Speaker #0Les Aventures de Moustache Malloré. Tome 1, L'esprit de famille. Une histoire originale, écrite et mise en voix par Mademoiselle M. Tu sais, parfois, on a de petits nœuds dans le corps ou dans la tête. Ensemble, on va apprendre à les défaire. Serre très fort tes poings, serre tes muscles et avec tout ça, fais un gros nœud. Tiens bon quelques secondes. Maintenant, relâche tout d'un coup en soufflant. Sens-tu le nœud se défaire ? On refait ça deux fois. Serre tout, fais un noeud, puis relâche en soufflant. Serre, fais un noeud et relâche. Voilà, ton corps est maintenant prêt et détendu. Écouter des podcasts, c'est génial parce que ça développe ton imagination d'une manière tout à fait unique. Je te souhaite une très bonne écoute. Chapitre 18 : De nouveaux appartements. U ne bonne heure s'était écoulée depuis mon accrochage avec Rousquille. Je déambulai tristement en me rapprochant de la maison sans grand enthousiasme. J'avais le front bas, les épaules flasques et le moral en berne. Mes pattes, étonnamment molles, semblaient pourtant peser des tonnes. Tout était calme alentour. La maison des Malloré se dressait derrière une haie. Qui aurait pu soupçonner que, derrière les murs lisses de cette charmante maison en briques, une véritable guerre de territoire était en cours ? Personne n'aurait pu deviner, tant un silence plat régnait. Depuis la bagarre, j'avais l'estomac douloureusement noué. Deux clans s'opposaient. Quelle serait l'issue du conflit ? Je n'en avais pas la moindre idée. Devant l'entrée, je distinguais la lumière jaune qui filtrait. Les Malloré ne dormaient pas. J'avançais sur le gravier de l'allée, reniflant ça et là à la recherche d'une information quelconque. C'était surprenant. Je ne percevais rien d'alarmant, que des odeurs familières autour de moi. La truffe aux aguets, je furetais. Si je n'avais pas moi-même assisté à l'arrivée de la trouble-fête, rien de ce que je percevais n'aurait pu m'alerter, en dehors des volets roulants qui avaient été fermés et de la voiture qu'on avait déplacée. Elle était à présent garée sur le chemin qui descendait jusqu'au garage. Je commençais à m'inquiéter... Et si personne ne m'ouvrait ? Je m'imaginais déjà passer la nuit dehors, terrorisé à l'idée de me retrouver nez à nez avec Gros Jack tapis derrière une haie ou caché à l'angle d'une ruelle étroite, en embuscade. Il chassait tous les soirs dans le quartier à la faveur de l'obscurité. Soudain, j'entendis quelqu'un déverrouiller une porte au bas de l'allée. J'accourus en direction du bruit métallique lorsque, tout à coup, je vis dépasser la tête de Samuel qui m'appelait. « Ah, Mousse, te voilà enfin ! » Le poids écrasant de ma poitrine se fit soudain plus léger. Il y en avait au moins un qui me cherchait. "Je commençais à m'inquiéter. Où avais-tu disparu ? » Je lui fis une fête du tonnerre : je me frottais à ses chevilles, ronronnant aussi fort qu'un moteur d'avion prêt à décoller. Ne résistant pas à l'envie de me prendre dans ses bras, il fourra son nez busqué dans mon cou et me câlina. « Je suis content de te voir, canaille ! » Puis, reprenant un air plus sérieux, il déclara. « Mon vieux, tu lui as mis une sacrée dérouillée, à la Rousquille ! » Je me mis à ronronner de plus belle, flatté du compliment. « Oh, inutile de pavoiser ! » me sermonna-t-il. « Votre prise de bec rend cette cohabitation encore plus compliquée que prévue. J'ai exigé de rester dormir avec toi, mais il faut que tu te tiennes à carreau,dit-il en pointant un doigt sur moi. Je me suis fait sacrément allumer par Papa. » Je le regardai et miaulai, reconnaissant, pour le remercier. « Je n'allais quand même pas t'abandonner, » me dit-il en me gratifiant d'un clin d'œil complice. Il recula ensuite vers l'intérieur de la maison, en refermant la porte derrière nous d'un geste prudent. Puis, il emboîta le couloir étroit et poussa doucement une poignée abîmée. C'était celle d'une porte en bois qui attendait depuis des années d'être peinte. Le poil que Franck avait dans la main allait bientôt pouvoir lui servir de canne, pensais-je cyniquement. Tout à coup, j'entendis Samuel modifier sa voix, qui se teinta d'accents conspirateurs. « Regarde, chuchota-t-il en me désignant la pièce, je nous ai installés ici. Voici notre nouvelle chambre, Moustache. J'espère qu'elle te plaît. » Si elle me plaisait ? J'étais enchanté ! Et ravi de constater que la résistance s'organisait... Une chute de moquette recouvrait la plus grande partie du sol, constituée d'une chape brute en béton. Dans l'angle, un tabouret avait été descendu de l'étage et une lampe de chevet diffusait une lumière suffisante pour s'orienter, sans toutefois être aveuglé. D'habitude, un puissant néon accroché au plafond éclairait le garage avec un grésillement irritant. J'étais très agréablement surpris par ce nouvel aménagement. Et en si peu de temps ! D'ordinaire assez miteux, le garage avait fait l'objet d'un réel effort de décoration. La pièce vibrait maintenant d'une ambiance chaleureuse, et elle me satisfaisait pleinement. Un matelas gonflé à bloc trônait fièrement au milieu du ruban de moquette. Il était recouvert d'un linge fraîchement lavé, d'une housse de couette et d'un coussin aux motifs marins. Ces rayures bleues et blanches suffisaient à égayer l'atmosphère austère que dégageaient les murs en parpaing tristement gris. Ma panière, elle, avait été installée juste à gauche du lit. Trois gamelles remplies à ras-bord d'eau, de croquettes et de pâtée se trouvaient juste en face. Bien que meublée chichement, cette pièce nous offrait tout ce dont nous avions besoin. Samuel, comblé, affichait un sourire radieux. La voix aiguë de Caroline vint soudain percuter mes tympans. « J'en ai marre, c'est toujours Samuel qui a tout ! » rouspétait-elle, escortée par son père. Je l'entendais râler tandis qu'elle descendait les escaliers. « Ne me dis pas que, toi aussi, tu aurais voulu dormir dans le garage ? » Samuel se retourna, réagissant aussitôt. « Il fait plus froid qu'en haut, tu sais ! » la prévint son frère, tandis qu'elle déboulait dans la pièce. « C'est pas pour les fillettes ! » « C'est trop bien de dormir ici ! » s'exclama-t-elle en allongeant le cou, jalousant le nouvel espace dans lequel Sam et moi allions camper toute la semaine. « Tu te rappelles qu'il n'y a pas de toilette au garage, et qu'il est plein d'araignées ? » Samuel leva un doigt en direction du plafond. « Regarde leurs toiles, tu les vois là ? » fit son frère en lui indiquant la myriade de fils gris, perlés de taches noires, qui pendaient sinistrement au plafond. « Elles en sont pleines ! Il y en a des dizaines ! » Elle eut un mouvement de tête circulaire. Elle avait l'air de moins en moins rassurée. Il détaillait le décor au-dessus de sa tête, visage fermé. Accrochées aux angles du plafond, de multiples toiles d'araignées pendaient mollement dans le vide. « Bien sûr, celles-ci sont inoffensives... » Samuel laissa passer une seconde de silence. « Mais ce n'est pas le cas des autres... » Caroline avait peine à déglutir. « Les tégénaires, les folques, passe encore ! » « Mais les araignées sauteuses, cachées sous l'établi... Elles piquent, tu ne savais pas ? » La voix de sa sœur se serra d'un coup. "Ah... ah bon ? " balbutia-t-elle, inquiète. Son visage acheva de se décomposer tandis qu'elle tournait le cou vers le meuble indiqué : de longues toiles d'araignées s'étiraient au-dessous. « C'est toi qui vois ! » Fièrement, elle fit mine de peser le pour et le contre quelques instants, bien que sa décision fût déjà prise. « Bon, euh... on verra demain ! » Sam et moi échangeâmes un regard entendu. « C'est vrai que je me lève souvent la nuit pour faire pipi. » dit-elle, jetant ça et là des regards nerveux autour d'elle. « Je crois que c'est plus raisonnable, en effet. Dans l'obscurité, tu pourrais tomber dans les escaliers et t'assommer. Imagine l'état dans lequel on te retrouverait ! » Elle fit une moue dégoûtée, puis tourna les talons et remonta les escaliers à toute vitesse. Courageuse, mais pas téméraire, notre petite allumette. Samuel esquissa un sourire, satisfait de sa prestation. Puis il s'adressa de nouveau à moi. « On va être bien ici. » « Rien que toi et moi. » Je répondis par un miaulement heureux. « T'inquiète pas, Moustache, ce n'est qu'une affaire de quelques jours... » assura Franck. Le son de sa voix m'arracha un grognement. Il voulut m'adresser une caresse amicale, mais j'évitai son geste d'un recul rapide. Franck se releva avant de sourire, beau joueur. Il tourna la tête vers son fils. « Et toi, l'ado révolutionnaire, le grand redresseur des injustices félines, ne te plains pas si tu as froid ! Maman t'a descendu une couette supplémentaire, tu n'auras qu'à te débrouiller avec." Ce dernier répondit avec assurance que ça irait. "On vous appellera tous les soirs depuis l'hôtel. Soyez sages avec Mamie, d'accord ? Et prends bien soin de ta sœur pendant notre absence. On compte sur toi." D'un hochement de tête, Sam acquiesça. Puis ils se prirent dans les bras, et Franck, enfin, nous laissa. Sam et moi. "C'est ça. Bonne nuit, Judas". Samuel s'allongea sur le matelas de tout son poids. J'agrippai aussitôt sa manche et commençai à la mordiller. Mais ce dernier n'était pas d'humeur à jouer. Il se recroquevilla sur moi et me sourit d'un air navré. « Désolé, Moustache, pas ce soir... » Je lui adressai un regard étonné. À son visage froissé, je compris que, même s'il tentait de le dissimuler, la situation le préoccupait. Il avait le moral dans les chaussettes. Tu as agi de façon très courageuse, miaulai-je. Ces deux mégères ne perdent rien pour attendre, tentai-je de le réconforter. Il me cajola quelques instants mais, très vite, la fatigue l'emporta. Bercé par mes ronronnements réguliers, il s'endormit peu après. Moi, pelotonné tout contre lui, je me sentais plus apaisé que jamais. Ce soir, j'avais acquis une certitude : contre vents et marées, Samuel serait toujours à mes côtés. Ce garçon-là, c'était mon arc-en-ciel à moi.