- Speaker #0
Les sages, c'est avant tout une histoire personnelle. Je m'appelle Nicolas Jeanne et j'entreprends depuis que j'ai 19 ans. Sur ce chemin, j'ai eu la chance de rencontrer des personnes que j'appelle les sages. Vous savez, ce sont ceux qui, d'un conseil bienveillant, peuvent changer votre journée, votre projet, votre vie. Souvent des personnes avec qui il y a un avant et un après. A mes yeux, ce sont des leaders authentiques mais surtout des leaders humanistes, et ça c'est important pour moi. Ceux qui vont vous faire grandir sans s'en rendre compte. Plus que n'importe quel livre ou cours, des témoignages qui viennent du cœur et de la réalité, et surtout du cœur. Aujourd'hui, je vous propose de partir à leur rencontre, dans un format inédit, et de négocier avec eux. Un format où l'on dira tout, naturellement, et aucune question ou anecdote sera interdite. Ça, vous avez ma parole. Un format axé sur leur activité, bien sûr, mais qui, évidemment, dérivera vers la vie, la société et les émotions. Mon but, c'est clairement de mettre en valeur l'aspect humain de ces personnalités qui me paraissent exceptionnelles, et de casser la carapace. Casser la carapace, vous le sentez, c'est pas un mot par hasard. Pourquoi ? Parce que je pense que ça va vous permettre d'apprendre sur les plus grands leaders et leaders qui ont bâti et bâtissent la société. La France est une terre bourrée de talents et de leaders et nous allons en leur rencontre. Bon voyage avec les sages. Aujourd'hui nous sommes à Croix, dans le nord près de Lille. Je suis content d'y retourner parce que c'est à quelques centaines de mètres seulement que j'ai fait mes études, derrière le parc Barbieux, pour ceux qui connaissent. Mais surtout je suis content de revoir Thierry. J'ai eu la chance de rencontrer Thierry à la sortie de mes études lors de ma deuxième entreprise, un réseau d'entrepreneurs. Je l'ai rencontré un peu par hasard, mais il m'a tout de suite accordé beaucoup de temps pour m'aider. Et je pense savoir pourquoi. Nous avons eu un match professionnel pour la partie entrepreneur. Nous avons tous les deux le même amour pour les entrepreneurs. Thierry devient alors mon associé, nous aide à nous développer, et j'ai la chance de le côtoyer pendant plusieurs années. Thierry est un personnage vraiment singulier. C'est à mes yeux l'un des plus grands patrons français. Car, au-delà d'avoir été président de l'AFM, l'association familiale Mullier, qui est l'entité mère des enseignes Mullier, pendant plus de 10 ans, il a surtout dirigé un groupe familial avec maintenant plus de 1500 descendants. La famille Mullier... C'est plus de 100 années d'histoire business avec la création de Fildar en 1903 et environ 600 000 collaborateurs dans le monde maintenant. Thierry parle peu et pourtant, vous allez voir, sa parole est très riche. Il a accepté de se raconter aujourd'hui dans les sages et j'en suis vraiment honoré. Allez, c'est parti avec Thierry.
- Speaker #1
Bonjour Thierry.
- Speaker #2
Bonjour Nicolas, ça me fait plaisir de te revoir.
- Speaker #1
Tu vas bien ?
- Speaker #2
Je vais très bien.
- Speaker #1
Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation pour les sages. Est-ce que pour débuter, je peux te demander de te présenter en quelques phrases, s'il te plaît ?
- Speaker #2
Je m'appelle Thierry, j'ai bientôt 70 ans et c'est une date importante pour moi que tu comprendras au fil de notre discussion ensemble. Je suis le quatrième d'une famille de sept, avec le gros avantage d'avoir été le petit des grands et le grand des petits. Et ça m'a souvent conduit dans ma vie. Mon père était cadre supérieur chez Fildar, une vieille entreprise de notre famille. Je suis marié avec une femme formidable depuis bientôt 48 ans. Nous avons trois enfants, deux garçons et une fille, et, ma grande fierté, douze petits-enfants, parce qu'ils m'ont fait le plaisir de faire chacun quatre petits-enfants.
- Speaker #1
Ok, et donc tu as agrandi, tu habites près de Lille, dans le nord de la France ?
- Speaker #2
Alors, nous sommes de Roubaix. Le cœur et le fief de notre famille, c'est Roubaix. Nos premières usines industrielles étaient à Roubaix. Et il y a encore beaucoup de gens de notre famille qui habitent à Roubaix, Tourcoing, Mouveau, la grande communauté urbaine de Lille. Je ne sais pas précisément, mais je pense que plus de la moitié de notre famille habite dans cette zone-là aujourd'hui.
- Speaker #1
Ok, et donc tu as grandi dans cette zone de Roubaix. Comment ça s'est passé ton enfance ? Tu nous as raconté que tu as des frères et sœurs. Globalement, ton enfance s'est passée comment ?
- Speaker #2
Moi, j'ai eu une enfance très heureuse. parce que mes parents ne se préoccupaient pas de mes résultats scolaires et ça m'allait très bien parce qu'ils étaient mauvais. J'ai fait beaucoup de sport parce que j'étais joueur de hockey sur glace et comme il n'y avait pas beaucoup d'équipes de hockey sur glace en France, j'étais en première division, mais je pense qu'il n'y avait qu'une division à l'époque. Donc c'est facile d'être en première division quand il n'y en a qu'une. Et j'étais très engagé dans un certain nombre de choses, dans les appels à l'association des écoles libres. parce que j'étais dans un lycée privé et donc j'étais à la fois, paradoxalement, un cancre et le président des élèves du lycée.
- Speaker #1
Ok, alors sur tout ce que tu viens de dire, il y a une question qui me vient, c'est déjà pourquoi tu n'étais pas scolaire ? Est-ce que c'était un système qui te convient ?
- Speaker #2
Parce que je n'aimais pas étudier, je n'aime toujours pas étudier, parce que ma passion c'est les gens et pas l'étude. J'étudie au travers de lecture de livres et au travers de contacts avec des gens.
- Speaker #1
Ok, c'est ta manière d'apprentissage.
- Speaker #2
C'est ma manière de vivre, plus que d'apprentissage d'ailleurs.
- Speaker #1
Et donc, tu as ton bac à 18 ans ?
- Speaker #2
J'ai mon bac au service militaire, à part avoir échoué deux fois.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #2
Et au bout de deux fois, je m'en vais au service militaire. Et là, la grâce de Dieu et un livre d'Alain Pierrefitte en 1974 qui disait « Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera » . Et la chance fait, comme je t'ai dit, que j'aimais bien lire. J'avais lu ce livre et que dans les sujets de bac, j'ai eu un sujet sur la Chine. Et donc, je m'en étais très bien sorti.
- Speaker #1
Et donc, tu as eu ton bac ?
- Speaker #2
J'ai eu mon bac grâce à Alain Pierrefitte et ce livre. Ok.
- Speaker #1
Et donc, service militaire pendant deux ans.
- Speaker #2
Un an, à l'époque, heureusement, douze mois. Enfin, pas heureusement, d'ailleurs, parce que j'ai eu du plaisir, parce qu'au service militaire, j'étais chef de charge, j'ai fait du volleyball, j'ai fait une exposition sur un député de l'époque de Robespierre, qui s'appelait Camille Vautrin, je crois, ou alors je me trompe de nom, mais Camille, ça c'est sûr. Et enfin, je me suis bien amusé à Charles-Bilbézière. Ok,
- Speaker #1
amusé, et quelques apprentissages aussi sur le service militaire ?
- Speaker #2
On apprend toujours. Un des mots que je vais répéter beaucoup au cours de notre entretien, c'est le mot du plaisir. Et donc moi, j'aime bien avoir du plaisir tous les jours et d'être heureux dans ce que je fais. J'espère que je vais être heureux cet après-midi avec toi.
- Speaker #1
J'espère aussi, je pense que ça va bien se passer. Et après ton service militaire, tu as commencé à travailler, à rentrer dans le monde professionnel ?
- Speaker #2
Oui. En novembre 1975, donc je venais d'avoir 21 ans, j'ai commencé à travailler au Flunch de Louvral comme responsable de la laverie. Dans un Flunch, ou dans un restaurant d'ailleurs, il y a ce qu'on appelle les ouvertures et les fermetures. C'est-à-dire on est du matin au soir, de 6h à 16h ou de 16h à 24h. À l'époque, on travaillait plus qu'aujourd'hui. Et en même temps, on a des responsabilités fonctionnelles. Donc, il y a la responsabilité de la cuisine, de la laverie ou des affaires sociales. Et donc, j'étais en charge de la laverie. Et la chance que j'avais, c'est que j'avais deux charmantes dames d'une quarantaine d'années. Moi, j'en avais un peu plus de 20 qui m'ont à peu près appris tout le management parce qu'elles se considéraient comme mes mères. Et à ce titre-là, elles m'ont éduqué au management comme les mères éduquent leurs enfants. Et c'était formidable.
- Speaker #1
Et qu'est-ce qu'elles t'ont appris alors sur le management ?
- Speaker #2
Elles m'ont appris qu'il y a des choses à dire, des choses à pas dire, qu'il était plus important de féliciter que de critiquer. Il fallait être exemplaire et qu'on ne peut pas demander aux gens des choses qu'on ne fait pas soi-même. Elles m'ont appris beaucoup de choses. Et cet apprentissage s'est continué très longtemps.
- Speaker #1
Ok, donc ta première expérience chez Flinch où tu apprends beaucoup sur le savoir-être, comme tu viens de nous l'évoquer. Et après, du coup, si j'ai bien compris, tu rencontres ou tu rencontres... Tu vois Gérard Mullier qui te propose de créer Pizza Pagne ?
- Speaker #2
Alors, Gérard Mullier avait 24 ans de plus que moi. A toujours 24 ans de plus que moi. 23, pardon, je me trompe. 23 ans de plus que moi. Donc, quand j'en avais 23, c'est-à-dire deux ans après Flunch, vu que j'ai commencé à 21 ans, il me fait venir dans son bureau. Je ne le connaissais pas, parce que c'est un cousin généralement de mon père. Et je vais vous expliquer que mon arrière-grand-père a eu 11 enfants, mon grand-père en a eu 13. Et qu'aujourd'hui nous sommes autour de 1500 descendants de mon arrière-grand-père, parce que dans le Nord les familles étaient très grandes. Et donc je ne connaissais pas, parce que le cousin Germain de mon père, il y en avait beaucoup, et je ne le connaissais pas. Et lui me connaissait un peu parce qu'il était impressionné par le fait que je n'avais pas de diplôme comme lui, impressionné par le fait que j'étais sportif, et impressionné par le fait que j'étais engagé, c'est ce que j'ai dit tout à l'heure. Et donc à 23 ans, un peu... Incroyable, ils me proposent de créer une chaîne de restauration, service à table au prix de la cafétéria, pour renforcer la présence des clients dans les centres commerciaux. Auchan, on est en 77-78, donc Ausha 10 ans, parce que le premier supermarché a été créé en 61, mais il n'y a pas eu d'hypermarché avant 67. Donc moi je considère que vraiment le métier d'hypermarché a démarré en 67. Et donc en 77, je ne sais pas exactement, il doit y avoir une dizaine d'hypermarchés, mais il y a déjà Off-Lunch. Parce que Flunch a été créé en 71. Et donc moi, je démarre Pizza Pie, le premier restaurant, ouvre en 79.
- Speaker #1
Et donc c'est ta première création d'entreprise, c'est une invention entrepreneuriale ?
- Speaker #2
C'est une invention entrepreneuriale avec une caractéristique un peu particulière, c'est que je n'ai pas besoin de lever de fonds, parce que les fonds, ils venaient naturellement de la famille. Donc mon métier, c'était de penser le concept, ou tester le concept, un premier restaurant, faire une équipe, démarrer. Et comme toujours dans la famille, tout de suite, on m'avait mis un conseil chez nous. On en reparlera tout à l'heure, mais le conseil, le modèle très fort, c'est... La dualité entre un patron et son équipe et un président et son conseil. Et même pour les toutes petites entreprises chez nous, toujours il y a un dirigeant et son équipe, un président et son conseil.
- Speaker #1
Et ce premier pizza pie, du coup, il est dans quel centre commercial ?
- Speaker #2
Il y a Noël Godot, à 20 minutes de chez moi. À l'époque, on roulait à 150 km sur l'autoroute et j'avais l'impression d'être raisonnable.
- Speaker #1
Je vois très bien où est Noël Godot. Pour la petite anecdote, lors de ma première entreprise, j'avais fait un stand de Noël. aux périodes des fêtes à Noël Godot donc je vois très bien le centre commercial et du coup donc tu penses le concept tu commences à le développer et ça dure combien de temps avant de dupliquer parce qu'on sait que Pizza Pie après ça a été dupliqué ça dure combien de temps avant de dupliquer le deuxième ?
- Speaker #2
Assez vite parce qu'on était tellement bon marché peut-être trop bon marché d'ailleurs parce qu'en 1979 une pizza marguerite avec une entrée de légumes à volonté, plus un café, ça coûtait 9,90 francs. Pas 9,90 euros, 9,90 francs.
- Speaker #1
Donc, il y a l'équivalent d'un euro 50, deux euros.
- Speaker #2
Oui, mais on ne peut pas dire ça comme ça, parce qu'il y a une inflation. Moi, je mettrais ça en euros. Je pense que des francs de 80, ça vaut des euros d'aujourd'hui. Mais même 9,90 euros aujourd'hui, ce n'est quand même pas très cher. Et on a eu un succès extraordinaire très vite. Et donc, on a redémarré très vite parce que... En 79, on en a ouvert un. En 81, on en a ouvert trois. Et puis après, on s'est développé assez rapidement. Il ne faut pas oublier que c'était un concept dans les centres commerciaux. Donc, c'était pour fixer nos clients dans la galerie. C'est pour que les clients aient le plaisir de venir, de se restaurer et de passer du temps dans la galerie et donc de faire des courses, de profiter du centre commercial et de profiter de la galerie.
- Speaker #1
Et donc, cette aventure Pizza Pie, elle dure combien de temps en tout ?
- Speaker #2
Elle dure de... J'ouvre de 1978 à... c'est-à-dire un an pour mettre au point le concept, ouvrir le premier restaurant, jusqu'en 90, septembre 90. En septembre 90, je quitte Pizza Pie et la restauration d'ailleurs, parce que mon président était un homme qui était... le président à ce moment-là n'était pas un homme de ma confidence. Je ne suis pas sûr qu'il m'écoutera, mais ça n'a pas beaucoup d'importance. Je pense qu'il manquait de confiance en lui, et quand on n'a pas confiance en soi... On n'a pas confiance dans les autres. Et donc j'avais vécu autonome, pas indépendant, j'avais vécu autonome pendant une dizaine d'années, quand il est arrivé et il m'a enlevé mon autonomie par trop de contrôle. Et c'était insupportable pour moi. Et quand je me suis rendu compte que je n'étais bien que quand il n'était pas là, c'est-à-dire qu'il était en vacances, et bien je suis parti. Et le conseil que je donne à tous ceux qui m'écoutent, c'est qu'on n'a pas le droit d'être malheureux au travail. Et quand vous êtes malheureux au travail, parce que vous avez un mauvais patron, Soit vous changez de patron, soit vous faites changer le patron, soit vous partez. Et moi je suis parti.
- Speaker #1
Donc ta prédiction a été dire à ce monsieur ?
- Speaker #2
Non, non, pas lui, à son chef, c'est-à-dire le fameux Gérard Meunier là. Chef du chef, il faut passer deux écrans là-dessus. Et c'est aussi un autre conseil. On a un devoir de passer au-dessus de sa hiérarchie quand on a des choses à lire. Parce que si vous n'êtes pas content de votre patron, vous lui dites une fois, deux fois, trois fois, ça ne sert à rien. Donc il faut passer au-dessus. Donc on a droit à aller à N plus 2. pour dire des choses. Et c'est une grande culture de notre environnement familial. On a le droit, et je vais même rajouter le devoir, d'aller à N plus 2 pour dire des choses si on n'est pas content.
- Speaker #1
Ok, donc tu vas voir Jérôme Mullier, tu lui dis, mon patron ne fait pas confiance.
- Speaker #2
Oui, je lui ai dit trois fois de suite. Une première fois, il m'a dit, tu verras, ça va aller mieux demain. Une deuxième fois, je lui ai dit, il m'a redit, tu vas voir, ça va aller mieux demain. Une troisième fois, je lui ai dit, tu peux me le redire, mais cette fois-ci, je m'en vais. Et il me dit, ok, va-t'en.
- Speaker #1
Va-t'en où ?
- Speaker #2
Alors, il ne dit pas « va-t'en » , il dit « ok, j'accepte que tu t'en ailles » . Et à ce moment-là, je lui dis « moi, je souhaite partir au Grand International » . On est en 1990. Et le Grand International de la famille, ça s'appelait l'Espagne. L'Espagne qui n'est pas dans le marché commun en 1990, il n'y rentre qu'en 1992. Et l'Espagne, Madrid, n'est pas reliée à rien avec un kilomètre d'autoroute. Il n'y a pas un autoroute qui part de Madrid en 1990. Rappelons-nous que l'Espagne sort de l'époque du franquisme, que la PZ ne va pas grand-chose, et que c'est seulement après 1992 qu'il y a beaucoup d'argent qui est arrivé de l'Europe et que l'Espagne a pu devenir ce qu'elle est aujourd'hui.
- Speaker #0
C'est l'heure de remercier notre partenaire Oslo, sans qui ce podcast ne serait pas possible malheureusement. Oslo, c'est un cabinet d'avocats à taille humaine, dirigé par Édouard Wells et Marion Fabre, que je connais personnellement depuis plus de dix ans. Il est composé d'une équipe, l'idée par Édouard et Marion, qui est issue de cabinets d'affaires de premier plan. Mais surtout, au-delà de la qualité de leurs prestations juridiques, Ce que j'aime chez Oslo, c'est leur engagement pour un droit un peu différent. Sur leur description, ils mettent « Nous accordons une importance particulière aux qualités humaines et relationnelles, tout particulièrement au respect, à la simplicité, à l'humilité et à l'élégance. » Ça pourrait paraître bullshit comme ça, mais pour bien les connaître, vous vous assurez que ça se ressent vraiment. Et pour preuve, ils ont accepté de sponsoriser ce podcast dès sa création. Ils offrent une heure de conseils juridiques avec le code LESSAGE et je mettrai leurs coordonnées dans la description du podcast. Allez, on y retourne.
- Speaker #1
Et à cette époque, avant d'aller en Espagne, j'imagine que tu en parles aussi à ta famille. Tu as une femme, des enfants ?
- Speaker #2
Alors, j'ai en effet une femme d'exception et des enfants jeunes.
- Speaker #1
D'accord. Avec quel âge à peu près ?
- Speaker #2
Mon aîné avait 10 ans ou 9 ans. Mon second avait 7 ans et ma troisième avait 4 ans. Donc, ils étaient jeunes. L'expatriation, c'est bien avec des enfants jeunes ou avec plus d'enfants. Plus d'enfants, ça veut dire qu'ils sont âgés, grands, ils sont en partie. Et ma femme, elle est formidable depuis toujours. Et donc, comme j'ai dit récemment dans un discours que j'ai fait, elle est mon meilleur supporteur. Mais supporteur dans les deux sens du terme. Ça veut dire qu'elle me supporte vers le haut. Elle me supporte aussi dans les côtés insupportables que je peux avoir comme tout le monde. Donc, c'est une femme formidable. Et donc, quand je lui ai dit qu'on part en Espagne, elle n'a même pas discuté. Elle a dit, où tu vas, je vais. Enfin, elle ne l'a pas dit, mais c'est ça que ça veut dire. Et donc, on est partis en septembre pour la rentrée des classes 90. Je ne parlais pas un mot d'espagnol, parce que jeune nordiste, j'avais bien sûr fait anglais comme tout le monde, et allemand. Allemand, parce qu'à l'époque, nous avions vocation à rejoindre, pendant le service militaire, les régiments français basés en Allemagne, parce qu'on avait encore des... Les restes post-guerre, on avait encore pas mal de régiments en Allemagne. Et donc, les filles avaient le droit d'apprendre l'espagnol, les garçons avaient le devoir d'apprendre l'allemand. Et donc, je n'ai pas appris l'espagnol. Mais quand on aime les langues, et moi j'aime les langues, parce que j'aime la relation, j'ai appris vite l'espagnol. Ce n'est pas très compliqué. Parce que c'est une langue latine. C'est une langue latine qui est... Bon, il faut travailler, c'est comme tout. Après, sinon on parle mal. Et si on veut parler bien, il faut travailler. C'est ce que j'ai fait. À part mon accent, mon espagnol était excellent. Ok.
- Speaker #1
Et sauf de ma part, j'ai le souvenir que quand tu arrives en Espagne, tu retournes entre guillemets en bas de l'échelle sur des métiers, parce que finalement tu étais dirigeant de Pizza Pie, et là tu retournes à Auchan en Espagne, sur des métiers plus opérationnels, c'est ça ?
- Speaker #2
Il n'y a pas de bas et de haut dans une échelle. Il y a des marches dans l'échelle. Et je pense que c'est important, il y a trop de gens qui font des métiers aujourd'hui et ils ne connaissent rien. C'est ce qu'on appelle les parachutistes. Je ne parle pas de parachutistes dorés, comme on entend dans le journal, mais les parachutistes, c'est ceux qui viennent d'ailleurs. Et ceux qui viennent d'ailleurs, il y en a certains qui réussissent et beaucoup qui ne réussissent pas. Et moi, je suis un farouche adepte de la promotion interne. Et donc, pour pouvoir pratiquer la promotion interne, il faut connaître le métier à la base. Et dans un hypermarché, parce que j'étais parti en Espagne chez Auchan, en Espagne qui s'appelle Alcampo, dans un hypermarché, le premier métier à la base à l'époque où il n'y avait pas Internet, c'était le chef de rayon. Et donc j'ai refait chef de rayon pendant un an, chef de secteur pendant un an, chef de rayon crèmerie, chef de secteur produits frais, directeur adjoint pendant deux ans, directeur de magasin pendant deux ans. Et au bout de ces six ans, on commençait vraiment à être bien intégrés, la direction générale de l'époque là-bas. m'a proposé de devenir patron de la centrale d'achat, qu'aujourd'hui, j'appellerais plutôt la centrale de l'offre. Parce que le grand drame des hypermarchés et du retail alimentaire en général, c'est qu'on parle toujours des prix et que des prix. Donc, l'achat. Et on devrait beaucoup plus parler du produit et que du produit, le prix étant un second produit du prix, du produit, pardon. Et donc, à l'époque, ça s'appelait centrale d'achat. Et donc, je fais huit ans. en Espagne, prêt à y passer le reste de ma vie.
- Speaker #1
Pourquoi ? Par rapport au fait que tu t'y plaisais avec ta famille ?
- Speaker #2
C'est un pays formidable. Ma famille était très bien intégrée. Nous étions très bien intégrés avec le monde francophone, parce que les Espagnols ne sont pas très accueillants.
- Speaker #1
Tu étais dans quelle partie de l'Espagne ?
- Speaker #2
À Madrid. Et c'était une très belle époque. C'est un climat formidable. C'est une petite grande ville, ou une grande petite ville, comme tu veux. C'est pas beaucoup plus grand que la région lilloise, sauf que c'est une capitale, donc il y a tous les avantages de la capitale sans avoir la taille gigantesque de beaucoup de capitales.
- Speaker #1
Et le Nord, te manquait pas ? Parce qu'on sait souvent que les gens qui habitent dans le Nord sont attachés à la terre du Nord. Là, on est quand même loin. Loin de ta famille aussi. Enfin, ta famille proche est avec toi, mais ta famille au sens large.
- Speaker #2
Non, ça m'a pas trop manqué, parce que quand vous êtes expatrié et que vous êtes ouvert aux autres, vous trouverez des familles de substitution autour de vous. Et non, non, ça faisait bien. Puis je rentrais, c'est pas le bout du monde Madrid, il y a des avions, on ne regardait pas beaucoup le CO2 à l'époque, et donc on revenait facilement en avion. Et je vais raconter après que je suis rentré très souvent sur les quatre dernières années.
- Speaker #1
Donc tu es en Espagne avec ta famille Thierry, et donc chez El Campo, et donc tu vas revenir en France pour devenir président de l'AFM. Est-ce que tu peux nous en parler un peu plus ?
- Speaker #2
Alors pour parler de ça, il faut d'abord dire quelques mots sur l'organisation de notre famille. Comme je l'ai dit tout à l'heure, notre famille elle est très nombreuse, parce qu'elle est composée d'actuellement 850 actionnaires familiaux. et 600 descendants de moins de 20 ans, c'est-à-dire 1450-1500 personnes, comme j'ai dit tout à l'heure, descendants de mon arrière-grand-père. Les gens qui ont moins de 20 ans ne peuvent pas encore être actionnaires. Quand ils ont 20 ans, ils peuvent devenir actionnaires. Et donc c'est beaucoup de monde, d'une part. Et d'autre part, nos activités familiales, autour de 6 pôles d'activités, 7 pôles d'activités maintenant. représente beaucoup de collaborateurs et donc et puis 7 groupes d'entreprises qu'il faut accompagner. Les 7 groupes d'entreprises c'est l'alimentaire, le sport, le bricolage, l'électrodomestique, le textile, la restauration et chez nous ce qu'on appelle les nouveaux métiers, on en parlera peut-être tout à l'heure. Et donc depuis 60 ans environ, les actionnaires, ils étaient moins nombreux dans le temps, moi quand j'étais actionnaire à 20 ans donc en 74, On était à peu près 70 membres de la famille actionnaire, maintenant on est 850. Mais ça fait 74, ça fait 50 ans. Donc en 50 ans, il y en a beaucoup qui sont arrivés et qui ont grandi. Et donc pour gérer cet ensemble, depuis 60 ans, tous les 4 ans, pendant très longtemps, étaient élus. Et on peut comparer ce modèle électif à un modèle municipal. Sauf qu'on n'était pas sur des listes, on était individuellement. Donc il y a des candidats de la famille qui se présentent à l'élection de ce qui s'appelait avant le Conseil central et qui s'appelle maintenant le Conseil de gérance. Et les sept premiers, ceux qui ont le plus de voix, sont élus gérants ou conseillers du Conseil central. Et ces sept gérants se retrouvent avec le pouvoir de l'actionnaire. On en parlera tout à l'heure. Qu'est-ce que ça veut dire le pouvoir de l'actionnaire ? Je reviens maintenant que j'ai expliqué ce qu'est ce conseil de gérance. Quatre ans après être parti en Espagne et quatre ans avant de revenir, le même Gérard Mullier me dit « Thierry, je pense que ça serait bien que tu sois élu gérant » . Et donc moi, je fais confiance à la vie. À chaque fois qu'on me propose quelque chose, je me dis « si on me le propose, c'est que je dois pouvoir le mériter » . Donc je vais faire ce qu'il faut pour le mériter. On me propose quelque chose, et je suis pas un peu fou, mais je trouve que c'est vraiment intéressant de répondre à l'appel. Et donc là, on m'appelle, et je pose ma candidature. Et en 1994, je suis élu à ce fameux conseil de gérance. Et donc, de 1994 à 1998, une fois par mois, je vais revenir. Je rentrais de Madrid très vite, je quittais... Mon magasin, 6h le soir, je prenais l'avion à 8h. À 10h, j'étais à Paris. À minuit, j'étais dans le Nord, je louais une voiture. Le lendemain, j'avais une journée de conseil de gérance. On expliquera tout à l'heure ce que ça veut dire, être gérant. Et le lendemain soir, je reprenais ma voiture, je retournais à Roissy. Et je reprenais l'avion le lendemain matin, donc en 36h, enfin un peu plus, une nuit, deux nuits. Allez, en 36h, je revenais de Madrid. pour faire une journée de travail ici. Pas de décalage horaire. C'était ça, dommage qu'il n'y ait pas la vision à l'époque, mais il n'y avait que le physique. Et donc, au bout de ces quatre ans, le groupe des gérants m'ont dit on pense que ça serait bien que tu deviennes le président. Alors, j'ai dit tout à l'heure qu'on était élus. Alors, on est élus et c'est les gérants qui choisissent leur président. Mais il reste pas mal vrai que quand même, en famille, on peut pressentir... qui va se proposer, qui on pourrait élire. Donc, je savais que probablement je serais réélu et choisi comme président. Et donc, en septembre 98, toujours rentre à des classes, nous sommes rentrés en pleurs de Madrid pour que je prenne la présidence de l'AFM.
- Speaker #1
Ok. Et sur le conseil de gérance avec cette personne, tu étais pressenti pour devenir le président. Est-ce que tu avais un programme ? Comment ça se passe ?
- Speaker #2
Pas vraiment un programme. Je rappelle que cette gérance, c'est la gérance de la famille et des entreprises. Et que vis-à-vis des entreprises, on ne fait pas grand-chose. Je vais l'expliquer tout à l'heure, parce que c'est l'organisation de l'entreprise qui prône. On n'est pas un groupe d'entreprises, on est une association familiale, et pas un groupe, parce que chaque entreprise a une vie autonome. Comme j'ai dit tout à l'heure, le petit Pizapai que j'étais, était aussi autonome que le grand Auchan ou que le grand Laurent Merlin, qu'il est devenu après. Donc moi j'avais un programme plus tourné vers les familiaux que vers les entreprises. Et mon programme c'était 100-100-100. Sans associer travailleurs, on a beaucoup de mal aujourd'hui, on n'en a que 62.
- Speaker #1
Travailleurs, ça veut dire ?
- Speaker #2
Travailleurs dans nos entreprises, donc descendants de la famille, pardon. Sans associer descendants de la famille qui travaillent dans nos entreprises. Sans associer administrateurs. Ça c'est plus facile, on doit en avoir un peu plus, 120-130. Mais c'est quand même, enfin c'est pas quand même, il faut des gens solides et crédibles. Il faut de la légitimité. D'ailleurs, pour l'anecdote, je vais te poser la question et faire la réponse, parce qu'on n'est pas là pour ça, mais il y a une grande différence entre le pouvoir et l'autorité. Le pouvoir c'est... Je suis nommé directeur général, je suis nommé président, je suis nommé administrateur, ça c'est, je reçois un pouvoir du haut. La légitimité c'est le regard des gens qui sont dans mon environnement ou qui sont sous ma responsabilité, le regard qui fait qu'ils me reconnaissent ou pas la légitimité. Ça c'était comme pendant les guerres. La guerre 14 était très remarquable, où les lieutenants étaient insupportables et les adjudants étaient les vrais combattants. Il y a beaucoup de lieutenants qui disaient on y va, et puis la troupe ne suivait pas. D'ailleurs, qu'il faut en offusier. Alors que les adjudants, ils disaient on y va et la troupe suivait. Et certains adjudants, bien sûr, quand ils disaient on y va, ils y allaient. Donc, être administrateur, c'est important qu'il y ait de la légitimité. Légitimité familiale, légitimité professionnelle, légitimité humaine, c'est les trois points importants. Légitimité familiale n'est pas neutre. La représentation des actionnaires. Alors il n'y a pas que des administrateurs familiaux chez nous. Il y a en général, sur un conseil de 7-8 personnes, deux administrateurs familiaux. 100 et 100, il manque le troisième 100, travailleurs, administrateurs et 100 actionnaires témoins. Alors témoins, ça voulait dire quoi ? Ça aussi, on l'a plutôt bien fait. Ça veut dire que comme notre champ d'entreprise est très vaste, on demande à certains actionnaires... ou ils sont même candidats, de dire « Peux-tu t'intéresser particulièrement à Laurent Merlin ? Peux-tu t'intéresser particulièrement à Boulanger ? » Et à ce moment-là, pendant deux ans, on leur fait un parcours, non pas d'initiation, mais de connaissance d'une entreprise plus particulière. Donc on est bon en administrateur, on est bon en actionnaire témoin, on est moins bon en actionnaire travailleur. Si tu me poses la question plus tard, je te dirai pourquoi.
- Speaker #1
Et Thierry, du coup, j'ai bien compris ce que c'était un actionnaire salarié. Un actionnaire administrateur, mais un actionnaire témoin, concrètement, qu'est-ce qu'il fait ?
- Speaker #2
Un actionnaire témoin, pendant deux années, il va passer quatre à six jours par an en proximité avec l'entreprise, pour la connaître de l'intérieur. Donc l'équipe de direction ou les gens qui s'occupent de ce genre de sujet, ils vont leur proposer des visites, leur proposer des connaissances, leur proposer... d'être en contact de l'entreprise et passer du temps à l'intérieur de l'entreprise pour la découvrir. Et donc de ne pas considérer une entreprise comme étant une entreprise de résultats, de création de valeurs, de dividendes, etc., mais comme étant une entreprise de femmes et d'hommes au service des populations. On en reparlera peut-être tout à l'heure aussi, parce que notre grand concept, nous, c'est d'être au service de nos populations, on est au service de l'humanité. C'est un grand mot pour nous qui n'avons que 600 000 collaborateurs dans le monde. Mais on est quand même au service de l'humanité. Et donc, pour comprendre ça, et comprendre que le résultat n'est qu'une résultante, et jamais un objectif. Je pense que, on en parlera peut-être tout à l'heure, mais ce qui différencie très fort les entreprises familiales des entreprises cotées, c'est que les entreprises cotées recherchent le résultat avant tout. L'entreprise familiale recherche le plaisir des collaborateurs, des bons produits et des clients heureux. Et c'est parce qu'il y a... le plaisir des collaborateurs, des bons produits, des clients heureux, qu'on constate qu'il y a des résultats.
- Speaker #0
Je te confirme, on en reparlera tout à l'heure, parce que c'est un sujet qui nous importe sur les sages. Et une question qui me vient, quand tu es à la présidence de l'AFM, concrètement, c'est quoi ton métier au quotidien ? Et comment tu t'entoures ? Parce qu'on peut... Alors, je te fais deux questions, je suis désolé. Mais la deuxième question, comment tu t'entoures ? On peut imaginer que patron d'un groupe de combien de collaborateurs ? 600 000.
- Speaker #1
600
- Speaker #0
000. Et à l'époque, c'était 600 000 aussi ?
- Speaker #1
Non, un peu moins, mais peu importe. Aujourd'hui, c'est 600 000. C'était beaucoup déjà. Peut-être 400 000 à l'époque, je ne sais pas.
- Speaker #0
Et des patrons, par exemple, du CAC 40, ou des ministres, ou des présidents, des gens qui ont des grandes responsabilités, un peu quand même comme toi, tu avais. Souvent, ils sont entourés d'un certain nombre de personnes. Toi, est-ce que tu étais entouré d'un certain nombre de personnes ?
- Speaker #1
Il y a plusieurs choses à corriger dans ce que tu viens de dire. La première chose, c'est qu'on n'est pas un grand groupe. Parce que j'ai dit sept pôles d'activité, et ces sept pôles d'activité, ils ont à chaque fois une gouvernance spécifique. Et donc chaque entreprise a un président, a un conseil. On va dire un conseil, ça peut être un conseil d'administration, un conseil juridique, un conseil de surveillance, un conseil stratégique, mais en tout cas un conseil. Et en phase 2, un dirigeant et son équipe de direction. Donc la gouvernance de l'AFM, ce n'est pas la gouvernance du groupe LVMH ou du groupe Bouygues avec un patron à la tête. Notre président actuel, ou moi qui, dans le passé, j'étais président de la famille et de l'accompagnement des entreprises. De l'accompagnement des entreprises et pas de la direction générale des entreprises. Donc, si j'étais entouré, bien entendu que j'étais entouré. J'étais entouré de qui ? J'étais entouré des six autres gérants. Donc, on formait une gérance. J'étais entouré de deux personnes qualifiées qu'on recrutait de l'extérieur à qui on ne donnait pas le droit de vote, d'ailleurs. Parce que nous pensons que des gens qui n'ont pas le droit de vote, ils ont plus de liberté de parole que quand ils ont le droit de vote. Ça se discute, mais en tout cas, on le pense comme ça. Et d'un familier office qui est à Roubaix, toujours. et qui regroupe des compétences d'expertise, d'expertise humaine d'abord, d'expertise juridique, d'expertise sociale, d'expertise managériale, d'expertise financière, d'expertise bancaire, enfin un certain nombre de genres. On n'est pas très nombreux, il n'y a toujours qu'une centaine de personnes dans ce family office, dont à mon avis la moitié s'occupe de... de la transmission patrimoniale des associés vers les générations futures. Le drame, quand il y a des décès dans les familles, c'est qu'elles ne soient pas préparées dans nos entreprises, parce qu'à ce moment-là, sinon la fiscalité peut être incroyablement élevée et obligerait à prendre des décisions mauvaises pour les entreprises. Nous, on n'aime pas ne pas être majoritaire chez nous. Dans le temps, on disait même qu'on aimait bien avoir 100% du capital. Aujourd'hui, c'est un peu plus nuancé, mais... On veut absolument être majoritaire et pas au travers d'une cascade de holding comme l'a fait M. Nahouri depuis toujours. Et donc on travaille ensemble. Le président est à temps complet. Quelquefois, il y a un ou deux... Moi, j'avais un financier, un gérant financier et un gérant humain à temps complet aussi. Mais les autres, ils ne vont qu'à leur occupation et ils viennent... On considère qu'ils engagent 50 journées de leur temps, 25 journées en réunion et 25 journées en préparation pour cette fameuse gérance. Alors c'est quoi la gérance ? La gérance, comme on l'a bien défini, elle ne fait rien sauf. Très souvent, on dit tout sauf. Mais là, on dit rien sauf.
- Speaker #0
Quand tu dis la gérance, Thierry ?
- Speaker #1
La gérance, les cinq gérants que je présidais, les sept gérants que je présidais. Les sept gérants, ils ont le pouvoir juridique sur toutes les entreprises. C'est comme si les associés leur avaient donné tous leurs titres. Sur le plan juridique, on est en société en commandite par action. Et pour ceux qui ne le savent pas, une société en commandite par action donne tout le pouvoir au gérant commandité s'il n'a qu'une seule action, mais engagé sur tous ses biens. Donc s'il y avait des grosses catastrophes, gérant commandité. Mais c'est vrai chez Bonduelle, chez Michelin et chez d'autres. Les commandites, il n'y a pas que nous qui en avons. il s'engage sur tous ses biens. Les erreurs sont beaucoup plus chères. C'est ça qui fait l'équilibre entre autant de pouvoir par rapport à autant de risques. On ne fait rien sauf. Alors, on ne fait rien sauf quoi ? On ne fait rien sauf... définir la vision qu'on a pour le futur de l'association familiale. La vision qu'on avait du temps où j'étais président, elle tenait en une phrase très courte, et on disait « la FM, c'est des capitaux porteurs de sens » . Je vous laisse imaginer ce que ça veut dire, chacun peut mettre son contenu. Et la gérance actuelle, elle a innové incroyablement parce qu'elle est passée à l'anglais. Et elle dit, la FM, c'est « creating for people » . C'est qu'on crée pour et par, parce que « for » en anglais, ça veut dire « pour et par » . Donc, pour et par, pour les clients et par les collaborateurs. Et moi, je préfère dire d'ailleurs, par les collaborateurs et pour les clients, parce que je mets toujours en avant les collaborateurs, parce que vous n'aurez pas de clients heureux si vous n'avez pas des collaborateurs heureux. Donc, il y a un ordre. Donc, ça, c'est la première chose. qu'on fait, les cinq choses qu'on fait. La deuxième chose qu'on fait, c'est nommer les présidents. Donc, les sept gérants, ils ont le pouvoir de choisir les présidents de préférence familiaux pour présider les conseils d'administration des fameux sept pôles dont j'ai parlé tout à l'heure. Et chez nous, d'ailleurs, à chaque fois qu'on change de président, tout le conseil démissionne. Le président reconstitue son conseil. et le fait valider par la gérance son mandataire. La troisième chose que la gérance fait, c'est allouer les ressources. Alors, allouer les ressources, dedans, il y a quatre éléments. Le premier élément, c'est prélever et distribuer le dividende. Donc, une entreprise prospère prélève le dividende, l'amène dans notre structure juridique holding. Et d'ailleurs, un petit mot sur le dividende. Moi, je considère que le dividende est la juste rémunération de la fidélité de l'actionnaire en face d'une entreprise prospère. Donc nous, contrairement à des sociétés cotées, on n'imaginerait jamais de prendre un dividende à une entreprise qui n'est pas prospère. Il y a des entreprises cotées qui prennent du dividende avec la dette en face. Pour nous, c'est inimaginable. Donc on prend du dividende. Deux tiers du dividende qu'on prend aux entreprises restent. dans la holding qui nous permet de faire de nouveaux investissements et de travailler les points suivants que je vous expliquais. Et on distribue un tiers du dividende aux associés parce que c'est juste aussi donner un peu de dividende aux associés. Et nous, on préfère donner peu de dividende. Et d'ailleurs, pour l'anecdote, on a commencé à distribuer du dividende aux associés seulement en 1981. 1981, c'est la mise en place par M. Mitterrand. de l'impôt sur la fortune. Donc, pour payer un impôt sur une fortune virtuelle, parce que quand on est actionnaire, on n'est pas fortuné, on a une image d'une fortune, et bien là-dessus, M. Mitterrand, il met en place un impôt qui s'appelle l'impôt sur l'IGF, d'abord, impôt sur les grandes fortunes, et après ISF, parce qu'il taxait à partir d'un million trois, donc ce n'était pas non plus encore des très grands, ou d'un million, maintenant c'est un million trois. Enfin, il n'y a plus, mais c'était ça, à la fin de l'ISF. Et après, l'ISF impose sur la fortune. Donc, c'est une partie du deuxième point. Donc, distribuer des dividendes. Après, il y a acheter et vendre des entreprises. Donc, le métier de la gérance, c'est... La gérance a le pouvoir d'acheter une entreprise, mais pas une filiale d'une entreprise. Acheter une entreprise et vendre une entreprise. Donc, la gérance, elle a le pouvoir de... de vendre au champ, de vendre à des hauts, de vendre des quatelons, de vendre ce qu'elle veut. Elle a le pouvoir aussi d'acheter. Dans l'histoire, on a acheté un certain nombre d'entreprises. On a acheté une partie de décatelons, on a acheté le rhumer là, on a acheté boulanger, on a acheté des entreprises, on a créé des quatelons. Enfin, des quatelons ont été créés par un familial et après on est rentrés au capital. On a créé Ausha créé Pimki, on a créé Kiabi, on a créé la restauration, etc. Et encore dans la restauration, on a acheté Trois Brasseurs, on a créé une restaurante. Donc c'est un mélange d'achat et de... Et donc ça, c'est le métier de l'agence, d'acheter et de vendre. Et alors nous, on n'aime pas vendre, parce que quand on vend, on a l'impression de vendre des femmes et des hommes. Donc ce n'est pas notre style de vendre des femmes et des hommes. Et en fait, on vend quand on ne réussit plus. Il y a une jolie phrase, on dit « il est l'heure de chercher un meilleur parent » . Donc c'est un enfant qui ne marche pas bien et il est l'heure de chercher un meilleur parent. Et donc on l'a fait aussi quelques fois. Donc ça c'est la troisième responsabilité de la gérance. La quatrième responsabilité de la gérance, c'est le juridique et fiscal. C'est quelquefois compliqué aussi ça, parce que le fiscal, il faut payer les impôts qu'on doit payer. Moi, je fais partie de ceux qui aiment payer des impôts à titre entreprise et à titre personnel. J'aimerais mieux que, quelquefois, les impôts soient mieux utilisés qu'ils ne le sont. Mais à ce moment-là, il suffit que je fasse de la politique pour m'engager dans ce que je veux. Si je ne fais pas de politique, et je n'en fais pas parce que je pense que l'entreprise, c'est le meilleur vecteur pour améliorer la vie des citoyens, etc., que la politique. La politique, elle doit se mêler de politique. Et l'entrepreneur, il doit se mêler d'entreprise. Et donc, il faut payer l'impôt qu'il faut payer, mais pas trop. Donc, le pas trop, c'est au plus près de la ligne jaune. Le problème en France, c'est que la ligne jaune, elle bouge souvent. Donc c'est compliqué de rester toujours du bon côté. Donc ce n'est pas simple. Le cinquième boulot, c'est faire en sorte que l'affection des familiaux entre eux et des familiaux avec les collaborateurs soit toujours présente. Et donc là, il y a les politiques de partage, il y a les politiques d'actionnariat du personnel, il y a tout un tas de concepts forts qui font que nos collaborateurs, je l'espère, sentent qu'ils sont mieux traités qu'ils ne seraient traités ailleurs.
- Speaker #0
C'est super intéressant sur ces cinq métiers, ces cinq piliers. Sur la vision, et notamment comme on a passé du temps ensemble, comment tu crées la vision de demain de l'AFM ? Est-ce que tu fais beaucoup de terrain ? Et moi, j'ai un souvenir qu'ensemble, on a été à un grand frais. Alors, je ne sais pas si on a le droit de dire l'enseigne au micro, mais en tout cas, j'ai le souvenir de toi, d'une personne qui faisait beaucoup de terrain, justement, pour... voir l'opérationnel, voir ce qui se passe dans les rayons, voir les collaborateurs. Est-ce que c'est comme ça que pour toi la vision se crée ?
- Speaker #1
Alors, moi j'ai comme caractéristique, tu l'as compris, d'avoir fait un peu plus de 20 ans de terrain et 30 ans de gouvernance. Mais je me rends compte très vite que la gouvernance, elle ne doit pas être désincarnée. Donc pour ne pas être désincarnée, il faut connaître la réalité. Et où se trouve la réalité ? Elle se retrouve dans nos métiers très proches des magasins et aujourd'hui très proches du digital parce que nos magasins, ils ont deux pendants. Ils ont le pendant du vieux retail, donc les centres commerciaux, les magasins et qui sont fort appuyés aujourd'hui par le digital. Donc, il faut y aller. Moi, je passe ma vie. Demain, je m'en vais au Luxembourg voir nos magasins là-bas. La semaine d'après, je vais dans l'Ouest voir nos magasins là-bas, enfin les magasins dont je m'occupais, pour m'assurer que ce qui est dit est vrai. Parce que souvent, les dirigeants, les cadres, ils aiment bien raconter ce qu'ils croient qu'on a envie d'entendre, et la réalité n'est pas toujours au rendez-vous.
- Speaker #0
Super intéressant. Et sur le deuxième point, alors tu parlais de nommer les présidents. Donc les présidents, c'est forcément des présidents qui sont familiaux.
- Speaker #1
Autant que faire se peut. Ce sont des présidents familiaux. Et comme j'ai dit à mon successeur, parce que j'ai quitté la présidence de Boulanger et d'Electrodepôt il y a très peu de temps, comme j'ai dit à mon successeur, je lui ai dit, sois proche du terrain. Et devant un certain nombre de gens, je lui ai dit, enfin je l'ai présenté en disant, Je vous présente Erwan, il s'appelle Erwan, c'est le moins mauvais de la famille pour être votre président. Alors il a souri et il a très vite compris ce que je voulais dire, c'est que je pense qu'on n'a pas l'outre-cunance de penser qu'on est les meilleurs parce qu'on est familial. Mais en tant que meilleur familial, on ne prend pas le plus mauvais truc à faire, mais en tant que meilleur familial, la première chose qui est importante c'est d'incarner la famille, d'incarner la pérennité, d'incarner le sens. incarner l'humain, incarner le long terme. On n'en a pas parlé, mais si tu me demandais de qualifier la famille et nos entreprises avec deux morceaux de phrases, je dirais priorité à l'humain et le long terme. Pas le long terme d'ailleurs, le temps long.
- Speaker #0
Et tu penses du coup qu'un président qui serait non familial, c'est difficile de trouver avec ses valeurs ?
- Speaker #1
C'est plus difficile. Il n'est pas né là-dedans. On prend des provisants familiaux descendants. Moi, j'ai 70 ans d'histoire familiale. Et mon successeur, c'est le conjoint d'une de mes cousines. Il n'a que 25 ans d'histoire familiale. Mais il a quand même 25 ans d'histoire familiale.
- Speaker #0
Donc oui, forcément, c'est des choses qui ne se rattrapent pas à un moment, ça a un nombre d'années. Thierry, quand l'AFM est une entité, un groupement familial qui veut rester discret, j'imagine que c'est une volonté. Pourquoi cette volonté de ne pas forcément communiquer ?
- Speaker #1
Il y a une vieille phrase, je ne sais pas si elle est régionale, mais en tout cas souvent utilisée par nous, « vivons heureux, vivons cachés » . Je pense que... Nous sommes des gens simples, nous sommes des gens normaux, nous sommes des gens qui n'ont pas besoin de paraître plus qu'ils ne sont. Nous sommes des gens qui aimons que nos enfants aillent dans les écoles identiques à celles de tout le monde dans la région. C'est une chance d'être provincial et de ne pas être parisien. Et que nos entreprises soient connues et reconnues. Oui, c'est un objectif, que nos entreprises soient connues et reconnues. Moi, je suis fier des « best places to work » que certaines de nos entreprises ont aujourd'hui. Mais je pense que la famille, elle n'a pas besoin d'être connue et reconnue. Et on travaille, laborieusement, on ne réussit pas tout. Et quand vous êtes connue et reconnue, et qu'en plus vous ne réussissez pas... vous le payez cher. Vous le payez cher en images, vous le payez cher en perte de reconnaissance, vous le payez cher pour les collaborateurs. Nos entreprises non cotées, il y en a qui ont des hauts et des bas. Et quand on est en bas, c'est mieux de ne pas devoir le mettre dans le journal que de devoir le mettre dans le journal. En 2011, Boulanger avait acheté Mediamart Saturne. L'année a été catastrophique. et on a perdu de l'argent cette année-là chez Boulanger. On ne l'a pas mis dans le journal, et on a dit aux collaborateurs au boulot, il faut redresser la barre. Et c'est ce qui a été fait magnifiquement d'ailleurs, pendant toutes les années suivantes, ça a été formidable. Et je peux presque dire que cette année-là un peu mauvaise, elle a été un bon révélateur du futur, enfin un bon accélérateur du futur. Donc pourquoi aurions-nous besoin ? de paraître plus que nous sommes.
- Speaker #0
Et tu parlais justement du coup des entreprises au sein de l'AFM comme Decathlon, Laura Merlin, qu'on retrouve souvent dans des classements où il fait bon vivre, il fait bon travailler. Moi, ce qui m'intéresse, c'est d'essayer de comprendre. Et d'ailleurs, j'ai vu aussi qu'il y avait ElectroDépôt, qui fait partie du Night It Be, qu'on en parlera après, mais que tu as dirigé. Il n'y a pas de hasard. Pourquoi il fait bon vivre chez Decathlon, chez Laura Merlin ? Et chez ElectroDépôt, est-ce que tu peux nous parler un peu de management peut-être aussi ?
- Speaker #1
Avec un grand sourire, je vais vous refaire ce que je fais souvent dans les magasins où je suis, c'est-à-dire une formation accélérée au management en cinq mots. Les cinq mots, le premier mot, c'est la considération. Donc toute femme ou tout homme de la planète, d'ailleurs de l'humanité, a un droit à la considération parce que c'est un être humain et que donc... tout le monde a le droit à ce qu'on leur dise bonjour, y compris le vigile du magasin qui est pourtant de l'extérieur et qui est là pour surveiller. Et moi, j'ai même envie de dire d'abord le vigile, parce qu'il est à la porte, qui est dans le courant d'air, et qu'il fait un boulot extrêmement important pour rendre dissuasifs les voleurs d'avoir envie de rentrer. Je leur dis souvent, vous n'êtes pas là pour attraper les voleurs, vous êtes là pour faire en sorte qu'ils ne viennent pas.
- Speaker #0
Et c'est la première impression du magasin.
- Speaker #1
Et c'est la première impression du magasin. Donc, le premier mot, c'est la considération. Le deuxième mot, c'est l'information. Donc, il faut donner l'information, toute l'information à tous les collaborateurs. Et moi, j'ai aussi l'habitude de dire qu'il n'y a rien de secret. Il peut y avoir des choses confidentielles, mais une chose confidentielle ne dure qu'un temps. Et un secret, d'ailleurs, réfléchissons ensemble, on a souvent honte d'un secret. Parce que quelque chose que je ne veux pas dire, c'est quelque chose dont j'ai honte. Et comme moi, je n'ai pas honte de grand-chose, je pense que les secrets, non. Donc le deuxième mot, c'est l'information. Le troisième mot, c'est la formation. J'ai un jour, aux États-Unis, visité un Costco. Costco, c'est le troisième distributeur mondial d'alimentaires, derrière Walmart et derrière Amazon, je crois. Et juste devant Carrefour, qui est le quatrième. Et j'ai vu un des managers qui était là et qui m'a expliqué assez spontanément le... Le fait social de l'entreprise Costco, qui tient en deux phrases. La première phrase, c'est « Chez Costco, on est payé 20% de plus que le marché local. » Et la deuxième phrase, c'est « Chez Costco, on est formé 5 jours par an. » Demandons aux entreprises de France combien de collaborateurs dans les entreprises de France sont formés 5 jours par an. De la vraie formation, pas des formations humaines, techniques, managériales, etc. Donc la formation, c'est un élément extrêmement important, parce que la formation doublée de l'expérience et doublée de la volonté permettent la promotion. C'est le quatrième mot. Et j'ai dit tout à l'heure que moi, je privilégierais toujours et toujours la promotion interne au parachuté. Et j'ai une jolie phrase aussi qui dit « Je préfère un connu imparfait qu'un parfait inconnu » . Et quelqu'un que j'embauche de l'extérieur, c'est un parfait inconnu. C'est-à-dire son CV, il est magnifique, il a toujours tout réussi, etc. Mais quand il vient chez vous, on se rend compte que tout compte fait, ce n'est pas aussi magnifique que ça. Et le cinquième mot, c'est la rémunération. Et au travers de la rémunération, vous avez le salaire de base, qui ne doit pas être trop élevé. On est au chez-nous, on est prudent en matière de salaire. Et d'ailleurs, mon grand-père était payé 20 SMT. SMT, ça voulait dire salaire minimum textile. Donc il était le grand président d'une grande entreprise de la famille qui faisait une filature de coton qui s'appelle Saint-Lyvin. Et le père de M. Gérard Mullier actuel, toujours vivant, son père est décédé, était payé aussi 20 SMT. Et on peut dire que ça équivalait à 20 SMIC de l'époque. Et nous, aujourd'hui, on essaye de poursuivre cette culture et donc de payer les gens de manière raisonnable. Alors, rémunération faible, pourquoi reste-t-il chez vous ? Il reste chez nous pour deux raisons. Parce que l'esprit et le sens sont bons, comme on devait le sentir, et parce qu'on leur permet de faire ce qu'on appelle un PSP. Un PSP, ça veut dire un patrimoine de source professionnelle. Et donc, tous nos dirigeants reçoivent des attributions gratuites d'action conditionnées à la performance. Je rappelle que la performance n'est pas un objectif, mais une résultante du travail bien fait. Mais ça se mesure quand même. Chez nous, nos entreprises sont mesurées tous les ans et sont évaluées tous les ans. Et au travers de cette évaluation, on mesure ou pas s'il y a une croissance, une performance. Donc si les entreprises sont performantes dans la durée, parce que les attributions d'action, c'est sur quatre ans, si au bout de quatre ans, ils ont réussi à avoir la performance... qui est attendu, eh bien, ils peuvent se créer un patrimoine durable au fil du temps et donc partir avec des millions d'euros. Pas des dizaines, des centaines. On n'est pas chez JP Morgan l'année dernière, j'ai lu ça récemment, qui a fait 36 millions de dollars de rémunération.
- Speaker #0
Et auprès du dirigeant ?
- Speaker #1
Comment ?
- Speaker #0
Auprès du dirigeant ?
- Speaker #1
Il était le patron, il était le dirigeant. Bon, c'est ridicule. Dans aucun sens. Donc nous, on paye raisonnablement, mais on permet aux gens, on permet au cadre de se créer une rémunération professionnelle et on permet aux collaborateurs, actionnaires de l'entreprise, et tous les ans, ils ont le droit d'acheter des actions. Et tous les dix jours, ils ont le droit de vendre leurs actions, s'ils le souhaitent, disponibles. Une action que vous achetez, elle est bloquée pendant cinq ans et après, elle est disponible.
- Speaker #0
Et comme on parle de rémunération, souvent, on entend dans la presse que... Il y a des patrons du CAC 40 qui gagnent des millions d'euros. Et comme tu disais aussi, le patron de J.P. Morgan qui gagne sûrement beaucoup d'argent.
- Speaker #1
C'est le plus gros du monde.
- Speaker #0
C'est le plus gros du monde.
- Speaker #1
En matière de salaire.
- Speaker #0
Un président de l'AFM, je ne vais pas te demander parce que je pense que c'est confidentiel qu'on m'aille gagner.
- Speaker #1
Ce n'est pas confidentiel, je vais te le dire. Moi, quand j'étais président de United B, donc pour situer un peu l'environnement United B, c'était boulanger, électrodépôt et l'économie circulaire. Je gagnais 250 000 euros par an. et pas de prime, pas de variable, mais des attributions gratuites d'actions aussi. Donc qui m'ont permis de pouvoir me créer en 20 ans, parce que j'aurais été 20 ans président, un patrimoine de plusieurs millions d'euros de valeur. Pour une entreprise qui a multiplié sa valeur par 5. Donc c'est une histoire qui est... qui n'est pas exceptionnel, mais qui n'est pas désagréable.
- Speaker #0
Et en tant que président de l'AFM, tu gagnais plus, mais pas des millions d'euros.
- Speaker #1
Non, non, non, mais je vais te le dire, comme président de l'AFM, je gagnais 450 000 euros.
- Speaker #0
Ok, ce qui par rapport à la taille... était raisonnable.
- Speaker #1
Et que je trouvais très bien. Et que je n'ai pas honte à dire en public. Président de l'AFM, j'avais une rémunération variable jusqu'à 50%. Donc ça pouvait faire 600 000 euros. Président d'entreprise, pas de rémunération variable.
- Speaker #0
Merci pour ta transparence. Si tu le veux bien, on va continuer sur... Alors, l'AFM est un groupe familial. C'est quoi pour toi la différence fondamentale entre un groupe familial et un groupe coté ?
- Speaker #1
Je vais reprendre encore une fois, le mot groupe n'existe pas chez nous. Parce que qui dit groupe dit président ou directeur général du groupe, et il n'y a pas ça chez nous. La grande différence, j'ai déjà dit, c'est en tout cas ce qui nous caractérise, alors ce n'est pas tout à fait vrai parce que c'est des côtés familiales qui partagent aussi notre genre de raisonnement, mais pour moi, les deux mots majeurs, c'est les femmes et les hommes sont premiers et le long terme, pas le long terme d'ailleurs, le temps long. C'est-à-dire, donnons le temps au temps pour faire les choses bien. Et dans nos entreprises, on finit par réussir à force de temps, à force d'expérimentation, à force de tests, à force de grandissement des femmes et des hommes. Et on finit par mieux faire, j'espère, le travail. Je pense que Laurent Verlain fait mieux le job aujourd'hui que Castorama. Je pense que Decathlon fait mieux le job qu'Intersport. et malheureusement que Auchan aujourd'hui fait moins bien le job que Leclerc ça veut dire qu'on réussit pas tout, toujours, tout le temps et si j'ai lu aujourd'hui dans un article que chez Auchan il y a eu trop de présidents et trop de directeurs généraux en trop peu de temps et une des caractéristiques de la belle performance de United B c'est que moi je termine ma présidence que j'avais décidé à 70 ans d'arrêter après 20 ans Je suis président de Boulanger depuis 20 ans, et en 20 ans, il y a eu deux directeurs généraux. Et un faible nombre de directeurs généraux, vous les trouvez chez Seb, chez LVMH, chez Kering, chez Air Liquide, chez toutes ces entreprises-là. Elles ne sont pas toutes familiales, mais il y en a beaucoup qui sont familiales, et où c'est des temps longs, et c'est des directions générales ou des présidences qui durent 20 ans ou 30 ans. Et en 20 ans ou 30 ans, on peut conduire l'entreprise. Quelque part, si vous changez de dirigeant tous les 3 ans ou tous les 5 ans, le porte-drapeau change de route, direction tous les 3 ans ou les 5 ans et les collaborateurs ne savent pas où ils sont. Ok,
- Speaker #0
donc le temps long, le long terme, c'est une valeur essentielle pour toi dans le business. Ça me fait faire un parallèle sur le monde des startups que tu connais aussi un peu. Est-ce que ce n'est pas un des problèmes justement dans le monde des startups pour toi ? Moi, j'ai été entrepreneur et démonté des startups. Et forcément, on est moins sur du temps long parce qu'on a des investisseurs qui attendent souvent un revenu sous 4 ans et qui ne nous laissent pas forcément plus que 4 ans. Et donc, voilà. Est-ce que ce n'est pas un sujet pour toi, justement ?
- Speaker #1
Les startups, c'est à la fois une chose extraordinaire et une chose qui a ses limites. Extraordinaire parce que quand on voit le nombre de jeunes qui ont envie de créer une entreprise par rapport à il y a 20 ans ou 30 ans, où les jeunes rêvaient d'aller à L'Oréal, Nestlé ou Carrefour, ou l'Air Liquide, ou sur ces belles entreprises. Aujourd'hui, ils ont envie de créer une entreprise. Mais ils sont mangés par l'urgence qu'ils pensent avoir. Donc ils veulent aller très vite, réussir très vite, et donc par les capitaux qu'ils lèvent. Moi, je suis très triste de voir toutes ces levées de capitaux aussi importantes, dans lesquelles on oublie seulement une chose, c'est la dilution du fondateur. Et j'ai connu des fondateurs à qui il leur restait 2% de leur entreprise, parce qu'ils avaient voulu aller vite. Alors c'est sûr que 2% d'une grande entreprise, c'est bien, c'est mieux que 50% d'une toute petite, mais c'est rare aussi celles qui réussissent brillamment. Et je pense que c'est parce qu'ils ne prennent pas suffisamment le temps. de faire bien les choses en profondeur. Mais il y a des histoires magnifiques de startups. Et c'est utile parce que les startups, si on est une startup, c'est qu'on pense qu'on a une idée qui va servir le monde. Donc c'est très honorable ça. Mais je trouve qu'ils sont toujours trop pressés.
- Speaker #0
Est-ce que du coup, au sein de l'AFM, vous montez des startups ?
- Speaker #1
Alors on ne monte pas vraiment. Alors il y a plusieurs choses. On ne monte pas des startups en tant que telles. On a des outils d'accueil pour des startups. Peut-être pas forcément que des startups d'ailleurs, parce qu'il n'y a pas les endroits, mais moi j'ai lancé avec un cousin Créadev il y a 25 ans je crois. Créadev ça veut dire création, accompagnement, développement.
- Speaker #0
et avec Créadev, on a accompagné ou on accompagne un tas d'entrepreneurs non familiaux et on a des très belles histoires et des très mauvaises histoires comme les histoires des startups, sauf qu'on donne aux gens le temps et donc on ne leur coupe pas la tête parce qu'au bout de trois ans ou quatre ans, ils n'ont pas fait la performance rêvée du business plan ridicule et toujours faux. Je n'ai jamais vu un business plan vrai. Une fois sur mille, c'est plus vite. Et 999 fois sur mille, c'est moins vite. Et donc, déception des fonds, déception du dirigeant, déception, etc. Et donc, comme moi, je suis auprès de gens qui ont créé des entreprises. Moi, personnellement, je suis plus intéressé par les entreprises qui ont déjà une taille, pas forcément profitable, fort, mais qui ont déjà une taille. Les vraies start-up, start-up. Mon niveau de compétence technique n'est pas suffisant pour pouvoir les accompagner comme il faut. Par contre, des entreprises un peu plus grosses, je peux les accompagner en termes d'humains, en termes de finances, en termes de gouvernance et en termes de réconciliation avec eux-mêmes. Beaucoup de ceux-là sont déçus d'eux-mêmes. « Oh là là, je n'ai fait que… » Et à chaque fois que je leur réponds, une grande entreprise n'a jamais commencé autrement que petite. Une grande entreprise n'a jamais commencé autrement. on ne t'en manque que petite. Votre entreprise, elle a déjà 10 personnes, mais c'est formidable, 10 personnes, on est contre, créer 10 emplois. Ah oui, mais le voisin, n'occupe pas du voisin, occupe-toi de toi. Donc, il faut aider ces gens-là à être heureux dans la durée, même si leur entreprise, elle est petite, qu'elle le restera peut-être, ou qu'elle va grandir, ou qu'elle peut devenir belle et prospère. Donc, voilà.
- Speaker #1
Pour revenir et finir sur ta période de présidence de l'AFM, donc tu as dirigé l'AFM pendant 20 ans, c'est ça ?
- Speaker #0
Je n'ai pas dirigé, j'ai animé.
- Speaker #1
Animé, tu fais quoi comme différence ?
- Speaker #0
Quand tu diriges, tu n'es pas trop du groupe. Quand tu animes, tu fais, tu es chef d'orchestre. Un chef d'orchestre, alors chef, c'est chef, oui, mais tu animes les musiciens qui jouent. Le chef d'orchestre, il est au service de ces musiciens. Mais il fait le tempo. Donc, à la gouvernance, à l'AFM, on fait le tempo, mais on ne dirige pas. Parce que c'est les présidents et surtout les directeurs généraux. Parce que j'ai oublié de dire tout à l'heure que le rôle d'un président, le premier rôle d'un président, c'est de nommer le directeur général, l'accompagner et de changer le cas échéant. Parce que le scandale de toutes les entreprises, comme je dis encore, je me crois, beaucoup, on en a parlé tout à l'heure. Quand je vois des gens, quand je vois un magasin ou quand je vois une entreprise, je dis le succès, c'est le succès de l'équipe. L'échec, c'est l'échec du patron. C'est toujours le problème du patron qui conduit mal sa direction pour l'entreprise, ce qui fait que l'entreprise est pauvre. Et moi, à chaque fois que je vois 300 licenciements, 500 licenciements, 1000 licenciements, j'en ai après quelquefois un peu les syndicats, parce qu'ils sont quelquefois pénibles, mais c'est bien utile, mais beaucoup auprès du patron qui n'a pas mis la bonne direction. qui n'a pas été exemplaire, qui s'est trop servi, etc.
- Speaker #1
Et donc, chef d'orchestre de l'AFM pendant 20 ans, comment on va se motiver pendant 20 ans ? C'était ma dernière question pendant cette période.
- Speaker #0
Alors, j'étais chef d'orchestre pendant 16 ans. J'étais musicien pendant 20 ans.
- Speaker #1
Tout à fait. Pendant 4 ans, au début, tu as été dans la gérance.
- Speaker #0
Et je pense qu'un chef d'orchestre, c'est aussi un musicien. Il fait le tempo, comme je viens de dire. Alors qu'un des gérants, il est musicien avec le... Avec le président. Comment on reste motivé ? C'est simple. D'abord, moi je suis un optimiste forcené. Je n'ai de mémoire que des bonnes choses et pas des mauvaises choses. Je ne me rappelle pas. D'ailleurs, ma femme, quelquefois, elle me dit « Tu ne te rappelles pas ? T'as une période qui était compliquée ? » Non, je ne me rappelle pas.
- Speaker #1
Mais tu es né comme ça ?
- Speaker #0
Je suis né comme ça. Je suis né optimiste, je suis né heureux, je suis né joyeux. Moi, ce qui me conduit, c'est le plaisir. J'ai été président de l'AFM heureux, pas parce que j'ai eu que des bons moments. J'ai eu plus de bons moments que de moments mauvais. Et moi, je dis toujours, ma motivation, c'est la différence entre la somme de moments positifs et la somme de moments négatifs. Et le jour où j'aurai eu, où j'aurai encore plus de moments négatifs que de moments positifs, je m'en vais. Je ne suis plus dans le plaisir. Si je ne suis plus dans le plaisir, je ne suis plus motivé. Et puis... et là je parle aussi à des dirigeants, c'est mieux d'avoir plusieurs emmerdements qu'un seul. Parce que quand on n'a qu'un seul emmerdement, on fait un peu de la psychose sur cet emmerdement-là. tant qu'on en a beaucoup, et ça tombe bien, les dirigeants d'entreprises en ont toujours beaucoup, on a la chance de passer de l'un à l'autre sans être obnubilé par une seule chose.
- Speaker #1
On se focus sur ce problème, en effet. Merci beaucoup Thierry pour toutes ces réponses sincères sur ta période en tant que président. Si ça te va, on va terminer sur une partie un peu plus personnelle. Est-ce que dans cette longue carrière, tu as eu des périodes compliquées ? J'imagine qu'en tant qu'entrepreneur dirigeant comme tous, tu en as eu. Est-ce que tu peux nous en parler un petit peu ?
- Speaker #0
Oui, j'ai eu des périodes compliquées parce qu'en particulier, notre famille, moi, je suis la première génération, mon arrière-grand-père, et on peut dire le créateur au tout début, c'est lui qui a commencé. La deuxième génération, la génération de mon grand-père, ils étaient 11 enfants, 4 filles. 7 fils, et dans les 7 fils, il y en avait 3 qui étaient en moins bonne forme professionnelle que les 4 autres. Donc il y avait 4 fondateurs forts. Mon grand-père, on l'appelait l'industriel. Gérard Mullier-Père, qui était le distributeur. Ignace Mullier, qui était le créatif. Francis Mullier, qui était plus le juridique, le metteur en ordre. Je ne dirais pas financier, mais il était structurant. La génération d'après, c'est la génération de Gérard Mullier, Gonzague Mullier, Michel Leclien, les grands créateurs du retail. La génération d'avant, c'était les créateurs du textile. Et là, les créateurs du retail. Et moi, j'ai eu le rôle, pas facile, de faire en sorte qu'il y ait un passage de génération qui se passe entre ces créateurs de retail et la génération suivante. Parce que moi, j'étais intergénérationnel, vu que j'étais dans les aînés de mon grand-père, qui était l'aîné des 11. Donc, par rapport à mes oncles ou les cousins de mon père, avec Gérard Mullier, 23 ans d'écart, et d'autres seulement 15 ans, etc. Donc, un de mes rôles, ça a été de faire en sorte que ce passage d'une génération de fondateurs puisse se faire bien. Et ça, ça a été une époque qui a été longue et qui a été difficile. Mais ça ne m'a pas effondré pour autant. Et il faut faire ça dans le respect. Ce sont les grands fondateurs de notre famille, donc il faut les respecter. Mais il y a pas mal d'entrepreneurs qui créent et dont l'entreprise meurt avec eux. Dans le temps, il y en a eu beaucoup. Parce que quand le fondateur ne veut pas sortir du tout, à un moment donné, ça ne va plus. Et donc, l'entreprise disparaît. C'est compliqué.
- Speaker #1
Est-ce que tu as encore des rêves ?
- Speaker #0
Moi, j'ai plein de rêves. J'ai des rêves de plaisir. Donc, maintenant, j'ai arrêté d'être président de... de United We, Boulanger, Electro-Dépôt et l'économie circulaire. Et je ne suis plus que président d'une entreprise très sympa qui a une douzaine de personnes qui s'appelle The Field et qui est une entreprise qui sert à faire en sorte que les entreprises de l'association familiale travaillent volontairement plus ensemble dans un certain nombre de domaines. On ne peut pas être en face des gigantesques... Amazon, Carrefour, Costco, etc. Et continuer d'être chacun chez soi et Dieu pour tous. Alors, sans pour autant tomber dans le fameux syndrome du groupe, qui à mon avis serait impossible, on ne pourrait pas imaginer qu'on soit un groupe dirigé de manière pyramidale. Eh bien, il y a beaucoup de choses à faire en transversal. Et donc, on pourrait faire un podcast là-dessus, donc on ne va pas s'étaler trop, mais il y a plein de choses à faire. On a mis en route la data. Il y a un certain nombre de datas en commun. On a mis en route l'organisation de la livraison du dernier kilomètre digital en commun. On est en train de réfléchir aux bornes d'une société qu'on appelle Le Plein pour remplir en électricité dans nos centres commerciaux en commun. On est en train de réfléchir à la cybersécurité en commun, parce que la cybersécurité, ce n'est pas qu'un petit problème à venir. On ne sait pas quand et on ne sait pas où. Donc c'est extrêmement compliqué. Et donc, je suis le président non exécutif. Et j'ai donc un très bon directeur général qui s'occupe de faire en sorte que ça se passe bien. Donc là, c'est un petit boulot qui me prend trois jours par semaine, par mois, pardon, environ. Et puis, j'ai des idées de rêve. Donc, j'ai d'abord un rêve de m'occuper un peu plus de ma femme et de mes petits-enfants, parce que mes enfants, ils s'occupent très bien d'eux. Mais beaucoup de plaisir avec mes petits-enfants. Je pense que je vais écrire un livre. surtout pas pour le vendre au grand public, parce que, encore une fois, vivons heureux, vivons cachés, donc ce n'est pas l'objectif. Je verrai après ce qu'on fera de ce livre. Est-ce qu'on le met comme au Vatican, dans un tiroir, pour le sortir dans 100 ans ? Ou est-ce qu'on le fait lire à des jeunes de la famille pour qu'ils s'acculturent à l'histoire ? Parce qu'un peuple sans passé est un peuple sans avenir. C'est un proverbe africain. Donc il faut que les jeunes qui n'ont pas connu tout ça puissent le connaître. Moi, j'ai eu la chance. J'avais 7 ans quand le premier supermarché Auchan, dans le quartier des Ausha, à Roubaix, à Ouvert. C'était une vieille usine de chez nous et c'était un parking en schiste. Un schiste, c'est du caillou noir. On n'avait pas l'argent pour mettre du macadam. Donc c'est une histoire très récente, notre histoire. Et donc c'était en 61. Donc 61, c'est un peu plus de 60 ans. Donc c'est très court dans le temps. Donc j'ai envie de faire ça. Je m'engage dans une association qui aide les enfants de seconde, première, terminale. de lycée professionnel. Je vais aider, je l'ai dit tout à l'heure, des entrepreneurs d'une certaine taille à éviter de se planter trop vite. Pas trop vite d'ailleurs, mais de se planter. Il n'y a que deux manières de se planter. Le compte d'exploitation n'est pas bon et la trésorerie n'est pas bonne. Les deux manières existent. Ne pas se traumatiser quand on n'est pas parfait. Le temps long est important. Je vais faire encore plein de choses. Je ne crois pas que... Et puis, je vais voyager, je vais retourner au sport d'hiver que j'adore, j'ai une maison en Corse, donc je vais y aller aussi un peu plus souvent que je n'y allais. Donc, je ne suis pas inquiet.
- Speaker #1
C'est quoi le plus beau pays ? Tu dis que tu vas voyager. Dans ta carrière, j'imagine que tu as beaucoup voyagé. C'est quoi le plus beau pays où tu as été ?
- Speaker #0
Le plus beau pays, c'est la France, indiscutablement. Et quand je dis ça, ce n'est pas... Ce n'est pas pour faire sourire, c'est parce que la France est incroyable par sa diversité. Il y a de la montagne, il y a de la mer, il y a du beau temps, il y a du mauvais temps, il y a de la tempête, il y a des marées. La France, vraiment, c'est extraordinaire. Moi, je ne la connais pas bien, la France, parce que j'ai beaucoup voyagé. Et en vacances, depuis que je suis marié, c'est-à-dire depuis 1976, je fais un an sur deux en Corse et un an sur deux dans le monde. J'ai oublié la France en 3-2, donc j'ai toute la France à visiter, parce que je ne connais pas la Bretagne, je ne connais pas les Pyrénées, je ne connais pas le Vinci central, je ne connais pas bien Paris, parce qu'à Paris je me promenais en métro, donc en sous-sol, parce qu'on ne va quand même pas gaspiller de l'argent et prendre un taxi. D'ailleurs pour l'anecdote, un jour on va voir Nicolas Sarkozy, quand il était ministre de l'Intérieur, il ne se paraît être ministre et être président, et puis on sort avec lui de l'Elysée parce qu'il allait rejoindre sa femme. C'est s'il y a dans une boutique, il me dit « Oui, votre taxi » . Mais on ne prend pas de taxi, on prend un métro quand même. Monsieur Sarkozy, le métro, c'est formidable. Et c'était vrai et sincère, parce qu'aller en taxi, il faut être handicapé pour aller en taxi, sinon on va en métro. C'est plus rapide, plus efficace et plus sûr. Et puis en plus, c'est avec des vrais gens, c'est avec la vie.
- Speaker #1
Et pourquoi tu rencontres Nicolas Sarkozy, c'est dans le cadre de ta présidence ?
- Speaker #0
À l'époque, c'était pour... C'est lui qui voulait nous rencontrer. C'est à l'époque qu'il créait ses réseaux. Et donc le réseau des politiques, le réseau des journalistes, le réseau des entrepreneurs, le réseau des grosses entreprises, le réseau des petites entreprises, le réseau du clergé, le réseau aussi de... Enfin, tous ces réseaux. Et donc il avait souhaité nous rencontrer à quatre membres de la famille. Le président d'Auchan, le président d'Auchan France. Qu'est-ce qu'il y avait encore ? Moi, on était trois. On a passé un déjeuner qui a duré une heure avec lui. Et après, sa femme l'a appelé en disant, viens voir. Il a montré que c'était un homme normal. Je suis dans une boutique de vêtements pas loin, viens voir si la robe me va bien. Et donc, on est sortis ensemble. Et c'est là où il y a eu l'anecdote du taxi, où il disait, vous n'avez pas un taxi.
- Speaker #1
Qu'est-ce que tu penses de la politique ?
- Speaker #0
Moi, la politique, c'est absolument nécessaire. Je pense que la meilleure chose au monde, c'est la démocratie, même si c'est immensément compliqué. Parce que la dictature, pour moi, il n'y a que deux modèles. Il y a la démocratie et la dictature. Alors on peut l'appeler dictature de droite, dictature de gauche, toutes les dictatures que vous voulez. Mais en fait, la vraie bonne gouvernance, c'est la dictature éclairée. Mais elle a un défaut, c'est qu'elle est éclairée pendant huit jours. Parce que tous les dictateurs au début... Ils veulent bien faire, c'est sincère. Vous les prenez tous, Franco, Lénine, vous pouvez prendre tout ce que vous voulez. Les Sud-Américains, les Africains, ils veulent tous être sincères. À Cuba, comme il s'appelait Fidel Castro, sincères, ils sont tous sincères, les dictateurs. Mais très vite, ils perdent le sens de la réalité et le peuple est malheureux. Donc pour moi, la meilleure, vraiment, loin sans faux, des organisations, aussi imparfaites soient-elles, et Dieu sait qu'elle est imparfaite, c'est la démocratie. Et moi, j'ai une très grande estime pour les politiques qui s'engagent parce que c'est un métier difficile où il n'y a que la critique. Ils n'ont même pas la reconnaissance financière. Sauf quand c'est des grands voleurs. Et heureusement, on les met en prison. Les grands voleurs, on en a plus chez les dictateurs que chez les démocrates. Donc, moi, je trouve que... Alors, ils pourraient faire mieux. On a tous la sensation que nos politiques pourraient faire mieux. Mais Dieu, c'est un métier compliqué. Je peux dire que ma gouvernance familiale, c'était un peu une gouvernance politique aussi. Donc je sens un peu ce qu'ils vivent, mais à des dimensions énormes. Donc vive la démocratie. Et même si aux États-Unis, on a une démocratie avec deux futurs présidents très âgés, je préfère ça à la dictature.
- Speaker #1
Quand je repense à tous ces échanges, Thierry, en fait, tu parles beaucoup de sens, beaucoup d'humain. C'est hyper important pour toi. Et en fait, je me dis pourquoi. Pourquoi les gens, parfois, qui vont en politique, ils vont pour une question de sens et aussi d'humain et d'améliorer les conditions. Est-ce que tu y as déjà songé ? Et si tu t'appelais Thierry, pas Muglier, mais un autre nom, est-ce que tu aurais été plus facilement en politique ?
- Speaker #0
Alors, moi, j'ai plusieurs réponses à ça. La première réponse, c'est que pour aller en politique, il aurait fallu que je sois veuf ou divorcé. Parce qu'à mon avis, ma femme, elle a déjà eu beaucoup de courage de me supporter. dans tout ce que j'ai fait, que si en plus j'étais en politique, l'engagement des politiques, il est absolument inouï. C'est des gens qui ne vivent pas. Et donc certes, ils sont à la recherche du pouvoir, mais ils ne vivent pas, c'est une vie épouvantable qu'ils ont. Ils ne vivent pas,
- Speaker #1
c'est-à-dire qu'ils ne profitent pas de temps en famille.
- Speaker #0
Ils ne vivent pas parce qu'ils travaillent nuit et jour, et ils cumulent les emmerdements en permanence. Il y en a toujours un qui chasse un autre. Que ce soit en politique intérieure ou en politique extérieure, ou que ce soit dans les municipalités aussi. Vous êtes un maire tranquille dans un petit village, et puis il y a un malade qui va tuer quelqu'un au bord de la route, et ça fait une histoire extraordinaire et gigantesque, dramatique. Donc les politiques, c'est compliqué. D'abord, il n'y aurait pas fallu que je fasse ça avec ma femme. D'ailleurs, les politiques, ils ont souvent des vies compliquées, sur le plan personnel, et ce n'est pas étonnant. Ça, c'est la première chose. La deuxième chose, c'est que je pense que l'entreprise, elle rend un très très bon service au pays. Parce qu'elle donne de l'emploi et que je pense, moi, sur le plan mondial, que si tout le monde avait de l'éducation, tout le monde avait du travail et tout le monde avait du logement... On n'aurait pas de guerre. Parce que le premier, c'est de l'éducation, le second, c'est du travail, et le troisième, c'est du logement. Et donc, l'entreprise, elle favorise ça. Et la France est un pays extraordinaire par, peut-être un peu exagéré d'ailleurs, mais par les retours. Moi, je paye beaucoup d'impôts et j'en suis pas malheureux. Je suis fier de payer ces impôts. Et ça sert. Alors ça sert à la santé, ça sert à l'éducation, ça sert à la justice, ça sert aux routes, ça sert à tout ça. Quand vous changez de pays, il n'y a pas un pays qui traite mieux ses concitoyens que la France. Il n'y a pas un pays au monde, et tu sais si j'en ai visité, qui traite mieux ses concitoyens que la France. La France, c'est un des rares pays où ce sont encore quelques fois les parents qui aident les enfants. Mais partout dans le monde, c'est les enfants qui aident les parents. Donc, c'est vraiment une injustice flagrante. Donc, la politique, oui, j'aurais bien aimé en faire, mais c'est tellement compliqué. Regardez, madame la ministre des Sports et de l'Éducation nationale, elle a eu un mot malheureux et elle a fait un mensonge, d'ailleurs un mensonge ridicule, pour justifier le déplacement de son petit garçon ou petite fille, de petite maternelle vers une école privée. en disant que pourquoi avait-elle besoin de dire que, et aujourd'hui tout est repris, de dire qu'il y avait des cours qui n'étaient pas assistés, des cours pour petites maternelles. Bon, ce mensonge qui n'est pas grave en soi, va peut-être la détruire ce plan politique. Pourtant c'est une femme que je connais, qui est de qualité. Et donc c'est terrible. Vous n'avez jamais le droit d'avoir un mot de travers. jamais le droit. Vous n'avez pas le droit d'être fatigué. C'est terrible, la politique.
- Speaker #1
Quand tu viens de nous parler de politique, tu as parlé, je crois, de la jeunesse. C'est quelque chose qui est important pour toi ? La jeunesse, je crois que c'est quelque chose qui t'importe, les jeunes. Qu'est-ce que tu penses aujourd'hui de la jeunesse ?
- Speaker #0
Il y a un homme, il y a très longtemps, qui a écrit « Les jeunes ne respectent plus les anciens » . Les jeunes n'ont pas de reconnaissance, les jeunes ne sont plus travailleurs, etc. Je crois que c'est Sénèque. Mais c'est encore vrai aujourd'hui, les jeunes sont différents. Toutes les générations sont différentes. Donc on a du mal à s'habituer aux générations différentes. Parce que les jeunes, moi quand je suis né, il n'y avait pas de téléphone portable, il n'y avait pas d'informatique, il y avait de l'électricité, j'avais de la chance chez moi et du chauffage central. Ma femme n'avait pas de chauffage central chez elle. Il y avait encore du chauffage à charbon, donc ce soir on mettait du charbon et le matin on était gelé. Tandis qu'après on est passé au chauffage électrique. Et puis ses grands-mères n'avaient pas de salle de bain. La grand-mère de ma femme n'avait pas de salle de bain. Chez nous il y avait déjà une salle de bain, mais une salle de bain, elle avait une salle de bain pour les sept enfants. aujourd'hui, dans quelle maison on accepterait qu'il y ait une salle de bain pour cet enfant. Alors cet enfant, c'est un peu plus rare aujourd'hui. Donc moi, j'ai une immense confiance dans la jeunesse. La jeunesse, il faut la promouvoir. La jeunesse, il faut lui donner sa chance. La jeunesse, il faut lui faire confiance. Et je suis sûr que la jeunesse, elle est comme moi. Moi, j'ai dit tout à l'heure, quand quelqu'un me fait confiance, Je pense que je dois mériter cette confiance. Et je pense qu'il y a plein de jeunes qui sont comme ça aujourd'hui. Nous, dans nos magasins, chez Boulanger, chez Electro-Dépôt, que j'ai beaucoup fréquenté ces dernières années, on a un nombre de jeunes de grande qualité. Et ce qui est formidable, c'est qu'on a un très très bel ascenseur social. Et donc, l'intégration des gens qui sont de l'immigration, chez nous, elle se passe très très bien. N'oublions pas... qu'on est tous descendants de gens qui viennent d'ailleurs. Moi, mon grand-père maternel, il était belge. Et pourquoi les Belges y venaient ? Parce qu'à l'époque, ils vivaient mal en Belgique et ils vivaient mieux en France. Donc, on est tous des produits de l'immigration. Et donc, l'immigration d'aujourd'hui, elle nous est nécessaire. Parce que sur les 600 000, ou 653 000 naissances de cette année, je suis sûr qu'il y en a un tiers ou la moitié qui proviennent de naissances de gens de l'immigration. Quand les puits de mines dans le nord de la France ont arrêté, leurs femmes qui travaillaient dans les usines textiles ont arrêté de travailler dans les usines textiles. On a été chercher les Nord-Africains, on a été chercher les Algériens, les Tunisiens, les Marocains pour venir ici dans le nord de la France. Eh bien aujourd'hui, leurs petits-enfants, il faut les éduquer correctement, il faut les intégrer, il faut leur donner du travail. Il faut leur montrer ce que c'est que l'entrepreneuriat et comment on peut faire pour être entrepreneur. Il ne faut pas beaucoup d'argent pour être entrepreneur, il ne faut pas croire. La plupart des gens dans le monde, ils ont démarré leurs entreprises sans argent. Donc il faut une volonté, une énergie. Et donc moi je suis en intime convaincu de vivre la jeunesse. Moi je suis très content quand je vois des directeurs de magasins qui ont 25 ans, 26 ans, 27 ans. Je trouve ça absolument formidable et ils sont bons. Donc vraiment...
- Speaker #1
Qu'on leur fait confiance.
- Speaker #0
Qu'on leur fait confiance. Donc vive la jeunesse.
- Speaker #1
Super. Il y a des choses qui te mettent en colère aujourd'hui ?
- Speaker #0
Le mensonge. C'est pour ça que Mme Amélie Oudéa, Castéra, elle m'énerve un peu parce qu'elle a fait un mensonge idiot. Et quelque part, ça me met dans la tête que quelqu'un qui me fait un mensonge, il peut en faire d'autres. Et donc ça, ça m'énerve.
- Speaker #1
Thierry, quand on avait travaillé ensemble, il y avait une citation que tu m'avais dit qui m'a marqué et a marqué aussi mon parcours entrepreneurial. C'était l'expérience est une bougie qui n'est claire que celui qui la porte. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ? Qu'est-ce que ça veut dire pour toi ?
- Speaker #0
Pour progresser, pour évoluer, il faut faire son chemin. Ce n'est pas les autres qui font ton chemin. Alors certes, on peut être aidé par d'autres. mais on fait soi-même son propre chemin. Aujourd'hui, je la cite encore volontiers, sauf que je dirais que l'expérience est un projecteur qui n'éclaire que celui qui s'en sert. Parce que l'éclairage d'aujourd'hui, il est plus large. que celui d'hier. Et quand je suis en magasin et que je demande à des collaborateurs, est-ce que tu as envie d'évoluer ? Oui, mais je ne sais pas, etc. Je leur réponds, écoute, c'est simple, tu sais lire, tu sais écrire, tu sais compter, tu connais la règle de Troyes, et tu as un smartphone. Et qu'est-ce qu'il te fait, le smartphone ? Il te rend accessible toute la connaissance du monde. Donc, si tu as envie... de devenir ce que tu veux, eh bien, tu prends ton smartphone. Et il faut remonter en arrière très loin. Au Moyen-Âge, il n'y avait que des moines qui recopiaient des documents. Et donc, les seuls qui avaient le droit à la connaissance, c'était les nobles et les religieux. Puis après, un jour, il y a Gutenberg qui a inventé l'imprimerie. Et là, on a distribué un peu plus la connaissance aux bourgeois. Parce que le petit peuple, comme il l'appelait à l'époque, de manière horrible... Ils n'avaient pas le droit de lire. D'ailleurs, on ne voulait surtout pas qu'ils apprennent à lire, parce que s'ils apprenaient à lire, ils commenceraient peut-être à se rebeller. Et puis après, on a inventé l'informatique. Je vous rappelle que dans mon smartphone, il y a plus d'informatique que tous les ordinateurs qui prenaient 50 mètres carrés ou 100 mètres carrés de la pièce qui a servi à aller sur la Lune en 1969. Et donc, l'expérience, il faut se la conduire soi-même. Et moi, je pense que pour grandir... Il faut deux choses, il faut l'expérience et la connaissance. Et puis après, il faut des comportements managériaux. Et je voudrais en profiter pour expliquer aussi un truc qui est important et que je n'ai pas encore dit, c'est que dans l'humain, on en est tous pareil, on a une part d'être et une part de paraître. Le bon équilibre, à mon sens, c'est 60-70% d'être et 30-40% de paraître. Alors, il y a des gens pas, j'allais dire, je vais utiliser un mot pas joli, mais j'en ai pas d'autres. Il y a des couillons qui ont 90% d'être. Eux, ils bossent pour les salopards qui ont 90% de paraître. Et ça, ça fait des horreurs en managerial. Et donc, il faut gagner en confiance en soi et en gagner en confiance en soi avec de l'expérience et avec de la connaissance. Et donc, ceux qui veulent acquérir de l'expérience et de la connaissance, c'est ceux qui ont envie. Il faut les trois. Il faut l'expérience, la connaissance et l'envie. Et bien, ils grandissent. Et moi, je pense qu'au niveau de l'expérience, les projecteurs, ils sont là-dedans. Tu vas me poser une question, on va contrôler instantanément si c'est vrai, si c'est pas vrai. Tchad GPT, l'intelligence artificielle, c'est aussi un truc qui peut être extraordinaire ou abominable, en fonction de ce qu'on en fera. C'est comme l'énergie nucléaire. L'énergie nucléaire, ça revient à la mode. Maintenant qu'on se rend compte qu'on n'a rien inventé pour faire de l'énergie décarbonée, on se rend compte qu'on en a une qui, tout compte fait, est super, super, super sécure, qui s'appelle l'énergie nucléaire. Moi, j'ai lu quelque chose récemment sur Tchernobyl. C'est devenu une jungle animale, Tchernobyl. Il y a un nombre d'animaux absolument extraordinaire parce qu'il n'y a plus d'humains. C'est ce qui s'est un peu passé pendant le Covid aussi à un moment donné. A Fukushima, il n'y a pas eu non plus beaucoup de morts. Des avions, il n'y a pas de morts. Sauf qu'un avion qui tombe, ça fait 300 morts. Mais en France, il y a 3 000 morts en voiture et 20 000 morts d'accidents domestiques. 20 000 morts en accident domestique avec du gaz carbonique ou la poêle à frire qu'on met sur la tête du gamin, involontairement. Bon, c'est extraordinaire ça. Donc l'expérience... Il faut la faire, il faut se la faire, mais il faut aussi donner leur chance aux gens, et être rapide, et les encourager, et les soutenir, etc. Donc voilà ce que je pense moi de l'expérience. Et l'être et le paraître, c'est un truc que je répète souvent, parce qu'il y en a qui sont un peu timorés, un peu complexés par leur histoire familiale, parce qu'on leur a jamais dit « mais t'es quelqu'un de très bien, tu vas réussir » . Soit on me l'a dit, soit je me le suis dit tout seul, mais j'ai jamais eu de doute moi. J'ai jamais eu de doute sur le fait que j'allais réussir, alors que j'ai pas été à l'école, enfin j'ai pas fait grand chose. Alors je savais lire, écrire, compter, et j'étais curieux, très curieux. À 20 ans, lire un bouquin d'Alain Berfit sur « Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera » , c'était original quand même. Aujourd'hui, ils lisent des mangas à 20 ans, et ils lisent pas grand chose d'intelligent. Donc voilà.
- Speaker #1
Apprentissage dit connaissance, on a parlé de la connaissance. Google donne un accès, comme tu le dis, à la connaissance et c'est à la fois une chance énorme pour beaucoup de jeunes, et pas que les jeunes, pour tout le monde. Et en même temps, est-ce que tu as un avis sur les GAFA ?
- Speaker #0
Gaffa, dans l'histoire d'humanité, il n'y a pas une seule entreprise qui est montée jusqu'au ciel. D'ailleurs, de chez nous, de l'AFM, je dis que nous sommes une forêt. Nous ne sommes pas un arbre. Nous sommes une forêt avec des arbres de tailles différentes, des arbres de croissance différentes. Et quand il y a une tempête dans une forêt qui n'est pas mono-famille, elle tient beaucoup mieux que quand tu as uniquement des sapins dans les landes. C'est l'effet domino, tout le monde tombe. Les GAFA, moi je pense que ça va être un peu pareil. Ils n'arriveront pas à dominer le monde. Heureusement, personne n'a jamais... Il y en a plein qui ont essayé. Hitler, Napoléon et Alexandre Legrand, ils ont tous les trois essayé de dominer le monde et ils n'y sont pas arrivés. Donc, c'est des entreprises extraordinaires qui ont été à une vitesse extraordinaire, qui ont fait des choses extraordinaires. Mais ce n'est pas que extraordinaire. Donc, on va bien voir ce que ça va donner. Bon, cette valeur virtuelle qu'on leur donne, c'est la preuve d'une confiance infinie que des investisseurs leur donnent. Ce n'est pas la preuve de leur réalité. Alors, ce n'est pas tout à fait vrai, parce qu'il y a des boîtes qui gagnent beaucoup d'argent maintenant. Ça, c'est vrai. Et puis, je pense que les gouvernements ne laisseront pas faire non plus. On ne peut pas laisser à des entreprises plus de pouvoir que d'un État. Monsieur Elon Musk. Il commence à avoir des soucis lui, parce que X, le gouvernement américain, il commence à être un peu inquiet. On voit ce qu'il a fait avec Twitter. On voit, tu ne deviens pas Dieu. Il n'y a personne qui peut devenir Dieu. Poutine est en train d'essayer de devenir Dieu. Je ne sais pas comment ça va se finir, mais ça ne va sûrement pas se finir à son avantage.
- Speaker #1
Dans les nouvelles technologies, sur les derniers mois, je pense qu'on ne parle que d'une chose, c'est l'intelligence artificielle. En même temps, on est dans le nord de la France, il y a beaucoup de groupes pour qui c'est hyper important d'avoir créé de l'emploi, créé des jobs. Et on parle que l'intelligence artificielle pourrait supprimer beaucoup d'emplois.
- Speaker #0
Oui, mais on a toujours dit ça. Quand les mines... Je ne sais pas si tu as lu le livre Un monde sans fin. Une espèce de grande BD extraordinaire, si tu n'as pas lu, il faut le lire, « Un monde sans fin, tu achèteras » , qui raconte l'histoire de l'invention de l'énergie et qui parle de l'humain comme d'un esclave. Et qui disait « Un litre de pétrole égale 200 esclaves » . Ça veut dire que la puissance de travail à l'heure d'un litre de pétrole, c'est la puissance de travail de 200 personnes. Moi, quand j'étais gamin... On allait camper avec mes parents dans une montagne. On faisait du camping, d'ailleurs, parce que mes parents, ils n'avaient pas d'argent pour louer ou pour aller à l'hôtel. Et on avait la chance de retourner les foins d'un fermier qui coupait les foins dans une montagne. Mais Fort Red, aujourd'hui, je crois qu'il y a des motoculteurs qui savent faire ça. Mais à l'époque, il y avait la faux. Et puis après, il y a eu des machines, et puis il y a eu des machines, etc. Donc, l'évolution... de l'énergie, ça a été extraordinaire. Et donc, moi, je pense que là aussi, l'intelligence artificielle, l'industrialisation, la baisse... Avant, pour être fermier, il fallait être 100. Aujourd'hui, il faut être 1. Pour être industriel, il fallait être 100. Maintenant, il ne faut peut-être être que 1. Et pour être dans l'école blanc, les services, il fallait être 100. Maintenant, il ne faut être que 1. Et moi, je ne suis pas inquiet sur la capacité de l'humain... toujours se réinventer et s'adapter.
- Speaker #1
Donc tu penses que l'intelligence artificielle sera au service des hommes ? Oui.
- Speaker #0
Ça va détruire. Moi, j'ai vu deux photos dont je ne me rappelle plus les dates sur la 5ème avenue aux Etats-Unis. Et à trois ans d'écart, au début de l'invention de l'automobile, 1900, je dis n'importe quoi, je ne suis pas sûr des dates, 1915, il y avait 80% de voitures à chevaux. En 1918 ou 1920, il y avait 80% de voitures automobiles. C'est une belle voiture de l'époque, etc. Tu te dis, en quelques années, parce que c'est un progrès tellement considérable, on n'a pas bloqué les voitures, on n'a pas bloqué les trains, on n'a pas bloqué la vapeur, on n'a pas bloqué les usines, on n'a pas bloqué toute l'évolution de l'humanité. Alors maintenant, il faut faire attention et il faut vite réagir. Et donc maintenant, vous lisez les journaux partout, c'est « Vive l'énergie nucléaire » . Et moi, j'y crois. Vive l'énergie nucléaire.
- Speaker #1
J'ai encore quelques questions avant de finir cet échange, Thierry. On est dans le nord de la France, on est à Roubaix, dans le nord. Il y a une culture très particulière au niveau entrepreneurial. Comment tu expliques ça ? Il y a beaucoup de familles business, etc. En quelques mots, comment on peut l'expliquer ?
- Speaker #0
Il faut remonter au début du siècle dernier, où Roubaix et Tourcoing étaient les deux plus grandes villes du monde pour la fabrication du fil de laine et du fil de coton. Et ici, on est en face du parc Barbus à Roubaix. Ça a été la foire expo mondiale du textile en 1910-15. Pas 15, c'était la guerre, mais avant la guerre, je crois. Et d'ailleurs, le parc barbieux, tous les arbres ont été plantés à cette époque-là, donc ils ont 120 ans. C'est juste 120 ans, donc. 120 ans, ça fait 1900. Donc en 1900, ici, il y a eu la foire mondiale du fil. Ça, ça donne une culture. Et il y avait... Si on se promène et qu'on regarde toutes ces maisons là-dehors, c'est des belles maisons et pourtant c'est des petites maisons. Il y en a eu des milliers et des milliers. À Roubaix, il y avait mille usines, pardon, mille cheminées. La cheminée, c'était là-haut pour... On brûlait du charbon pour produire de la vapeur, à l'époque il n'y avait pas d'électricité, pour que les continues à filer tournent. Donc c'était... On avait inventé les machines à vapeur. en automobile, mais surtout dans les usines. Il y avait 1000 cheminées à rouber dans une ville de 100 000 habitants. C'était absolument dingue. Donc c'est sans doute ça qui a créé cette espèce de culture. Textile d'abord, retail textile, parce que Promod s'est roubée, Camailleux s'est roubée, Pimki s'est roubée. Il y en a eu comme ça. Alors ils sont en train de toutes disparaître maintenant. Grâce à la seconde main. Parce que c'est des métiers qui sont dans le milieu du sablier. Il va rester le luxe et le vraiment pas cher. Et au milieu, ça va disparaître au profit de la seconde main. Mais c'est l'évolution incontournable du monde. Et si on veut arrêter l'évolution du monde, il n'y a jamais personne qui a réussi.
- Speaker #1
Sur une note plus légère, est-ce que tu penses aussi que le temps dans le Nord a joué le fait qu'il ne fasse pas beau ?
- Speaker #0
C'est vrai. Le sens du loisir est plus faible que là où il y a du soleil. C'est indiscutable. En Espagne, la vie, même si je travaille beaucoup, la vie était extrêmement grave.
- Speaker #1
Bien sûr, on est attiré aussi par sortir, les loisirs,
- Speaker #0
etc.
- Speaker #1
OK, pour finir cet échange, Thierry, j'ai encore deux questions. Aux jeunes entrepreneurs qui nous écoutent, avec toute ton expérience de dirigeant, de patron, si tu avais trois conseils à donner à un jeune entrepreneur qui démarre, trois conseils par Thierry.
- Speaker #0
Il doit se faire confiance et il doit beaucoup travailler. Il doit avoir du plaisir et il doit considérer le temps long. Et donc, je ne vais pas dire ne pas être trop pressé, mais il y a un tas de choses que le temps trop rapide ne permet pas, en particulier en matière d'expérience. Merci.
- Speaker #1
Dernière question, est-ce qu'il y a un leader qui t'inspire ou un grand dirigeant en France ? que tu aimerais partager sur le podcast ? Je n'en ai pas un,
- Speaker #0
j'en ai plusieurs. C'est en particulier les patrons longs, les patrons entrepreneuriels familiaux longs. Des Bernard Arnault, des François Pinault, des Vincent Bolloré. C'est les entrepreneurs longs ou les familles Bonduelle ou les familles Roquette ici dans le Nord. Les entreprises longues. qui ont Seb, Thierry Latour d'Artez, qui a fait de Seb le leader mondial, alliant d'ailleurs aussi, leader mondial du petit électroménager. Donc c'est les gens qui... L'Oréal, en 120 ans, il y a eu six patrons, etc. Donc c'est le temps long. Ce ne sont pas les entreprises qui vont à toute vitesse, je trachette, je spécule, je vais trop vite. Donc non. Je ne peux pas dire que De Gaulle ou Jeanne d'Arc sont mes idoles, même si ce sont des gens qui ont été d'une immense qualité. Les gens du temps long.
- Speaker #1
Merci beaucoup Thierry pour ta sincérité et ton temps. Qu'est-ce qu'on peut te souhaiter ?
- Speaker #0
Du plaisir.
- Speaker #1
Du plaisir, du plaisir, du plaisir.
- Speaker #0
Voilà. Merci. A bientôt. Au revoir. Merci à toi.
- Speaker #2
Merci à tous pour votre écoute sur ce deuxième épisode des Sages. J'espère sincèrement que vous avez beaucoup appris auprès de Thierry, mais ça, j'en doute pas. Les Sages, vous savez, c'est aussi une aventure entrepreneuriale qui débute pour moi. Et donc comme toute aventure entrepreneuriale, on a besoin de feedback. Donc n'hésitez pas à m'envoyer sur LinkedIn, Nicolas Jeanne, Jeanne, J-E-A-N-E, comme le prénom, vos feedbacks et vos commentaires. Si vous avez aimé et appris grâce à l'épisode, il y a maintenant deux manières de nous remercier. La première est assez simple, c'est de mettre 5 étoiles sur votre plateforme d'écoute et de nous laisser un avis. Ça permet au podcast de remonter dans l'éclatement. Et la deuxième manière, si vraiment vous voulez nous filer un coup de pouce, vous pouvez nous faire un don simplement de 2€ pour faire vivre ce podcast. Comme vous êtes restés jusqu'au bout, je vais vous dévoiler le nom des prochains invités sur le podcast Les Sages. En troisième épisode, nous recevrons Frédéric Jesque, qui est l'ancienne patronne de la Ligue contre le cancer. Et en quatrième épisode, nous recevrons Henrik Labar, qui est le patriarche co-fondateur d'OVH, qui est une licorne française et un des leaders mondiaux de l'hébergement et du cloud.