C'est bien pour les kids de célébrer leurs particularités. Ça leur donne de la confiance en soi. Ça apporte de la culture aux jeunes. Et même pour les autres, ça leur ouvre l'esprit sur quels sont les différents types. de populations qu'on trouve dans ce pays, dans cette ville. On les interpelle à partir de leurs différences pour les mettre en valeur. C'est une méthode éducative qui est employée là-bas. Et je ne vois pas quel est le problème. C'est tout à fait que ça devienne un objet de discussion et par là même un objet éducatif, un objet de pédagogie. De pédagogie justement à la citoyenneté. Non pas à la citoyenneté abstraite, mais de manière pratique, comment coexister avec des personnes qui n'ont pas les mêmes croyances, qui n'ont pas les mêmes manières de vivre, qui n'ont pas la même langue maternelle, mais qui se retrouvent dans cet endroit où tout le monde parle anglais et où, voilà, il y a la reine au-dessus, enfin, le roi, maintenant. J'avais pas prévu qu'on parle de la reine. Non, non, non. Très bien, allons-y. Maintenant, c'est le roi. C'est le roi Charles, maintenant. Et encore une fois, c'est nullement un modèle révolutionnaire. C'est un modèle social libéral, mais on a des choses à apprendre et à retenir de bien du libéralisme politique. Et en l'espèce, je pense que le multiculturalisme, sans qu'il soit évidemment parfait, a de très bons côtés. Et à mon avis, pour les citoyens, et surtout les citoyens membres de minorités, j'imagine, un modèle infiniment supérieur au républicanisme. En tout cas, au républicanisme comme on le comprend en France. Parce que le républicanisme en Grande-Bretagne, ça veut juste dire être contre les rois, etc. Et bon, je reste contre les rois, je reste contre les rois et tout. Je reste français malgré tout. Je pense que si la Grande-Bretagne était une république et qu'on votait pour un président, ce ne serait pas plus mal. Surtout si tous ces nobles la rendaient toutes les terres qu'ils ont, parce que c'est une autre dinguerie. Mais en tout cas, le modèle multiculturel, je le trouve plus vivable. Je pense que c'est une bonne chose pour tout le monde.

  • Speaker #1

    Oui, ça dépassionne. En plus, la différence devient, comme tu le disais. source de confiance en soi, de partage, et non plus quelque chose qui est pointé du doigt, qui conduit à un repli sur soi, à une identité fermée, une identité très excluante, en fait.

  • Speaker #0

    Il y a cette espèce d'idée, d'imaginaire qui est souvent agitée par l'extrême droite, selon laquelle la société multiculturelle c'est une société des dénaines multiples, une société incroyablement violente, et ça nous dira, regardez les modèles de sociétés culturelles. C'est les États-Unis, c'est le Brésil, regardez comme ces sociétés sont violentes, etc.

  • Speaker #1

    Mais ce n'est pas vraiment ça le problème.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas vraiment ça le problème. Ces sociétés ne sont pas violentes parce que ce sont des sociétés multiculturelles. Elles sont violentes parce que ce sont des sociétés bâties sur le colonialisme de peuplement. Toutes les sociétés bâties sur le colonialisme de peuplement sont des sociétés incroyablement violentes. C'est pour ça que toutes les sociétés américaines en général sont très violentes. À part lorsqu'elles ont vraiment réussi par la violence à atteindre une homogénéité. ethniques, raciales, comme l'Argentine par exemple. L'Argentine, c'est l'Italie. C'est l'Italie, c'est magnifique, c'est génial. Ben oui, il n'y a que des Blancs, ils ont tué tout le monde. Ils ont tué tous les Noirs. Forcément, là, ça vous plaît. Ça vous plaît un pays d'Amérique latine où il n'y a que des Blancs aux yeux bleus qui s'appellent Marcello.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous les Argentins qui nous écoutent.

  • Speaker #0

    Oui, vous savez ce que vos ancêtres ont fait.

  • Speaker #1

    Le colonialisme de peuplement, pour ceux qui nous écoutent, c'est quand le pays colonial fait venir sa population dans le pays colonisé afin justement d'imposer sa culture et de dominer ce nouveau pays, pas seulement par les armes, mais aussi par la culture,

  • Speaker #0

    de s'y implanter, de faire un grand remplacement. C'est différent des colonies d'exploitation. Après, il y a plusieurs modèles d'économie, mais je dirais que les deux grands modèles, c'est colonies de peuplement et colonies d'exploitation. Colonies d'exploitation, c'est ce qu'on a connu pour l'essentiel à travers l'Afrique noire. C'est-à-dire, on envoie juste un petit nombre de coloniaux, c'est-à-dire des militaires et des fonctionnaires, pour faire tourner d'autres types de machines, c'est-à-dire de l'exploitation de ressources essentielles. C'est pour ça qu'on dit colonie d'exploitation. On ne cherche pas à y implanter des autochtones européens. Et pourquoi on ne l'a pas fait ? Parce que le climat, on n'aimait pas trop le climat. C'est ça les justifications ? Bien sûr, les Blancs ne peuvent pas vivre là. Pourquoi est-ce que vous avez les deux grandes colonies de peuplement historiquement en Afrique ? C'est l'Afrique du Sud et l'Algérie. Parce qu'ils sont aux deux extrêmes. Ils ne sont pas sur le tropique. Ils ne sont pas sur les dessous des tropiques. Ou sous l'Équateur. Et donc,

  • Speaker #1

    on est maintenant dans l'émission Le Dessous des Cartes.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Comment le relief et le climat organisent une géographie politique.

  • Speaker #0

    Absolument. C'est des endroits qui n'étaient pas très visibles. Les Blancs ne voulaient pas y aller. Mais l'Algérie, c'est super, le climat, c'est la Méditerranée, etc. Et l'Afrique du Sud aussi, c'est pas mal comme climat. Donc là, les Blancs pouvaient y aller. Après, en Amérique latine, c'est un peu différent. C'était l'époque des conquistadors, les Espagnols et les Portugais étaient un peu des cinglés. Et d'ailleurs, ils ont rationalisé ça parce que, eux, racialement, ils n'avaient pas exactement les mêmes idées que les Anglais, que les Britanniques et les Français. Donc, ils se sont dit non, mais nous, on va se métisser à gogo et comme ça, nos descendants supporteront mieux le climat.

  • Speaker #1

    Là encore, c'était des questions vraiment aussi spécifiques que ça ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, c'est des questions si bêtes que ça.

  • Speaker #1

    Mais il y a vraiment des gens... Ça me semble incroyable.

  • Speaker #0

    Expliquement, il se soit dit... Il se pose des questions. La question du métissage et la question de la résistance au climat, c'est malheureusement une question que tout le monde s'est posée. Parfois, ils ont décidé qu'il fallait du métissage à gogo, mais ça, c'est les Portugais. Mais après, c'est souvent lorsqu'il s'agit de questions en dessous de la ceinture, ce sont souvent que des rationalisations a posteriori de nos désirs et de nos pulsions les plus primaires. Les Portugais voulaient pouvoir violer à gogo ou même prendre femme, etc. Et donc, ils se sont dit, oui, on va créer une descendance métissée, on s'en fiche, c'est pas grave, etc. Et le puritanisme britannique jugeait que ce n'était pas une très, très bonne idée. Et donc, ils ont instauré une véritable censure du rapport interracial qui a culminé dans ce qui est devenu la colonie américaine. Oui, le ségrégationnisme interdit. Le ségrégationnisme interdit, interdit, interdit. Et si même... noir est vu en train de faire un clin d'œil à une blanche, il est lynché directement. Il y a une espèce de culture de l'interdiction de toute promiscuité raciale qui est extrêmement intense. Et entre les deux, vous avez les Français qui étaient le cul entre deux chaises, c'est-à-dire, oui, un peu de métissage si on veut, mais ça devient une espèce particulière. Les gens de couleur, ils ont un statut différent. Et il y a quand même une aristocratie de la blancheur et une blancheur. aristocratiques. Les grandes familles, c'était quand même souvent des aristocrates à Saint-Domingue, etc. Et puis après, en Martinique, en Guadeloupe, etc. Maintenir une certaine pureté, etc. où la branche métissée de l'arbre généalogique devient quand même une espèce de branche inférieure, etc. de cette lignée. Oui,

  • Speaker #1

    on le tait. D'ailleurs, si je ne me trompe pas, par exemple, sur l'histoire d'Alexandre Dumas, pendant longtemps, on a tué ses origines métissées, justement à cause de ça. Oui,

  • Speaker #0

    mais c'est dans un... Dans un deuxième temps, parce qu'à l'époque, on savait qu'ils faisaient partie de ce qu'on appelle les gens de couleur. C'est-à-dire, en gros, les mulâtres, les métisses. C'est une catégorie juste qui désigne les noirs libres. Et quand je dis les noirs libres, ça veut dire des personnes qui ont au moins une goutte de sang africain. Et donc, esthétiquement, ils peuvent être facilement pris pour une personne blanche ou avoir des origines africaines extrêmement visibles. Mais c'est une catégorie sociale, une catégorie raciale, une catégorie... politique. Et on savait pendant longtemps que Dumas faisait partie de cette catégorie des gens de couleur. Les contemporains le savaient, mais c'est après qu'on l'a oublié pour réécrire justement un petit peu cette espèce de légende républicaine de la littérature française, où voilà, on ne va pas s'intéresser à ce genre de basse question, c'est juste une grande plume de la littérature française. On a universalisé Dumas. Voilà, on a universalisé Dumas.

  • Speaker #1

    J'ai commencé par te demander ce qu'était pour toi la philosophie. Et j'aimerais terminer cette interview en te demandant quel est pour toi le rôle du philosophe dans la cité ?

  • Speaker #0

    C'est encore une vaste question, mais j'ai commencé à répondre tout à l'heure en parlant de cette reconnexion avec notre propre misère. Je pense que c'est la première étape. Parler des choses qui posent problème, mais qui posent problème terriblement. tragiquement, parler des questions graves. Et je pense que c'est ce qu'on a fait. On n'a fait que ça pendant cette conversation. On a essentiellement parlé des questions les plus tragiques. Amener dans l'espace public, amener ces questions difficiles. Aussi, les connecter à leur profondeur historique. Réinscrire ces questions-là dans l'histoire. Amener une forme de connaissance ou de compréhension. plus large.

  • Speaker #1

    Mise en perspective.

  • Speaker #0

    Mise en perspective des éléments de connaissance. S'agit-il pour autant d'apporter des solutions ? Si on en a, tant mieux ! Mais la plupart du temps, on n'a pas de solution toute faite.

  • Speaker #1

    On essaye en tout cas.

  • Speaker #0

    On essaye, en tout cas, on essaye de s'orienter vers le fait de chercher collectivement une solution. Je n'aime pas spécialement cette espèce de figure solitaire du philosophe, même si je le suis. Je suis cet individu, cette espèce d'ermite dans sa caverne qui passe son temps à lire des ouvrages pour apprendre à écrire des ouvrages imbitables. Oui, c'est moi. Mais pas dans l'idée que je vais trouver des solutions tout seul. C'est pour ça que j'écris ce manifeste. Ce manifeste, c'est vraiment un hommage. aux mouvements noirs, aux mouvements décoloniaux, aux mouvements panafricains, tenter non pas de leur apporter des solutions, mais de leur apporter des clarifications, de leur apporter une perspective, tenter d'enrichir des discussions qui existent déjà, accompagner un engagement. C'est fondamental, même si ça va contre notre nature parfois, ce qui est mon cas, d'avoir quand même, de garder quand même une prise sur le collectif, une prise sur des actions collectives, sur du militantisme, d'essayer d'être en prise sur... ce qui se fait sur l'actualité. Je pense que c'est très important pour essayer d'avoir un discours le plus pertinent possible, savoir à qui on s'adresse et essayer de participer à des discussions qui existent déjà autant que faire se peut. Plutôt que d'avoir cette sorte de vivre, cette sorte de mythe, de l'aérolite génial qui va s'écraser sur le monde en s'ouvrant à portée. inonder le pays de vérité absolument fondamentale. Ce n'est pas ça la mission du philosophe, selon moi. C'est participer à donner des armes aux personnes qui se battent pour des causes que nous estimons justes.

  • Speaker #1

    Merci. Merci Norman Hajari pour cet échange. Je retiendrai trois émotions, les émotions philosophiques dont on parlait, la colère, la joie et la stupeur. Je pense que j'ai ressenti les trois pendant notre discussion. Merci. Merci pour cet échange incroyable.

  • Speaker #0

    Merci pour cette invitation, j'en suis honoré.

  • Speaker #1

    Avec grand, grand plaisir. À bientôt.

  • Speaker #0

    Bye.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un entretien du Fil d'Actu. J'espère que l'épisode vous a plu. Et avant de se quitter, je voulais vous dire un petit mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant et sans publicité. Et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent. en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien et on se retrouve mercredi pour un nouvel épisode du Fil d'actu.

Description

De quoi les Noirs souffrent-ils ?  Quels sont les obstacles, les violences, les privations, les humiliations qui définissent l’histoire qui est la leur ? 

Voilà les questions qui animent les recherches du philosophe Norman Ajari.


Norman Ajari étudie les Black Studies à l’université d’Edimbourg, et il vient de publier un Manifeste Afro-décolonial. Il s’interroge sur la déshumanisation contemporaine des Noirs à travers l’histoire de l’esclavage et du colonialisme, et propose une critique radicale des rapports de race, de pouvoir et de violence.

Il m’a fait l’immense honneur d’être mon premier invité pour les entretiens du Phil d’Actu. Une conversation essentielle pour comprendre notre monde, dévoiler ses fractures, et envisager des possibilités de réconciliation.



Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

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Transcription

  • Speaker #0

    Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui remet la philosophie au cœur de l'actualité. Ici, pas de philo prétentieuse et déconnectée du monde, mais une philo accessible et ancrée dans la société. Tous les mercredis, je vous propose une chronique commentant l'actualité et, une fois par mois, l'interview d'un ou d'une philosophe contemporaine. Prêt et prête pour une philosophie vivante et engagée ? Bienvenue dans le fil d'actu. De quoi les Noirs souffrent-ils ? Quels sont les obstacles, les violences, les privations, les humiliations qui définissent l'histoire qui est la leur ? Voilà les questions qui animent les recherches du philosophe Norman Hajari que vous allez entendre aujourd'hui. Norman Hajari étudie les Black Studies à l'Université d'Edimbourg et il vient de publier un manifeste afro-décolonial. Il s'interroge sur la déshumanisation contemporaine des Noirs à travers l'histoire de l'esclavage et du colonialisme et propose une critique radicale des rapports de race, de pouvoir et de violence. Il m'a fait l'immense honneur d'être mon premier invité pour les entretiens du Fil d'Actu, une conversation essentielle pour comprendre notre monde, dévoiler ses fractures et envisager des possibilités de réconciliation. Vous allez entendre une réflexion intense, souvent inattendue. Une philosophie vibrante, incarnée. La philosophie de Norman Najari vous prend aux tripes. Et je n'ai aucun doute qu'elle vous bouleversera autant qu'elle m'a parfois laissé sans voix. Bonjour Norman. Salut. Merci d'avoir accepté l'invitation dans le fil d'actu.

  • Speaker #1

    Merci de m'inviter pour ce premier entretien.

  • Speaker #0

    Et oui, c'est effectivement mon première interview, donc je suis un peu émue et stressée. Et super honorée que ce soit toi qui fasses cette interview.

  • Speaker #1

    Tout l'honneur est pour moi.

  • Speaker #0

    Ah, bon, j'aime beaucoup ces civilités, ces politesses. Alors, on va commencer tout de suite. Première question, mais une question qui me taraude pas mal, et je pense que je n'ai pas tout à fait résolu malgré toutes mes années de philosophie. C'est quoi pour toi la philosophie ? C'est quoi la définition de la philosophie et du philosophe ?

  • Speaker #1

    Oula, on commence tout de suite. Très, très fort, ça tape fort directement. Je n'ai pas vraiment de définition, de définition massive de la philosophie. à la Deleuze, qu'est-ce que la philosophie, ou à la Gamben, et peut-être ce que j'essaye de faire, ou ce qui me semble le plus intéressant dans l'exercice philosophique pour moi. Et là, j'irais plutôt du côté d'un philosophe allemand du XXe siècle qui s'appelle Théodore Adorno. L'une des choses qu'il dit, je ne suis même plus sûr que ce soit exactement une définition de la philosophie, mais en tout cas, il parle de la nécessité, pour la pensée, de nous reconnecter à notre propre misère.

  • Speaker #0

    Ah, c'est beau !

  • Speaker #1

    C'est pas mal, je pense que c'est dans les minima moralia, c'est son espèce de recueil d'aphorismes et de textes assez courts qu'il écrit pendant la Deuxième Guerre mondiale.

  • Speaker #0

    Se reconnecter avec sa propre misère. Oui. C'est magnifique.

  • Speaker #1

    Ça, je pense que c'est quelque chose de tout à fait important, surtout lorsqu'on est dans des temps troublés, surtout lorsqu'on travaille sur des questions comme moi, des questions de racisme, de conditions noires, de violences sociales et politiques. Ce rôle de la philosophie, que je ne considère pas comme un absolu, que je ne considère pas comme étant... l'essence de la philosophie, mais plutôt ce qui m'intéresse, ce qui m'a intéressé depuis de nombreuses années dans cette discipline ou dans cet exercice intellectuel, c'est d'aller chercher une compréhension de ce qui nous fait souffrir, au lieu de tenter de le dissimuler, de le dévoiler, de l'habiter, de le comprendre. Et en ça, c'est une manière de concevoir la philosophie qui est assez différente à la fois de ce qui est à la mode, c'est-à-dire... Toutes les hybridations de la philosophie avec le développement personnel, etc.

  • Speaker #0

    On pourra en parler si tu veux.

  • Speaker #1

    Ou même des choses un petit peu plus nobles, comme par exemple des grands philosophes comme Deleuze, etc. qui insistent beaucoup sur Spinoza, sur la joie, etc. Avec cette idée que je n'ai jamais réussi véritablement à comprendre, même du point de vue politique, selon laquelle la résistance politique serait du côté de la joie. Je n'ai jamais réussi à... adhérer à cette idée, je n'ai jamais compris d'où ça venait en fait. J'ai toujours eu l'impression spontanée que la joie, c'était fondamentalement un affect qui est du côté de l'obéissance. Il n'y a rien de plus facile que de manipuler et d'imposer ses options à un peuple joyeux. Il n'y a rien de plus bête que la joie d'une certaine façon.

  • Speaker #0

    L'imbécile heureux en fait.

  • Speaker #1

    Voilà, c'est exactement ça. C'est l'imbécile heureux. Et encore, je trouve que le bonheur a... à plus de noblesse que la joie. La joie, il y a une espèce d'hébétude. Je ne sais pas si tu te souviens, le film classique des philosophes, Matrix. Dans Matrix, c'est ce personnage très intéressant qui s'appelle Cypher. C'est un type...

  • Speaker #0

    Celui qui mange le steak à un moment.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. C'est celui qui mange le steak dans Matrix 1. Celui qui choisit de revenir, enfin qui projette de revenir à ce monde imaginaire de la Matrice, c'est-à-dire de perdre sa connaissance, de perdre sa connaissance des enjeux réels du monde, c'est-à-dire le fait que le monde est une simulation qui vise à maintenir l'humanité en tant que ressource. absorbé par les machines. Bref, en gros, on est exploité à notre insu et on vit dans une simulation, notre cerveau vit dans une simulation alors que notre corps est exploité. Lui se rend compte de ça et dit Mais moi, j'ai envie de revenir à cette sorte de vie primordiale, de vie luxueuse que m'offre la simulation. Je veux oublier la réalité et je veux m'enfermer dans cet espèce de monde de joie perpétuelle que m'offre la simulation. Cette espèce d'apologie de la joie dans le monde, à de nombreux égards, injuste, abjecte, abominable dans lequel on vit, a quelque chose de tout à fait obscène. Et je ne peux pas concevoir une philosophie dont le but, l'objectif serait cette espèce de quête ou de recherche de la joie, cette recherche de la consolation. Au contraire, je pense que... Il n'y a rien de plus nécessaire, de plus indispensable que de nous reconnecter à notre propre misère et au contraire de déclencher la colère, le dégoût, même la détestation de ce type de situation. Et je pense que c'est ça qui provoque la résistance, c'est ça qui provoque la révolte, c'est ça qui provoque la rébellion contre cette situation, pas la joie. On peut avoir des moments de joie dans la révolte. des moments de joie du fait d'être ensemble. Mais ce n'est certainement pas un point de départ.

  • Speaker #0

    D'accord, c'est un point d'arrivée éventuellement.

  • Speaker #1

    C'est un point d'arrivée éventuellement et c'est quelque chose qui nécessairement alimente la lutte. On a ces moments un petit peu d'extase qu'on peut avoir collectifs, dans le militantisme, dans l'engagement, dans la pensée, mais ce n'est ni le point de départ ni le moteur de ce qu'on fait. Si on en arrive à ne rechercher que ce type de satisfaction et non plus une véritable transformation du monde ni... par le sentiment, la conscience et la compréhension du fait que ce monde est détestable, alors on n'a pas ce qu'il faut pour parvenir à un but. Si le militantisme provoque tellement de joie qu'on veut qu'il dure, alors on va continuer à militer au lieu de tenter de faire en sorte d'arrêter de militer en archevant le projet qu'on recherche.

  • Speaker #0

    Pour toi, à quelle émotion est associée la philosophie ? Moi, je pense que la philosophie, c'est quelque chose... très émotionnel quand même. Les gens qui prétendent que c'est juste une vue de l'esprit totalement désincarnée, désincorporée. Je ne suis pas du tout d'accord avec cette conception-là. Et je pense que oui, c'est quelque chose qui nous prend aux tripes au départ. Je dis toujours que on fait de la philosophie pour moi parce que la psychothérapie n'est pas remboursée par la sécu. Et que du coup, il faut y aller. Donc en fait, on a une colère à canaliser.

  • Speaker #1

    C'est pas mal. Et pour répondre à ta question sur les affects. fondamentaux de la philosophie ou les sentiments fondamentaux de la philosophie, on sait que, traditionnellement, pour revenir encore une fois à ces bons vieux grecs classiques, à Platon, pour les grecs, la philosophie a pour affect fondamental le taumazène, c'est-à-dire ce qu'on traduit le plus souvent par l'émerveillement ou l'étonnement. Et à cela, le philosophe camerounais Fabien Ebussiboulaga avait donné une réponse que je trouve tout à fait fascinante. Il avait dit, pour la philosophie africaine, ça ne commence pas par l'émerveillement ou par l'étonnement, mais cette philosophie commence par la stupeur causée par une défaite totale. Parlons évidemment de la colonisation, de l'esclavagisme, etc. Évidemment, avec le travail que je fais, c'est une analyse qui a beaucoup d'écho, puisque je passe un temps considérable à lire des horreurs, des récits de torture. issus de l'esclavage, etc. Parfois, j'ai assez souvent, de plus en plus souvent, l'impression de pratiquer la philosophie dans une chambre de torture parce que c'est le type de recherche que j'ai choisi de faire, le type de travaux que j'ai choisi de faire, ce qui est quand même quelque chose d'assez étrange, d'un petit peu malsain. Mais je me dis qu'il faut bien que quelqu'un le fasse. Parce qu'on n'est pas très nombreux à faire ça. J'ai la conviction de... qu'il est nécessaire de se poser ce genre de questions. Et c'est sûr, ce ne sont pas des sujets ou ce ne sont pas des choses qui rendent heureux. Ce n'est pas la quête du bonheur promise par Montaigne et par le développement personnel. Non,

  • Speaker #0

    c'est sûr que tu n'es pas dans l'apaisement et la sérénité.

  • Speaker #1

    Non, pas du tout.

  • Speaker #0

    Tu es dans la mission, quelque part. Est-ce que tu décris, c'est presque une mission de dévoilement, de mise à jour de ce envers quoi d'habitude on tente de fermer les yeux et de faire l'autruche en fait ?

  • Speaker #1

    Voilà, oui, c'est vrai, c'est une manière de le dire. Il y a de ça, il y a cet affect là qui nous pousse à fréquenter des choses parfois atroces et à fuir la consolation comme la peste.

  • Speaker #0

    Et alors justement, parce que là on tourne un peu autour de tes thèmes, mais est-ce que tu pourrais nous résumer tes grands thèmes de recherche, tes grandes analyses ? ton approche ?

  • Speaker #1

    Je dirais que peut-être l'idée la plus basique de mon travail est que dans de nombreuses métaphysiques africaines, dans de nombreuses visions du monde africaine, il n'y a pas de limite tranchée entre le monde des vivants et le monde des morts. Dans le monde chrétien, la frontière entre les vivants et les morts est extrêmement bien définie. C'est pour ça que... lorsque le Christ ressurgit d'entre les morts, c'est l'événement du millénaire, même de plein de millénaires, de tous les millénaires, d'une certaine façon.

  • Speaker #0

    C'est un petit happening,

  • Speaker #1

    quand même. Voilà, oui, c'est quand même le gros truc. C'est le gros truc. Mais lorsque, dans les pensées, dans les philosophies d'Afrique de l'Ouest, les spectres reviennent, c'est juste les ancêtres qui sont encore parmi nous. Ils ont des choses à nous dire. C'est pas si... fabuleux que ça. C'est même plutôt ordinaire. Nos morts sont encore parmi nous si on continue à penser à eux. Ce que j'ai cherché à penser, c'est la subsistance de ce type de pensée au-delà du moment colonial et notamment du moment esclavagiste. Les esclaves ont vécu des situations qu'eux-mêmes, lorsqu'ils ont survécu, ont souvent décrites comme pire que la mort. Et les esclavagistes, comme les esclaves, étaient sidérés du fait que les Africains aient résisté de façon assez exceptionnelle parfois au type de violence qu'ils ont subi. Et je pense que cette conception de la réversibilité entre la vie et la mort est l'un des éléments fondamentaux qui leur ont permis de résister à la violence coloniale. Parce qu'ils ont survécu au deuil de manière différente et ils ont compris que cette traversée de la mort pouvait avoir un sens, pouvait avoir une signification, non pas dans l'au-delà, mais demain, dans ce monde. Il y avait une conception différente de la mort et de la vie. Et donc ce qui m'intéresse, c'est ce rapport entre les technologies coloniales, esclavagistes, néocoloniales, de la violence, de l'exploitation économique, de la mise à mort, et comment certains types de philosophies qui repense le rapport entre la vie et la mort, nous aide à nous rebeller contre ça.

  • Speaker #0

    Comment est-ce que, selon toi, cette frontière poreuse entre la vie et la mort, quelles sont les conséquences, justement, sur ce que tu décris ? Est-ce que ça veut dire qu'il y a une résistance, une résilience par l'idée qu'il faudrait une transmission, un témoignage ? Est-ce que c'est ça ce que tu laisses entendre ? Est-ce que c'est autre chose ? Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?

  • Speaker #1

    Cette question de transmission est extrêmement importante. Le fondateur du parti des Panthères Noirs, le Black Panther Party, Huey Newton, dans son autobiographie qui s'intitule, sacré titre, Le suicide révolutionnaire Ça pose un homme. Ça pose un homme.

  • Speaker #0

    On revient à la misère et à la colère dont on a parlé.

  • Speaker #1

    Je n'avais pas menti. J'avais joué carte sur table. C'est ça. Il parle de ça, la manière dont cette transmission des luttes du passé, les révoltes d'esclaves, les révoltes d'Africains sur les côtes atlantiques qui refusaient de se laisser embarquer sur les bateaux, qui coulaient les bateaux par le fond. Plein de choses dont on ne parle guère, plein de choses qu'on ne transmet pas. Comment la transmission de cela... nous permet d'une part, en tant que Noir, de transformer l'image, donc le tome qu'on peut avoir de nous-mêmes, l'image de béni-oui-oui, l'image de faiblard, d'ignaux, de crétin, qu'on peut avoir de nous-mêmes, et aussi comment ça enrichit notre vision aujourd'hui et comment ça nous aide à lutter contre la mort, contre notre propre mort, ce que lui-même appelle une mort spirituelle. Huey Newton dit que les Noirs... aux États-Unis, mais ce serait valable malheureusement pour beaucoup d'endroits du monde, souffrent d'une mort spirituelle. On a tendance à se laisser suicider. À se laisser mourir, à se laisser dépérir spirituellement. Et au-delà, dans notre propre vie, à ne plus rien attendre de l'existence, en vivant sous une forme de menace, en croyant aux langages dépréciatifs et humiliants qui sont tenus sur nous-mêmes, en y accordant trop de crédit. Cette reconnexion avec une certaine profondeur historique, cet exercice de connaissance et cet exercice de mémoire collective, de pouvoir se laisser hanter justement. des spectres du passé.

  • Speaker #0

    Comment la mort physique des personnes noires du passé permet de lutter contre la mort spirituelle et symbolique des personnes noires aujourd'hui qui sont disqualifiées, dépréciées. C'est absolument magnifique.

  • Speaker #1

    Regarde George Floyd. Regarde Adama Traoré. C'est des types d'engagement politique, de mobilisation politique autour... de la mort d'une personne, récemment même aussi avec Naël, ce sont des types d'engagements collectifs qui sont propres à ce type de mise à mort. Et ça rejoue toute cette histoire anticoloniale. Ça rejoue toute cette histoire de politisation collective des processus de deuil.

  • Speaker #0

    Politisation collective des processus de deuil. L'idée que la mort n'est pas quelque chose qui nous frappe individuellement.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas une affaire privée.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas une affaire privée.

  • Speaker #1

    On ne va pas juste mettre du noir. processionner devant une église ou une mosquée et pleurer en silence. On va porter ça dans la rue, et s'il le faut, dans une confrontation avec les forces de l'ordre qui sont responsables de ces morts. Reconnecter notre collectif à sa propre misère, comme je le disais. Et là, en l'espèce, dans les cas qu'on vient de décrire, on a vu la cause de cette misère. C'était les mains ou les armes des flics. Et donc, le deuil, c'est aussi un processus, dans ce cadre-là, de conscientisation de ça, se rendre compte de la nature, des mécanismes de la violence sociale qui ont conduit à ces mises à mort injustes.

  • Speaker #0

    Dans ce cas, il y a à la fois une réappropriation symbolique, pour essayer de comprendre comment on en est arrivé à une telle mise à mort, que cette mise à mort donne lieu à une émotion collective de colère qui permette de se réapproprier une place dans la société, ou en tout cas de lutter en vue de se réapproprier une certaine place dans la société.

  • Speaker #1

    C'est tout à fait ça.

  • Speaker #0

    J'ai presque envie de m'arrêter. Non, on ne va pas s'arrêter. Mais bon, est-ce qu'on pourra faire mieux ? On sent à quel point c'est quelque chose qui est très émotionnel chez toi. On sent quand on parle. que ce n'est pas du tout une philosophie froide. Pas du tout. On sent que c'est quelque chose que tu as dans ta chair. Est-ce que tu peux nous parler de ton éveil à la fois philosophique et ton éveil à ces thèmes-là ? Qu'est-ce qui, dans ton histoire, dans ton parcours, fait qu'aujourd'hui, tu parles de ces thèmes de cette façon-là, qui est extrêmement puissante ? Très sincèrement, j'en ai des frissons tout à l'heure quand on en parlait. Et voilà, est-ce que tu peux nous transmettre un peu ton histoire ou en tout cas, des parties de ton histoire qui te paraissent significatives et des choses que tu as envie de partager ?

  • Speaker #1

    Oui, je suis nigérian de par mon père et lorrain de par ma mère. Je suis né aux États-Unis, mais j'ai grandi en France. L'endroit où j'ai grandi, pendant la Deuxième Guerre mondiale, faisait partie du Reich allemand. C'est-à-dire que ce n'était pas un territoire occupé. C'était littéralement un territoire, ça faisait partie du territoire avec l'Alsace. L'Alsace et la Moselle ont été appropriées par le Reich allemand. Parce que Hitler disait, ici c'est des germaniques, et donc... Ça appartient au Reich. Ça appartient au Troisième Reich. Et donc, ma grand-mère et peut-être mon grand-père aussi, je ne sais plus, ont fait leur test d'arianité. Vous savez, pour savoir si c'était des vrais ariens. Je peux dire que je suis 50% arien. C'est quand même rigolo.

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que je ne l'avais pas vu venir. Et je ne sais pas combien de personnes peuvent se dire...

  • Speaker #1

    Surtout avec ma gueule, peuvent dire qu'ils sont à moitié ariens. J'ai passé beaucoup de temps... de temps dans la maison, enfin dans l'appartement de mes grands-parents, qui est un peu l'artère principale de Forbach, qui s'appelle aujourd'hui la rue nationale, mais qui, sous le Troisième Reich, ça aussi je l'ai découvert récemment, s'appelait Adolf-Hitler-Straße. Ça veut dire la rue de Adolf Hitler. Aujourd'hui, c'est une ville dont le député est évidemment Front National, enfin Rassemblement National.

  • Speaker #0

    Oui, maintenant, tu sais, ils sont plus racistes. Il ne faut pas dire Front National.

  • Speaker #1

    Oui, parce que le Front... un front, visiblement, c'est raciste, mais un rassemblement.

  • Speaker #0

    Un rassemblement,

  • Speaker #1

    c'est un rassemblement.

  • Speaker #0

    Les gens qui ont... D'Armanin a dit quoi ? Ils ne sont pas racistes, ils ont une vision du monde orientée par un certain rejet de l'autre. Il a dit ça. Ouais,

  • Speaker #1

    ouais. Voilà. On sent l'ancien de l'action française. Bref.

  • Speaker #0

    C'était le point d'Armanin, pardon.

  • Speaker #1

    Ouais. L'infâme d'Armanin. Donc, c'était pas... Évidemment, j'étais le seul noir quasiment. Donc c'était un contexte un petit peu hostile. Je me suis fait aussi de très bons amis, qui sont encore des amis aujourd'hui, évidemment. Ce n'est pas que c'était un lieu absolument invivable, non. Mais c'était à la fois un lieu de convivialité, à la fois un lieu d'amitié et aussi un lieu d'hostilité. Marqué par cette histoire du nazisme, j'ai grandi dans un environnement marqué historiquement, par un racisme explicite et virulent. Je pense que ça, c'est quelque chose que je n'avais pas forcément pris conscience pendant assez longtemps, mais c'est certain que ça m'a beaucoup marqué, que ça a peut-être participé à me donner ce que tu appelais tout à l'heure comme une mission d'élucider ce racisme dont j'avais été témoin ou l'objet. dans ma prime jeunesse.

  • Speaker #0

    Je voudrais qu'on revienne à ton ouvrage que tu viens de publier, qui s'appelle Manifeste afro-décolonial Est-ce que tu peux nous raconter un peu de quoi ça parle ? Quelle est ton approche ? Quelle est ta mission ? Ta vie avec ce bouquin ?

  • Speaker #1

    J'ai essayé de récapituler, de revisiter ce que le politologue africain-américain Cedric Robinson appelle la tradition radicale noire, c'est-à-dire toute une histoire d'intellectualité. intellectuels, militants de gauche, noirs, dans l'histoire de la pensée moderne. Notamment des militants du panafricanisme, Frantz Fanon sur lequel j'ai fait ma thèse, évidemment c'est une grande référence, mais aussi les Black Panthers, on en a aussi parlé, et bien d'autres, notamment issus du continent africain.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu peux, excuse-moi je te coupe, expliquer pour ceux qui nous écoutent, justement cette tradition radicale noire et le panafricanisme, qui est peut-être pas connu de tout le monde ? Est-ce que tu peux nous décrire un petit peu l'approche et en quoi ça se différencie d'autres approches ?

  • Speaker #1

    Bien sûr. Le panafricanisme, c'est une idée très simple qui consiste à dire que l'Afrique a été divisée hasardeusement en 1885 au moment de ce qu'on appelle le partage de l'Afrique lors de la conférence de Berlin, où les puissances européennes se sont assises autour d'une table, à Berlin donc, et ont divisé l'Afrique comme un gâteau. Et ce sont... pour distribuer les parts entre elles. Un petit morceau pour la Grande-Bretagne, un petit morceau pour la France, un petit morceau pour le Portugal, un petit morceau pour l'Allemagne. L'Allemagne qui, après la Première Guerre mondiale, va perdre ses morceaux, c'est pour ça qu'on se souvient assez peu, finalement, des colonies possédées par l'Allemagne. Mais, voilà, la part du lion va à la Grande-Bretagne et à la France, et un petit peu le Portugal et un tout petit bout l'Espagne. Et c'est aussi pour ça que, lorsqu'on regarde une carte de l'Afrique, on voit... des frontières au cordeau, ce qui est assez étonnant lorsqu'on compare ça avec les frontières européennes qui sont extrêmement ciselées, d'une part parce que elles suivent souvent des frontières naturelles, des rivières, des fleuves, des montagnes. C'est pour ça qu'elles ont des formes un petit peu irrégulières et elles sont aussi l'objet de décennies, de centaines d'années, de millénaires de guerres et d'affrontements entre ces pays qui ont dessiné ces frontières. Or, Les frontières précoloniales africaines étaient tout aussi précises, tout aussi floues et aussi souvent mobiles, etc. Mais avec cette conférence de Berlin, on a découpé des frontières au laser.

  • Speaker #0

    Oui, la carte de l'Afrique comme on la voit aujourd'hui,

  • Speaker #1

    elle est géométrique.

  • Speaker #0

    C'est à la règle.

  • Speaker #1

    C'est à la règle. C'est comme beaucoup d'États aux États-Unis. C'est à la règle parce que ce sont des frontières coloniales, ce sont des frontières purement et simplement administratives qui ne correspondent pas aux traditions des pays. Des pays qui ne correspondent pas aux divisions linguistiques, qui ne correspondent pas aux divisions familiales, qui ne correspondent pas à l'histoire, tout simplement. C'est une histoire étrangère qui vient se surimposer en un instant à l'histoire millénaire de ce lieu. Le panafricanisme, c'est le projet de dire balayons ces frontières illusoires, non pas pour les remplacer par des frontières ethniques ou nationales plus pertinentes, mais par, précisément, des États-Unis d'Afrique, c'est-à-dire une unité continentale où on redessinerait à l'intérieur des frontières plus pertinentes, mais des frontières de sous-régions, non pas des frontières d'États-nations avec une identité forte.

  • Speaker #0

    Un fédéralisme, en fait.

  • Speaker #1

    Mais voilà, un véritable fédéralisme africain. Ça, c'est l'idée du panafricanisme. Il y en a différentes tendances. La tendance à laquelle moi je me réfère, celle qui m'intéresse, c'est une tradition socialiste. c'est-à-dire celles qui considèrent que le principal moteur, la principale motivation pour achever ce but, ça doit être de mettre en place une économie politique qui bénéficierait à tous les Africains et qui lutterait contre les monopolisations, qui lutterait contre une économie de marché qui a absolument ravagé l'Afrique depuis des décennies et surtout qui lutterait contre l'impérialisme qui persiste et qui s'impose aujourd'hui encore en Afrique puisque c'est le néocolonialisme qui continue à faire des victimes innombrables sur ce continent. Donc ça, c'est le projet du... panafricanisme. La tradition radicale noire, c'est une notion qui était, comme je le disais tout à l'heure, élaborée par Cedric Robinson. Toute l'histoire dont je parlais avant avec Huey Newton, toute cette histoire de révolte d'esclaves, toute cette histoire de lutte anticoloniale en Afrique, en Amérique et au-delà, c'est ça la tradition radicale noire. C'est cette sorte de motivation foncière pour vivre autrement, pour se débarrasser, débarrasser de nos existences, des structures coloniales. et inventer de nouvelles formes de vie communautaire. C'est ça, pour Cedric Robinson, ce qui constitue, je dirais, l'essence de la tradition radicale noire, depuis les premiers marrons. Les marrons, ça veut dire les esclaves qui ont fui les plantations pour élaborer de nouvelles manières de vivre en collectif, loin de la plantation, et qui, quand ils en ont eu l'occasion, ont été brûler les plantations. Ça, c'est pas bon, ça, c'est mauvais. Cedric Robinson dit quelque chose de très intéressant. Il dit que c'est ça qui fait la différence entre la tradition radicale occidentale et la tradition radicale noire. Lorsque vous lisez Marx, Lénine, ce n'est pas se débarrasser du travail, c'est se débarrasser d'une certaine forme de division du travail, c'est se débarrasser de l'aliénation, c'est se débarrasser de l'exploitation. Ça veut dire qu'on ne va pas se débarrasser des usines. On va juste travailler moins, on va travailler de manière plus intelligente et surtout, les travailleurs vont avoir tous les fruits et tous les bénéfices de leur travail. Finalement, le communisme au sens de Marx, c'est tous les bénéfices du capitalisme sans les désavantages, sans les désagréments. C'est pour ça que parfois, les gens se moquent des gens qui ont un iPhone en disant toi t'es communiste, t'as un iPhone, t'es débile Pour Marx, dans le communisme, il y a des iPhones, il n'y a pas de problème. Il y a des iPhones à 1 euro pour Marx.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'on peut imaginer juste Marx avec son iPhone ?

  • Speaker #1

    J'y pense, j'y pense où les choses. Je pense même à Lénine avec un iPhone. Pour cette tradition-là, il ne s'agit pas de se débarrasser de l'usine. Maintenant, il y a des gens qui essayent de dire Marx écologiste etc.

  • Speaker #0

    On a toujours dit que Marx était productiviste.

  • Speaker #1

    C'est quand même un petit peu le consensus sur la pensée de Marx et sur le marxisme. En tout cas, en ce qui concerne le marxisme-délinisme, c'est certain. Se débarrasser de l'aliénation, mais non pas se débarrasser de la forme moderne de la production.

  • Speaker #0

    Oui, et surtout que chez Marx, le travail accompli émancipe l'homme.

  • Speaker #1

    Absolument.

  • Speaker #0

    l'homme est l'être qui travaille. C'est vraiment le cœur de son identité.

  • Speaker #1

    C'est son anthropologie, vraiment c'est une anthropologie héritée de Hegel, selon laquelle l'homme transforme la nature et ce faisant se transforme lui-même. Il y a toute une anthropologie qui sous-tend ça, c'est quelque chose de très important. Et Cedric Robinson dit, dans la tradition radicale noire, ça se passe différemment. Les esclaves, la première chose qu'ils ont fait, ce n'est pas de dire, oh ! On va s'approprier les plantations et on va les réorganiser pour produire autrement. Ça, ça va venir dans un deuxième temps par la nécessité de la révolution. Au départ, ils se disent on va tout brûler. On va tout brûler. On va brûler toutes les plantations. On brûle tout. On n'en veut plus. Les plantations, c'est de la merde. On ne va pas travailler là-dessus. Ça nous a tués pendant des générations. Ça nous ruine la santé. Ces choses sont des abominations. On les brûle et après, dès qu'ils en ont la possibilité, ils s'installent des petits lopins de... terre, etc. Ils vivent dans les ruines des plantations et ils y vivent extrêmement bien. Ce sont deux façons différentes de considérer l'émancipation ou la libération.

  • Speaker #0

    Si tu te places dans cet héritage-là, ce serait l'idée que toutes les personnes noires dans le monde partageraient une condition, quelque part, une condition noire, et que ces personnes pour lutter contre les structures de domination qui sont encore en place dans les sociétés aujourd'hui, n'auraient d'autre choix que de quoi ? Faire sécession et d'aller créer une nouvelle communauté ailleurs ?

  • Speaker #1

    Non, ce n'est pas ça. Ce serait un très bon point de départ pour un ouvrage de science-fiction, par exemple. Mais ce n'est pas exactement ce que je dis. Ce que je dis, c'est un petit peu plus tragique que ça, d'une certaine façon. C'est de dire que la condition des Noirs ne pourra pas s'améliorer à l'échelle globale tant que l'Afrique sera soumise à... cette violence néocoloniale de très haute intensité.

  • Speaker #0

    C'est pour ça que je dis que c'est tragique. Ce n'est pas pour dire, oh les gars, prenons un billet d'avion, on va en Afrique et tout va être génial. Non, absolument pas, ce n'est pas du tout ça. Ce n'est pas du tout ça l'idée. C'est l'idée de dire que, bien sûr, il y a une grande pertinence au combat antiraciste n'importe où dans le monde. On parlait tout à l'heure de George Floyd, de Traoré, de Nahel, etc. Aucun doute là-dessus. Mais sans transformation des structures néocoloniales, c'est-à-dire sans abolition de l'impérialisme qui violente l'Afrique et sans constitution de l'Afrique en grand pôle de puissance politique, jamais il n'y aura de reconnaissance de l'humanité des Noirs à l'échelle globale, puisqu'on aura toujours l'exemple de ce continent peuplé de nègres imbéciles, incapables de s'organiser, pauvres, misérables, etc. Ce sera toujours ça qui nous sera renvoyé au visage. Ce sera toujours ça, finalement, la preuve ultime de notre incapacité intellectuelle, politique, économique, etc.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Donc, ce que je dis, ce n'est pas une espèce de volontarisme en disant Bon, on va faire sécession ou que sais-je. C'est de dire, sans la libération de ce lieu qui est le lieu d'où... où ultimement on provient, ce lieu qui est le synonyme de notre être aujourd'hui. Partout, le noir et l'africain. Le noir et l'africain, c'est pareil. C'est évident. Même aux États-Unis, où les descendants d'esclaves sont là depuis 400 ans, on entend encore des types leur dire retourne en Afrique

  • Speaker #1

    on les appelle les african-american african-american,

  • Speaker #0

    bah oui bien sûr parce que c'est évident on peut pas se cacher derrière son petit doigt en faisant comme si, bah non j'entends parfois des personnalités des intellectuels, tu viens d'où ? je suis français oui évidemment t'es français, tu as la carte y'a pas de problème, mais tout le monde sait très bien que si tu ressembles à ça, c'est parce que tes ancêtres venaient d'Afrique ce n'est absolument pas infamant ça ne t'enlève pas ta citoyenneté... On sait très bien que la citoyenneté et l'histoire d'une famille, d'une personne, de quoi elle est issue, ce sont deux choses différentes. Et c'est pas...

  • Speaker #1

    Ça ne te vexe pas quand on te pose cette question ? Parce que c'est un sujet qu'on entend souvent comme étant une micro-agression, de dire quand on demande à une personne noire tu viens d'où ? Non mais en vrai, les gens se disent, se sentent complètement disqualifiés dans leur... Enfin, il y en a beaucoup qui racontent se sentir disqualifiés. Et toi, tu n'as pas cette approche-là du coup.

  • Speaker #0

    Je sais que c'est le cas pour beaucoup de gens, parce que le problème, ce n'est pas l'explicite de cette question. Le problème, c'est que souvent, cette question sous-entend une forme d'illégitimité à être là où on est. Et je pense que c'est ça qui pose problème la plupart du temps.

  • Speaker #1

    Tu viens d'où en vrai, sous-entendu ?

  • Speaker #0

    Parce que tu n'as pas ta place ici. Je pense que c'est ça qui vexe. C'est l'implicite qui me gêne. Et souvent, on sent quand il y a cet implicite ou pas.

  • Speaker #1

    D'accord. Tu sens une différence quand les gens te demandent ?

  • Speaker #0

    Bien sûr.

  • Speaker #1

    de manière vraiment intéressée. Ah, mais toi, ta famille est originaire de quel endroit ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. D'ailleurs, la manière la plus simple de se rendre compte et la plus évidente, c'est qu'entre Noirs, on se pose la question tout le temps. On se pose la question tout le temps. Tu viens d'où ? Tu viens du Congo ? Quel Congo ? Des questions bêtes comme ça. Et personne ne se vexe. Personne ne se vexe. Martinique ou Guadeloupe ? Personne ne se vexe quand les Noirs se posent ce genre de questions. Mais quand c'est un blanc, on peut se vexer. Moi, la plupart du temps, je ne me vexe pas. Sauf quand je me rends bien compte que c'est une manière de métaphoriser une espèce de dédain. Moi, c'est ça qui me pose problème. C'est l'espèce d'illusion qu'on a à se dire je suis un Français comme un autre Bien sûr, tu es Français, évidemment. Tu as le passeport français, tu as la carte d'identité française, pas de problème. Mais tu es noir. Il n'y a pas lieu de s'en émouvoir ou de faire comme si ce n'était pas le cas. de demander aux gens, ou d'installer, ou d'avoir l'attente que les gens passent semblant qu'ils ne voient pas que tu es noir. Ça, c'est, je pense...

  • Speaker #1

    Avec le couleur, le fait. Voilà,

  • Speaker #0

    exactement. Moi,

  • Speaker #1

    je ne suis pas raciste, je ne vois pas les couleurs.

  • Speaker #0

    C'est ça. Et cette espèce de censure sur la question Quelles sont tes origines ? Quelle origine ? La censure sur cette question me semble être, pour les personnes qui se vexent lorsqu'on se pose cette question, une espèce d'attente implicite d'une société colorblind, une société où on ne voit pas les couleurs, d'une société post-raciale. Or, je pense, et là, j'utilise une belle formule d'une collègue qui travaille à l'Université de la ville de New York qui s'appelle Nathalie Etoquet, qui dit le projet ne doit pas être d'imaginer ou de fonder une société post-raciale, mais une société post-raciste. Ça, ce sont deux choses différentes. Ce sont deux choses différentes.

  • Speaker #1

    Société post-raciale qui serait une société on ne voit plus les couleurs, nous sommes tous des genres humains. Voilà. société post-raciste, une société où on peut être de la couleur qu'on est ou de l'identité qu'on est, sans que ce soit synonyme de hiérarchie, de disqualification.

  • Speaker #0

    Absolument, absolument. Je donne un exemple, c'est un exemple un petit peu bateau, mais souvent en philosophie, on aime bien les exemples bateau parce que ça aide à comprendre. Quelqu'un peut avoir, et on va le dire, les yeux bleus, les yeux verts, les yeux marrons. Après, il a les yeux marrons et parfois il va se vexer, il va se dire Ah non, j'ai pas les yeux marrons, j'ai les yeux noisettes parce que noisette c'est plus cool qu'avoir les yeux marrons n'est-ce pas ?

  • Speaker #1

    Moi je dis que j'ai les yeux marrons-verts par exemple parce que marron je trouve ça vraiment pas cool Mais ils sont verts non ? Merci, ma journée Je dis à tout le monde les yeux sont verts Pour les auditeurs,

  • Speaker #0

    sachez que ces yeux-là sont tout à fait verts et les miens sont marrons évidemment ou noisettes si vous voulez Non, on peut parler de ça sans comment dire que les gens s'émeuvent ce sont des différences physiquement attestables et sur lesquels on n'a pas forcément besoin de passer des heures. Or, lorsqu'il s'agit de notre carnation, lorsqu'il s'agit de notre pigmentation, d'un seul coup, ce sont des différences qu'il faudrait ne même pas mentionner ou par rapport auxquelles on devrait faire les aveugles. Ça, c'est quelque chose de tout à fait malsain. C'est quelque chose de tout à fait malsain parce que le fait d'instaurer ou d'entretenir cette espèce d'atmosphère où ces choses-là ne doivent pas être nommées, où la question des origines ne doit pas être posée, ça consiste à entretenir de manière sous-jacente ce tabou, et c'est-à-dire aussi, du même coup, tous les stéréotypes et tous les fantasmes qui sont attachés à ces couleurs et à cette apparence. Et ça, c'est un problème.

  • Speaker #1

    Ça participe de l'imaginaire que quand on dit de quelqu'un qu'il est noir, c'est une insulte.

  • Speaker #0

    Absolument.

  • Speaker #1

    Et d'ailleurs, ça me fait penser à la question des mots dont tu parles, avec l'idée, les gens qui disent il est black ça c'est plus à la mode heureusement mais ça se dit encore beaucoup et c'est fait par quelque part pas avec une mauvaise intention souvent c'est fait avec une idée justement d'être délicat sauf que ça reconduit exactement ce que tu dis tu peux dire qu'il est noir c'est pas une insulte peut-être que ça participe de tout ce que tu décris là il y a cet inconscient collectif dépréciatif en fait tout à fait c'est l'interaction je dirais nuisible

  • Speaker #0

    entre d'une part cet inconscient collectif dépréciatif qui nous travaille souterrainement et l'idéologie républicaine qui vise à faire comme si désigner la différence était déjà une espèce d'atteinte à notre idéal de citoyenneté. Ces deux choses-là font extrêmement mauvais ménage. Elles font mauvais ménage parce qu'elles nous forcent vraiment à mettre cette poussière-là sous le tapis, comme si c'était la seule solution pour se débarrasser de ce genre de problème, c'est de ne pas... le nommer. C'est ça, en tout cas, ce que l'idéal républicain de citoyenneté est devenu en France, une espèce de figure idéale sans aucune caractéristique. Et ça, c'est vraiment le problème fondamental de la philosophie politique française, je crois, que je nomme à chaque fois, c'est son incapacité à penser en même temps l'égalité et la différence. Cet idéal de citoyenneté qui est centré, qui est absolument, comment dire... arc-bouté sur cette espèce d'idéal d'égalité, évidemment pas d'égalité économique bien entendu, mais d'égalité formelle, d'égalité juridique etc. de liberté et surtout bien sûr la liberté économique pour le coup, mais la question de la différence le paralyse absolument. Il faut censurer les différences, il faut les étouffer, il faut les briser, sinon on a l'idée à mon avis tout à fait fausse que la citoyenneté, la participation politique, la participation sociale devient impossible. Or, rien n'est plus faux. La seule motivation à participer à la vie politique, c'est justement de faire valoir des intérêts. C'est justement de dire, voilà en tant que pauvre ce que j'ai envie de passer comme message politique. Voilà en tant que noir, voilà en tant que femme, voilà en tant que trans, voilà en tant que... n'importe quelle minorité, voilà en tant que patron mes intérêts, voilà en tant que riche, voilà en tant que millionnaire, que milliardaire, ce que j'ai envie de voir appliqué dans ce pays-là. La politique, c'est avant tout faire valoir des intérêts. Je ne soustris pas du tout à cette espèce de mythologie issue de la philosophie des Lumières, selon laquelle on arrive dans l'espace public, dans l'espace politique, en ayant uniquement en tête le bien commun. Non, je suis malheureusement trop marxiste pour ça. Je pense que ce sont des conflits, des divergences d'intérêts, une lutte d'intérêts. lutte de classe et toute une série évidemment d'autres luttes qui sont le cœur de l'action politique. Et donc la citoyenneté idéale, l'idée qu'on pourrait uniquement penser à des lois qui bénéficieraient à tous les citoyens de manière absolument égale, c'est, je suis loin d'être le premier à le dire, une ruse de la bourgeoisie, une ruse de la suprématie blanche pour ne jamais qu'on s'attaque à... un certain nombre de problèmes.

  • Speaker #1

    C'est des raisonnements auxquels on n'est pas forcément habitués, parce que justement on baigne dans ce discours de la bourgeoisie, du citoyen universel. L'universalisme, c'est une valeur qui est considérée comme une valeur somptueuse d'émancipation, alors que justement on se rend compte que c'est plutôt un dogme assez centralisateur, qui cherche à homogénéiser les citoyens, qui explique aussi l'histoire de la France, qui comprend l'immigration comme devant être synonyme d'assimilation, c'est-à-dire que les gens qui immigrent doivent se départir de leurs caractéristiques et de leur culture et adopter les comportements de la France pour être des véritables Français. Et donc cette idée d'universalisme qui est au départ une universalité des droits et donc qui laisse une possibilité à la différence devient une universalité comme homogénéisation. Est-ce que c'est quelque chose que tu ressens encore aujourd'hui ? On peut peut-être passer à une analyse un peu de l'actualité. de la société française aujourd'hui. Alors, je précise, si vous nous écoutez, qu'on enregistre cet épisode trois jours avant les élections législatives du 30 juin.

  • Speaker #0

    Moment de vérité, premier tour.

  • Speaker #1

    Premier tour, ouais. Donc, on est dans un cadre un peu particulier. Donc, quand vous écouterez cet épisode, on sera quelques mois plus tard. Donc, je suis désolée, Norman, tu auras cette position très agréable qui est de faire la boule de cristal. Ou en tout cas... Non, peut-être pas la boule de cristal. Mais en tout cas, quand vous écouterez, la société aura peut-être un peu changé d'une manière ou d'une autre.

  • Speaker #0

    Qui est Premier ministre ? Est-ce Jordan ? Est-ce Jean-Luc ?

  • Speaker #1

    Jean-Luc, je ne pense pas.

  • Speaker #0

    Est-ce François Hollande ?

  • Speaker #1

    Horrible ! La capsule temporelle nous a ramenés en 2012. Ça va être le retour de Jean-Marc Hérault. Mais voilà. Est-ce que tu peux nous raconter aujourd'hui, toi, quelle est ta lecture de la société française dans un contexte historique comme celui qu'on est en train de vivre, où il y a une élection qui a des enjeux considérables ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est un petit peu difficile à dire. puisque je ne vis plus en France depuis un certain nombre d'années, même si j'y vais de temps en temps. Je ne vais pas dire qu'il y a une progression du racisme, mais les racistes cèdent, pour utiliser une formule assez célèbre de Jacques Lacan, du psychanalyste Jacques Lacan, les racistes cèdent de moins en moins sur leur désir. Ils se censurent de moins en moins. Le bel exemple de ça, c'est Ciotti. Et Ciotti a raison. C'est celui, comme je le disais, qui cède le moins dans son camp sur son désir. et qui suit la voie de la raison. Jean-François Copé et d'autres de ses collègues qui disent Non mais attendez, c'est un scandale, ce qu'il fait n'est pas républicain c'est évidemment hypocrite.

  • Speaker #1

    Quand il fait une alliance avec le RN, tu veux dire ?

  • Speaker #0

    Quand il fait une alliance avec le RN. Ils font la politique du RN depuis au moins, au moins, depuis que Chirac n'est plus aux affaires. C'est le dernier qui peut-être, au moins formellement, a maintenu le cordon sanitaire. qui considéraient que c'était vraiment l'une des raisons d'être, on va dire, de la droite en France, c'était ce cordon sanitaire, parce que c'est l'héritage de De Gaulle, etc. C'était cette philosophie politique, là. C'est pas pour dire que la droite française c'est génial et tout, absolument pas, c'est abominable.

  • Speaker #1

    Vous avez changé de programme sans vous en rendre compte, vous êtes passé sur un autre podcast.

  • Speaker #0

    On est sur Radio Courtoisie. C'est pour dire qu'à partir de Sarkozy, toute cette affaire-là change un petit peu. Ils ont commencé à trafiquer avec l'extrême droite de plus en plus sévèrement. Et Ciotti dit simplement, on a changé d'époque. Ça fait longtemps qu'on est d'extrême droite, regardez, on est raciste, non ? Vous avez vu ce qu'on a voté ? Tout simplement, il reconnaît la réalité. Il admet la réalité, il en tire les conséquences. Les deux ont fait du chemin, si vous voulez. C'est-à-dire que la droite française a fait... tout doucement son chemin vers le racisme et le Rassemblement national a refait tout doucement son chemin vers une politique économique de droite libérale et néolibérale. Ça devient un parti de droite tout à fait ordinaire et calque son programme sur le programme des Républicains. D'ailleurs, Sioti lui-même le dit, on a le même programme économique, etc. Ces deux parties de droite ont cheminé chacun vers l'autre. La droite traditionnelle issue de l'UMP. P, issu du RPR, etc., a cheminé de plus en plus vers l'extrême droite sur les questions de l'immigration, de l'islam. et de l'identité française, pendant que le Rassemblement national a cheminé de plus en plus vers la droite libérale française, en gardant ses thèmes racistes, mais en adaptant de plus en plus son programme économique au desiderata de M. Bolloré.

  • Speaker #1

    Je vais essayer de faire le lien entre ton manifeste afro-décolonial, dont tu nous as un petit peu parlé, sur tes analyses de l'émancipation possible et de la lutte. de cette idée que c'est la colère qui est au cœur de la lutte et qui permettrait une réappropriation, un horizon d'émancipation et de réappropriation. Et donc je voudrais faire le lien entre tes analyses philosophiques et l'actualité. Je suis très intéressée par ce que tu décrivais, le fait que c'est parce qu'il y a encore des situations néocoloniales en Afrique, parce que finalement il y a une ingérence des puissances occidentales en Afrique qui s'accaparent les ressources et qui font perdurer des États. de domination, des systèmes de domination et d'exploitation, que ce serait en s'émancipant de ces structures-là qu'on pourrait réhabiliter quelque part dans l'inconscient collectif l'image des personnes noires et que ça aurait une incidence sur le racisme aussi dans les pays occidentaux. Si j'ai bien résumé ta pensée, comment concrètement tu envisagerais ce projet décolonial, ce projet afro-décolonial, en lien avec vraiment le monde très incarné et l'actualité qui est la nôtre ?

  • Speaker #0

    C'est difficile de faire cette connexion dans la conjoncture qui est la nôtre, parce que malheureusement, ce n'est pas un thème qu'on a réussi à imposer. Il est vrai que l'actualité est assez particulière. L'actualité, et souvent en plus l'actualité africaine et le parent pauvre, en ce qui concerne les médias, notamment en France. Par ailleurs, certaines questions liées à la colonisation, les questions coloniales, ont été extrêmement centrales. dans la campagne des Européennes et dans cette campagne très courte des législatives. Je pense évidemment à la question du génocide à Gaza. C'était une question extrêmement débattue. Et on a des lignes tout à fait différentes. On voit la ligne de la France insoumise et du nouveau Front populaire n'est pas tout à fait parfaite, mais au moins il y a quelque chose qui va dans le sens de la reconnaissance. d'un État palestinien. Il y a aussi la question de la Kanaki Nouvelle-Calédonie, qui était une autre question coloniale extrêmement brûlante. Et là aussi, on a des options très différentes. Une option plutôt qui va vers dans le sens de la décolonisation à gauche et des options qui vont dans le sens du maintien du statu quo colonial à droite.

  • Speaker #1

    Illustration, je dis pour ceux qui nous écoutent, d'une mesure qui a été prise, qui me paraît totalement empreinte de colonialisme, de néocolonialisme, c'est qu'il y a une... si je ne me trompe pas, une dizaine de personnes qui ont été considérées comme des leaders du mouvement indépendantiste qui ont été ramenées en métropole pour être emprisonnées. Donc des gens qui sont emprisonnés à 15 000 kilomètres de leur famille pour être isolés. Quand même, on est complètement dans un imaginaire néocolonial.

  • Speaker #0

    C'est exactement ce qui arrivait à Toussaint Louverture lorsqu'il a été défait par les armées de Napoléon. Il a été emprisonné en métropole pour... l'éloigner de son peuple, de son armée, de ses soldats et de ses officiers.

  • Speaker #1

    Et ça reconduit l'idée que dans ces colonies, ou dans ces anciennes colonies, le mot ancienne est clairement sujet à débat, on peut disposer de la vie des personnes qui y habitent, comme des poules mobiles, parce que finalement, on les possède.

  • Speaker #0

    C'est vraiment une manifestation du caractère impérial de cette nation. Oui, nous avons des terres ici, nous avons des terres là. Même dans les discours de gauche, on entend parfois, Jean-Luc Mélenchon le dit, la France est présente sur les cinq continents. Parfois, oui, certaines personnes peuvent en tirer fierté, d'autres peuvent avoir froid dans le dos en entendant de telles formules. Bon, je vois un petit peu les relents universalistes qu'il tente d'y mettre. Je veux bien comprendre cela, mais il y a aussi des hectolitres de sang qui ont été versés pour ces territoires-là et qui continuent d'être versés.

  • Speaker #1

    Et qui viennent hanter, pour revenir à ce dont tu parlais tout à l'heure, leur deuil physique vient hanter un deuil psychique et symbolique qui marquerait aujourd'hui les populations qui sont encore opprimées dans ces endroits.

  • Speaker #0

    Oui, c'est exact. Eh bien, malheureusement, les questions pourtant extrêmement importantes stratégiquement qui concernent l'Afrique n'ont pas été objet de telles discussions. Il n'y a pas de véritable programme. de décolonisation ou d'émancipation africaine qui a acquis une place centrale dans le débat public. Ces questions coloniales, ces questions décoloniales... sont toujours la proie de l'actualité, alors que ce n'est pas une question d'actualité. Oui,

  • Speaker #1

    c'est une question au contraire d'histoire au long cours et de structure.

  • Speaker #0

    Absolument. La situation, par exemple, à Gaza, c'est une accélération de l'histoire qui a lieu.

  • Speaker #1

    Ça fait 75 ans que ça dure.

  • Speaker #0

    Exactement, ça fait 75 ans que ça dure. La situation aujourd'hui, c'est une différence de degré, une différence d'intensité, mais non pas une différence de nature. La situation coloniale perdure, comme tu viens de le dire, depuis plusieurs décennies. Et donc, on est un peu otage de l'actualité sur ces questions-là. Ce ne sont jamais des questions centrales. Et ce qui est normal, parce que la France bénéficie beaucoup, c'est plusieurs points de PIB qui bénéficient de ce rapport privilégié, je me fais des guillemets avec les mains, ce rapport privilégié avec l'Afrique.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous expliquer en deux, trois mots en quoi il y a encore des structures néocoloniales qui persistent ?

  • Speaker #0

    Pour le faire très simplement. Normalement, ordinairement, lorsque vous avez des ressources minérales, ce qu'on appelle des ressources minérales, ça veut dire par exemple un gisement de pétrole ou une mine de tantal, de coltan, je crois qu'on dit coltan en français, je ne sais jamais. C'est un métal rare qu'on utilise pour faire les processeurs des téléphones cellulaires et des ordinateurs portables. De l'iPhone de Lénine. Exactement, celui de Lénine aussi bien que celui de Xi Jinping, qui d'ailleurs a plus de rapports de rapport avec ça en tant que communiste. On le salue. Salut camarade, continue à faire ce que tu fais, t'inquiète pas, ton communisme, c'est de la balle. Mais ordinairement, ce qu'on conçoit, la manière dont on conçoit les choses, c'est que une entreprise vient là, elle extrait ses ressources, elle les achète au pays, à la nation qui possède ce sol, ou bien elle paye une espèce de location pour pouvoir être là, etc. Et après, elle doit... le revendre avec force taxe douanière pour l'exporter ailleurs. Donc, normalement, cette extraction bénéficie par des taxes, par des coûts, au pays où cette extraction a lieu. En Afrique, ça se passe différemment. Pourquoi est-ce qu'on parle de néocolonialisme ? Eh bien, parce que quand Areva va au Congo ou ailleurs, elle fait comme si elle était en France. Elle graisse la pâte à qui de droit, c'est-à-dire... que la manière dont l'argent circule là est, pour dire le moins, extrêmement obscure. Ça, avec le partenariat plus ou moins avoué ou plus ou moins secret de la France, à travers, par exemple, des aides publiques au développement, c'est-à-dire qui sont en gros des valises de billets, c'est un peu caricatural, mais malheureusement, pendant très longtemps, ça a fonctionné de la sorte, qui vont arroser des ministres, qui vont arroser des présidents, qui vont développer, on ne sait quoi. participer au développement du pays, afin d'acheter, non pas seulement leur silence, mais leur autorisation pour procéder à ces extractions. Pour faire, en gros, comme si on était chez soi. Et évidemment, c'est beaucoup moins cher d'enrichir un petit groupe d'individus pour avoir ces droits-là, que de devoir passer au crible d'un véritable système juridique, d'un véritable système économique, où chaque baril de pétrole va être pesé, chaque... tonnes de tantales va être pesée et on va dire, voilà combien ça te coûte. Là, tu as un blanc-seing, tu payes un forfait, en fait. C'est un peu le Netflix du pétrole. Tu es là, tu as le droit d'exploiter autant que tu peux, tant que tu me donnes tel nombre de millions à moi et à mes potes, chaque année ou chaque mois. C'est un peu caricatural, la manière dont je le dis, mais je pense que là, on comprend bien la perversion de la chose.

  • Speaker #1

    Tu donnes de l'argent et tu enrichis un petit groupe de personnes. qui font perdurer un système comme ça, où tu vas bypasser les structures juridiques. Donc, les personnes que tu enrichis sont plus puissantes, sont encore plus puissantes, et donc peuvent continuer une relation privilégiée avec des entreprises françaises. Et donc, ça court-circuite totalement l'État, qui est laissé impuissant devant la force et l'enrichissement de ces petits groupes.

  • Speaker #0

    Tout à fait, ça court-circuite l'État, en court-circuitant l'impôt. Qui dit court-circuiter l'impôt, dit pas d'argent pour améliorer les services publics en Afrique. les services publics africains qui ont été fortement travaillés au moment de la décolonisation pour une éducation de qualité, pour des hôpitaux, etc. Mais il y a eu un moment qu'on appelle le moment des plans d'ajustement structurel dans les années 80-90. C'est un moment où la Banque centrale s'est immiscée dans les affaires de nombreux gouvernements africains qui tendaient vers le socialisme. La Banque mondiale et le FMI... le FMI sont venus mettre leur nez là-dedans et dire mais c'est pas libéral votre système ce qui fonctionne c'est l'économie de marché si vous voulez qu'on vous prête de l'argent vous devez libéraliser, vous devez privatiser ces services publics Et donc, pour des États qui étaient déjà des États fragiles, ça a été un coup extrêmement dur. Et plus on sabote le service public, surtout dans ce genre de contexte où le néocolonialisme peut s'immiscer, moins on a de capacité à capter l'impôt. Et donc, c'est un cercle vicieux où les services publics vont être de plus en plus difficiles à maintenir et il y aura de moins en moins d'argent pour les alimenter. Les États se sont extrêmement appauvris à cause de ces plans d'ajustement structurel. Et... Maintenant, ils sont dans des situations où les multinationales ne payent, pour ainsi dire, pas d'impôts. Et il est très difficile de faire en sorte que les particuliers, dont beaucoup sont pauvres de toute façon, obtiennent leur argent en participant plus à l'économie informelle qu'à une économie régulée. C'est aussi très difficile de les astreindre à l'impôt. Et donc, l'État est dans une certaine situation d'impuissance.

  • Speaker #1

    Qui est en fait entretenue. Par le comportement de la France et des entreprises françaises, sous couvert d'aides au développement, en réalité, on...

  • Speaker #0

    C'est ça, et malheureusement aussi, et plus tragiquement encore, parce que les entreprises françaises jouent leur jeu, mais dans de nombreux pays, également par les gouvernements locaux qui en tirent bénéfice, puisque leur enrichissement personnel leur paraît nettement plus important que le maintien... de la bonne santé et de la pérennité de l'État. Je pense que c'est ça une des leçons du néolibéralisme, surtout lorsqu'on s'intéresse au contexte africain. On voit que c'est assez beau de rêver au dépérissement communiste de l'État, mais malheureusement, le dépérissement néolibéral de l'État, c'est une toute autre affaire. C'est une affaire de démultiplication des foyers de violence, de démultiplication de la misère. Et la réinvention d'une force ou d'un... d'une capacité d'action pour l'État. Et dans ce cadre-là, la seule manière, je pense, dans l'immédiat, de tendre vers davantage de justice sociale.

  • Speaker #1

    Je voudrais revenir un petit peu à la situation en France. Qu'est-ce que tu répondrais aux gens qui accusent les personnes qui revendiquent d'avoir des identités plurielles ? Je veux dire, je suis français, mais je suis aussi d'origine de tel ou tel pays, par exemple d'Afrique. Et souvent, ces personnes qui revendiquent le droit à avoir leur propre pratique culturelle sont souvent taxées de communautarisme, de séparatisme, voire d'être violents, une menace pour la République. Qu'est-ce que tu répondrais à ça ? Quel serait un modèle de République, une compréhension de la République qui pourrait fonctionner avec ces revendications ?

  • Speaker #0

    Je pense que ce type de menace est fortement, fortement exagéré et terriblement fantasmé. Pour le coup, c'est assez simple de répondre à ça, parce que c'est tellement incroyablement faux, et c'est une perspective si fermée que j'en suis souvent sans voix. Il suffit de se déplacer, par exemple, là où je vis, en Grande-Bretagne, pour se rendre compte que le modèle multiculturel n'est pas l'espèce de guerre civile permanente que certains intellectuels français conservateurs s'imaginent, ou certains hommes politiques de droite s'imaginent. Le fait de pouvoir porter un voile en faisant tout un tas de professions différentes, c'est quelque chose auquel j'assiste quotidiennement à Édimbourg et auquel n'importe quel habitant de Grande-Bretagne assiste quotidiennement sans que ça cause quelque type de violence ou quelque type de déstabilisation de l'État que ce soit. Mais c'est vrai qu'on pose souvent le multiculturalisme anglo-saxon comme une espèce de... contre-modèle absolu, comme une espèce de système effroyable. Et j'avoue que je ne sais pas pourquoi, je trouve ce système infiniment plus vivable qu'un système où on dit aux jeunes, aux enfants, quoi faire. J'ai une fille qui est à l'école primaire, elle a 7 ans, et parfois, quand c'est les fêtes indiennes, l'Aïd, les Pâques, on célèbre un peu toutes les fêtes. Et donc il y a ce côté un peu multiculturel. On va parler de cette culture, etc. Oui, il y a un côté un peu gnangnan, un peu naïf, si vous voulez, mais c'est des enfants. C'est bien pour les enfants, je trouve.

  • Speaker #1

    Je ne trouve pas ça nirgant du tout, à vrai dire. C'est plutôt cool.

  • Speaker #0

    Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas révolutionnaire, évidemment. Ce n'est pas avec ça qu'on change le monde. Mais pourquoi pas ? Pourquoi pas ? Ça fait plaisir à tout le monde. Et c'est bien de faire des choses un peu naïves pour les enfants. C'est bien pour les kids de célébrer leurs particularités. Ça leur donne de la confiance en soi. Ça apporte de la culture aux jeunes. Et même pour les autres, ça leur ouvre l'esprit sur quels sont les différents types. de populations qu'on trouve dans ce pays, dans cette ville. On les interpelle à partir de leurs différences pour les mettre en valeur. C'est une méthode éducative qui est employée là-bas. Et je ne vois pas quel est le problème. C'est tout à fait que ça devienne un objet de discussion et par là même un objet éducatif, un objet de pédagogie. De pédagogie justement à la citoyenneté. Non pas à la citoyenneté abstraite, mais de manière pratique, comment coexister avec des personnes qui n'ont pas les mêmes croyances, qui n'ont pas les mêmes manières de vivre, qui n'ont pas la même langue maternelle, mais qui se retrouvent dans cet endroit où tout le monde parle anglais et où, voilà, il y a la reine au-dessus, enfin, le roi, maintenant. J'avais pas prévu qu'on parle de la reine. Non, non, non. Très bien, allons-y. Maintenant, c'est le roi. C'est le roi Charles, maintenant. Et encore une fois, c'est nullement un modèle révolutionnaire. C'est un modèle social libéral, mais on a des choses à apprendre et à retenir de bien du libéralisme politique. Et en l'espèce, je pense que le multiculturalisme, sans qu'il soit évidemment parfait, a de très bons côtés. Et à mon avis, pour les citoyens, et surtout les citoyens membres de minorités, j'imagine, un modèle infiniment supérieur au républicanisme. En tout cas, au républicanisme comme on le comprend en France. Parce que le républicanisme en Grande-Bretagne, ça veut juste dire être contre les rois, etc. Et bon, je reste contre les rois, je reste contre les rois et tout. Je reste français malgré tout. Je pense que si la Grande-Bretagne était une république et qu'on votait pour un président, ce ne serait pas plus mal. Surtout si tous ces nobles la rendaient toutes les terres qu'ils ont, parce que c'est une autre dinguerie. Mais en tout cas, le modèle multiculturel, je le trouve plus vivable. Je pense que c'est une bonne chose pour tout le monde.

  • Speaker #1

    Oui, ça dépassionne. En plus, la différence devient, comme tu le disais. source de confiance en soi, de partage, et non plus quelque chose qui est pointé du doigt, qui conduit à un repli sur soi, à une identité fermée, une identité très excluante, en fait.

  • Speaker #0

    Il y a cette espèce d'idée, d'imaginaire qui est souvent agitée par l'extrême droite, selon laquelle la société multiculturelle c'est une société des dénaines multiples, une société incroyablement violente, et ça nous dira, regardez les modèles de sociétés culturelles. C'est les États-Unis, c'est le Brésil, regardez comme ces sociétés sont violentes, etc.

  • Speaker #1

    Mais ce n'est pas vraiment ça le problème.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas vraiment ça le problème. Ces sociétés ne sont pas violentes parce que ce sont des sociétés multiculturelles. Elles sont violentes parce que ce sont des sociétés bâties sur le colonialisme de peuplement. Toutes les sociétés bâties sur le colonialisme de peuplement sont des sociétés incroyablement violentes. C'est pour ça que toutes les sociétés américaines en général sont très violentes. À part lorsqu'elles ont vraiment réussi par la violence à atteindre une homogénéité. ethniques, raciales, comme l'Argentine par exemple. L'Argentine, c'est l'Italie. C'est l'Italie, c'est magnifique, c'est génial. Ben oui, il n'y a que des Blancs, ils ont tué tout le monde. Ils ont tué tous les Noirs. Forcément, là, ça vous plaît. Ça vous plaît un pays d'Amérique latine où il n'y a que des Blancs aux yeux bleus qui s'appellent Marcello.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous les Argentins qui nous écoutent.

  • Speaker #0

    Oui, vous savez ce que vos ancêtres ont fait.

  • Speaker #1

    Le colonialisme de peuplement, pour ceux qui nous écoutent, c'est quand le pays colonial fait venir sa population dans le pays colonisé afin justement d'imposer sa culture et de dominer ce nouveau pays, pas seulement par les armes, mais aussi par la culture,

  • Speaker #0

    de s'y implanter, de faire un grand remplacement. C'est différent des colonies d'exploitation. Après, il y a plusieurs modèles d'économie, mais je dirais que les deux grands modèles, c'est colonies de peuplement et colonies d'exploitation. Colonies d'exploitation, c'est ce qu'on a connu pour l'essentiel à travers l'Afrique noire. C'est-à-dire, on envoie juste un petit nombre de coloniaux, c'est-à-dire des militaires et des fonctionnaires, pour faire tourner d'autres types de machines, c'est-à-dire de l'exploitation de ressources essentielles. C'est pour ça qu'on dit colonie d'exploitation. On ne cherche pas à y implanter des autochtones européens. Et pourquoi on ne l'a pas fait ? Parce que le climat, on n'aimait pas trop le climat. C'est ça les justifications ? Bien sûr, les Blancs ne peuvent pas vivre là. Pourquoi est-ce que vous avez les deux grandes colonies de peuplement historiquement en Afrique ? C'est l'Afrique du Sud et l'Algérie. Parce qu'ils sont aux deux extrêmes. Ils ne sont pas sur le tropique. Ils ne sont pas sur les dessous des tropiques. Ou sous l'Équateur. Et donc,

  • Speaker #1

    on est maintenant dans l'émission Le Dessous des Cartes.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Comment le relief et le climat organisent une géographie politique.

  • Speaker #0

    Absolument. C'est des endroits qui n'étaient pas très visibles. Les Blancs ne voulaient pas y aller. Mais l'Algérie, c'est super, le climat, c'est la Méditerranée, etc. Et l'Afrique du Sud aussi, c'est pas mal comme climat. Donc là, les Blancs pouvaient y aller. Après, en Amérique latine, c'est un peu différent. C'était l'époque des conquistadors, les Espagnols et les Portugais étaient un peu des cinglés. Et d'ailleurs, ils ont rationalisé ça parce que, eux, racialement, ils n'avaient pas exactement les mêmes idées que les Anglais, que les Britanniques et les Français. Donc, ils se sont dit non, mais nous, on va se métisser à gogo et comme ça, nos descendants supporteront mieux le climat.

  • Speaker #1

    Là encore, c'était des questions vraiment aussi spécifiques que ça ?

  • Speaker #0

    Bien sûr, c'est des questions si bêtes que ça.

  • Speaker #1

    Mais il y a vraiment des gens... Ça me semble incroyable.

  • Speaker #0

    Expliquement, il se soit dit... Il se pose des questions. La question du métissage et la question de la résistance au climat, c'est malheureusement une question que tout le monde s'est posée. Parfois, ils ont décidé qu'il fallait du métissage à gogo, mais ça, c'est les Portugais. Mais après, c'est souvent lorsqu'il s'agit de questions en dessous de la ceinture, ce sont souvent que des rationalisations a posteriori de nos désirs et de nos pulsions les plus primaires. Les Portugais voulaient pouvoir violer à gogo ou même prendre femme, etc. Et donc, ils se sont dit, oui, on va créer une descendance métissée, on s'en fiche, c'est pas grave, etc. Et le puritanisme britannique jugeait que ce n'était pas une très, très bonne idée. Et donc, ils ont instauré une véritable censure du rapport interracial qui a culminé dans ce qui est devenu la colonie américaine. Oui, le ségrégationnisme interdit. Le ségrégationnisme interdit, interdit, interdit. Et si même... noir est vu en train de faire un clin d'œil à une blanche, il est lynché directement. Il y a une espèce de culture de l'interdiction de toute promiscuité raciale qui est extrêmement intense. Et entre les deux, vous avez les Français qui étaient le cul entre deux chaises, c'est-à-dire, oui, un peu de métissage si on veut, mais ça devient une espèce particulière. Les gens de couleur, ils ont un statut différent. Et il y a quand même une aristocratie de la blancheur et une blancheur. aristocratiques. Les grandes familles, c'était quand même souvent des aristocrates à Saint-Domingue, etc. Et puis après, en Martinique, en Guadeloupe, etc. Maintenir une certaine pureté, etc. où la branche métissée de l'arbre généalogique devient quand même une espèce de branche inférieure, etc. de cette lignée. Oui,

  • Speaker #1

    on le tait. D'ailleurs, si je ne me trompe pas, par exemple, sur l'histoire d'Alexandre Dumas, pendant longtemps, on a tué ses origines métissées, justement à cause de ça. Oui,

  • Speaker #0

    mais c'est dans un... Dans un deuxième temps, parce qu'à l'époque, on savait qu'ils faisaient partie de ce qu'on appelle les gens de couleur. C'est-à-dire, en gros, les mulâtres, les métisses. C'est une catégorie juste qui désigne les noirs libres. Et quand je dis les noirs libres, ça veut dire des personnes qui ont au moins une goutte de sang africain. Et donc, esthétiquement, ils peuvent être facilement pris pour une personne blanche ou avoir des origines africaines extrêmement visibles. Mais c'est une catégorie sociale, une catégorie raciale, une catégorie... politique. Et on savait pendant longtemps que Dumas faisait partie de cette catégorie des gens de couleur. Les contemporains le savaient, mais c'est après qu'on l'a oublié pour réécrire justement un petit peu cette espèce de légende républicaine de la littérature française, où voilà, on ne va pas s'intéresser à ce genre de basse question, c'est juste une grande plume de la littérature française. On a universalisé Dumas. Voilà, on a universalisé Dumas.

  • Speaker #1

    J'ai commencé par te demander ce qu'était pour toi la philosophie. Et j'aimerais terminer cette interview en te demandant quel est pour toi le rôle du philosophe dans la cité ?

  • Speaker #0

    C'est encore une vaste question, mais j'ai commencé à répondre tout à l'heure en parlant de cette reconnexion avec notre propre misère. Je pense que c'est la première étape. Parler des choses qui posent problème, mais qui posent problème terriblement. tragiquement, parler des questions graves. Et je pense que c'est ce qu'on a fait. On n'a fait que ça pendant cette conversation. On a essentiellement parlé des questions les plus tragiques. Amener dans l'espace public, amener ces questions difficiles. Aussi, les connecter à leur profondeur historique. Réinscrire ces questions-là dans l'histoire. Amener une forme de connaissance ou de compréhension. plus large.

  • Speaker #1

    Mise en perspective.

  • Speaker #0

    Mise en perspective des éléments de connaissance. S'agit-il pour autant d'apporter des solutions ? Si on en a, tant mieux ! Mais la plupart du temps, on n'a pas de solution toute faite.

  • Speaker #1

    On essaye en tout cas.

  • Speaker #0

    On essaye, en tout cas, on essaye de s'orienter vers le fait de chercher collectivement une solution. Je n'aime pas spécialement cette espèce de figure solitaire du philosophe, même si je le suis. Je suis cet individu, cette espèce d'ermite dans sa caverne qui passe son temps à lire des ouvrages pour apprendre à écrire des ouvrages imbitables. Oui, c'est moi. Mais pas dans l'idée que je vais trouver des solutions tout seul. C'est pour ça que j'écris ce manifeste. Ce manifeste, c'est vraiment un hommage. aux mouvements noirs, aux mouvements décoloniaux, aux mouvements panafricains, tenter non pas de leur apporter des solutions, mais de leur apporter des clarifications, de leur apporter une perspective, tenter d'enrichir des discussions qui existent déjà, accompagner un engagement. C'est fondamental, même si ça va contre notre nature parfois, ce qui est mon cas, d'avoir quand même, de garder quand même une prise sur le collectif, une prise sur des actions collectives, sur du militantisme, d'essayer d'être en prise sur... ce qui se fait sur l'actualité. Je pense que c'est très important pour essayer d'avoir un discours le plus pertinent possible, savoir à qui on s'adresse et essayer de participer à des discussions qui existent déjà autant que faire se peut. Plutôt que d'avoir cette sorte de vivre, cette sorte de mythe, de l'aérolite génial qui va s'écraser sur le monde en s'ouvrant à portée. inonder le pays de vérité absolument fondamentale. Ce n'est pas ça la mission du philosophe, selon moi. C'est participer à donner des armes aux personnes qui se battent pour des causes que nous estimons justes.

  • Speaker #1

    Merci. Merci Norman Hajari pour cet échange. Je retiendrai trois émotions, les émotions philosophiques dont on parlait, la colère, la joie et la stupeur. Je pense que j'ai ressenti les trois pendant notre discussion. Merci. Merci pour cet échange incroyable.

  • Speaker #0

    Merci pour cette invitation, j'en suis honoré.

  • Speaker #1

    Avec grand, grand plaisir. À bientôt.

  • Speaker #0

    Bye.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter un entretien du Fil d'Actu. J'espère que l'épisode vous a plu. Et avant de se quitter, je voulais vous dire un petit mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant et sans publicité. Et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent. en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien et on se retrouve mercredi pour un nouvel épisode du Fil d'actu.

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