- Speaker #0
Les Aventures de Moustache Malloré, Tome 1, L'esprit de famille, Une histoire originale, écrite et mise en voix par Mademoiselle M. Pour bien écouter, on va faire un petit voyage avec notre souffle. Assieds-toi confortablement. Tu vas imaginer que ton souffle est un petit train. Quand tu inspires par le nez, le train entre dans un long tunnel. Il traverse ta poitrine, ton ventre. Et quand tu expires par la bouche, le train ressort du tunnel. Inspire, le train entre dans le tunnel. Expire, il ressort. On le fait trois fois en voyageant tout doucement. Inspire, expire. Inspire, expire. Inspire et expire. Grâce aux podcasts, tu vas développer une capacité à visualiser et à créer des images mentales. Ton esprit est maintenant concentré sur ce voyage intérieur, prêt à partir pour un autre voyage, celui de notre histoire. Chapitre 17 : Fais-toi oublier Je décidai d'aller rendre visite à Mike. J'avais grandement besoin de me changer les idées. Je n'avais aucune envie de passer la soirée à les observer. Une forte amitié nous liait, Mike et moi. J'espérais qu'il aurait de bons conseils à me donner. Et puis, que ferais-je de plus ici ? Aider les Malloré à ranger ? Certainement pas. Après tout, Franck m'avait congédié. Il n'avait qu'à se débrouiller. Quand j'arrivai il était allongé sur la balancelle en train de somnoler. Je grimpai sur les marches du perron son oreille bougea légèrement. "Qui va là ? marmonna-t-il la voix pâteuse. Cette question était purement formelle. Le vieux chat, perspicace, avait reconnu mon pas. « Salut Mike, c'est moi... » Immédiatement, ma petite voix triste l'inquiéta. Il dressa aussitôt son museau vers moi. « Ça va ? » me demanda-t-il, un peu alarmé. Moustaches baissées, j'optai pour l'honnêteté. "Pour tout t'avouer, pas vraiment..." Il se releva, curieux d'en savoir davantage. « Je suis dans un sale pétrin... » , déclarai-je. Il sourit avant de tenter une plaisanterie, espérant ainsi dédramatiser l'aveu que j'étais sur le point de lui livrer.
- Speaker #1
« Gros Jack t'a surpris en train de traverser sa pelouse bien taillée ? »
- Speaker #0
Je secouai la tête, accueillant sa boutade avec indifférence. « Si ça avait été le cas, je serais déjà mort et enterré. » Gros Jack était le dogue argentin de M. et Mme Marshall. Ce couple de retraités, attentionnés et prévenants, était très apprécié dans le quartier. Mike et moi les croisions fréquemment. Ils habitaient près de là, tout au bout de l'allée du Bois. La silhouette de Mme Marshall me revint brièvement en mémoire. De constitution assez robuste, elle était grande et charpentée. Cependant, elle avait un regard très doux, presque onctueux, qui attendrissait ses traits. Les rides de son visage lui dessinaient de tendres éventails au coin des yeux, et quand elle cuisinait, c'était toute la rue qui embaumait. Son mari, lui, était un peu plus âgé. Il était éternellement coiffé d'un béret. Ce dernier, utile pour dissimuler sa calvitie que rien n'arrêtait, avait aussi l'avantage de le protéger du froid. M. Marshall était très frileux il ne sortait jamais sans une de ces fameuses vestes en tweed qui lui donnaient un air chic et élégant, en plus de le réchauffer. Ses sourcils broussailleux s'étiraient en deux vagues symétriques qui surplombaient le haut de ses lunettes... Pour lui, les ciseaux ne servaient qu'à couper du papier : il ne lui serait jamais venu à l'idée qu'il puisse l'aider à dégager sa vue. Il marchait aussi souvent que possible, sa femme l'accompagnait volontiers. Attentive aux moindres signes de fatigue, elle réglait ses pas au rythme de ceux de son mari. Quand ils se promenaient, ils avaient toujours un mot agréable pour les habitants du quartier, s'arrêtant régulièrement pour bavarder. En repensant à leur fils, je ne pus cependant m'empêcher de grimacer... Hector était un jeune homme sec et peu avenant, qui daignait rarement prendre des nouvelles de ses parents.Pendant longtemps, il n'était passé chez eux qu'en coups de vent. Puis un jour, allez savoir pourquoi, Hector avait laissé son chien à ses parents. S'il venait à présent les voir plus régulièrement, il n'était pas devenu plus aimable pour autant. M et Mme marshall avaient quand même été bien embêtés... Même si l'on décidait d'occulter ces quatre-vingts kilos de muscles, Gros Jack demeurait
- Speaker #2
terrifiant. Ce n'était pas un chien, non, c'était un véritable monstre...! Avec
- Speaker #0
son pelage ras et son regard perçant Gros Jack donnait la chair de poule à tous les chats du quartier. Nul doute cela dit que ça l'amusait. Il avait le corps blanc, glacé, comme... un albinos. Deux horribles billes noires et un pas lourd, qui inspiraient une peur bleue à quiconque le croisait sur son chemin. Quand il flairait une présence étrangère, peu importait laquelle, Gros Jack ne faisait pas dans le détail : il se mettait instinctivement à grogner. Narines fumantes, museau écumant de rage, un simple pas en avant suffisait à dissuader les curieux. Même le sol tremblait quand il se déplaçait. C'était un animal dressé dans un seul et unique but, défendre son territoire. Et, en dehors d'Hector et de ses parents, il n'admettait personne sur le pâté de maison des Marchals. « Je suis dépité, poursuivis-je. « La grand-mère de Saint-Mécaro a débarqué ce soir. » « Ah,
- Speaker #1
ce n'est que ça, ton problème ? »
- Speaker #0
Il s'étira de toute sa longueur, et je l'entendis bailler, avant d'émettre un petit rire amusé.
- Speaker #1
« Les enfants s'occupent moins de toi depuis qu'elle est là. C'est ça que tu ne supportes pas ? »
- Speaker #0
lança-t-il pour me taquiner. « Mais non... » répliquai-je, « tu n'y es pas du tout.
- Speaker #1
Dis-toi que ça ne va durer qu'un temps, puis tout rentrera dans l'ordre quand elle aura mis les vols. »
- Speaker #0
Puis il s'affaissa de nouveau légèrement.
- Speaker #1
« Avec un peu de chance, t'auras aussi ta part du gâteau, t'y as pensé ? Elle va te dorloter comme un nouveau-né. Elles font toujours ça, les vieilles. » « Couche-toi un peu sur ses genoux pendant qu'elle regarde la télé, tu verras. Même la mienne, de vieille, elle n'y résiste pas. »
- Speaker #0
« Ça va pas, non ? » hoquetai-je. « Tu ne la connais pas. Henriette n'est pas une grand-mère, disons, ordinaire. Tu ne peux pas l'attendrir si facilement. Elle est du genre coriace. J'en sais quelque chose. » Je marquai un temps d'arrêt. Et puis, je ne t'ai pas tout dit. « Ah bon ? » Il y a pire. Il dressa son oreille déchirée vers moi. « Elle a... un chien. » Sa réaction fut bien plus vive que je ne l'imaginais. « Quoi ? Un chien ? » « Oui, un caniche... Rousquille." A ces mots, Mike se releva d'un bond. » « Par tous les Saints ! Un caniche ? » répéta-t-il pour s'assurer qu'il avait bien compris ce que je disais. Il laissa passer un moment de réflexion, arpentant le perron de droite à gauche, opérant des demi-tours de plus en plus nerveux. Tout à coup, je le vis s'arrêter net. Il me regarda droit dans les yeux avant de déclarer. « Mon pauvre, t'es foutu ! » dit-il d'un air profondément affligé. Le son de sa voix, grave, fut sans appel. Moi qui cherchais du réconfort, je me retrouvais bien bête. Déçu , je baissais le museau. « Tu ne peux rien faire contre un caniche. » Les mots qui succédèrent sonnèrent comme un funeste présage. « Ta vie va devenir un enfer ! » Il marqua une pause, songeur. « Elle fera tout pour t'éliminer ! » Je sentis une profonde colère enserrer ma gorge. « M'enfin, Mike ! » rétorquai-je pour ma défense. « Ça fait plus de six mois que je vis chez les Malloré, et tu sais comme moi qu'ils m'adorent ! » Cet argument ne le convainquit pas. Je laissai passer quelques instants, puis repris plus timidement, défendant l'hypothèse qui était la mienne. "Je me disais qu'il suffisait simplement de serrer les crocs une semaine, le temps que son séjour arrive à son terme." Mike secoua la tête, sceptique.
- Speaker #1
C'est probablement ce que tu as de mieux à faire...
- Speaker #0
Quoi qu'il en soit, ça va être la pire semaine de ta vie. Nous entendîmes un bruit de clochette tintinambuler depuis l'étage. Bon, faut que je te laisse, en ce moment Jojoko fait vraiment n'importe quoi. Hier, elle s'est endormie dans son fauteuil en oubliant d'éteindre la gazinière. Non mais tu te rends compte ? Heureusement que je suis rentré à temps. Elle aurait pu mettre le feu à toute la maison. » J'ouvris des yeux étonnés. « Dis donc, ça s'arrange pas, on dirait. Elle doit probablement chercher ses pilules pour la nuit.
- Speaker #1
Elle a dû oublier qu'elle les avait mises dans la boîte à pharmacie.
- Speaker #0
Vas-y, mon pote, file ! » dis-je en levant la patte. Il sauta de la balancelle avant de marquer un nouveau temps d'arrêt. Il me regarda une dernière fois d'un air désolé.
- Speaker #1
« Un conseil,
- Speaker #0
mon pote. Fais profil bas. Juste quelques jours.
- Speaker #1
Les choses vont se tasser,
- Speaker #0
puis tu verras bien après. » Je Ausha la tête pour le remercier, puis le vis se faufiler par la fenêtre ouverte avant de disparaître. Il avait sûrement raison. Pour le moment, mieux valait que je me fasse oublier.