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Les Archives des Rendez-vous de l'Histoire

Le cochon régicide - Michel Pastoureau

Le cochon régicide - Michel Pastoureau

42min |28/10/2025
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Description

Michel Pastoureau fait le récit d’un événement insolite aux conséquences politiques capitales survenu au XIIe siècle : la mort accidentelle de l'héritier du trône capétien le 13 octobre 1131, suite à une chute de cheval provoquée par un porc. L'historien met ainsi en lumière la symbolique du cochon dans l’Europe chrétienne et retrace les origines des armoiries de la royauté française.


Intervenant :

Michel Pastoureau, historien spécialiste du bestiaire médiéval et du symbolisme des couleurs


Présentation de l'ouvrage Le Roi tué par un cochon. Une mort infâme aux origines des emblèmes de la France ? (Seuil) en 2015 lors de la 18e édition des Rendez-vous de l'histoire.


Voix du générique : Michel Hagnerelle (2006), Michaelle Jean (2016), Michelle Perrot (2002) 


https://rdv-histoire.com/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les rangs de l'histoire sont bien Au rythme de rencontres, d'échanges La grande fête annuelle de l'histoire Et des passionnés de l'histoire Enseignants, chercheurs Le grand lieu d'expression et de débat Lecteurs, amateurs Sur tout ce qui se dit Curieux,

  • Speaker #1

    rêveurs Sur tout ce qui s'écrit Qui aide à prendre la mesure des choses A éclairer le présent et l'avenir Dans l'espace et dans le temps

  • Speaker #2

    Eh bien bonjour, bienvenue au Café littéraire où nous accueillons cet après-midi Michel Pastoureau. Je présente rapidement Michel Pastoureau, encore que cela ne soit pas très nécessaire. C'est un historien médiéviste qui a construit son champ de recherche autour du thème de l'histoire symbolique qu'il a exploré à travers l'héraldique, à travers l'histoire des couleurs, à travers l'histoire des animaux, de leurs symboles et de leurs représentations. Par exemple, il a travaillé sur l'ours qu'il était venu nous présenter ici même il y a quelques années. Il a travaillé aussi sur le cochon, on va en reparler dans quelques instants. Et le livre qui va nous occuper aujourd'hui et pour lequel il est là, qui s'intitule « Le roi tué par un cochon » qui vient de sortir le mois dernier au Seuil, croise un petit peu toutes ces approches, mais dans une perspective un peu différente de ses ouvrages précédents puisqu'ici on part d'un fait très précis. Et c'est sur ce fait très précis que je voudrais démarrer, Michel Pastoureau. Qu'est-ce qui s'est passé le 13 octobre 1131 à Paris ?

  • Speaker #3

    Merci. Bonjour à tous. Il s'est passé un fait divers, un accident qui aurait pu être anecdotique et qui, à mon avis, a changé le cours de l'histoire de France. Un accident de cheval. Le fils aîné du roi Louis VI le Gros s'appelait Philippe. Il avait 15 ans, il avait déjà sacré et couronné roi associé du vivant de son père, c'était l'usage chez les premiers Capétiens, la monarchie n'était pas encore tout à fait héréditaire, elle était encore partiellement élective, donc par précaution les rois faisaient sacrer leur fils aîné de leur vivant, donc c'est ce qui s'était passé deux ans plus tôt. Et ce jeune prince qui revenait d'une chevauchée dans les faubourgs de Paris est tombé de cheval parce que Un animal domestique s'est mis dans les jambes du dit cheval, un cochon, un porcus diabolicus, comme disent les chroniqueurs. Il est tombé, sa tête a heurté une pierre et il est mort dans les heures qui ont suivi, une fois qu'il a été transporté dans une maison voisine. Ça aurait pu être complètement anodin, les chutes de cheval sont assez fréquentes au Moyen-Âge, mais celle-ci a été causée par un animal qui n'est en rien un animal comme les autres.

  • Speaker #2

    Bien. Donc, cet accident concerne un prince qui était destiné à devenir le roi de France, qui était, comme vous dites déjà, roi. Vous expliquez du reste dans votre livre autour de ces rois sacrés associés à leur père. C'est une pratique courante et qu'à l'époque, on les considère comme rois. Vous dites même qu'on les numérote comme rois, que ce Philippe, puisqu'il s'appelle Philippe. et était en quelque sorte un Philippe II.

  • Speaker #3

    Voilà, dans les textes, souvent jusqu'à la fin du Moyen-Âge, il est Philippe II puisqu'il a été couronné et sacré, même s'il est mort à l'âge de 15 ans. Les textes l'appellent de son vivant Rex, Rex Junior, Rex Designatus, le futur roi. Il est d'ailleurs enterré à Saint-Denis dans le cimetière des rois, il y a encore... Donc il reçoit un numéro de la part, non pas de ses contemporains, mais des chroniqueurs et historiens ultérieurs. Il est Philippe II, ce qui décale tout. Philippe II, Auguste, pour nous, deviendra Philippe III. Philippe IV, le bel, c'est Philippe V, et ainsi de suite jusqu'à Philippe VI de Valois. Il faudra attendre le début de l'époque moderne pour qu'il disparaisse de la chronologie des rois de France. Et ce qui est constamment noté, c'est... La mention Philippus. A porco interfectus, Philippe tué par le cochon, ou un cochon.

  • Speaker #2

    Ce qui est d'autant plus ironique, si je puis dire, à propos de ce fait dramatique, qu'il s'appelle Philippe. Et vous expliquez aussi à propos de ce prénom un certain nombre de choses qu'il n'est pas inintéressant de relever.

  • Speaker #3

    Oui, bien sûr, en grec, Philippe signifie « qui aime les chevaux » . Donc pour quelqu'un qui est mort d'une chute de cheval... C'est une ironie de l'histoire. C'est un nom de baptême récent chez les Capétiens. Dans les grandes familles royales, princières et seigneuriales, les noms de baptême, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, constituent une sorte de stock familial réduit dans lequel on puise. C'est presque une panoplie emblématique. Donc les Capétiens usent de 4, 5, 6 noms, les rois Capétiens. Philippe, Robert, Henri, Eudes, quelques autres, Louis bien sûr, mais Philippe c'est assez récent en fait, cela date du grand-père de notre Philippe, le roi Philippe Ier, qu'on a longtemps décrié, qui a un règne très long, 1060-1108, qui est le premier à porter ce nom parce que sa mère est une princesse orientale, la fille du grand-duc de Kiev, et elle apporte à la cour de France, en épousant Henri Ier. Dans les années 1035-40, un nom grec, un nom qu'on ne connaissait pas ou qu'on n'utilisait pas, l'apôtre Philippe n'ayant pas fait l'objet d'un culte très important en Occident. Donc notre Philippe, au fond, est le deuxième de la dynastie et il va y en avoir beaucoup par la suite chez les rois et chez les ducs, les comtes et les grands barons.

  • Speaker #2

    Bien, alors après ces précisions autour du personnage, venons-en quand même à l'enquête. Et tout part dans l'affaire du fait que l'accident survenu à Philippe est un accident infamant.

  • Speaker #3

    C'est un accident, en effet, totalement infamant à cause de l'animal qui l'a causé. Et j'ai passé un long moment, plusieurs années à dire vrai, à enquêter dans les chroniques, les annales, les histoires du XIIe et du XIIIe siècle pour cerner le... récit de l'événement et étudier le vocabulaire latin qu'emploient les auteurs pour qualifier cette mort. Et c'est une répétition d'adjectifs que je traduis, mort honteuse, mort misérable, mort infamante, mort souillée, etc. Il y en a toute une collection, le latin étant peut-être plus riche encore que la langue vernaculaire, pour parler de la honte et de l'infamie. et donc c'est une mort infâme qui... entraîne aux yeux des contemporains et de la succession immédiate une souillure sur la dynastie capétienne, sur le roi de France, sur le royaume de France, et naturellement à l'étranger, les ennemis des capétiens du royaume, notamment en Angleterre, insistent lourdement sur cette espèce de punition divine. d'ailleurs au Moyen-Âge, par écho au chemin de Damas. Et à Saint-Paul, qui n'est pas encore Saint-Paul quand il tombe de cheval, toute chute de cheval, c'est une punition voulue par Dieu et une invitation à se convertir et à mener une vie meilleure. Donc on y voit à la fois un geste de l'intervention divine et une mort qui souille complètement le roi, le royaume et la dynastie.

  • Speaker #2

    Oui, qu'en est-il mort en chassant le sanglier ?

  • Speaker #3

    Voilà, alors... Pour adoucir les choses, certains chroniqueurs racontent qu'en fait il ne jouait pas dans une rue de Paris avec quelques jeunes gens de son âge, mais qu'il revenait de la chasse, et je me suis fait la réflexion bien sûr que s'il était mort à la chasse, tué par un sanglier, ce qui est relativement fréquent, aussi bien à l'époque carolingienne que chez les premiers capétiens, parce que le sanglier est un animal extrêmement combatif et courageux, Il ne tue pas directement, mais il cause des blessures qui souvent entraînent la mort. Donc si ce jeune prince était mort à la chasse tuée par un sanglier, c'était une mort héroïque. C'était une mort glorieuse, une mort de prince. Il n'y aurait pas eu tout ce cortège d'attributs infamants pour qualifier sa mort. Mais malheureusement, ce n'est pas un porc sauvage qui est en cause, c'est un porc domestique. Et même si on sait très bien au XIIe siècle que les deux animaux ont une parenté et qu'ils sont même conspécifiques et peut-être interféconds, du point de vue symbolique, ça n'est pas du tout la même chose. Un sanglier, ça n'est pas un cochon de ferme. Pas du tout.

  • Speaker #2

    Alors c'est un drame symbolique, cette infamie qui tombe sur la couronne de France, sur la monarchie française à ce moment-là, c'est aussi un drame tout court à ce que vous décrivez. Pour Louis VII, par exemple. Pardon, pour Louis VI, pour le roi, pour le roi en titre. La mort de son fils est vécue très douloureusement.

  • Speaker #3

    Oui, on a un témoin direct des événements qui est l'abbé de Saint-Denis, Suger, le grand Suger, qui n'a pas encore commencé la reconstruction de son église abbatiale à cette époque, seulement 1131, pas 1140, mais c'est le principal conseiller du roi Louis VI le Gros. Il est présent en permanence auprès du roi. et de l'entourage royal. Il a assisté, parmi les premiers, à la mort du jeune prince Philippe et il nous décrit, dans un texte qu'il a compilé plus tardivement, le chagrin du père, de la mère, des grands, l'espèce de panique qui s'empare de tout le monde. Ce jeune prince, dit-il, donnait les meilleures espérances. Ce sont naturellement des topoïes, mais quand même... On peut le croire. Il avait l'air vigoureux, beau de corps, saint d'esprit, déjà préparé à son métier de roi. Après son sacré couronnement, il devait être plus ou moins initié aux affaires de gouvernement. Ça devait être le début. Et il meurt. Et son frère Cadet, lui, n'est pas du tout préparé à son métier de roi.

  • Speaker #2

    Oui. Le frère Cadet, on peut le préciser. Qu'est-ce qu'il était jusqu'alors ?

  • Speaker #3

    Il est plus jeune, il a 10 ou 11 ans, on ne sait pas très bien quand il est né, c'est le futur roi Louis VII. Comme toujours au Moyen-Âge, on note la date de naissance exacte chez les grands personnages pour les fils aînés. Et puis les cadets, on ne le note pas pensant que ce n'est pas très important, mais quand le fils aîné meurt, c'est le cadet qui devient roi du coup comte, et on ne sait plus quand il est né. Et pour les historiens, ça fait des débats. Quand l'accident se produit, au mois d'octobre 1131, Louis, le puiné, a 10 ans ou 11 ans et il est destiné à l'état ecclésiastique. Il a été confié aux écoles de Notre-Dame, de la cathédrale Notre-Dame à Paris. Il y a passé beaucoup de temps, il s'y est complut et il est lui-même prêt à recevoir plus tard la prêtrise et à devenir probablement un prélat important. Et à finir, c'est le cursus normal pour un prince capétien, archevêque de Reims. Mais on n'en est pas là. Et à cause de la mort de son frère aîné, il va devoir monter sur le trône alors qu'il n'y est pas du tout préparé et qu'il n'a aucune compétence ni goût pour cela.

  • Speaker #2

    Oui. Et c'est gênant. C'est gênant parce que suggère très vite, en vient à l'idée, que l'infamie qu'on vient d'évoquer, il faut la laver. Il faut la corriger, il faut la compenser. Et cette responsabilité va incomber au nouveau roi. Louis VI ne vit plus très longtemps après, il n'a pas le temps, lui, de réagir vraiment. Et c'est donc Louis VII... Une fois qu'il est devenu roi, à qui incombe le lavage de l'infamie qu'a représenté l'accident de son frère ?

  • Speaker #3

    Voilà, oui, Suger prend les choses en main. Il faut aller vite parce qu'à cette époque, une dynastie est toujours plus ou moins menacée. On n'est pas encore en période d'absolutisme. Donc, pour assurer la continuité de la dynastie capétienne, on fait enterrer à Saint-Denis, et pour Suger, c'est important que Saint-Denis reste, l'église abbatiale reste, la nécropole royale. Et puis, dans les jours qui suivent, on va à Reims pour le sacre du nouveau roi. On profite de ce que le pape est présent en France. Il s'apprêtait à ouvrir un concile général de l'église parce qu'il y avait un antipape qui s'était dressé contre lui à Rome. Donc, le pape est présent à Reims. Il sacre le jeune Louis qui deviendra plus tard Louis VII. Donc, tout semble assez favorable. Être sacré par un pape, ça n'est pas rien. c'est bien mieux que par l'archevêque de Reims, ou quand l'archevêque de Reims n'est pas disponible, c'est l'archevêque de Sens, ou c'est l'évêque de Lens, ou l'évêque de Chalon. Non, là c'est le pape, c'est magnifique. Malheureusement, ça ne va pas se passer très bien. Louis VI, le gros, qui est vraiment gros et qui reçoit son surnom de son vivant. C'est assez rare chez les grands personnages du Moyen-Âge, c'est la postérité qui leur donne des surnoms. pour distinguer les homonymes, mais là, les contemporains l'appellent vraiment le gros parce qu'il était extrêmement gros, comme la plupart d'ailleurs des souverains d'Occident à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, comme si la corpulence était nécessaire pour exercer le métier de roi. Ça ne peut que me réjouir. Et donc, six ans plus tard, Louis meurt, Louis VI meurt, et Louis VII devient le roi. il a A peine 20 ans, il s'entoure des mêmes conseillers que son père au début, notamment Suger, toujours lui, et un peu plus lointain dans l'espace, Saint Bernard, qui est le grand personnage chrétien plus influent. Il fait les papes et il fait presque les rois, il fait les croisades, il fait les ordres de chevalerie. C'est un personnage considérable. Le début de règne semble bien se passer, d'autant que Louis VI, peu avant sa mort, a fait épouser à ce futur Louis VII, son fils cadet devenu roi, l'héritière du duché d'Aquitaine, la fameuse Aliénor. Ça permet au Royaume de France de s'agrandir, même si Aliénor reste duchesse d'Aquitaine, c'est le couple qui devient seigneur de l'Aquitaine, pas Louis VII tout seul, c'est du fait de sa femme. Donc ça se passe bien, et puis il y a quelques accidents au début du règne, notamment l'incendie très malheureux dans une guerre contre le comte de Champagne d'une église à Vitry, aujourd'hui Vitry-le-François, où c'était réfugié

  • Speaker #2

    au moins 1000 personnes les soldats du roi y ont mis le feu et le roi dont on ne sait pas s'il avait donné son accord ou pas en tout cas en était mortifié de chagrin et donc le règne commence sous d'assez mauvais auspices avec cet accident et puis ensuite les choses se passent encore assez mal il y a la croisade et puis il y a les déboires conjugaux de Louis VII qui continue à donner au règne une image assez négative Merci.

  • Speaker #3

    On a l'impression que Louis VII, le jeune Louis VII, n'aime pas son métier de roi, n'est pas très compétent pour l'exercer, et surtout ressent qu'il n'est pas tout à fait légitime. C'est son frère qui aurait dû être roi, son frère est mort à cause d'un cochon, c'est quelque chose d'épouvantable, comme si Dieu n'aimait plus la famille capétienne. pour essayer de réparer tout ça. Louis VI avait, à la fin de sa vie, donné Beaucoup de biens aux églises, fondée des abbayes, la reine Adélaïde aussi, elle a fondé l'abbaye de Montmartre après la mort de son fils. On multiplie les liens avec les grands personnages ecclésiastiques du royaume au début du règne de Louis VII, avec les papes successifs, avec Saint Bernard bien sûr. Ça ne suffit pas, on a l'impression qu'on va de catastrophe en catastrophe et une idée germe, il faut partir en croisade, ça va. effacer les malheurs du temps et effacer surtout la souillure de l'événement de 1131 et cette croisade qu'on appelle la deuxième croisade, celle de Louis VII et d'Aliénor et aussi de l'empereur du Saint-Empire, c'est un échec total, les croisés. Non seulement se disputent, échouent à reprendre Jérusalem. meurent dans le désordre d'Anatolie ou sur les rivages de la Terre Sainte. Et surtout, et ce n'est pas une légende, contrairement à ce qu'on a parfois écrit, au cours de la croisade, le divorce entre Aliénor et Louis VII est déjà plus ou moins dans l'air.

  • Speaker #2

    Voilà, le divorce est plus ou moins dans l'air et il va rapidement se concrétiser. Et Aliénor, non seulement elle divorce, mais il faut aller jusqu'au bout. Qu'est-ce qu'elle fait très vite ensuite ?

  • Speaker #3

    Elle épouse le futur roi d'Angleterre, un personnage considérable, mais qui n'est pas encore roi. Il est comte d'Anjou et duc de Normandie, Henri Plantegenet. Donc elle avait épousé Louis VII en 1137. elle divorce en 1152 elle n'a donné au roi de France que deux filles dont l'aîné s'appelle Marie ce qui est un signe que c'est la première fois qu'une fille de roi de France porte le nom de la Vierge comme si on faisait aussi déjà appel à la Vierge par les noms de baptême pour assurer sa protection bref deux filles, pas d'héritier mâle ça semble aussi une punition divine l'historien que je suis s'est demandé d'ailleurs Qu'est-ce qui serait passé si ce Philippe avait vécu ? C'est lui qui aurait épousé Aliénor d'Aquitaine. Probablement était-il plus, comment dire, vigoureux que son frère, pas destiné à l'État avec les Vestiques lui-même. Le couple se serait peut-être mieux entendu. Des enfants mâles seraient nés et le cours de l'histoire de France et d'Angleterre aurait été changé. Mais non, ça ne s'est pas passé. La croisade a lieu de 1947 à 1949 et au début de l'année 1952, Louis VII et Aliénor divorcent sous prétexte de consanguinité. C'est le prétexte normal dans les grandes familles au Moyen-Âge. Mais catastrophe, trois mois plus tard, elle épouse Henri Plotgenet qui a dix ans de moins qu'elle et qui va lui donner dix enfants. Aliénor est particulièrement féconde une fois qu'elle est divorcée de Louis VII. Elle aura dix enfants dont certains sont restés très célèbres, Richard Coeur de Lion et Jean Santerre, son dernier fils, qu'elle a eu à l'âge de 45 ans.

  • Speaker #2

    Alors à ce point de l'histoire... Côté français, le moral est très bas, les sondages sont très mauvais et du côté de la monarchie, il faut faire quelque chose. On va donc chercher un conseiller en communication, je traduis ça en termes contemporains, on se tourne à nouveau vers Suger. Suger dont j'ai appris dans votre livre d'ailleurs que c'est un petit malin qui rêvait de prendre à Reims la fonction de lieu du sacre avec son abbaye de Saint-Denis.

  • Speaker #3

    Il est abbé de Saint-Denis et il fait tout pour Saint-Denis qui pour lui est le centre du monde, mais la plupart des abbés de Saint-Denis au Moyen-Âge pensent la même chose. Saint-Denis abrite dans l'église abbatiale la nécropole royale et il faut absolument que les souverains continuent de se faire enterrer à Saint-Denis. Saint-Denis conserve également dans le trésor de l'abbaye les insignes royaux, ceux qu'on remet au souverain le jour de son sacre, couronne, sceptre. plus tard main de justice, mais là c'est trop tôt, donc deux sceptres, un court, un long, et d'autres objets symboliques. Mais le sacre a lieu à Reims. Il est fait non pas par l'abbé de Saint-Denis, mais par l'archevêque de Reims, et à Reims même il y a conflit entre l'archevêque... et le doyen du chapitre qui est toujours un rival de l'évêque ou de l'archevêque et puis l'abbaye Saint-Rémy qui elle conserve la sainte ampoule c'est-à-dire le récipient dans lequel se trouve l'huile sainte miraculeuse prétendument apportée pour le baptême de Clovis en 496 et qui sert à sacrer les rois de France qui sont par ce geste les oins du Seigneur et ce ne sont pas des rois comme les autres ils sont sacrés avec une sainte ampoule venue du ciel Donc le rêve de Suger, naturellement, c'est que les sacres aient lieu à Reims, mais de ce point de vue-là, il a échoué.

  • Speaker #2

    En revanche, sur le problème de fond, qui est de restaurer l'image de la monarchie, il joue un rôle plus actif et sans doute plus efficace.

  • Speaker #3

    Oui, c'est un personnage efficace qui, en plus, pour l'historien, a laissé des écrits assez abondants. non seulement la vie de Louis VI c'est le début de la vie de Louis VII, mais toute sa politique de reconstruction de l'église abbatiale de Saint-Denis et de la gestion du fastueux domaine féodal de l'abbaye. Donc on sait beaucoup de choses sur Suger et son administration de prélat et son rôle de principal conseiller de deux rois de France successifs, même si parfois il y a eu des bisbilles ou des querelles. pour Saint-Denis, on sait que Il a dépensé telle ou telle somme d'argent, il nous le dit lui-même, pour par exemple mettre de la couleur dans l'église abbatiale. Il est de ces prélats qui pensent que la couleur c'est de la lumière, Dieu est lumière, donc pour dissiper les ténèbres et étendre la part de la divinité. Dans l'église, il est chromophile, il faut mettre de la couleur partout, et notamment sur les verrières, d'où ces vitraux magnifiques qu'il a fait faire, en achetant notamment un bleu hors de prix, il nous le dit lui-même. Alors qu'à la même époque, Saint Bernard, son contemporain, est un prélat chromophobe, qui pense que la couleur c'est de la matière, et qu'il ne doit pas y avoir excès de couleur dans l'église. Au contraire, il faut chasser la couleur du temple, d'où ces églises cisterciennes, qui sont décolorées, extrêmement austères, qui le sont restées jusqu'à aujourd'hui.

  • Speaker #2

    Alors précisément, ce bleu qu'introduit Suger à l'abbaye de Saint-Denis, il est introduit à l'abbaye de Saint-Denis, mais il va être utilisé aussi sur un autre plan emblématique à ce moment-là, dans le cadre de notre politique de restauration de l'image de la monarchie.

  • Speaker #3

    Oui, après avoir tout essayé pour effacer cette souillure dynastique, les conseillers du roi, sinon le roi lui-même, enfin ils ont dû se mettre à plusieurs, Louis VII, Suger, Saint-Bernard... quelques autres sans doute, puisque la croisade elle-même avait échoué et que cette souillure est toujours présente, ont eu une idée de génie, faire appel à la Vierge et en faire la protectrice du Royaume de France, la Sainte Patronne. Le Royaume de France avait jusque-là plusieurs patrons, Saint-Denis, Saint-Martin, Sainte Geneviève, mais pas la Vierge. Et donc dans ces années-là, après le retour de croisade en 149, donc 50-51, Suger meurt en 52, Saint-Bernard en 53, donc on est dans ces années-là, la Vierge, malheureusement on n'a pas de texte, mais la Vierge devient la patronne du Royaume de France, et coup de génie... Presque contemporain, comme vous dites, en marketing et en stratégie de communication, c'est impeccable. Coup de génie, puisqu'on est dans la période où commencent à apparaître les premières armoiries. Il faut composer des armoiries pour le roi de France. Et pour ce faire, non pas le roi lui-même, mais son entourage, les lettrés, les conseillers, choisissent de prendre deux attributs de la Vierge, ces deux attributs principaux, la couleur bleue et la fleur de lys, qui dans la symbolique du XIIe siècle sont tous les deux des attributs de la pureté. Donc la vierge plus le bleu plus le lisse, ça va effacer la souillure. Et de fait c'est assez efficace parce que vers la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe, les chroniqueurs se font un peu moins sévères envers l'accident de 1131 et le vocabulaire se fait plus discret sur la honte et l'infamie. On en vient à dire que c'est une mort malheureuse, quel drame, etc. Donc la sugure, peu à peu, va être effacée. C'est grâce à la Vierge.

  • Speaker #2

    Voilà. Et voilà comment le royaume de France se retrouve avec des armoiries, le bleu et les fleurs de lys. Des armoiries qui, d'une part, sont les seules, dites-vous, en Europe, ou quasiment les seules, qui soient des armoiries à fondement végétal pour les monarchies et non pas animales.

  • Speaker #3

    Oui, le roi de France et plusieurs auteurs le soulignent tout au long du Moyen-Âge. Parmi les principaux rois d'Occident, c'est le seul qui n'est pas un animal, comme figure héraldique, mais un végétal. Donc il a choisi, au fond, quelque chose de pacifique, plutôt qu'un lion, un aigle ou un léopard, des animaux puissants et agressifs. Et c'est aussi le seul qui est du bleu dans ses armoiries. Nous sommes au début de la mode des tons bleus dans le vêtement et dans la culture matérielle. Là aussi, c'est une originalité. Dans la très longue durée, les rois de France, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, en Europe, ce sont toujours des souverains qui n'ont jamais voulu faire comme les autres. Et donc, en créant leurs armoiries au XIIe siècle, c'est exactement ça, ils ne veulent pas faire comme les autres, pas d'animal dans les culs, et un écu hachant bleu, ce bleu, azur, « d'azur semé de fleurs de lys d'or » dit la langue du blason. est promis à une longue histoire comme couleur de la France.

  • Speaker #2

    Oui, vous insistez beaucoup d'ailleurs dans votre livre sur l'idée de singularité de la monarchie, que vous présentez non pas comme l'effet du hasard, du résultat des initiatives, mais comme une volonté de se poser comme différente de toutes les autres. À travers le choix des prénoms, à travers toute une série de pratiques, vous soulignez cette permanence de l'originalité voulue de la monarchie. Oui,

  • Speaker #3

    c'est une constante. Nous avons beaucoup de textes. Et tout ce que je raconte à propos de la création des armoires royales est assez bien documenté et extrêmement pensé. On voit qu'on ne fait rien au hasard, tout est pensé, discuté, on réfléchit à plusieurs. Et dans la longue durée, ça se passe toujours comme ça. Les souverains eux-mêmes n'ont pas beaucoup de rôle personnel dans leur mise en scène emblématique et symbolique. C'est toujours l'entourage. des lettrés, des artistes, des conseillers en ceci ou en cela, jusqu'à Louis-Philippe, presque au XIXe siècle. D'ailleurs, ça continue avec le XIXe et le XXe siècle. On peut dire que dans la longue durée, la France est un royaume puis une république qui ne veut jamais faire comme les autres et qui donne des leçons au monde entier. Et ça commence très tôt.

  • Speaker #2

    Et ça continue longtemps.

  • Speaker #3

    Oui, on peut ironiser d'ailleurs. Et nos voisins ne s'en privent pas. Les amis allemands me rappellent toujours que la France s'intitule, sous la révolution de l'Empire, la grande nation. Elle se veut supérieure aux autres.

  • Speaker #2

    Est-ce qu'il y a des gens qui ont des questions à poser à Michel Pastoureau ? Je vous rappelle que vous avez le droit à la parole aussi et qu'un micro peut circuler si vous avez un monsieur là-bas.

  • Speaker #4

    Merci pour cette présentation. Je m'interrogeais sur le destin de ce cochon peu ordinaire. Est-ce qu'on en sait quelque chose ?

  • Speaker #0

    Non, nous n'en savons rien. C'est un peu tôt. Si l'accident avait eu lieu un siècle et demi plus tard, des archives judiciaires, toujours les plus riches pour l'historien, nous diraient sans doute qu'on a cherché à le capturer. Et si on a réussi à le faire, on l'aurait conduit au tribunal à partir du milieu du XIIIe siècle et jusqu'au début du XVIIe, voire un peu plus avant. On a en Europe occidentale les fameux procès faits aux animaux. 9 fois sur 10, il s'agit de cochons qui sont conduits au tribunal parce qu'ils ont causé crimes, délits, homicides, infanticides, accidents, etc. On a l'idée que les gros animaux sont capables de comprendre ce qu'est le bien et le mal, sont responsables de leurs actes. qu'on peut les juger, éventuellement les condamner, donc des pratiques qui nous font sourire aujourd'hui, mais nous avons tort parce que ça implique une proximité beaucoup plus grande entre l'homme et l'animal que de nos jours, où c'est le propriétaire de l'animal qui est responsable, alors qu'au Moyen-Âge et encore au début de l'époque moderne, c'est l'animal lui-même qui va au tribunal, qui reçoit un avocat, il y a procès, ça dure plusieurs jours pour nourrir la bête, la surveiller, on dépense de l'argent, ça nous vaut des archives, et ainsi de suite. Certains de ces procès sont assez bien documentés. Pour notre affaire de 1131, c'est trop tôt. Ça commence un petit peu plus tard. Ce qui est intéressant, c'est qu'au XIIIe, au XIVe, au XVe siècle, dans ces histoires de procès, où, je le répète 9 fois sur 10, ce sont des cochons qui sont concernés, quand on n'arrive pas à attraper l'animal coupable la truie qui a renverser un nouveau-né dans son berceau et commencer à le dévorer, ou autre chose, eh bien, soit on prend un congénère, un autre cochon, une autre truie, qui n'y est absolument pour rien, mais qui joue le rôle de l'accusé pendant le procès, qui est jugé, condamné, mais pas exécuté, puisqu'elle n'a rien fait. Mais il faut que le rituel ait lieu. C'est un peu du théâtre, et c'est l'idée que... La bonne justice doit être rendue, c'est ça qui est important. Une autre façon de faire, c'est de fabriquer un mannequin, en général en paille, ayant la forme de l'animal qu'on n'a pas réussi à attraper, et de juger le mannequin animalier, et de le conduire ensuite au bûcher. Alors pourquoi tant de cochons au tribunal ? Pour différentes raisons, ils sont abondants, non seulement à la campagne, mais dans les rues des grandes villes, où ils jouent le rôle des boueurs, ils sont vagabonds, ils vont l'être longtemps, malgré les autorités municipales qui légifèrent contre la divagation des porcs, ça va durer à Naples jusqu'au début du XXe siècle, par exemple. Il y a encore des porcs qui vagabondent dans la ville, qui occasionnent des accidents. Donc ils sont abondants, ils sont nombreux, ils occasionnent plus d'accidents que les autres animaux domestiques. Mais aussi pour des raisons symboliques, parce qu'on sait très bien au Moyen-Âge, et on le savait déjà dans l'Antiquité grecque et romaine, que du point de vue physiologique et anatomique, l'animal le plus proche de l'être humain, c'est le cochon. Et la médecine contemporaine le confirme pleinement. Donc probablement cette proximité physiologique, anatomique, biologique, explique à la fois attrait et rejet, et probablement... tous les tabous qu'il porte sur cet animal dans de nombreuses cultures.

  • Speaker #1

    Il y a d'autres personnes. Où est le micro ? Il y a une question devant et une question au fond.

  • Speaker #2

    Bonjour. Il y a depuis quelques années de nombreuses discussions au niveau philosophique et juridique pour attribuer un nouveau statut à l'animal. Je voudrais savoir si cette polémique d'une manière ou d'une autre vous concerne personnellement.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr, quand j'étais jeune chercheur et que j'ai consacré ma thèse au bestiaire héraldique médiéval, l'animal, c'était chez les historiens la petite histoire. Il était absolument indigne de l'histoire universitaire et faire une thèse sur le bestiaire médiéval, c'était renoncer à toute carrière. Donc, je suis de ceux qui se sont battus pour que, non seulement en histoire, mais au sein des sciences humaines, Il y a plus de considération pour les animaux et je dois dire que sinon la partie n'est peut-être pas totalement gagnée mais quand même des curiosités nouvelles sont venues, puis des interrogations par rapport au statut des animaux dans les sociétés contemporaines. J'étais très heureux qu'il y a deux ou trois ans en France le sujet principal de l'agrégation de philosophie soit les rapports entre l'homme et l'animal. C'était impensable il y a 50 ans, ça n'aurait pas semblé sérieux. Donc j'adhère à ces combats, si je puis dire, en tout cas intellectuellement. Il y a encore beaucoup de progrès à faire. Tu frappais par exemple dans les polémiques, enfin pas dans les polémiques, dans les sujets d'actualité dont la presse a parlé récemment à propos des cochons, justement, le prix de la viande de porc et la présence du porc dans les cantines scolaires. Personne ne s'était interrogé sur ce qu'est un cochon. Pourquoi des tabous autour de ce cochon ? Comment on élève des cochons ? Ça n'est qu'un produit aujourd'hui. Ça n'est plus un animal, ça n'est plus un être vivant. Il y a là quelque chose qui est assez vertigineux, surtout quand on connaît les porcheries industrielles, comme je les connais en Bretagne, où l'on voit des truies qui ont pour toute leur vie un mètre ou un demi-mètre carré pour se mouvoir et qui ne voient jamais la lumière du soleil. C'est terrifiant, terrifiant.

  • Speaker #1

    Il y avait une autre question devant, là. Ah,

  • Speaker #0

    vous avez dit qu'on parlait.

  • Speaker #3

    Oui, alors je voulais savoir si, parce qu'à l'époque moderne, on a beaucoup de procès pour des insultes entre personnes, où on se rend compte que 90% des insultes, souvent, ça tourne autour du cochon. Est-ce que c'est pareil au Moyen-Âge ? On trouve le même genre de choses ?

  • Speaker #0

    Non, ça peut arriver, mais c'est parmi tout un bestiaire de l'insulte qui attend d'ailleurs encore ses historiens. Ça date du XVIe et surtout du XVIIe siècle. Au Moyen-Âge, le cochon, du point de vue symbolique, il a beaucoup de vices. Il est sale, il est goinfre. Les auteurs nous racontent qu'il cherche toujours dans le sol, donc il ne lève jamais la tête vers Dieu. Ça, c'est un grand péché. Mais il n'a pas le vice de lubricité. Pour faire un jeune mot, je dirais qu'il ne fait pas de cochonneries, au sens où nous les entendons. C'est le chien qui fait des cochonneries. Quand le chien se revalorise en Occident et qu'il devient lentement le sympathique compagnon que nous connaissons, c'est-à-dire à la fin du Moyen-Âge et au début de l'époque moderne, il faut le débarrasser de ses vices, et il en a beaucoup. Le chien, chez les Grecs et chez les Romains, il est particulièrement impur. Il l'est encore dans une grande partie au Moyen-Âge, et donc il faut le débarrasser de ce vice de luxure, de sexualité. et alors progressivement entre le Le XVe et le XVIIe siècle, on déverse sur le cochon, qui n'y est pour rien, le vice de luxure. Et on s'imagine que le cochon pratique le commerce charnel d'une façon particulièrement sexuelle, érotique et tout ce que vous voulez. Et donc, des expressions et surnoms qui nous sont familiers commencent à apparaître au XVIIe et au XVIIIe siècle, notamment tout ce qui astrait à la sexualité, cochon, cochonnerie, vieux cochon, etc. C'est du moderne et contemporain, ça n'est pas du médiéval.

  • Speaker #1

    Une question là-bas, au fond.

  • Speaker #4

    Alors, merci pour la conférence. J'ai entendu parler, puisque vous avez dit que le cochon est un animal domestique, mais il était utilisé aussi dans l'Antiquité et au Moyen-Âge en tant qu'animal militaire, notamment brûlé pour faire peur aux éléphants dans leur ennemi, et aussi pour attirer les chiens, pour qu'ils évitent d'attaquer les soldats. Est-ce vrai ou pas ?

  • Speaker #0

    C'est vrai plus tard. Au Moyen-Âge, non, il n'y a pas de cochons sur les champs de bataille, mais il y a des cochons qui font différentes choses, notamment qui travaillent. Le Moyen-Âge a inventé beaucoup plus de choses qu'on ne le croit. Il a inventé notamment la brouette. Et des cochons attelés à des brouettes, c'est assez fréquent à partir des XIIIe et XIVe siècles pour transporter des produits qui ne sont pas. Trop lourd en quelque sorte. Mais c'est surtout un animal qui est aux mains des médecins. L'église interdisant la dissection du corps humain, dans les écoles de médecine, pour apprendre l'anatomie humaine de l'homme et de la femme, on dissèque, comme on ne peut pas le faire le corps humain, on dissèque le corps, le cadavre, de la truie ou du vérat, avec l'idée qu'à l'intérieur c'est tout pareil, pour apprendre l'anatomie humaine. Et en effet, le savoir de notre temps confirme qu'à l'intérieur, en effet, c'est tout pareil.

  • Speaker #1

    Alors Michel Pastoureau, la longue histoire que vous nous avez racontée, qui aboutit à l'émergence des armoiries françaises, est une histoire longue. Longue non seulement dans l'Ancien Régime, mais une histoire qui se prolonge au-delà. Peut-être pas pour les fleurs de lys, mais pour la couleur bleue. Après tout, en rugby, ce soir ou demain, je ne sais plus, ce sont les bleus qui vont affronter les Irlandais.

  • Speaker #0

    Demain.

  • Speaker #1

    Demain. Non seulement il connaît le Moyen-Âge, mais même l'histoire contemporaine, rien ne lui échappe.

  • Speaker #0

    Mais ce sera le bleu contre le vert. Oui, ce qui est fascinant dans cette histoire, c'est que le devenir de ce bleu, qui est la couleur de la Vierge au départ, qui n'est pas une couleur très répandue, ni dans le monde des symboles, ni dans la vie quotidienne, au milieu du XIIe siècle, va prendre une place de plus en plus grande au fil des siècles et des décennies. et surtout cette couleur qui devient La dynastie, chez les Capétiens, va devenir au fil du temps, en plus, monarchique, étatique, nationale. A partir du XVIIIe siècle, on peut dire que le bleu est la couleur de la France.

  • Speaker #1

    Républicaine.

  • Speaker #0

    Et puis, la République, qui en général rejette tous les emblèmes de l'ancienne royauté, garde la couleur bleue, justement parce que c'est devenu... Avant même la Révolution, la couleur de la nation, l'histoire des rapports entre l'État et la nation, pour l'historien, c'est une histoire absolument passionnante. Il y a des pays en Europe où la nation est née avant l'État et il y en a d'autres où l'État est né avant la nation. C'est le cas de la France. Donc la République garde la couleur bleue comme couleur nationale et elle l'est encore aujourd'hui. Quand tous les sportifs français ou qui représentent la France sur un terrain de sport s'affichent en maillot bleu, c'est la couleur nationale. Et ça donne le vertige de penser que ce bleu national, il est dû à un pauvre cochon domestique vagabond qui s'est mis dans les jambes du cheval du fils du roi de France. C'est l'hypothèse que développe mon livre. Ça a l'air extravagant et pourtant ça se tient. Donc moi qui suis surtout historien des couleurs et des animaux, je vois un phénomène de très longue durée et je me réjouis que... Malgré des tentatives pour changer la couleur des maillots des équipes nationales de France, on en revienne quand même au bleu parce que ce bleu, il vient de très très loin. Cela dit, je suis assez pessimiste parce que je pense que les Irlandais sont plus forts que les Français.

  • Speaker #1

    Ce bleu vient de très très loin et je dirais pour conclure que l'histoire que vous nous avez racontée ce soir vient de loin aussi. vous expliquez dans votre livre que la question de l'incident de 1131 vous turlupine, si je peux empointer ce mot familier, depuis fort longtemps. Et c'est au terme de tous vos travaux, des raldiques, de symboliques, des couleurs et des animaux que vous avez repris cet incident, cet accident pour en arriver aux conclusions que vous venez de nous présenter. Bel exemple d'histoire longue aussi, cette fois-ci à votre niveau personnel.

  • Speaker #0

    Oui, un peu narcissique ce que je vais dire mais... C'est vrai, même si ça a l'air extravagant, que je pense à ce livre, en tout cas à ce dossier, depuis que je suis lycéen. Parce que je m'intéressais déjà, quand j'étais lycéen, je suis né dans les livres, il y a beaucoup d'historiens dans ma famille, je m'intéressais déjà à la place des animaux dans l'histoire. Et c'était la petite histoire à l'époque. Et j'avais lu dans un ouvrage que possédait mon oncle, dans sa bibliothèque, un ouvrage d'Ancien Régime. une dizaine de lignes sur cet événement. On en parlait encore dans les livres d'histoire de France d'Ancien Régime, et puis à partir de l'histoire positiviste du XIXe siècle, on n'en a plus parlé. Un animal, un cochon, n'avait absolument rien à faire sur le devant de la scène de la grande histoire. Et donc moi, j'avais 14, 15, 16 ans, je ne sais plus, quand j'ai pris connaissance de cet événement, puis après, par mes études, ma thèse, etc., je suis devenu historien des emblèmes et des symboles, historien des couleurs et historien des animaux. Et au fond, ce dossier m'a donné l'occasion de croiser mes trois terrains de recherche préférés, ceux que je viens de nommer pour faire ce livre où l'on parle en effet d'animal, le cochon homicide, régicide même, on parle de couleur, la couleur bleue, et d'emblèmes et de symboles, les armoiries du roi de France et leur prolongement.

  • Speaker #1

    Nous voilà arrivés au terme de ce café littéraire. Nous vous remercions Michel Pastoureau pour les éclaircissements que vous nous avez apportés sur votre livre. En attendant, je crois qu'on peut le remercier mille fois encore.

Chapters

  • Générique

    00:00

  • Conférence

    00:33

Description

Michel Pastoureau fait le récit d’un événement insolite aux conséquences politiques capitales survenu au XIIe siècle : la mort accidentelle de l'héritier du trône capétien le 13 octobre 1131, suite à une chute de cheval provoquée par un porc. L'historien met ainsi en lumière la symbolique du cochon dans l’Europe chrétienne et retrace les origines des armoiries de la royauté française.


Intervenant :

Michel Pastoureau, historien spécialiste du bestiaire médiéval et du symbolisme des couleurs


Présentation de l'ouvrage Le Roi tué par un cochon. Une mort infâme aux origines des emblèmes de la France ? (Seuil) en 2015 lors de la 18e édition des Rendez-vous de l'histoire.


Voix du générique : Michel Hagnerelle (2006), Michaelle Jean (2016), Michelle Perrot (2002) 


https://rdv-histoire.com/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les rangs de l'histoire sont bien Au rythme de rencontres, d'échanges La grande fête annuelle de l'histoire Et des passionnés de l'histoire Enseignants, chercheurs Le grand lieu d'expression et de débat Lecteurs, amateurs Sur tout ce qui se dit Curieux,

  • Speaker #1

    rêveurs Sur tout ce qui s'écrit Qui aide à prendre la mesure des choses A éclairer le présent et l'avenir Dans l'espace et dans le temps

  • Speaker #2

    Eh bien bonjour, bienvenue au Café littéraire où nous accueillons cet après-midi Michel Pastoureau. Je présente rapidement Michel Pastoureau, encore que cela ne soit pas très nécessaire. C'est un historien médiéviste qui a construit son champ de recherche autour du thème de l'histoire symbolique qu'il a exploré à travers l'héraldique, à travers l'histoire des couleurs, à travers l'histoire des animaux, de leurs symboles et de leurs représentations. Par exemple, il a travaillé sur l'ours qu'il était venu nous présenter ici même il y a quelques années. Il a travaillé aussi sur le cochon, on va en reparler dans quelques instants. Et le livre qui va nous occuper aujourd'hui et pour lequel il est là, qui s'intitule « Le roi tué par un cochon » qui vient de sortir le mois dernier au Seuil, croise un petit peu toutes ces approches, mais dans une perspective un peu différente de ses ouvrages précédents puisqu'ici on part d'un fait très précis. Et c'est sur ce fait très précis que je voudrais démarrer, Michel Pastoureau. Qu'est-ce qui s'est passé le 13 octobre 1131 à Paris ?

  • Speaker #3

    Merci. Bonjour à tous. Il s'est passé un fait divers, un accident qui aurait pu être anecdotique et qui, à mon avis, a changé le cours de l'histoire de France. Un accident de cheval. Le fils aîné du roi Louis VI le Gros s'appelait Philippe. Il avait 15 ans, il avait déjà sacré et couronné roi associé du vivant de son père, c'était l'usage chez les premiers Capétiens, la monarchie n'était pas encore tout à fait héréditaire, elle était encore partiellement élective, donc par précaution les rois faisaient sacrer leur fils aîné de leur vivant, donc c'est ce qui s'était passé deux ans plus tôt. Et ce jeune prince qui revenait d'une chevauchée dans les faubourgs de Paris est tombé de cheval parce que Un animal domestique s'est mis dans les jambes du dit cheval, un cochon, un porcus diabolicus, comme disent les chroniqueurs. Il est tombé, sa tête a heurté une pierre et il est mort dans les heures qui ont suivi, une fois qu'il a été transporté dans une maison voisine. Ça aurait pu être complètement anodin, les chutes de cheval sont assez fréquentes au Moyen-Âge, mais celle-ci a été causée par un animal qui n'est en rien un animal comme les autres.

  • Speaker #2

    Bien. Donc, cet accident concerne un prince qui était destiné à devenir le roi de France, qui était, comme vous dites déjà, roi. Vous expliquez du reste dans votre livre autour de ces rois sacrés associés à leur père. C'est une pratique courante et qu'à l'époque, on les considère comme rois. Vous dites même qu'on les numérote comme rois, que ce Philippe, puisqu'il s'appelle Philippe. et était en quelque sorte un Philippe II.

  • Speaker #3

    Voilà, dans les textes, souvent jusqu'à la fin du Moyen-Âge, il est Philippe II puisqu'il a été couronné et sacré, même s'il est mort à l'âge de 15 ans. Les textes l'appellent de son vivant Rex, Rex Junior, Rex Designatus, le futur roi. Il est d'ailleurs enterré à Saint-Denis dans le cimetière des rois, il y a encore... Donc il reçoit un numéro de la part, non pas de ses contemporains, mais des chroniqueurs et historiens ultérieurs. Il est Philippe II, ce qui décale tout. Philippe II, Auguste, pour nous, deviendra Philippe III. Philippe IV, le bel, c'est Philippe V, et ainsi de suite jusqu'à Philippe VI de Valois. Il faudra attendre le début de l'époque moderne pour qu'il disparaisse de la chronologie des rois de France. Et ce qui est constamment noté, c'est... La mention Philippus. A porco interfectus, Philippe tué par le cochon, ou un cochon.

  • Speaker #2

    Ce qui est d'autant plus ironique, si je puis dire, à propos de ce fait dramatique, qu'il s'appelle Philippe. Et vous expliquez aussi à propos de ce prénom un certain nombre de choses qu'il n'est pas inintéressant de relever.

  • Speaker #3

    Oui, bien sûr, en grec, Philippe signifie « qui aime les chevaux » . Donc pour quelqu'un qui est mort d'une chute de cheval... C'est une ironie de l'histoire. C'est un nom de baptême récent chez les Capétiens. Dans les grandes familles royales, princières et seigneuriales, les noms de baptême, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, constituent une sorte de stock familial réduit dans lequel on puise. C'est presque une panoplie emblématique. Donc les Capétiens usent de 4, 5, 6 noms, les rois Capétiens. Philippe, Robert, Henri, Eudes, quelques autres, Louis bien sûr, mais Philippe c'est assez récent en fait, cela date du grand-père de notre Philippe, le roi Philippe Ier, qu'on a longtemps décrié, qui a un règne très long, 1060-1108, qui est le premier à porter ce nom parce que sa mère est une princesse orientale, la fille du grand-duc de Kiev, et elle apporte à la cour de France, en épousant Henri Ier. Dans les années 1035-40, un nom grec, un nom qu'on ne connaissait pas ou qu'on n'utilisait pas, l'apôtre Philippe n'ayant pas fait l'objet d'un culte très important en Occident. Donc notre Philippe, au fond, est le deuxième de la dynastie et il va y en avoir beaucoup par la suite chez les rois et chez les ducs, les comtes et les grands barons.

  • Speaker #2

    Bien, alors après ces précisions autour du personnage, venons-en quand même à l'enquête. Et tout part dans l'affaire du fait que l'accident survenu à Philippe est un accident infamant.

  • Speaker #3

    C'est un accident, en effet, totalement infamant à cause de l'animal qui l'a causé. Et j'ai passé un long moment, plusieurs années à dire vrai, à enquêter dans les chroniques, les annales, les histoires du XIIe et du XIIIe siècle pour cerner le... récit de l'événement et étudier le vocabulaire latin qu'emploient les auteurs pour qualifier cette mort. Et c'est une répétition d'adjectifs que je traduis, mort honteuse, mort misérable, mort infamante, mort souillée, etc. Il y en a toute une collection, le latin étant peut-être plus riche encore que la langue vernaculaire, pour parler de la honte et de l'infamie. et donc c'est une mort infâme qui... entraîne aux yeux des contemporains et de la succession immédiate une souillure sur la dynastie capétienne, sur le roi de France, sur le royaume de France, et naturellement à l'étranger, les ennemis des capétiens du royaume, notamment en Angleterre, insistent lourdement sur cette espèce de punition divine. d'ailleurs au Moyen-Âge, par écho au chemin de Damas. Et à Saint-Paul, qui n'est pas encore Saint-Paul quand il tombe de cheval, toute chute de cheval, c'est une punition voulue par Dieu et une invitation à se convertir et à mener une vie meilleure. Donc on y voit à la fois un geste de l'intervention divine et une mort qui souille complètement le roi, le royaume et la dynastie.

  • Speaker #2

    Oui, qu'en est-il mort en chassant le sanglier ?

  • Speaker #3

    Voilà, alors... Pour adoucir les choses, certains chroniqueurs racontent qu'en fait il ne jouait pas dans une rue de Paris avec quelques jeunes gens de son âge, mais qu'il revenait de la chasse, et je me suis fait la réflexion bien sûr que s'il était mort à la chasse, tué par un sanglier, ce qui est relativement fréquent, aussi bien à l'époque carolingienne que chez les premiers capétiens, parce que le sanglier est un animal extrêmement combatif et courageux, Il ne tue pas directement, mais il cause des blessures qui souvent entraînent la mort. Donc si ce jeune prince était mort à la chasse tuée par un sanglier, c'était une mort héroïque. C'était une mort glorieuse, une mort de prince. Il n'y aurait pas eu tout ce cortège d'attributs infamants pour qualifier sa mort. Mais malheureusement, ce n'est pas un porc sauvage qui est en cause, c'est un porc domestique. Et même si on sait très bien au XIIe siècle que les deux animaux ont une parenté et qu'ils sont même conspécifiques et peut-être interféconds, du point de vue symbolique, ça n'est pas du tout la même chose. Un sanglier, ça n'est pas un cochon de ferme. Pas du tout.

  • Speaker #2

    Alors c'est un drame symbolique, cette infamie qui tombe sur la couronne de France, sur la monarchie française à ce moment-là, c'est aussi un drame tout court à ce que vous décrivez. Pour Louis VII, par exemple. Pardon, pour Louis VI, pour le roi, pour le roi en titre. La mort de son fils est vécue très douloureusement.

  • Speaker #3

    Oui, on a un témoin direct des événements qui est l'abbé de Saint-Denis, Suger, le grand Suger, qui n'a pas encore commencé la reconstruction de son église abbatiale à cette époque, seulement 1131, pas 1140, mais c'est le principal conseiller du roi Louis VI le Gros. Il est présent en permanence auprès du roi. et de l'entourage royal. Il a assisté, parmi les premiers, à la mort du jeune prince Philippe et il nous décrit, dans un texte qu'il a compilé plus tardivement, le chagrin du père, de la mère, des grands, l'espèce de panique qui s'empare de tout le monde. Ce jeune prince, dit-il, donnait les meilleures espérances. Ce sont naturellement des topoïes, mais quand même... On peut le croire. Il avait l'air vigoureux, beau de corps, saint d'esprit, déjà préparé à son métier de roi. Après son sacré couronnement, il devait être plus ou moins initié aux affaires de gouvernement. Ça devait être le début. Et il meurt. Et son frère Cadet, lui, n'est pas du tout préparé à son métier de roi.

  • Speaker #2

    Oui. Le frère Cadet, on peut le préciser. Qu'est-ce qu'il était jusqu'alors ?

  • Speaker #3

    Il est plus jeune, il a 10 ou 11 ans, on ne sait pas très bien quand il est né, c'est le futur roi Louis VII. Comme toujours au Moyen-Âge, on note la date de naissance exacte chez les grands personnages pour les fils aînés. Et puis les cadets, on ne le note pas pensant que ce n'est pas très important, mais quand le fils aîné meurt, c'est le cadet qui devient roi du coup comte, et on ne sait plus quand il est né. Et pour les historiens, ça fait des débats. Quand l'accident se produit, au mois d'octobre 1131, Louis, le puiné, a 10 ans ou 11 ans et il est destiné à l'état ecclésiastique. Il a été confié aux écoles de Notre-Dame, de la cathédrale Notre-Dame à Paris. Il y a passé beaucoup de temps, il s'y est complut et il est lui-même prêt à recevoir plus tard la prêtrise et à devenir probablement un prélat important. Et à finir, c'est le cursus normal pour un prince capétien, archevêque de Reims. Mais on n'en est pas là. Et à cause de la mort de son frère aîné, il va devoir monter sur le trône alors qu'il n'y est pas du tout préparé et qu'il n'a aucune compétence ni goût pour cela.

  • Speaker #2

    Oui. Et c'est gênant. C'est gênant parce que suggère très vite, en vient à l'idée, que l'infamie qu'on vient d'évoquer, il faut la laver. Il faut la corriger, il faut la compenser. Et cette responsabilité va incomber au nouveau roi. Louis VI ne vit plus très longtemps après, il n'a pas le temps, lui, de réagir vraiment. Et c'est donc Louis VII... Une fois qu'il est devenu roi, à qui incombe le lavage de l'infamie qu'a représenté l'accident de son frère ?

  • Speaker #3

    Voilà, oui, Suger prend les choses en main. Il faut aller vite parce qu'à cette époque, une dynastie est toujours plus ou moins menacée. On n'est pas encore en période d'absolutisme. Donc, pour assurer la continuité de la dynastie capétienne, on fait enterrer à Saint-Denis, et pour Suger, c'est important que Saint-Denis reste, l'église abbatiale reste, la nécropole royale. Et puis, dans les jours qui suivent, on va à Reims pour le sacre du nouveau roi. On profite de ce que le pape est présent en France. Il s'apprêtait à ouvrir un concile général de l'église parce qu'il y avait un antipape qui s'était dressé contre lui à Rome. Donc, le pape est présent à Reims. Il sacre le jeune Louis qui deviendra plus tard Louis VII. Donc, tout semble assez favorable. Être sacré par un pape, ça n'est pas rien. c'est bien mieux que par l'archevêque de Reims, ou quand l'archevêque de Reims n'est pas disponible, c'est l'archevêque de Sens, ou c'est l'évêque de Lens, ou l'évêque de Chalon. Non, là c'est le pape, c'est magnifique. Malheureusement, ça ne va pas se passer très bien. Louis VI, le gros, qui est vraiment gros et qui reçoit son surnom de son vivant. C'est assez rare chez les grands personnages du Moyen-Âge, c'est la postérité qui leur donne des surnoms. pour distinguer les homonymes, mais là, les contemporains l'appellent vraiment le gros parce qu'il était extrêmement gros, comme la plupart d'ailleurs des souverains d'Occident à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, comme si la corpulence était nécessaire pour exercer le métier de roi. Ça ne peut que me réjouir. Et donc, six ans plus tard, Louis meurt, Louis VI meurt, et Louis VII devient le roi. il a A peine 20 ans, il s'entoure des mêmes conseillers que son père au début, notamment Suger, toujours lui, et un peu plus lointain dans l'espace, Saint Bernard, qui est le grand personnage chrétien plus influent. Il fait les papes et il fait presque les rois, il fait les croisades, il fait les ordres de chevalerie. C'est un personnage considérable. Le début de règne semble bien se passer, d'autant que Louis VI, peu avant sa mort, a fait épouser à ce futur Louis VII, son fils cadet devenu roi, l'héritière du duché d'Aquitaine, la fameuse Aliénor. Ça permet au Royaume de France de s'agrandir, même si Aliénor reste duchesse d'Aquitaine, c'est le couple qui devient seigneur de l'Aquitaine, pas Louis VII tout seul, c'est du fait de sa femme. Donc ça se passe bien, et puis il y a quelques accidents au début du règne, notamment l'incendie très malheureux dans une guerre contre le comte de Champagne d'une église à Vitry, aujourd'hui Vitry-le-François, où c'était réfugié

  • Speaker #2

    au moins 1000 personnes les soldats du roi y ont mis le feu et le roi dont on ne sait pas s'il avait donné son accord ou pas en tout cas en était mortifié de chagrin et donc le règne commence sous d'assez mauvais auspices avec cet accident et puis ensuite les choses se passent encore assez mal il y a la croisade et puis il y a les déboires conjugaux de Louis VII qui continue à donner au règne une image assez négative Merci.

  • Speaker #3

    On a l'impression que Louis VII, le jeune Louis VII, n'aime pas son métier de roi, n'est pas très compétent pour l'exercer, et surtout ressent qu'il n'est pas tout à fait légitime. C'est son frère qui aurait dû être roi, son frère est mort à cause d'un cochon, c'est quelque chose d'épouvantable, comme si Dieu n'aimait plus la famille capétienne. pour essayer de réparer tout ça. Louis VI avait, à la fin de sa vie, donné Beaucoup de biens aux églises, fondée des abbayes, la reine Adélaïde aussi, elle a fondé l'abbaye de Montmartre après la mort de son fils. On multiplie les liens avec les grands personnages ecclésiastiques du royaume au début du règne de Louis VII, avec les papes successifs, avec Saint Bernard bien sûr. Ça ne suffit pas, on a l'impression qu'on va de catastrophe en catastrophe et une idée germe, il faut partir en croisade, ça va. effacer les malheurs du temps et effacer surtout la souillure de l'événement de 1131 et cette croisade qu'on appelle la deuxième croisade, celle de Louis VII et d'Aliénor et aussi de l'empereur du Saint-Empire, c'est un échec total, les croisés. Non seulement se disputent, échouent à reprendre Jérusalem. meurent dans le désordre d'Anatolie ou sur les rivages de la Terre Sainte. Et surtout, et ce n'est pas une légende, contrairement à ce qu'on a parfois écrit, au cours de la croisade, le divorce entre Aliénor et Louis VII est déjà plus ou moins dans l'air.

  • Speaker #2

    Voilà, le divorce est plus ou moins dans l'air et il va rapidement se concrétiser. Et Aliénor, non seulement elle divorce, mais il faut aller jusqu'au bout. Qu'est-ce qu'elle fait très vite ensuite ?

  • Speaker #3

    Elle épouse le futur roi d'Angleterre, un personnage considérable, mais qui n'est pas encore roi. Il est comte d'Anjou et duc de Normandie, Henri Plantegenet. Donc elle avait épousé Louis VII en 1137. elle divorce en 1152 elle n'a donné au roi de France que deux filles dont l'aîné s'appelle Marie ce qui est un signe que c'est la première fois qu'une fille de roi de France porte le nom de la Vierge comme si on faisait aussi déjà appel à la Vierge par les noms de baptême pour assurer sa protection bref deux filles, pas d'héritier mâle ça semble aussi une punition divine l'historien que je suis s'est demandé d'ailleurs Qu'est-ce qui serait passé si ce Philippe avait vécu ? C'est lui qui aurait épousé Aliénor d'Aquitaine. Probablement était-il plus, comment dire, vigoureux que son frère, pas destiné à l'État avec les Vestiques lui-même. Le couple se serait peut-être mieux entendu. Des enfants mâles seraient nés et le cours de l'histoire de France et d'Angleterre aurait été changé. Mais non, ça ne s'est pas passé. La croisade a lieu de 1947 à 1949 et au début de l'année 1952, Louis VII et Aliénor divorcent sous prétexte de consanguinité. C'est le prétexte normal dans les grandes familles au Moyen-Âge. Mais catastrophe, trois mois plus tard, elle épouse Henri Plotgenet qui a dix ans de moins qu'elle et qui va lui donner dix enfants. Aliénor est particulièrement féconde une fois qu'elle est divorcée de Louis VII. Elle aura dix enfants dont certains sont restés très célèbres, Richard Coeur de Lion et Jean Santerre, son dernier fils, qu'elle a eu à l'âge de 45 ans.

  • Speaker #2

    Alors à ce point de l'histoire... Côté français, le moral est très bas, les sondages sont très mauvais et du côté de la monarchie, il faut faire quelque chose. On va donc chercher un conseiller en communication, je traduis ça en termes contemporains, on se tourne à nouveau vers Suger. Suger dont j'ai appris dans votre livre d'ailleurs que c'est un petit malin qui rêvait de prendre à Reims la fonction de lieu du sacre avec son abbaye de Saint-Denis.

  • Speaker #3

    Il est abbé de Saint-Denis et il fait tout pour Saint-Denis qui pour lui est le centre du monde, mais la plupart des abbés de Saint-Denis au Moyen-Âge pensent la même chose. Saint-Denis abrite dans l'église abbatiale la nécropole royale et il faut absolument que les souverains continuent de se faire enterrer à Saint-Denis. Saint-Denis conserve également dans le trésor de l'abbaye les insignes royaux, ceux qu'on remet au souverain le jour de son sacre, couronne, sceptre. plus tard main de justice, mais là c'est trop tôt, donc deux sceptres, un court, un long, et d'autres objets symboliques. Mais le sacre a lieu à Reims. Il est fait non pas par l'abbé de Saint-Denis, mais par l'archevêque de Reims, et à Reims même il y a conflit entre l'archevêque... et le doyen du chapitre qui est toujours un rival de l'évêque ou de l'archevêque et puis l'abbaye Saint-Rémy qui elle conserve la sainte ampoule c'est-à-dire le récipient dans lequel se trouve l'huile sainte miraculeuse prétendument apportée pour le baptême de Clovis en 496 et qui sert à sacrer les rois de France qui sont par ce geste les oins du Seigneur et ce ne sont pas des rois comme les autres ils sont sacrés avec une sainte ampoule venue du ciel Donc le rêve de Suger, naturellement, c'est que les sacres aient lieu à Reims, mais de ce point de vue-là, il a échoué.

  • Speaker #2

    En revanche, sur le problème de fond, qui est de restaurer l'image de la monarchie, il joue un rôle plus actif et sans doute plus efficace.

  • Speaker #3

    Oui, c'est un personnage efficace qui, en plus, pour l'historien, a laissé des écrits assez abondants. non seulement la vie de Louis VI c'est le début de la vie de Louis VII, mais toute sa politique de reconstruction de l'église abbatiale de Saint-Denis et de la gestion du fastueux domaine féodal de l'abbaye. Donc on sait beaucoup de choses sur Suger et son administration de prélat et son rôle de principal conseiller de deux rois de France successifs, même si parfois il y a eu des bisbilles ou des querelles. pour Saint-Denis, on sait que Il a dépensé telle ou telle somme d'argent, il nous le dit lui-même, pour par exemple mettre de la couleur dans l'église abbatiale. Il est de ces prélats qui pensent que la couleur c'est de la lumière, Dieu est lumière, donc pour dissiper les ténèbres et étendre la part de la divinité. Dans l'église, il est chromophile, il faut mettre de la couleur partout, et notamment sur les verrières, d'où ces vitraux magnifiques qu'il a fait faire, en achetant notamment un bleu hors de prix, il nous le dit lui-même. Alors qu'à la même époque, Saint Bernard, son contemporain, est un prélat chromophobe, qui pense que la couleur c'est de la matière, et qu'il ne doit pas y avoir excès de couleur dans l'église. Au contraire, il faut chasser la couleur du temple, d'où ces églises cisterciennes, qui sont décolorées, extrêmement austères, qui le sont restées jusqu'à aujourd'hui.

  • Speaker #2

    Alors précisément, ce bleu qu'introduit Suger à l'abbaye de Saint-Denis, il est introduit à l'abbaye de Saint-Denis, mais il va être utilisé aussi sur un autre plan emblématique à ce moment-là, dans le cadre de notre politique de restauration de l'image de la monarchie.

  • Speaker #3

    Oui, après avoir tout essayé pour effacer cette souillure dynastique, les conseillers du roi, sinon le roi lui-même, enfin ils ont dû se mettre à plusieurs, Louis VII, Suger, Saint-Bernard... quelques autres sans doute, puisque la croisade elle-même avait échoué et que cette souillure est toujours présente, ont eu une idée de génie, faire appel à la Vierge et en faire la protectrice du Royaume de France, la Sainte Patronne. Le Royaume de France avait jusque-là plusieurs patrons, Saint-Denis, Saint-Martin, Sainte Geneviève, mais pas la Vierge. Et donc dans ces années-là, après le retour de croisade en 149, donc 50-51, Suger meurt en 52, Saint-Bernard en 53, donc on est dans ces années-là, la Vierge, malheureusement on n'a pas de texte, mais la Vierge devient la patronne du Royaume de France, et coup de génie... Presque contemporain, comme vous dites, en marketing et en stratégie de communication, c'est impeccable. Coup de génie, puisqu'on est dans la période où commencent à apparaître les premières armoiries. Il faut composer des armoiries pour le roi de France. Et pour ce faire, non pas le roi lui-même, mais son entourage, les lettrés, les conseillers, choisissent de prendre deux attributs de la Vierge, ces deux attributs principaux, la couleur bleue et la fleur de lys, qui dans la symbolique du XIIe siècle sont tous les deux des attributs de la pureté. Donc la vierge plus le bleu plus le lisse, ça va effacer la souillure. Et de fait c'est assez efficace parce que vers la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe, les chroniqueurs se font un peu moins sévères envers l'accident de 1131 et le vocabulaire se fait plus discret sur la honte et l'infamie. On en vient à dire que c'est une mort malheureuse, quel drame, etc. Donc la sugure, peu à peu, va être effacée. C'est grâce à la Vierge.

  • Speaker #2

    Voilà. Et voilà comment le royaume de France se retrouve avec des armoiries, le bleu et les fleurs de lys. Des armoiries qui, d'une part, sont les seules, dites-vous, en Europe, ou quasiment les seules, qui soient des armoiries à fondement végétal pour les monarchies et non pas animales.

  • Speaker #3

    Oui, le roi de France et plusieurs auteurs le soulignent tout au long du Moyen-Âge. Parmi les principaux rois d'Occident, c'est le seul qui n'est pas un animal, comme figure héraldique, mais un végétal. Donc il a choisi, au fond, quelque chose de pacifique, plutôt qu'un lion, un aigle ou un léopard, des animaux puissants et agressifs. Et c'est aussi le seul qui est du bleu dans ses armoiries. Nous sommes au début de la mode des tons bleus dans le vêtement et dans la culture matérielle. Là aussi, c'est une originalité. Dans la très longue durée, les rois de France, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, en Europe, ce sont toujours des souverains qui n'ont jamais voulu faire comme les autres. Et donc, en créant leurs armoiries au XIIe siècle, c'est exactement ça, ils ne veulent pas faire comme les autres, pas d'animal dans les culs, et un écu hachant bleu, ce bleu, azur, « d'azur semé de fleurs de lys d'or » dit la langue du blason. est promis à une longue histoire comme couleur de la France.

  • Speaker #2

    Oui, vous insistez beaucoup d'ailleurs dans votre livre sur l'idée de singularité de la monarchie, que vous présentez non pas comme l'effet du hasard, du résultat des initiatives, mais comme une volonté de se poser comme différente de toutes les autres. À travers le choix des prénoms, à travers toute une série de pratiques, vous soulignez cette permanence de l'originalité voulue de la monarchie. Oui,

  • Speaker #3

    c'est une constante. Nous avons beaucoup de textes. Et tout ce que je raconte à propos de la création des armoires royales est assez bien documenté et extrêmement pensé. On voit qu'on ne fait rien au hasard, tout est pensé, discuté, on réfléchit à plusieurs. Et dans la longue durée, ça se passe toujours comme ça. Les souverains eux-mêmes n'ont pas beaucoup de rôle personnel dans leur mise en scène emblématique et symbolique. C'est toujours l'entourage. des lettrés, des artistes, des conseillers en ceci ou en cela, jusqu'à Louis-Philippe, presque au XIXe siècle. D'ailleurs, ça continue avec le XIXe et le XXe siècle. On peut dire que dans la longue durée, la France est un royaume puis une république qui ne veut jamais faire comme les autres et qui donne des leçons au monde entier. Et ça commence très tôt.

  • Speaker #2

    Et ça continue longtemps.

  • Speaker #3

    Oui, on peut ironiser d'ailleurs. Et nos voisins ne s'en privent pas. Les amis allemands me rappellent toujours que la France s'intitule, sous la révolution de l'Empire, la grande nation. Elle se veut supérieure aux autres.

  • Speaker #2

    Est-ce qu'il y a des gens qui ont des questions à poser à Michel Pastoureau ? Je vous rappelle que vous avez le droit à la parole aussi et qu'un micro peut circuler si vous avez un monsieur là-bas.

  • Speaker #4

    Merci pour cette présentation. Je m'interrogeais sur le destin de ce cochon peu ordinaire. Est-ce qu'on en sait quelque chose ?

  • Speaker #0

    Non, nous n'en savons rien. C'est un peu tôt. Si l'accident avait eu lieu un siècle et demi plus tard, des archives judiciaires, toujours les plus riches pour l'historien, nous diraient sans doute qu'on a cherché à le capturer. Et si on a réussi à le faire, on l'aurait conduit au tribunal à partir du milieu du XIIIe siècle et jusqu'au début du XVIIe, voire un peu plus avant. On a en Europe occidentale les fameux procès faits aux animaux. 9 fois sur 10, il s'agit de cochons qui sont conduits au tribunal parce qu'ils ont causé crimes, délits, homicides, infanticides, accidents, etc. On a l'idée que les gros animaux sont capables de comprendre ce qu'est le bien et le mal, sont responsables de leurs actes. qu'on peut les juger, éventuellement les condamner, donc des pratiques qui nous font sourire aujourd'hui, mais nous avons tort parce que ça implique une proximité beaucoup plus grande entre l'homme et l'animal que de nos jours, où c'est le propriétaire de l'animal qui est responsable, alors qu'au Moyen-Âge et encore au début de l'époque moderne, c'est l'animal lui-même qui va au tribunal, qui reçoit un avocat, il y a procès, ça dure plusieurs jours pour nourrir la bête, la surveiller, on dépense de l'argent, ça nous vaut des archives, et ainsi de suite. Certains de ces procès sont assez bien documentés. Pour notre affaire de 1131, c'est trop tôt. Ça commence un petit peu plus tard. Ce qui est intéressant, c'est qu'au XIIIe, au XIVe, au XVe siècle, dans ces histoires de procès, où, je le répète 9 fois sur 10, ce sont des cochons qui sont concernés, quand on n'arrive pas à attraper l'animal coupable la truie qui a renverser un nouveau-né dans son berceau et commencer à le dévorer, ou autre chose, eh bien, soit on prend un congénère, un autre cochon, une autre truie, qui n'y est absolument pour rien, mais qui joue le rôle de l'accusé pendant le procès, qui est jugé, condamné, mais pas exécuté, puisqu'elle n'a rien fait. Mais il faut que le rituel ait lieu. C'est un peu du théâtre, et c'est l'idée que... La bonne justice doit être rendue, c'est ça qui est important. Une autre façon de faire, c'est de fabriquer un mannequin, en général en paille, ayant la forme de l'animal qu'on n'a pas réussi à attraper, et de juger le mannequin animalier, et de le conduire ensuite au bûcher. Alors pourquoi tant de cochons au tribunal ? Pour différentes raisons, ils sont abondants, non seulement à la campagne, mais dans les rues des grandes villes, où ils jouent le rôle des boueurs, ils sont vagabonds, ils vont l'être longtemps, malgré les autorités municipales qui légifèrent contre la divagation des porcs, ça va durer à Naples jusqu'au début du XXe siècle, par exemple. Il y a encore des porcs qui vagabondent dans la ville, qui occasionnent des accidents. Donc ils sont abondants, ils sont nombreux, ils occasionnent plus d'accidents que les autres animaux domestiques. Mais aussi pour des raisons symboliques, parce qu'on sait très bien au Moyen-Âge, et on le savait déjà dans l'Antiquité grecque et romaine, que du point de vue physiologique et anatomique, l'animal le plus proche de l'être humain, c'est le cochon. Et la médecine contemporaine le confirme pleinement. Donc probablement cette proximité physiologique, anatomique, biologique, explique à la fois attrait et rejet, et probablement... tous les tabous qu'il porte sur cet animal dans de nombreuses cultures.

  • Speaker #1

    Il y a d'autres personnes. Où est le micro ? Il y a une question devant et une question au fond.

  • Speaker #2

    Bonjour. Il y a depuis quelques années de nombreuses discussions au niveau philosophique et juridique pour attribuer un nouveau statut à l'animal. Je voudrais savoir si cette polémique d'une manière ou d'une autre vous concerne personnellement.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr, quand j'étais jeune chercheur et que j'ai consacré ma thèse au bestiaire héraldique médiéval, l'animal, c'était chez les historiens la petite histoire. Il était absolument indigne de l'histoire universitaire et faire une thèse sur le bestiaire médiéval, c'était renoncer à toute carrière. Donc, je suis de ceux qui se sont battus pour que, non seulement en histoire, mais au sein des sciences humaines, Il y a plus de considération pour les animaux et je dois dire que sinon la partie n'est peut-être pas totalement gagnée mais quand même des curiosités nouvelles sont venues, puis des interrogations par rapport au statut des animaux dans les sociétés contemporaines. J'étais très heureux qu'il y a deux ou trois ans en France le sujet principal de l'agrégation de philosophie soit les rapports entre l'homme et l'animal. C'était impensable il y a 50 ans, ça n'aurait pas semblé sérieux. Donc j'adhère à ces combats, si je puis dire, en tout cas intellectuellement. Il y a encore beaucoup de progrès à faire. Tu frappais par exemple dans les polémiques, enfin pas dans les polémiques, dans les sujets d'actualité dont la presse a parlé récemment à propos des cochons, justement, le prix de la viande de porc et la présence du porc dans les cantines scolaires. Personne ne s'était interrogé sur ce qu'est un cochon. Pourquoi des tabous autour de ce cochon ? Comment on élève des cochons ? Ça n'est qu'un produit aujourd'hui. Ça n'est plus un animal, ça n'est plus un être vivant. Il y a là quelque chose qui est assez vertigineux, surtout quand on connaît les porcheries industrielles, comme je les connais en Bretagne, où l'on voit des truies qui ont pour toute leur vie un mètre ou un demi-mètre carré pour se mouvoir et qui ne voient jamais la lumière du soleil. C'est terrifiant, terrifiant.

  • Speaker #1

    Il y avait une autre question devant, là. Ah,

  • Speaker #0

    vous avez dit qu'on parlait.

  • Speaker #3

    Oui, alors je voulais savoir si, parce qu'à l'époque moderne, on a beaucoup de procès pour des insultes entre personnes, où on se rend compte que 90% des insultes, souvent, ça tourne autour du cochon. Est-ce que c'est pareil au Moyen-Âge ? On trouve le même genre de choses ?

  • Speaker #0

    Non, ça peut arriver, mais c'est parmi tout un bestiaire de l'insulte qui attend d'ailleurs encore ses historiens. Ça date du XVIe et surtout du XVIIe siècle. Au Moyen-Âge, le cochon, du point de vue symbolique, il a beaucoup de vices. Il est sale, il est goinfre. Les auteurs nous racontent qu'il cherche toujours dans le sol, donc il ne lève jamais la tête vers Dieu. Ça, c'est un grand péché. Mais il n'a pas le vice de lubricité. Pour faire un jeune mot, je dirais qu'il ne fait pas de cochonneries, au sens où nous les entendons. C'est le chien qui fait des cochonneries. Quand le chien se revalorise en Occident et qu'il devient lentement le sympathique compagnon que nous connaissons, c'est-à-dire à la fin du Moyen-Âge et au début de l'époque moderne, il faut le débarrasser de ses vices, et il en a beaucoup. Le chien, chez les Grecs et chez les Romains, il est particulièrement impur. Il l'est encore dans une grande partie au Moyen-Âge, et donc il faut le débarrasser de ce vice de luxure, de sexualité. et alors progressivement entre le Le XVe et le XVIIe siècle, on déverse sur le cochon, qui n'y est pour rien, le vice de luxure. Et on s'imagine que le cochon pratique le commerce charnel d'une façon particulièrement sexuelle, érotique et tout ce que vous voulez. Et donc, des expressions et surnoms qui nous sont familiers commencent à apparaître au XVIIe et au XVIIIe siècle, notamment tout ce qui astrait à la sexualité, cochon, cochonnerie, vieux cochon, etc. C'est du moderne et contemporain, ça n'est pas du médiéval.

  • Speaker #1

    Une question là-bas, au fond.

  • Speaker #4

    Alors, merci pour la conférence. J'ai entendu parler, puisque vous avez dit que le cochon est un animal domestique, mais il était utilisé aussi dans l'Antiquité et au Moyen-Âge en tant qu'animal militaire, notamment brûlé pour faire peur aux éléphants dans leur ennemi, et aussi pour attirer les chiens, pour qu'ils évitent d'attaquer les soldats. Est-ce vrai ou pas ?

  • Speaker #0

    C'est vrai plus tard. Au Moyen-Âge, non, il n'y a pas de cochons sur les champs de bataille, mais il y a des cochons qui font différentes choses, notamment qui travaillent. Le Moyen-Âge a inventé beaucoup plus de choses qu'on ne le croit. Il a inventé notamment la brouette. Et des cochons attelés à des brouettes, c'est assez fréquent à partir des XIIIe et XIVe siècles pour transporter des produits qui ne sont pas. Trop lourd en quelque sorte. Mais c'est surtout un animal qui est aux mains des médecins. L'église interdisant la dissection du corps humain, dans les écoles de médecine, pour apprendre l'anatomie humaine de l'homme et de la femme, on dissèque, comme on ne peut pas le faire le corps humain, on dissèque le corps, le cadavre, de la truie ou du vérat, avec l'idée qu'à l'intérieur c'est tout pareil, pour apprendre l'anatomie humaine. Et en effet, le savoir de notre temps confirme qu'à l'intérieur, en effet, c'est tout pareil.

  • Speaker #1

    Alors Michel Pastoureau, la longue histoire que vous nous avez racontée, qui aboutit à l'émergence des armoiries françaises, est une histoire longue. Longue non seulement dans l'Ancien Régime, mais une histoire qui se prolonge au-delà. Peut-être pas pour les fleurs de lys, mais pour la couleur bleue. Après tout, en rugby, ce soir ou demain, je ne sais plus, ce sont les bleus qui vont affronter les Irlandais.

  • Speaker #0

    Demain.

  • Speaker #1

    Demain. Non seulement il connaît le Moyen-Âge, mais même l'histoire contemporaine, rien ne lui échappe.

  • Speaker #0

    Mais ce sera le bleu contre le vert. Oui, ce qui est fascinant dans cette histoire, c'est que le devenir de ce bleu, qui est la couleur de la Vierge au départ, qui n'est pas une couleur très répandue, ni dans le monde des symboles, ni dans la vie quotidienne, au milieu du XIIe siècle, va prendre une place de plus en plus grande au fil des siècles et des décennies. et surtout cette couleur qui devient La dynastie, chez les Capétiens, va devenir au fil du temps, en plus, monarchique, étatique, nationale. A partir du XVIIIe siècle, on peut dire que le bleu est la couleur de la France.

  • Speaker #1

    Républicaine.

  • Speaker #0

    Et puis, la République, qui en général rejette tous les emblèmes de l'ancienne royauté, garde la couleur bleue, justement parce que c'est devenu... Avant même la Révolution, la couleur de la nation, l'histoire des rapports entre l'État et la nation, pour l'historien, c'est une histoire absolument passionnante. Il y a des pays en Europe où la nation est née avant l'État et il y en a d'autres où l'État est né avant la nation. C'est le cas de la France. Donc la République garde la couleur bleue comme couleur nationale et elle l'est encore aujourd'hui. Quand tous les sportifs français ou qui représentent la France sur un terrain de sport s'affichent en maillot bleu, c'est la couleur nationale. Et ça donne le vertige de penser que ce bleu national, il est dû à un pauvre cochon domestique vagabond qui s'est mis dans les jambes du cheval du fils du roi de France. C'est l'hypothèse que développe mon livre. Ça a l'air extravagant et pourtant ça se tient. Donc moi qui suis surtout historien des couleurs et des animaux, je vois un phénomène de très longue durée et je me réjouis que... Malgré des tentatives pour changer la couleur des maillots des équipes nationales de France, on en revienne quand même au bleu parce que ce bleu, il vient de très très loin. Cela dit, je suis assez pessimiste parce que je pense que les Irlandais sont plus forts que les Français.

  • Speaker #1

    Ce bleu vient de très très loin et je dirais pour conclure que l'histoire que vous nous avez racontée ce soir vient de loin aussi. vous expliquez dans votre livre que la question de l'incident de 1131 vous turlupine, si je peux empointer ce mot familier, depuis fort longtemps. Et c'est au terme de tous vos travaux, des raldiques, de symboliques, des couleurs et des animaux que vous avez repris cet incident, cet accident pour en arriver aux conclusions que vous venez de nous présenter. Bel exemple d'histoire longue aussi, cette fois-ci à votre niveau personnel.

  • Speaker #0

    Oui, un peu narcissique ce que je vais dire mais... C'est vrai, même si ça a l'air extravagant, que je pense à ce livre, en tout cas à ce dossier, depuis que je suis lycéen. Parce que je m'intéressais déjà, quand j'étais lycéen, je suis né dans les livres, il y a beaucoup d'historiens dans ma famille, je m'intéressais déjà à la place des animaux dans l'histoire. Et c'était la petite histoire à l'époque. Et j'avais lu dans un ouvrage que possédait mon oncle, dans sa bibliothèque, un ouvrage d'Ancien Régime. une dizaine de lignes sur cet événement. On en parlait encore dans les livres d'histoire de France d'Ancien Régime, et puis à partir de l'histoire positiviste du XIXe siècle, on n'en a plus parlé. Un animal, un cochon, n'avait absolument rien à faire sur le devant de la scène de la grande histoire. Et donc moi, j'avais 14, 15, 16 ans, je ne sais plus, quand j'ai pris connaissance de cet événement, puis après, par mes études, ma thèse, etc., je suis devenu historien des emblèmes et des symboles, historien des couleurs et historien des animaux. Et au fond, ce dossier m'a donné l'occasion de croiser mes trois terrains de recherche préférés, ceux que je viens de nommer pour faire ce livre où l'on parle en effet d'animal, le cochon homicide, régicide même, on parle de couleur, la couleur bleue, et d'emblèmes et de symboles, les armoiries du roi de France et leur prolongement.

  • Speaker #1

    Nous voilà arrivés au terme de ce café littéraire. Nous vous remercions Michel Pastoureau pour les éclaircissements que vous nous avez apportés sur votre livre. En attendant, je crois qu'on peut le remercier mille fois encore.

Chapters

  • Générique

    00:00

  • Conférence

    00:33

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Description

Michel Pastoureau fait le récit d’un événement insolite aux conséquences politiques capitales survenu au XIIe siècle : la mort accidentelle de l'héritier du trône capétien le 13 octobre 1131, suite à une chute de cheval provoquée par un porc. L'historien met ainsi en lumière la symbolique du cochon dans l’Europe chrétienne et retrace les origines des armoiries de la royauté française.


Intervenant :

Michel Pastoureau, historien spécialiste du bestiaire médiéval et du symbolisme des couleurs


Présentation de l'ouvrage Le Roi tué par un cochon. Une mort infâme aux origines des emblèmes de la France ? (Seuil) en 2015 lors de la 18e édition des Rendez-vous de l'histoire.


Voix du générique : Michel Hagnerelle (2006), Michaelle Jean (2016), Michelle Perrot (2002) 


https://rdv-histoire.com/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les rangs de l'histoire sont bien Au rythme de rencontres, d'échanges La grande fête annuelle de l'histoire Et des passionnés de l'histoire Enseignants, chercheurs Le grand lieu d'expression et de débat Lecteurs, amateurs Sur tout ce qui se dit Curieux,

  • Speaker #1

    rêveurs Sur tout ce qui s'écrit Qui aide à prendre la mesure des choses A éclairer le présent et l'avenir Dans l'espace et dans le temps

  • Speaker #2

    Eh bien bonjour, bienvenue au Café littéraire où nous accueillons cet après-midi Michel Pastoureau. Je présente rapidement Michel Pastoureau, encore que cela ne soit pas très nécessaire. C'est un historien médiéviste qui a construit son champ de recherche autour du thème de l'histoire symbolique qu'il a exploré à travers l'héraldique, à travers l'histoire des couleurs, à travers l'histoire des animaux, de leurs symboles et de leurs représentations. Par exemple, il a travaillé sur l'ours qu'il était venu nous présenter ici même il y a quelques années. Il a travaillé aussi sur le cochon, on va en reparler dans quelques instants. Et le livre qui va nous occuper aujourd'hui et pour lequel il est là, qui s'intitule « Le roi tué par un cochon » qui vient de sortir le mois dernier au Seuil, croise un petit peu toutes ces approches, mais dans une perspective un peu différente de ses ouvrages précédents puisqu'ici on part d'un fait très précis. Et c'est sur ce fait très précis que je voudrais démarrer, Michel Pastoureau. Qu'est-ce qui s'est passé le 13 octobre 1131 à Paris ?

  • Speaker #3

    Merci. Bonjour à tous. Il s'est passé un fait divers, un accident qui aurait pu être anecdotique et qui, à mon avis, a changé le cours de l'histoire de France. Un accident de cheval. Le fils aîné du roi Louis VI le Gros s'appelait Philippe. Il avait 15 ans, il avait déjà sacré et couronné roi associé du vivant de son père, c'était l'usage chez les premiers Capétiens, la monarchie n'était pas encore tout à fait héréditaire, elle était encore partiellement élective, donc par précaution les rois faisaient sacrer leur fils aîné de leur vivant, donc c'est ce qui s'était passé deux ans plus tôt. Et ce jeune prince qui revenait d'une chevauchée dans les faubourgs de Paris est tombé de cheval parce que Un animal domestique s'est mis dans les jambes du dit cheval, un cochon, un porcus diabolicus, comme disent les chroniqueurs. Il est tombé, sa tête a heurté une pierre et il est mort dans les heures qui ont suivi, une fois qu'il a été transporté dans une maison voisine. Ça aurait pu être complètement anodin, les chutes de cheval sont assez fréquentes au Moyen-Âge, mais celle-ci a été causée par un animal qui n'est en rien un animal comme les autres.

  • Speaker #2

    Bien. Donc, cet accident concerne un prince qui était destiné à devenir le roi de France, qui était, comme vous dites déjà, roi. Vous expliquez du reste dans votre livre autour de ces rois sacrés associés à leur père. C'est une pratique courante et qu'à l'époque, on les considère comme rois. Vous dites même qu'on les numérote comme rois, que ce Philippe, puisqu'il s'appelle Philippe. et était en quelque sorte un Philippe II.

  • Speaker #3

    Voilà, dans les textes, souvent jusqu'à la fin du Moyen-Âge, il est Philippe II puisqu'il a été couronné et sacré, même s'il est mort à l'âge de 15 ans. Les textes l'appellent de son vivant Rex, Rex Junior, Rex Designatus, le futur roi. Il est d'ailleurs enterré à Saint-Denis dans le cimetière des rois, il y a encore... Donc il reçoit un numéro de la part, non pas de ses contemporains, mais des chroniqueurs et historiens ultérieurs. Il est Philippe II, ce qui décale tout. Philippe II, Auguste, pour nous, deviendra Philippe III. Philippe IV, le bel, c'est Philippe V, et ainsi de suite jusqu'à Philippe VI de Valois. Il faudra attendre le début de l'époque moderne pour qu'il disparaisse de la chronologie des rois de France. Et ce qui est constamment noté, c'est... La mention Philippus. A porco interfectus, Philippe tué par le cochon, ou un cochon.

  • Speaker #2

    Ce qui est d'autant plus ironique, si je puis dire, à propos de ce fait dramatique, qu'il s'appelle Philippe. Et vous expliquez aussi à propos de ce prénom un certain nombre de choses qu'il n'est pas inintéressant de relever.

  • Speaker #3

    Oui, bien sûr, en grec, Philippe signifie « qui aime les chevaux » . Donc pour quelqu'un qui est mort d'une chute de cheval... C'est une ironie de l'histoire. C'est un nom de baptême récent chez les Capétiens. Dans les grandes familles royales, princières et seigneuriales, les noms de baptême, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, constituent une sorte de stock familial réduit dans lequel on puise. C'est presque une panoplie emblématique. Donc les Capétiens usent de 4, 5, 6 noms, les rois Capétiens. Philippe, Robert, Henri, Eudes, quelques autres, Louis bien sûr, mais Philippe c'est assez récent en fait, cela date du grand-père de notre Philippe, le roi Philippe Ier, qu'on a longtemps décrié, qui a un règne très long, 1060-1108, qui est le premier à porter ce nom parce que sa mère est une princesse orientale, la fille du grand-duc de Kiev, et elle apporte à la cour de France, en épousant Henri Ier. Dans les années 1035-40, un nom grec, un nom qu'on ne connaissait pas ou qu'on n'utilisait pas, l'apôtre Philippe n'ayant pas fait l'objet d'un culte très important en Occident. Donc notre Philippe, au fond, est le deuxième de la dynastie et il va y en avoir beaucoup par la suite chez les rois et chez les ducs, les comtes et les grands barons.

  • Speaker #2

    Bien, alors après ces précisions autour du personnage, venons-en quand même à l'enquête. Et tout part dans l'affaire du fait que l'accident survenu à Philippe est un accident infamant.

  • Speaker #3

    C'est un accident, en effet, totalement infamant à cause de l'animal qui l'a causé. Et j'ai passé un long moment, plusieurs années à dire vrai, à enquêter dans les chroniques, les annales, les histoires du XIIe et du XIIIe siècle pour cerner le... récit de l'événement et étudier le vocabulaire latin qu'emploient les auteurs pour qualifier cette mort. Et c'est une répétition d'adjectifs que je traduis, mort honteuse, mort misérable, mort infamante, mort souillée, etc. Il y en a toute une collection, le latin étant peut-être plus riche encore que la langue vernaculaire, pour parler de la honte et de l'infamie. et donc c'est une mort infâme qui... entraîne aux yeux des contemporains et de la succession immédiate une souillure sur la dynastie capétienne, sur le roi de France, sur le royaume de France, et naturellement à l'étranger, les ennemis des capétiens du royaume, notamment en Angleterre, insistent lourdement sur cette espèce de punition divine. d'ailleurs au Moyen-Âge, par écho au chemin de Damas. Et à Saint-Paul, qui n'est pas encore Saint-Paul quand il tombe de cheval, toute chute de cheval, c'est une punition voulue par Dieu et une invitation à se convertir et à mener une vie meilleure. Donc on y voit à la fois un geste de l'intervention divine et une mort qui souille complètement le roi, le royaume et la dynastie.

  • Speaker #2

    Oui, qu'en est-il mort en chassant le sanglier ?

  • Speaker #3

    Voilà, alors... Pour adoucir les choses, certains chroniqueurs racontent qu'en fait il ne jouait pas dans une rue de Paris avec quelques jeunes gens de son âge, mais qu'il revenait de la chasse, et je me suis fait la réflexion bien sûr que s'il était mort à la chasse, tué par un sanglier, ce qui est relativement fréquent, aussi bien à l'époque carolingienne que chez les premiers capétiens, parce que le sanglier est un animal extrêmement combatif et courageux, Il ne tue pas directement, mais il cause des blessures qui souvent entraînent la mort. Donc si ce jeune prince était mort à la chasse tuée par un sanglier, c'était une mort héroïque. C'était une mort glorieuse, une mort de prince. Il n'y aurait pas eu tout ce cortège d'attributs infamants pour qualifier sa mort. Mais malheureusement, ce n'est pas un porc sauvage qui est en cause, c'est un porc domestique. Et même si on sait très bien au XIIe siècle que les deux animaux ont une parenté et qu'ils sont même conspécifiques et peut-être interféconds, du point de vue symbolique, ça n'est pas du tout la même chose. Un sanglier, ça n'est pas un cochon de ferme. Pas du tout.

  • Speaker #2

    Alors c'est un drame symbolique, cette infamie qui tombe sur la couronne de France, sur la monarchie française à ce moment-là, c'est aussi un drame tout court à ce que vous décrivez. Pour Louis VII, par exemple. Pardon, pour Louis VI, pour le roi, pour le roi en titre. La mort de son fils est vécue très douloureusement.

  • Speaker #3

    Oui, on a un témoin direct des événements qui est l'abbé de Saint-Denis, Suger, le grand Suger, qui n'a pas encore commencé la reconstruction de son église abbatiale à cette époque, seulement 1131, pas 1140, mais c'est le principal conseiller du roi Louis VI le Gros. Il est présent en permanence auprès du roi. et de l'entourage royal. Il a assisté, parmi les premiers, à la mort du jeune prince Philippe et il nous décrit, dans un texte qu'il a compilé plus tardivement, le chagrin du père, de la mère, des grands, l'espèce de panique qui s'empare de tout le monde. Ce jeune prince, dit-il, donnait les meilleures espérances. Ce sont naturellement des topoïes, mais quand même... On peut le croire. Il avait l'air vigoureux, beau de corps, saint d'esprit, déjà préparé à son métier de roi. Après son sacré couronnement, il devait être plus ou moins initié aux affaires de gouvernement. Ça devait être le début. Et il meurt. Et son frère Cadet, lui, n'est pas du tout préparé à son métier de roi.

  • Speaker #2

    Oui. Le frère Cadet, on peut le préciser. Qu'est-ce qu'il était jusqu'alors ?

  • Speaker #3

    Il est plus jeune, il a 10 ou 11 ans, on ne sait pas très bien quand il est né, c'est le futur roi Louis VII. Comme toujours au Moyen-Âge, on note la date de naissance exacte chez les grands personnages pour les fils aînés. Et puis les cadets, on ne le note pas pensant que ce n'est pas très important, mais quand le fils aîné meurt, c'est le cadet qui devient roi du coup comte, et on ne sait plus quand il est né. Et pour les historiens, ça fait des débats. Quand l'accident se produit, au mois d'octobre 1131, Louis, le puiné, a 10 ans ou 11 ans et il est destiné à l'état ecclésiastique. Il a été confié aux écoles de Notre-Dame, de la cathédrale Notre-Dame à Paris. Il y a passé beaucoup de temps, il s'y est complut et il est lui-même prêt à recevoir plus tard la prêtrise et à devenir probablement un prélat important. Et à finir, c'est le cursus normal pour un prince capétien, archevêque de Reims. Mais on n'en est pas là. Et à cause de la mort de son frère aîné, il va devoir monter sur le trône alors qu'il n'y est pas du tout préparé et qu'il n'a aucune compétence ni goût pour cela.

  • Speaker #2

    Oui. Et c'est gênant. C'est gênant parce que suggère très vite, en vient à l'idée, que l'infamie qu'on vient d'évoquer, il faut la laver. Il faut la corriger, il faut la compenser. Et cette responsabilité va incomber au nouveau roi. Louis VI ne vit plus très longtemps après, il n'a pas le temps, lui, de réagir vraiment. Et c'est donc Louis VII... Une fois qu'il est devenu roi, à qui incombe le lavage de l'infamie qu'a représenté l'accident de son frère ?

  • Speaker #3

    Voilà, oui, Suger prend les choses en main. Il faut aller vite parce qu'à cette époque, une dynastie est toujours plus ou moins menacée. On n'est pas encore en période d'absolutisme. Donc, pour assurer la continuité de la dynastie capétienne, on fait enterrer à Saint-Denis, et pour Suger, c'est important que Saint-Denis reste, l'église abbatiale reste, la nécropole royale. Et puis, dans les jours qui suivent, on va à Reims pour le sacre du nouveau roi. On profite de ce que le pape est présent en France. Il s'apprêtait à ouvrir un concile général de l'église parce qu'il y avait un antipape qui s'était dressé contre lui à Rome. Donc, le pape est présent à Reims. Il sacre le jeune Louis qui deviendra plus tard Louis VII. Donc, tout semble assez favorable. Être sacré par un pape, ça n'est pas rien. c'est bien mieux que par l'archevêque de Reims, ou quand l'archevêque de Reims n'est pas disponible, c'est l'archevêque de Sens, ou c'est l'évêque de Lens, ou l'évêque de Chalon. Non, là c'est le pape, c'est magnifique. Malheureusement, ça ne va pas se passer très bien. Louis VI, le gros, qui est vraiment gros et qui reçoit son surnom de son vivant. C'est assez rare chez les grands personnages du Moyen-Âge, c'est la postérité qui leur donne des surnoms. pour distinguer les homonymes, mais là, les contemporains l'appellent vraiment le gros parce qu'il était extrêmement gros, comme la plupart d'ailleurs des souverains d'Occident à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, comme si la corpulence était nécessaire pour exercer le métier de roi. Ça ne peut que me réjouir. Et donc, six ans plus tard, Louis meurt, Louis VI meurt, et Louis VII devient le roi. il a A peine 20 ans, il s'entoure des mêmes conseillers que son père au début, notamment Suger, toujours lui, et un peu plus lointain dans l'espace, Saint Bernard, qui est le grand personnage chrétien plus influent. Il fait les papes et il fait presque les rois, il fait les croisades, il fait les ordres de chevalerie. C'est un personnage considérable. Le début de règne semble bien se passer, d'autant que Louis VI, peu avant sa mort, a fait épouser à ce futur Louis VII, son fils cadet devenu roi, l'héritière du duché d'Aquitaine, la fameuse Aliénor. Ça permet au Royaume de France de s'agrandir, même si Aliénor reste duchesse d'Aquitaine, c'est le couple qui devient seigneur de l'Aquitaine, pas Louis VII tout seul, c'est du fait de sa femme. Donc ça se passe bien, et puis il y a quelques accidents au début du règne, notamment l'incendie très malheureux dans une guerre contre le comte de Champagne d'une église à Vitry, aujourd'hui Vitry-le-François, où c'était réfugié

  • Speaker #2

    au moins 1000 personnes les soldats du roi y ont mis le feu et le roi dont on ne sait pas s'il avait donné son accord ou pas en tout cas en était mortifié de chagrin et donc le règne commence sous d'assez mauvais auspices avec cet accident et puis ensuite les choses se passent encore assez mal il y a la croisade et puis il y a les déboires conjugaux de Louis VII qui continue à donner au règne une image assez négative Merci.

  • Speaker #3

    On a l'impression que Louis VII, le jeune Louis VII, n'aime pas son métier de roi, n'est pas très compétent pour l'exercer, et surtout ressent qu'il n'est pas tout à fait légitime. C'est son frère qui aurait dû être roi, son frère est mort à cause d'un cochon, c'est quelque chose d'épouvantable, comme si Dieu n'aimait plus la famille capétienne. pour essayer de réparer tout ça. Louis VI avait, à la fin de sa vie, donné Beaucoup de biens aux églises, fondée des abbayes, la reine Adélaïde aussi, elle a fondé l'abbaye de Montmartre après la mort de son fils. On multiplie les liens avec les grands personnages ecclésiastiques du royaume au début du règne de Louis VII, avec les papes successifs, avec Saint Bernard bien sûr. Ça ne suffit pas, on a l'impression qu'on va de catastrophe en catastrophe et une idée germe, il faut partir en croisade, ça va. effacer les malheurs du temps et effacer surtout la souillure de l'événement de 1131 et cette croisade qu'on appelle la deuxième croisade, celle de Louis VII et d'Aliénor et aussi de l'empereur du Saint-Empire, c'est un échec total, les croisés. Non seulement se disputent, échouent à reprendre Jérusalem. meurent dans le désordre d'Anatolie ou sur les rivages de la Terre Sainte. Et surtout, et ce n'est pas une légende, contrairement à ce qu'on a parfois écrit, au cours de la croisade, le divorce entre Aliénor et Louis VII est déjà plus ou moins dans l'air.

  • Speaker #2

    Voilà, le divorce est plus ou moins dans l'air et il va rapidement se concrétiser. Et Aliénor, non seulement elle divorce, mais il faut aller jusqu'au bout. Qu'est-ce qu'elle fait très vite ensuite ?

  • Speaker #3

    Elle épouse le futur roi d'Angleterre, un personnage considérable, mais qui n'est pas encore roi. Il est comte d'Anjou et duc de Normandie, Henri Plantegenet. Donc elle avait épousé Louis VII en 1137. elle divorce en 1152 elle n'a donné au roi de France que deux filles dont l'aîné s'appelle Marie ce qui est un signe que c'est la première fois qu'une fille de roi de France porte le nom de la Vierge comme si on faisait aussi déjà appel à la Vierge par les noms de baptême pour assurer sa protection bref deux filles, pas d'héritier mâle ça semble aussi une punition divine l'historien que je suis s'est demandé d'ailleurs Qu'est-ce qui serait passé si ce Philippe avait vécu ? C'est lui qui aurait épousé Aliénor d'Aquitaine. Probablement était-il plus, comment dire, vigoureux que son frère, pas destiné à l'État avec les Vestiques lui-même. Le couple se serait peut-être mieux entendu. Des enfants mâles seraient nés et le cours de l'histoire de France et d'Angleterre aurait été changé. Mais non, ça ne s'est pas passé. La croisade a lieu de 1947 à 1949 et au début de l'année 1952, Louis VII et Aliénor divorcent sous prétexte de consanguinité. C'est le prétexte normal dans les grandes familles au Moyen-Âge. Mais catastrophe, trois mois plus tard, elle épouse Henri Plotgenet qui a dix ans de moins qu'elle et qui va lui donner dix enfants. Aliénor est particulièrement féconde une fois qu'elle est divorcée de Louis VII. Elle aura dix enfants dont certains sont restés très célèbres, Richard Coeur de Lion et Jean Santerre, son dernier fils, qu'elle a eu à l'âge de 45 ans.

  • Speaker #2

    Alors à ce point de l'histoire... Côté français, le moral est très bas, les sondages sont très mauvais et du côté de la monarchie, il faut faire quelque chose. On va donc chercher un conseiller en communication, je traduis ça en termes contemporains, on se tourne à nouveau vers Suger. Suger dont j'ai appris dans votre livre d'ailleurs que c'est un petit malin qui rêvait de prendre à Reims la fonction de lieu du sacre avec son abbaye de Saint-Denis.

  • Speaker #3

    Il est abbé de Saint-Denis et il fait tout pour Saint-Denis qui pour lui est le centre du monde, mais la plupart des abbés de Saint-Denis au Moyen-Âge pensent la même chose. Saint-Denis abrite dans l'église abbatiale la nécropole royale et il faut absolument que les souverains continuent de se faire enterrer à Saint-Denis. Saint-Denis conserve également dans le trésor de l'abbaye les insignes royaux, ceux qu'on remet au souverain le jour de son sacre, couronne, sceptre. plus tard main de justice, mais là c'est trop tôt, donc deux sceptres, un court, un long, et d'autres objets symboliques. Mais le sacre a lieu à Reims. Il est fait non pas par l'abbé de Saint-Denis, mais par l'archevêque de Reims, et à Reims même il y a conflit entre l'archevêque... et le doyen du chapitre qui est toujours un rival de l'évêque ou de l'archevêque et puis l'abbaye Saint-Rémy qui elle conserve la sainte ampoule c'est-à-dire le récipient dans lequel se trouve l'huile sainte miraculeuse prétendument apportée pour le baptême de Clovis en 496 et qui sert à sacrer les rois de France qui sont par ce geste les oins du Seigneur et ce ne sont pas des rois comme les autres ils sont sacrés avec une sainte ampoule venue du ciel Donc le rêve de Suger, naturellement, c'est que les sacres aient lieu à Reims, mais de ce point de vue-là, il a échoué.

  • Speaker #2

    En revanche, sur le problème de fond, qui est de restaurer l'image de la monarchie, il joue un rôle plus actif et sans doute plus efficace.

  • Speaker #3

    Oui, c'est un personnage efficace qui, en plus, pour l'historien, a laissé des écrits assez abondants. non seulement la vie de Louis VI c'est le début de la vie de Louis VII, mais toute sa politique de reconstruction de l'église abbatiale de Saint-Denis et de la gestion du fastueux domaine féodal de l'abbaye. Donc on sait beaucoup de choses sur Suger et son administration de prélat et son rôle de principal conseiller de deux rois de France successifs, même si parfois il y a eu des bisbilles ou des querelles. pour Saint-Denis, on sait que Il a dépensé telle ou telle somme d'argent, il nous le dit lui-même, pour par exemple mettre de la couleur dans l'église abbatiale. Il est de ces prélats qui pensent que la couleur c'est de la lumière, Dieu est lumière, donc pour dissiper les ténèbres et étendre la part de la divinité. Dans l'église, il est chromophile, il faut mettre de la couleur partout, et notamment sur les verrières, d'où ces vitraux magnifiques qu'il a fait faire, en achetant notamment un bleu hors de prix, il nous le dit lui-même. Alors qu'à la même époque, Saint Bernard, son contemporain, est un prélat chromophobe, qui pense que la couleur c'est de la matière, et qu'il ne doit pas y avoir excès de couleur dans l'église. Au contraire, il faut chasser la couleur du temple, d'où ces églises cisterciennes, qui sont décolorées, extrêmement austères, qui le sont restées jusqu'à aujourd'hui.

  • Speaker #2

    Alors précisément, ce bleu qu'introduit Suger à l'abbaye de Saint-Denis, il est introduit à l'abbaye de Saint-Denis, mais il va être utilisé aussi sur un autre plan emblématique à ce moment-là, dans le cadre de notre politique de restauration de l'image de la monarchie.

  • Speaker #3

    Oui, après avoir tout essayé pour effacer cette souillure dynastique, les conseillers du roi, sinon le roi lui-même, enfin ils ont dû se mettre à plusieurs, Louis VII, Suger, Saint-Bernard... quelques autres sans doute, puisque la croisade elle-même avait échoué et que cette souillure est toujours présente, ont eu une idée de génie, faire appel à la Vierge et en faire la protectrice du Royaume de France, la Sainte Patronne. Le Royaume de France avait jusque-là plusieurs patrons, Saint-Denis, Saint-Martin, Sainte Geneviève, mais pas la Vierge. Et donc dans ces années-là, après le retour de croisade en 149, donc 50-51, Suger meurt en 52, Saint-Bernard en 53, donc on est dans ces années-là, la Vierge, malheureusement on n'a pas de texte, mais la Vierge devient la patronne du Royaume de France, et coup de génie... Presque contemporain, comme vous dites, en marketing et en stratégie de communication, c'est impeccable. Coup de génie, puisqu'on est dans la période où commencent à apparaître les premières armoiries. Il faut composer des armoiries pour le roi de France. Et pour ce faire, non pas le roi lui-même, mais son entourage, les lettrés, les conseillers, choisissent de prendre deux attributs de la Vierge, ces deux attributs principaux, la couleur bleue et la fleur de lys, qui dans la symbolique du XIIe siècle sont tous les deux des attributs de la pureté. Donc la vierge plus le bleu plus le lisse, ça va effacer la souillure. Et de fait c'est assez efficace parce que vers la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe, les chroniqueurs se font un peu moins sévères envers l'accident de 1131 et le vocabulaire se fait plus discret sur la honte et l'infamie. On en vient à dire que c'est une mort malheureuse, quel drame, etc. Donc la sugure, peu à peu, va être effacée. C'est grâce à la Vierge.

  • Speaker #2

    Voilà. Et voilà comment le royaume de France se retrouve avec des armoiries, le bleu et les fleurs de lys. Des armoiries qui, d'une part, sont les seules, dites-vous, en Europe, ou quasiment les seules, qui soient des armoiries à fondement végétal pour les monarchies et non pas animales.

  • Speaker #3

    Oui, le roi de France et plusieurs auteurs le soulignent tout au long du Moyen-Âge. Parmi les principaux rois d'Occident, c'est le seul qui n'est pas un animal, comme figure héraldique, mais un végétal. Donc il a choisi, au fond, quelque chose de pacifique, plutôt qu'un lion, un aigle ou un léopard, des animaux puissants et agressifs. Et c'est aussi le seul qui est du bleu dans ses armoiries. Nous sommes au début de la mode des tons bleus dans le vêtement et dans la culture matérielle. Là aussi, c'est une originalité. Dans la très longue durée, les rois de France, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, en Europe, ce sont toujours des souverains qui n'ont jamais voulu faire comme les autres. Et donc, en créant leurs armoiries au XIIe siècle, c'est exactement ça, ils ne veulent pas faire comme les autres, pas d'animal dans les culs, et un écu hachant bleu, ce bleu, azur, « d'azur semé de fleurs de lys d'or » dit la langue du blason. est promis à une longue histoire comme couleur de la France.

  • Speaker #2

    Oui, vous insistez beaucoup d'ailleurs dans votre livre sur l'idée de singularité de la monarchie, que vous présentez non pas comme l'effet du hasard, du résultat des initiatives, mais comme une volonté de se poser comme différente de toutes les autres. À travers le choix des prénoms, à travers toute une série de pratiques, vous soulignez cette permanence de l'originalité voulue de la monarchie. Oui,

  • Speaker #3

    c'est une constante. Nous avons beaucoup de textes. Et tout ce que je raconte à propos de la création des armoires royales est assez bien documenté et extrêmement pensé. On voit qu'on ne fait rien au hasard, tout est pensé, discuté, on réfléchit à plusieurs. Et dans la longue durée, ça se passe toujours comme ça. Les souverains eux-mêmes n'ont pas beaucoup de rôle personnel dans leur mise en scène emblématique et symbolique. C'est toujours l'entourage. des lettrés, des artistes, des conseillers en ceci ou en cela, jusqu'à Louis-Philippe, presque au XIXe siècle. D'ailleurs, ça continue avec le XIXe et le XXe siècle. On peut dire que dans la longue durée, la France est un royaume puis une république qui ne veut jamais faire comme les autres et qui donne des leçons au monde entier. Et ça commence très tôt.

  • Speaker #2

    Et ça continue longtemps.

  • Speaker #3

    Oui, on peut ironiser d'ailleurs. Et nos voisins ne s'en privent pas. Les amis allemands me rappellent toujours que la France s'intitule, sous la révolution de l'Empire, la grande nation. Elle se veut supérieure aux autres.

  • Speaker #2

    Est-ce qu'il y a des gens qui ont des questions à poser à Michel Pastoureau ? Je vous rappelle que vous avez le droit à la parole aussi et qu'un micro peut circuler si vous avez un monsieur là-bas.

  • Speaker #4

    Merci pour cette présentation. Je m'interrogeais sur le destin de ce cochon peu ordinaire. Est-ce qu'on en sait quelque chose ?

  • Speaker #0

    Non, nous n'en savons rien. C'est un peu tôt. Si l'accident avait eu lieu un siècle et demi plus tard, des archives judiciaires, toujours les plus riches pour l'historien, nous diraient sans doute qu'on a cherché à le capturer. Et si on a réussi à le faire, on l'aurait conduit au tribunal à partir du milieu du XIIIe siècle et jusqu'au début du XVIIe, voire un peu plus avant. On a en Europe occidentale les fameux procès faits aux animaux. 9 fois sur 10, il s'agit de cochons qui sont conduits au tribunal parce qu'ils ont causé crimes, délits, homicides, infanticides, accidents, etc. On a l'idée que les gros animaux sont capables de comprendre ce qu'est le bien et le mal, sont responsables de leurs actes. qu'on peut les juger, éventuellement les condamner, donc des pratiques qui nous font sourire aujourd'hui, mais nous avons tort parce que ça implique une proximité beaucoup plus grande entre l'homme et l'animal que de nos jours, où c'est le propriétaire de l'animal qui est responsable, alors qu'au Moyen-Âge et encore au début de l'époque moderne, c'est l'animal lui-même qui va au tribunal, qui reçoit un avocat, il y a procès, ça dure plusieurs jours pour nourrir la bête, la surveiller, on dépense de l'argent, ça nous vaut des archives, et ainsi de suite. Certains de ces procès sont assez bien documentés. Pour notre affaire de 1131, c'est trop tôt. Ça commence un petit peu plus tard. Ce qui est intéressant, c'est qu'au XIIIe, au XIVe, au XVe siècle, dans ces histoires de procès, où, je le répète 9 fois sur 10, ce sont des cochons qui sont concernés, quand on n'arrive pas à attraper l'animal coupable la truie qui a renverser un nouveau-né dans son berceau et commencer à le dévorer, ou autre chose, eh bien, soit on prend un congénère, un autre cochon, une autre truie, qui n'y est absolument pour rien, mais qui joue le rôle de l'accusé pendant le procès, qui est jugé, condamné, mais pas exécuté, puisqu'elle n'a rien fait. Mais il faut que le rituel ait lieu. C'est un peu du théâtre, et c'est l'idée que... La bonne justice doit être rendue, c'est ça qui est important. Une autre façon de faire, c'est de fabriquer un mannequin, en général en paille, ayant la forme de l'animal qu'on n'a pas réussi à attraper, et de juger le mannequin animalier, et de le conduire ensuite au bûcher. Alors pourquoi tant de cochons au tribunal ? Pour différentes raisons, ils sont abondants, non seulement à la campagne, mais dans les rues des grandes villes, où ils jouent le rôle des boueurs, ils sont vagabonds, ils vont l'être longtemps, malgré les autorités municipales qui légifèrent contre la divagation des porcs, ça va durer à Naples jusqu'au début du XXe siècle, par exemple. Il y a encore des porcs qui vagabondent dans la ville, qui occasionnent des accidents. Donc ils sont abondants, ils sont nombreux, ils occasionnent plus d'accidents que les autres animaux domestiques. Mais aussi pour des raisons symboliques, parce qu'on sait très bien au Moyen-Âge, et on le savait déjà dans l'Antiquité grecque et romaine, que du point de vue physiologique et anatomique, l'animal le plus proche de l'être humain, c'est le cochon. Et la médecine contemporaine le confirme pleinement. Donc probablement cette proximité physiologique, anatomique, biologique, explique à la fois attrait et rejet, et probablement... tous les tabous qu'il porte sur cet animal dans de nombreuses cultures.

  • Speaker #1

    Il y a d'autres personnes. Où est le micro ? Il y a une question devant et une question au fond.

  • Speaker #2

    Bonjour. Il y a depuis quelques années de nombreuses discussions au niveau philosophique et juridique pour attribuer un nouveau statut à l'animal. Je voudrais savoir si cette polémique d'une manière ou d'une autre vous concerne personnellement.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr, quand j'étais jeune chercheur et que j'ai consacré ma thèse au bestiaire héraldique médiéval, l'animal, c'était chez les historiens la petite histoire. Il était absolument indigne de l'histoire universitaire et faire une thèse sur le bestiaire médiéval, c'était renoncer à toute carrière. Donc, je suis de ceux qui se sont battus pour que, non seulement en histoire, mais au sein des sciences humaines, Il y a plus de considération pour les animaux et je dois dire que sinon la partie n'est peut-être pas totalement gagnée mais quand même des curiosités nouvelles sont venues, puis des interrogations par rapport au statut des animaux dans les sociétés contemporaines. J'étais très heureux qu'il y a deux ou trois ans en France le sujet principal de l'agrégation de philosophie soit les rapports entre l'homme et l'animal. C'était impensable il y a 50 ans, ça n'aurait pas semblé sérieux. Donc j'adhère à ces combats, si je puis dire, en tout cas intellectuellement. Il y a encore beaucoup de progrès à faire. Tu frappais par exemple dans les polémiques, enfin pas dans les polémiques, dans les sujets d'actualité dont la presse a parlé récemment à propos des cochons, justement, le prix de la viande de porc et la présence du porc dans les cantines scolaires. Personne ne s'était interrogé sur ce qu'est un cochon. Pourquoi des tabous autour de ce cochon ? Comment on élève des cochons ? Ça n'est qu'un produit aujourd'hui. Ça n'est plus un animal, ça n'est plus un être vivant. Il y a là quelque chose qui est assez vertigineux, surtout quand on connaît les porcheries industrielles, comme je les connais en Bretagne, où l'on voit des truies qui ont pour toute leur vie un mètre ou un demi-mètre carré pour se mouvoir et qui ne voient jamais la lumière du soleil. C'est terrifiant, terrifiant.

  • Speaker #1

    Il y avait une autre question devant, là. Ah,

  • Speaker #0

    vous avez dit qu'on parlait.

  • Speaker #3

    Oui, alors je voulais savoir si, parce qu'à l'époque moderne, on a beaucoup de procès pour des insultes entre personnes, où on se rend compte que 90% des insultes, souvent, ça tourne autour du cochon. Est-ce que c'est pareil au Moyen-Âge ? On trouve le même genre de choses ?

  • Speaker #0

    Non, ça peut arriver, mais c'est parmi tout un bestiaire de l'insulte qui attend d'ailleurs encore ses historiens. Ça date du XVIe et surtout du XVIIe siècle. Au Moyen-Âge, le cochon, du point de vue symbolique, il a beaucoup de vices. Il est sale, il est goinfre. Les auteurs nous racontent qu'il cherche toujours dans le sol, donc il ne lève jamais la tête vers Dieu. Ça, c'est un grand péché. Mais il n'a pas le vice de lubricité. Pour faire un jeune mot, je dirais qu'il ne fait pas de cochonneries, au sens où nous les entendons. C'est le chien qui fait des cochonneries. Quand le chien se revalorise en Occident et qu'il devient lentement le sympathique compagnon que nous connaissons, c'est-à-dire à la fin du Moyen-Âge et au début de l'époque moderne, il faut le débarrasser de ses vices, et il en a beaucoup. Le chien, chez les Grecs et chez les Romains, il est particulièrement impur. Il l'est encore dans une grande partie au Moyen-Âge, et donc il faut le débarrasser de ce vice de luxure, de sexualité. et alors progressivement entre le Le XVe et le XVIIe siècle, on déverse sur le cochon, qui n'y est pour rien, le vice de luxure. Et on s'imagine que le cochon pratique le commerce charnel d'une façon particulièrement sexuelle, érotique et tout ce que vous voulez. Et donc, des expressions et surnoms qui nous sont familiers commencent à apparaître au XVIIe et au XVIIIe siècle, notamment tout ce qui astrait à la sexualité, cochon, cochonnerie, vieux cochon, etc. C'est du moderne et contemporain, ça n'est pas du médiéval.

  • Speaker #1

    Une question là-bas, au fond.

  • Speaker #4

    Alors, merci pour la conférence. J'ai entendu parler, puisque vous avez dit que le cochon est un animal domestique, mais il était utilisé aussi dans l'Antiquité et au Moyen-Âge en tant qu'animal militaire, notamment brûlé pour faire peur aux éléphants dans leur ennemi, et aussi pour attirer les chiens, pour qu'ils évitent d'attaquer les soldats. Est-ce vrai ou pas ?

  • Speaker #0

    C'est vrai plus tard. Au Moyen-Âge, non, il n'y a pas de cochons sur les champs de bataille, mais il y a des cochons qui font différentes choses, notamment qui travaillent. Le Moyen-Âge a inventé beaucoup plus de choses qu'on ne le croit. Il a inventé notamment la brouette. Et des cochons attelés à des brouettes, c'est assez fréquent à partir des XIIIe et XIVe siècles pour transporter des produits qui ne sont pas. Trop lourd en quelque sorte. Mais c'est surtout un animal qui est aux mains des médecins. L'église interdisant la dissection du corps humain, dans les écoles de médecine, pour apprendre l'anatomie humaine de l'homme et de la femme, on dissèque, comme on ne peut pas le faire le corps humain, on dissèque le corps, le cadavre, de la truie ou du vérat, avec l'idée qu'à l'intérieur c'est tout pareil, pour apprendre l'anatomie humaine. Et en effet, le savoir de notre temps confirme qu'à l'intérieur, en effet, c'est tout pareil.

  • Speaker #1

    Alors Michel Pastoureau, la longue histoire que vous nous avez racontée, qui aboutit à l'émergence des armoiries françaises, est une histoire longue. Longue non seulement dans l'Ancien Régime, mais une histoire qui se prolonge au-delà. Peut-être pas pour les fleurs de lys, mais pour la couleur bleue. Après tout, en rugby, ce soir ou demain, je ne sais plus, ce sont les bleus qui vont affronter les Irlandais.

  • Speaker #0

    Demain.

  • Speaker #1

    Demain. Non seulement il connaît le Moyen-Âge, mais même l'histoire contemporaine, rien ne lui échappe.

  • Speaker #0

    Mais ce sera le bleu contre le vert. Oui, ce qui est fascinant dans cette histoire, c'est que le devenir de ce bleu, qui est la couleur de la Vierge au départ, qui n'est pas une couleur très répandue, ni dans le monde des symboles, ni dans la vie quotidienne, au milieu du XIIe siècle, va prendre une place de plus en plus grande au fil des siècles et des décennies. et surtout cette couleur qui devient La dynastie, chez les Capétiens, va devenir au fil du temps, en plus, monarchique, étatique, nationale. A partir du XVIIIe siècle, on peut dire que le bleu est la couleur de la France.

  • Speaker #1

    Républicaine.

  • Speaker #0

    Et puis, la République, qui en général rejette tous les emblèmes de l'ancienne royauté, garde la couleur bleue, justement parce que c'est devenu... Avant même la Révolution, la couleur de la nation, l'histoire des rapports entre l'État et la nation, pour l'historien, c'est une histoire absolument passionnante. Il y a des pays en Europe où la nation est née avant l'État et il y en a d'autres où l'État est né avant la nation. C'est le cas de la France. Donc la République garde la couleur bleue comme couleur nationale et elle l'est encore aujourd'hui. Quand tous les sportifs français ou qui représentent la France sur un terrain de sport s'affichent en maillot bleu, c'est la couleur nationale. Et ça donne le vertige de penser que ce bleu national, il est dû à un pauvre cochon domestique vagabond qui s'est mis dans les jambes du cheval du fils du roi de France. C'est l'hypothèse que développe mon livre. Ça a l'air extravagant et pourtant ça se tient. Donc moi qui suis surtout historien des couleurs et des animaux, je vois un phénomène de très longue durée et je me réjouis que... Malgré des tentatives pour changer la couleur des maillots des équipes nationales de France, on en revienne quand même au bleu parce que ce bleu, il vient de très très loin. Cela dit, je suis assez pessimiste parce que je pense que les Irlandais sont plus forts que les Français.

  • Speaker #1

    Ce bleu vient de très très loin et je dirais pour conclure que l'histoire que vous nous avez racontée ce soir vient de loin aussi. vous expliquez dans votre livre que la question de l'incident de 1131 vous turlupine, si je peux empointer ce mot familier, depuis fort longtemps. Et c'est au terme de tous vos travaux, des raldiques, de symboliques, des couleurs et des animaux que vous avez repris cet incident, cet accident pour en arriver aux conclusions que vous venez de nous présenter. Bel exemple d'histoire longue aussi, cette fois-ci à votre niveau personnel.

  • Speaker #0

    Oui, un peu narcissique ce que je vais dire mais... C'est vrai, même si ça a l'air extravagant, que je pense à ce livre, en tout cas à ce dossier, depuis que je suis lycéen. Parce que je m'intéressais déjà, quand j'étais lycéen, je suis né dans les livres, il y a beaucoup d'historiens dans ma famille, je m'intéressais déjà à la place des animaux dans l'histoire. Et c'était la petite histoire à l'époque. Et j'avais lu dans un ouvrage que possédait mon oncle, dans sa bibliothèque, un ouvrage d'Ancien Régime. une dizaine de lignes sur cet événement. On en parlait encore dans les livres d'histoire de France d'Ancien Régime, et puis à partir de l'histoire positiviste du XIXe siècle, on n'en a plus parlé. Un animal, un cochon, n'avait absolument rien à faire sur le devant de la scène de la grande histoire. Et donc moi, j'avais 14, 15, 16 ans, je ne sais plus, quand j'ai pris connaissance de cet événement, puis après, par mes études, ma thèse, etc., je suis devenu historien des emblèmes et des symboles, historien des couleurs et historien des animaux. Et au fond, ce dossier m'a donné l'occasion de croiser mes trois terrains de recherche préférés, ceux que je viens de nommer pour faire ce livre où l'on parle en effet d'animal, le cochon homicide, régicide même, on parle de couleur, la couleur bleue, et d'emblèmes et de symboles, les armoiries du roi de France et leur prolongement.

  • Speaker #1

    Nous voilà arrivés au terme de ce café littéraire. Nous vous remercions Michel Pastoureau pour les éclaircissements que vous nous avez apportés sur votre livre. En attendant, je crois qu'on peut le remercier mille fois encore.

Chapters

  • Générique

    00:00

  • Conférence

    00:33

Description

Michel Pastoureau fait le récit d’un événement insolite aux conséquences politiques capitales survenu au XIIe siècle : la mort accidentelle de l'héritier du trône capétien le 13 octobre 1131, suite à une chute de cheval provoquée par un porc. L'historien met ainsi en lumière la symbolique du cochon dans l’Europe chrétienne et retrace les origines des armoiries de la royauté française.


Intervenant :

Michel Pastoureau, historien spécialiste du bestiaire médiéval et du symbolisme des couleurs


Présentation de l'ouvrage Le Roi tué par un cochon. Une mort infâme aux origines des emblèmes de la France ? (Seuil) en 2015 lors de la 18e édition des Rendez-vous de l'histoire.


Voix du générique : Michel Hagnerelle (2006), Michaelle Jean (2016), Michelle Perrot (2002) 


https://rdv-histoire.com/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les rangs de l'histoire sont bien Au rythme de rencontres, d'échanges La grande fête annuelle de l'histoire Et des passionnés de l'histoire Enseignants, chercheurs Le grand lieu d'expression et de débat Lecteurs, amateurs Sur tout ce qui se dit Curieux,

  • Speaker #1

    rêveurs Sur tout ce qui s'écrit Qui aide à prendre la mesure des choses A éclairer le présent et l'avenir Dans l'espace et dans le temps

  • Speaker #2

    Eh bien bonjour, bienvenue au Café littéraire où nous accueillons cet après-midi Michel Pastoureau. Je présente rapidement Michel Pastoureau, encore que cela ne soit pas très nécessaire. C'est un historien médiéviste qui a construit son champ de recherche autour du thème de l'histoire symbolique qu'il a exploré à travers l'héraldique, à travers l'histoire des couleurs, à travers l'histoire des animaux, de leurs symboles et de leurs représentations. Par exemple, il a travaillé sur l'ours qu'il était venu nous présenter ici même il y a quelques années. Il a travaillé aussi sur le cochon, on va en reparler dans quelques instants. Et le livre qui va nous occuper aujourd'hui et pour lequel il est là, qui s'intitule « Le roi tué par un cochon » qui vient de sortir le mois dernier au Seuil, croise un petit peu toutes ces approches, mais dans une perspective un peu différente de ses ouvrages précédents puisqu'ici on part d'un fait très précis. Et c'est sur ce fait très précis que je voudrais démarrer, Michel Pastoureau. Qu'est-ce qui s'est passé le 13 octobre 1131 à Paris ?

  • Speaker #3

    Merci. Bonjour à tous. Il s'est passé un fait divers, un accident qui aurait pu être anecdotique et qui, à mon avis, a changé le cours de l'histoire de France. Un accident de cheval. Le fils aîné du roi Louis VI le Gros s'appelait Philippe. Il avait 15 ans, il avait déjà sacré et couronné roi associé du vivant de son père, c'était l'usage chez les premiers Capétiens, la monarchie n'était pas encore tout à fait héréditaire, elle était encore partiellement élective, donc par précaution les rois faisaient sacrer leur fils aîné de leur vivant, donc c'est ce qui s'était passé deux ans plus tôt. Et ce jeune prince qui revenait d'une chevauchée dans les faubourgs de Paris est tombé de cheval parce que Un animal domestique s'est mis dans les jambes du dit cheval, un cochon, un porcus diabolicus, comme disent les chroniqueurs. Il est tombé, sa tête a heurté une pierre et il est mort dans les heures qui ont suivi, une fois qu'il a été transporté dans une maison voisine. Ça aurait pu être complètement anodin, les chutes de cheval sont assez fréquentes au Moyen-Âge, mais celle-ci a été causée par un animal qui n'est en rien un animal comme les autres.

  • Speaker #2

    Bien. Donc, cet accident concerne un prince qui était destiné à devenir le roi de France, qui était, comme vous dites déjà, roi. Vous expliquez du reste dans votre livre autour de ces rois sacrés associés à leur père. C'est une pratique courante et qu'à l'époque, on les considère comme rois. Vous dites même qu'on les numérote comme rois, que ce Philippe, puisqu'il s'appelle Philippe. et était en quelque sorte un Philippe II.

  • Speaker #3

    Voilà, dans les textes, souvent jusqu'à la fin du Moyen-Âge, il est Philippe II puisqu'il a été couronné et sacré, même s'il est mort à l'âge de 15 ans. Les textes l'appellent de son vivant Rex, Rex Junior, Rex Designatus, le futur roi. Il est d'ailleurs enterré à Saint-Denis dans le cimetière des rois, il y a encore... Donc il reçoit un numéro de la part, non pas de ses contemporains, mais des chroniqueurs et historiens ultérieurs. Il est Philippe II, ce qui décale tout. Philippe II, Auguste, pour nous, deviendra Philippe III. Philippe IV, le bel, c'est Philippe V, et ainsi de suite jusqu'à Philippe VI de Valois. Il faudra attendre le début de l'époque moderne pour qu'il disparaisse de la chronologie des rois de France. Et ce qui est constamment noté, c'est... La mention Philippus. A porco interfectus, Philippe tué par le cochon, ou un cochon.

  • Speaker #2

    Ce qui est d'autant plus ironique, si je puis dire, à propos de ce fait dramatique, qu'il s'appelle Philippe. Et vous expliquez aussi à propos de ce prénom un certain nombre de choses qu'il n'est pas inintéressant de relever.

  • Speaker #3

    Oui, bien sûr, en grec, Philippe signifie « qui aime les chevaux » . Donc pour quelqu'un qui est mort d'une chute de cheval... C'est une ironie de l'histoire. C'est un nom de baptême récent chez les Capétiens. Dans les grandes familles royales, princières et seigneuriales, les noms de baptême, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, constituent une sorte de stock familial réduit dans lequel on puise. C'est presque une panoplie emblématique. Donc les Capétiens usent de 4, 5, 6 noms, les rois Capétiens. Philippe, Robert, Henri, Eudes, quelques autres, Louis bien sûr, mais Philippe c'est assez récent en fait, cela date du grand-père de notre Philippe, le roi Philippe Ier, qu'on a longtemps décrié, qui a un règne très long, 1060-1108, qui est le premier à porter ce nom parce que sa mère est une princesse orientale, la fille du grand-duc de Kiev, et elle apporte à la cour de France, en épousant Henri Ier. Dans les années 1035-40, un nom grec, un nom qu'on ne connaissait pas ou qu'on n'utilisait pas, l'apôtre Philippe n'ayant pas fait l'objet d'un culte très important en Occident. Donc notre Philippe, au fond, est le deuxième de la dynastie et il va y en avoir beaucoup par la suite chez les rois et chez les ducs, les comtes et les grands barons.

  • Speaker #2

    Bien, alors après ces précisions autour du personnage, venons-en quand même à l'enquête. Et tout part dans l'affaire du fait que l'accident survenu à Philippe est un accident infamant.

  • Speaker #3

    C'est un accident, en effet, totalement infamant à cause de l'animal qui l'a causé. Et j'ai passé un long moment, plusieurs années à dire vrai, à enquêter dans les chroniques, les annales, les histoires du XIIe et du XIIIe siècle pour cerner le... récit de l'événement et étudier le vocabulaire latin qu'emploient les auteurs pour qualifier cette mort. Et c'est une répétition d'adjectifs que je traduis, mort honteuse, mort misérable, mort infamante, mort souillée, etc. Il y en a toute une collection, le latin étant peut-être plus riche encore que la langue vernaculaire, pour parler de la honte et de l'infamie. et donc c'est une mort infâme qui... entraîne aux yeux des contemporains et de la succession immédiate une souillure sur la dynastie capétienne, sur le roi de France, sur le royaume de France, et naturellement à l'étranger, les ennemis des capétiens du royaume, notamment en Angleterre, insistent lourdement sur cette espèce de punition divine. d'ailleurs au Moyen-Âge, par écho au chemin de Damas. Et à Saint-Paul, qui n'est pas encore Saint-Paul quand il tombe de cheval, toute chute de cheval, c'est une punition voulue par Dieu et une invitation à se convertir et à mener une vie meilleure. Donc on y voit à la fois un geste de l'intervention divine et une mort qui souille complètement le roi, le royaume et la dynastie.

  • Speaker #2

    Oui, qu'en est-il mort en chassant le sanglier ?

  • Speaker #3

    Voilà, alors... Pour adoucir les choses, certains chroniqueurs racontent qu'en fait il ne jouait pas dans une rue de Paris avec quelques jeunes gens de son âge, mais qu'il revenait de la chasse, et je me suis fait la réflexion bien sûr que s'il était mort à la chasse, tué par un sanglier, ce qui est relativement fréquent, aussi bien à l'époque carolingienne que chez les premiers capétiens, parce que le sanglier est un animal extrêmement combatif et courageux, Il ne tue pas directement, mais il cause des blessures qui souvent entraînent la mort. Donc si ce jeune prince était mort à la chasse tuée par un sanglier, c'était une mort héroïque. C'était une mort glorieuse, une mort de prince. Il n'y aurait pas eu tout ce cortège d'attributs infamants pour qualifier sa mort. Mais malheureusement, ce n'est pas un porc sauvage qui est en cause, c'est un porc domestique. Et même si on sait très bien au XIIe siècle que les deux animaux ont une parenté et qu'ils sont même conspécifiques et peut-être interféconds, du point de vue symbolique, ça n'est pas du tout la même chose. Un sanglier, ça n'est pas un cochon de ferme. Pas du tout.

  • Speaker #2

    Alors c'est un drame symbolique, cette infamie qui tombe sur la couronne de France, sur la monarchie française à ce moment-là, c'est aussi un drame tout court à ce que vous décrivez. Pour Louis VII, par exemple. Pardon, pour Louis VI, pour le roi, pour le roi en titre. La mort de son fils est vécue très douloureusement.

  • Speaker #3

    Oui, on a un témoin direct des événements qui est l'abbé de Saint-Denis, Suger, le grand Suger, qui n'a pas encore commencé la reconstruction de son église abbatiale à cette époque, seulement 1131, pas 1140, mais c'est le principal conseiller du roi Louis VI le Gros. Il est présent en permanence auprès du roi. et de l'entourage royal. Il a assisté, parmi les premiers, à la mort du jeune prince Philippe et il nous décrit, dans un texte qu'il a compilé plus tardivement, le chagrin du père, de la mère, des grands, l'espèce de panique qui s'empare de tout le monde. Ce jeune prince, dit-il, donnait les meilleures espérances. Ce sont naturellement des topoïes, mais quand même... On peut le croire. Il avait l'air vigoureux, beau de corps, saint d'esprit, déjà préparé à son métier de roi. Après son sacré couronnement, il devait être plus ou moins initié aux affaires de gouvernement. Ça devait être le début. Et il meurt. Et son frère Cadet, lui, n'est pas du tout préparé à son métier de roi.

  • Speaker #2

    Oui. Le frère Cadet, on peut le préciser. Qu'est-ce qu'il était jusqu'alors ?

  • Speaker #3

    Il est plus jeune, il a 10 ou 11 ans, on ne sait pas très bien quand il est né, c'est le futur roi Louis VII. Comme toujours au Moyen-Âge, on note la date de naissance exacte chez les grands personnages pour les fils aînés. Et puis les cadets, on ne le note pas pensant que ce n'est pas très important, mais quand le fils aîné meurt, c'est le cadet qui devient roi du coup comte, et on ne sait plus quand il est né. Et pour les historiens, ça fait des débats. Quand l'accident se produit, au mois d'octobre 1131, Louis, le puiné, a 10 ans ou 11 ans et il est destiné à l'état ecclésiastique. Il a été confié aux écoles de Notre-Dame, de la cathédrale Notre-Dame à Paris. Il y a passé beaucoup de temps, il s'y est complut et il est lui-même prêt à recevoir plus tard la prêtrise et à devenir probablement un prélat important. Et à finir, c'est le cursus normal pour un prince capétien, archevêque de Reims. Mais on n'en est pas là. Et à cause de la mort de son frère aîné, il va devoir monter sur le trône alors qu'il n'y est pas du tout préparé et qu'il n'a aucune compétence ni goût pour cela.

  • Speaker #2

    Oui. Et c'est gênant. C'est gênant parce que suggère très vite, en vient à l'idée, que l'infamie qu'on vient d'évoquer, il faut la laver. Il faut la corriger, il faut la compenser. Et cette responsabilité va incomber au nouveau roi. Louis VI ne vit plus très longtemps après, il n'a pas le temps, lui, de réagir vraiment. Et c'est donc Louis VII... Une fois qu'il est devenu roi, à qui incombe le lavage de l'infamie qu'a représenté l'accident de son frère ?

  • Speaker #3

    Voilà, oui, Suger prend les choses en main. Il faut aller vite parce qu'à cette époque, une dynastie est toujours plus ou moins menacée. On n'est pas encore en période d'absolutisme. Donc, pour assurer la continuité de la dynastie capétienne, on fait enterrer à Saint-Denis, et pour Suger, c'est important que Saint-Denis reste, l'église abbatiale reste, la nécropole royale. Et puis, dans les jours qui suivent, on va à Reims pour le sacre du nouveau roi. On profite de ce que le pape est présent en France. Il s'apprêtait à ouvrir un concile général de l'église parce qu'il y avait un antipape qui s'était dressé contre lui à Rome. Donc, le pape est présent à Reims. Il sacre le jeune Louis qui deviendra plus tard Louis VII. Donc, tout semble assez favorable. Être sacré par un pape, ça n'est pas rien. c'est bien mieux que par l'archevêque de Reims, ou quand l'archevêque de Reims n'est pas disponible, c'est l'archevêque de Sens, ou c'est l'évêque de Lens, ou l'évêque de Chalon. Non, là c'est le pape, c'est magnifique. Malheureusement, ça ne va pas se passer très bien. Louis VI, le gros, qui est vraiment gros et qui reçoit son surnom de son vivant. C'est assez rare chez les grands personnages du Moyen-Âge, c'est la postérité qui leur donne des surnoms. pour distinguer les homonymes, mais là, les contemporains l'appellent vraiment le gros parce qu'il était extrêmement gros, comme la plupart d'ailleurs des souverains d'Occident à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, comme si la corpulence était nécessaire pour exercer le métier de roi. Ça ne peut que me réjouir. Et donc, six ans plus tard, Louis meurt, Louis VI meurt, et Louis VII devient le roi. il a A peine 20 ans, il s'entoure des mêmes conseillers que son père au début, notamment Suger, toujours lui, et un peu plus lointain dans l'espace, Saint Bernard, qui est le grand personnage chrétien plus influent. Il fait les papes et il fait presque les rois, il fait les croisades, il fait les ordres de chevalerie. C'est un personnage considérable. Le début de règne semble bien se passer, d'autant que Louis VI, peu avant sa mort, a fait épouser à ce futur Louis VII, son fils cadet devenu roi, l'héritière du duché d'Aquitaine, la fameuse Aliénor. Ça permet au Royaume de France de s'agrandir, même si Aliénor reste duchesse d'Aquitaine, c'est le couple qui devient seigneur de l'Aquitaine, pas Louis VII tout seul, c'est du fait de sa femme. Donc ça se passe bien, et puis il y a quelques accidents au début du règne, notamment l'incendie très malheureux dans une guerre contre le comte de Champagne d'une église à Vitry, aujourd'hui Vitry-le-François, où c'était réfugié

  • Speaker #2

    au moins 1000 personnes les soldats du roi y ont mis le feu et le roi dont on ne sait pas s'il avait donné son accord ou pas en tout cas en était mortifié de chagrin et donc le règne commence sous d'assez mauvais auspices avec cet accident et puis ensuite les choses se passent encore assez mal il y a la croisade et puis il y a les déboires conjugaux de Louis VII qui continue à donner au règne une image assez négative Merci.

  • Speaker #3

    On a l'impression que Louis VII, le jeune Louis VII, n'aime pas son métier de roi, n'est pas très compétent pour l'exercer, et surtout ressent qu'il n'est pas tout à fait légitime. C'est son frère qui aurait dû être roi, son frère est mort à cause d'un cochon, c'est quelque chose d'épouvantable, comme si Dieu n'aimait plus la famille capétienne. pour essayer de réparer tout ça. Louis VI avait, à la fin de sa vie, donné Beaucoup de biens aux églises, fondée des abbayes, la reine Adélaïde aussi, elle a fondé l'abbaye de Montmartre après la mort de son fils. On multiplie les liens avec les grands personnages ecclésiastiques du royaume au début du règne de Louis VII, avec les papes successifs, avec Saint Bernard bien sûr. Ça ne suffit pas, on a l'impression qu'on va de catastrophe en catastrophe et une idée germe, il faut partir en croisade, ça va. effacer les malheurs du temps et effacer surtout la souillure de l'événement de 1131 et cette croisade qu'on appelle la deuxième croisade, celle de Louis VII et d'Aliénor et aussi de l'empereur du Saint-Empire, c'est un échec total, les croisés. Non seulement se disputent, échouent à reprendre Jérusalem. meurent dans le désordre d'Anatolie ou sur les rivages de la Terre Sainte. Et surtout, et ce n'est pas une légende, contrairement à ce qu'on a parfois écrit, au cours de la croisade, le divorce entre Aliénor et Louis VII est déjà plus ou moins dans l'air.

  • Speaker #2

    Voilà, le divorce est plus ou moins dans l'air et il va rapidement se concrétiser. Et Aliénor, non seulement elle divorce, mais il faut aller jusqu'au bout. Qu'est-ce qu'elle fait très vite ensuite ?

  • Speaker #3

    Elle épouse le futur roi d'Angleterre, un personnage considérable, mais qui n'est pas encore roi. Il est comte d'Anjou et duc de Normandie, Henri Plantegenet. Donc elle avait épousé Louis VII en 1137. elle divorce en 1152 elle n'a donné au roi de France que deux filles dont l'aîné s'appelle Marie ce qui est un signe que c'est la première fois qu'une fille de roi de France porte le nom de la Vierge comme si on faisait aussi déjà appel à la Vierge par les noms de baptême pour assurer sa protection bref deux filles, pas d'héritier mâle ça semble aussi une punition divine l'historien que je suis s'est demandé d'ailleurs Qu'est-ce qui serait passé si ce Philippe avait vécu ? C'est lui qui aurait épousé Aliénor d'Aquitaine. Probablement était-il plus, comment dire, vigoureux que son frère, pas destiné à l'État avec les Vestiques lui-même. Le couple se serait peut-être mieux entendu. Des enfants mâles seraient nés et le cours de l'histoire de France et d'Angleterre aurait été changé. Mais non, ça ne s'est pas passé. La croisade a lieu de 1947 à 1949 et au début de l'année 1952, Louis VII et Aliénor divorcent sous prétexte de consanguinité. C'est le prétexte normal dans les grandes familles au Moyen-Âge. Mais catastrophe, trois mois plus tard, elle épouse Henri Plotgenet qui a dix ans de moins qu'elle et qui va lui donner dix enfants. Aliénor est particulièrement féconde une fois qu'elle est divorcée de Louis VII. Elle aura dix enfants dont certains sont restés très célèbres, Richard Coeur de Lion et Jean Santerre, son dernier fils, qu'elle a eu à l'âge de 45 ans.

  • Speaker #2

    Alors à ce point de l'histoire... Côté français, le moral est très bas, les sondages sont très mauvais et du côté de la monarchie, il faut faire quelque chose. On va donc chercher un conseiller en communication, je traduis ça en termes contemporains, on se tourne à nouveau vers Suger. Suger dont j'ai appris dans votre livre d'ailleurs que c'est un petit malin qui rêvait de prendre à Reims la fonction de lieu du sacre avec son abbaye de Saint-Denis.

  • Speaker #3

    Il est abbé de Saint-Denis et il fait tout pour Saint-Denis qui pour lui est le centre du monde, mais la plupart des abbés de Saint-Denis au Moyen-Âge pensent la même chose. Saint-Denis abrite dans l'église abbatiale la nécropole royale et il faut absolument que les souverains continuent de se faire enterrer à Saint-Denis. Saint-Denis conserve également dans le trésor de l'abbaye les insignes royaux, ceux qu'on remet au souverain le jour de son sacre, couronne, sceptre. plus tard main de justice, mais là c'est trop tôt, donc deux sceptres, un court, un long, et d'autres objets symboliques. Mais le sacre a lieu à Reims. Il est fait non pas par l'abbé de Saint-Denis, mais par l'archevêque de Reims, et à Reims même il y a conflit entre l'archevêque... et le doyen du chapitre qui est toujours un rival de l'évêque ou de l'archevêque et puis l'abbaye Saint-Rémy qui elle conserve la sainte ampoule c'est-à-dire le récipient dans lequel se trouve l'huile sainte miraculeuse prétendument apportée pour le baptême de Clovis en 496 et qui sert à sacrer les rois de France qui sont par ce geste les oins du Seigneur et ce ne sont pas des rois comme les autres ils sont sacrés avec une sainte ampoule venue du ciel Donc le rêve de Suger, naturellement, c'est que les sacres aient lieu à Reims, mais de ce point de vue-là, il a échoué.

  • Speaker #2

    En revanche, sur le problème de fond, qui est de restaurer l'image de la monarchie, il joue un rôle plus actif et sans doute plus efficace.

  • Speaker #3

    Oui, c'est un personnage efficace qui, en plus, pour l'historien, a laissé des écrits assez abondants. non seulement la vie de Louis VI c'est le début de la vie de Louis VII, mais toute sa politique de reconstruction de l'église abbatiale de Saint-Denis et de la gestion du fastueux domaine féodal de l'abbaye. Donc on sait beaucoup de choses sur Suger et son administration de prélat et son rôle de principal conseiller de deux rois de France successifs, même si parfois il y a eu des bisbilles ou des querelles. pour Saint-Denis, on sait que Il a dépensé telle ou telle somme d'argent, il nous le dit lui-même, pour par exemple mettre de la couleur dans l'église abbatiale. Il est de ces prélats qui pensent que la couleur c'est de la lumière, Dieu est lumière, donc pour dissiper les ténèbres et étendre la part de la divinité. Dans l'église, il est chromophile, il faut mettre de la couleur partout, et notamment sur les verrières, d'où ces vitraux magnifiques qu'il a fait faire, en achetant notamment un bleu hors de prix, il nous le dit lui-même. Alors qu'à la même époque, Saint Bernard, son contemporain, est un prélat chromophobe, qui pense que la couleur c'est de la matière, et qu'il ne doit pas y avoir excès de couleur dans l'église. Au contraire, il faut chasser la couleur du temple, d'où ces églises cisterciennes, qui sont décolorées, extrêmement austères, qui le sont restées jusqu'à aujourd'hui.

  • Speaker #2

    Alors précisément, ce bleu qu'introduit Suger à l'abbaye de Saint-Denis, il est introduit à l'abbaye de Saint-Denis, mais il va être utilisé aussi sur un autre plan emblématique à ce moment-là, dans le cadre de notre politique de restauration de l'image de la monarchie.

  • Speaker #3

    Oui, après avoir tout essayé pour effacer cette souillure dynastique, les conseillers du roi, sinon le roi lui-même, enfin ils ont dû se mettre à plusieurs, Louis VII, Suger, Saint-Bernard... quelques autres sans doute, puisque la croisade elle-même avait échoué et que cette souillure est toujours présente, ont eu une idée de génie, faire appel à la Vierge et en faire la protectrice du Royaume de France, la Sainte Patronne. Le Royaume de France avait jusque-là plusieurs patrons, Saint-Denis, Saint-Martin, Sainte Geneviève, mais pas la Vierge. Et donc dans ces années-là, après le retour de croisade en 149, donc 50-51, Suger meurt en 52, Saint-Bernard en 53, donc on est dans ces années-là, la Vierge, malheureusement on n'a pas de texte, mais la Vierge devient la patronne du Royaume de France, et coup de génie... Presque contemporain, comme vous dites, en marketing et en stratégie de communication, c'est impeccable. Coup de génie, puisqu'on est dans la période où commencent à apparaître les premières armoiries. Il faut composer des armoiries pour le roi de France. Et pour ce faire, non pas le roi lui-même, mais son entourage, les lettrés, les conseillers, choisissent de prendre deux attributs de la Vierge, ces deux attributs principaux, la couleur bleue et la fleur de lys, qui dans la symbolique du XIIe siècle sont tous les deux des attributs de la pureté. Donc la vierge plus le bleu plus le lisse, ça va effacer la souillure. Et de fait c'est assez efficace parce que vers la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe, les chroniqueurs se font un peu moins sévères envers l'accident de 1131 et le vocabulaire se fait plus discret sur la honte et l'infamie. On en vient à dire que c'est une mort malheureuse, quel drame, etc. Donc la sugure, peu à peu, va être effacée. C'est grâce à la Vierge.

  • Speaker #2

    Voilà. Et voilà comment le royaume de France se retrouve avec des armoiries, le bleu et les fleurs de lys. Des armoiries qui, d'une part, sont les seules, dites-vous, en Europe, ou quasiment les seules, qui soient des armoiries à fondement végétal pour les monarchies et non pas animales.

  • Speaker #3

    Oui, le roi de France et plusieurs auteurs le soulignent tout au long du Moyen-Âge. Parmi les principaux rois d'Occident, c'est le seul qui n'est pas un animal, comme figure héraldique, mais un végétal. Donc il a choisi, au fond, quelque chose de pacifique, plutôt qu'un lion, un aigle ou un léopard, des animaux puissants et agressifs. Et c'est aussi le seul qui est du bleu dans ses armoiries. Nous sommes au début de la mode des tons bleus dans le vêtement et dans la culture matérielle. Là aussi, c'est une originalité. Dans la très longue durée, les rois de France, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, en Europe, ce sont toujours des souverains qui n'ont jamais voulu faire comme les autres. Et donc, en créant leurs armoiries au XIIe siècle, c'est exactement ça, ils ne veulent pas faire comme les autres, pas d'animal dans les culs, et un écu hachant bleu, ce bleu, azur, « d'azur semé de fleurs de lys d'or » dit la langue du blason. est promis à une longue histoire comme couleur de la France.

  • Speaker #2

    Oui, vous insistez beaucoup d'ailleurs dans votre livre sur l'idée de singularité de la monarchie, que vous présentez non pas comme l'effet du hasard, du résultat des initiatives, mais comme une volonté de se poser comme différente de toutes les autres. À travers le choix des prénoms, à travers toute une série de pratiques, vous soulignez cette permanence de l'originalité voulue de la monarchie. Oui,

  • Speaker #3

    c'est une constante. Nous avons beaucoup de textes. Et tout ce que je raconte à propos de la création des armoires royales est assez bien documenté et extrêmement pensé. On voit qu'on ne fait rien au hasard, tout est pensé, discuté, on réfléchit à plusieurs. Et dans la longue durée, ça se passe toujours comme ça. Les souverains eux-mêmes n'ont pas beaucoup de rôle personnel dans leur mise en scène emblématique et symbolique. C'est toujours l'entourage. des lettrés, des artistes, des conseillers en ceci ou en cela, jusqu'à Louis-Philippe, presque au XIXe siècle. D'ailleurs, ça continue avec le XIXe et le XXe siècle. On peut dire que dans la longue durée, la France est un royaume puis une république qui ne veut jamais faire comme les autres et qui donne des leçons au monde entier. Et ça commence très tôt.

  • Speaker #2

    Et ça continue longtemps.

  • Speaker #3

    Oui, on peut ironiser d'ailleurs. Et nos voisins ne s'en privent pas. Les amis allemands me rappellent toujours que la France s'intitule, sous la révolution de l'Empire, la grande nation. Elle se veut supérieure aux autres.

  • Speaker #2

    Est-ce qu'il y a des gens qui ont des questions à poser à Michel Pastoureau ? Je vous rappelle que vous avez le droit à la parole aussi et qu'un micro peut circuler si vous avez un monsieur là-bas.

  • Speaker #4

    Merci pour cette présentation. Je m'interrogeais sur le destin de ce cochon peu ordinaire. Est-ce qu'on en sait quelque chose ?

  • Speaker #0

    Non, nous n'en savons rien. C'est un peu tôt. Si l'accident avait eu lieu un siècle et demi plus tard, des archives judiciaires, toujours les plus riches pour l'historien, nous diraient sans doute qu'on a cherché à le capturer. Et si on a réussi à le faire, on l'aurait conduit au tribunal à partir du milieu du XIIIe siècle et jusqu'au début du XVIIe, voire un peu plus avant. On a en Europe occidentale les fameux procès faits aux animaux. 9 fois sur 10, il s'agit de cochons qui sont conduits au tribunal parce qu'ils ont causé crimes, délits, homicides, infanticides, accidents, etc. On a l'idée que les gros animaux sont capables de comprendre ce qu'est le bien et le mal, sont responsables de leurs actes. qu'on peut les juger, éventuellement les condamner, donc des pratiques qui nous font sourire aujourd'hui, mais nous avons tort parce que ça implique une proximité beaucoup plus grande entre l'homme et l'animal que de nos jours, où c'est le propriétaire de l'animal qui est responsable, alors qu'au Moyen-Âge et encore au début de l'époque moderne, c'est l'animal lui-même qui va au tribunal, qui reçoit un avocat, il y a procès, ça dure plusieurs jours pour nourrir la bête, la surveiller, on dépense de l'argent, ça nous vaut des archives, et ainsi de suite. Certains de ces procès sont assez bien documentés. Pour notre affaire de 1131, c'est trop tôt. Ça commence un petit peu plus tard. Ce qui est intéressant, c'est qu'au XIIIe, au XIVe, au XVe siècle, dans ces histoires de procès, où, je le répète 9 fois sur 10, ce sont des cochons qui sont concernés, quand on n'arrive pas à attraper l'animal coupable la truie qui a renverser un nouveau-né dans son berceau et commencer à le dévorer, ou autre chose, eh bien, soit on prend un congénère, un autre cochon, une autre truie, qui n'y est absolument pour rien, mais qui joue le rôle de l'accusé pendant le procès, qui est jugé, condamné, mais pas exécuté, puisqu'elle n'a rien fait. Mais il faut que le rituel ait lieu. C'est un peu du théâtre, et c'est l'idée que... La bonne justice doit être rendue, c'est ça qui est important. Une autre façon de faire, c'est de fabriquer un mannequin, en général en paille, ayant la forme de l'animal qu'on n'a pas réussi à attraper, et de juger le mannequin animalier, et de le conduire ensuite au bûcher. Alors pourquoi tant de cochons au tribunal ? Pour différentes raisons, ils sont abondants, non seulement à la campagne, mais dans les rues des grandes villes, où ils jouent le rôle des boueurs, ils sont vagabonds, ils vont l'être longtemps, malgré les autorités municipales qui légifèrent contre la divagation des porcs, ça va durer à Naples jusqu'au début du XXe siècle, par exemple. Il y a encore des porcs qui vagabondent dans la ville, qui occasionnent des accidents. Donc ils sont abondants, ils sont nombreux, ils occasionnent plus d'accidents que les autres animaux domestiques. Mais aussi pour des raisons symboliques, parce qu'on sait très bien au Moyen-Âge, et on le savait déjà dans l'Antiquité grecque et romaine, que du point de vue physiologique et anatomique, l'animal le plus proche de l'être humain, c'est le cochon. Et la médecine contemporaine le confirme pleinement. Donc probablement cette proximité physiologique, anatomique, biologique, explique à la fois attrait et rejet, et probablement... tous les tabous qu'il porte sur cet animal dans de nombreuses cultures.

  • Speaker #1

    Il y a d'autres personnes. Où est le micro ? Il y a une question devant et une question au fond.

  • Speaker #2

    Bonjour. Il y a depuis quelques années de nombreuses discussions au niveau philosophique et juridique pour attribuer un nouveau statut à l'animal. Je voudrais savoir si cette polémique d'une manière ou d'une autre vous concerne personnellement.

  • Speaker #0

    Oui, bien sûr, quand j'étais jeune chercheur et que j'ai consacré ma thèse au bestiaire héraldique médiéval, l'animal, c'était chez les historiens la petite histoire. Il était absolument indigne de l'histoire universitaire et faire une thèse sur le bestiaire médiéval, c'était renoncer à toute carrière. Donc, je suis de ceux qui se sont battus pour que, non seulement en histoire, mais au sein des sciences humaines, Il y a plus de considération pour les animaux et je dois dire que sinon la partie n'est peut-être pas totalement gagnée mais quand même des curiosités nouvelles sont venues, puis des interrogations par rapport au statut des animaux dans les sociétés contemporaines. J'étais très heureux qu'il y a deux ou trois ans en France le sujet principal de l'agrégation de philosophie soit les rapports entre l'homme et l'animal. C'était impensable il y a 50 ans, ça n'aurait pas semblé sérieux. Donc j'adhère à ces combats, si je puis dire, en tout cas intellectuellement. Il y a encore beaucoup de progrès à faire. Tu frappais par exemple dans les polémiques, enfin pas dans les polémiques, dans les sujets d'actualité dont la presse a parlé récemment à propos des cochons, justement, le prix de la viande de porc et la présence du porc dans les cantines scolaires. Personne ne s'était interrogé sur ce qu'est un cochon. Pourquoi des tabous autour de ce cochon ? Comment on élève des cochons ? Ça n'est qu'un produit aujourd'hui. Ça n'est plus un animal, ça n'est plus un être vivant. Il y a là quelque chose qui est assez vertigineux, surtout quand on connaît les porcheries industrielles, comme je les connais en Bretagne, où l'on voit des truies qui ont pour toute leur vie un mètre ou un demi-mètre carré pour se mouvoir et qui ne voient jamais la lumière du soleil. C'est terrifiant, terrifiant.

  • Speaker #1

    Il y avait une autre question devant, là. Ah,

  • Speaker #0

    vous avez dit qu'on parlait.

  • Speaker #3

    Oui, alors je voulais savoir si, parce qu'à l'époque moderne, on a beaucoup de procès pour des insultes entre personnes, où on se rend compte que 90% des insultes, souvent, ça tourne autour du cochon. Est-ce que c'est pareil au Moyen-Âge ? On trouve le même genre de choses ?

  • Speaker #0

    Non, ça peut arriver, mais c'est parmi tout un bestiaire de l'insulte qui attend d'ailleurs encore ses historiens. Ça date du XVIe et surtout du XVIIe siècle. Au Moyen-Âge, le cochon, du point de vue symbolique, il a beaucoup de vices. Il est sale, il est goinfre. Les auteurs nous racontent qu'il cherche toujours dans le sol, donc il ne lève jamais la tête vers Dieu. Ça, c'est un grand péché. Mais il n'a pas le vice de lubricité. Pour faire un jeune mot, je dirais qu'il ne fait pas de cochonneries, au sens où nous les entendons. C'est le chien qui fait des cochonneries. Quand le chien se revalorise en Occident et qu'il devient lentement le sympathique compagnon que nous connaissons, c'est-à-dire à la fin du Moyen-Âge et au début de l'époque moderne, il faut le débarrasser de ses vices, et il en a beaucoup. Le chien, chez les Grecs et chez les Romains, il est particulièrement impur. Il l'est encore dans une grande partie au Moyen-Âge, et donc il faut le débarrasser de ce vice de luxure, de sexualité. et alors progressivement entre le Le XVe et le XVIIe siècle, on déverse sur le cochon, qui n'y est pour rien, le vice de luxure. Et on s'imagine que le cochon pratique le commerce charnel d'une façon particulièrement sexuelle, érotique et tout ce que vous voulez. Et donc, des expressions et surnoms qui nous sont familiers commencent à apparaître au XVIIe et au XVIIIe siècle, notamment tout ce qui astrait à la sexualité, cochon, cochonnerie, vieux cochon, etc. C'est du moderne et contemporain, ça n'est pas du médiéval.

  • Speaker #1

    Une question là-bas, au fond.

  • Speaker #4

    Alors, merci pour la conférence. J'ai entendu parler, puisque vous avez dit que le cochon est un animal domestique, mais il était utilisé aussi dans l'Antiquité et au Moyen-Âge en tant qu'animal militaire, notamment brûlé pour faire peur aux éléphants dans leur ennemi, et aussi pour attirer les chiens, pour qu'ils évitent d'attaquer les soldats. Est-ce vrai ou pas ?

  • Speaker #0

    C'est vrai plus tard. Au Moyen-Âge, non, il n'y a pas de cochons sur les champs de bataille, mais il y a des cochons qui font différentes choses, notamment qui travaillent. Le Moyen-Âge a inventé beaucoup plus de choses qu'on ne le croit. Il a inventé notamment la brouette. Et des cochons attelés à des brouettes, c'est assez fréquent à partir des XIIIe et XIVe siècles pour transporter des produits qui ne sont pas. Trop lourd en quelque sorte. Mais c'est surtout un animal qui est aux mains des médecins. L'église interdisant la dissection du corps humain, dans les écoles de médecine, pour apprendre l'anatomie humaine de l'homme et de la femme, on dissèque, comme on ne peut pas le faire le corps humain, on dissèque le corps, le cadavre, de la truie ou du vérat, avec l'idée qu'à l'intérieur c'est tout pareil, pour apprendre l'anatomie humaine. Et en effet, le savoir de notre temps confirme qu'à l'intérieur, en effet, c'est tout pareil.

  • Speaker #1

    Alors Michel Pastoureau, la longue histoire que vous nous avez racontée, qui aboutit à l'émergence des armoiries françaises, est une histoire longue. Longue non seulement dans l'Ancien Régime, mais une histoire qui se prolonge au-delà. Peut-être pas pour les fleurs de lys, mais pour la couleur bleue. Après tout, en rugby, ce soir ou demain, je ne sais plus, ce sont les bleus qui vont affronter les Irlandais.

  • Speaker #0

    Demain.

  • Speaker #1

    Demain. Non seulement il connaît le Moyen-Âge, mais même l'histoire contemporaine, rien ne lui échappe.

  • Speaker #0

    Mais ce sera le bleu contre le vert. Oui, ce qui est fascinant dans cette histoire, c'est que le devenir de ce bleu, qui est la couleur de la Vierge au départ, qui n'est pas une couleur très répandue, ni dans le monde des symboles, ni dans la vie quotidienne, au milieu du XIIe siècle, va prendre une place de plus en plus grande au fil des siècles et des décennies. et surtout cette couleur qui devient La dynastie, chez les Capétiens, va devenir au fil du temps, en plus, monarchique, étatique, nationale. A partir du XVIIIe siècle, on peut dire que le bleu est la couleur de la France.

  • Speaker #1

    Républicaine.

  • Speaker #0

    Et puis, la République, qui en général rejette tous les emblèmes de l'ancienne royauté, garde la couleur bleue, justement parce que c'est devenu... Avant même la Révolution, la couleur de la nation, l'histoire des rapports entre l'État et la nation, pour l'historien, c'est une histoire absolument passionnante. Il y a des pays en Europe où la nation est née avant l'État et il y en a d'autres où l'État est né avant la nation. C'est le cas de la France. Donc la République garde la couleur bleue comme couleur nationale et elle l'est encore aujourd'hui. Quand tous les sportifs français ou qui représentent la France sur un terrain de sport s'affichent en maillot bleu, c'est la couleur nationale. Et ça donne le vertige de penser que ce bleu national, il est dû à un pauvre cochon domestique vagabond qui s'est mis dans les jambes du cheval du fils du roi de France. C'est l'hypothèse que développe mon livre. Ça a l'air extravagant et pourtant ça se tient. Donc moi qui suis surtout historien des couleurs et des animaux, je vois un phénomène de très longue durée et je me réjouis que... Malgré des tentatives pour changer la couleur des maillots des équipes nationales de France, on en revienne quand même au bleu parce que ce bleu, il vient de très très loin. Cela dit, je suis assez pessimiste parce que je pense que les Irlandais sont plus forts que les Français.

  • Speaker #1

    Ce bleu vient de très très loin et je dirais pour conclure que l'histoire que vous nous avez racontée ce soir vient de loin aussi. vous expliquez dans votre livre que la question de l'incident de 1131 vous turlupine, si je peux empointer ce mot familier, depuis fort longtemps. Et c'est au terme de tous vos travaux, des raldiques, de symboliques, des couleurs et des animaux que vous avez repris cet incident, cet accident pour en arriver aux conclusions que vous venez de nous présenter. Bel exemple d'histoire longue aussi, cette fois-ci à votre niveau personnel.

  • Speaker #0

    Oui, un peu narcissique ce que je vais dire mais... C'est vrai, même si ça a l'air extravagant, que je pense à ce livre, en tout cas à ce dossier, depuis que je suis lycéen. Parce que je m'intéressais déjà, quand j'étais lycéen, je suis né dans les livres, il y a beaucoup d'historiens dans ma famille, je m'intéressais déjà à la place des animaux dans l'histoire. Et c'était la petite histoire à l'époque. Et j'avais lu dans un ouvrage que possédait mon oncle, dans sa bibliothèque, un ouvrage d'Ancien Régime. une dizaine de lignes sur cet événement. On en parlait encore dans les livres d'histoire de France d'Ancien Régime, et puis à partir de l'histoire positiviste du XIXe siècle, on n'en a plus parlé. Un animal, un cochon, n'avait absolument rien à faire sur le devant de la scène de la grande histoire. Et donc moi, j'avais 14, 15, 16 ans, je ne sais plus, quand j'ai pris connaissance de cet événement, puis après, par mes études, ma thèse, etc., je suis devenu historien des emblèmes et des symboles, historien des couleurs et historien des animaux. Et au fond, ce dossier m'a donné l'occasion de croiser mes trois terrains de recherche préférés, ceux que je viens de nommer pour faire ce livre où l'on parle en effet d'animal, le cochon homicide, régicide même, on parle de couleur, la couleur bleue, et d'emblèmes et de symboles, les armoiries du roi de France et leur prolongement.

  • Speaker #1

    Nous voilà arrivés au terme de ce café littéraire. Nous vous remercions Michel Pastoureau pour les éclaircissements que vous nous avez apportés sur votre livre. En attendant, je crois qu'on peut le remercier mille fois encore.

Chapters

  • Générique

    00:00

  • Conférence

    00:33

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