Speaker #0Une amie m'a dit un jour, Tamara, cette maladie a de la chance de t'avoir. Un compliment inattendu que j'ai choisi d'honorer. Plongez avec moi dans la chronique de malades, où les voix invisibles trouvent enfin leur écho. Bonne écoute ! Cette chronique commence mal. Elle finit même par toucher le fond. Un adage dit que lorsque l'on touche le fond, on ne peut que remonter. Ce fond... Certains le redécorent à leur manière, faute de pouvoir remonter. Mais de cette chronique, je te promets qu'on y remonte. Imaginons qu'elle est divisée en trois chapitres. Eh bien, au début du deuxième, on sent déjà l'élan vers la surface. Si les fêtes de fin d'année sont difficiles pour toi, voire une période étouffante, reste avec moi. Tu trouveras l'oxygène qui te manque. Moi, je n'ai jamais aimé Noël. Faute aux distorsions familiales exacerbées durant cette période. Mais les tensions familiales ne sont que la pointe de l'iceberg des défis que représentent les fêtes. Derrière les chants des enfants, le feu qui crépite et l'odeur de dinde caramélisée qui sort du four, ces fêtes sont déclencheuses de stress chez de nombreuses personnes. Celles qui ont perdu un proche, les personnes pauvres, isolées. Et au hasard, les malades. On peut même être une personne malade, isolée, pauvre, qui a perdu un proche. C'est fréquent même, parce que la maladie précarise et la maladie isole. Enfin, soyons clairs, ce n'est pas la maladie, mais le système qui précarise et isole les malades. Dans cette période où il faut sembler heureux, heureuse, entouré, fonctionnel, tout ça dans une robe à paillettes qui claque ou un costume cintré, les angoisses, les douleurs ou tout autre symptôme émotionnel ou physique peuvent s'exacerber. Dis-toi que c'est ok, si c'est ce que tu ressens. Autant de fois que tu en as besoin de l'entendre. Parce que porter un masque... Faire semblant, rire pour retenir les larmes, c'est épuisant. Alors dans cette période où le maître mot s'est fêté, tu peux te sentir particulièrement anxieux, anxieuse ou déprimée. Et je te le rappelle car tu l'as déjà oublié, c'est ok. Derrière les chaumières illuminées, les gens seuls le sont d'autant plus. Les personnes avec des troubles alimentaires se demandent comment elles vont bien pouvoir faire face à la montagne de nourriture imposée. Les personnes pauvres sont d'autant plus confrontées à leur absence de pouvoir d'achat, face au champagne qui coule à flot sur les tables de ceux et celles qui ne manquent de rien. Et les victimes des pervers narcissiques, oh, elles aussi ont leur moment de vulnérabilité. Oui, je pense à ces victimes, car enfant, j'en ai fait partie durant des années. À Noël, elles recevront des pervers narcissiques un cadeau déguisé, celui qui a l'air trop stylé publiquement, mais qui est une véritable violence pour celui ou celle qui le reçoit. Tu le sais, cette liste des personnes souffrantes à Noël est non exhaustive. Mais tu l'auras compris, plein de gens souffrent. Sur fond de guirlandes lumineuses et de maria carré, please. Voilà pourquoi Noël n'a jamais trouvé grâce à mes yeux. Je me sentais seule, sur lit de dysfonctionnement amplifié, et mon hypersensibilité me connectait à tous les SDF du coin, le cul au froid. Pendant que la ville engloutit des gouffres d'électricité pour faire scintiller les lumières au-dessus de leur tête. We wish you a Merry Christmas, we wish you a Merry Christmas. Et sur ça, je mets de mentionner mes 9 années de travail en foyer. 9 ans, avec des adolescents puis des personnes handicapées, angoissées un mois avant les fêtes, à l'idée d'être, encore une fois, oubliées à la table d'une institution. Une institution qui fait des économies sur le repas de Noël. Désolée les éducs, on n'a pas le budget pour la traditionnelle bûche de Noël cette année. On vous laisse l'annoncer aux bénéficiaires ? And a happy New Year ! Pour toutes ces raisons, ajoutées à mes intestins hyper poreux qui me connectent ostensiblement à la misère du monde, je n'ai jamais aimé Noël. Puis j'ai rencontré Mickaël, l'homme de ma vie. Oui, oui, on peut avoir une langue sarcastique comme la mienne et utiliser des termes comme l'homme de ma vie. J'assume, ok ? Cinq mois après le début de notre histoire, Noël est arrivé. Et là, je ne sais pas si c'est l'amour, les hormones ou un bug émotionnel temporaire, mais qui dure quand même depuis plus de cinq ans maintenant. Mais pour la première fois, mon oreille s'est tendue en entendant Make my wish come true, baby all I want for Christmas is you, yeah yeah Non seulement je ne l'ai pas détesté, mais je l'ai presque. Allez, osons le dire. Aimé ? Oui, moi. Ému par une chanson de Maria Carey, Kitsch à mourir. C'est dire. D'ailleurs, on en parle de tous ces fucking royalties qu'elle se fait chaque année. Ça me rend mûr de jalousie. Quand tu sais que l'association Les Invisibles doit payer presque 700 euros pour que son podcast soit diffusé sur les plateformes d'écoute. Bref. Je me souviens de ce Noël de 2019. L'apéro gourmand, les échanges de cadeaux faits main, le champagne qui rend les conversations plus intimistes et les éclats de rire sous une déco simple, lumineuse, pensée avec soin. Une soirée qui avait ce goût rare d'un bonheur facile, non forcé. Puis la porte qui se ferme derrière ce moment enchanté et moi qui demande à Mickaël les yeux écarquillés. La soirée est terminée ? personne ne va gueuler, tenter de se suicider, vomir sur ses pieds. Cette nuit-là, je suis rentrée le cœur léger. Mais comme je te l'ai dit, cette chronique commence mal. Et là tu te dis, ah, on est encore dans la première partie. Six mois plus tard, je suis tombée malade. La tranquillité aura été de courte durée. Le gouffre s'est présenté sans invitation. Et Noël n'était plus du tout une priorité. Bon, on était en juin, tu me diras. L'énergie était ailleurs, pour ce qu'il en restait. Dans l'espoir de stabiliser une vie qui tanguait sans relâche. Dans l'espoir, simplement, de rester debout. Les fêtes ont tout de même fini par arriver. Mais elles n'ont pas voyagé seules. Elles sont venues bras dessus, bras dessous, avec une angoisse nouvelle. Comment vais-je survivre aux fêtes, maintenant que je suis malade ? Et avec cette angoisse est arrivée une pluie de questions qui l'amplifiaient. Que vais-je manger, moi qui ne digère plus rien ? Comment puis-je enchaîner deux ou trois Noëls consécutifs alors qu'un simple shampoing m'épuise ? Comment vais-je tenir jusqu'à minuit alors que mes batteries sont déjà à plat à 21h ? Avec quel argent vais-je acheter des cadeaux quand chaque centime part dans mes soins non remboursés ? Est-ce que je vais pouvoir suivre une conversation autour d'une grande tablée avec mes troubles cognitifs ? Et ces guirlandes lumineuses ? Comment ne pas vomir face à ce clignotement incessant quand chaque mouvement m'assaille de nausées ? Noël, comme un vieux refrain que je ne voulais plus entendre, est redevenu un trigger. Un mélange de souvenirs amers, d'émotions contradictoires et de cette pression sociale qui tambourine à ma porte chaque année. Plutôt que l'injonction à festoyer, tout en moi aspirait à la paix, le silence. L'oubli des jours difficiles. Mais un jour, quelque chose a changé. Ou plutôt, quelqu'un. Et je t'invite à rester avec moi parce que c'est maintenant qu'on remonte du sol qu'on avait touché. Crois-le ou non. Un matin embrumé, un lutin un peu épuisé, tirant un renne accidenté, se sont pointés devant la porte-fenêtre de ma cuisine. J'ai invité le lutin à venir prendre un chocolat chaud. Le renne, ça lui suffisait de brouter dans mes bacs de potager. Et c'est là qu'il m'a raconté son périple, pour venir jusqu'à moi tandis que je recousais et replaçais les pompons sur son chapeau. Oui, alors là, je m'invente totalement une vie, parce que c'est mon mari qui coud à la maison. Mais la magie de Noël, tu connais ? Le gars, enfin, le lutin. Il en avait assez de bosser comme esclave du Père Noël au Pôle Nord à emballer des cadeaux Mad in China sur une chaîne qui tournait jour et nuit. Bref, il a craqué. Alors une nuit, il a volé un renne. Pas Rudolf, faut pas déconner, mais Blitzen. Un renne un peu cassé et sans lumière clignotante. Il affilait droit au sud, loin des banquises et loin des usines, là où la neige ne recouvrait pas tout et où l'air était plus doux. Le trajet ne fut pas de tout repos. Le lutin, bien trop distrait, a failli perdre son chapeau en survolant une cheminée trop haute. Blitzen, lui, a dérapé sur une corniche gelée et a atterri dans un champ d'herbes givrées. Mais à force de détermination et avec une bonne dose de magie, ils ont finalement trouvé leur destination, ma petite maison. Oui, on vivait une jolie petite maison avant de se retrouver dans un appart sans âme en béton armé. À la fin de son récit, il a levé la tête vers les guirlandes cabossées que j'avais tenté de suspendre sans grande conviction. C'est à cet instant qu'il a su. qu'il avait décroché son nouveau job. Noël s'est à nouveau ramené dans ma vie. Déterminé, T-Biscuit, oui c'est comme ça que je l'ai nommé parce qu'au Pôle Nord il n'était qu'un numéro, s'est cousu une petite poche dans mes pulls de saison, un peu comme une invitation discrète au changement. Il est devenu un véritable allié pour me réconcilier avec Noël. Il portait en lui un éclat doux qui contrariait la grisaille de mes pensées. Au début, on a dû apprendre à se connaître. Lui avec ses idées farfelues, ses petites lumières clignotantes au bout des doigts. Et moi, sceptique, fatiguée, pas toujours disposée à écouter ses suggestions. On a bossé dur, lui et moi, pour que je lui fasse confiance, pour que j'écoute enfin ses idées. pour que je finisse par me les approprier et que chaque jour je m'entraîne à les mettre en œuvre. Parce qu'aujourd'hui, elles prennent autant leur sens durant les fêtes qu'en dehors. Il m'a appris à faire de la place à la magie, celle qui s'était éteinte. Tout ça sans renier la réalité de mes symptômes. C'est lui qui m'a aidé à poser des limites, comme un sage qui murmure. Dis à Mickaël que tu ne peux pas enchaîner trois jours de fête. Protège-toi. Noël n'est pas un marathon. C'est lui qui m'a encouragée à créer. Tes sirops à la cannelle et tes savons maison feront bien plus plaisir qu'un cadeau sans âme acheté à la va-vite. Les moments faits main, les gestes sincères, voilà ce qui compte vraiment. C'est lui qui m'a appris à relâcher. Tant qu'à payer un faux pas alimentaire, autant savourer. La culpabilité ne fait pas partie du programme. Et surtout, tout en ajustant une étoile filante sur le sommet du sapin, c'est lui qui m'a montré que demander de l'aide, c'était avant tout une force. Explique calmement que les guirlandes clignotantes exacerbent tes symptômes. Les gens peuvent comprendre. Il est devenu bien plus qu'un lutin. Il est un guide, un compagnon de route, celui qui m'encourage à me traiter avec la même bienveillance que j'aurais pour un enfant, surtout lorsque tout s'effondre autour. Et c'est là que réside toute sa magie. T-Biscuit m'a guidée jusqu'à retrouver un peu d'éclat. Et surtout l'espace d'être moi, tout entière, avec mes symptômes, mes traumas, mes émotions. Et finalement de m'autoriser à vivre Noël à ma manière. Un Noël sans pression, sans masque, dans la simple acceptation de ce que je ressens et la possibilité de le nommer. Cette période aujourd'hui n'a plus rien d'insurmontable. Et je sens bien que toi aussi tu as besoin d'un lutin, parce que la maladie t'éloigne de toi, parfois des autres aussi. Et que dans ce monde tu es amené à surcompenser sans cesse, pour rentrer dans la ronde des personnes valides. En attendant que l'un d'entre eux fasse un burn-out au pays du Père Noël, je t'invite à l'imaginer. Commence par lui créer une petite place, une poche dans ton manteau ou ton sac. Il sera bientôt prêt à te rejoindre. Et en l'attendant, sois ta propre boussole pour réinventer Noël selon tes besoins et ton rythme. Créer un cocon qui te ressemble, où tu peux mettre autant de chaleur, de chocolat et de douceur qu'il t'en faut. Simplifie les fêtes, réinvente-les à ton image, refuse tout ce qui serait trop lourd à payer par rapport à ta sensibilité du moment. Et si tu choisis et peux savourer des instants, des repas, de la compagnie, savoure-les sans culpabiliser. Tu as le droit à cette légèreté. Éphémère soit-elle. Priorise-toi, toujours, et surtout fiche-toi la paix. Si rien ne fonctionne, si c'est encore trop douloureux, si tu échoues là où tu t'étais fixé des objectifs, si tu galères pendant des jours ensuite, fais-toi un câlin et rappelle-toi que tout ce que tu as fait est déjà immense. Et ce, sans comparaison. Souviens-toi, personne n'a aucune pression à te mettre. Tu es la seule personne qui peut le faire. Permets-toi d'envoyer chier dans le respect. Tout ce qui était prévu pour aller regarder Home for Christmas, sur Netflix si jamais, ou t'offrir une sieste. Il n'y a pas que les cadeaux qui méritent une place sous le sapin. Tes symptômes aussi peuvent être déposés parce qu'ils ont le droit d'exister, d'être vus et d'être accueillis avec bienveillance. Ils ne demandent que ça. Tout ce dont tu as besoin peut être exprimé avec douceur et clarté. J'ai besoin de dormir, de manger, d'aller me balader, d'aller méditer. de pleurer, d'un câlin. J'ai besoin d'être là, ou ne pas être là. Avec T-Biscuit, ça fait des années qu'on bosse ensemble maintenant, parce qu'on ne se réconcilie pas avec soi, encore moins avec un soi malade, en quelques jours, ni quelques semaines. Mais ce qu'il avait saisi, ce petit lutin, c'est que me réconcilier avec Noël, c'était avant tout me réconcilier avec moi. Pas avec la maladie, non, celle-là je ne lui dois rien. Mais avec cette part de moi que je maintenais encore à distance, cette part vulnérable, sensible et profondément humaine, qui ne demandait qu'à être vue, entendue et protégée. Et ça, en premier lieu par moi-même. Alors que ce Noël soit ce dont tu as besoin, à ta façon. Qu'il soit grandiose ou minuscule, bruyant ou silencieux, entouré ou solitaire. Peu importe. Qu'il soit simplement un espace où tu peux trouver un peu de paix. Avec ce que tu es aujourd'hui. Avec sincérité, connecté à toi qui m'écoute là en cet instant, je te souhaite de joyeuses fêtes, avec tout ce que cela signifie pour toi. 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