- Speaker #0
Vous écoutez Learning Coach by Trendy, le podcast qui part à la rencontre de ceux qui ont maîtrisé l'art d'apprendre et de former. Tout au long de cette saison, nous vous invitons à un voyage au cœur de l'innovation pédagogique, là où les rôles de formateur et de facilitateur s'entrelacent pour stimuler l'autonomie et l'engagement de vos apprenants. Dans cette série d'échanges, les conseils pratiques et les expériences personnelles de nos invités vous inspireront vers une maîtrise renouvelée de l'art d'accompagner l'apprentissage. Bienvenue dans ce nouvel épisode de Learning Coach, bienvenue à notre invitée Cécile Decaul avec qui nous allons évoquer la question de la facilitation de la transmission des savoirs. Et pour bien débuter, pouvez-vous s'il vous plaît compléter votre présentation ?
- Speaker #1
Je m'appelle Cécile Decaul-Guérin, je suis consultante formatrice, j'interviens dans le domaine de la gestion et du développement des compétences. Donc en formation, c'est de la formation de formateur. la formation de tuteur, la formation en management, donc des formations sur des compétences transverses. Et j'interviens sur un dispositif qui s'appelle Sauvegarde et transmission des savoir-faire pour lequel j'ai participé à l'élaboration du référentiel à la fois de certification, mais aussi de formation et de compétences pour un opco, qui était l'opco Opcalia de la branche textile, pour les métiers du textile. Et donc, il y a eu tout un premier travail qui consistait à déployer, à construire et déployer, par le biais d'une expérimentation, une méthodologie de sauvegarde et transmission des savoir-faire. Ce qui a amené à une certification, on a créé un CQP, Certificat de Qualification Professionnelle Sauvegarde et Transmission des Savoir-Faire. Puis, deux ans après, il a été question de développer ce dispositif à l'appui des solutions digitales. Et donc, on a travaillé à nouveau pendant presque plus d'une année sur sauvegarde et transmission à l'aide des solutions digitales. Nous avons travaillé avec un autre consultant sur la méthodologie, sur la certification et sur le référentiel de compétences et le référentiel de formation. Donc, sauvegarde et transmission des savoir-faire à l'aide du numérique. On a mené plusieurs expérimentations, dont une expérimentation dans l'industrie. une expérimentation dans une entreprise du luxe et une expérimentation dans une PME de tissage.
- Speaker #0
À ce stade, arrêtons-nous sur l'expression transmission Que recouvre-t-elle au juste ?
- Speaker #1
Lorsqu'on parle de transmission, on parle de transmission des savoirs et des savoir-faire. Parfois à tort, on utilise le terme de transmission des compétences, mais on ne transmet pas des compétences. Une compétence n'est pas duplicable, puisque dans une compétence, on intègre la dimension savoir-être, que même parfois dans la transmission de savoir-faire, on pense pouvoir dupliquer un geste d'une personne à une autre. Et en fait, on n'a pas la même morphologie. Si je parle d'un geste, par exemple, une façon de travailler une étoffe, si j'ai des doigts longs et fins ou si j'ai des doigts petits et boudinés, je ne vais pas avoir le même geste et donc le résultat ne sera pas forcément le même. Quand on parle de transmission, on se pose toujours la question de que faut-il savoir et que faut-il savoir faire pour obtenir le résultat qui est ce qu'on souhaite transmettre.
- Speaker #0
Durant votre présentation, il y a quelques instants de cela, vous nous avez évoqué des interventions dans l'industrie ou encore dans le luxe. Pouvons-nous développer un de ces exemples ?
- Speaker #1
Alors, je vais maintenant vous parler... d'une expérimentation qui a été menée dans un atelier que je peux citer chez Jean-Paul Gauthier. C'est un petit atelier d'une soixantaine de personnes. Et dans cet atelier exerce Amandine, qui a 42 ans. Amandine a été formée à 19 ans par Madame Gray, de la Maison Gray, qui était une grande maison de couture. Elle a été formée à un savoir-faire qu'on appelle le drapé Gray. Et donc c'est une façon de travailler les étoffes. qui est présente dans presque toutes les collections. Et Amandine, qui est la détentrice de ce savoir-faire sur le drap aigré, si Amandine quitte la région parisienne, ce qui était en questionnement, personne dans l'atelier ne sait faire le drap aigré comme le fait Amandine. Donc il y avait un enjeu stratégique de sauvegarde et transmission de savoir-faire. Au préalable, on va rencontrer la personne. qui est la détentrice du savoir-faire. Et on va essayer d'identifier, de mesurer à quel point la personne, elle a encore conscience d'être en maîtrise de son savoir-faire. Parce que la particularité des personnes qui détiennent des savoir-faire avec des années et des années d'expérience, c'est qu'elles ont tellement intégré le savoir-faire qu'elles ne savent plus qu'elles savent. Et donc, elles sont dans ce qu'on appelle la compétence inconsciente. Et il va falloir les ramener à je sais que je sais parce qu'elles sont à je ne sais plus que je sais Et donc, elles vont devoir revenir en arrière, on détricote. Et ça, c'est la partie la plus… compliqué parce qu'elles font de fait l'économie au démarrage, de transmettre les points clés, les fondamentaux. Et donc, au démarrage, on identifie, on évalue avec la personne son niveau de compétence inconsciente. Ça nous permet d'ajuster et c'est là qu'on entre dans ce qu'on appelle la facilitation, vraiment. Est-ce que la personne qui est détentrice est vraiment la plus à même de transmettre ? Où est-ce qu'on va identifier une personne dans l'organisation qui va jouer le rôle de médiatiseur ? C'est-à-dire qu'elle sera plus à même de parler du savoir-faire qui est détenu par Amandine. Là, c'est ce qui s'est produit, en fait. Identifier dans l'organisation, dans l'atelier, une personne qui est celle qui avait toute la mémoire des collections. C'est celle qui a pour mission, en fait, de recenser tous les modèles au fur et à mesure des développements des modèles. Et donc, elle a la mémoire des modèles qui ont été développés. et elle observe ce que fait Amandine. Et lorsque moi j'arrive, je n'ai pas du tout la connaissance de ce savoir-faire-là. Et donc je suis dans je ne sais pas que je ne sais pas. Et donc je ne vais pas pouvoir questionner Amandine puisque je n'ai aucune espèce de représentation de ce qu'elle fait. Par contre, si je fais intervenir la conservatrice, elle, elle va dire, Amandine, avant de préparer ton étoffe, tu mets des épargles là. tu piques sur du polystyrène, sur une planche. Comment ça s'appelle cette étape-là ? Oui, c'est vrai, j'ai oublié de dire ça. Et donc, à ce moment-là, les choses commencent à se détricoter. Mais la personne qui est la détentrice, il est vraiment très, très rare qu'elle puisse d'elle-même réussir à détricoter complètement son savoir-faire. Donc ça, une des premières étapes de la facilitation, c'est ça. C'est en position basse d'identifier qui sont les acteurs. qui vont être les plus à même d'extraire des éléments en saillant du savoir-faire. Avant même de choisir sous quelle forme on va sauvegarder, quelle est la forme la plus adaptée, à ce stade-là, on en est là.
- Speaker #0
Et les détenteurs de savoir que vous mentionnez se prêtent-ils facilement au jeu ?
- Speaker #1
Avant la première rencontre, il y a toujours une interrogation forte des détenteurs sur Oui, mais… transmettre mon savoir, mais c'est quelque chose qui est presque de l'ordre de si je le donne, je le perds et peut-être même je perds ma place Il faut rassurer les personnes et les convaincre que non seulement elles ne vont rien perdre parce qu'elles le conservent, ce n'est pas comme si j'ai ce stylo que je partage avec vous, Nicolas, vous vous enrichissez de ce stylo, moi je m'en appauvris, je ne l'ai plus si je vous le donne. Si maintenant j'ai cette expérience que là, maintenant, on partage ensemble, vous vous enrichissez, de mon expérience, et moi je m'enrichis de la vôtre. Et donc les deux parties s'enrichissent, finalement. Et ça, c'est la magie de la transmission, mais au départ, les personnes, elles ne perçoivent pas du tout comme ça. Et donc à force de creuser, de questionner, de les interroger sur ce qu'elles font, elles se requestionnent elles-mêmes sur leurs pratiques, et elles réveillent des souvenirs d'apprentissage, elles réveillent des souvenirs marquants de leur histoire professionnelle, de leur réalisation. Et en fait, c'est quelque chose qu'elles vivent comme étant quelque chose qui valorise leur savoir-faire et ce qu'elles ont mobilisé pour détenir ce savoir-faire.
- Speaker #0
Avec cet exemple d'Amandine, puis-je dire que vous nous avez présenté une facilitation de facilitation ?
- Speaker #1
C'est ça. Dans cet exemple-là, je suis chef d'orchestre et j'essaie d'identifier qui dans l'atelier peut être personne aux ressources. Et donc, il y avait la conservatrice, mais il y avait aussi d'autres personnes, notamment celles qu'on appelle les secondes mains, c'est les petites mains dans l'atelier. Il y en avait une qui se formait au drap aigré et c'était intéressant parce qu'elle questionnait Amandine, elle posait des questions que moi, ne pratiquant pas du tout, je ne suis pas du tout en capacité de poser. Et donc, j'orchestre la sauvegarde et la transmission, mais je ne peux pas moi extraire. Le savoir-faire aussi bien que ce que peuvent le faire les personnes qui sont déjà dans l'organisation et qui ont déjà des prérequis qui permettent de bien comprendre. ce qui est attendu. Et ensuite, on va affiner en lui demandant, pour obtenir ce résultat-là, qu'est-ce qu'il faut faire ? Et comment caractériser ce résultat-là ? Parce que si le geste, c'est tu prends tes mains, tu tournes l'étoffe comme ça, et tu viens placer ton aiguille, en fait, je vous le disais préalablement, d'une main à une autre, d'un geste à une autre, d'une morphologie à une autre, le geste ne sera pas le même. Parfois, on se dit, là, c'est la gestuelle qui est importante. Et donc il faut filmer le geste. Et parfois on dit, là ce n'est pas le geste qui est important, c'est d'écrire, caractériser le résultat à obtenir.
- Speaker #0
Nous venons de prendre l'exemple du recours à la vidéo. Peut-on en prendre un autre qui est nécessité de recourir à d'autres modalités ?
- Speaker #1
Une sauvegarde des transmissions chez Lacoste. Dans les ateliers de tricotage ces dernières années, l'entreprise a été confrontée à des difficultés de réglage des métiers à tricoter. Et les meilleurs régleurs étaient notamment un des responsables de production qui avait en maîtrise le réglage et la gestion des situations de dysfonctionnement et de panne. Cette personne est partie en retraite et au moment où elle est partie, on n'a pas identifié tous ces trucs et astuces qu'elle faisait, comme ça, de façon spontanée, pour aider les personnes qui étaient en production. développer tous ces trucs et astuces de l'expérience. Et lorsqu'elle est partie, on s'est rendu compte qu'il y avait de panne, de plus en plus de difficultés à régler les métiers à tricoter. Et donc, on a demandé à cette femme de revenir. Il se trouve que moi, j'avais des connaissances et c'était vraiment un travail à deux où mes connaissances me permettaient moi en tant que formatrice aussi sur le textile, d'assionner, chercher, sans rentrer dans des choses trop techniques, dans des choses trop subtiles, avec un vocabulaire trop jargonné. Ça a pu être un frein à la transmission auprès de jeunes bonnetiers qui arrivaient dans les ateliers. On a conçu ensemble un parcours de formation. d'ailleurs de la création d'une école de formation au sein de l'entreprise qui s'appelle la Coste Académie. Et cette personne est restée en tant que formateur, a créé un parcours de formation, on a créé un support ensemble et deux tierces personnes pour faciliter la sauvegarde et la transmission.
- Speaker #0
Tous les exemples que vous avez pris permettent... de définir une forme de philosophie pédagogique de la transmission des savoirs ? Une philosophie pédagogique qui serait vôtre ?
- Speaker #1
Philosophie pédagogique, le terme approche pédagogique, elle est d'abord une phase d'apprivoisement. Les personnes qu'on va mobiliser, elles n'ont pas l'habitude. En avant, en valeur, dans leur savoir-faire. Souvent, jusqu'à aujourd'hui, les personnes que j'ai rencontrées sont des personnes qui sont passionnées, qui ont vraiment développé des trucs et astuces dans leur coin, s'en formaliser. Finalement, l'ombre, déjà, c'est un exercice. L'ombre, c'est les rassurer. Le fait de transmettre, ce n'est pas perdre, ce n'est pas se déposséder de quelque chose. Ce qui rentre dans la démarche, c'est les guides, continuer à les accompagner, mais toujours en position basse. C'est mon approche pédagogique, en position basse et toujours en valorisant, parce que ce sont des personnes qui découvrent souvent sur le tard. qu'elles détiennent un savoir-faire qu'on considère comme valant de l'or. Et c'est un peu dur aussi pour elles de découvrir que c'est en fin de carrière ou voir quand elles sont parties qu'on leur dit mais ton savoir-faire, il vaut de l'or Et les personnes disent on ne m'a jamais valorisé pour ça dans mon parcours professionnel Maintenant, on me dit hop, hop, hop, dépêche-toi, il faut transmettre Et donc, ça a été une approche pédagogique très forte. rassurer. Le souci de valoriser, d'encourager le formateur, mais au-delà de ça, il y a vraiment l'apprivoisement. Dans ce contexte, la facilitation, c'est une histoire de rencontre et de personnes.
- Speaker #0
Restons sur la rencontre et intéressons-nous au récepteur. Celui-ci peut très bien être amené à avoir une vision différente du geste que l'on cherche à lui transmettre. Peut-être peut-il même manifester des envies personnelles, des préférences et des appréciations qui soient différentes.
- Speaker #1
Je l'ai vu récemment, pas plus tard que la semaine dernière. En fait, le... Un homme de savoir-faire qui va partir en retraite là au mois de juin. Il est en cours de transmission auprès de deux personnes. La semaine dernière, en l'échantillonnant, on s'est aperçu qu'un des deux jeunes à qui il est en cours de transmission avait retravaillé le process pour l'améliorer, ce que personne n'avait jamais osé faire, parce que la façon dont fait René, il s'appelle René. la plus académique et celle qui fonctionnait depuis toujours. Et donc, ce jeune, Simon, a essayé autrement et il a présenté à René sa façon de faire. En fait, René dit moi, je n'aurais jamais pensé à ça, jamais, jamais. J'ai tellement d'habitude et des réflexes dans ma pratique que je ne fais plus de pas de côté pour appréhender les choses autrement. Et ça nécessiterait trop d'efforts pour moi. Et on valide tout de suite en disant, mais bien sûr, c'est super. En plus, c'est mieux que ce que je fais moi. Je trouve ça remarquable d'avoir un détenteur qui a l'humilité de reconnaître que ça peut être, qu'on peut faire mieux que lui. Et ça, ça, il faut. Je pense que ça n'aurait pas été possible. Trois jours d'immersion avec René dans l'atelier, en passant sur chaque poste et en émerveillement sur ce qui est fait dans cet atelier. En fait, il travaille dans des industriels où il n'y a pas grand monde qui vient mettre les pieds dans ses ateliers parce que c'est le côté production et donc les clients ne viennent pas en prod. avec Simon a été possible. Et Simon s'est senti la possibilité de le dire parce qu'il y avait eu, je pense, ces trois journées d'immersion avant. Et ça, c'est de la facilitation.
- Speaker #0
Est-ce qu'il peut y avoir des réticences de la part des anciens ?
- Speaker #1
Ils disent au démarrage, ils me disent, Cécile, ils feront comme ils voudront, comme nous, on a fait. C'est pas la peine de vous embêter. à faire une sauvegarde et transmission. Là, on va passer du temps, mais ils vont se débrouiller, ils feront comme nous, on a fait. Après, il y a aussi ceux qui ont une posture de type... Nous, on en a chié quand même pour y arriver. Là, ils veulent tout, facile, les jeunes, cette défiance vis-à-vis de la jeune génération. Nous, on en a chié pour y arriver, et puis on commençait à bosser à 6h, et des fois, on faisait des nuits. On était posté. Aujourd'hui, ils ne veulent plus faire, ils demandent les RTT. Je leur envoie toujours la question. Et alors, c'était bien, mon chien ? Ça vous a plu ? Et ils disent, ah non, c'était dur, mais il faut qu'ils apprennent ce qui est dur. Est-ce que c'est un passage obligé ? Et du coup, en tant que c'est un peu d'humour, comme avec les t-shirts, ça permet quand même de débriser les choses et d'emmener les gens vers la démarche.
- Speaker #0
On transmet certes son savoir, mais on transmet aussi beaucoup de soi. On transmet beaucoup de souvenirs.
- Speaker #1
Les éveillemères dans les organisations, les éveillemères, c'est des fantômes qui sont encore dans les murs et qui transent régulièrement. L'exemple que j'ai cité, je crois que c'est sur les quatre, il y a trois éveillemères. C'est sûr. qui identifient l'histoire et qui font partie, même si les murs, ça reste des murs, c'est matériel, mais encore de l'organisation quand ils sont partis, ça c'est sûr.
- Speaker #0
Merci Cécile Decolle pour votre participation, merci à vous chers auditeurs. Pour aller plus loin, découvrez la Masterclass Facilitateur d'apprenant sur le site www.learning.coach. Vous retrouverez cet épisode comme tous ceux qui l'ont précédé sur le site internet trendy.io. sur nos réseaux sociaux et sur l'ensemble des plateformes d'écoute. A très bientôt pour le prochain épisode.