- Isabelle Wagner
Avec Céline Rippoll, nous sommes, pour tout vous dire, dans un cinéma, à l'intérieur d'un immense cinéma, accolé à une fenêtre, avec vue sur le bassin à flots à Bordeaux, et avec ces petits bruits d'ambiance de la rue, les voitures qui passent. C'est sympa finalement, parce que ça montre bien la mouvance de la vie, une mouvance de la vie qui nous emmène parfois très très loin. Oui. Comme vous, Céline ? Oui. Vous nous avez parlé de cette arrivée sur l'île de Pâques pour ne pas séparer la famille de l'homme avec qui vous étiez. Vous voulez repartir. Le retour vers l'île de Pâques était imminent en ce qui le concerne. Et là commence une nouvelle vie, à trois, puis à quatre ? Oui.
- Céline Ripoll
La quatrième, elle est arrivée un petit peu plus tard. J'étais comme hypnotisée par ce rêve de la famille. Voilà, il fallait qu'on y arrive, il fallait être heureux. De toute façon, on avait tout pour être heureux, donc il n'y avait pas de raison. Les gens en France étaient un peu tendus, des colères, etc. Ils faisaient la musique sur certains de mes spectacles. Ils étaient tout le temps en colère parfois, même avant de monter sur scène. Je ne savais pas s'il allait monter sur scène ou pas. Enfin, c'était des stress énormes. Vous savez, c'est un peu comme... C'est cette histoire de la grenouille qui est dans une casserole d'eau. Au début, c'est froid, on met le feu dessous, puis ça tiédit tout doucement. Puis, finalement, on va s'y habituer. Et le jour où c'est bouillant, c'est trop tard. Et j'étais là-dedans, j'étais habituée à ses colères, etc. Et ça passait, c'est parce qu'il est loin de chez lui. Il y a toujours une liste d'excuses absolument extraordinaire. Et quand on arrive sur l'île, le premier jour, J'ai au milieu du salon, dans cette maison que nous avons, j'ai au milieu du salon un tas de cartons, qui sont essentiellement mes livres, c'est mon déménagement. J'ai tout vendu, j'ai laissé les choses sur le trottoir trois jours avant Paris. Et on arrive là, et il me dit « je vais, je reviens » . Il part, il pleut ce jour-là. Et il ne reviendra qu'à 2h du matin, dans un état pas possible.
- Isabelle Wagner
Alcoolisé ?
- Céline Ripoll
Oui, je ne l'ai jamais vu comme ça. Et là, je dis mince. Et je me dis, non mais c'est pas grave, c'est le premier jour, il retrouve ses copains, etc. Moi, je suis toute seule avec ma petite fille d'un an et demi. Je me dis, bon, le lendemain, je vais, je reviens. Troisième jour, je vais, je reviens. Et là, je me dis, mais... qu'est-ce qui se passe ? Je ne peux pas sortir, je ne parle pas espagnol, il y a une tempête pas possible, et j'ai là toujours mes cartons, je me dis, non, non, mais je ne peux pas faire demi-tour. Je ne peux pas faire demi-tour. Tout le monde en France sait que je suis partie, tout le monde rêve pour moi de cette île de Pâques. L'île de Pâques, ça fait rêver le monde entier. Je ne peux pas faire demi-tour. Je n'ai pas vendu ma maison pour faire demi-tour. Et donc, je vais rester quasiment, la tempête va durer quasiment une semaine.
- Isabelle Wagner
Il revient régulièrement ?
- Céline Ripoll
Oui, il revient dans le petit matin, à l'heure où les dernières étoiles disparaissent.
- Isabelle Wagner
Et toujours alcoolisé.
- Céline Ripoll
Oui, et là, je ne comprends pas. Il y a même des moments, j'appelle sa mère tellement je suis inquiète. Et en fait, les gens me disent, mais laisse, mais laisse, mais laisse. Parce qu'en fait, je ne comprends pas. que c'est une habitude, une normalité. Moi, quelqu'un qui ne rentre pas à 11h du soir, c'est qu'il a eu un accident. Là, pas du tout. Et d'ailleurs, quand je vais appeler sa mère, il va me gueuler dessus en disant « Mais tu ne peux pas appeler tout le village ! » Non, mais je suis inquiète. Et lui, il ne croit pas que je suis inquiète. Il pense que je le surveille. Alors que moi, je n'ai pas encore compris que c'est un système. Voilà, et puis les choses vont se mettre en place et à peine quelques mois, je vais refaire encore un voyage, un aller-retour en France parce que j'ai beaucoup, beaucoup de contrats. Donc je vais repartir trois mois et quand je reviens en décembre, il va y avoir la nuit du 31 décembre 2006 au 1er janvier 2007. Et là, je vais passer une nuit dans une boîte de nuit avec lui. où il va passer la nuit à me hurler dessus, hurler mais véritablement dessus. Et au petit matin, quand on part, il est 7h du matin, on part, on prend la voiture pour rejoindre l'autre côté de l'île où ma petite fille est avec ses grands-parents. Sur le trajet, il va m'envoyer un coup de poing dans la figure, je suis au volant, mes lunettes vont se casser sur mon nez, et donc s'enfoncer dans mon nez. Je n'ai jamais reçu de coups. Il m'avait poussée ou il m'avait engueulée, mais de coups comme ça, jamais. Et je vais rester dans le chaos. Je vais arriver, je vais descendre de la voiture en hurlant, en pleurant. Donc je suis réceptionnée par mes beaux-parents. Ils vont l'engueuler et puis il va s'excuser. ça va se calmer et le mois suivant quasiment jour pour jour de nouveau là ça va être je sais plus pourquoi mais donc ça va être les bras couverts de coups de poing puis le mois suivant ça va être des coups de pied j'ai la jambe complètement bleu puis va me traîner dans le jardin tiré par les cheveux etc Et ça devient, là après c'est plus tous les mois, c'est tous les 15 jours en gros, des coups, des étranglements, des insultes, le couteau sous la gorge, etc. Et je suis en état de... en apnée. C'est-à-dire que je ne sais plus quoi faire, je ne parle pas la langue, je ne connais personne. Et en fait, personne ne réagit autour de moi. Personne ne réagit.
- Isabelle Wagner
Pourquoi personne ne réagit ?
- Céline Ripoll
Alors, il y a plusieurs choses. Les gens de l'extérieur disent tout le temps, « Non mais si elle reste, c'est que ça lui plaît, c'est que ce n'est pas si grave. Si elle reste, c'est qu'elle le tolère. » Déjà, il y a ça. C'est une très bonne manière de se dédouaner, d'agir. D'accord ? Déjà, c'est une chose. De toute façon, elle est grande, elle est majeure, elle est adulte, c'est elle qui le décide. Donc déjà, c'est une manière de dire « ce n'est pas ma responsabilité » . Ensuite, « ah ben oui, c'est leurs histoires, etc. » C'est complètement nié, mais après, je vous parle de ça, il y a plus de 15 ans, on ne parlait pas des mécanismes dans le cerveau, les neurosciences, etc., de comment le cerveau fonctionne. ou ne fonctionne pas justement, comment la peur congèle et empêche d'agir. En tous les cas, moi, je ne le savais pas tout ça. Et puis, oui, il y avait cette peur effectivement d'agir vis-à-vis de cet homme. Et puis, toutes les femmes de l'île l'ont tellement vécu. Et si elles ne l'ont pas subie, elles en sont actrices, c'est-à-dire que c'est elles qui sont violentes. que de toute façon c'est une société violente. Donc c'est une de plus. Il faut dire aussi une chose, c'est que je suis une Française avec une carte bleue, avec un gros potentiel de création, d'action, pour générer du travail, pour générer de l'argent. Et ça quand même, c'est quelque chose qui va rebondir sur la famille, sur les copains. Donc il ne faudrait pas que la Française parte tout de suite, parce que sinon on ne sait pas comment on va avoir un tracteur. On ne sait pas comment on va avoir telle chose et telle chose, etc. Il faudrait bien d'abord que la Française construise quelques maisons sur le terrain, qu'elle achète ci, qu'elle achète ça, et puis le jour où elle partira, ça sera pour nous. C'est une réalité.