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# 1 Quand un inconnu s'invite chez soi (partie 2) cover
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Les invisibles

# 1 Quand un inconnu s'invite chez soi (partie 2)

# 1 Quand un inconnu s'invite chez soi (partie 2)

13min |16/09/2024|

792

Play
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Description

La "Chronique de malade !", le nouveau format du podcast Les Invisibles, débute avec une trilogie métaphorique (dont voici la deuxième partie) pour raconter le bouleversement causé par l’arrivée inopinée d’un invité inattendu : la maladie invisible et chronique.


À travers mes journaux intimes, enfin livrés à mon micro, je réaffirme mon engagement : visibiliser l’invisible.

Cette chronique, c’est mon histoire… et peut-être la vôtre aussi.


Chaque mois, sur Les Invisibles, je partagerai sans filtre ce que vivre avec une maladie chronique signifie vraiment. De cette expérience quotidienne naît une réflexion sur les dynamiques sociétales, nos comportements et nos mécanismes humains.

Portée par les créations sonores de Michael Maaïk Pellegrini, compositeur et polyinstrumentiste, plongez dans cette chronique engagée, où je dévoile les dessous de l’invisibilisation de nos parcours de vie.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une amie m'a dit un jour, Tamara, cette maladie a de la chance de t'avoir. Un compliment inattendu que j'ai choisi d'honorer. Plongée avec moi dans la chronique de malades, où les voix invisibles trouvent enfin leur écho. Bonne écoute ! J'avais beau intuitivement le savoir... J'ai mis du temps à saisir concrètement que cet inconnu au contour trouble, au geste inanticipable et à la présence permanente, resterait là à durée indéterminée. Il avait eu son CDI, lui. Vous savez, ce saint Graal qui fait rêver les salariés. L'inconnu s'est approprié mon chez-moi, comme s'il en avait toujours été le propriétaire. À l'aube, il me tire du sommeil en ouvrant grand mes volets, puis il s'étale de tout son saoul sur moi. Dommage, parce que quand c'est mon mari, j'adore ça. Et pendant des heures, je lutte pour m'extirper de ce poids presque mort et malheureusement bien vivant, avachi sur mon corps. Vous trouvez pas dommage de se faire réveiller à l'aube pour ne pas réussir à sortir du lit ? Moi aussi, je préférais soit me réveiller tôt et être active, soit me taper une grasse mat. Quand je descends l'escalier, il me pousse en avant, me tire en arrière, me bouscule contre les murs. Arrivé en bas, nauséeuse et le cerveau brouillé, je n'ai qu'une envie, me recroqueviller en boule, pleurer et retourner au lit. Et puis à quoi bon ? Il sera indéfiniment là à me baloter d'un côté à l'autre du lit comme dans une exiguë cabine de bateau. Autant aller me couler un café, que je n'arriverai pas à avaler vu que j'ai la nausée. Quelqu'un se souvient du site internet vie de merde Sa présence n'a rien de discrète, de polie, de rassurante ou de respectueuse. Je le précise au cas où le voisin plein de bonne volonté souhaite m'affirmer Tu vas finir par t'habituer. La meilleure chose à faire, c'est d'accepter. Moins tu y penseras, moins tu le sentiras. Eh bien, tu sais quoi le voisin ? Mon point dans la figure ? Moins tu y penseras, moins tu le sentiras. Et puis t'as qu'à le prendre chez toi l'inconnu va. L'intrus s'est incrusté dans ma vie tel un mur infranchissable, et moi en vrai, j'aimerais bien les repousser les murs, histoire d'avoir plus de place dans mon chez-moi. Mais mes bras, c'est comme des ailes de poulet, y'a rien dedans, je vais devoir trouver d'autres stratégies. Quelques jours après son arrivée, Je me suis prise pour la fille de Benoît Blanc, vous savez ce fameux personnage dans À couteau tiré joué par Daniel Craig. J'ai pied du coin de l'œil tous ses faits et gestes, espérant les anticiper, les surprendre et surtout les désamorcer. Observer, décortiquer, analyser les mécanismes de la psyché humaine, outre que cela me passionne, ça fait même partie de mon métier. Mais que pouvais-je vraiment entreprendre envers un inconnu terrifiant, accroché à moi comme une moule à son rocher ? En tant que Tamara, travailleuse sociale, empathique et attentionnée, j'ai commencé par lui parler, doucement d'abord. J'ai cherché à savoir ce qu'il faisait là, de quoi il avait besoin. Est-ce qu'il fuyait une personne ou une situation ? Comment pouvais-je l'aider ? Sa cruauté prenait-elle sa source dans l'expérience d'une maltraitance infantile ? J'ai essayé d'initier un échange, mais sa réponse est restée muette. Alors je me suis accrochée à des hypothèses, pour justifier sa présence. Rien de mieux que d'intérioriser les insinuations des voisins qui disent que s'il est là, c'est pour une raison. J'ai sûrement dû l'attirer. Tiens, ça vous fait pas penser à une autre situation ? Me voilà dans mon lit à compter les hypothèses, plutôt que les moutons. Hypothèse numéro 1 Est-ce que cet inconnu est là parce que j'ai vécu une enfance traumatique ? Numéro 2. Parce que je vis un amour tellement puissant, une situation professionnelle incroyable et que c'est trop beau pour être vrai ? Numéro 3. Parce que j'ai abusé des produits laitiers alors que je suis intolérante ? Numéro 4. Parce que j'ai un jour massacré des fourmis qui envahissaient mon appartement ? Oui, je m'en veux encore. J'ai pleuré pendant deux heures au-dessus de mon aspirateur. Ceux qui ont lu Fourmis de Bernard Weber comprendront. Numéro 5. Parce que mon destin est de porter la voix des personnes malades ? Numéro 6. Parce que je suis censée changer radicalement de voix et plonger dans ma créativité ? Numéro 7. Parce que j'ai un mauvais karma, hérité de vie antérieure ? Vous verrez. On peut continuer comme ça durant des heures, jusqu'à en devenir obsédé mentalement. Et on peut surtout se raconter l'histoire qu'on veut. Mais concrètement, l'inconnu est toujours là, collé à moi tel un vieillamment gluant. Donc à un moment donné, vaut mieux compter les moutons, pour au moins trouver un peu de sommeil. Puis sympathiquement, je lui ai demandé s'il avait l'amabilité d'aller faire un tour. Staper cette fameuse clope quoi, je sais pas. Ou simplement aller s'acheter un journal au kiosque. Prenez, c'est ma tournée, et gardez la monnaie. Mais il s'en fichait royalement. Les voisins d'en face ont sous-entendu ma mauvaise volonté. C'est une librairie entière que je devais lui offrir, pas un journal dans un kiosque. Oui, bon, désolé, ma référence de la richesse est possédée de la littérature. Certainement que l'inconnu préfère un cabriolet, en vrai. L'inconnu semblait ne plus pouvoir se passer de ma peau. À croire qu'il en était amoureux. C'est gentil, mais je cherche pas un amoureux, moi. J'ai fermé mon compte Tinder il y a des années déjà. Oui, parce qu'à l'époque, je croyais que Tinder pouvait amener des amoureux. Ou que je ferais partie des 8% des couples qui se créaient sur ces applis. Sans jugement, ok ? Puis je l'ai supplié. En larmes. À genoux. À deux doigts de lui faire ce que vous pouvez imaginer. Lui demandant d'avoir pitié de moi, que je n'étais qu'une pauvre fille qui souhaitait vivre une vie simple et sans emmerdes. J'ai tout négocié avec lui. Mon vélo électrique. Faut dire qu'il m'a coûté la peau des fesses. Ma carrière, mes livres, seul bien matériel auquel je tiens vraiment, vous l'aurez compris, mes privilèges, et Dieu sait ce que j'en ai, vu que je mange à ma faim, que j'ai un toit sur la tête et de l'électricité, que je suis blanche, et que jusqu'à aujourd'hui j'ai réussi à payer mes factures. Enfin, sauf mes factures d'assurance maladie, mais c'est un détail ça, non ? Je lui ai même proposé de me couper un doigt pour qu'il me rende ma liberté. Parce qu'au final, ça ferait mal à un bon coup et après on n'en parlerait plus. Et puis j'ai de la chance de ce côté-là. Je suis méga tolérante à la douleur. Probablement dû aux 18 dernières années de ma vie à ressentir chaque mois pendant 5 jours qu'on me plante un sabre de l'utérus à l'anus. Bref, j'étais prête à perdre beaucoup. À échanger et troquer la quasi-totalité de ma vie. Moi qui n'avais négocié qu'un masque traditionnel du Burkina Faso, je devenais reine de la négociation. En inconnu, vicieux, impénétrable, il n'a pas s'y lait. Puis je me suis prise pour une chrétienne. Moi qui n'avais prié qu'au repas avec ma nonna parce qu'elle pensait qu'il fallait remercier Dieu alors que c'était elle qui avait brassé la polenta du bled pendant quatre heures, je suis donc passée aux promesses. J'ai juré avec tout mon cœur les mains en prière. Je jure de ne plus jamais avoir une pensée méchante, de m'engager en tant que bénévole, de m'impliquer dans mon travail corps et âme, de donner de l'argent aux associations, d'aimer chaque personne de cette planète comme si c'était mon propre enfant. J'aurais tout, tout, tout donné. Pour une parenthèse, un espace de liberté, pour que mes ailes se déploient à nouveau en solitaire. pour sentir l'air sur mon visage tel un oiseau porté par son élan loin de cette sangsue collée à la peau, pour simplement ne plus sentir mon corps phagocyté par le sien. Mais rien ne semblait replier les bagages de l'inconnu. Seule, je n'y arrivais plus. J'étais en train de sombrer à force de lutter contre cette figure obscure. Captive, dans ma propre maison. Il fallait que je rassemble les meilleurs soldats, une armée comme bouclier. Qu'on le sorte de force et que je pose un grillage, une muraille ou je ne sais quoi d'impénétrable autour de chez moi pour que plus jamais il ne puisse y poser les pieds. Portée par l'espoir de m'allier à une élite entraînée, j'ai rencontré tour à tour celles et ceux considérés comme étant les meilleurs. Pour enfin gagner la guerre contre le menaçant étranger. Ils avaient tous leur propre attirail. De la blouse blanche aux pendules. Et des guerres. Ils en avaient tous gagné. Alors consciencieusement, je les ai laissés m'entraîner à la bataille, en les écoutant scrupuleusement un à un. L'interniste. Reposez-vous, il va finir par s'ennuyer de vous voir à l'horizontale. Inspirant profondément, j'ai haussé un sourcil. La naturopathe. Passez-vous cette pommade, la lubrification vous rendra insaisissable. Expirons avec un soupir, je me suis badigeonné sans trop y croire. Le micronutritionniste. L'inconnu adore les ailes inflammatoires. Si vous les arrêtez, il va préférer aller se nourrir chez l'oiseau. Inspirons à nouveau, j'ai envisagé de bannir les carottes cuites de mon alimentation. L'ORL. Rester en mouvement perpétuel, ça va le fatiguer. Expirant, j'ai entamé une série de tours chronométrées autour de la table du salon. Le psy. Travaillez le lien à votre famille, parce qu'il se divertit en vous regardant vous prendre le bec avec votre clan. Inspirant profondément, j'ai organisé un repas de famille en évitant les sujets sensibles. La magicienne. Tartinez-vous l'entrejambe d'œuf cru pourri, l'odeur va le faire déguerpir. Inspirant et expirant à contre-cœur, j'ai payé sans broncher les 120 francs demandés. Punaise, je m'étais promis de lui mettre une étoile sur Google à celle-là. Rigoureusement, telle la meilleure recrue, j'ai appliqué à la lettre les exigences d'une femme du rang. J'ai cru, j'ai appliqué, j'ai dépensé, j'ai roulé des kilomètres et des kilomètres pour trouver le remède, la mine qui le ferait sauter. Mais au fait, si je le faisais sauter, ne sauterais-je pas avec lui ? Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode. et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Découvrez tous les engagements de l'association Les Invisibles sur le site internet lesinvisibles.ch. Ensemble, continuons à visibiliser l'invisible.

Description

La "Chronique de malade !", le nouveau format du podcast Les Invisibles, débute avec une trilogie métaphorique (dont voici la deuxième partie) pour raconter le bouleversement causé par l’arrivée inopinée d’un invité inattendu : la maladie invisible et chronique.


À travers mes journaux intimes, enfin livrés à mon micro, je réaffirme mon engagement : visibiliser l’invisible.

Cette chronique, c’est mon histoire… et peut-être la vôtre aussi.


Chaque mois, sur Les Invisibles, je partagerai sans filtre ce que vivre avec une maladie chronique signifie vraiment. De cette expérience quotidienne naît une réflexion sur les dynamiques sociétales, nos comportements et nos mécanismes humains.

Portée par les créations sonores de Michael Maaïk Pellegrini, compositeur et polyinstrumentiste, plongez dans cette chronique engagée, où je dévoile les dessous de l’invisibilisation de nos parcours de vie.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une amie m'a dit un jour, Tamara, cette maladie a de la chance de t'avoir. Un compliment inattendu que j'ai choisi d'honorer. Plongée avec moi dans la chronique de malades, où les voix invisibles trouvent enfin leur écho. Bonne écoute ! J'avais beau intuitivement le savoir... J'ai mis du temps à saisir concrètement que cet inconnu au contour trouble, au geste inanticipable et à la présence permanente, resterait là à durée indéterminée. Il avait eu son CDI, lui. Vous savez, ce saint Graal qui fait rêver les salariés. L'inconnu s'est approprié mon chez-moi, comme s'il en avait toujours été le propriétaire. À l'aube, il me tire du sommeil en ouvrant grand mes volets, puis il s'étale de tout son saoul sur moi. Dommage, parce que quand c'est mon mari, j'adore ça. Et pendant des heures, je lutte pour m'extirper de ce poids presque mort et malheureusement bien vivant, avachi sur mon corps. Vous trouvez pas dommage de se faire réveiller à l'aube pour ne pas réussir à sortir du lit ? Moi aussi, je préférais soit me réveiller tôt et être active, soit me taper une grasse mat. Quand je descends l'escalier, il me pousse en avant, me tire en arrière, me bouscule contre les murs. Arrivé en bas, nauséeuse et le cerveau brouillé, je n'ai qu'une envie, me recroqueviller en boule, pleurer et retourner au lit. Et puis à quoi bon ? Il sera indéfiniment là à me baloter d'un côté à l'autre du lit comme dans une exiguë cabine de bateau. Autant aller me couler un café, que je n'arriverai pas à avaler vu que j'ai la nausée. Quelqu'un se souvient du site internet vie de merde Sa présence n'a rien de discrète, de polie, de rassurante ou de respectueuse. Je le précise au cas où le voisin plein de bonne volonté souhaite m'affirmer Tu vas finir par t'habituer. La meilleure chose à faire, c'est d'accepter. Moins tu y penseras, moins tu le sentiras. Eh bien, tu sais quoi le voisin ? Mon point dans la figure ? Moins tu y penseras, moins tu le sentiras. Et puis t'as qu'à le prendre chez toi l'inconnu va. L'intrus s'est incrusté dans ma vie tel un mur infranchissable, et moi en vrai, j'aimerais bien les repousser les murs, histoire d'avoir plus de place dans mon chez-moi. Mais mes bras, c'est comme des ailes de poulet, y'a rien dedans, je vais devoir trouver d'autres stratégies. Quelques jours après son arrivée, Je me suis prise pour la fille de Benoît Blanc, vous savez ce fameux personnage dans À couteau tiré joué par Daniel Craig. J'ai pied du coin de l'œil tous ses faits et gestes, espérant les anticiper, les surprendre et surtout les désamorcer. Observer, décortiquer, analyser les mécanismes de la psyché humaine, outre que cela me passionne, ça fait même partie de mon métier. Mais que pouvais-je vraiment entreprendre envers un inconnu terrifiant, accroché à moi comme une moule à son rocher ? En tant que Tamara, travailleuse sociale, empathique et attentionnée, j'ai commencé par lui parler, doucement d'abord. J'ai cherché à savoir ce qu'il faisait là, de quoi il avait besoin. Est-ce qu'il fuyait une personne ou une situation ? Comment pouvais-je l'aider ? Sa cruauté prenait-elle sa source dans l'expérience d'une maltraitance infantile ? J'ai essayé d'initier un échange, mais sa réponse est restée muette. Alors je me suis accrochée à des hypothèses, pour justifier sa présence. Rien de mieux que d'intérioriser les insinuations des voisins qui disent que s'il est là, c'est pour une raison. J'ai sûrement dû l'attirer. Tiens, ça vous fait pas penser à une autre situation ? Me voilà dans mon lit à compter les hypothèses, plutôt que les moutons. Hypothèse numéro 1 Est-ce que cet inconnu est là parce que j'ai vécu une enfance traumatique ? Numéro 2. Parce que je vis un amour tellement puissant, une situation professionnelle incroyable et que c'est trop beau pour être vrai ? Numéro 3. Parce que j'ai abusé des produits laitiers alors que je suis intolérante ? Numéro 4. Parce que j'ai un jour massacré des fourmis qui envahissaient mon appartement ? Oui, je m'en veux encore. J'ai pleuré pendant deux heures au-dessus de mon aspirateur. Ceux qui ont lu Fourmis de Bernard Weber comprendront. Numéro 5. Parce que mon destin est de porter la voix des personnes malades ? Numéro 6. Parce que je suis censée changer radicalement de voix et plonger dans ma créativité ? Numéro 7. Parce que j'ai un mauvais karma, hérité de vie antérieure ? Vous verrez. On peut continuer comme ça durant des heures, jusqu'à en devenir obsédé mentalement. Et on peut surtout se raconter l'histoire qu'on veut. Mais concrètement, l'inconnu est toujours là, collé à moi tel un vieillamment gluant. Donc à un moment donné, vaut mieux compter les moutons, pour au moins trouver un peu de sommeil. Puis sympathiquement, je lui ai demandé s'il avait l'amabilité d'aller faire un tour. Staper cette fameuse clope quoi, je sais pas. Ou simplement aller s'acheter un journal au kiosque. Prenez, c'est ma tournée, et gardez la monnaie. Mais il s'en fichait royalement. Les voisins d'en face ont sous-entendu ma mauvaise volonté. C'est une librairie entière que je devais lui offrir, pas un journal dans un kiosque. Oui, bon, désolé, ma référence de la richesse est possédée de la littérature. Certainement que l'inconnu préfère un cabriolet, en vrai. L'inconnu semblait ne plus pouvoir se passer de ma peau. À croire qu'il en était amoureux. C'est gentil, mais je cherche pas un amoureux, moi. J'ai fermé mon compte Tinder il y a des années déjà. Oui, parce qu'à l'époque, je croyais que Tinder pouvait amener des amoureux. Ou que je ferais partie des 8% des couples qui se créaient sur ces applis. Sans jugement, ok ? Puis je l'ai supplié. En larmes. À genoux. À deux doigts de lui faire ce que vous pouvez imaginer. Lui demandant d'avoir pitié de moi, que je n'étais qu'une pauvre fille qui souhaitait vivre une vie simple et sans emmerdes. J'ai tout négocié avec lui. Mon vélo électrique. Faut dire qu'il m'a coûté la peau des fesses. Ma carrière, mes livres, seul bien matériel auquel je tiens vraiment, vous l'aurez compris, mes privilèges, et Dieu sait ce que j'en ai, vu que je mange à ma faim, que j'ai un toit sur la tête et de l'électricité, que je suis blanche, et que jusqu'à aujourd'hui j'ai réussi à payer mes factures. Enfin, sauf mes factures d'assurance maladie, mais c'est un détail ça, non ? Je lui ai même proposé de me couper un doigt pour qu'il me rende ma liberté. Parce qu'au final, ça ferait mal à un bon coup et après on n'en parlerait plus. Et puis j'ai de la chance de ce côté-là. Je suis méga tolérante à la douleur. Probablement dû aux 18 dernières années de ma vie à ressentir chaque mois pendant 5 jours qu'on me plante un sabre de l'utérus à l'anus. Bref, j'étais prête à perdre beaucoup. À échanger et troquer la quasi-totalité de ma vie. Moi qui n'avais négocié qu'un masque traditionnel du Burkina Faso, je devenais reine de la négociation. En inconnu, vicieux, impénétrable, il n'a pas s'y lait. Puis je me suis prise pour une chrétienne. Moi qui n'avais prié qu'au repas avec ma nonna parce qu'elle pensait qu'il fallait remercier Dieu alors que c'était elle qui avait brassé la polenta du bled pendant quatre heures, je suis donc passée aux promesses. J'ai juré avec tout mon cœur les mains en prière. Je jure de ne plus jamais avoir une pensée méchante, de m'engager en tant que bénévole, de m'impliquer dans mon travail corps et âme, de donner de l'argent aux associations, d'aimer chaque personne de cette planète comme si c'était mon propre enfant. J'aurais tout, tout, tout donné. Pour une parenthèse, un espace de liberté, pour que mes ailes se déploient à nouveau en solitaire. pour sentir l'air sur mon visage tel un oiseau porté par son élan loin de cette sangsue collée à la peau, pour simplement ne plus sentir mon corps phagocyté par le sien. Mais rien ne semblait replier les bagages de l'inconnu. Seule, je n'y arrivais plus. J'étais en train de sombrer à force de lutter contre cette figure obscure. Captive, dans ma propre maison. Il fallait que je rassemble les meilleurs soldats, une armée comme bouclier. Qu'on le sorte de force et que je pose un grillage, une muraille ou je ne sais quoi d'impénétrable autour de chez moi pour que plus jamais il ne puisse y poser les pieds. Portée par l'espoir de m'allier à une élite entraînée, j'ai rencontré tour à tour celles et ceux considérés comme étant les meilleurs. Pour enfin gagner la guerre contre le menaçant étranger. Ils avaient tous leur propre attirail. De la blouse blanche aux pendules. Et des guerres. Ils en avaient tous gagné. Alors consciencieusement, je les ai laissés m'entraîner à la bataille, en les écoutant scrupuleusement un à un. L'interniste. Reposez-vous, il va finir par s'ennuyer de vous voir à l'horizontale. Inspirant profondément, j'ai haussé un sourcil. La naturopathe. Passez-vous cette pommade, la lubrification vous rendra insaisissable. Expirons avec un soupir, je me suis badigeonné sans trop y croire. Le micronutritionniste. L'inconnu adore les ailes inflammatoires. Si vous les arrêtez, il va préférer aller se nourrir chez l'oiseau. Inspirons à nouveau, j'ai envisagé de bannir les carottes cuites de mon alimentation. L'ORL. Rester en mouvement perpétuel, ça va le fatiguer. Expirant, j'ai entamé une série de tours chronométrées autour de la table du salon. Le psy. Travaillez le lien à votre famille, parce qu'il se divertit en vous regardant vous prendre le bec avec votre clan. Inspirant profondément, j'ai organisé un repas de famille en évitant les sujets sensibles. La magicienne. Tartinez-vous l'entrejambe d'œuf cru pourri, l'odeur va le faire déguerpir. Inspirant et expirant à contre-cœur, j'ai payé sans broncher les 120 francs demandés. Punaise, je m'étais promis de lui mettre une étoile sur Google à celle-là. Rigoureusement, telle la meilleure recrue, j'ai appliqué à la lettre les exigences d'une femme du rang. J'ai cru, j'ai appliqué, j'ai dépensé, j'ai roulé des kilomètres et des kilomètres pour trouver le remède, la mine qui le ferait sauter. Mais au fait, si je le faisais sauter, ne sauterais-je pas avec lui ? Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode. et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Découvrez tous les engagements de l'association Les Invisibles sur le site internet lesinvisibles.ch. Ensemble, continuons à visibiliser l'invisible.

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La "Chronique de malade !", le nouveau format du podcast Les Invisibles, débute avec une trilogie métaphorique (dont voici la deuxième partie) pour raconter le bouleversement causé par l’arrivée inopinée d’un invité inattendu : la maladie invisible et chronique.


À travers mes journaux intimes, enfin livrés à mon micro, je réaffirme mon engagement : visibiliser l’invisible.

Cette chronique, c’est mon histoire… et peut-être la vôtre aussi.


Chaque mois, sur Les Invisibles, je partagerai sans filtre ce que vivre avec une maladie chronique signifie vraiment. De cette expérience quotidienne naît une réflexion sur les dynamiques sociétales, nos comportements et nos mécanismes humains.

Portée par les créations sonores de Michael Maaïk Pellegrini, compositeur et polyinstrumentiste, plongez dans cette chronique engagée, où je dévoile les dessous de l’invisibilisation de nos parcours de vie.


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  • Speaker #0

    Une amie m'a dit un jour, Tamara, cette maladie a de la chance de t'avoir. Un compliment inattendu que j'ai choisi d'honorer. Plongée avec moi dans la chronique de malades, où les voix invisibles trouvent enfin leur écho. Bonne écoute ! J'avais beau intuitivement le savoir... J'ai mis du temps à saisir concrètement que cet inconnu au contour trouble, au geste inanticipable et à la présence permanente, resterait là à durée indéterminée. Il avait eu son CDI, lui. Vous savez, ce saint Graal qui fait rêver les salariés. L'inconnu s'est approprié mon chez-moi, comme s'il en avait toujours été le propriétaire. À l'aube, il me tire du sommeil en ouvrant grand mes volets, puis il s'étale de tout son saoul sur moi. Dommage, parce que quand c'est mon mari, j'adore ça. Et pendant des heures, je lutte pour m'extirper de ce poids presque mort et malheureusement bien vivant, avachi sur mon corps. Vous trouvez pas dommage de se faire réveiller à l'aube pour ne pas réussir à sortir du lit ? Moi aussi, je préférais soit me réveiller tôt et être active, soit me taper une grasse mat. Quand je descends l'escalier, il me pousse en avant, me tire en arrière, me bouscule contre les murs. Arrivé en bas, nauséeuse et le cerveau brouillé, je n'ai qu'une envie, me recroqueviller en boule, pleurer et retourner au lit. Et puis à quoi bon ? Il sera indéfiniment là à me baloter d'un côté à l'autre du lit comme dans une exiguë cabine de bateau. Autant aller me couler un café, que je n'arriverai pas à avaler vu que j'ai la nausée. Quelqu'un se souvient du site internet vie de merde Sa présence n'a rien de discrète, de polie, de rassurante ou de respectueuse. Je le précise au cas où le voisin plein de bonne volonté souhaite m'affirmer Tu vas finir par t'habituer. La meilleure chose à faire, c'est d'accepter. Moins tu y penseras, moins tu le sentiras. Eh bien, tu sais quoi le voisin ? Mon point dans la figure ? Moins tu y penseras, moins tu le sentiras. Et puis t'as qu'à le prendre chez toi l'inconnu va. L'intrus s'est incrusté dans ma vie tel un mur infranchissable, et moi en vrai, j'aimerais bien les repousser les murs, histoire d'avoir plus de place dans mon chez-moi. Mais mes bras, c'est comme des ailes de poulet, y'a rien dedans, je vais devoir trouver d'autres stratégies. Quelques jours après son arrivée, Je me suis prise pour la fille de Benoît Blanc, vous savez ce fameux personnage dans À couteau tiré joué par Daniel Craig. J'ai pied du coin de l'œil tous ses faits et gestes, espérant les anticiper, les surprendre et surtout les désamorcer. Observer, décortiquer, analyser les mécanismes de la psyché humaine, outre que cela me passionne, ça fait même partie de mon métier. Mais que pouvais-je vraiment entreprendre envers un inconnu terrifiant, accroché à moi comme une moule à son rocher ? En tant que Tamara, travailleuse sociale, empathique et attentionnée, j'ai commencé par lui parler, doucement d'abord. J'ai cherché à savoir ce qu'il faisait là, de quoi il avait besoin. Est-ce qu'il fuyait une personne ou une situation ? Comment pouvais-je l'aider ? Sa cruauté prenait-elle sa source dans l'expérience d'une maltraitance infantile ? J'ai essayé d'initier un échange, mais sa réponse est restée muette. Alors je me suis accrochée à des hypothèses, pour justifier sa présence. Rien de mieux que d'intérioriser les insinuations des voisins qui disent que s'il est là, c'est pour une raison. J'ai sûrement dû l'attirer. Tiens, ça vous fait pas penser à une autre situation ? Me voilà dans mon lit à compter les hypothèses, plutôt que les moutons. Hypothèse numéro 1 Est-ce que cet inconnu est là parce que j'ai vécu une enfance traumatique ? Numéro 2. Parce que je vis un amour tellement puissant, une situation professionnelle incroyable et que c'est trop beau pour être vrai ? Numéro 3. Parce que j'ai abusé des produits laitiers alors que je suis intolérante ? Numéro 4. Parce que j'ai un jour massacré des fourmis qui envahissaient mon appartement ? Oui, je m'en veux encore. J'ai pleuré pendant deux heures au-dessus de mon aspirateur. Ceux qui ont lu Fourmis de Bernard Weber comprendront. Numéro 5. Parce que mon destin est de porter la voix des personnes malades ? Numéro 6. Parce que je suis censée changer radicalement de voix et plonger dans ma créativité ? Numéro 7. Parce que j'ai un mauvais karma, hérité de vie antérieure ? Vous verrez. On peut continuer comme ça durant des heures, jusqu'à en devenir obsédé mentalement. Et on peut surtout se raconter l'histoire qu'on veut. Mais concrètement, l'inconnu est toujours là, collé à moi tel un vieillamment gluant. Donc à un moment donné, vaut mieux compter les moutons, pour au moins trouver un peu de sommeil. Puis sympathiquement, je lui ai demandé s'il avait l'amabilité d'aller faire un tour. Staper cette fameuse clope quoi, je sais pas. Ou simplement aller s'acheter un journal au kiosque. Prenez, c'est ma tournée, et gardez la monnaie. Mais il s'en fichait royalement. Les voisins d'en face ont sous-entendu ma mauvaise volonté. C'est une librairie entière que je devais lui offrir, pas un journal dans un kiosque. Oui, bon, désolé, ma référence de la richesse est possédée de la littérature. Certainement que l'inconnu préfère un cabriolet, en vrai. L'inconnu semblait ne plus pouvoir se passer de ma peau. À croire qu'il en était amoureux. C'est gentil, mais je cherche pas un amoureux, moi. J'ai fermé mon compte Tinder il y a des années déjà. Oui, parce qu'à l'époque, je croyais que Tinder pouvait amener des amoureux. Ou que je ferais partie des 8% des couples qui se créaient sur ces applis. Sans jugement, ok ? Puis je l'ai supplié. En larmes. À genoux. À deux doigts de lui faire ce que vous pouvez imaginer. Lui demandant d'avoir pitié de moi, que je n'étais qu'une pauvre fille qui souhaitait vivre une vie simple et sans emmerdes. J'ai tout négocié avec lui. Mon vélo électrique. Faut dire qu'il m'a coûté la peau des fesses. Ma carrière, mes livres, seul bien matériel auquel je tiens vraiment, vous l'aurez compris, mes privilèges, et Dieu sait ce que j'en ai, vu que je mange à ma faim, que j'ai un toit sur la tête et de l'électricité, que je suis blanche, et que jusqu'à aujourd'hui j'ai réussi à payer mes factures. Enfin, sauf mes factures d'assurance maladie, mais c'est un détail ça, non ? Je lui ai même proposé de me couper un doigt pour qu'il me rende ma liberté. Parce qu'au final, ça ferait mal à un bon coup et après on n'en parlerait plus. Et puis j'ai de la chance de ce côté-là. Je suis méga tolérante à la douleur. Probablement dû aux 18 dernières années de ma vie à ressentir chaque mois pendant 5 jours qu'on me plante un sabre de l'utérus à l'anus. Bref, j'étais prête à perdre beaucoup. À échanger et troquer la quasi-totalité de ma vie. Moi qui n'avais négocié qu'un masque traditionnel du Burkina Faso, je devenais reine de la négociation. En inconnu, vicieux, impénétrable, il n'a pas s'y lait. Puis je me suis prise pour une chrétienne. Moi qui n'avais prié qu'au repas avec ma nonna parce qu'elle pensait qu'il fallait remercier Dieu alors que c'était elle qui avait brassé la polenta du bled pendant quatre heures, je suis donc passée aux promesses. J'ai juré avec tout mon cœur les mains en prière. Je jure de ne plus jamais avoir une pensée méchante, de m'engager en tant que bénévole, de m'impliquer dans mon travail corps et âme, de donner de l'argent aux associations, d'aimer chaque personne de cette planète comme si c'était mon propre enfant. J'aurais tout, tout, tout donné. Pour une parenthèse, un espace de liberté, pour que mes ailes se déploient à nouveau en solitaire. pour sentir l'air sur mon visage tel un oiseau porté par son élan loin de cette sangsue collée à la peau, pour simplement ne plus sentir mon corps phagocyté par le sien. Mais rien ne semblait replier les bagages de l'inconnu. Seule, je n'y arrivais plus. J'étais en train de sombrer à force de lutter contre cette figure obscure. Captive, dans ma propre maison. Il fallait que je rassemble les meilleurs soldats, une armée comme bouclier. Qu'on le sorte de force et que je pose un grillage, une muraille ou je ne sais quoi d'impénétrable autour de chez moi pour que plus jamais il ne puisse y poser les pieds. Portée par l'espoir de m'allier à une élite entraînée, j'ai rencontré tour à tour celles et ceux considérés comme étant les meilleurs. Pour enfin gagner la guerre contre le menaçant étranger. Ils avaient tous leur propre attirail. De la blouse blanche aux pendules. Et des guerres. Ils en avaient tous gagné. Alors consciencieusement, je les ai laissés m'entraîner à la bataille, en les écoutant scrupuleusement un à un. L'interniste. Reposez-vous, il va finir par s'ennuyer de vous voir à l'horizontale. Inspirant profondément, j'ai haussé un sourcil. La naturopathe. Passez-vous cette pommade, la lubrification vous rendra insaisissable. Expirons avec un soupir, je me suis badigeonné sans trop y croire. Le micronutritionniste. L'inconnu adore les ailes inflammatoires. Si vous les arrêtez, il va préférer aller se nourrir chez l'oiseau. Inspirons à nouveau, j'ai envisagé de bannir les carottes cuites de mon alimentation. L'ORL. Rester en mouvement perpétuel, ça va le fatiguer. Expirant, j'ai entamé une série de tours chronométrées autour de la table du salon. Le psy. Travaillez le lien à votre famille, parce qu'il se divertit en vous regardant vous prendre le bec avec votre clan. Inspirant profondément, j'ai organisé un repas de famille en évitant les sujets sensibles. La magicienne. Tartinez-vous l'entrejambe d'œuf cru pourri, l'odeur va le faire déguerpir. Inspirant et expirant à contre-cœur, j'ai payé sans broncher les 120 francs demandés. Punaise, je m'étais promis de lui mettre une étoile sur Google à celle-là. Rigoureusement, telle la meilleure recrue, j'ai appliqué à la lettre les exigences d'une femme du rang. J'ai cru, j'ai appliqué, j'ai dépensé, j'ai roulé des kilomètres et des kilomètres pour trouver le remède, la mine qui le ferait sauter. Mais au fait, si je le faisais sauter, ne sauterais-je pas avec lui ? Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode. et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Découvrez tous les engagements de l'association Les Invisibles sur le site internet lesinvisibles.ch. Ensemble, continuons à visibiliser l'invisible.

Description

La "Chronique de malade !", le nouveau format du podcast Les Invisibles, débute avec une trilogie métaphorique (dont voici la deuxième partie) pour raconter le bouleversement causé par l’arrivée inopinée d’un invité inattendu : la maladie invisible et chronique.


À travers mes journaux intimes, enfin livrés à mon micro, je réaffirme mon engagement : visibiliser l’invisible.

Cette chronique, c’est mon histoire… et peut-être la vôtre aussi.


Chaque mois, sur Les Invisibles, je partagerai sans filtre ce que vivre avec une maladie chronique signifie vraiment. De cette expérience quotidienne naît une réflexion sur les dynamiques sociétales, nos comportements et nos mécanismes humains.

Portée par les créations sonores de Michael Maaïk Pellegrini, compositeur et polyinstrumentiste, plongez dans cette chronique engagée, où je dévoile les dessous de l’invisibilisation de nos parcours de vie.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une amie m'a dit un jour, Tamara, cette maladie a de la chance de t'avoir. Un compliment inattendu que j'ai choisi d'honorer. Plongée avec moi dans la chronique de malades, où les voix invisibles trouvent enfin leur écho. Bonne écoute ! J'avais beau intuitivement le savoir... J'ai mis du temps à saisir concrètement que cet inconnu au contour trouble, au geste inanticipable et à la présence permanente, resterait là à durée indéterminée. Il avait eu son CDI, lui. Vous savez, ce saint Graal qui fait rêver les salariés. L'inconnu s'est approprié mon chez-moi, comme s'il en avait toujours été le propriétaire. À l'aube, il me tire du sommeil en ouvrant grand mes volets, puis il s'étale de tout son saoul sur moi. Dommage, parce que quand c'est mon mari, j'adore ça. Et pendant des heures, je lutte pour m'extirper de ce poids presque mort et malheureusement bien vivant, avachi sur mon corps. Vous trouvez pas dommage de se faire réveiller à l'aube pour ne pas réussir à sortir du lit ? Moi aussi, je préférais soit me réveiller tôt et être active, soit me taper une grasse mat. Quand je descends l'escalier, il me pousse en avant, me tire en arrière, me bouscule contre les murs. Arrivé en bas, nauséeuse et le cerveau brouillé, je n'ai qu'une envie, me recroqueviller en boule, pleurer et retourner au lit. Et puis à quoi bon ? Il sera indéfiniment là à me baloter d'un côté à l'autre du lit comme dans une exiguë cabine de bateau. Autant aller me couler un café, que je n'arriverai pas à avaler vu que j'ai la nausée. Quelqu'un se souvient du site internet vie de merde Sa présence n'a rien de discrète, de polie, de rassurante ou de respectueuse. Je le précise au cas où le voisin plein de bonne volonté souhaite m'affirmer Tu vas finir par t'habituer. La meilleure chose à faire, c'est d'accepter. Moins tu y penseras, moins tu le sentiras. Eh bien, tu sais quoi le voisin ? Mon point dans la figure ? Moins tu y penseras, moins tu le sentiras. Et puis t'as qu'à le prendre chez toi l'inconnu va. L'intrus s'est incrusté dans ma vie tel un mur infranchissable, et moi en vrai, j'aimerais bien les repousser les murs, histoire d'avoir plus de place dans mon chez-moi. Mais mes bras, c'est comme des ailes de poulet, y'a rien dedans, je vais devoir trouver d'autres stratégies. Quelques jours après son arrivée, Je me suis prise pour la fille de Benoît Blanc, vous savez ce fameux personnage dans À couteau tiré joué par Daniel Craig. J'ai pied du coin de l'œil tous ses faits et gestes, espérant les anticiper, les surprendre et surtout les désamorcer. Observer, décortiquer, analyser les mécanismes de la psyché humaine, outre que cela me passionne, ça fait même partie de mon métier. Mais que pouvais-je vraiment entreprendre envers un inconnu terrifiant, accroché à moi comme une moule à son rocher ? En tant que Tamara, travailleuse sociale, empathique et attentionnée, j'ai commencé par lui parler, doucement d'abord. J'ai cherché à savoir ce qu'il faisait là, de quoi il avait besoin. Est-ce qu'il fuyait une personne ou une situation ? Comment pouvais-je l'aider ? Sa cruauté prenait-elle sa source dans l'expérience d'une maltraitance infantile ? J'ai essayé d'initier un échange, mais sa réponse est restée muette. Alors je me suis accrochée à des hypothèses, pour justifier sa présence. Rien de mieux que d'intérioriser les insinuations des voisins qui disent que s'il est là, c'est pour une raison. J'ai sûrement dû l'attirer. Tiens, ça vous fait pas penser à une autre situation ? Me voilà dans mon lit à compter les hypothèses, plutôt que les moutons. Hypothèse numéro 1 Est-ce que cet inconnu est là parce que j'ai vécu une enfance traumatique ? Numéro 2. Parce que je vis un amour tellement puissant, une situation professionnelle incroyable et que c'est trop beau pour être vrai ? Numéro 3. Parce que j'ai abusé des produits laitiers alors que je suis intolérante ? Numéro 4. Parce que j'ai un jour massacré des fourmis qui envahissaient mon appartement ? Oui, je m'en veux encore. J'ai pleuré pendant deux heures au-dessus de mon aspirateur. Ceux qui ont lu Fourmis de Bernard Weber comprendront. Numéro 5. Parce que mon destin est de porter la voix des personnes malades ? Numéro 6. Parce que je suis censée changer radicalement de voix et plonger dans ma créativité ? Numéro 7. Parce que j'ai un mauvais karma, hérité de vie antérieure ? Vous verrez. On peut continuer comme ça durant des heures, jusqu'à en devenir obsédé mentalement. Et on peut surtout se raconter l'histoire qu'on veut. Mais concrètement, l'inconnu est toujours là, collé à moi tel un vieillamment gluant. Donc à un moment donné, vaut mieux compter les moutons, pour au moins trouver un peu de sommeil. Puis sympathiquement, je lui ai demandé s'il avait l'amabilité d'aller faire un tour. Staper cette fameuse clope quoi, je sais pas. Ou simplement aller s'acheter un journal au kiosque. Prenez, c'est ma tournée, et gardez la monnaie. Mais il s'en fichait royalement. Les voisins d'en face ont sous-entendu ma mauvaise volonté. C'est une librairie entière que je devais lui offrir, pas un journal dans un kiosque. Oui, bon, désolé, ma référence de la richesse est possédée de la littérature. Certainement que l'inconnu préfère un cabriolet, en vrai. L'inconnu semblait ne plus pouvoir se passer de ma peau. À croire qu'il en était amoureux. C'est gentil, mais je cherche pas un amoureux, moi. J'ai fermé mon compte Tinder il y a des années déjà. Oui, parce qu'à l'époque, je croyais que Tinder pouvait amener des amoureux. Ou que je ferais partie des 8% des couples qui se créaient sur ces applis. Sans jugement, ok ? Puis je l'ai supplié. En larmes. À genoux. À deux doigts de lui faire ce que vous pouvez imaginer. Lui demandant d'avoir pitié de moi, que je n'étais qu'une pauvre fille qui souhaitait vivre une vie simple et sans emmerdes. J'ai tout négocié avec lui. Mon vélo électrique. Faut dire qu'il m'a coûté la peau des fesses. Ma carrière, mes livres, seul bien matériel auquel je tiens vraiment, vous l'aurez compris, mes privilèges, et Dieu sait ce que j'en ai, vu que je mange à ma faim, que j'ai un toit sur la tête et de l'électricité, que je suis blanche, et que jusqu'à aujourd'hui j'ai réussi à payer mes factures. Enfin, sauf mes factures d'assurance maladie, mais c'est un détail ça, non ? Je lui ai même proposé de me couper un doigt pour qu'il me rende ma liberté. Parce qu'au final, ça ferait mal à un bon coup et après on n'en parlerait plus. Et puis j'ai de la chance de ce côté-là. Je suis méga tolérante à la douleur. Probablement dû aux 18 dernières années de ma vie à ressentir chaque mois pendant 5 jours qu'on me plante un sabre de l'utérus à l'anus. Bref, j'étais prête à perdre beaucoup. À échanger et troquer la quasi-totalité de ma vie. Moi qui n'avais négocié qu'un masque traditionnel du Burkina Faso, je devenais reine de la négociation. En inconnu, vicieux, impénétrable, il n'a pas s'y lait. Puis je me suis prise pour une chrétienne. Moi qui n'avais prié qu'au repas avec ma nonna parce qu'elle pensait qu'il fallait remercier Dieu alors que c'était elle qui avait brassé la polenta du bled pendant quatre heures, je suis donc passée aux promesses. J'ai juré avec tout mon cœur les mains en prière. Je jure de ne plus jamais avoir une pensée méchante, de m'engager en tant que bénévole, de m'impliquer dans mon travail corps et âme, de donner de l'argent aux associations, d'aimer chaque personne de cette planète comme si c'était mon propre enfant. J'aurais tout, tout, tout donné. Pour une parenthèse, un espace de liberté, pour que mes ailes se déploient à nouveau en solitaire. pour sentir l'air sur mon visage tel un oiseau porté par son élan loin de cette sangsue collée à la peau, pour simplement ne plus sentir mon corps phagocyté par le sien. Mais rien ne semblait replier les bagages de l'inconnu. Seule, je n'y arrivais plus. J'étais en train de sombrer à force de lutter contre cette figure obscure. Captive, dans ma propre maison. Il fallait que je rassemble les meilleurs soldats, une armée comme bouclier. Qu'on le sorte de force et que je pose un grillage, une muraille ou je ne sais quoi d'impénétrable autour de chez moi pour que plus jamais il ne puisse y poser les pieds. Portée par l'espoir de m'allier à une élite entraînée, j'ai rencontré tour à tour celles et ceux considérés comme étant les meilleurs. Pour enfin gagner la guerre contre le menaçant étranger. Ils avaient tous leur propre attirail. De la blouse blanche aux pendules. Et des guerres. Ils en avaient tous gagné. Alors consciencieusement, je les ai laissés m'entraîner à la bataille, en les écoutant scrupuleusement un à un. L'interniste. Reposez-vous, il va finir par s'ennuyer de vous voir à l'horizontale. Inspirant profondément, j'ai haussé un sourcil. La naturopathe. Passez-vous cette pommade, la lubrification vous rendra insaisissable. Expirons avec un soupir, je me suis badigeonné sans trop y croire. Le micronutritionniste. L'inconnu adore les ailes inflammatoires. Si vous les arrêtez, il va préférer aller se nourrir chez l'oiseau. Inspirons à nouveau, j'ai envisagé de bannir les carottes cuites de mon alimentation. L'ORL. Rester en mouvement perpétuel, ça va le fatiguer. Expirant, j'ai entamé une série de tours chronométrées autour de la table du salon. Le psy. Travaillez le lien à votre famille, parce qu'il se divertit en vous regardant vous prendre le bec avec votre clan. Inspirant profondément, j'ai organisé un repas de famille en évitant les sujets sensibles. La magicienne. Tartinez-vous l'entrejambe d'œuf cru pourri, l'odeur va le faire déguerpir. Inspirant et expirant à contre-cœur, j'ai payé sans broncher les 120 francs demandés. Punaise, je m'étais promis de lui mettre une étoile sur Google à celle-là. Rigoureusement, telle la meilleure recrue, j'ai appliqué à la lettre les exigences d'une femme du rang. J'ai cru, j'ai appliqué, j'ai dépensé, j'ai roulé des kilomètres et des kilomètres pour trouver le remède, la mine qui le ferait sauter. Mais au fait, si je le faisais sauter, ne sauterais-je pas avec lui ? Merci de soutenir ce podcast en vous abonnant pour ne manquer aucun épisode. et en lui donnant 5 étoiles sur vos plateformes d'écoute préférées. Découvrez tous les engagements de l'association Les Invisibles sur le site internet lesinvisibles.ch. Ensemble, continuons à visibiliser l'invisible.

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