Speaker #0Ça y est, c'est Noël ! Les sapins sont décorés, les cadeaux sont emballés, les enfants sont excités. Les adultes aussi. Enfin, pas tous. Pour les uns, Noël est synonyme de joie, de partage, de fête, de chocolat. Pour les autres, c'est plutôt un synonyme d'angoisse. Angoisse, c'est un peu comme un peu de joie, de partage, de fête, de chocolat. de devoir trouver des cadeaux sans faire un trop gros trou dans ses économies, angoisse de satisfaire tout le monde, angoisse de voir des proches avec qui les relations sont tendues, angoisse d'être seul, angoisse de participer à la surconsommation et angoisse d'entendre petit papa Noël en boucle pendant trois semaines. Alors, peut-on redonner du sens à une fête qui en a parfois perdu ? Aujourd'hui, on va faire une philosophie de Noël. On va parler sapin, solstice, bûcher, rite et bien sûr Noël. Noël est l'une des plus vieilles célébrations humaines. Elle désigne, à strictement parler, la fête chrétienne qui célèbre la naissance de Jésus et elle a été instituée au IVe siècle. Mais elle est l'héritière d'autres célébrations païennes, dans la Rome antique ou chez les peuples germaniques, qui célébraient le solstice d'hiver et le rallongement des jours. Les historiens pensent d'ailleurs que Jésus n'est pas du tout né le 25 décembre et que l'Église a choisi cette date précisément pour christianiser les célébrations païennes. Noël a connu bien des évolutions depuis son instauration par l'Église. Le sapin, l'arbre qui ne perd pas ses feuilles et survit donc à la rudesse de l'hiver, devient le symbole de Noël au XVIe siècle. Le Père Noël, lui, fait son apparition au XXe siècle, mais il est l'héritier de vieilles croyances antiques. Il emprunte d'ailleurs son apparence à Saint Nicolas, un évêque du IVe siècle. Et le nom américain Santa Claus est la transcription de son nom, Saint Nicholas. Et non, le Père Noël n'a pas été créé par la marque Coca-Cola. Il tient sa couleur rouge de l'apparence de Saint Nicolas. Mais il est vrai que Coca-Cola a contribué à fixer son image, en l'utilisant dans une campagne de pub dans les années 30. Noël est donc le produit d'un syncrétisme, d'une multitude de traditions, depuis la Rome antique, en passant par le christianisme du Moyen-Âge, les publicités de Coca-Cola, jusqu'à la fête que nous connaissons aujourd'hui. Noël est aujourd'hui célébré presque partout dans le monde, avec des spécificités nationales sur la manière de la fêter. Ainsi, Noël a perdu de sa dimension religieuse, ce que l'Église a longtemps critiqué. Je voudrais aujourd'hui vous raconter une histoire amusante. En 1951, une statue à l'effigie du Père Noël est brûlée par des prêtres catholiques sur le parvis de la cathédrale de Dijon. Ceci dénonce la paganisation de la célébration de Noël, c'est-à-dire son éloignement de sa signification chrétienne. Ils condamnent le Père Noël comme usurpateur et hérétique. et annonce son sacrifice. Les journalistes, comme vous pouvez vous en douter, se sont bien amusés de cet événement et n'ont pas manqué de faire le parallèle avec Jésus. Alors que la ville décide de remettre un nouveau Père Noël à l'hôtel de ville le lendemain, il commente Dijon attend la résurrection du Père Noël, assassiné hier sur le parvis de la cathédrale. Il ressuscitera ce soir. En effet, le lendemain, le Père Noël remonte sur les toits de l'hôtel de ville pour parler aux enfants. Claude Lévi-Strauss, un anthropologue et philosophe français très connu, s'empare de l'affaire et publie un article intitulé Le Père Noël supplicié dans lequel il se demande pourquoi nous avons inventé le Père Noël. Ce penseur a consacré sa carrière à chercher la signification dans les rites. Il affirme que nous pouvons trouver des structures universelles de l'humanité en comparant des mythes et des rites du monde entier. C'est le structuralisme. Dans son article consacré au Père Noël, il fait ainsi un détour par les indiens pueblos d'Amérique de l'Ouest et propose une analyse étonnante. Lévi-Strauss rappelle que le rituel de Noël a beaucoup fluctué au cours des siècles et que s'il est aujourd'hui largement imprégné de l'influence américaine, Noël n'a pas attendu les États-Unis pour être célébré. Il rappelle, comme je le disais en introduction, que la fête de Noël est l'héritière des Saturnales romaines et qu'elle a depuis, selon lui, sensiblement la même signification. Noël, c'est le triomphe de la vie sur la mort. D'abord, en automne, Halloween célèbre le retour des morts et le déclin des jours. Les enfants se déguisent en morts et persécutent les adultes, à moins que ceux-ci ne leur fassent des cadeaux, des bonbons ou un sort. Jusqu'au solstice d'hiver, le 21 décembre, quand les jours recommencent à s'allonger et que la lumière revient. Alors, ce sont les adultes qui se déguisent en Père Noël et font des cadeaux aux enfants pour célébrer leur vitalité. La vie a triomphé de la mort, et les morts peuvent laisser les vivants en paix. Au moins jusqu'au prochain automne. Alors, selon Lévi-Strauss, la figure du Père Noël, cette sorte de divinité qui nous offre des cadeaux depuis l'au-delà, représente la douceur de vivre et le souhait de ne pas mourir. En célébrant le Père Noël auprès de nos enfants, nous célébrons leur vitalité et la nôtre. Lévi-Strauss nous dit. Au fond de nous veille toujours le désir de croire, en une générosité sans contrôle, une gentillesse sans arrière-pensée, en un bref intervalle durant lequel sont suspendues toutes craintes, toutes envies, toutes amertumes. Sans doute ne pouvons-nous pas partager pleinement l'illusion, mais ce qui justifie nos efforts, c'est qu'entretenues chez d'autres, elles nous procurent au moins l'occasion de nous réchauffer à la flamme allumée dans ces jeunes âmes. Cette interprétation est peut-être un peu excessive. Il n'en reste pas moins que Noël fait partie de notre imaginaire partagé. C'est un rite qui institue la société, qui rassemble et crée de la cohésion. Mais que se passe-t-il quand cet imaginaire devient aliénant, quand il est fait d'injonctions jusque de partages ? Quand cet imaginaire ne fait plus rêver, mais cauchemarder, pouvons-nous nous en débarrasser ? Quand la fête de la lumière devient le néon des magasins qui nous fait mal aux yeux et au portefeuille, ne passons-nous pas à côté de quelque chose ? Si des prêtres catholiques ont brûlé une statue à l'effigie du Père Noël, vous pouvez, vous aussi, vous rebeller contre le vieux M. Barbu. Saviez-vous que cette histoire plutôt amusante a donné naissance à une tradition dans la ville de Dijon ? Chaque année... depuis 1951, le Père Noël descend depuis une tour jusqu'à la place centrale de Dijon, sur une tyrolienne, en hommage au bûcher du Père Noël, puis à sa résurrection le lendemain sur les toits de l'hôtel de ville. Alors, vous pouvez vous aussi brûler ce qui, dans la célébration de Noël, vous semble aliénant. Vous aussi, vous pouvez faire un sacrifice. Enfin, symboliquement, bien sûr. Et cela vous permettra peut-être de créer votre propre rite, comme la ville de Dijon. de vous réapproprier un imaginaire qui vous avait été confisqué, de créer votre propre célébration de Noël, ou votre non-célébration, si c'est ce que vous préférez. Perpétuez la tradition de la grande tablée familiale, ou fêtez-le en petit comité avec des amis, ou encore, ne fêtez pas du tout Noël. Faites ce qui vous convient le mieux, créez votre propre tradition. Si Noël est bien une fête syncrétique, qui a traversé les siècles et n'a cessé de se réinventer. Alors elle acceptera bien que vous y mettiez, vous aussi, votre grain de sel. Joyeux Noël, joyeux solstice d'hiver, joyeuses fêtes de la lumière à toutes et à tous. C'est la fin de cet épisode spécial de Noël. Merci à toutes et à tous de m'avoir suivi en 2024. J'ai passé une année extraordinaire et tout ça, c'est grâce à vous. Alors mille fois, merci. On se retrouve le mercredi 8 janvier 2025 pour une reprise en fanfare du fil d'actu. Avec une philosophie des bonnes résolutions. Joyeux Noël et bonne fête de fin d'année !