Speaker #0Procède Dominique Pellicot, une philosophie du consentement. Avant de commencer, je voulais vous dire un mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant et sans publicité. Et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien. Et maintenant, place à l'épisode ! En ce moment a lieu un procès historique, dit procès de Mazan ou encore procès Dominique Pellicot. Pendant dix ans, cet homme a drogué, sédaté sa femme, Gisèle Pellicot, pour la faire violer par près d'une centaine d'hommes recrutés sur Internet. Plus de 50 d'entre eux ont été identifiés et sont actuellement jugés. L'avocat de certains de ces accusés a prononcé une phrase qui a provoqué un tollé la semaine dernière et a conduit à l'organisation d'une manifestation féministe le week-end dernier. Cette phrase, il y a viol et viol. L'argument que tente d'employer cet avocat est que ses clients pensaient que Gisèle Pellicot était consentante, puisque c'est ce que Dominique Pellicot, le mari, leur avait dit. Ils ne pensaient pas violer, puisqu'ils ne savaient pas que la victime était droguée. Ils pensaient qu'il s'agissait simplement d'un jeu de rôle entre les deux époux et que Gisèle Pellicot feignait l'endormissement. Or, ajoute l'avocat, nous ne sommes pas en droit américain. Il ne faut pas recueillir le consentement de la plaignante, mais prouver l'intention coupable de l'auteur. Il est vrai que dans le droit français, c'est l'intention qui compte. Si vous commettez un crime sans le savoir, parce que par exemple vous avez été manipulé, on ne pourra pas vous le reprocher. Mais est-ce que c'est possible dans le cas des violences sexuelles ? Est-ce qu'on peut commettre un viol sans le savoir ? Est-ce que la notion d'intention est ici pertinente ? Le viol n'est-il pas un crime spécifique qui exigerait une définition particulière ? Aujourd'hui, je vous propose une philosophie du consentement. On va parler droit, inégalité, contrainte, philosophie de Manon Garcia, de Catherine McKinnon, de Catherine Lemaguerès et bien sûr, de consentement. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Et pour des informations exclusives, abonnez-vous à mon compte Instagram, lefildactu.podcast. La stratégie de l'avocat a provoqué de vives réactions, à juste titre. Il est impossible de croire que les accusés ne savaient pas. Ils étaient recrutés sur un forum intitulé À son insu Les viols étaient filmés. On a donc pu se rendre compte que Gisèle Pellicot était inconsciente. Les experts qui ont témoigné lors du procès ont même affirmé qu'elle était proche du coma. Certains ont même affirmé que la scène était proche de la nécrophilie, l'attirance sexuelle pour les cadavres. Impossible de prétendre que la victime était consentante. En l'occurrence, la stratégie de l'avocat est aussi mauvaise que détestable. D'autant plus que Dominique Pellicot a affirmé hier Je suis un violeur comme tous ceux qui sont dans cette salle. Ils savaient tous. Mais cette stratégie soulève un problème juridique plus large. Est-ce que le viol doit être juridiquement redéfini ? Aujourd'hui, le viol est défini comme un acte de pénétration commis par la violence, sous la contrainte, par menace ou par surprise. L'accent est mis sur le comportement de l'agresseur présumé, sur les moyens qu'il aurait employés pour avoir un rapport sexuel. Or, depuis quelques années, il y a un débat juridique très vif. Faut-il définir le viol à partir de la notion de consentement, c'est-à-dire le définir comme rapport sexuel non consenti ? Cette question de vocabulaire est importante, car elle modifie le traitement juridique des affaires de viol. Et elle divise les féministes. Je vous propose dans cet épisode de revenir sur les positions des deux camps. Et vous allez voir, c'est assez difficile de trancher entre les deux. Je vous préviens, vous n'êtes pas à l'abri de changer plusieurs fois d'avis dans les dix prochaines minutes. Pourquoi définir le viol comme non-consentement ? Parce que dans le droit actuel, il faut prouver qu'il y a eu violence, menaces, contraintes ou surprises. Or, c'est très difficile de le prouver. C'est en partie ce qui explique le très faible taux de condamnation dans les affaires de violences sexuelles. 90% des plaintes sont classées sans suite, sachant qu'on estime qu'un viol sur 10 seulement fait l'objet d'une plainte. La définition actuelle exige de prouver l'intention de l'agresseur, justement. Et cela a tendance à minimiser la parole des victimes, tout en infantilisant les agresseurs présumés. Ceux-ci peuvent affirmer qu'ils n'ont pas compris que la victime ne voulait pas, que ce n'était pas clair, qu'il ou elle n'a pas résisté et que n'avait pas de mauvaise intention. C'est exactement la défense dans l'affaire Dominique Pellicot. Je ne savais pas qu'elle n'avait pas consenti. Moi, je ne suis pas un mauvais bougre. Je n'avais pas de mauvaise intention. Finalement, on se rend compte qu'avec le droit actuel, il y a ce qu'on appelle une présomption de consentement. On présume que la victime était d'accord, à moins qu'elle puisse prouver la menace, la contrainte, la violence ou la surprise. Au passage, je précise que la notion de présomption de consentement entre époux était inscrite dans le Code civil jusqu'en 2010. C'est donc un principe qui a organisé le droit jusque très récemment. Alors définir le viol comme non-consentement permettrait de rompre avec cette présomption de consentement, de renverser la perspective. Ce serait désormais à l'accusé de prouver que la victime était consentante. Les arguments sont plutôt convaincants, si bien que de nombreux pays d'Europe, comme la Belgique ou l'Espagne, ont choisi cette définition. En rompant avec la présomption de consentement, la redéfinition juridique du viol permettrait de lutter contre ce qu'on appelle la culture du viol. c'est-à-dire la tendance à normaliser, à banaliser le viol dans nos sociétés. Mais ce n'est pas si simple. Plusieurs juristes et philosophes féministes, comme Manon Garcia ou Catherine McKinnon, fustigent cette redéfinition du viol comme non-consentement au motif que ce serait justement antiféministe. Pourquoi ? Ces autrices parlent du piège du consentement. Elles craignent un renversement de la charge de la preuve. Ce serait désormais à la victime de prouver qu'il ou elle n'a pas consenti. Le comportement de la victime serait alors scruté. Finalement, cela fait porter la responsabilité sur la victime. Comme le dit la philosophe Manon Garcia, si l'on définit légalement le viol par le non-consentement, on considère que c'est le comportement de la victime qui fait le viol, et non celui du violeur. Et puis, le concept même de consentement pose problème, car il passe à côté des relations de pouvoir, des inégalités qui structurent notre société. Le consentement est un concept individualiste, entre deux personnes considérées comme égales, libres, éclairées. Or, nous dit la juriste et philosophe américaine Catherine McKinnon, il y a toujours des rapports de force entre les individus, dans la société. Il y a une violence systémique qui rend impossible le consentement. Consentir, dit-elle, c'est surtout céder. Non seulement céder face à des inégalités de pouvoir, par exemple face à un mari contrôlant et dominateur, mais aussi céder face à des représentations sexistes. L'idée que les hommes ne peuvent réprimer leurs désirs sexuels et que c'est à la femme de porter la responsabilité de ne pas céder. Alors, loin de lutter contre les représentations sexistes, les inégalités de pouvoir et les violences structurelles, la focalisation sur le consentement... culpabilise encore davantage les femmes. Tu es sûr que tu ne voulais pas ? Que tu n'as pas un peu dit oui ? Le consentement est un concept intrinsèquement inégalitaire, nous dit McKinnon. Il peut instaurer un modèle de résignation, d'obéissance ou de soumission. À l'inverse, insister sur les moyens employés et sur l'intention de l'auteur soutient que la faute est du côté de l'agresseur et jamais des victimes. McKinnon propose même de redéfinir le viol à partir de ses relations de pouvoir structurelles. Le viol serait défini juridiquement comme un acte exploitant l'inégalité, comme un crime de genre. Car, explique la juriste, le viol s'ancre presque toujours dans la domination masculine, dans la représentation sociale que l'homme doit dominer et posséder l'autre, que sa victime soit un homme ou une femme. Le viol, ça n'a rien à voir avec du sexe. Et donc avec le consentement, puisque c'est un acte de domination. Vous avez changé d'avis et vous trouvez maintenant que le consentement, c'est trop individualiste ? Attendez, c'est pas fini. Car on peut opposer deux critiques à cette position. Premièrement, cela revient à dire que les femmes ne peuvent jamais consentir à quoi que ce soit, que leur consentement est toujours invalidé par les structures de société. En voulant protéger les femmes contre les inégalités structurelles, on en vient à les infantiliser, à leur nier leur statut de sujet libre et donc à renforcer les représentations inégalitaires. Deuxièmement, cette conception se heurte à la réalité des violences sexuelles et de leur traitement judiciaire. Comme je le disais tout à l'heure, la définition française actuelle, qui exige de prouver la violence, menace, contrainte ou surprise, méconnaît le fait que dans 80% des cas, la victime connaît son agresseur, ce qui rend parfois inutile le recours à la contrainte. C'est ce que montre la juriste Catherine Lemaguerès. Elle explique que dans certains manuels de droit, on peut lire la phrase suivante. Il est nécessaire de prouver une des quatre caractéristiques, violence, menace, contrainte, surprise, pour qualifier le viol. La seule absence de consentement de la victime ne justifie pas une condamnation. Des plaintes pour viol ont parfois été requalifiées en atteinte sexuelle, précisément pour cette raison. Certes, c'est ce que la mention des inégalités, proposée par McKinnon, cherche à pallier. Inscrire les inégalités dans le droit permettrait de prouver la contrainte, là où elle n'était pas reconnue auparavant. Mais ces inégalités ne seront-elles pas extrêmement difficiles à prouver ? On court le risque qu'elles ne soient reconnues que dans certains cas incontestables, comme c'est le cas aujourd'hui. Comme le montre Catherine de Magresse, les viols condamnés en France sont très spécifiques. Ce sont ou bien les viols en série, ou bien les situations où il y avait une très grande différence d'âge entre accusés et victimes, ou encore les cas où la victime était dans une très grande vulnérabilité. C'est-à-dire les cas où les relations de pouvoir Et donc, la contrainte ou la violence ne font aucun doute. En réalité, affirme Catherine Lemagresse, l'obligation de prouver la violence, menace, contrainte ou surprise témoigne d'une défiance à l'égard de la parole des femmes. Cela reconduit l'idée que quand une femme dit non, elle dit un peu oui. Elle compare le droit en France et au Canada, où le viol est défini à partir du non-consentement. Là-bas, la charge de la preuve pèse sur l'accusé. qui ne peut plus prêcher sa bonne foi, son ignorance, mais doit prouver qu'il a obtenu le consentement de la victime. Un consentement défini de manière précise, distinct du fait de céder, de se soumettre dans certaines circonstances, comme le recours à la force ou à l'autorité. Autrement dit, il est possible d'intégrer les inégalités structurelles et les relations de pouvoir dans la définition juridique du consentement. Évidemment, précise l'autrice, cela ne règle pas tout. et certains prévenus parviennent à contourner le droit. Mais selon elle, il s'agit d'un progrès incontestable qui pourrait être une inspiration pour le droit français. Les deux positions sont défendables, et bien qu'opposées, elles disent toutes deux que quelque chose ne va pas aujourd'hui, qu'il faut progresser dans la prise en charge judiciaire des violences sexuelles pour défendre les victimes face aux violences structurelles. Toute la difficulté, c'est de considérer les femmes comme des sujets à part entière, égales aux hommes, et donc capables de prendre des décisions, tout en tenant compte des structures inégales et hiérarchiques qui perdurent dans nos sociétés. Alors, comment trancher ? À mon sens, c'est le principe de réalité qui doit nous permettre de prendre position. Et il me semble que nous nous heurtons constamment aux problèmes évoqués par Catherine Lemaguerès. Il est difficile de prouver la violence, menace, contrainte. Ou surprise. Et en mettant l'accent sur les moyens employés, on offre la possibilité aux accusés de se dissocier de tels moyens. Moi, je suis un gars bien, je ne fais pas usage de violence. Et cela contribue à renforcer l'image du violeur comme étant un homme brutal qui agit dans une ruelle sombre en faisant usage de la force et de la menace. Cela empêche de prendre en compte le caractère scandaleusement banal et quotidien du viol et des violences sexuelles. C'est ce qui permet à l'un des accusés du procès Pellico de dire Je ne suis pas un violeur, je ne viole pas dans les parkings alors même qu'il a drogué sa femme pour la faire violer par un inconnu. Alors oui, le changement de définition juridique ne résoudra pas tout. Mais on peut espérer qu'un tel changement fasse prendre conscience aux hommes de la responsabilité qui est la leur, s'assurer du consentement de leur partenaire. Plusieurs études ont montré que les hommes savent très bien reconnaître le non-consentement, qu'ils perçoivent très bien les signes de léger recul ou de crispation. Mais avec une loi centrée sur la violence, contrainte, surprise ou menace, ils peuvent prétendre avoir seulement un peu fermé les yeux, ne pas avoir été violent, ou, comme le dit l'avocat dans l'affaire Dominique Pellicot, qu'il y a viol et viol. En mettant le consentement au cœur de la définition, en affirmant que les hommes ont l'obligation d'obtenir un consentement plein et entier, on pourra peut-être lutter contre la présomption de consentement, contre le postulat de la disponibilité sexuelle des femmes. Cela ne suffira sans doute pas pour changer les mentalités. Mais cela peut être un élément précieux dans la lutte contre la culture du viol. Et vous alors ? Quelle position vous convainc le plus ? C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. Et d'ici là, n'oubliez pas de vous abonner et de mettre 5 étoiles sur Spotify et Apple Podcast. Ça m'aide beaucoup. Merci et à bientôt !