Speaker #0En fait, on est tous d'accord. Il n'y a pas beaucoup de sujets sur lesquels on est tous d'accord, mais là, on est quand même tous d'accord sur le fait qu'un mot a un sens, évidemment, mais qu'en plus, il est plus ou moins approprié, plus ou moins approprié à mon niveau, à moi, à ce que je veux être, à l'image que je veux donner et au groupe auquel j'appartiens, au groupe auquel je veux appartenir.
Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode du Poids des mots, le podcast d'Oxymore & More. Aujourd'hui, on va questionner le marqueur social qu'est le langage. Est-ce que le langage est un marqueur social ? Le langage sous toutes ses formes. Les mots, la tonalité, la diction. Oui, bien sûr, globalement on pourrait finir cet épisode en 32 secondes. Tout le monde est déjà d'accord pour dire que le langage est éminemment un marqueur social. On le sait, on fait aussi société par le langage et par la langue. Mais ce qu'on va voir aujourd'hui, c'est pourquoi et comment.
Bonjour, je m'appelle Sonia Vignon, je suis linguiste spécialiste en rhétorique et en sémantique. J'ai travaillé en France, au Canada, et j'ai rencontré tellement de gens merveilleux qui avaient un rapport au mot et à la langue différent que je me suis rendue compte que c'est ce qui faisait notre singularité et notre humanité. Il n'y a pas longtemps, j'ai eu un débat avec un client qui était hyper intéressant parce qu'il avait écouté un épisode du podcast. Déjà ça, c'était hyper intéressant. Il l'avait trouvé bon, autant vous dire, c'était très très très intéressant. Mais il me dit, c'est intéressant ce dont tu parles par rapport aux éléments de langage en anglais, parce que oui, il y a le côté un peu business, corporate, grand groupe, mais il y a aussi quelque chose qui tourne autour du ça fait classe. Ça fait classe de parler en anglais, ça fait classe d'utiliser des mots anglais. c'est quelque chose qui est socialement plutôt haut dans le game. Et ce n'est pas faux. Maintenant que j'y réfléchis, parce que oui, j'y réfléchis, il y a un peu de ça, il y a un petit côté élitiste dans l'utilisation des éléments de langage de type anglicisme. Pourquoi ? Est-ce que ça fait de nous des loups de Wall Street que de parler avec des mots anglais à toutes les sauces ? Peut-être.
En ce moment, pour des raisons professionnelles, je parle beaucoup à des financiers. et je parle beaucoup. au monde de l'investissement, des business angels. Oh tiens, les business angels, ce ne sont pas des partenaires, mais bien des angels, you know. Et donc, ça m'a tellement impactée que moi-même, je me surprends à penser et à réfléchir et à parler en anglais. C'est-à-dire que j'ai pris tous ces tics insupportables. Tu vois, on n'est pas dans le même mindset. Non, mais là, ce qu'il faudrait qu'on fasse, c'est plutôt qu'on se fasse un call. J'ai envie de m'arracher la carotide à moi-même. ça ne marche pas du tout cette affaire. Mais ça veut dire quoi ? Premièrement qu'il y a une porosité à la langue, évidemment. J'ai passé beaucoup de temps avec des gens qui utilisent des anglicismes toutes les 12 secondes, c'est-à-dire plus souvent que les virgules. Et forcément, j'ai été impactée par ça. Il y a un petit côté chic quand même dans ces cercles-là, intellectuels, financiers, qui ont une, comment dirais-je, une aura sociale très haute et qui fait qu'en plus, on a envie de leur appartenir. Donc c'est là aussi que le langage est un élément. éminemment social dans le sens où on nivelle par le langage. On nivelle vers le haut, on nivelle vers le bas. C'est très malheureux à dire, mais on nivelle par le langage. Ça veut dire qu'on a le sentiment d'accéder au niveau du dessus quand on a ces éléments verbaux. Ça marche aussi sur les vêtements, les marques. Tout ça est tout à fait lié. Mais malgré tout, aujourd'hui, on va rester sur les éléments de langage. Et c'est vrai, les anglicismes ne sont pas forcément corporate. Les anglicismes... c'est chic, c'est classe, c'est tu pèses dans le game. Et ça, c'est fou. Et il y en a des dizaines d'expressions comme ça, vous pouvez y réfléchir de votre côté, bien sûr, qui sont tellement hype, quoi. You know ?
Donc ça, c'est un premier élément. OK, l'anglais, c'est chic. English is the new chic.
Et puis, il y a aussi, et c'est toujours la même personne qui me fait cette réflexion qui est très juste, des éléments où, à l'inverse, on ne les utilise jamais en entreprise. Et il me dit, regarde bien. À moi, il me dit, tu dis tout le temps, c'est chouette. Mais en dehors de toi, personne jamais ne dit en entreprise, c'est chouette. Pourquoi ? Parce que selon lui, mais je pense qu'il a raison, tous les éléments liés à l'animal, c'est cutéreux, c'est bouseux, c'est paysan. En tout cas, c'est tout sauf chic et ça n'a pas sa place en entreprise. Et en effet, en entreprise, personne ne dit, hey, ça va ma biche ? Oh là là, bienvenue mon lapin. On ne parle pas avec des éléments animaux en entreprise. On ne va pas dire « Ok, c'est par-ci, roule ma poule. » Alors que c'est des choses qu'on peut dire, si on est vieux comme moi évidemment, mais c'est des choses qu'on peut dire dans la vie perso. On va beaucoup dire dans la vie perso des petits noms, des petits surnoms, « mon poussin » , « mon canard » , « mon lapin » qui sont, ou « grosse vache » évidemment, on n'est pas content, qui sont liés aux animaux et on ne les utilise jamais en entreprise. Donc le langage est social et le langage est également codifié. à des niveaux qu'on n'imagine pas. Qu'est-ce que ça génère chez moi ?
Il n'y a pas longtemps, il y a eu un épisode de la grande librairie qui m'a été poussé par mon oncle, "Coucou Tonton", qui était extraordinaire, où une intervenante disait, en substance, j'ai été prof de français et un jour, j'explique la définition d'un mot à mes élèves et je vois qu'ils ne la notent pas et c'était volubile, le mot, volubile. Je vois qu'ils ne notent pas la définition, donc on est au collège, et je leur dis, ben enfin... Pourquoi est-ce que vous ne notez pas ? » Et ils ont cette réponse parce que c'est un mot de riche. C'est un mot de riche et on ne l'utilisera jamais. Je trouve que cette phrase est d'une violence incroyable sur ce que ça veut dire de l'acceptation, dès le plus jeune âge, d'une espèce de case de laquelle on ne sortira pas, qui est liée également au langage qu'on va utiliser. Est-ce que la langue, c'est un élément, un marqueur ? social, financier, intellectuel, d'épanouissement, de projet, de carrière, de possible. C'est ça la question. Ce que je trouve extraordinaire dans cette phrase, et madame, on ne l'utilisera jamais, c'est un mot de riche, c'est qu'inconsciemment, les gens, là en l'occurrence des jeunes gens, ont acté. que leur langue, leur langage, était en lien à leurs conditions sociales, à leur niveau socio-culturel. Alors évidemment, dans socio-culturel, il y a culturel, dans culturel, il y a quand même la notion de langue, de mots, d'apprentissage, de compétences et de connaissances. Je suis d'accord avec ça, et je vois bien d'ailleurs à quel point tout le monde l'est, tout le monde l'est inconsciemment. Et c'est ça qui est merveilleux, et qui pourrait devenir un outil en entreprise, mais comme ailleurs finalement, pas que en entreprise. incroyable, d'une puissance folle, c'est de se dire mais en fait on est tous d'accord. Il n'y a pas beaucoup de sujets sur lesquels on est tous d'accord, mais là on est quand même tous d'accord sur le fait qu'un mot a un sens évidemment, mais qu'en plus il est plus ou moins approprié, plus ou moins approprié à mon niveau, à moi, à ce que je veux être, à l'image que je veux donner et au groupe auquel j'appartiens, au groupe auquel je veux appartenir. Le mot en fait devient à ce moment-là une espèce non pas de réalité qui nomme les choses, bien que ce soit aussi ça, mais plutôt de marqueur social, de marqueur sociétal, et même de marqueur de cerveau au sens de pensée. Qu'est-ce que je pense de moi ? Est-ce que je pense que je peux m'élever et sortir de ma condition sociale actuelle si je suis née dans un monde plus populaire, dans un monde plus difficile, plus aride ? Si je le crois, je vais prendre ce mot et je vais noter la définition. On ne parle là que de choses totalement, comment dirais-je, pas conscientisées. Là, on n'est pas dans le domaine du conscient et c'est ça qui est fou. C'est de se dire que dans l'inconscient collectif, malgré tout, nous avons toutes et tous cette capacité, cette compétence à analyser les mots que l'on utilise et à leur donner non pas seulement le sens qu'ils ont, mais également tout le sous-jacent qui vient derrière. Est-ce que volubile est un mot de riche ? Pouquoi ? Est-ce qu'on peut penser que volubile est un mot de riche ? Est-ce que c'est au nombre de syllabes ? Est-ce que c'est parce que c'est un professeur de français qui nous l'apprend dans une classe et qu'à ce moment-là, ça lui donne un côté presque philosophique qu'il n'a pas réellement dans la vie ? C'est incroyable. Je pense qu'on pourrait passer sincèrement des heures et des heures à se questionner sur le pourquoi de « mais madame, volubile, c'est un mot de riche » . Ça veut dire que, bien que nous n'en fassions pas tous la même chose derrière, Nous avons... tous en nous une croyance forte que les mots qu'on utilise parlent de nous autant qu'ils parlent pour nous. Je trouve ça merveilleux. Je me dis que si on accompagnait notamment ces jeunes adultes en devenir, ces gens dans des situations plus précaires, si on allait tout simplement leur dire qu'ils ont le droit, ils ont la légitimité, ils ont la compétence à pouvoir utiliser n'importe quel mot s'ils le souhaitent. Mais ce serait magique en fait. Aujourd'hui, on entend beaucoup « Ouais, mais les jeunes d'aujourd'hui, ouais, mais les racailles, mais Gaël Fayet, petit pays, rappeur, a écrit. » un des livres les plus sublimes que j'ai lus quand même de ma vie, alors que c'est un jeune garçon qui a vécu la guerre, ou pas, ou oui, ou non, qui a vécu dans des quartiers difficiles, ou pas, parce qu'après on découvre qu'il y a des rappeurs qui sont fils de médecins. Mais je trouve ça extraordinaire, extraordinaire, de se dire que le moment où on se donne juste l'autorisation d'être assez légitime à utiliser n'importe quel mot. À partir du moment où on estime que c'est le mot juste, à partir de ce moment-là, on devient beaucoup plus proche de soi-même que juste avant. Ce sont des croyances limitantes que de se dire qu'il y a des mots qu'on ne peut pas utiliser ou qu'on n'utilisera pas parce qu'on n'est pas dans les bons serfs. Et à l'inverse, c'est un levier. C'est un levier que de se dire « Ok, je veux aller dans ce groupe-là, je veux monter dans l'échelle sociale, je veux prendre un ascenseur hypersonique, je vais lire, je vais apprendre. » je vais utiliser des mots, je vais nuancer les mots. Est-ce que notre condition de naissance nous porte préjudice jusque dans le langage ? Oui. Et pas sur des compétences, tout le monde a la compétence. Sur des croyances. Ça veut dire qu'on a déjà reproché à des gens, et je l'ai entendu, d'utiliser des mots compliqués. Ah ça va, c'est bon, alors lui, il se la pète avec ses mots compliqués. On m'a déjà dit à moi... C'est bon, je vais faire attention à ce que je dis parce que toi, forcément, tu vas tout analyser. Mais non, ça, ça veut dire qu'on a des croyances au départ, des préjugés hyper forts que l'on investit jusque dans la sphère du langage. Et en fait, c'est presque la poule et l'œuf. Est-ce qu'on investit nos préjugés dans le langage ou est-ce qu'on est tellement conscient du pouvoir du langage qu'on décide de ne pas investir cette sphère ? C'est super intéressant.
Et en entreprise, c'est vrai qu'on n'utilise pas les mots avec les animaux. Mais pourquoi ? Ça peut être très très chouette l'entreprise. Alors bon, en effet, aujourd'hui, je pense qu'on pourrait avoir des petits problèmes si on disait, ah ah, sa collaboratrice, elle est ma petite poulette. Bon, ok, il y a des nuances là-dedans également. Mais il y a des mots de riche. C'est incroyable. C'est incroyable de beauté et de violence. Non, il n'y a pas de mots de riche. Oui, il y a des mots socio-culturellement marqués. Et c'est... un acte revendicatif que de les utiliser ou pas. Nous le savons tous, c'est ce que disent ces jeunes gens. Ils en ont la conscience. Ils savent que les mots qu'ils utilisent marquent, marquent la sphère socio-culturelle dans laquelle ils évoluent. Et ensuite, vous avez deux possibilités. Soit vous avez envie de changer de sphère, soit vous avez envie d'une grande appartenance à votre sphère. Et c'est pour ça que vous allez prendre tous les codes, absolument tous, dont le langage. Mais les codes, c'est les marques, les codes. c'est les vêtements, les codes c'est les activités quand vous naissez dans le 16ème arrondissement de Paris vous êtes habillé en Cyrillus vous avez des amis qui s'appellent Tanguy et Eugène et vous allez faire des sports comme le fleuret ou l'équitation c'est pas 100% du temps évidemment, mais c'est une réalité tangible et vous savez ce que veut dire volubile, parce que ça s'utilise chez vous couramment et personne jamais ne vous a dit « Ah ça va, te la pète pas avec tes mots compliqués » . Réalité. Pas 100% du temps. Ne soyons pas non plus adeptes du tout noir au tout blanc. Il peut y avoir beaucoup de choses au milieu. Mais malgré tout, réalité. Quand vous naissez dans les tours de Vaux en velin et que vous avez des parents, peut-être, qui ne parlent pas très bien français ou au contraire, qui sont totalement français mais qui n'ont pas fait d'études et qui revendiquent le fait de ne pas avoir fait d'études comme... un point important de leur identité. Ils vont volontairement ne pas utiliser les mots compliqués parce qu'ils vont estimer que c'est un truc de bourgeois. C'est un truc de connard de capitaliste. C'est vraiment lié à la perception du monde qu'on a et à la perception du rôle qu'on veut avoir dans ce monde-là. Je crois que cette toute petite phrase de Madame Volubil, c'est un mot de riche, elle a, je ne sais pas, fait une espèce d'Hiroshima chez moi. de dire c'est incroyable, ça veut dire que ce que moi je prône depuis des années, en fait, tout le monde le sait. Tout le monde au fond de soi sait qu'il utilise les mots dans un côté presque revendicatif. Je revendique ma condition et soit je revendique que j'y suis bien, soit je revendique que j'y suis mal, soit je dis en creux que je veux aller m'épanouir ailleurs ou apprendre ou découvrir ou explorer, soit je dis à l'inverse que je suis fière d'être là où je suis. quand je bosse dans une boîte de finances et que j'utilise des mots anglais tout le temps, sans pour autant parler anglais, évidemment, c'est bien pour dire que je suis là. Je suis là, les gars. Je pèse dans le game. C'est aussi une revendication. Quand les femmes s'interdisent certains mots, parce que, oh là là, attends, moi si je dis ça, soit on va croire que, nanana, soit on va se dire que je suis, est-ce que je ne suis pas hystérique, est-ce que je ne suis pas en train de me la péter, est-ce que, voilà, tout ça est éminemment lié, ça veut dire qu'en fait, au fond de nous, chacun de nous a la compétence et la connaissance de l'importance des mots qu'il utilise. Même. La personne qui va vous dire, c'est bon, pas me casser les pieds avec votre truc, machin, si j'ai envie de dire que c'est bleu, c'est bleu, pas commencer à foutre du turquoise, ok, très bien, c'est une revendication sociale. C'est exactement comme monter sur une barricade et dire, voilà ce que je pense de cette société et voilà à quel endroit j'ai envie d'être dans cette société. Et ça marche dans tous les sens du mot société. Le sens social, le sens sociétal et le sens entrepreneurial. Donc, on travaille avec des gens qui ont, au fond d'eux, une connaissance des mots qui est la leur, de par leur éducation, de par leur métier, de par leur culture pays, parfois c'est très très visible quand on travaille avec des gens qui ne sont pas tous du même pays, mais on travaille avant tout et surtout avec des êtres humains qui ont une sensibilité et qui vont, de par leur langage, aller ou pas vers des rêves, aller ou pas vers une ambition, aller ou pas vers une extraction, ou au contraire faire volontairement le choix du peu de mots. et du peu de nuances pour prouver qu'ils appartiennent à un certain groupe. Et je t'emmerde. Vous voyez ce truc-là, cette petite phrase à la fin, cette violence gratuite, c'est quoi d'autre qu'une espèce de point levé ? Deux points P-O-I-N-T, d'ailleurs, ou deux poing P-O-I-N-G. Et c'est incroyable de se dire qu'en fait, même les gens qui haïssent la nuance et le mot, ne font rien d'autre qu'un acte militant de nuances et de mots.
Et voilà, je vais réussir à m'énerver toute seule en 20 minutes. Enfin, pas m'énerver d'ailleurs, mais avoir cette espèce d'énergie incroyable autour de ce sujet sans fin et si beau et si humain que le langage, que le rapport au mot et à la langue. J'espère que ce petit voyage vous aura plu. Si jamais... vous avez envie de débattre et en plus, moi, ça m'intéresse parce que ça nourrit les podcasts suivants. N'hésitez pas. Et en l'occurrence, Mika, bravo pour cette intervention autour des animaux qui m'a fait rire sur le coup et qui ensuite m'a amené une telle réflexion. C'était très très chouette. Je vous donne rendez-vous très bientôt pour le prochain épisode du Poids des mots. D'ici là, n'hésitez pas à venir papoter avec nous sur le site ou sur notre LinkedIn.