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Les classiques de l'antispécisme - Audrey Jougla - Profession animal de laboratoire cover
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Les classiques de l'antispécisme, dans le désordre

Les classiques de l'antispécisme - Audrey Jougla - Profession animal de laboratoire

Les classiques de l'antispécisme - Audrey Jougla - Profession animal de laboratoire

07min |19/10/2024
Play
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Description

Premier épisode de ce nouveau podcast sur les classique de l'antispécisme !

Audrey Jouglas - Profession animal de laboratoire


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans les classiques de l'antispécisme dans le désordre. Pourquoi dans le désordre ? Parce qu'un ordre chronologique aurait été ultra compliqué, j'aurais passé ma vie à en oublier, un ordre thématique serait rapidement devenu redondant et aurait été super chiant, et un ordre d'importance... Hey ! J'essaye de conserver des camarades. Mon choix s'est porté sur Profession animale de laboratoire, paru en 2015. Audrey Jouglas y raconte une longue enquête, faite pendant l'écriture de sa thèse, en infiltration au sein des laboratoires français. Honnêtement, je ne m'attendais pas à un livre aussi personnel. Durant son enquête, elle a pris beaucoup de notes, beaucoup de vidéos, et tous les reportages sont accessibles sur internet. Je m'attendais à ce que le livre soit une froide description des actes perpétrés sur les animaux, une liste longue et pénible à lire, mais nécessaire. Mais j'avais probablement sous-estimé l'aspect nécessairement émotionnel de ce type d'enquête. Le livre raconte donc, non pas ce qu'elle a appris lors de son enquête, ça c'est sur les vidéos, mais le déroulement de l'enquête elle-même. Elle donne quelques exemples d'expérimentations animales, essentiellement les plus horribles, non pas dans un but de choquer ou dans un but de faire réagir en montrant le pire, mais parce qu'elle parle de ses émotions, de ce qui elle l'a choqué. Il y a plusieurs aspects intéressants dans son livre. Toutes les personnes qui témoignent à cœur ouvert vous le diront. L'héroïsme, c'est difficile. L'héroïsme, c'est se chier dessus et accumuler des PTSD pour des années, parfois des dizaines d'années. Audrey Jouglas parle de ça. De la peur d'être prise, de la difficulté à jongler avec le vocabulaire, de la peur de se tromper, de ne plus savoir qui est supposé dire quoi, quel rôle elle est supposée jouer. Ça, c'est le propre de beaucoup d'enquêtes journalistiques et c'est déjà difficile. Mais elle rajoute une difficulté supplémentaire, c'est d'avoir passé plus d'un an à assister à des actes de torture sur les animaux au quotidien. Et la seule chose qui était en son pouvoir, c'était de dire Waouh, c'est super intéressant, je peux regarder de plus près ? Contrairement à la plupart d'entre nous, elle a pu poser des noms et des visages sur les animaux enfermés en laboratoire. Elle dit, vers la fin de son livre, S'ils ne sont pas morts, je sais qu'ils sont encore dans le sous-sol. Et elle doit dormir avec ça, parce qu'il faut bien recommencer à dormir. En voulant aider la cause des animaux de laboratoire, elle s'est exposée à voir une souffrance immense et elle a accumulé des images avec lesquelles elle va devoir vivre toute sa vie. Heureusement, elle a reçu énormément de soutien de la part d'autres militants. Non, je rigole. J'ai passé le livre à bouillonner quand je voyais comment les gens lui parlaient. J'ai passé le livre à avoir envie de leur hurler dessus et quand elle s'est enfin énervée, c'était mon moment préféré. Elles ne semblent être en contact qu'avec des hommes. Ça semble une coïncidence, mais je ne peux pas m'empêcher de voir de la misogynie dans tous ces tu es encore naïf, tu vas voir ? ou ce n'est pas si simple, tu vas te faire manipuler ? ou tu crois vraiment que tu vas y arriver ? Sérieusement, ils auraient pu rajouter ma petite cocotte à la fin de leur phrase, ça ne m'aurait même pas choqué. Ces amis proches, dont l'obtient un soutien matériel important et nécessaire, et qui sont supposés aussi lui offrir du soutien moral dans l'une des épreuves les plus difficiles de sa vie, sont tout simplement des petits emmerdeurs imbus d'eux-mêmes. Désolé Audrey, tu mérites de me dire ça. Elle raconte qu'on lui reproche de ne pas être encore végane, elle raconte qu'on lui reproche de ne pas avoir encore jeté sa veste en cuir, elle raconte qu'on lui reproche, et c'est bien le comble, de passer plus de temps avec ses ennemis qu'avec ses amis. C'est une putain d'enquête, évidemment qu'elle passe du temps avec ses ennemis. Écoutez, je suis la première personne à revendiquer le droit à une forme d'entre-soi confortable. Mais d'aucune façon, on a le droit de les faire chier les gens qui ont le courage d'enquêter à couvert parce qu'ils ne viennent plus aux assemblées générales. Ce passage m'a mis hors de moi. Ce passage m'a mis hors de moi, et elle aussi, c'était la goutte qui faisait déborder le vase. Ce puritanisme vegan n'est pas de militantisme antispéciste, c'est juste de la pommade pour notre ego. Malgré ça, elle a continué à naviguer entre toutes ces sphères, avec une honnêteté intellectuelle rare. Elle est honnête quand elle affirme avec certitude que certains chercheurs sont aussi des victimes, de la même manière que les employés d'abattoirs, tandis que d'autres sont de véritables psychopathes. Elle est honnête quand elle dit que parfois, elle trouve les militants antispécistes un petit peu ridicules, dans leur posture et dans leur grand discours qui n'aboutissent à rien. J'ai déjà ressenti ça. J'ai déjà parfois été gênée par ces manifestations où tout le monde se met à faire des bruits d'animaux, par ses chansons et ses dessins sur le fait que les animaux eux-mêmes ne trouveraient héroïque de refuser la viande. Héroïque, n'exagérons rien. Croyez-moi, si les animaux pouvaient parler, ils ne viendraient pas pleurer des larmes d'émotion en nous remerciant d'avoir mangé des lentilles à midi. Ils demanderaient Pourquoi quand un camion de peur est passé à côté de toi sur l'autoroutière, tu as juste baissé la tête et tu as continué ta route ? Bref, je suis parfois gênée. Gênée par cette façon qu'on a de parler des sans-voix, de se présenter en martyr qui ont tout compris à la vie. Gênée par le carnaval des animaux et de la Vicky Pride. Gênée par ces gens qui rôlent sur les policiers qui protègent des corridors. Mais vous n'avez donc pas de cœur ! Non Jacqueline, redescends sur terre s'il te plaît. Ces gens te tireraient dessus s'ils en avaient l'ordre. Ils n'ont déjà pas de cœur pour toi, comment ils en trouveraient pour un taureau ? Au final j'ai fait le même chemin qu'André Jouglas sur ce sujet, je la comprends vraiment bien. Parce que comme moi, elle a repris le chemin des manifs extravagantes, des déguisements de poules et des sittings symboliques devant les abattoirs. La souffrance des animaux justifie qu'on accède beaucoup de choses pour la combattre, justifie une certaine urgence. Et pour être parfaitement juste, la vision de toute cette violence excuse un certain nombre de nos pétages de plomb. Il faut bien faire quelque chose. Et la vérité c'est qu'on ne sait pas toujours quoi. Du coup, puisqu'il semblerait que notre mouvement soit incapable de s'affranchir d'une certaine dose de cringe, alors cringe ce soir ? Et comme elle le dit elle-même, ça n'empêche pas de se regarder dans le miroir, alors que torturer les animaux, si. Elle fournit également une analyse intéressante de la psychologie des expérimentateurs, en particulier liée à le vocabulaire. Elle discerne deux champs lexicaux, le travail et la religion. Les deux sont utilisés de manière entremêlée. Le champ lexical du travail, c'est-à-dire des phrases du type le travail de ce singe est de suivre le curseur des yeux permet de normaliser la situation, de lui ôter une partie de son horreur. Je travaille, tu travailles, le singe travaille, tout le monde travaille, c'est normal de travailler, il faut bien contribuer à la société. Cette souris contribue à la société en ayant un cancer, je contribue à la société en découpant une souris, voilà, chacun son taf. Le champ lexical de la religion intervient juste après. La souris est sacrifiée, voir la souris se sacrifie, la souris donne sa vie. Comme disait l'humoriste Végui Poulette, elle tient un super bug, je vous le conseille par ailleurs, donner, donner, faut le dire vite. Le champ lexical de la religion intervient parce que les expérimentateurs savent que ce qu'ils font est mal, et ne peuvent en neutraliser la portée morale que jusqu'à un certain stade. Le sacrifice au nom de la santé humaine ou d'une certaine hiérarchie des vies permet de justifier le mal à soi-même, non pas en prétendant qu'il n'est plus mal, mais en lui donnant une raison d'être légitime. Un seul chercheur dont elle parle, celui qui semble plus mal vivre son travail, et dont elle soupçonne même qu'il l'a démasqué, utilise le champ lexical de la prison. Les autres évitent soigneusement ces termes. L'ouvrage contient beaucoup de données chiffrées intéressantes sur l'industrie des médicaments, sur la rentabilité ou non de certaines maladies. Quelques chiffres en accès libre permettent de démonter entièrement l'idée que la recherche sur les animaux serait animée par de purs sentiments altruistes envers les humains. Même l'anthropocentrisme le plus extrême ne peut justifier l'état de l'industrie actuelle. La vérité toute simple est que l'industrie de la recherche est mue par de puissants intérêts économiques, qui a plus d'intérêt à produire des traitements en long cours pour traiter les symptômes des maladies occidentales de la classe moyenne que de chercher des remèdes durables à des bactéries ou des virus qui tuent chaque année des millions de personnes. On retrouve cette hiérarchie des vies dans le choix des maladies à traiter. tout comme on la retrouve dans le choix des sujets d'expérimentation. Dans un passage, elle s'interroge sur les tests sur les humains plutôt que sur les animaux. Je ne parle pas là des tests rémunérés qui arrivent en dernière ligne, après avoir été longuement testés sur les animaux, mais des tests tels que les nazis ont pu en faire, ou comme on a pu en faire sur les populations colonisées, sans les avertir de ce qu'on leur inoculait. L'exemple typique est la PrEP, le Truvada, qui a été testé sur des prostituées noires africaines dans le but de soigner les hommes blancs occidentaux. Vous savez, j'ai pris la PrEP, et quand je pense à ça, ça a un sale goût. La PrEP est une énorme avancée sur le plan de la santé publique, et je ne voudrais pas qu'on arrête sa circulation. Mais en tant que civilisation, Est-ce qu'on mérite vraiment une victoire qu'on a obtenue comme ça ? Je ne suis pas sûre. Pour couronner le tout, on peut se permettre d'ignorer en France, mais la molécule de la PrEP n'est pas libre de droit. Un traitement préventif ou défensif contre le VIH coûte environ 300 dollars par mois dans un pays sans sécurité sociale. Empêcher la diffusion d'un traitement préventif d'une épidémie est une aberration en termes de santé publique. Et ça illustre bien le cœur du problème. Il n'a jamais été question de santé humaine, il a toujours été question d'argent. Elle se demande donc pourquoi il y a un tel tabou autour de l'expérimentation humaine, au point qu'on ne peut simplement pas parler de cette question. Et elle met le point sur quelque chose qui est évident mais qui doit être formulé. On n'expérimente que sur le faible, sur le captif, sur l'inférieur. Un bon sujet de thèse est un sujet qui ne peut pas s'enfuir. À partir de là, qu'est-ce que ça fait de nous ? Au final, elle renonce en cours de route à sa question de départ qui était L'expérimentation animale est-elle un mal nécessaire ? et aboutit à cette conclusion. L'expérimentation animale n'a jamais été une question de science, mais toujours une question de morale. Et la question morale qui se posait toute simple. Est-ce que la faim justifie les moyens ? Est-ce que ce n'est pas une pente glissante que de penser ça ? Est-ce que négocier avec Inacceptable, ce n'est pas commencer à accepter ? Je ne vais pas vous surprendre en disant qu'elle finit par répondre que non, la faim ne justifie pas les moyens, et que l'expérimentation sur les animaux n'est pas moralement justifiable.

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Premier épisode de ce nouveau podcast sur les classique de l'antispécisme !

Audrey Jouglas - Profession animal de laboratoire


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    Bienvenue dans les classiques de l'antispécisme dans le désordre. Pourquoi dans le désordre ? Parce qu'un ordre chronologique aurait été ultra compliqué, j'aurais passé ma vie à en oublier, un ordre thématique serait rapidement devenu redondant et aurait été super chiant, et un ordre d'importance... Hey ! J'essaye de conserver des camarades. Mon choix s'est porté sur Profession animale de laboratoire, paru en 2015. Audrey Jouglas y raconte une longue enquête, faite pendant l'écriture de sa thèse, en infiltration au sein des laboratoires français. Honnêtement, je ne m'attendais pas à un livre aussi personnel. Durant son enquête, elle a pris beaucoup de notes, beaucoup de vidéos, et tous les reportages sont accessibles sur internet. Je m'attendais à ce que le livre soit une froide description des actes perpétrés sur les animaux, une liste longue et pénible à lire, mais nécessaire. Mais j'avais probablement sous-estimé l'aspect nécessairement émotionnel de ce type d'enquête. Le livre raconte donc, non pas ce qu'elle a appris lors de son enquête, ça c'est sur les vidéos, mais le déroulement de l'enquête elle-même. Elle donne quelques exemples d'expérimentations animales, essentiellement les plus horribles, non pas dans un but de choquer ou dans un but de faire réagir en montrant le pire, mais parce qu'elle parle de ses émotions, de ce qui elle l'a choqué. Il y a plusieurs aspects intéressants dans son livre. Toutes les personnes qui témoignent à cœur ouvert vous le diront. L'héroïsme, c'est difficile. L'héroïsme, c'est se chier dessus et accumuler des PTSD pour des années, parfois des dizaines d'années. Audrey Jouglas parle de ça. De la peur d'être prise, de la difficulté à jongler avec le vocabulaire, de la peur de se tromper, de ne plus savoir qui est supposé dire quoi, quel rôle elle est supposée jouer. Ça, c'est le propre de beaucoup d'enquêtes journalistiques et c'est déjà difficile. Mais elle rajoute une difficulté supplémentaire, c'est d'avoir passé plus d'un an à assister à des actes de torture sur les animaux au quotidien. Et la seule chose qui était en son pouvoir, c'était de dire Waouh, c'est super intéressant, je peux regarder de plus près ? Contrairement à la plupart d'entre nous, elle a pu poser des noms et des visages sur les animaux enfermés en laboratoire. Elle dit, vers la fin de son livre, S'ils ne sont pas morts, je sais qu'ils sont encore dans le sous-sol. Et elle doit dormir avec ça, parce qu'il faut bien recommencer à dormir. En voulant aider la cause des animaux de laboratoire, elle s'est exposée à voir une souffrance immense et elle a accumulé des images avec lesquelles elle va devoir vivre toute sa vie. Heureusement, elle a reçu énormément de soutien de la part d'autres militants. Non, je rigole. J'ai passé le livre à bouillonner quand je voyais comment les gens lui parlaient. J'ai passé le livre à avoir envie de leur hurler dessus et quand elle s'est enfin énervée, c'était mon moment préféré. Elles ne semblent être en contact qu'avec des hommes. Ça semble une coïncidence, mais je ne peux pas m'empêcher de voir de la misogynie dans tous ces tu es encore naïf, tu vas voir ? ou ce n'est pas si simple, tu vas te faire manipuler ? ou tu crois vraiment que tu vas y arriver ? Sérieusement, ils auraient pu rajouter ma petite cocotte à la fin de leur phrase, ça ne m'aurait même pas choqué. Ces amis proches, dont l'obtient un soutien matériel important et nécessaire, et qui sont supposés aussi lui offrir du soutien moral dans l'une des épreuves les plus difficiles de sa vie, sont tout simplement des petits emmerdeurs imbus d'eux-mêmes. Désolé Audrey, tu mérites de me dire ça. Elle raconte qu'on lui reproche de ne pas être encore végane, elle raconte qu'on lui reproche de ne pas avoir encore jeté sa veste en cuir, elle raconte qu'on lui reproche, et c'est bien le comble, de passer plus de temps avec ses ennemis qu'avec ses amis. C'est une putain d'enquête, évidemment qu'elle passe du temps avec ses ennemis. Écoutez, je suis la première personne à revendiquer le droit à une forme d'entre-soi confortable. Mais d'aucune façon, on a le droit de les faire chier les gens qui ont le courage d'enquêter à couvert parce qu'ils ne viennent plus aux assemblées générales. Ce passage m'a mis hors de moi. Ce passage m'a mis hors de moi, et elle aussi, c'était la goutte qui faisait déborder le vase. Ce puritanisme vegan n'est pas de militantisme antispéciste, c'est juste de la pommade pour notre ego. Malgré ça, elle a continué à naviguer entre toutes ces sphères, avec une honnêteté intellectuelle rare. Elle est honnête quand elle affirme avec certitude que certains chercheurs sont aussi des victimes, de la même manière que les employés d'abattoirs, tandis que d'autres sont de véritables psychopathes. Elle est honnête quand elle dit que parfois, elle trouve les militants antispécistes un petit peu ridicules, dans leur posture et dans leur grand discours qui n'aboutissent à rien. J'ai déjà ressenti ça. J'ai déjà parfois été gênée par ces manifestations où tout le monde se met à faire des bruits d'animaux, par ses chansons et ses dessins sur le fait que les animaux eux-mêmes ne trouveraient héroïque de refuser la viande. Héroïque, n'exagérons rien. Croyez-moi, si les animaux pouvaient parler, ils ne viendraient pas pleurer des larmes d'émotion en nous remerciant d'avoir mangé des lentilles à midi. Ils demanderaient Pourquoi quand un camion de peur est passé à côté de toi sur l'autoroutière, tu as juste baissé la tête et tu as continué ta route ? Bref, je suis parfois gênée. Gênée par cette façon qu'on a de parler des sans-voix, de se présenter en martyr qui ont tout compris à la vie. Gênée par le carnaval des animaux et de la Vicky Pride. Gênée par ces gens qui rôlent sur les policiers qui protègent des corridors. Mais vous n'avez donc pas de cœur ! Non Jacqueline, redescends sur terre s'il te plaît. Ces gens te tireraient dessus s'ils en avaient l'ordre. Ils n'ont déjà pas de cœur pour toi, comment ils en trouveraient pour un taureau ? Au final j'ai fait le même chemin qu'André Jouglas sur ce sujet, je la comprends vraiment bien. Parce que comme moi, elle a repris le chemin des manifs extravagantes, des déguisements de poules et des sittings symboliques devant les abattoirs. La souffrance des animaux justifie qu'on accède beaucoup de choses pour la combattre, justifie une certaine urgence. Et pour être parfaitement juste, la vision de toute cette violence excuse un certain nombre de nos pétages de plomb. Il faut bien faire quelque chose. Et la vérité c'est qu'on ne sait pas toujours quoi. Du coup, puisqu'il semblerait que notre mouvement soit incapable de s'affranchir d'une certaine dose de cringe, alors cringe ce soir ? Et comme elle le dit elle-même, ça n'empêche pas de se regarder dans le miroir, alors que torturer les animaux, si. Elle fournit également une analyse intéressante de la psychologie des expérimentateurs, en particulier liée à le vocabulaire. Elle discerne deux champs lexicaux, le travail et la religion. Les deux sont utilisés de manière entremêlée. Le champ lexical du travail, c'est-à-dire des phrases du type le travail de ce singe est de suivre le curseur des yeux permet de normaliser la situation, de lui ôter une partie de son horreur. Je travaille, tu travailles, le singe travaille, tout le monde travaille, c'est normal de travailler, il faut bien contribuer à la société. Cette souris contribue à la société en ayant un cancer, je contribue à la société en découpant une souris, voilà, chacun son taf. Le champ lexical de la religion intervient juste après. La souris est sacrifiée, voir la souris se sacrifie, la souris donne sa vie. Comme disait l'humoriste Végui Poulette, elle tient un super bug, je vous le conseille par ailleurs, donner, donner, faut le dire vite. Le champ lexical de la religion intervient parce que les expérimentateurs savent que ce qu'ils font est mal, et ne peuvent en neutraliser la portée morale que jusqu'à un certain stade. Le sacrifice au nom de la santé humaine ou d'une certaine hiérarchie des vies permet de justifier le mal à soi-même, non pas en prétendant qu'il n'est plus mal, mais en lui donnant une raison d'être légitime. Un seul chercheur dont elle parle, celui qui semble plus mal vivre son travail, et dont elle soupçonne même qu'il l'a démasqué, utilise le champ lexical de la prison. Les autres évitent soigneusement ces termes. L'ouvrage contient beaucoup de données chiffrées intéressantes sur l'industrie des médicaments, sur la rentabilité ou non de certaines maladies. Quelques chiffres en accès libre permettent de démonter entièrement l'idée que la recherche sur les animaux serait animée par de purs sentiments altruistes envers les humains. Même l'anthropocentrisme le plus extrême ne peut justifier l'état de l'industrie actuelle. La vérité toute simple est que l'industrie de la recherche est mue par de puissants intérêts économiques, qui a plus d'intérêt à produire des traitements en long cours pour traiter les symptômes des maladies occidentales de la classe moyenne que de chercher des remèdes durables à des bactéries ou des virus qui tuent chaque année des millions de personnes. On retrouve cette hiérarchie des vies dans le choix des maladies à traiter. tout comme on la retrouve dans le choix des sujets d'expérimentation. Dans un passage, elle s'interroge sur les tests sur les humains plutôt que sur les animaux. Je ne parle pas là des tests rémunérés qui arrivent en dernière ligne, après avoir été longuement testés sur les animaux, mais des tests tels que les nazis ont pu en faire, ou comme on a pu en faire sur les populations colonisées, sans les avertir de ce qu'on leur inoculait. L'exemple typique est la PrEP, le Truvada, qui a été testé sur des prostituées noires africaines dans le but de soigner les hommes blancs occidentaux. Vous savez, j'ai pris la PrEP, et quand je pense à ça, ça a un sale goût. La PrEP est une énorme avancée sur le plan de la santé publique, et je ne voudrais pas qu'on arrête sa circulation. Mais en tant que civilisation, Est-ce qu'on mérite vraiment une victoire qu'on a obtenue comme ça ? Je ne suis pas sûre. Pour couronner le tout, on peut se permettre d'ignorer en France, mais la molécule de la PrEP n'est pas libre de droit. Un traitement préventif ou défensif contre le VIH coûte environ 300 dollars par mois dans un pays sans sécurité sociale. Empêcher la diffusion d'un traitement préventif d'une épidémie est une aberration en termes de santé publique. Et ça illustre bien le cœur du problème. Il n'a jamais été question de santé humaine, il a toujours été question d'argent. Elle se demande donc pourquoi il y a un tel tabou autour de l'expérimentation humaine, au point qu'on ne peut simplement pas parler de cette question. Et elle met le point sur quelque chose qui est évident mais qui doit être formulé. On n'expérimente que sur le faible, sur le captif, sur l'inférieur. Un bon sujet de thèse est un sujet qui ne peut pas s'enfuir. À partir de là, qu'est-ce que ça fait de nous ? Au final, elle renonce en cours de route à sa question de départ qui était L'expérimentation animale est-elle un mal nécessaire ? et aboutit à cette conclusion. L'expérimentation animale n'a jamais été une question de science, mais toujours une question de morale. Et la question morale qui se posait toute simple. Est-ce que la faim justifie les moyens ? Est-ce que ce n'est pas une pente glissante que de penser ça ? Est-ce que négocier avec Inacceptable, ce n'est pas commencer à accepter ? Je ne vais pas vous surprendre en disant qu'elle finit par répondre que non, la faim ne justifie pas les moyens, et que l'expérimentation sur les animaux n'est pas moralement justifiable.

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    Bienvenue dans les classiques de l'antispécisme dans le désordre. Pourquoi dans le désordre ? Parce qu'un ordre chronologique aurait été ultra compliqué, j'aurais passé ma vie à en oublier, un ordre thématique serait rapidement devenu redondant et aurait été super chiant, et un ordre d'importance... Hey ! J'essaye de conserver des camarades. Mon choix s'est porté sur Profession animale de laboratoire, paru en 2015. Audrey Jouglas y raconte une longue enquête, faite pendant l'écriture de sa thèse, en infiltration au sein des laboratoires français. Honnêtement, je ne m'attendais pas à un livre aussi personnel. Durant son enquête, elle a pris beaucoup de notes, beaucoup de vidéos, et tous les reportages sont accessibles sur internet. Je m'attendais à ce que le livre soit une froide description des actes perpétrés sur les animaux, une liste longue et pénible à lire, mais nécessaire. Mais j'avais probablement sous-estimé l'aspect nécessairement émotionnel de ce type d'enquête. Le livre raconte donc, non pas ce qu'elle a appris lors de son enquête, ça c'est sur les vidéos, mais le déroulement de l'enquête elle-même. Elle donne quelques exemples d'expérimentations animales, essentiellement les plus horribles, non pas dans un but de choquer ou dans un but de faire réagir en montrant le pire, mais parce qu'elle parle de ses émotions, de ce qui elle l'a choqué. Il y a plusieurs aspects intéressants dans son livre. Toutes les personnes qui témoignent à cœur ouvert vous le diront. L'héroïsme, c'est difficile. L'héroïsme, c'est se chier dessus et accumuler des PTSD pour des années, parfois des dizaines d'années. Audrey Jouglas parle de ça. De la peur d'être prise, de la difficulté à jongler avec le vocabulaire, de la peur de se tromper, de ne plus savoir qui est supposé dire quoi, quel rôle elle est supposée jouer. Ça, c'est le propre de beaucoup d'enquêtes journalistiques et c'est déjà difficile. Mais elle rajoute une difficulté supplémentaire, c'est d'avoir passé plus d'un an à assister à des actes de torture sur les animaux au quotidien. Et la seule chose qui était en son pouvoir, c'était de dire Waouh, c'est super intéressant, je peux regarder de plus près ? Contrairement à la plupart d'entre nous, elle a pu poser des noms et des visages sur les animaux enfermés en laboratoire. Elle dit, vers la fin de son livre, S'ils ne sont pas morts, je sais qu'ils sont encore dans le sous-sol. Et elle doit dormir avec ça, parce qu'il faut bien recommencer à dormir. En voulant aider la cause des animaux de laboratoire, elle s'est exposée à voir une souffrance immense et elle a accumulé des images avec lesquelles elle va devoir vivre toute sa vie. Heureusement, elle a reçu énormément de soutien de la part d'autres militants. Non, je rigole. J'ai passé le livre à bouillonner quand je voyais comment les gens lui parlaient. J'ai passé le livre à avoir envie de leur hurler dessus et quand elle s'est enfin énervée, c'était mon moment préféré. Elles ne semblent être en contact qu'avec des hommes. Ça semble une coïncidence, mais je ne peux pas m'empêcher de voir de la misogynie dans tous ces tu es encore naïf, tu vas voir ? ou ce n'est pas si simple, tu vas te faire manipuler ? ou tu crois vraiment que tu vas y arriver ? Sérieusement, ils auraient pu rajouter ma petite cocotte à la fin de leur phrase, ça ne m'aurait même pas choqué. Ces amis proches, dont l'obtient un soutien matériel important et nécessaire, et qui sont supposés aussi lui offrir du soutien moral dans l'une des épreuves les plus difficiles de sa vie, sont tout simplement des petits emmerdeurs imbus d'eux-mêmes. Désolé Audrey, tu mérites de me dire ça. Elle raconte qu'on lui reproche de ne pas être encore végane, elle raconte qu'on lui reproche de ne pas avoir encore jeté sa veste en cuir, elle raconte qu'on lui reproche, et c'est bien le comble, de passer plus de temps avec ses ennemis qu'avec ses amis. C'est une putain d'enquête, évidemment qu'elle passe du temps avec ses ennemis. Écoutez, je suis la première personne à revendiquer le droit à une forme d'entre-soi confortable. Mais d'aucune façon, on a le droit de les faire chier les gens qui ont le courage d'enquêter à couvert parce qu'ils ne viennent plus aux assemblées générales. Ce passage m'a mis hors de moi. Ce passage m'a mis hors de moi, et elle aussi, c'était la goutte qui faisait déborder le vase. Ce puritanisme vegan n'est pas de militantisme antispéciste, c'est juste de la pommade pour notre ego. Malgré ça, elle a continué à naviguer entre toutes ces sphères, avec une honnêteté intellectuelle rare. Elle est honnête quand elle affirme avec certitude que certains chercheurs sont aussi des victimes, de la même manière que les employés d'abattoirs, tandis que d'autres sont de véritables psychopathes. Elle est honnête quand elle dit que parfois, elle trouve les militants antispécistes un petit peu ridicules, dans leur posture et dans leur grand discours qui n'aboutissent à rien. J'ai déjà ressenti ça. J'ai déjà parfois été gênée par ces manifestations où tout le monde se met à faire des bruits d'animaux, par ses chansons et ses dessins sur le fait que les animaux eux-mêmes ne trouveraient héroïque de refuser la viande. Héroïque, n'exagérons rien. Croyez-moi, si les animaux pouvaient parler, ils ne viendraient pas pleurer des larmes d'émotion en nous remerciant d'avoir mangé des lentilles à midi. Ils demanderaient Pourquoi quand un camion de peur est passé à côté de toi sur l'autoroutière, tu as juste baissé la tête et tu as continué ta route ? Bref, je suis parfois gênée. Gênée par cette façon qu'on a de parler des sans-voix, de se présenter en martyr qui ont tout compris à la vie. Gênée par le carnaval des animaux et de la Vicky Pride. Gênée par ces gens qui rôlent sur les policiers qui protègent des corridors. Mais vous n'avez donc pas de cœur ! Non Jacqueline, redescends sur terre s'il te plaît. Ces gens te tireraient dessus s'ils en avaient l'ordre. Ils n'ont déjà pas de cœur pour toi, comment ils en trouveraient pour un taureau ? Au final j'ai fait le même chemin qu'André Jouglas sur ce sujet, je la comprends vraiment bien. Parce que comme moi, elle a repris le chemin des manifs extravagantes, des déguisements de poules et des sittings symboliques devant les abattoirs. La souffrance des animaux justifie qu'on accède beaucoup de choses pour la combattre, justifie une certaine urgence. Et pour être parfaitement juste, la vision de toute cette violence excuse un certain nombre de nos pétages de plomb. Il faut bien faire quelque chose. Et la vérité c'est qu'on ne sait pas toujours quoi. Du coup, puisqu'il semblerait que notre mouvement soit incapable de s'affranchir d'une certaine dose de cringe, alors cringe ce soir ? Et comme elle le dit elle-même, ça n'empêche pas de se regarder dans le miroir, alors que torturer les animaux, si. Elle fournit également une analyse intéressante de la psychologie des expérimentateurs, en particulier liée à le vocabulaire. Elle discerne deux champs lexicaux, le travail et la religion. Les deux sont utilisés de manière entremêlée. Le champ lexical du travail, c'est-à-dire des phrases du type le travail de ce singe est de suivre le curseur des yeux permet de normaliser la situation, de lui ôter une partie de son horreur. Je travaille, tu travailles, le singe travaille, tout le monde travaille, c'est normal de travailler, il faut bien contribuer à la société. Cette souris contribue à la société en ayant un cancer, je contribue à la société en découpant une souris, voilà, chacun son taf. Le champ lexical de la religion intervient juste après. La souris est sacrifiée, voir la souris se sacrifie, la souris donne sa vie. Comme disait l'humoriste Végui Poulette, elle tient un super bug, je vous le conseille par ailleurs, donner, donner, faut le dire vite. Le champ lexical de la religion intervient parce que les expérimentateurs savent que ce qu'ils font est mal, et ne peuvent en neutraliser la portée morale que jusqu'à un certain stade. Le sacrifice au nom de la santé humaine ou d'une certaine hiérarchie des vies permet de justifier le mal à soi-même, non pas en prétendant qu'il n'est plus mal, mais en lui donnant une raison d'être légitime. Un seul chercheur dont elle parle, celui qui semble plus mal vivre son travail, et dont elle soupçonne même qu'il l'a démasqué, utilise le champ lexical de la prison. Les autres évitent soigneusement ces termes. L'ouvrage contient beaucoup de données chiffrées intéressantes sur l'industrie des médicaments, sur la rentabilité ou non de certaines maladies. Quelques chiffres en accès libre permettent de démonter entièrement l'idée que la recherche sur les animaux serait animée par de purs sentiments altruistes envers les humains. Même l'anthropocentrisme le plus extrême ne peut justifier l'état de l'industrie actuelle. La vérité toute simple est que l'industrie de la recherche est mue par de puissants intérêts économiques, qui a plus d'intérêt à produire des traitements en long cours pour traiter les symptômes des maladies occidentales de la classe moyenne que de chercher des remèdes durables à des bactéries ou des virus qui tuent chaque année des millions de personnes. On retrouve cette hiérarchie des vies dans le choix des maladies à traiter. tout comme on la retrouve dans le choix des sujets d'expérimentation. Dans un passage, elle s'interroge sur les tests sur les humains plutôt que sur les animaux. Je ne parle pas là des tests rémunérés qui arrivent en dernière ligne, après avoir été longuement testés sur les animaux, mais des tests tels que les nazis ont pu en faire, ou comme on a pu en faire sur les populations colonisées, sans les avertir de ce qu'on leur inoculait. L'exemple typique est la PrEP, le Truvada, qui a été testé sur des prostituées noires africaines dans le but de soigner les hommes blancs occidentaux. Vous savez, j'ai pris la PrEP, et quand je pense à ça, ça a un sale goût. La PrEP est une énorme avancée sur le plan de la santé publique, et je ne voudrais pas qu'on arrête sa circulation. Mais en tant que civilisation, Est-ce qu'on mérite vraiment une victoire qu'on a obtenue comme ça ? Je ne suis pas sûre. Pour couronner le tout, on peut se permettre d'ignorer en France, mais la molécule de la PrEP n'est pas libre de droit. Un traitement préventif ou défensif contre le VIH coûte environ 300 dollars par mois dans un pays sans sécurité sociale. Empêcher la diffusion d'un traitement préventif d'une épidémie est une aberration en termes de santé publique. Et ça illustre bien le cœur du problème. Il n'a jamais été question de santé humaine, il a toujours été question d'argent. Elle se demande donc pourquoi il y a un tel tabou autour de l'expérimentation humaine, au point qu'on ne peut simplement pas parler de cette question. Et elle met le point sur quelque chose qui est évident mais qui doit être formulé. On n'expérimente que sur le faible, sur le captif, sur l'inférieur. Un bon sujet de thèse est un sujet qui ne peut pas s'enfuir. À partir de là, qu'est-ce que ça fait de nous ? Au final, elle renonce en cours de route à sa question de départ qui était L'expérimentation animale est-elle un mal nécessaire ? et aboutit à cette conclusion. L'expérimentation animale n'a jamais été une question de science, mais toujours une question de morale. Et la question morale qui se posait toute simple. Est-ce que la faim justifie les moyens ? Est-ce que ce n'est pas une pente glissante que de penser ça ? Est-ce que négocier avec Inacceptable, ce n'est pas commencer à accepter ? Je ne vais pas vous surprendre en disant qu'elle finit par répondre que non, la faim ne justifie pas les moyens, et que l'expérimentation sur les animaux n'est pas moralement justifiable.

Description

Premier épisode de ce nouveau podcast sur les classique de l'antispécisme !

Audrey Jouglas - Profession animal de laboratoire


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans les classiques de l'antispécisme dans le désordre. Pourquoi dans le désordre ? Parce qu'un ordre chronologique aurait été ultra compliqué, j'aurais passé ma vie à en oublier, un ordre thématique serait rapidement devenu redondant et aurait été super chiant, et un ordre d'importance... Hey ! J'essaye de conserver des camarades. Mon choix s'est porté sur Profession animale de laboratoire, paru en 2015. Audrey Jouglas y raconte une longue enquête, faite pendant l'écriture de sa thèse, en infiltration au sein des laboratoires français. Honnêtement, je ne m'attendais pas à un livre aussi personnel. Durant son enquête, elle a pris beaucoup de notes, beaucoup de vidéos, et tous les reportages sont accessibles sur internet. Je m'attendais à ce que le livre soit une froide description des actes perpétrés sur les animaux, une liste longue et pénible à lire, mais nécessaire. Mais j'avais probablement sous-estimé l'aspect nécessairement émotionnel de ce type d'enquête. Le livre raconte donc, non pas ce qu'elle a appris lors de son enquête, ça c'est sur les vidéos, mais le déroulement de l'enquête elle-même. Elle donne quelques exemples d'expérimentations animales, essentiellement les plus horribles, non pas dans un but de choquer ou dans un but de faire réagir en montrant le pire, mais parce qu'elle parle de ses émotions, de ce qui elle l'a choqué. Il y a plusieurs aspects intéressants dans son livre. Toutes les personnes qui témoignent à cœur ouvert vous le diront. L'héroïsme, c'est difficile. L'héroïsme, c'est se chier dessus et accumuler des PTSD pour des années, parfois des dizaines d'années. Audrey Jouglas parle de ça. De la peur d'être prise, de la difficulté à jongler avec le vocabulaire, de la peur de se tromper, de ne plus savoir qui est supposé dire quoi, quel rôle elle est supposée jouer. Ça, c'est le propre de beaucoup d'enquêtes journalistiques et c'est déjà difficile. Mais elle rajoute une difficulté supplémentaire, c'est d'avoir passé plus d'un an à assister à des actes de torture sur les animaux au quotidien. Et la seule chose qui était en son pouvoir, c'était de dire Waouh, c'est super intéressant, je peux regarder de plus près ? Contrairement à la plupart d'entre nous, elle a pu poser des noms et des visages sur les animaux enfermés en laboratoire. Elle dit, vers la fin de son livre, S'ils ne sont pas morts, je sais qu'ils sont encore dans le sous-sol. Et elle doit dormir avec ça, parce qu'il faut bien recommencer à dormir. En voulant aider la cause des animaux de laboratoire, elle s'est exposée à voir une souffrance immense et elle a accumulé des images avec lesquelles elle va devoir vivre toute sa vie. Heureusement, elle a reçu énormément de soutien de la part d'autres militants. Non, je rigole. J'ai passé le livre à bouillonner quand je voyais comment les gens lui parlaient. J'ai passé le livre à avoir envie de leur hurler dessus et quand elle s'est enfin énervée, c'était mon moment préféré. Elles ne semblent être en contact qu'avec des hommes. Ça semble une coïncidence, mais je ne peux pas m'empêcher de voir de la misogynie dans tous ces tu es encore naïf, tu vas voir ? ou ce n'est pas si simple, tu vas te faire manipuler ? ou tu crois vraiment que tu vas y arriver ? Sérieusement, ils auraient pu rajouter ma petite cocotte à la fin de leur phrase, ça ne m'aurait même pas choqué. Ces amis proches, dont l'obtient un soutien matériel important et nécessaire, et qui sont supposés aussi lui offrir du soutien moral dans l'une des épreuves les plus difficiles de sa vie, sont tout simplement des petits emmerdeurs imbus d'eux-mêmes. Désolé Audrey, tu mérites de me dire ça. Elle raconte qu'on lui reproche de ne pas être encore végane, elle raconte qu'on lui reproche de ne pas avoir encore jeté sa veste en cuir, elle raconte qu'on lui reproche, et c'est bien le comble, de passer plus de temps avec ses ennemis qu'avec ses amis. C'est une putain d'enquête, évidemment qu'elle passe du temps avec ses ennemis. Écoutez, je suis la première personne à revendiquer le droit à une forme d'entre-soi confortable. Mais d'aucune façon, on a le droit de les faire chier les gens qui ont le courage d'enquêter à couvert parce qu'ils ne viennent plus aux assemblées générales. Ce passage m'a mis hors de moi. Ce passage m'a mis hors de moi, et elle aussi, c'était la goutte qui faisait déborder le vase. Ce puritanisme vegan n'est pas de militantisme antispéciste, c'est juste de la pommade pour notre ego. Malgré ça, elle a continué à naviguer entre toutes ces sphères, avec une honnêteté intellectuelle rare. Elle est honnête quand elle affirme avec certitude que certains chercheurs sont aussi des victimes, de la même manière que les employés d'abattoirs, tandis que d'autres sont de véritables psychopathes. Elle est honnête quand elle dit que parfois, elle trouve les militants antispécistes un petit peu ridicules, dans leur posture et dans leur grand discours qui n'aboutissent à rien. J'ai déjà ressenti ça. J'ai déjà parfois été gênée par ces manifestations où tout le monde se met à faire des bruits d'animaux, par ses chansons et ses dessins sur le fait que les animaux eux-mêmes ne trouveraient héroïque de refuser la viande. Héroïque, n'exagérons rien. Croyez-moi, si les animaux pouvaient parler, ils ne viendraient pas pleurer des larmes d'émotion en nous remerciant d'avoir mangé des lentilles à midi. Ils demanderaient Pourquoi quand un camion de peur est passé à côté de toi sur l'autoroutière, tu as juste baissé la tête et tu as continué ta route ? Bref, je suis parfois gênée. Gênée par cette façon qu'on a de parler des sans-voix, de se présenter en martyr qui ont tout compris à la vie. Gênée par le carnaval des animaux et de la Vicky Pride. Gênée par ces gens qui rôlent sur les policiers qui protègent des corridors. Mais vous n'avez donc pas de cœur ! Non Jacqueline, redescends sur terre s'il te plaît. Ces gens te tireraient dessus s'ils en avaient l'ordre. Ils n'ont déjà pas de cœur pour toi, comment ils en trouveraient pour un taureau ? Au final j'ai fait le même chemin qu'André Jouglas sur ce sujet, je la comprends vraiment bien. Parce que comme moi, elle a repris le chemin des manifs extravagantes, des déguisements de poules et des sittings symboliques devant les abattoirs. La souffrance des animaux justifie qu'on accède beaucoup de choses pour la combattre, justifie une certaine urgence. Et pour être parfaitement juste, la vision de toute cette violence excuse un certain nombre de nos pétages de plomb. Il faut bien faire quelque chose. Et la vérité c'est qu'on ne sait pas toujours quoi. Du coup, puisqu'il semblerait que notre mouvement soit incapable de s'affranchir d'une certaine dose de cringe, alors cringe ce soir ? Et comme elle le dit elle-même, ça n'empêche pas de se regarder dans le miroir, alors que torturer les animaux, si. Elle fournit également une analyse intéressante de la psychologie des expérimentateurs, en particulier liée à le vocabulaire. Elle discerne deux champs lexicaux, le travail et la religion. Les deux sont utilisés de manière entremêlée. Le champ lexical du travail, c'est-à-dire des phrases du type le travail de ce singe est de suivre le curseur des yeux permet de normaliser la situation, de lui ôter une partie de son horreur. Je travaille, tu travailles, le singe travaille, tout le monde travaille, c'est normal de travailler, il faut bien contribuer à la société. Cette souris contribue à la société en ayant un cancer, je contribue à la société en découpant une souris, voilà, chacun son taf. Le champ lexical de la religion intervient juste après. La souris est sacrifiée, voir la souris se sacrifie, la souris donne sa vie. Comme disait l'humoriste Végui Poulette, elle tient un super bug, je vous le conseille par ailleurs, donner, donner, faut le dire vite. Le champ lexical de la religion intervient parce que les expérimentateurs savent que ce qu'ils font est mal, et ne peuvent en neutraliser la portée morale que jusqu'à un certain stade. Le sacrifice au nom de la santé humaine ou d'une certaine hiérarchie des vies permet de justifier le mal à soi-même, non pas en prétendant qu'il n'est plus mal, mais en lui donnant une raison d'être légitime. Un seul chercheur dont elle parle, celui qui semble plus mal vivre son travail, et dont elle soupçonne même qu'il l'a démasqué, utilise le champ lexical de la prison. Les autres évitent soigneusement ces termes. L'ouvrage contient beaucoup de données chiffrées intéressantes sur l'industrie des médicaments, sur la rentabilité ou non de certaines maladies. Quelques chiffres en accès libre permettent de démonter entièrement l'idée que la recherche sur les animaux serait animée par de purs sentiments altruistes envers les humains. Même l'anthropocentrisme le plus extrême ne peut justifier l'état de l'industrie actuelle. La vérité toute simple est que l'industrie de la recherche est mue par de puissants intérêts économiques, qui a plus d'intérêt à produire des traitements en long cours pour traiter les symptômes des maladies occidentales de la classe moyenne que de chercher des remèdes durables à des bactéries ou des virus qui tuent chaque année des millions de personnes. On retrouve cette hiérarchie des vies dans le choix des maladies à traiter. tout comme on la retrouve dans le choix des sujets d'expérimentation. Dans un passage, elle s'interroge sur les tests sur les humains plutôt que sur les animaux. Je ne parle pas là des tests rémunérés qui arrivent en dernière ligne, après avoir été longuement testés sur les animaux, mais des tests tels que les nazis ont pu en faire, ou comme on a pu en faire sur les populations colonisées, sans les avertir de ce qu'on leur inoculait. L'exemple typique est la PrEP, le Truvada, qui a été testé sur des prostituées noires africaines dans le but de soigner les hommes blancs occidentaux. Vous savez, j'ai pris la PrEP, et quand je pense à ça, ça a un sale goût. La PrEP est une énorme avancée sur le plan de la santé publique, et je ne voudrais pas qu'on arrête sa circulation. Mais en tant que civilisation, Est-ce qu'on mérite vraiment une victoire qu'on a obtenue comme ça ? Je ne suis pas sûre. Pour couronner le tout, on peut se permettre d'ignorer en France, mais la molécule de la PrEP n'est pas libre de droit. Un traitement préventif ou défensif contre le VIH coûte environ 300 dollars par mois dans un pays sans sécurité sociale. Empêcher la diffusion d'un traitement préventif d'une épidémie est une aberration en termes de santé publique. Et ça illustre bien le cœur du problème. Il n'a jamais été question de santé humaine, il a toujours été question d'argent. Elle se demande donc pourquoi il y a un tel tabou autour de l'expérimentation humaine, au point qu'on ne peut simplement pas parler de cette question. Et elle met le point sur quelque chose qui est évident mais qui doit être formulé. On n'expérimente que sur le faible, sur le captif, sur l'inférieur. Un bon sujet de thèse est un sujet qui ne peut pas s'enfuir. À partir de là, qu'est-ce que ça fait de nous ? Au final, elle renonce en cours de route à sa question de départ qui était L'expérimentation animale est-elle un mal nécessaire ? et aboutit à cette conclusion. L'expérimentation animale n'a jamais été une question de science, mais toujours une question de morale. Et la question morale qui se posait toute simple. Est-ce que la faim justifie les moyens ? Est-ce que ce n'est pas une pente glissante que de penser ça ? Est-ce que négocier avec Inacceptable, ce n'est pas commencer à accepter ? Je ne vais pas vous surprendre en disant qu'elle finit par répondre que non, la faim ne justifie pas les moyens, et que l'expérimentation sur les animaux n'est pas moralement justifiable.

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