Speaker #0Les Aventures de Moustache Malloré, tome 1, L'esprit de Famille. Ce podcast a été écrit et mis en voix par Mademoiselle M. Choisis un lieu calme, privilégie un endroit où il y a peu de distractions sonores et visuelles. Cela peut être un coin tranquille de ta chambre, le salon avec la lumière tamisée ou même dehors si l'environnement le permet. Positionne-toi ensuite confortablement, s'asseoir ou s'allonger favorise la concentration. Elimine les distractions. Éteins la télévision, range tes jouets, ferme les portes de la pièce dans laquelle tu es installé. Tu peux aussi éventuellement demander à ton entourage de ne pas te déranger pendant la durée de l'écoute. Voici enfin un tout dernier conseil qui me semble important. Prépare le support d'écoute qui te convient le mieux. Un casque audio, par exemple, peut t'aider à te concentrer et à mieux entendre certains détails du podcast. Je te souhaite à présent une très belle écoute, en compagnie de Moustache et de la famille Malloré. Chapitre 7 : L'Annonce. Comme tous les matins, nous prenions le petit-déjeuner dans la cuisine. J’étais privilégié : Annie me servait toujours en premier. Pour être honnête, elle n’avait pas vraiment le choix... Car comme on dit, ventre affamé n’a pas d’oreilles. Le matin, le mien passait son temps à casser celles des autres ! Dès qu’elle allumait la lumière, je dévalais les escaliers quatre à quatre en miaulant à la mort, puis je la pressais, nerveux. - Y’a quoi à manger ? Dis, y’a quoi, y'a quoi ? Elles sont où les croquettes ? Hé ! Dis, y'a quoi à manger ? Pour finir par couiner : J'me sens pas bien Annie j’ai la tête qui tourne, je fais un malaiiise... Oui, mon attitude ressemblait de près à du harcèlement. Je n’étais pas patient, l’estomac creux… Je la suivais partout, comme un paparazzi. Cela n’avait pas l’air de l’alarmer. De son côté, elle prenait soin de m’éviter en souriant, d’un air à moitié désespéré : - Oui Moustache... j’ai compris, ça vient... Elle tentait par tous les moyens de me faire patienter ; elle mesurait certainement mal à quel point je souffrais. Quand enfin elle déposait ma gamelle sur le carrelage, je me jetais sauvagement dessus et j’allais jusqu’à pousser sa main pour engloutir son contenu au plus vite. Bien que ce ne fût pas le cas, je devais passer pour un ingrat. - Et voilà pour toi, mon petit cœur... Et c’est ainsi qu’Annie me subitement à la vie tous les matins. Au fil du temps, ce rituel nous avait rapprochés, elle et moi. Annie était une très belle femme, brune, mince, au sourire franc, qui mettait instantanément les gens à l’aise. Elle avait de grands yeux marron, qui pétillaient de joie dès qu’elle se levait, et des joues creuses sous de petites pommettes osseuses. J’adorais les taches de rousseur qu’elle avait sur le visage : son teint pâle les mettait joliment en valeur. Souvent, un chignon relevait ses cheveux bouclés. Elles les avait longs jusqu’aux épaules. Elle aimait avoir la nuque dégagée quand elle travaillait, et les cheveux lâchés quand elle se reposait. Cette femme avait une beauté naturelle à couper le souffle… Et, pour tout vous dire, j’en pinçais méchamment pour elle. Je la trouvai tellement élégante ce jour§là, dans son tailleur bleu et blanc subtilement rayé. Elle avait probablement un rendez-vous important. Le seul obstacle entre elle et moi, finalement, c’était son mari. Je me demandais d’ailleurs souvent ce qu’elle lui trouvait… Depuis l’histoire de mon prénom, j’avais une dent contre lui. C’était un fait. Mais, au cours de ces derniers mois, j’avais aussi eu l’occasion de l’observer attentivement… C’était un homme on ne peut plus ordinaire ! Franck avait les cheveux châtain, coupés courts, il était de taille moyenne. Ni grand ni petit. Ni maigre ni gros. Comme je vous le disais, il était quelconque. Désespérément banal... Si commun, que rien ne le distinguait particulièrement de ses autres congénères. Cela dit, comme je ressentais un peu de peine pour lui, je faisais peut-être un portrait trop flatteur… En vérité, entre sa calvitie naissante, son ventre rebondi et ses verres progressifs qui lui agrandissaient outrageusement les yeux, il fallait avouer qu’il avait la quarantaine plutôt ingrate, le pauvre. De son côté, il feignait une parfaite indifférence à mon égard... Je n’étais pas dupe : mon élégance et ma fougueuse jeunesse devaient fortement l’agacer. J’avais également étudié les traits de sa personnalité avec grande attention : bien qu’il occupât la place du chef de famille, il n’était franchement pas à la hauteur de cette fonction. En premier lieu, il était tête en l’air, et terriblement maladroit. En plus de ça, il était souvent distrait : il n’écoutait que d’une oreille, ce qui obligeait régulièrement la pauvre Annie à se répéter... Je me demandais parfois où elle puisait une telle patience. Au-delà de ce tempérament étourdi, Franck n’était pas manuel pour un sou. De sa vie, il n’avait jamais réussi à utiliser correctement une visseuse ! Par conséquent, tout ce qu’il bricolait dans la maison pouvait à tout moment vous rester entre les mains… Mieux valait le savoir, question de sécurité. Pour finir, il était nul au foot, et ne savait pas non plus raconter les blagues... Les enfants ne manquaient pas de se moquer de lui à ce sujet. Lui feignait d’en rire, bêtement. Au fond, il devait bien se rendre compte qu’il se ridiculisait... Si le plus souvent il me faisait pitié, il m’agaçait aussi parfois prodigieusement : il avait toujours le dernier mot ! Et je ne parvenais pas à comprendre pourquoi. Comme s’il était doté d’une autorité naturelle, que seuls les Malloré pouvaient percevoir. Avec moi, toutefois, cela ne marchait pas. Il ne m’impressionnait absolument pas. Je me rassurais intérieurement : un jour ou l’autre, Annie ouvrirait fatalement les yeux... J’étais tellement plus attachant que lui ! Alors tôt ou tard, elle finirait par le quitter... Et, ce jour-là, elle me tomberait dans les pattes, je le savais… Il me suffisait simplement de patienter. Un bruit sec mit un terme à ces réflexions, et me fit lever la tête. En haut, les portes s’étaient mises à claquer : les autres membres de la famille allaient débarquer, sonnant ainsi la fin de notre tête à tête privilégié. Généralement, c’était Caroline qui descendait la première. Le matin, ses yeux ressemblaient à deux belles pâquerettes sous l’étendard de ses cheveux en bataille. Elle portait une coupe courte, blonde comme les blés, et avait la peau plus claire que du lait de soja. Son visage d’ange était un leurre : la petite fille pouvait se transformer en monstre si vous osiez lui parler avant qu’elle ait pu finir d’avaler son petit-déjeuner ! Tous les matins, Annie la laissait donc se réveiller sans la brusquer, dans le silence le plus complet. De temps à autre, elle jetait un rapide coup d’œil vers sa fille, et la regardait discrètement siroter son bol de chocolat chaud, à petites gorgées, les yeux perdus dans le vague. Si Caroline avait besoin de temps pour émerger, son frère, lui, démarrait au quart de tour. Il filait directement sous la douche et ressortait, deux minutes plus tard, frais comme un gardon ! Il passait ensuite un gros quart d’heure à essayer de discipliner sa mèche brune qui lui tombait invariablement sur le front tant que le gel n’avait pas séché... Dire qu’il était écrit Fixation extrême, sur le tube. On entendait l’adolescent de quatorze ans arriver de loin… Il écrasait chaque marche de l’escalier d’un pas lourd et puissant. Il se déplaçait avec l’agilité du lion et la souplesse d’un éléphant en surpoids ! Comment réussissait-il cet exploit ? En toute honnêteté, je l’ignorais. Mais cela m’amusait. Franck, enfin, venait les rejoindre en dernier. Il faisait généralement son entrée, l’œil rivé sur sa montre, toujours pressé, resserrant un nœud de cravate plus ou moins bâclé selon les jours. Une fois qu’ils furent tous réunis en bas, Annie et Franck échangèrent un regard, puis se retournèrent vers leurs enfants. Ils avaient une annonce à leur faire : - Sam, Caro, vous voulez bien écouter une minute s’il vous plaît ? Nous avons quelque chose d'important à vous dire... Ils levèrent aussitôt le nez. De mon côté, je me figeai, oreilles dressées. Annie prit une profonde inspiration, avant de déclarer : - Nous avons demandé à... Mamie Henriette de venir vous garder cette semaine, balança-t-elle alors d’une traite. A leurs mines défaites, on aurait dit qu’elle venait de lâcher une bombe... Aussitôt, de vives protestations s’élevèrent : les enfants n’avaient pas l’air content du tout !