- Isabelle Wagner
Bonjour Céline ! Bonjour ! Céline Rippoll qui est comédienne, auteure, conteuse. Enfin, elle fait beaucoup de choses. Céline, on l'a déjà compris dans le premier épisode, on continue à discuter de ce passé. On file de 2006 à 2022 de manière très consciente, puisque entre 2006 et 2022, il s'est passé beaucoup de choses, et notamment ces violences conjugales qui se sont mises en place. Vous étiez donc en 2022. dans la région Lens de Bordeaux et que vous avez lancé un seul en scène parrainé par un conteur extra, il s'appelle Yannick Jolin, et lui aussi avec une période un peu dure, une dérive sectaire, dont il a été témoigné d'ailleurs dans une série, La secte diffusée sur Salto en 2022. Alors pourquoi lui, précisément pourquoi Yannick Jolin ?
- Céline Ripoll
Ce sont les hasards de la vie qui m'ont fait vivre toujours des choses absolument extraordinaires. Quand je rentre en France en 2022, en août 2022, je pense que ça fait déjà deux ans que je suis séparée. J'ai fait une psychothérapie, j'ai déjà travaillé pas mal sur moi. J'ai quitté l'île de Pâques. Je rentre donc et je me dis que tout va bien. Mes filles font leur entrée en France et moi en octobre, je démarre mes premiers spectacles comme je faisais avant. Et là, j'ai une série de cinq spectacles et au bout du cinquième spectacle, je me dis j'arrête. Je ne veux plus raconter d'histoire. Ce que je raconte n'a plus de sens. Chanter le Pacifique, danser le Pacifique. En plus, je termine par le spectacle sur l'île de Pâques. Je me dis que c'est n'importe quoi. Je suis en train de mentir et de me mentir. Et puis, l'organisateur ne me voit pas très très bien. Je me rappelle que je téléphone même à une copine en lui disant « tu sais quoi, j'arrête. Je vais aller travailler dans une boulangerie. J'en peux plus. » Au moins, le texte là-bas, c'est toujours le même. Avec ceci, ça sera tout. Mais je ne peux plus mentir. Et donc cet organisateur me voit pas bien, il me dit Céline reste ce soir, il y a le spectacle de clôture, tu vas voir c'est un conteur. Je dis tu sais moi les conteurs ça me barbe quoi. Ah mais non c'est pas n'importe qui, c'est Yannick Jolin. Je dis mais moi je sais pas qui c'est. Ah bon ? C'est le plus grand conteur ? C'est lui qui a fait le nombril du monde à Pouigny-Risson. Ah je dis moi le nombril du monde ça suffit, parce que l'île de Pâques... C'est le nombril du monde. C'est comme ça qu'ils nomment leur île. T'es plutôt au Téhénour. Moi, les mecs avec le nombril du monde, ça suffit.
- Isabelle Wagner
Yannick Jolin, il est plutôt du Poitou.
- Céline Ripoll
Oui, c'est le nombril du monde. De De Sèvres, là, franchement. C'est moins exotique. Il me dit, tu vas voir, c'est un compteur. En plus, il raconte en patois. Je dis, oh là là, c'est gros. Bref, on y va. On y va. Et déboule sur scène un gars qui rentre en traînant une chaise. Nous, les conteurs, et paf, paf, paf, il démarre une demi-heure d'improvisation et tout d'un coup, dans son spectacle, il raconte une version de Barbe Bleue. Et j'entends ça. Moi qui ai ri aux éclats depuis le début, je me mets à pleurer, à pleurer, à pleurer. Et puis il raconte des choses et je rigole. Et je vais le voir à la fin, petit bonhomme là. Je lui dis, dites donc monsieur, bravo, vous avez soufflé la poussière sur la cheminée des compteurs. Il me dit, ah moi les compteurs, la barbe. On se dit, c'est drôle, j'ai dit ça moi aussi il n'y a pas longtemps. Et puis on discute un tout petit peu, et puis après il y a le monde qui vient le voir, et puis nous mangeons ensemble en coulisses à la fin. Et il me demande, qu'est-ce que je fais ? Je lui dis, mais moi je racontais des histoires, mais là j'arrête. Parce que j'en ai marre, je ne veux plus raconter d'histoires, j'ai autre chose à raconter. Mais je ne sais pas comment faire. Il me dit, ah bon, qu'est-ce que tu veux raconter ? Et je lui dis, mais moi je reviens de l'île de Pâques. Et tout le monde me croyait au paradis, j'ai vécu l'enfer. Voilà la carte postale, voilà l'envers. Et je lui raconte. Et je le vois se liquéfier. Et il me dit, Céline, c'est ça qu'il faut que tu racontes. C'est ça. Je dis, oui, je sais, mais je ne sais pas comment faire. Je ne raconte que des contes traditionnels. Il me dit, moi, je t'aide.
- Isabelle Wagner
Et c'est comme ça que ça démarre ?
- Céline Ripoll
Et c'est comme ça que ça démarre.
- Isabelle Wagner
Et encore aujourd'hui, vous travaillez ensemble ?
- Céline Ripoll
Oui. J'ai compris comment, quand moi aussi, je retombe dans le gouffre, il retombe avec moi, il voit comment je remonte, il m'aide à remonter. C'est ses chutes à lui aussi, c'est ses manières de remonter à lui aussi. Moi j'ai vécu dans la secte familiale, dans mon enfance. Cette emprise, le contrôle coercitif, le mensonge. Le regard biaisé et l'interprétation, moi je vivais dans une histoire et lui aussi vivait dans une autre. C'est très impressionnant de voir effectivement des parallèles de vie. Lui, il a un petit peu d'avance, il a fait du chemin. Et il m'a énormément aidée effectivement à pouvoir artistiquement, et personnellement aussi, les deux vont de pair, mais effectivement comment artistiquement j'ai pu mener, construire ce récit, plonger, remonter, le mettre à distance. et maintenant le porter sur scène avec une vraie distance.
- Isabelle Wagner
On va revenir à l'île de Pâques. Oui. Puisque vous y êtes prolifique dans votre expression, avec tout ce qui vous est arrivé sur l'île de Pâques, il faut raconter maintenant comment ça a débuté.
- Céline Ripoll
Toujours à la recherche de cette légende, j'arrive en 2007 sur l'île de Pâques. On m'a dit qu'elle était peut-être de là-bas, la légende que je cherchais. Et quand j'arrive là-bas, tout le monde parle en espagnol, on ne parle pas français, je ne parle pas espagnol, je suis un peu perdue. Il y a une très grande fête, un festival. Et ça se passe assez mal comme voyage. Un matin, je décide de partir, on me vidait un peu la tête, et j'arrive dans un endroit de l'île où il n'y a personne, il y a un mois et tout seul. Et puis, il y a un gars. sur un cheval. Quand il me voit, il démarre, il arrive à côté de moi et me dit « Hey, où est le cabraillon ? » Et je lui dis « Tu sais quoi ? Ça dépasse quoi ? Mucha mierdas, mucha problemas. » Et il me dit « Tu ne connais pas mon île. Monte. » Et en fait, cet homme va m'emmener visiter l'île, il va me raconter des histoires et moi, je vais tomber, je pense, dans le sortilège des histoires complètement. Il y a cette terre brûlée, tout est en... en chaos, tout est renversé. Il y a cette énergie de survie qui est extrêmement forte, extrêmement puissante. Et en même temps, il y a la beauté. Il parle sa langue, il raconte des histoires, il est fier de sa terre. Et je tombe vraiment sous le charme. Je vais rentrer en France, je vais repartir sur l'île, je vais re-rentrer en France, etc. Plusieurs allers-retours. Et puis, il va me rejoindre en France, où nous allons vivre quelques années. Ça va être compliqué. Et au moment, d'ailleurs, le jour où j'en ai ras-le-bol, je décide de le ramener à l'aéroport. Je fais un malaise et en fait, j'étais enceinte. Et donc, il va rester. Il va rester et moi, je rentre pareil dans le rêve de la famille. Ça y est, je vais avoir une famille. Et ça vient balayer tout ce qui s'est passé. Et puis, quelques années après, deux ans après, il va vouloir aller s'installer, rentrer chez lui. Et je ne me vois pas, j'ai cette phrase, on ne sépare pas des enfants de leur père. père et donc je ne me vois pas séparer ma petite fille de son père et donc, eh bien, je vais tout vendre et le suivre sur l'île.