- Speaker #0
Les voix du livre en haut de la pile.
- Speaker #1
Bienvenue dans « En haut de la pile » , la dernière rubrique du podcast de Livres Hebdo « Les voix du livre » , avec une thématique spéciale ce mois-ci autour de la nature et du rapport au vivant. L'invention de la mer, un roman de Laure Limongi, Fermentation, pourquoi le moisi nous fascine, un essai d'Anne-Sophie Moreau, Quand tombent les aiguilles de pin, un récit signé de la résistante autochtone Ellen Gabriel, et La France en train, un guide de voyage pas comme les autres. C'est notre sélection littéraire spéciale nature de ce début de printemps. Autour de moi, une clique critique qui a arpenté la nature tout l'hiver par son versant littéraire. Pauline Gabinari, journaliste indépendante pour Livres Hebdo, Télérama et la Revue 21. Bonjour Pauline. Bonjour. Sean Rose, l'avant critique qui fait la pluie et le beau temps chez Livres Hebdo. Bonjour Sean. Bonjour. Et Alain Nicolas qu'on accueille pour la première fois, critique littéraire à L'Humanité, animateur de rencontres. et d'atelier d'écriture sur la critique. Bonjour Alain. Bonjour. Alors Alain, tu n'as pas toujours été critique littéraire. À une époque, tu travaillais un peu plus près des étoiles ou de la nature.
- Speaker #2
Oui, mes premiers papiers dans L'Humanité, ce sont des papiers de sport et de sport de nature, de montagne et de voile. Mon premier reportage a été une interview d'Éric Tabarly, qui était mon idole.
- Speaker #1
Merci Alain. Tu gardes la parole Alain et tu nous parles d'un roman qui a la particularité d'avoir été co-écrit par des crustacés. On t'écoute.
- Speaker #2
Alors, par des crustacés, par des poulpes et par des cachalots. Alors, nous sommes en 2123. Ce qui devait arriver est arrivé, c'est-à-dire que le niveau des mers a monté. Que le réchauffement climatique s'est emballé, que les épidémies ont déferlé sur les créatures vivantes et en particulier sur les humains. Qu'ils n'ont eu d'autre choix que de s'hybrider avec les créatures marines qui sont devenues des chimères. C'est comme si les métamorphoses d'Ovide s'incarnaient sans le secours des dieux, dit Laure Limongi. Le roman est pris en charge par une narratrice qui s'appelle Violetta Benedetti Ogundipe, qui est une chimère-poulpe humaine, et qui présente des textes issus de cette civilisation qu'elle appelle l'ère du plankton, et qui a prospéré sur les ruines de ce que nous avons déclenché. Le premier texte est issu d'un manuscrit écrit par une certaine Gina de Galen, qui est donc une hybride cachalot humain, et qui est un témoignage en fait de sa vie dans son clan de Cétacé, qui parcourt les océans du globe. Ils sont beaucoup moins mobiles que la deuxième créature que nous présente Violetta, qui s'appelle Ménipe Zale, qui est un crustacé. Voilà, les crustacés sont là. C'est un bad boy en fait. C'est un crabe qui se drogue avec des algues hallucinogènes, qui fréquente les bas-fonds des bas-fonds, si on peut dire, les profondeurs des profondeurs, les bouges des fosses marines. Il a pour particularité d'avoir sur sa carapace des dessins, c'est une espèce qui existe réellement en fait, des dessins d'un visage humain qui lui permettent d'échapper à ses prédateurs et alors il trafique un peu partout et il tombe à un moment dans un endroit un peu interlope où il y a des combats entre créatures et ces combats, ce sont des combats dansés et qui donnent naissance à des poèmes. qui viennent à la fois de l'activité du cerveau et de l'activité musculaire. Alors ça, ne me demandez pas par quel miracle c'est possible, il faut lire le livre de Laure Limongi, on comprend très bien, mais c'est un peu long à expliquer. Et donc lui est un poète, et ses poèmes, il les accomplit sous forme olfactive. Ça m'a beaucoup intéressé parce qu'on a habituellement tendance à associer la poésie à l'image, à la musicalité. Et là, il y a une olfactivité de la poésie que Laure Limongi essaye de rendre à sa façon. Et il y a un petit lexique qui permet d'ailleurs de comprendre de quelles odeurs il s'agit. J'ai beaucoup aimé ce livre, d'abord par son originalité. son engagement aussi par rapport aux problèmes qui nous menacent et d'ailleurs qui nous affectent déjà aujourd'hui. Aussi par son côté composite, aussi hybride que les créatures dont elle parle, puisqu'il y a un témoignage, il y a une sorte de roman policier suivi de poèmes. Et aussi parce que Laure Limongis est une autrice qui a un peu tâté de tous les genres et elle prend des risques importants en se lançant dans quelque chose de complètement inédit. qui est d'une originalité folle. Et je pense qu'il faut dire aussi que ça procure un plaisir de lecture et je suis certain qu'il sera contagieux.
- Speaker #1
Je suis d'accord, je l'ai lu aussi et effectivement, j'ai adoré moi aussi ce livre. Je trouve que ce qui est incroyable, c'est qu'elle va très très loin dans la documentation ethnographique scientifique, mais sur un terrain complètement futuriste et dément. Jacques ?
- Speaker #3
Je crois qu'en plus, Laure Limongi,
- Speaker #1
elle est...
- Speaker #3
prof d'écriture créative à l'école d'art de Cergy,
- Speaker #0
et c'est vrai que quand on entend cette histoire,
- Speaker #3
on se dit, ah bah oui,
- Speaker #1
elle,
- Speaker #0
elle va m'apprendre des choses sur l'écriture créative.
- Speaker #2
Oui, oui, alors bon, elle est d'une créativité à titre personnel, effectivement, réelle, ça c'est tout à fait remarquable, et puis ce que j'aime beaucoup, c'est justement sa capacité à ne pas rester trop longtemps dans des territoires qu'elle a défrichés, où elle s'est installée, où elle se sent bien, et il faut que ça bouge, quoi. Et là, on a affaire à des créatures qui bougent et puis aussi à une écriture qui est complètement très lisible et très facile à suivre, mais avec un univers très déroutant.
- Speaker #1
Merci Alain. L'invention de la mer de Laure Limongi s'est parue au Tripode le 16 janvier 2025. Pauline, c'est à toi. Comme tu es une journaliste bûcheuse, studieuse, tu as pris tes premiers rayons de soleil de l'année, non pas en nature, mais en librairie. Oui,
- Speaker #3
tout à fait. Alors moi, ce sera un petit peu moins... poétique puisque j'en avais marre de toute cette pluie alors j'ai fait ce que je sais faire de mieux, partir en vacances. Pour m'inspirer, direction le rayon guide de voyage et là sur les étagères, out le Paris-Barcelone le temps d'un week-end et bonjour les guides, cyclotourisme, randonnée ou encore voyage éthique et écologique. L'édition de voyage serait-elle donc passée au vert ? En tout cas, c'est une tendance de consommation assez marquée, me confirme Jean-Baptiste Passé. le directeur général des éditions Michelin. Lui-même s'est lancé dans la course que l'on peut appeler du slow travel et prévoit de faire une refonte totale de ses cartes routières pour septembre 2025. Quant à moi, pas de voiture, je n'ai pas le permis, mais je prends le train. L'année dernière, j'avais traversé l'Europe avec un Paris-Istanbul en cinq jours. Cette année, je vise un programme un peu moins ambitieux et jette mon dévolu sur la France en train. 40 escapades bas carbone pour voyager de gare en gare. Pour ce qui est de la maquette du bouquin, tout est assez bien ficelé. On a à chaque fois une jolie carto pour chaque trajet. Alors, qu'est-ce que je peux vous raconter comme trajet pour vous faire un petit peu rêver ? Pas très exotique, mais un vin de caper en six escales ou un baisier Saint-Flour au onze jours. Un côté en dehors des sentiers battus, mais aussi, et c'est ça qui est agréable avec cet ouvrage, des formules très belles. très enlevés, qui permettent vraiment de percevoir autrement ces territoires qui peuvent parfois paraître pas très excitants. Par exemple, pour parler du Paris-Grandville, qui, il faut se l'avouer, est un petit peu limité d'un point de vue imaginaire narratif, l'auteur écrit « Après un bref arrêt à Versailles, l'horizon se dégage à Dreux, aux confins du pays douche, sans cri égard, entre paysages de bocage et massifs forestiers, la ligne s'échappe en Normandie. Bon, moi je trouve que ça donne vachement envie, alors que de prime abord, le Paris-Grandville, ça ne m'évoquait pas grand-chose. De mon côté, j'ai choisi la ligne dite des hirondelles qui traversent la Franche-Comté pour arriver dans le Jura. Le guide me promet un col à 1000 mètres d'altitude, 6 viaducs et un tunnel en fer à cheval. En attendant de vous dire ce que ça donne, un chiffre tout de même, car tout n'est pas rose au pays de l'écologie. En début d'année, l'association internationale du transport aérien a annoncé que le trafic des vols avait dépassé celui de 2019. Comme quoi le fameux Paris-Barcelone a encore quelques beaux jours devant lui.
- Speaker #1
De l'art de trouver la poésie dans les guides de voyage. La France en train, 40 escapades bas carbone pour voyager de gare en gare, ça sort chez Michelin le 21 mars 2025 sous la direction de Philippe Orain. Merci Pauline. Sean, c'est à toi. Tu nous parles d'un livre qui évoque Un procédé révolutionnaire, mais vieux comme le monde.
- Speaker #0
Oui, la fermentation. En fait, c'est un essai de la philosophe Anne-Sophie Moreau, qui s'appelle « Fermentation, kéfir, compost et bactéries, pourquoi le moisi nous fascine ? » Alors moi, j'ai été fasciné par ce livre parce qu'Anne-Sophie Moreau prend l'histoire du moisi ou de la fermentation sous son angle philosophique. On connaissait les paradigmes de Claude Lévi-Strauss entre le cuit et le cru. Et qu'est-ce qui entre ? Le pas frais, donc le moisi. Et elle nous fait toute une histoire de ce qu'est en fait cette fermentation qui a toujours été là. Évidemment, la bière c'est la fermentation, le vin c'est la fermentation, le Roquefort c'est la fermentation. Maintenant, on a d'autres plats comme le tofu, etc. Mais là, elle nous montre que dans les années 80, on était dans une cesse de propreté hygiéniste. Donc, en fait, tout ce qui était moisi, et c'était un peu l'histoire de ce que la fermentation, c'était de la pourriture, donc de la putressence, et donc de la mort. Donc, ce n'était pas bien. Aujourd'hui, on a une attitude inverse. Au lieu de penser que c'est quelque chose de mauvais, de pourri, on va dire que c'est du vivant qui continue. Donc, en fait, vive les bactéries. On adore nos intestins, c'est notre meilleur ami, c'est notre deuxième cerveau. Quand le premier ne marche pas, on ne sait jamais. Mais elle montre vraiment des visions anthropologiques très différentes. Il y a ceux qui aiment les champignons, les mycophiles, ceux qui aiment, pas les champignons, c'est-à-dire les mycophobes. Donc en fait, il y a un côté, les hygiénistes qui sont dans ce qui est propre, dans la compétition, qui sont une forme de darwinisme social, ils veulent que tout soit propre. Et les autres, ils ont ce côté, genre voilà, c'est bien que ça se reproduise, c'est bien qu'il y ait des champignons. Et à tel point que même vis-à-vis de la mort, On est toujours vivant, c'est-à-dire qu'il y a cette mode lumisation, c'est-à-dire qu'il y a des gens qui préfèrent ne pas se faire ni enterrer ni incinérer, mais devenir du compost. C'est comme si on était dans un cycle permanent de la vie. Donc ça, c'est vraiment fascinant comme vision du fermenté.
- Speaker #1
Je précise que la fermentation a fait l'objet d'un autre livre vraiment passionnant que j'avais lu aussi, Fermentation rébellion. signé Tien Uyen Do, qui est sorti aux éditions des Équateurs, et avec une dimension politique très forte et philosophique. Vraiment la fermentation comme nouvelle matière à repenser le rapport au vivant et au monde en général. Alain ?
- Speaker #2
Non, moi j'ai été effectivement fasciné par ça. Et je me disais que notre alimentation de base est une alimentation fermentée.
- Speaker #0
Mais il n'y a que ça du fermenté.
- Speaker #2
Si j'ai mangé à midi du pain, du fromage avec un verre de vin, je n'ai fait qu'ingérer du fermenté. Et c'est intéressant de voir que tout ce qui est à la mode, n'est jamais qu'une extension de notre connaissance de ces nourritures-là.
- Speaker #0
Mais sauf qu'avant, on ne voulait pas le voir, parce qu'en fait c'était considéré, comme dans certaines cultures, le fromage. Par exemple en Asie, c'était vraiment vu comme un peu dégoûtant. En fait, les époques... Il y a des espoirs de mode aussi, par rapport à l'esthétique, par rapport au goût.
- Speaker #1
Et le dégoût est culturel. Oui,
- Speaker #2
la viande faisandée, la viande rassie, qui est quand même nettement plus tendre et bien meilleure, alors qu'en fait, c'est de la viande qu'on a laissée fermenter.
- Speaker #3
Moi, ça me rappelait seulement le souvenir d'une vieille lecture que j'avais faite et que j'aimais beaucoup, le miasme et la jonquille, il me semble. C'était ce qui pue et ce qui ne pue pas.
- Speaker #0
Absolument.
- Speaker #1
Fermentation, kéfir. compost et bactéries, pourquoi le moisi nous fascine, c'est signé Anne-Sophie Moreau et c'est paru le 7 février au Seuil. Merci Sean. A mon tour, je vous parle d'un livre qui m'a fait découvrir une séquence éclairante de l'histoire récente du Québec et une personnalité majeure que j'ignorais totalement. Quand tombent les aiguilles de pain sous-titré Une histoire de résistance autochtone, signé Ellen Gabriel. C'est une autobiographie en forme de conversation avec l'historien Sean Carlton. Hamilton, spécialiste de la colonisation. Le livre raconte la vie et les 40-50 combats d'Ellen Gabriel. Alors, qui est Ellen Gabriel ? On la nomme aussi Katsi Tsakwas. C'est une militante, artiste, écoféministe. Elle a été présidente de l'Association des femmes autochtones du Québec et elle a défendu les droits des premiers peuples, notamment devant l'ONU. Elle est d'origine mohawks, c'est-à-dire issue de l'une des nations iroquoises situées au sud-ouest du Québec. Ellen Gabriel a marqué l'histoire en devenant la porte-parole de la résistance au moment de la crise Oka en 1990, qui a opposé le peuple autochtone à des promoteurs qui voulaient construire un club de golf dans une pinède sacrée. Cette crise politique, qui a entraîné un soulèvement de la population et une répression policière violente, a fait l'objet de confusions médiatiques, ou plutôt d'une propagande qui visait à présenter les résistants mohawks comme menaçant l'ordre public. Cet événement n'est pas anecdotique, il cristallise la discrimination raciste des peuples autochtones depuis des siècles, présente jusqu'aux livres scolaires actuels. Mais il traduit aussi le rapport de ce peuple à la nature et au sacré, leur façon de saluer l'eau, les poissons, de remercier les arbres avant chaque action, chaque matin, de considérer la pinède comme un refuge, notamment pour les femmes victimes de violences sexistes et racistes qui veulent se cacher. Ellen Gabriel dit « Nous avons un merveilleux système de gouvernance. Ce cadre politique a inspiré le système politique des États-Unis, mais ce fait est méconnu et on nous traite comme si notre unique motivation était de causer des ennuis. La crise d'Oka a fait l'objet de nombreux livres et documentaires, mais jamais du point de vue féminin et encore moins autochtone. » Alors que les femmes autochtones étaient les premières au front de ce combat. Donc ce livre nous éclaire sur tout cela, mais aussi sur le processus brutal de colonisation qui perdure aujourd'hui plus que jamais, puisque c'est le récit d'une résistance contre un État qui s'approprie des terres et qui déporte les habitants en niant leur droit à l'autodétermination. Les résonances avec l'actualité font froid dans le dos. C'est donc une voix qui me semble essentielle à faire entendre aujourd'hui. Hélène Gabriel, quand tombent les aiguilles de pain. C'est traduit de l'anglais par Marie Scholl-Dimanche et c'est paru aux éditions du Remue-Ménage. Sur ce, je vous souhaite un joli printemps, en gare, en mer ou en forêt, à parler aux arbres, aux poulpes et aux crustacés. Et je vous dis à bientôt pour un prochain épisode. Merci ! C'était Les Voix du Livre, le podcast mensuel de Livres Hebdo présenté par Lauren Malka. À la musique, Ferdinand Bayard. Si vous avez aimé cet épisode, abonnez-vous au podcast Les Voix du Livre et envoyez-nous des tas de cœurs et d'étoiles. À bientôt !