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Les Voix du livre

Épisode 13 : Prix littéraires, coulisses et indiscrétions par Olivier Dion, photographe chez Livres Hebdo depuis plus de 25 ans

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47min |04/12/2024
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Épisode 13 : Prix littéraires, coulisses et indiscrétions par Olivier Dion, photographe chez Livres Hebdo depuis plus de 25 ans

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Description

C’est au restaurant Drouant, entre un homard et une tourte de perdreaux que Kamel Daoud et Gaël Faye ont respectivement été proclamés lauréats des prix Goncourt et Renaudot 2025. Quelques jours plus tard, le café de Flore, la brasserie Wepler, le restaurant Méditerranée et le restaurant Lasserre accueillent, à leur tour, la grande fête annuelle des prix littéraires. Pourquoi ces prix sont-ils remis dans des restaurants ? Olivier Dion, photographe pour Livres Hebdo, raconte les coulisses de cette organisation millimétrée, où tout, de la préparation du menu au rôle de chaque garçon, est réfléchi en amont pour perpétuer la tradition. 


Dans la deuxième partie de l'épisode, Lauren Malka nous emmène à Vincennes, dans la plus grande librairie indépendante d’Ile de France, la librairie Millepages et tend son micro au célèbre directeur, Pascal Thuot. 


Enfin, pour rendre hommage au festival “Beyrouth Livres”, qui n’aura pas lieu cette année, le rédacteur en chef adjoint de Livres Hebdo, Alexandre Mouawad, invite les journalistes Joseph Ghosn et Philippe Azoury à parler de leur attachement très fort au Liban à travers les livres, films, BD et romans qui les ont marqués. Au programme: Grandir et devenir poète au Liban d’Etel Adnan aux éditions de l'Échoppe; Beyrouth aller-retour de Fouad Elkoury par les Cahiers du Cinéma; Les ruines circulaires d’Orianne Ciantar Olive par Dunes éditions; À Contre-jour de Ghassan Salhab de L’Incidence Éditeur; le documentaire Diaries from Lebanon de Myriam El Hajj; la bande-dessinée Beyrouth malgré tout de Sophie Guignon et Chloé Domat, illustrée par Kamal Hakim. 


Un podcast réalisé en partenariat avec les éditions DUNOD, l'éditeur de la transmission de tous les savoirs.


Ont participé à cet épisode :

Alexandre Mouawad, Joseph Ghosn, Philippe Azoury 


Sont mentionnés dans cet épisode :


Etel Adnan, Grandir et devenir poète au Liban, éditions de l'Échoppe

Fouad Elkoury, Beyrouth aller-retour, Les Cahiers du Cinéma

Beyrouth, 13 avril 1975, Marwan Chahine, Belfond

Ghassan Salhab, À Contre-jour, de L’Incidence Editeur

Beyrouth malgré tout, Sophie Guignon et Chloé Domat, Steinkis

Documentaire Diaries from Lebanon, Myriam El Hajj 

Liban, dans le chaos des hôpitaux De Sylvain Lepetit et Chloé Domat – 25 min – France – 2020


Crédits :

Émission France Inter: Kamel Daoud remporte le prix Goncourt pour son roman “Houris”: https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-info-de-france-inter/l-info-de-france-inter-7386787






Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le Prix Goncourt 2024 a été décerné au premier tour de scrutin par 6 voix à Kamel Daoud pour son roman "Houris" paru aux éditions Gallimard.

  • Speaker #1

    Kamel Daoud, Prix Goncourt 2024. L'annonce est diffusée presque en direct sur France Inter depuis le restaurant Drouant par la voix du président du jury, Philippe Claudel. Toujours chez Drouant, quelques secondes plus tard, Gaël Faye est proclamé lauréat du Prix Renaudot. La même semaine, comme chaque année, le café de Flore, la brasserie Wepler, le restaurant Méditerrané forment autant de scènes parisiennes où se déroule l'action littéraire la plus attendue de l'année. Pourquoi ces prix se déroulent-ils dans des cafés et des restaurants de Paris ? De quand date cette tradition et qu'implique-t-elle en termes d'organisation ? C'est le sujet d'ouverture de cet épisode. Je m'appelle Lauren Malka, je suis journaliste indépendante et vous écoutez Les Voix du Livre, un podcast conçu en partenariat avec les éditions Dunod. Chaque mois, je vous embarque chez Livres Hebdo pour entendre le bruit que ça fait quand les pages du magazine du livre se mettent à parler. Au sommaire, en deuxième partie, direction Vincennes pour arpenter la plus grande librairie indépendante d'Ile-de-France, aux côtés de son célèbre directeur Pascal Thuot, j'ai nommé la librairie Millepages. En troisième partie, la clique critique des voix du livre sera dédiée au Liban, une table ronde que nous organisons pour tenter de compenser l'annulation du festival Beyrouth Livres qui n'aura pas lieu cette année. Avant cela, Olivier Dion, photographe de Livre Hebdo depuis plus de 25 ans, nous raconte les coulisses de la préparation des prix et les joies et embûches du jour.

  • Speaker #2

    Les voix du livre En ouverture: Alors le mois de novembre chez Livres Hebdo, c'est un mois et même une semaine particulière puisque c'est la semaine de la remise des prix littéraire. Il n'y a qu'en France que ça se passe. Pour moi en tant que photographe, ça implique des changements dans ma façon de travailler puisque c'est le seul moment de l'année où je ne suis pas seul à faire mes photos. On peut dire que c'est le moment people de la vie du livre en France. Il y a tous les photographes français et étrangers qui sont là, surtout pour le concours. Alors, cette année, chez Drouant, c'était un petit peu particulier parce que dans la liste du Goncourt et du Renaudot, il y avait Kamel Daoud. Et Kamel Daoud fait l'objet d'une fatwa. Il y avait un gros service de sécurité et aussi un service policier qui était là. Beaucoup de journalistes sont restés sur la place parce qu'il fallait montrer sa carte de presse. Et il se trouve qu'il y a beaucoup de journalistes qui n'ont pas de carte de presse. Et il y a aussi des influenceurs qui sont là et qui n'ont pas non plus de carte de presse et qui n'ont pas pu rentrer chez Drouant. Alors, pour la petite histoire, le Prix Goncourt était historiquement le premier prix à avoir installé son académie dans un restaurant. Ce qui le distingue de l'académie française, car les écrivains n'occupent pas un fauteuil mais tiennent un couvert. Nous sommes allés interroger Lauren et moi, James Ney, le directeur de chez Rouen, qui nous a raconté l'origine de cette tradition qui remonte à 1914 dans le quartier de l'Opéra.

  • Speaker #0

    Le Prix Goncourt a été créé en 1902 et les académiciens avaient pour habitude à l'origine de se retrouver pour dîner et ça ne se déroulait pas chez Drouant. Ça se déroulait juste à côté, à l'hôtel de Paris, il me semble. Et ils avaient l'habitude de tourner un peu sur tous les restaurants qu'il y avait autour de l'Opéra. Et à partir de 1914, ils décident de venir chez Drouant pour le déjeuner, parce que c'était plus adapté, on va dire, pour recevoir notamment la presse, mais également parce qu'eux tous étaient amateurs de bonne chair, et qu'un repas a cette capacité à apaiser les tensions, on va dire. Donc si on a une belle assiette, du bon vin... Au final, le débat se retrouve un peu plus apaisé. Et donc, de fil en aiguille, Drouant est devenu une sorte d'évidence pour eux. Le premier mardi de chaque mois, tous les jurés Goncourt se trouvent chez Drouant, dans le salon Goncourt. Ça commence en septembre, le jour de la remise du prix du Goncourt. Donc nous, on est autorisés à rentrer dans ce salon, à faire des photos du lauréat et des jurés. Mais sur la table aussi, il y a d'autres éléments photographiques et entre autres le menu. Ce jour-là, il y a un menu un peu particulier et d'après James Ney, tout a commencé avec Colette qui a été la première femme à présider le jury du concours en 1949. Colette a eu beaucoup à faire là-dessus puisqu'elle était critique gastronomique et donc on a des traditions qui se sont instaurées. La tradition veut qu'il y ait toujours des crustacés qui soient servis pour le déjeuner du prix concours. Pourquoi des crustacés ? Colette adorait les crustacés, ça c'est certain, mais c'est également le lieu, Drouant, qui a été un des premiers restaurants à servir des crustacés qui venaient de Bretagne. Et puis après, la deuxième tradition est d'avoir toujours un gibier à poils ou à plumes, en fonction des années paires ou impaires. Et ça, je pense aussi que ça a à voir avec Colette. Et pourquoi paires ou impaires ? Après avoir eu quelques échanges avec les académiciens, c'était simplement pour ne pas s'ennuyer, ne pas toujours avoir des gibiers à poils.

  • Speaker #2

    Le mélange de gastronomie et de littérature chez Drouant contribue certainement à l'effervescence médiatique autour du prix Goncourt, mais aussi du prix Rennaudot. Donc pour le prix Goncourt, en règle générale, j'essaie d'arriver au moins une heure à l'avance. L'annonce est faite dans l'escalier de chez Drouant. Donc le président du Goncourt annonce le lauréat, souvent à 12h45, quand ça se passe bien au niveau des votes. Ensuite, il y a le président du Renaudot. Cette année, c'était Jean-Marie Le Clézio qui annonce aussi le lauréat du Renaudot. Il y a quelques journalistes et deux photographes ou trois photographes qui peuvent monter dans le salon Goncourt. Et donc là, il faut juste bien se placer dans le salon pour faire la photo du lauréat avec toute la presse qui arrive autour. C'est un joli bordel, mais un joli bordel bien organisé quand même. Il y a une autre photo qui se fait maintenant, c'est le lauréat à la fenêtre de chez Drouant. Ce qui fait qu'il y a beaucoup de photographes qui restent en bas de chez Drouant et qui le photographient à la fenêtre de chez Drouant avec son livre. Mais moi, je ne peux pas faire cette photo-là parce que comme je suis déjà dans le salon, je ne vais pas redescendre. Donc en fait, je reste dans le salon et cette année, ce que j'ai fait, c'est que je me suis fait oublier et je suis resté jusqu'au moment où il n'y avait plus de photographe. Enfin, il restait juste un photographe avec moi, celui du jury Goncourt. Et donc là, j'ai réussi à faire la photographie de tous les jurés avec Kamel Daoud et son éditeur Antoine Gallimard. Il y a une autre année aussi où j'ai fait une photo un peu différente. C'était en 2011 où j'ai pris, entre guillemets, le risque d'aller chez un des éditeurs qui était sur la dernière liste du concours. En l'occurrence, chez Flammarion et c'était Michel Houellebecq. Encore une fois, j'ai réussi à me faire oublier chez Flammarion. Je suis allé jusque dans le bureau de Teresa Cremizi et j'ai réussi à faire la photographie quand Teresa Cremizy reçoit le coup de fil de chez Drouant comme quoi ils ont le prix Goncourt. Donc j'ai fait cette photo-là. Après, je suis vite redescendu. Je suis monté vite fait dans un taxi et je suis allé chez Drouant attendre l'arrivée de Michel Houellebecq. Et c'est, je pense, une année où le lauréat est passé par l'ascenseur des cuisines tellement il y avait de monde chez Drouant. Parce que Michel Houellebecq l'avait déjà loupé plusieurs années auparavant. Et donc là, cette année, c'était quasi sûr que c'était lui qui allait l'avoir. Et donc, il y avait beaucoup, beaucoup de presse. Et moi, j'étais déjà arrivé dans le salon Goncourt. Donc, en fait, j'ai réussi aussi à avoir la photographie de Michel Houellebecq au milieu de Georges Champrain, de Pierre Assouline et tous les autres jurés de Goncourt. Donc, dans les grands prix d'automne, Drouant n'est pas le seul restaurant iconique des prix littéraires. Il y a aussi le Café de Flore. Et le Café de Flore, c'est un nez à 30 ans. Donc, le Prix de Flore a été cofondé par Carole Chrétiennot, qui est la propriétaire, avec Frédéric Beighbeder, qu'on ne présente plus, en s'inspirant de l'identité du lieu du Café de Flore à Saint-Germain-des-Prés.

  • Speaker #1

    Il faut savoir que le Café de Flore a toujours été le lieu de résistance en tout, en art, en histoire. On disait toujours que les Deux Magots étaient le café des gens arrivés, posés, et le Flore du bruit, de l'insolence. Et en fait, quand j'en ai parlé à Frédéric il y a 30 ans, je me suis collée sur l'histoire de la bande à Prévert: Un attelage assez extraordinaire entre des cinéastes, des écrivains, des poètes, des philosophes. Et donc, ils étaient aux Deux Magots initialement, mais ils étaient si bruyants qu'on les a foutus dehors. Et évidemment, ils ont trouvé refuge où ? Au Flore. J'ai pris la photo de ça en disant à Fred, je veux qu'on monte un prix. Mais tu vois, ça, il fallait que ça soit la vie. Le contraire des cocktails littéraires où nous allions il y a 30 ans, très calmes... D'ailleurs, ensemble, on a créé la fête littéraire, puisque c'est devenu, voilà, une énorme fête.

  • Speaker #2

    Au prix de Flore, l'un des ingrédients, c'est le ballet des serveurs qui remplissent coupe de champagne sur coupe de champagne. Il y a un monde de dingue, au Flore, et une ambiance de dingue aussi. Et d'ailleurs, M. Delacroix, directeur général du Café de Flore, nous a expliqué quelques-uns de ses secrets. Oui, effectivement, avant d'arriver à ce ballet, qui caractérise quand même le service en général du Café de Flore, je pense que la clé, c'est de s'amuser de façon très professionnelle. Donc, il faut être hyper organisé, que ce soit pour le rôle de chaque garçon, également pour tous les musiciens qui interviennent au Café de Flore, de pouvoir répéter dans des conditions dignes de leur art. Tout se passe très joyeusement. Donc, de l'autre côté de la scène, c'est-à-dire rive droite, Le prix littéraire, c'est le prix Wepler Fondation de la Poste que Marie-Rose Guarnieri, la fameuse libraire des Abbesses, a créé en 1998. C'est un prix littéraire plutôt décerné à ce qu'on appelle, entre guillemets, des petites maisons d'édition. Et puis, c'est surtout une ambiance autre que celle de Saint-Germain-des-Prés, parce que là, c'est le Paris 18e. C'est plutôt la gouaille, les huîtres, le vin blanc. Marie-Rose Guarnieri va nous raconter comment elle a rattaché son prix à l'histoire culturelle des Cafés de Paris.

  • Speaker #1

    Dans la brasserie Wepler, quand je suis arrivée à Montmartre, c'est vraiment conjointement à la création de ma librairie que je me suis tournée vers le Wepler parce que c'est un café qui avait une histoire et une vie artistique dans ses murs. Il y avait Miller, les Américains à Paris, adoraient cette brasserie puisqu'il a écrit un livre qui s'appelle "Jour tranquille à Clichy". Il y avait les poètes du Chat Noir aussi, Aristide Bruant. Il y avait toute une histoire artistique autour de cette brasserie. Pour moi, c'était vraiment perpétuer cet esprit-là. Je voulais redonner aujourd'hui la place dans les arts qu'a eus cet artiste, cet arrondissement. C'est un lieu où vraiment ont émergé de très grands mouvements littéraires, de très grands mouvements artistiques, des gens qui étaient un peu immondins et un peu hors de l'institution, qui ont mis en œuvre un renouveau artistique absolument rayonnant.

  • Speaker #2

    Donc dans la liste des prix de l'automne, il y a un prix qui se distingue, c'est le prix Fémina. Alors le prix Fémina, jusqu'à il y a quelques années, était décerné dans un hôtel. Moi j'ai connu à l'hôtel Crillon, puis ensuite au club L'Interallié. Et depuis deux ans, je crois, deux ou trois ans, il est décerné au musée Carnavalet. Et donc Jérôme Tréca, responsable du mécénat au musée Carnavalet, nous explique pourquoi. En 2021, la remise du prix Fémina a eu lieu ici, entre autres à cause de l'exposition Marcel Proust. Puisque une des personnes intervenant dans le catalogue de l'exposition Marcel Proust était Evelyne Bloch-Dano. Evelyne Bloch-Dano est membre du jury du Prix Fémina. Il se trouve qu'à l'occasion de cette exposition, nous avons exposé la chambre d'Anna de Noailles. Et Anna de Noailles a été la première présidente du premier jury du Fémina en 1904. Donc il y avait une légitimité d'accueillir le jury du Fémina. Donc Jérôme Tréca, le responsable du mécénat, a des idées de mise en scène pour que le prix soit très photogénique et théâtral. On avait créé une petite mise en scène assez amusante avec Evelyne, c'est-à-dire qu'on invitait les gens à ce petit cocktail à 13h au 23 rue de Sévigné, donc dans l'entrée du musée. Et parallèlement, moi j'accueillais les trois lauréats et leurs éditeurs au 29 rue de Sévigné, ce qui permettait à personne de croiser les lauréats et de maintenir l'effet de surprise. Et on a un très grand escalier noir dans la première salle des enseignes et on installait les 12 membres du jury dans l'escalier qui proclamaient. Et moi, comme à la sortie de mannequin dans un défilé de mode, j'étais en haut de l'escalier et je poussais les lauréats pour qu'ils descendent et qu'ils soient présentés au jury. Donc en tant que photographe, et d'autant plus que moi je pratique ces prix depuis plus de 25 ans, on a aussi les oreilles qui traînent. On peut quand même récupérer quelques infos. Il y en a que je ne peux pas vous révéler. Il y en a d'autres que je peux vous révéler. Donc la confidence de cette année, c'est que le prix Renaudot a effectué deux votes. Comme certains lauréats étaient à la fois sur la liste du Renaudot et du Goncourt, si toutefois c'était le même pour le Renaudot que pour le Goncourt, ils avaient quand même un second choix pour que justement ce ne soit pas le même lauréat qui remporte à la fois le prix Goncourt et le prix Renaudot. Alors, autre info que je peux vous divulguer: c'est James Ney, le directeur de chez Drouant, qui nous a confié qu'il était déjà sur les préparatifs du menu 2025. Donc son menu est lié à une commémoration importante de 2025. Et si j'ai bien compris, cette commémoration est liée à l'histoire des femmes. Donc vous avez un an pour trouver le menu.

  • Speaker #1

    Le portfolio des grands prix littéraires de l'automne, signé Olivier Dion, est à retrouver dans le numéro de décembre de Livres Hebdo.

  • Speaker #0

    Les voix du livre

  • Speaker #3

    En chemin.

  • Speaker #1

    Nous sommes le 8 octobre 2024 à l'ombre du château de Vincennes et je m'apprête à entrer dans une librairie qui va bientôt fêter ses 45 ans, la librairie Millepages. Le directeur Pascal Thuot et le responsable -entre autres- du rayon scientifique Malik Rumeau, nous ont demandé d'attendre la fin du Festival America pour avoir le temps de nous accueillir. Bonjour ! Bonjour Pascal, bonjour Malik.

  • Speaker #4

    Bonjour,

  • Speaker #1

    bonjour. Pascal, on est au lendemain du Festival América, on va commencer par ça, vos impressions à chaud ?

  • Speaker #4

    Écoutez, c'était plutôt une réussite, on est très content de l'affluence, très content de la qualité des débats, puisque pour la première fois le Festival América invitait 9 pays européens pour dialoguer autour des grandes problématiques qui sont les nôtres avec une quarantaine d'auteurs américains. Donc ça a créé en fait des rencontres assez nouvelles, donc voilà, que du positif.

  • Speaker #1

    Le Festival América, vous y êtes très attachés, très liés, puisqu'il a été créé par le fondateur de la librairie Millepages, Francis Géffard. Est-ce que vous pouvez parler de la création de ce lieu et de l'histoire de ce lieu ?

  • Speaker #4

    Oui, bien sûr. Au départ, c'est le projet d'un jeune homme qui veut ouvrir une librairie dans une ville qui en compte déjà plusieurs. Ça n'est plus le cas aujourd'hui. Et lui, son rêve, c'était de donner à la littérature la possibilité d'être incarnée différemment. Ce qu'il faut savoir, c'est que la librairie, avant 1980, ça reste un lieu très régi par des codes. La plupart du temps, les gens n'ont pas le droit de toucher les livres. Le libraire est un peu une sorte de personnalité locale très importante, respectée, parfois crainte. Et donc, lui, il a un peu cassé ce code-là en introduisant notamment l'idée des notules sur les livres. Alors après, ce qui est assez amusant, c'est que cette librairie, au départ, était une librairie de littérature, mais aussi une librairie où des gens plus tradis venaient chercher des objets pieux, des rosaires, des micelles, des choses comme ça. Il a eu une éducation catholique assez approfondie, Francis. Voilà, c'était un lieu mixte où on pouvait à la fois découvrir les premiers livres d'auteurs américains qui sont aujourd'hui considérés comme des géants de la littérature et en même temps, cette imprégnation d'une communauté locale. Il y avait plusieurs paroisses ici qui étaient très actives. C'est comme ça qu'est née Millepages, dans un petit local qui aujourd'hui n'est plus du tout une librairie, à quelques centaines de mètres d'ici, qui faisait un petit peu moins de 50 mètres carrés. Il y avait un écureuil en vitrine qui faisait office un peu de mascotte de la librairie. C'était un lieu comme il n'en existait pas encore à l'époque. La précarité économique de la librairie a bien failli lui coûter son existence dans les premières années de cette librairie. Mais en fait, il naissait au début des années 80 dans le sillage de la loi sur le prix unique, une institution qui s'appelle l'ADELC, l'Aide au Développement Économique de la Librairie de Création, donc financée par des éditeurs qui, en mutualisant leurs moyens, permettaient ensuite à des projets de libraires, d'agrandissement, de modernisation, d'extension des fonds, d'être financés. Et ça, c'était une nouveauté. Et Millepages a fait partie des premières librairies aidées par l'ADELC. C'était cette première expérience d'une librairie indépendante qui réussissait à développer sa capacité à recevoir du public, à créer du catalogue grâce à l'adhésion et au soutien des éditeurs indépendants. À l'époque, c'était Gallimard, c'était Le Seuil, les éditions de Minuit. Finalement, rien n'aurait été possible sans cette possibilité-là. Moi, je suis arrivé en 99. Francis m'a appelé. On se connaissait depuis quelques années déjà. On s'est rencontrés autour de la littérature nord-américaine, puisque lui a inauguré sa collection Terre d'Amérique et avant ça, Terre indienne, au début des années 90. Et c'est là que moi, j'ai commencé en librairie. Et comme j'avais un tropisme assez important pour la littérature étrangère d'une façon générale et la littérature américaine en particulier, évidemment, ses premiers textes, qui sont pour moi des textes très importants, ça a été capital, en fait, dans ma démarche à moi aussi.

  • Speaker #1

    C'est une sacrée transmission quand même qui s'est passée à ce moment-là pour vous, j'imagine. Qu'est-ce que vous avez gardé en tant que directeur, même comme esprit des lieux ?

  • Speaker #4

    Je crois qu'on a gardé l'essentiel, c'est-à-dire que cette librairie, elle devait rester proche de ses clients. Malgré le fait qu'elle ait grandi, grossi en chiffre d'affaires, l'idée c'était de ne pas perdre cet objectif.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous diriez qu'il y a quelque chose qui est resté de ce rapport à la foi et à la spiritualité qu'avait Francis Géffard ?

  • Speaker #4

    Alors moi, personnellement, pas vraiment.

  • Speaker #1

    Pascal Thuot?

  • Speaker #4

    Alors, moi, je suis un mécréant. Mais en même temps, forcément, nous, on n'est qu'une partie du tout. Une librairie, c'est à la fois les libraires qui en sont les animateurs et en même temps les gens qui en sont les usagers. Donc forcément, il y a des petits échanges moléculaires qui se font en termes de pensée, qui sont riches et qui alimentent.

  • Speaker #1

    Une dernière question sur la librairie. Le fait d'être à Vincennes, vous en avez un petit peu parlé par rapport au festival. Est-ce qu'il y a d'autres choses que ça change par rapport au fait d'être au cœur de Paris ?

  • Speaker #4

    Alors oui, ce qui change par rapport au cœur de Paris, c'est que justement, on est un peu à l'écart. Et ça a plutôt des avantages. C'est-à-dire qu'on est un petit peu moins visités par les éditeurs qui viennent vérifier que leurs livres sont bien en place. On est quand même un peu préservés de ça. Après, c'est aussi la possibilité d'évoluer dans des surfaces qui sont quand même un peu plus importantes que celles dont on pourrait bénéficier à Paris. Et puis, il y a une sorte d'osmose entre la librairie et la ville où elle a grandi. On nous a souvent proposé de nous intéresser à des dossiers de reprises de librairie dans d'autres villes. Et finalement, ça ne nous a jamais intéressés parce qu'en fait, la copie ne ressemblera jamais à l'original. Et comme on n'est pas à la recherche d'un développement économique et qu'on n'a pas spécialement envie de créer un empire, on a décidé de rester très implantés ici. Il y a un auteur de littérature que j'adore qui s'appelle Mario Rigoni Stern, qui est vraiment un écrivain italien de l'enracinement. Mais ce ne sont pas des racines qui moisissent, ce ne sont pas des racines qui l'empêchent de regarder celui qui vient. C'est juste l'endroit où, comme un aimant, il retrouve sa place. Et je dirais que c'est un peu ça aussi une librairie. Elle a des racines et ces racines sont importantes puisqu'elles racontent une histoire, elles racontent les liens entretenus avec une histoire un peu plus grande. On ne réinvente rien si on ne sait pas ce qu'il y a eu avant.

  • Speaker #1

    Pour ce podcast, Livres Hebdo, en partenariat avec les éditions Dunod, pousse la porte des libraires pour les écouter décrire leurs enjeux, décrypter les tendances éditoriales du moment et partager leurs coups de cœur. La Maison Dunod publie des ouvrages de non-fiction sous les éditions Dunod et Armand Collin, pour rendre le savoir accessible au grand public, aux professionnels et aux étudiants. Nous sommes de retour avec Pascal Thuot et Malik Rumeau, mais je me tourne surtout cette fois vers Malik Rumeau pour nous parler de l'un de vos rayons, de l'une de vos spécialités, la science.

  • Speaker #2

    Moi je suis un peu comme la plupart des gens, j'aime la musique mais je ne sais pas la lire, dans le sens où je ne lis pas les maths. La science m'a toujours intéressé depuis que je suis enfant. Ça fait partie, je pense, de la curiosité qu'on a sur les choses, sur le monde. Dans une librairie comme celle-là, il y a plusieurs publics. Sur la question de la science, vous avez des chercheurs qui viennent chercher du livre. Vous avez des gens qui vont demander des ouvrages de science pour des adolescents de 14 ans, 15 ans. Donc des choses vraiment très, très, très grand public. Et puis, ce qui est plutôt quelque chose qui, moi, va me concerner, c'est la question des récits. Et je pense que ça n'engage que moi, qu'un livre de science grand public réussi, c'est un livre qui arrive à produire un récit, qui peut convoquer un imaginaire qui n'est pas uniquement un imaginaire scientifique, mais aussi qui est un imaginaire qui va peut-être essayer de rassembler autour de la poésie, autour de la peinture, autour du voyage. Par exemple, il y a un auteur qui a beaucoup retenu mon attention, c'est Guido Tonelli, qui est édité chez les éditions Dunod, qui a écrit Genèse, Temps, et le dernier qui va bientôt sortir, qui est Matière, qui à chaque fois arrive à articuler des questions scientifiques et philosophiques dans un grand récit. Autre chose dans ce genre-là, vous avez Yann Mambrini avec La Nouvelle Physique, qui par ailleurs est magicien aussi, et qui fait de l'astrophysique, qui fait de lien avec la physique fondamentale et la physique expérimentale, qui était publiée chez Albin Michel. Et puis, là, un autre ouvrage assez ancien, qui s'appelle Cybernétique et Société, de Wiener, qui est un ouvrage vraiment de fond et qui pose les fondamentaux de la science de l'information, de la cybernétique. On découvre la pensée systémique, on découvre la pensée complexe, et on voit à quel point cette pensée cybernétique a infusé dans un grand nombre de sciences et de pratiques.

  • Speaker #1

    Merci aux éditions Dunod pour cette séquence de transmission des savoirs. Pascal, Malik, qu'est-ce qu'on peut souhaiter à la librairie Millepages pour l'avenir, pour les années qui viennent ?

  • Speaker #4

    Vaste question, si vous voulez. Moi, je suis plutôt un pragmatique, donc je serais plutôt tenté d'être assez simple dans mon souhait. C'est-à-dire qu'il nous reste encore quelques années à tirer pour atteindre le grand âge, donc au moins qu'on puisse jusque là continuer de porter notre bannière. Après, ce qu'on peut souhaiter, c'est que le volume de lecteurs cesse de subir cette embolie assez préoccupante. Je suis très préoccupé par le paysage tel qu'il est en train de se dessiner aujourd'hui. C'est-à-dire avec surproduction, une embolie de lecteurs et une concurrence très marquée de loisirs qui éloignent les gens de la lecture. Si vous voulez, la formule du souhait, elle est sympathique. C'est comme la formule du génie dans la lampe magique. Il faut frotter pour qu'il apparaisse. Je ne sais pas très bien ce qu'il faudrait frotter pour qu'apparaisse la possibilité d'une vraie discussion, pour penser l'avenir. Il y a plein de choses à imaginer et pour l'instant, je n'ai pas l'impression qu'on y aille. Sinon, la création, elle reste très intéressante, très stimulante.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on peut imaginer quand même une fête pour les 45 ans ?

  • Speaker #4

    Ouais ! Carrément, il faut faire la fête. Pour oublier tout ça.

  • Speaker #2

    Avec plaisir.

  • Speaker #1

    Merci Malik.

  • Speaker #2

    Merci à vous.

  • Speaker #0

    Les Voix du livre. En haut de la pile.

  • Speaker #1

    C'est la troisième partie de cet épisode, la rubrique en haut de la pile, consacrée ce mois-ci à Beyrouth, à l'occasion du tiré à part spécial Beyrouth, porté par les équipes de Livres Hebdo, qui sera distribué avec le mensuel de décembre. Alexandre Mouawad, rédacteur en chef adjoint de Livre Hebdo, tu as dirigé ce hors-série, qui au départ devait être distribué pendant le festival Beyrouth Livres, mais l'histoire en a décidé autrement.

  • Speaker #0

    Un hors-série qui devait être distribué plus précisément pendant la journée professionnelle qui n'a pas plus eu lieu que le festival. Aussi, collectivement, avec Livres Hebdo et l'Institut français de Beyrouth, nous avons décidé de sortir quand même ce numéro, mais différemment, et d'essayer de rendre compte, à notre niveau, des impacts de la guerre sur le monde du livre libanais, déjà par respect pour ce qu'on pourrait appeler l'interprétation internationale, et pour rendre hommage aux professionnels libanais ainsi qu'à ses littératures. Nous sommes aujourd'hui même en train de le boucler, je viens de recevoir la dernière réponse à la dernière question que je pose à Mathieu Diaz dans l'entretien qu'il y a au début. Elle est superbe, c'est peut-être le plus beau texte du numéro. On espère que les événements qui nous séparent de sa parution, qui sera le 28 novembre, ne rendront pas ce numéro inadapté. C'est une vraie question de presse qui nous a suivi tout au long de la confection de ce numéro. On a lancé il y a presque six mois, mais en ce moment les temps changent très très vite.

  • Speaker #1

    C'est un numéro que tu boucles avec émotion, on le sent. On va découvrir les invités du jour, mais avant cela, la parole au rédacteur en chef de Livres Hebdo, Jacques Braunstein. Quel est le chiffre du mois ?

  • Speaker #0

    Le chiffre du mois, c'est 95 millions d'euros. C'est ce qu'ont rapporté les livres vendus grâce au Pass Culture en 2023. Je vous en parle parce que dans le PLF, le projet de l'Ouest Finance, on sent que le Pass Culture est un peu remis en cause, il y a eu une sorte d'offensive de certains médias et d'autres domaines culturels, le spectacle vivant pour ne pas le nommer, contre le Pass culture, disant que est-ce que les jeunes achètent vraiment les bons livres, pourquoi ils ne vont pas au spectacle vivant, pourquoi, plus le livre que le cinéma est-ce que ça touche vraiment les bons jeunes bref, tout un tas de questions qui sont légitimes, mais qui sont un petit peu inquiétantes parce que si on réduisait par exemple la part du livre dans le pass culture de moitié, sachant qu'aujourd'hui, le pass culture et les livres qui sont vendus grâce à lui, c'est 2% du marché du livre. Si vous réduisez, par exemple, les montants du passe-culture de moitié, ça fait 1% en moins. 1% en moins, c'est énorme dans un métier, les libraires le savent bien, où les marques ne sont pas énormes, sachant que pour certaines librairies et certains de nos auditeurs, c'est 1%. Le pass culture, c'est 5-10% de leur chiffre d'affaires. Donc, il est normal que la filière se mobilise pour qu'on réduise au minimum le pass culture. Et c'est l'occasion de rappeler que c'est quand même plutôt un bon dispositif qui a emmené beaucoup de jeunes qui n'y étaient jamais allés vers les librairies. Et que même si on a caricaturé le pass culture en disant c'est le pass manga, la plupart des jeunes, ils rentrent dans la librairie peut-être pour acheter un manga et ils achètent. Ce livre-là, un autre, d'autres livres. Et donc, on a très envie de défendre le passe-culture et de s'y accrocher un petit peu.

  • Speaker #1

    Merci Jacques. Retour à Beyrouth. Alexandre Mouawad, tu as invité autour de la table aujourd'hui Joseph Ghosn. Bonjour Joseph. Bonjour. Tu es journaliste, tu as dirigé Vanity Fair, Les Inrocks, Grazia. À tes côtés, Philippe Azoury. Bonjour Philippe. Bonjour. Tu es critique de cinéma, tu as enseigné le cinéma à la Sorbonne et à Beyrouth. Vous avez tous les trois des liens très fort avec le Liban. La chanteuse libanaise Fayrouz, qui était surnommée l'âme du Liban, chantait "Kifak enta", qui veut dire "Et toi, comment ça va" en arabe ? Première question à tous les trois. Et vous, vos proches, comment ça va ? Joseph ?

  • Speaker #3

    C'est une bonne question. C'est une question qu'on se pose tout le temps, en ce moment. C'est une question à laquelle, je crois, il y a plusieurs réponses évidemment, la première est une réponse assez collective et une réponse un peu de "façade" qui est tout va bien, forcément tout doit bien aller. D'autant plus que de là d'où nous parlons, c'est-à-dire à Paris, forcément on est mieux qu'ailleurs, c'est-à-dire qu'on n'est pas sous les bombes. Ensuite, cette question elle renvoie à tout à fait autre chose en fait, parce que vous citez la chanson de Fayrouz, et la chanson de Fayrouz c'est une chanson assez particulière. Ce kifak enta de Feyrouz c'est un Kifak enta qui est écrit à la fin de la guerre. C'est un morceau qui, à chaque fois que je l'écoute, me rappelle l'ambiance, notamment de mes parents pendant la guerre. Et c'est aussi un morceau qui a fait scandale, parce qu'on en parlait il y a quelques jours avec des amis. C'est un morceau dans lequel Fayrouz prend un accent qui n'est pas son accent habituel. Et Fayrouz prend un accent un peu palestinien. Et donc elle englobe quelque chose d'un peu plus général. Et que donc la question comment vas-tu ? elle n'est pas uniquement adressée à nous, elle est adressée à nous en tant qu'individu. ou en tant que Libanais, elle est adressée à nous en tant que peuple aussi, puisque nous sommes aussi ça, et aussi au fait que nous faisons partie non seulement d'un pays, mais aussi d'une région, je crois. Donc comment ça va ? Ouais, moi ça va. Mais pour le reste... On verra.

  • Speaker #1

    Philippe ?

  • Speaker #5

    À la fois, je suis totalement d'accord avec Joseph et je veux dire exactement l'inverse. C'est une question qui est devenue... D'abord, je suis très content que vous la posiez parce que personne ne nous la pose en France. La question n'intéresse pas, manifestement, de savoir comment on va. Ce qui rajoute à l'abandon à la fois des Libanais au Liban, mais des Libanais ailleurs, politiques ou même amicales, on va dire. C'est une question qui est devenue totalement obsolète. On ne peut plus tout y répondre, non pas depuis deux mois, mais depuis un an. Il y a un narratif, si vous voulez, israélien, qui voudrait décorréler le destin d'abord des Palestiniens avec celui des Libanais, puis ensuite le sud du reste du Liban, puis la banlieue sud de Beyrouth avec Beyrouth. Mais on voit bien que la logique fait que tout ça se rapproche et qu'aujourd'hui aucun Libanais ne peut se dire ou en sécurité ou épargné de ce qui serait un nettoyage ethnique. En fait, non, ça ne va pas. Ça ne va pas du tout et politiquement, ça va de mal en pire. Les élections américaines ne donnent pas de signe. Il n'y a pas de quoi se réjouir, disons. Mais en tout cas, merci de l'avoir posé. C'est si rare.

  • Speaker #1

    Alors, on l'a dit, ce hors-série comme ce podcast permettent de compenser l'impossibilité pour les professionnels du livre de se réunir comme chaque année au Festival Beyrouth Livres. qui n'a pas lieu. Vous êtes donc venu avec des livres qui vous tiennent à cœur sur le Liban. La parole est à toi, Joseph Ghosn. Tu nous présentes une poétesse syro-franco-americano-libanaise.

  • Speaker #3

    Oui, enfin, c'est surtout Etel Adnan.

  • Speaker #2

    Un monument.

  • Speaker #3

    Un monument. Etel Adnan est une artiste, plasticienne, peintre, poète. Elle a écrit beaucoup de textes. Elle a été découverte plutôt tard dans sa vie, dans les années 2000. Le texte dont je voudrais parler, c'est un texte que j'aime beaucoup, qui s'appelle Grandir et devenir poète au Liban C'est une conférence qu'elle a donnée en 1986 et qui est devenue un texte comme certains de ses livres. C'est un livre que je mets en perspective avec un autre livre d'un photographe qui s'appelle Fouad Elkoury, et ce livre-là s'appelle Beyrouth, aller-retour. Le livre d'Ethel Adnan raconte vraiment son enfance. En gros, le livre va de 1925 à 1949. c'est l'enfance d'une jeune femme qui grandit à Beyrouth. Elle découvre le français, elle découvre la littérature, elle découvre aussi son premier amour pour une femme. Et donc il y a toutes ces choses qui sont en train de se former et on comprend à travers ce qu'elle écrit ce que c'est que le Liban dans ces années-là. C'est-à-dire un Liban qui est un pays en train d'être formé, un pays qui a été inventé par la France d'une certaine façon, un pays qui traverse aussi la Deuxième Guerre mondiale et avec beaucoup de désirs d'ailleurs. Et on voit chez Etel Adnan quelque chose que moi j'ai pu voir chez mes grands-parents ou chez mes parents ou bien avant la guerre. C'est-à-dire cette idée de se dire de quel monde faisons-nous partie et où est-ce que nous pouvons aller. Je le mets en écho avec le livre de Fouad Elkoury parce que le livre de Fouad Elkoury part quasiment de ce truc-là où Fouad ElKoury est un jeune architecte qui a fait ses études à Paris, qui revient au Liban, qui fait aussi la photographie et qui se retrouve en 1975 au début de la guerre en train de se dire mais qu'est-ce qui se passe ? Et qu'est-ce que je fais ? Et qu'est-ce que je deviens ? Son livre raconte en images. D'abord, toute la guerre et notamment les années 1982 pendant l'invasion israélienne. Et surtout, il y a des textes dans ce livre qui ponctuent les images. Et en relisant ces textes, j'avais l'impression de lire des textes qui parlaient d'aujourd'hui. C'est-à-dire des textes de gens qui seraient à Beyrouth sous les bombes et qui disent on ne sait pas ce qui se passe, on essaie de vivre quand même. Et c'est très, très difficile. Et vous tournez une page, puis d'un coup, il vous parle d'une soirée, puis vous tournez une page. Et le lendemain, il vous dit tous les gens avec qui j'étais hier soir sont morts. Donc, on est vraiment pris dans cette même... En tout cas, il y a quelque chose qui, moi, m'a évoqué cette impression que j'ai depuis plusieurs mois, qui est que j'ai l'impression d'être dans une boucle, parce qu'en 1982, j'étais à Beyrouth pendant cette invasion-là, j'étais un gamin. Et donc j'ai l'impression de revivre tout ça en boucle et que la seule chose qui a changé, c'est que l'armement est beaucoup plus puissant. Et encore, quand on lit ce qu'écrit Fouad Elkoury, on se rend compte que tout a été démoli de la même façon. Et que les immeubles ont été détruits de la même façon, et que les ruines sont les mêmes, et que les gens sont détruits de la même façon. Donc voilà, je voulais vraiment parler de ces deux livres-là comme un écho l'un à l'autre. A la fois dans cette idée, qu'est-ce que c'est qu'être libanais, mais aussi beaucoup de ce désespoir qui depuis 50 ans fait partie de nos vies.

  • Speaker #1

    Philippe ?

  • Speaker #5

    Oui, c'est deux textes que j'aime beaucoup. Énormément. Le livre de Fouad, moi, c'est un livre qui m'a énormément accompagné. C'est un livre que les Cahiers du cinéma avaient sorti en 84-85. C'est un livre que j'ai toujours trouvé actuel, je suis comme Joseph. Quand on l'a lu, je me souviens qu'on l'avait lu ensemble en 2006, au moment d'une précédente guerre, c'est infini mais c'est toujours comme ça, ça nous semblait déjà être le livre, totalement le journal, la main courante de ce que nous, on vivait. J'ai pas eu la curiosité de l'ouvrir là, ces derniers temps. Peut-être que je n'arrive plus à lire aussi, c'est possible, depuis deux mois. Je ne sais pas, mais j'ai des souvenirs très très forts de ce texte-là.

  • Speaker #1

    "Beyrouth, aller-retour" de Fouad ElKoury, c'est donc paru au Cahier du cinéma en 1984 et "Grandir et devenir poète au Liban" de Etel Adnan, paru aux éditions de Les Echoppes, en 2019. Philippe Azoury, c'est à toi. Tu as toutes les peines à lire depuis deux mois, on le comprend, mais tu nous parles d'un récit-enquête.

  • Speaker #5

    Oui, j'ai non seulement des peines à lire, je suis celui qui a élu un livre de 600 pages. Et d'ailleurs, je ne vais pas mentir, je ne vais pas spoiler ce livre, parce que d'abord, spoiler, c'est mal. Mais surtout, il me reste 200 pages à lire.

  • Speaker #1

    Je suis donc en cours de lecture.

  • Speaker #5

    Je suis en cours de lecture, mais je suis quand même assez bien avancé. Et en partie aussi, mais c'est un livre que je n'ai pas du tout voulu lire en diagonale, comme on dit. Déjà parce qu'il me passionne, parce qu'il fourmille de détails. Mais c'est un livre qui a pris 10 ans à s'écrire. Marwan Chahine, lui aussi, travaillait pour Libération. Quand j'ai quitté L'Obs, il a écrit un texte, justement, quelques textes quand il était correspondant au Caire pour Libé, notamment une commande sur le 13 avril 1975, l'attaque qu'on appelle Al-Bosta, le bus, c'est-à-dire cette attaque massacre d'un bus contenant des fédéines palestiniens par des miliciens kataïbes, phalangistes chrétiens, le 13 avril 1975, et qui est considérée par les historiens comme l'étincelle qui a mis le faux poudre d'une guerre civile qui va durer jusqu'en 89-90. Et donc voilà, j'ai toujours raté Marwan Chahine, parce que quand il était à l'office pour ce papier, j'y étais déjà plus. J'aimais beaucoup ses papiers au Caire, je trouvais qu'il y avait une approche que je retrouve dans ce livre-là. Il y a quelque chose chez lui qui n'est jamais surplombant, parce qu'il avoue tout, c'est-à-dire qu'il est d'une famille franco-libanaise, il ne parle pas arabe, il le parle mal. Et en plus, il l'a appris au Caire, et l'arabe du Caire et l'arabe de Beyrouth, c'est absolument pas du tout la même chose. Et quand il quitte le Caire et Libération avec un peu de thunes, il arrive à Beyrouth un peu comme de juste, parce que sa famille est là, un peu comme en retour aux sources, sans du tout savoir ce qu'il va faire. Et puis bon, il faut vivre, donc il propose, ça va être les 40 ans du 13 avril, donc c'était il y a 10 ans, et donc il propose ce papier, et il commence à rencontrer les gens, parce que cet événement, cet événement du bus, ne cesse d'être la cicatrice à partir de laquelle chacun se renvoie la balle en disant c'est vous qui avez commencé. Et évidemment cette histoire de qui a commencé, elle est infinie, et on se prend les pieds dans le tapis. Mais surtout cette histoire du bus, on la connaît pas bien. On sait pas combien il y a eu de morts. Il n'y aurait pas de survivants, au bout de 300 pages il en est déjà à 12 ou 13. Tout le monde a vu la scène, tous les grands artistes libanais étaient tous là. Ils avaient tous 5 ans, ils étaient tous en train de jouer autour. Tout le monde a vu la scène, puis tout le monde l'a vu différemment. Et puis même à l'intérieur des entretiens qu'il arrive à déplier, sur 10 ans, de fil en aiguille, de rencontre en rencontre, des gens lui disent un truc en début d'entretien, mais qui lui disent le verre, c'est la fin de l'entretien. Tout va bien, c'est le Liban. C'est comme ça. Et en fait, ça rappelle cette... Je sais pas si vous vous souvenez, il y a un sketch des inconnus, au début de la fin des années 80, qui était génial, où un faux Guillaume Durand demandait à l'un des inconnus, qui est aujourd'hui, de raconter la situation en deux coups de cuillère à peau, et le type se lançait dans un tunnel de 12 minutes, et ça rappelle ce... Je sais plus qui était le mot, mais c'est devenu canonique. Si vous avez compris quoi que ce soit à la guerre du Liban, c'est qu'on vous l'a super mal raconté. Et c'est exactement le livre de Marwan, c'est-à-dire que si vous avez compris quelque chose au 13 avril 75, un, c'est qu'on vous l'a mal raconté, mais à lui, tout le monde lui raconte mal, il ne raconte pas mieux, mais il a cette humilité géniale de mettre les mains là-dedans, et finalement, à la façon d'un enquêteur, il y a un côté d'acheter la mètre chez lui, de faire un roman policier avec un imbroglio politique dans un pays qui est un puzzle, où personne n'a vu la même chose. Chacun vient avec son fantasme et aussi avec sa croyance politique. Et puis il est totalement obsessionnel. Et moi j'adore ça. Et on ne fait pas pour rien un livre de 500 pages. Ce n'est pas juste pour en foutre plein la vue ou parce que ça a pris 10 ans. Mais c'est que le moindre détail le rend dingue. Et il voit toujours qu'il manque une pièce de puzzle. Et il faut qu'il y aille. Et il faut qu'il déplie. Il faut qu'il déplie. Et c'est une démonstration d'humilité et d'intelligence à tous les endroits.

  • Speaker #1

    Merci Philippe. Je crois qu'Alex, tu as aimé aussi ce livre, il me semble.

  • Speaker #0

    Oui, ce que montre ce livre, il me semble, c'est un truc que je constate le plus fort. Jour après jour, moi qui me plonge dans cette histoire depuis que je suis allé dans le pays de mon père pour la première fois l'année dernière, à l'occasion du festival Beyrouth Livres, c'est qu'une sorte de série de hasards objectifs, et puis quelque chose qu'on trouve dans un film que j'ai vu jeudi dernier, qui est un complément, voire une suite du livre de Marwan Chahine justement, en parlant de hasards objectifs, qui s'appelle Diaries from Beyrouth. En arabe, le titre signifie "Comme une histoire d'amour". Et dans ce film-là, on filme quelqu'un qui serait à l'origine de l'attaque du bus. Et qui, comme beaucoup de Libanais, porte le prénom de mon père, Georges. C'est d'ailleurs la dernière image de ce film qui va commencer notre hors-série avec cette phrase "Maudit soit celui qui a maudit ma terre". Je peux dérouler comme ça une série de moments de grâce, comme ça, infiniment. Mais dans ce film, il y a aussi autre chose, c'est qu'elle dit Les Libanais ont peur de leurs rêves Est-ce que c'est vraiment du surréalisme malgré soi ? Disons qu'on est des surréalistes malgré nous. Et en parlant de rêve, voilà justement par une sorte d'association d'idées que me permet la fatigue liée au bouclage de ce numéro. J'ai pensé à quelques pistes comme ça. J'avais le livre d'un grand ami qui a fait la couverture du numéro et qui s'appelle À contre-jour, qui est épuisé, comme nous tous, chez une maison d'édition qui s'appelle De l'incidence, tu parlais d'incident tout à l'heure. Il raconte peut-être ce qui a été, sinon le dernier rêve, disons plus honnêtement, la dernière utopie libanaise, la taura, ça veut dire la grande mobilisation citoyenne, toute religion confondue, qui n'a jamais connu le Liban, qui a cru pouvoir rembourser un pouvoir qui n'en avait strictement rien à faire, qui a été interrompu par tous les désastres qu'on connaît au Liban. Toujours est-il que dans ce sorte de journal de Bord, il note les fragments de ses pensées, de son enthousiasme, de comment lui porte une certaine idée de la révolution par des envies de solidarité, d'amitié, de sentiments, de la beauté qui peut exister entre les êtres. Enfin, je voudrais parler par le biais d'un autre ami auquel je parle un peu moins ces derniers temps mais avec qui j'ai parlé, rencontré, en quelque sorte, le Liban il y a 10-15 ans, c'est Sabir Houssoub. J'ai trouvé ce livre, c'est un livre de la photographe Orianne Ciantar Olive, qui s'appelle Les Ruines Circulaires, et qui est paru chez Dunes Éditions, et qui est donc préfacé par Sabir Houssoub sur une page, mais très belle, qui s'appelle Le Soleil Brille, encore ici, et où il est question de ce personnage, Nabil. Nabil, ça fait Liban à l'envers. Et je voudrais simplement lire la fin. Nabil la retient sans même le vouloir, il en a toujours agi ainsi avec ses amants et ses amantes, c'est plus fort que lui. Orianne lève les yeux au ciel, le soleil l'éblouit, mais elle ne baisse pas le regard, elle l'observe, elle le fixe, et malgré tout le poids du monde, se dit-elle, ce poids du monde que les poètes, les écrivains et les artistes de ce pays ont déjà décrit, peint, photographié, filmé, chanté, et continueront à décrire, peindre, photographier, filmer et chanter, malgré tout ce poids du monde, se dit-elle, le soleil brille encore ici.

  • Speaker #1

    Merci Alexandre. Donc c'était tiré de Les ruines circulaires d'Orianne Ciantar Olive, paru chez Dunes Éditions. Est-ce que tu peux rappeler les deux autres titres que tu as évoqués ? Il y avait Diaries from Lebanon.

  • Speaker #0

    De Myriam El Hajj. Et l'autre, c'est un livre épuisé. Donc voilà, un livre épuisé, un film à paraître, je suis désolé. C'est À contre-jour de Hassan Sallab chez De l'incidence, éditeur.

  • Speaker #1

    À mon tour, mon coup de cœur est une BD qui s'appelle Beyrouth malgré tout. Elle est signée Sophie Guignon et Chloé Dommat, deux journalistes correspondantes au Liban. Elle est illustrée par Kamal Hakim, qui a lui aussi dessiné l'ouverture du hors-série. Oui,

  • Speaker #0

    il a dessiné l'ouverture de ce hors-série, un hommage à Jocelyne Saab.

  • Speaker #1

    Et cette BD raconte l'histoire du Liban de 1950 à aujourd'hui à travers la vie d'un homme, un médecin célèbre pour son engagement humanitaire qui s'appelle Robert Sassi. Ce pédiatre libanais a vraiment vécu, il est mort d'une crise cardiaque juste avant la parution de cet album, il n'a pas pu lire ce livre qui est devenu donc un hommage à sa mémoire. Alors qui est Robert Sassi ? Je vous réponds en adoptant le point de vue de Sophie et Chloé, les deux autrices de ce livre, puisque tout est raconté à travers leur point de vue et à travers le coup de crayon très émouvant de Kamal Hakim. On est entièrement plongés dans leur récit, les questions qu'elle lui pose sur le pays, sur la guerre, sur son passé à lui, les raisons profondes de ses engagements, les conséquences des événements et de la crise économique sur sa vie. Elle noue une relation avec lui et avec sa famille, elle le taquine au passage sur son style de bon papy avec ses bretelles et ses lunettes ovales. Elle s'attache à lui et elle l'écoute attentivement parce qu'il en a vécu des choses Robert. Il est né en 1950, âge d'or du Liban, comme il dit. Il se rappelle de la frénésie culturelle de l'époque. Et puis, le tournant de la guerre civile dès 1975, la reconstruction dans les années 90, la crise économique terrible en 2019, qualifiée par la Banque mondiale comme l'une des pires crises récentes au monde. Et peu de temps avant, le docteur Sassi devient acteur de l'histoire du pays en créant, en 2016, le premier service publique de pédiatrie à Beyrouth, salutaire à une période où les Libanais n'ont plus le moyen de se soigner dans le privé. Pendant que Dr Sassi raconte son histoire à Chloé Dommat et Sophie Guignon, sa famille est autour de lui à interrompre le récit pour proposer du café, à lui rappeler d'autres souvenirs, parfois plus gais, parfois épouvantables. C'est un récit extrêmement vivant, personnel, poignant, un concentré d'humanisme et d'histoire en temps réel, et surtout une fenêtre sur cette guerre et ses conséquences sur la population comme on ne la voit jamais. La BD s'appelle Beyrouth malgré tout. Je vous conseille aussi le film qu'elles ont réalisé pour Arte, "Liban: dans le chaos des hôpitaux", qui a été nominé pour plusieurs prix. Merci Philippe Azoury, merci Joseph Ghosn, et merci Alexandre Mouawad. Rendez-vous pour découvrir ce hors-série, titré "Beyrouth quand même", récit d'un monde du livre en guerre. Merci à tous les trois.

  • Speaker #2

    Merci à toi,chère Lauren.

  • Speaker #1

    C'était Les Voix du Livre, le podcast mensuel de Livres Hebdo présenté par Lauren Malka. À la musique, Ferdinand Bayard. Si vous avez aimé cet épisode, abonnez-vous au podcast Les Voix du Livre et envoyez-nous des tas de cœurs et d'étoiles. À bientôt !

Chapters

  • Introduction

    01:17

  • En ouverture: Remise des prix littéraires: une évasion entre mots et saveurs

    01:42

  • En chemin: à la découverte de la librairie Millepages

    13:46

  • La clique critique de Livres Hebdo

    24:42

Description

C’est au restaurant Drouant, entre un homard et une tourte de perdreaux que Kamel Daoud et Gaël Faye ont respectivement été proclamés lauréats des prix Goncourt et Renaudot 2025. Quelques jours plus tard, le café de Flore, la brasserie Wepler, le restaurant Méditerranée et le restaurant Lasserre accueillent, à leur tour, la grande fête annuelle des prix littéraires. Pourquoi ces prix sont-ils remis dans des restaurants ? Olivier Dion, photographe pour Livres Hebdo, raconte les coulisses de cette organisation millimétrée, où tout, de la préparation du menu au rôle de chaque garçon, est réfléchi en amont pour perpétuer la tradition. 


Dans la deuxième partie de l'épisode, Lauren Malka nous emmène à Vincennes, dans la plus grande librairie indépendante d’Ile de France, la librairie Millepages et tend son micro au célèbre directeur, Pascal Thuot. 


Enfin, pour rendre hommage au festival “Beyrouth Livres”, qui n’aura pas lieu cette année, le rédacteur en chef adjoint de Livres Hebdo, Alexandre Mouawad, invite les journalistes Joseph Ghosn et Philippe Azoury à parler de leur attachement très fort au Liban à travers les livres, films, BD et romans qui les ont marqués. Au programme: Grandir et devenir poète au Liban d’Etel Adnan aux éditions de l'Échoppe; Beyrouth aller-retour de Fouad Elkoury par les Cahiers du Cinéma; Les ruines circulaires d’Orianne Ciantar Olive par Dunes éditions; À Contre-jour de Ghassan Salhab de L’Incidence Éditeur; le documentaire Diaries from Lebanon de Myriam El Hajj; la bande-dessinée Beyrouth malgré tout de Sophie Guignon et Chloé Domat, illustrée par Kamal Hakim. 


Un podcast réalisé en partenariat avec les éditions DUNOD, l'éditeur de la transmission de tous les savoirs.


Ont participé à cet épisode :

Alexandre Mouawad, Joseph Ghosn, Philippe Azoury 


Sont mentionnés dans cet épisode :


Etel Adnan, Grandir et devenir poète au Liban, éditions de l'Échoppe

Fouad Elkoury, Beyrouth aller-retour, Les Cahiers du Cinéma

Beyrouth, 13 avril 1975, Marwan Chahine, Belfond

Ghassan Salhab, À Contre-jour, de L’Incidence Editeur

Beyrouth malgré tout, Sophie Guignon et Chloé Domat, Steinkis

Documentaire Diaries from Lebanon, Myriam El Hajj 

Liban, dans le chaos des hôpitaux De Sylvain Lepetit et Chloé Domat – 25 min – France – 2020


Crédits :

Émission France Inter: Kamel Daoud remporte le prix Goncourt pour son roman “Houris”: https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-info-de-france-inter/l-info-de-france-inter-7386787






Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le Prix Goncourt 2024 a été décerné au premier tour de scrutin par 6 voix à Kamel Daoud pour son roman "Houris" paru aux éditions Gallimard.

  • Speaker #1

    Kamel Daoud, Prix Goncourt 2024. L'annonce est diffusée presque en direct sur France Inter depuis le restaurant Drouant par la voix du président du jury, Philippe Claudel. Toujours chez Drouant, quelques secondes plus tard, Gaël Faye est proclamé lauréat du Prix Renaudot. La même semaine, comme chaque année, le café de Flore, la brasserie Wepler, le restaurant Méditerrané forment autant de scènes parisiennes où se déroule l'action littéraire la plus attendue de l'année. Pourquoi ces prix se déroulent-ils dans des cafés et des restaurants de Paris ? De quand date cette tradition et qu'implique-t-elle en termes d'organisation ? C'est le sujet d'ouverture de cet épisode. Je m'appelle Lauren Malka, je suis journaliste indépendante et vous écoutez Les Voix du Livre, un podcast conçu en partenariat avec les éditions Dunod. Chaque mois, je vous embarque chez Livres Hebdo pour entendre le bruit que ça fait quand les pages du magazine du livre se mettent à parler. Au sommaire, en deuxième partie, direction Vincennes pour arpenter la plus grande librairie indépendante d'Ile-de-France, aux côtés de son célèbre directeur Pascal Thuot, j'ai nommé la librairie Millepages. En troisième partie, la clique critique des voix du livre sera dédiée au Liban, une table ronde que nous organisons pour tenter de compenser l'annulation du festival Beyrouth Livres qui n'aura pas lieu cette année. Avant cela, Olivier Dion, photographe de Livre Hebdo depuis plus de 25 ans, nous raconte les coulisses de la préparation des prix et les joies et embûches du jour.

  • Speaker #2

    Les voix du livre En ouverture: Alors le mois de novembre chez Livres Hebdo, c'est un mois et même une semaine particulière puisque c'est la semaine de la remise des prix littéraire. Il n'y a qu'en France que ça se passe. Pour moi en tant que photographe, ça implique des changements dans ma façon de travailler puisque c'est le seul moment de l'année où je ne suis pas seul à faire mes photos. On peut dire que c'est le moment people de la vie du livre en France. Il y a tous les photographes français et étrangers qui sont là, surtout pour le concours. Alors, cette année, chez Drouant, c'était un petit peu particulier parce que dans la liste du Goncourt et du Renaudot, il y avait Kamel Daoud. Et Kamel Daoud fait l'objet d'une fatwa. Il y avait un gros service de sécurité et aussi un service policier qui était là. Beaucoup de journalistes sont restés sur la place parce qu'il fallait montrer sa carte de presse. Et il se trouve qu'il y a beaucoup de journalistes qui n'ont pas de carte de presse. Et il y a aussi des influenceurs qui sont là et qui n'ont pas non plus de carte de presse et qui n'ont pas pu rentrer chez Drouant. Alors, pour la petite histoire, le Prix Goncourt était historiquement le premier prix à avoir installé son académie dans un restaurant. Ce qui le distingue de l'académie française, car les écrivains n'occupent pas un fauteuil mais tiennent un couvert. Nous sommes allés interroger Lauren et moi, James Ney, le directeur de chez Rouen, qui nous a raconté l'origine de cette tradition qui remonte à 1914 dans le quartier de l'Opéra.

  • Speaker #0

    Le Prix Goncourt a été créé en 1902 et les académiciens avaient pour habitude à l'origine de se retrouver pour dîner et ça ne se déroulait pas chez Drouant. Ça se déroulait juste à côté, à l'hôtel de Paris, il me semble. Et ils avaient l'habitude de tourner un peu sur tous les restaurants qu'il y avait autour de l'Opéra. Et à partir de 1914, ils décident de venir chez Drouant pour le déjeuner, parce que c'était plus adapté, on va dire, pour recevoir notamment la presse, mais également parce qu'eux tous étaient amateurs de bonne chair, et qu'un repas a cette capacité à apaiser les tensions, on va dire. Donc si on a une belle assiette, du bon vin... Au final, le débat se retrouve un peu plus apaisé. Et donc, de fil en aiguille, Drouant est devenu une sorte d'évidence pour eux. Le premier mardi de chaque mois, tous les jurés Goncourt se trouvent chez Drouant, dans le salon Goncourt. Ça commence en septembre, le jour de la remise du prix du Goncourt. Donc nous, on est autorisés à rentrer dans ce salon, à faire des photos du lauréat et des jurés. Mais sur la table aussi, il y a d'autres éléments photographiques et entre autres le menu. Ce jour-là, il y a un menu un peu particulier et d'après James Ney, tout a commencé avec Colette qui a été la première femme à présider le jury du concours en 1949. Colette a eu beaucoup à faire là-dessus puisqu'elle était critique gastronomique et donc on a des traditions qui se sont instaurées. La tradition veut qu'il y ait toujours des crustacés qui soient servis pour le déjeuner du prix concours. Pourquoi des crustacés ? Colette adorait les crustacés, ça c'est certain, mais c'est également le lieu, Drouant, qui a été un des premiers restaurants à servir des crustacés qui venaient de Bretagne. Et puis après, la deuxième tradition est d'avoir toujours un gibier à poils ou à plumes, en fonction des années paires ou impaires. Et ça, je pense aussi que ça a à voir avec Colette. Et pourquoi paires ou impaires ? Après avoir eu quelques échanges avec les académiciens, c'était simplement pour ne pas s'ennuyer, ne pas toujours avoir des gibiers à poils.

  • Speaker #2

    Le mélange de gastronomie et de littérature chez Drouant contribue certainement à l'effervescence médiatique autour du prix Goncourt, mais aussi du prix Rennaudot. Donc pour le prix Goncourt, en règle générale, j'essaie d'arriver au moins une heure à l'avance. L'annonce est faite dans l'escalier de chez Drouant. Donc le président du Goncourt annonce le lauréat, souvent à 12h45, quand ça se passe bien au niveau des votes. Ensuite, il y a le président du Renaudot. Cette année, c'était Jean-Marie Le Clézio qui annonce aussi le lauréat du Renaudot. Il y a quelques journalistes et deux photographes ou trois photographes qui peuvent monter dans le salon Goncourt. Et donc là, il faut juste bien se placer dans le salon pour faire la photo du lauréat avec toute la presse qui arrive autour. C'est un joli bordel, mais un joli bordel bien organisé quand même. Il y a une autre photo qui se fait maintenant, c'est le lauréat à la fenêtre de chez Drouant. Ce qui fait qu'il y a beaucoup de photographes qui restent en bas de chez Drouant et qui le photographient à la fenêtre de chez Drouant avec son livre. Mais moi, je ne peux pas faire cette photo-là parce que comme je suis déjà dans le salon, je ne vais pas redescendre. Donc en fait, je reste dans le salon et cette année, ce que j'ai fait, c'est que je me suis fait oublier et je suis resté jusqu'au moment où il n'y avait plus de photographe. Enfin, il restait juste un photographe avec moi, celui du jury Goncourt. Et donc là, j'ai réussi à faire la photographie de tous les jurés avec Kamel Daoud et son éditeur Antoine Gallimard. Il y a une autre année aussi où j'ai fait une photo un peu différente. C'était en 2011 où j'ai pris, entre guillemets, le risque d'aller chez un des éditeurs qui était sur la dernière liste du concours. En l'occurrence, chez Flammarion et c'était Michel Houellebecq. Encore une fois, j'ai réussi à me faire oublier chez Flammarion. Je suis allé jusque dans le bureau de Teresa Cremizi et j'ai réussi à faire la photographie quand Teresa Cremizy reçoit le coup de fil de chez Drouant comme quoi ils ont le prix Goncourt. Donc j'ai fait cette photo-là. Après, je suis vite redescendu. Je suis monté vite fait dans un taxi et je suis allé chez Drouant attendre l'arrivée de Michel Houellebecq. Et c'est, je pense, une année où le lauréat est passé par l'ascenseur des cuisines tellement il y avait de monde chez Drouant. Parce que Michel Houellebecq l'avait déjà loupé plusieurs années auparavant. Et donc là, cette année, c'était quasi sûr que c'était lui qui allait l'avoir. Et donc, il y avait beaucoup, beaucoup de presse. Et moi, j'étais déjà arrivé dans le salon Goncourt. Donc, en fait, j'ai réussi aussi à avoir la photographie de Michel Houellebecq au milieu de Georges Champrain, de Pierre Assouline et tous les autres jurés de Goncourt. Donc, dans les grands prix d'automne, Drouant n'est pas le seul restaurant iconique des prix littéraires. Il y a aussi le Café de Flore. Et le Café de Flore, c'est un nez à 30 ans. Donc, le Prix de Flore a été cofondé par Carole Chrétiennot, qui est la propriétaire, avec Frédéric Beighbeder, qu'on ne présente plus, en s'inspirant de l'identité du lieu du Café de Flore à Saint-Germain-des-Prés.

  • Speaker #1

    Il faut savoir que le Café de Flore a toujours été le lieu de résistance en tout, en art, en histoire. On disait toujours que les Deux Magots étaient le café des gens arrivés, posés, et le Flore du bruit, de l'insolence. Et en fait, quand j'en ai parlé à Frédéric il y a 30 ans, je me suis collée sur l'histoire de la bande à Prévert: Un attelage assez extraordinaire entre des cinéastes, des écrivains, des poètes, des philosophes. Et donc, ils étaient aux Deux Magots initialement, mais ils étaient si bruyants qu'on les a foutus dehors. Et évidemment, ils ont trouvé refuge où ? Au Flore. J'ai pris la photo de ça en disant à Fred, je veux qu'on monte un prix. Mais tu vois, ça, il fallait que ça soit la vie. Le contraire des cocktails littéraires où nous allions il y a 30 ans, très calmes... D'ailleurs, ensemble, on a créé la fête littéraire, puisque c'est devenu, voilà, une énorme fête.

  • Speaker #2

    Au prix de Flore, l'un des ingrédients, c'est le ballet des serveurs qui remplissent coupe de champagne sur coupe de champagne. Il y a un monde de dingue, au Flore, et une ambiance de dingue aussi. Et d'ailleurs, M. Delacroix, directeur général du Café de Flore, nous a expliqué quelques-uns de ses secrets. Oui, effectivement, avant d'arriver à ce ballet, qui caractérise quand même le service en général du Café de Flore, je pense que la clé, c'est de s'amuser de façon très professionnelle. Donc, il faut être hyper organisé, que ce soit pour le rôle de chaque garçon, également pour tous les musiciens qui interviennent au Café de Flore, de pouvoir répéter dans des conditions dignes de leur art. Tout se passe très joyeusement. Donc, de l'autre côté de la scène, c'est-à-dire rive droite, Le prix littéraire, c'est le prix Wepler Fondation de la Poste que Marie-Rose Guarnieri, la fameuse libraire des Abbesses, a créé en 1998. C'est un prix littéraire plutôt décerné à ce qu'on appelle, entre guillemets, des petites maisons d'édition. Et puis, c'est surtout une ambiance autre que celle de Saint-Germain-des-Prés, parce que là, c'est le Paris 18e. C'est plutôt la gouaille, les huîtres, le vin blanc. Marie-Rose Guarnieri va nous raconter comment elle a rattaché son prix à l'histoire culturelle des Cafés de Paris.

  • Speaker #1

    Dans la brasserie Wepler, quand je suis arrivée à Montmartre, c'est vraiment conjointement à la création de ma librairie que je me suis tournée vers le Wepler parce que c'est un café qui avait une histoire et une vie artistique dans ses murs. Il y avait Miller, les Américains à Paris, adoraient cette brasserie puisqu'il a écrit un livre qui s'appelle "Jour tranquille à Clichy". Il y avait les poètes du Chat Noir aussi, Aristide Bruant. Il y avait toute une histoire artistique autour de cette brasserie. Pour moi, c'était vraiment perpétuer cet esprit-là. Je voulais redonner aujourd'hui la place dans les arts qu'a eus cet artiste, cet arrondissement. C'est un lieu où vraiment ont émergé de très grands mouvements littéraires, de très grands mouvements artistiques, des gens qui étaient un peu immondins et un peu hors de l'institution, qui ont mis en œuvre un renouveau artistique absolument rayonnant.

  • Speaker #2

    Donc dans la liste des prix de l'automne, il y a un prix qui se distingue, c'est le prix Fémina. Alors le prix Fémina, jusqu'à il y a quelques années, était décerné dans un hôtel. Moi j'ai connu à l'hôtel Crillon, puis ensuite au club L'Interallié. Et depuis deux ans, je crois, deux ou trois ans, il est décerné au musée Carnavalet. Et donc Jérôme Tréca, responsable du mécénat au musée Carnavalet, nous explique pourquoi. En 2021, la remise du prix Fémina a eu lieu ici, entre autres à cause de l'exposition Marcel Proust. Puisque une des personnes intervenant dans le catalogue de l'exposition Marcel Proust était Evelyne Bloch-Dano. Evelyne Bloch-Dano est membre du jury du Prix Fémina. Il se trouve qu'à l'occasion de cette exposition, nous avons exposé la chambre d'Anna de Noailles. Et Anna de Noailles a été la première présidente du premier jury du Fémina en 1904. Donc il y avait une légitimité d'accueillir le jury du Fémina. Donc Jérôme Tréca, le responsable du mécénat, a des idées de mise en scène pour que le prix soit très photogénique et théâtral. On avait créé une petite mise en scène assez amusante avec Evelyne, c'est-à-dire qu'on invitait les gens à ce petit cocktail à 13h au 23 rue de Sévigné, donc dans l'entrée du musée. Et parallèlement, moi j'accueillais les trois lauréats et leurs éditeurs au 29 rue de Sévigné, ce qui permettait à personne de croiser les lauréats et de maintenir l'effet de surprise. Et on a un très grand escalier noir dans la première salle des enseignes et on installait les 12 membres du jury dans l'escalier qui proclamaient. Et moi, comme à la sortie de mannequin dans un défilé de mode, j'étais en haut de l'escalier et je poussais les lauréats pour qu'ils descendent et qu'ils soient présentés au jury. Donc en tant que photographe, et d'autant plus que moi je pratique ces prix depuis plus de 25 ans, on a aussi les oreilles qui traînent. On peut quand même récupérer quelques infos. Il y en a que je ne peux pas vous révéler. Il y en a d'autres que je peux vous révéler. Donc la confidence de cette année, c'est que le prix Renaudot a effectué deux votes. Comme certains lauréats étaient à la fois sur la liste du Renaudot et du Goncourt, si toutefois c'était le même pour le Renaudot que pour le Goncourt, ils avaient quand même un second choix pour que justement ce ne soit pas le même lauréat qui remporte à la fois le prix Goncourt et le prix Renaudot. Alors, autre info que je peux vous divulguer: c'est James Ney, le directeur de chez Drouant, qui nous a confié qu'il était déjà sur les préparatifs du menu 2025. Donc son menu est lié à une commémoration importante de 2025. Et si j'ai bien compris, cette commémoration est liée à l'histoire des femmes. Donc vous avez un an pour trouver le menu.

  • Speaker #1

    Le portfolio des grands prix littéraires de l'automne, signé Olivier Dion, est à retrouver dans le numéro de décembre de Livres Hebdo.

  • Speaker #0

    Les voix du livre

  • Speaker #3

    En chemin.

  • Speaker #1

    Nous sommes le 8 octobre 2024 à l'ombre du château de Vincennes et je m'apprête à entrer dans une librairie qui va bientôt fêter ses 45 ans, la librairie Millepages. Le directeur Pascal Thuot et le responsable -entre autres- du rayon scientifique Malik Rumeau, nous ont demandé d'attendre la fin du Festival America pour avoir le temps de nous accueillir. Bonjour ! Bonjour Pascal, bonjour Malik.

  • Speaker #4

    Bonjour,

  • Speaker #1

    bonjour. Pascal, on est au lendemain du Festival América, on va commencer par ça, vos impressions à chaud ?

  • Speaker #4

    Écoutez, c'était plutôt une réussite, on est très content de l'affluence, très content de la qualité des débats, puisque pour la première fois le Festival América invitait 9 pays européens pour dialoguer autour des grandes problématiques qui sont les nôtres avec une quarantaine d'auteurs américains. Donc ça a créé en fait des rencontres assez nouvelles, donc voilà, que du positif.

  • Speaker #1

    Le Festival América, vous y êtes très attachés, très liés, puisqu'il a été créé par le fondateur de la librairie Millepages, Francis Géffard. Est-ce que vous pouvez parler de la création de ce lieu et de l'histoire de ce lieu ?

  • Speaker #4

    Oui, bien sûr. Au départ, c'est le projet d'un jeune homme qui veut ouvrir une librairie dans une ville qui en compte déjà plusieurs. Ça n'est plus le cas aujourd'hui. Et lui, son rêve, c'était de donner à la littérature la possibilité d'être incarnée différemment. Ce qu'il faut savoir, c'est que la librairie, avant 1980, ça reste un lieu très régi par des codes. La plupart du temps, les gens n'ont pas le droit de toucher les livres. Le libraire est un peu une sorte de personnalité locale très importante, respectée, parfois crainte. Et donc, lui, il a un peu cassé ce code-là en introduisant notamment l'idée des notules sur les livres. Alors après, ce qui est assez amusant, c'est que cette librairie, au départ, était une librairie de littérature, mais aussi une librairie où des gens plus tradis venaient chercher des objets pieux, des rosaires, des micelles, des choses comme ça. Il a eu une éducation catholique assez approfondie, Francis. Voilà, c'était un lieu mixte où on pouvait à la fois découvrir les premiers livres d'auteurs américains qui sont aujourd'hui considérés comme des géants de la littérature et en même temps, cette imprégnation d'une communauté locale. Il y avait plusieurs paroisses ici qui étaient très actives. C'est comme ça qu'est née Millepages, dans un petit local qui aujourd'hui n'est plus du tout une librairie, à quelques centaines de mètres d'ici, qui faisait un petit peu moins de 50 mètres carrés. Il y avait un écureuil en vitrine qui faisait office un peu de mascotte de la librairie. C'était un lieu comme il n'en existait pas encore à l'époque. La précarité économique de la librairie a bien failli lui coûter son existence dans les premières années de cette librairie. Mais en fait, il naissait au début des années 80 dans le sillage de la loi sur le prix unique, une institution qui s'appelle l'ADELC, l'Aide au Développement Économique de la Librairie de Création, donc financée par des éditeurs qui, en mutualisant leurs moyens, permettaient ensuite à des projets de libraires, d'agrandissement, de modernisation, d'extension des fonds, d'être financés. Et ça, c'était une nouveauté. Et Millepages a fait partie des premières librairies aidées par l'ADELC. C'était cette première expérience d'une librairie indépendante qui réussissait à développer sa capacité à recevoir du public, à créer du catalogue grâce à l'adhésion et au soutien des éditeurs indépendants. À l'époque, c'était Gallimard, c'était Le Seuil, les éditions de Minuit. Finalement, rien n'aurait été possible sans cette possibilité-là. Moi, je suis arrivé en 99. Francis m'a appelé. On se connaissait depuis quelques années déjà. On s'est rencontrés autour de la littérature nord-américaine, puisque lui a inauguré sa collection Terre d'Amérique et avant ça, Terre indienne, au début des années 90. Et c'est là que moi, j'ai commencé en librairie. Et comme j'avais un tropisme assez important pour la littérature étrangère d'une façon générale et la littérature américaine en particulier, évidemment, ses premiers textes, qui sont pour moi des textes très importants, ça a été capital, en fait, dans ma démarche à moi aussi.

  • Speaker #1

    C'est une sacrée transmission quand même qui s'est passée à ce moment-là pour vous, j'imagine. Qu'est-ce que vous avez gardé en tant que directeur, même comme esprit des lieux ?

  • Speaker #4

    Je crois qu'on a gardé l'essentiel, c'est-à-dire que cette librairie, elle devait rester proche de ses clients. Malgré le fait qu'elle ait grandi, grossi en chiffre d'affaires, l'idée c'était de ne pas perdre cet objectif.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous diriez qu'il y a quelque chose qui est resté de ce rapport à la foi et à la spiritualité qu'avait Francis Géffard ?

  • Speaker #4

    Alors moi, personnellement, pas vraiment.

  • Speaker #1

    Pascal Thuot?

  • Speaker #4

    Alors, moi, je suis un mécréant. Mais en même temps, forcément, nous, on n'est qu'une partie du tout. Une librairie, c'est à la fois les libraires qui en sont les animateurs et en même temps les gens qui en sont les usagers. Donc forcément, il y a des petits échanges moléculaires qui se font en termes de pensée, qui sont riches et qui alimentent.

  • Speaker #1

    Une dernière question sur la librairie. Le fait d'être à Vincennes, vous en avez un petit peu parlé par rapport au festival. Est-ce qu'il y a d'autres choses que ça change par rapport au fait d'être au cœur de Paris ?

  • Speaker #4

    Alors oui, ce qui change par rapport au cœur de Paris, c'est que justement, on est un peu à l'écart. Et ça a plutôt des avantages. C'est-à-dire qu'on est un petit peu moins visités par les éditeurs qui viennent vérifier que leurs livres sont bien en place. On est quand même un peu préservés de ça. Après, c'est aussi la possibilité d'évoluer dans des surfaces qui sont quand même un peu plus importantes que celles dont on pourrait bénéficier à Paris. Et puis, il y a une sorte d'osmose entre la librairie et la ville où elle a grandi. On nous a souvent proposé de nous intéresser à des dossiers de reprises de librairie dans d'autres villes. Et finalement, ça ne nous a jamais intéressés parce qu'en fait, la copie ne ressemblera jamais à l'original. Et comme on n'est pas à la recherche d'un développement économique et qu'on n'a pas spécialement envie de créer un empire, on a décidé de rester très implantés ici. Il y a un auteur de littérature que j'adore qui s'appelle Mario Rigoni Stern, qui est vraiment un écrivain italien de l'enracinement. Mais ce ne sont pas des racines qui moisissent, ce ne sont pas des racines qui l'empêchent de regarder celui qui vient. C'est juste l'endroit où, comme un aimant, il retrouve sa place. Et je dirais que c'est un peu ça aussi une librairie. Elle a des racines et ces racines sont importantes puisqu'elles racontent une histoire, elles racontent les liens entretenus avec une histoire un peu plus grande. On ne réinvente rien si on ne sait pas ce qu'il y a eu avant.

  • Speaker #1

    Pour ce podcast, Livres Hebdo, en partenariat avec les éditions Dunod, pousse la porte des libraires pour les écouter décrire leurs enjeux, décrypter les tendances éditoriales du moment et partager leurs coups de cœur. La Maison Dunod publie des ouvrages de non-fiction sous les éditions Dunod et Armand Collin, pour rendre le savoir accessible au grand public, aux professionnels et aux étudiants. Nous sommes de retour avec Pascal Thuot et Malik Rumeau, mais je me tourne surtout cette fois vers Malik Rumeau pour nous parler de l'un de vos rayons, de l'une de vos spécialités, la science.

  • Speaker #2

    Moi je suis un peu comme la plupart des gens, j'aime la musique mais je ne sais pas la lire, dans le sens où je ne lis pas les maths. La science m'a toujours intéressé depuis que je suis enfant. Ça fait partie, je pense, de la curiosité qu'on a sur les choses, sur le monde. Dans une librairie comme celle-là, il y a plusieurs publics. Sur la question de la science, vous avez des chercheurs qui viennent chercher du livre. Vous avez des gens qui vont demander des ouvrages de science pour des adolescents de 14 ans, 15 ans. Donc des choses vraiment très, très, très grand public. Et puis, ce qui est plutôt quelque chose qui, moi, va me concerner, c'est la question des récits. Et je pense que ça n'engage que moi, qu'un livre de science grand public réussi, c'est un livre qui arrive à produire un récit, qui peut convoquer un imaginaire qui n'est pas uniquement un imaginaire scientifique, mais aussi qui est un imaginaire qui va peut-être essayer de rassembler autour de la poésie, autour de la peinture, autour du voyage. Par exemple, il y a un auteur qui a beaucoup retenu mon attention, c'est Guido Tonelli, qui est édité chez les éditions Dunod, qui a écrit Genèse, Temps, et le dernier qui va bientôt sortir, qui est Matière, qui à chaque fois arrive à articuler des questions scientifiques et philosophiques dans un grand récit. Autre chose dans ce genre-là, vous avez Yann Mambrini avec La Nouvelle Physique, qui par ailleurs est magicien aussi, et qui fait de l'astrophysique, qui fait de lien avec la physique fondamentale et la physique expérimentale, qui était publiée chez Albin Michel. Et puis, là, un autre ouvrage assez ancien, qui s'appelle Cybernétique et Société, de Wiener, qui est un ouvrage vraiment de fond et qui pose les fondamentaux de la science de l'information, de la cybernétique. On découvre la pensée systémique, on découvre la pensée complexe, et on voit à quel point cette pensée cybernétique a infusé dans un grand nombre de sciences et de pratiques.

  • Speaker #1

    Merci aux éditions Dunod pour cette séquence de transmission des savoirs. Pascal, Malik, qu'est-ce qu'on peut souhaiter à la librairie Millepages pour l'avenir, pour les années qui viennent ?

  • Speaker #4

    Vaste question, si vous voulez. Moi, je suis plutôt un pragmatique, donc je serais plutôt tenté d'être assez simple dans mon souhait. C'est-à-dire qu'il nous reste encore quelques années à tirer pour atteindre le grand âge, donc au moins qu'on puisse jusque là continuer de porter notre bannière. Après, ce qu'on peut souhaiter, c'est que le volume de lecteurs cesse de subir cette embolie assez préoccupante. Je suis très préoccupé par le paysage tel qu'il est en train de se dessiner aujourd'hui. C'est-à-dire avec surproduction, une embolie de lecteurs et une concurrence très marquée de loisirs qui éloignent les gens de la lecture. Si vous voulez, la formule du souhait, elle est sympathique. C'est comme la formule du génie dans la lampe magique. Il faut frotter pour qu'il apparaisse. Je ne sais pas très bien ce qu'il faudrait frotter pour qu'apparaisse la possibilité d'une vraie discussion, pour penser l'avenir. Il y a plein de choses à imaginer et pour l'instant, je n'ai pas l'impression qu'on y aille. Sinon, la création, elle reste très intéressante, très stimulante.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on peut imaginer quand même une fête pour les 45 ans ?

  • Speaker #4

    Ouais ! Carrément, il faut faire la fête. Pour oublier tout ça.

  • Speaker #2

    Avec plaisir.

  • Speaker #1

    Merci Malik.

  • Speaker #2

    Merci à vous.

  • Speaker #0

    Les Voix du livre. En haut de la pile.

  • Speaker #1

    C'est la troisième partie de cet épisode, la rubrique en haut de la pile, consacrée ce mois-ci à Beyrouth, à l'occasion du tiré à part spécial Beyrouth, porté par les équipes de Livres Hebdo, qui sera distribué avec le mensuel de décembre. Alexandre Mouawad, rédacteur en chef adjoint de Livre Hebdo, tu as dirigé ce hors-série, qui au départ devait être distribué pendant le festival Beyrouth Livres, mais l'histoire en a décidé autrement.

  • Speaker #0

    Un hors-série qui devait être distribué plus précisément pendant la journée professionnelle qui n'a pas plus eu lieu que le festival. Aussi, collectivement, avec Livres Hebdo et l'Institut français de Beyrouth, nous avons décidé de sortir quand même ce numéro, mais différemment, et d'essayer de rendre compte, à notre niveau, des impacts de la guerre sur le monde du livre libanais, déjà par respect pour ce qu'on pourrait appeler l'interprétation internationale, et pour rendre hommage aux professionnels libanais ainsi qu'à ses littératures. Nous sommes aujourd'hui même en train de le boucler, je viens de recevoir la dernière réponse à la dernière question que je pose à Mathieu Diaz dans l'entretien qu'il y a au début. Elle est superbe, c'est peut-être le plus beau texte du numéro. On espère que les événements qui nous séparent de sa parution, qui sera le 28 novembre, ne rendront pas ce numéro inadapté. C'est une vraie question de presse qui nous a suivi tout au long de la confection de ce numéro. On a lancé il y a presque six mois, mais en ce moment les temps changent très très vite.

  • Speaker #1

    C'est un numéro que tu boucles avec émotion, on le sent. On va découvrir les invités du jour, mais avant cela, la parole au rédacteur en chef de Livres Hebdo, Jacques Braunstein. Quel est le chiffre du mois ?

  • Speaker #0

    Le chiffre du mois, c'est 95 millions d'euros. C'est ce qu'ont rapporté les livres vendus grâce au Pass Culture en 2023. Je vous en parle parce que dans le PLF, le projet de l'Ouest Finance, on sent que le Pass Culture est un peu remis en cause, il y a eu une sorte d'offensive de certains médias et d'autres domaines culturels, le spectacle vivant pour ne pas le nommer, contre le Pass culture, disant que est-ce que les jeunes achètent vraiment les bons livres, pourquoi ils ne vont pas au spectacle vivant, pourquoi, plus le livre que le cinéma est-ce que ça touche vraiment les bons jeunes bref, tout un tas de questions qui sont légitimes, mais qui sont un petit peu inquiétantes parce que si on réduisait par exemple la part du livre dans le pass culture de moitié, sachant qu'aujourd'hui, le pass culture et les livres qui sont vendus grâce à lui, c'est 2% du marché du livre. Si vous réduisez, par exemple, les montants du passe-culture de moitié, ça fait 1% en moins. 1% en moins, c'est énorme dans un métier, les libraires le savent bien, où les marques ne sont pas énormes, sachant que pour certaines librairies et certains de nos auditeurs, c'est 1%. Le pass culture, c'est 5-10% de leur chiffre d'affaires. Donc, il est normal que la filière se mobilise pour qu'on réduise au minimum le pass culture. Et c'est l'occasion de rappeler que c'est quand même plutôt un bon dispositif qui a emmené beaucoup de jeunes qui n'y étaient jamais allés vers les librairies. Et que même si on a caricaturé le pass culture en disant c'est le pass manga, la plupart des jeunes, ils rentrent dans la librairie peut-être pour acheter un manga et ils achètent. Ce livre-là, un autre, d'autres livres. Et donc, on a très envie de défendre le passe-culture et de s'y accrocher un petit peu.

  • Speaker #1

    Merci Jacques. Retour à Beyrouth. Alexandre Mouawad, tu as invité autour de la table aujourd'hui Joseph Ghosn. Bonjour Joseph. Bonjour. Tu es journaliste, tu as dirigé Vanity Fair, Les Inrocks, Grazia. À tes côtés, Philippe Azoury. Bonjour Philippe. Bonjour. Tu es critique de cinéma, tu as enseigné le cinéma à la Sorbonne et à Beyrouth. Vous avez tous les trois des liens très fort avec le Liban. La chanteuse libanaise Fayrouz, qui était surnommée l'âme du Liban, chantait "Kifak enta", qui veut dire "Et toi, comment ça va" en arabe ? Première question à tous les trois. Et vous, vos proches, comment ça va ? Joseph ?

  • Speaker #3

    C'est une bonne question. C'est une question qu'on se pose tout le temps, en ce moment. C'est une question à laquelle, je crois, il y a plusieurs réponses évidemment, la première est une réponse assez collective et une réponse un peu de "façade" qui est tout va bien, forcément tout doit bien aller. D'autant plus que de là d'où nous parlons, c'est-à-dire à Paris, forcément on est mieux qu'ailleurs, c'est-à-dire qu'on n'est pas sous les bombes. Ensuite, cette question elle renvoie à tout à fait autre chose en fait, parce que vous citez la chanson de Fayrouz, et la chanson de Fayrouz c'est une chanson assez particulière. Ce kifak enta de Feyrouz c'est un Kifak enta qui est écrit à la fin de la guerre. C'est un morceau qui, à chaque fois que je l'écoute, me rappelle l'ambiance, notamment de mes parents pendant la guerre. Et c'est aussi un morceau qui a fait scandale, parce qu'on en parlait il y a quelques jours avec des amis. C'est un morceau dans lequel Fayrouz prend un accent qui n'est pas son accent habituel. Et Fayrouz prend un accent un peu palestinien. Et donc elle englobe quelque chose d'un peu plus général. Et que donc la question comment vas-tu ? elle n'est pas uniquement adressée à nous, elle est adressée à nous en tant qu'individu. ou en tant que Libanais, elle est adressée à nous en tant que peuple aussi, puisque nous sommes aussi ça, et aussi au fait que nous faisons partie non seulement d'un pays, mais aussi d'une région, je crois. Donc comment ça va ? Ouais, moi ça va. Mais pour le reste... On verra.

  • Speaker #1

    Philippe ?

  • Speaker #5

    À la fois, je suis totalement d'accord avec Joseph et je veux dire exactement l'inverse. C'est une question qui est devenue... D'abord, je suis très content que vous la posiez parce que personne ne nous la pose en France. La question n'intéresse pas, manifestement, de savoir comment on va. Ce qui rajoute à l'abandon à la fois des Libanais au Liban, mais des Libanais ailleurs, politiques ou même amicales, on va dire. C'est une question qui est devenue totalement obsolète. On ne peut plus tout y répondre, non pas depuis deux mois, mais depuis un an. Il y a un narratif, si vous voulez, israélien, qui voudrait décorréler le destin d'abord des Palestiniens avec celui des Libanais, puis ensuite le sud du reste du Liban, puis la banlieue sud de Beyrouth avec Beyrouth. Mais on voit bien que la logique fait que tout ça se rapproche et qu'aujourd'hui aucun Libanais ne peut se dire ou en sécurité ou épargné de ce qui serait un nettoyage ethnique. En fait, non, ça ne va pas. Ça ne va pas du tout et politiquement, ça va de mal en pire. Les élections américaines ne donnent pas de signe. Il n'y a pas de quoi se réjouir, disons. Mais en tout cas, merci de l'avoir posé. C'est si rare.

  • Speaker #1

    Alors, on l'a dit, ce hors-série comme ce podcast permettent de compenser l'impossibilité pour les professionnels du livre de se réunir comme chaque année au Festival Beyrouth Livres. qui n'a pas lieu. Vous êtes donc venu avec des livres qui vous tiennent à cœur sur le Liban. La parole est à toi, Joseph Ghosn. Tu nous présentes une poétesse syro-franco-americano-libanaise.

  • Speaker #3

    Oui, enfin, c'est surtout Etel Adnan.

  • Speaker #2

    Un monument.

  • Speaker #3

    Un monument. Etel Adnan est une artiste, plasticienne, peintre, poète. Elle a écrit beaucoup de textes. Elle a été découverte plutôt tard dans sa vie, dans les années 2000. Le texte dont je voudrais parler, c'est un texte que j'aime beaucoup, qui s'appelle Grandir et devenir poète au Liban C'est une conférence qu'elle a donnée en 1986 et qui est devenue un texte comme certains de ses livres. C'est un livre que je mets en perspective avec un autre livre d'un photographe qui s'appelle Fouad Elkoury, et ce livre-là s'appelle Beyrouth, aller-retour. Le livre d'Ethel Adnan raconte vraiment son enfance. En gros, le livre va de 1925 à 1949. c'est l'enfance d'une jeune femme qui grandit à Beyrouth. Elle découvre le français, elle découvre la littérature, elle découvre aussi son premier amour pour une femme. Et donc il y a toutes ces choses qui sont en train de se former et on comprend à travers ce qu'elle écrit ce que c'est que le Liban dans ces années-là. C'est-à-dire un Liban qui est un pays en train d'être formé, un pays qui a été inventé par la France d'une certaine façon, un pays qui traverse aussi la Deuxième Guerre mondiale et avec beaucoup de désirs d'ailleurs. Et on voit chez Etel Adnan quelque chose que moi j'ai pu voir chez mes grands-parents ou chez mes parents ou bien avant la guerre. C'est-à-dire cette idée de se dire de quel monde faisons-nous partie et où est-ce que nous pouvons aller. Je le mets en écho avec le livre de Fouad Elkoury parce que le livre de Fouad Elkoury part quasiment de ce truc-là où Fouad ElKoury est un jeune architecte qui a fait ses études à Paris, qui revient au Liban, qui fait aussi la photographie et qui se retrouve en 1975 au début de la guerre en train de se dire mais qu'est-ce qui se passe ? Et qu'est-ce que je fais ? Et qu'est-ce que je deviens ? Son livre raconte en images. D'abord, toute la guerre et notamment les années 1982 pendant l'invasion israélienne. Et surtout, il y a des textes dans ce livre qui ponctuent les images. Et en relisant ces textes, j'avais l'impression de lire des textes qui parlaient d'aujourd'hui. C'est-à-dire des textes de gens qui seraient à Beyrouth sous les bombes et qui disent on ne sait pas ce qui se passe, on essaie de vivre quand même. Et c'est très, très difficile. Et vous tournez une page, puis d'un coup, il vous parle d'une soirée, puis vous tournez une page. Et le lendemain, il vous dit tous les gens avec qui j'étais hier soir sont morts. Donc, on est vraiment pris dans cette même... En tout cas, il y a quelque chose qui, moi, m'a évoqué cette impression que j'ai depuis plusieurs mois, qui est que j'ai l'impression d'être dans une boucle, parce qu'en 1982, j'étais à Beyrouth pendant cette invasion-là, j'étais un gamin. Et donc j'ai l'impression de revivre tout ça en boucle et que la seule chose qui a changé, c'est que l'armement est beaucoup plus puissant. Et encore, quand on lit ce qu'écrit Fouad Elkoury, on se rend compte que tout a été démoli de la même façon. Et que les immeubles ont été détruits de la même façon, et que les ruines sont les mêmes, et que les gens sont détruits de la même façon. Donc voilà, je voulais vraiment parler de ces deux livres-là comme un écho l'un à l'autre. A la fois dans cette idée, qu'est-ce que c'est qu'être libanais, mais aussi beaucoup de ce désespoir qui depuis 50 ans fait partie de nos vies.

  • Speaker #1

    Philippe ?

  • Speaker #5

    Oui, c'est deux textes que j'aime beaucoup. Énormément. Le livre de Fouad, moi, c'est un livre qui m'a énormément accompagné. C'est un livre que les Cahiers du cinéma avaient sorti en 84-85. C'est un livre que j'ai toujours trouvé actuel, je suis comme Joseph. Quand on l'a lu, je me souviens qu'on l'avait lu ensemble en 2006, au moment d'une précédente guerre, c'est infini mais c'est toujours comme ça, ça nous semblait déjà être le livre, totalement le journal, la main courante de ce que nous, on vivait. J'ai pas eu la curiosité de l'ouvrir là, ces derniers temps. Peut-être que je n'arrive plus à lire aussi, c'est possible, depuis deux mois. Je ne sais pas, mais j'ai des souvenirs très très forts de ce texte-là.

  • Speaker #1

    "Beyrouth, aller-retour" de Fouad ElKoury, c'est donc paru au Cahier du cinéma en 1984 et "Grandir et devenir poète au Liban" de Etel Adnan, paru aux éditions de Les Echoppes, en 2019. Philippe Azoury, c'est à toi. Tu as toutes les peines à lire depuis deux mois, on le comprend, mais tu nous parles d'un récit-enquête.

  • Speaker #5

    Oui, j'ai non seulement des peines à lire, je suis celui qui a élu un livre de 600 pages. Et d'ailleurs, je ne vais pas mentir, je ne vais pas spoiler ce livre, parce que d'abord, spoiler, c'est mal. Mais surtout, il me reste 200 pages à lire.

  • Speaker #1

    Je suis donc en cours de lecture.

  • Speaker #5

    Je suis en cours de lecture, mais je suis quand même assez bien avancé. Et en partie aussi, mais c'est un livre que je n'ai pas du tout voulu lire en diagonale, comme on dit. Déjà parce qu'il me passionne, parce qu'il fourmille de détails. Mais c'est un livre qui a pris 10 ans à s'écrire. Marwan Chahine, lui aussi, travaillait pour Libération. Quand j'ai quitté L'Obs, il a écrit un texte, justement, quelques textes quand il était correspondant au Caire pour Libé, notamment une commande sur le 13 avril 1975, l'attaque qu'on appelle Al-Bosta, le bus, c'est-à-dire cette attaque massacre d'un bus contenant des fédéines palestiniens par des miliciens kataïbes, phalangistes chrétiens, le 13 avril 1975, et qui est considérée par les historiens comme l'étincelle qui a mis le faux poudre d'une guerre civile qui va durer jusqu'en 89-90. Et donc voilà, j'ai toujours raté Marwan Chahine, parce que quand il était à l'office pour ce papier, j'y étais déjà plus. J'aimais beaucoup ses papiers au Caire, je trouvais qu'il y avait une approche que je retrouve dans ce livre-là. Il y a quelque chose chez lui qui n'est jamais surplombant, parce qu'il avoue tout, c'est-à-dire qu'il est d'une famille franco-libanaise, il ne parle pas arabe, il le parle mal. Et en plus, il l'a appris au Caire, et l'arabe du Caire et l'arabe de Beyrouth, c'est absolument pas du tout la même chose. Et quand il quitte le Caire et Libération avec un peu de thunes, il arrive à Beyrouth un peu comme de juste, parce que sa famille est là, un peu comme en retour aux sources, sans du tout savoir ce qu'il va faire. Et puis bon, il faut vivre, donc il propose, ça va être les 40 ans du 13 avril, donc c'était il y a 10 ans, et donc il propose ce papier, et il commence à rencontrer les gens, parce que cet événement, cet événement du bus, ne cesse d'être la cicatrice à partir de laquelle chacun se renvoie la balle en disant c'est vous qui avez commencé. Et évidemment cette histoire de qui a commencé, elle est infinie, et on se prend les pieds dans le tapis. Mais surtout cette histoire du bus, on la connaît pas bien. On sait pas combien il y a eu de morts. Il n'y aurait pas de survivants, au bout de 300 pages il en est déjà à 12 ou 13. Tout le monde a vu la scène, tous les grands artistes libanais étaient tous là. Ils avaient tous 5 ans, ils étaient tous en train de jouer autour. Tout le monde a vu la scène, puis tout le monde l'a vu différemment. Et puis même à l'intérieur des entretiens qu'il arrive à déplier, sur 10 ans, de fil en aiguille, de rencontre en rencontre, des gens lui disent un truc en début d'entretien, mais qui lui disent le verre, c'est la fin de l'entretien. Tout va bien, c'est le Liban. C'est comme ça. Et en fait, ça rappelle cette... Je sais pas si vous vous souvenez, il y a un sketch des inconnus, au début de la fin des années 80, qui était génial, où un faux Guillaume Durand demandait à l'un des inconnus, qui est aujourd'hui, de raconter la situation en deux coups de cuillère à peau, et le type se lançait dans un tunnel de 12 minutes, et ça rappelle ce... Je sais plus qui était le mot, mais c'est devenu canonique. Si vous avez compris quoi que ce soit à la guerre du Liban, c'est qu'on vous l'a super mal raconté. Et c'est exactement le livre de Marwan, c'est-à-dire que si vous avez compris quelque chose au 13 avril 75, un, c'est qu'on vous l'a mal raconté, mais à lui, tout le monde lui raconte mal, il ne raconte pas mieux, mais il a cette humilité géniale de mettre les mains là-dedans, et finalement, à la façon d'un enquêteur, il y a un côté d'acheter la mètre chez lui, de faire un roman policier avec un imbroglio politique dans un pays qui est un puzzle, où personne n'a vu la même chose. Chacun vient avec son fantasme et aussi avec sa croyance politique. Et puis il est totalement obsessionnel. Et moi j'adore ça. Et on ne fait pas pour rien un livre de 500 pages. Ce n'est pas juste pour en foutre plein la vue ou parce que ça a pris 10 ans. Mais c'est que le moindre détail le rend dingue. Et il voit toujours qu'il manque une pièce de puzzle. Et il faut qu'il y aille. Et il faut qu'il déplie. Il faut qu'il déplie. Et c'est une démonstration d'humilité et d'intelligence à tous les endroits.

  • Speaker #1

    Merci Philippe. Je crois qu'Alex, tu as aimé aussi ce livre, il me semble.

  • Speaker #0

    Oui, ce que montre ce livre, il me semble, c'est un truc que je constate le plus fort. Jour après jour, moi qui me plonge dans cette histoire depuis que je suis allé dans le pays de mon père pour la première fois l'année dernière, à l'occasion du festival Beyrouth Livres, c'est qu'une sorte de série de hasards objectifs, et puis quelque chose qu'on trouve dans un film que j'ai vu jeudi dernier, qui est un complément, voire une suite du livre de Marwan Chahine justement, en parlant de hasards objectifs, qui s'appelle Diaries from Beyrouth. En arabe, le titre signifie "Comme une histoire d'amour". Et dans ce film-là, on filme quelqu'un qui serait à l'origine de l'attaque du bus. Et qui, comme beaucoup de Libanais, porte le prénom de mon père, Georges. C'est d'ailleurs la dernière image de ce film qui va commencer notre hors-série avec cette phrase "Maudit soit celui qui a maudit ma terre". Je peux dérouler comme ça une série de moments de grâce, comme ça, infiniment. Mais dans ce film, il y a aussi autre chose, c'est qu'elle dit Les Libanais ont peur de leurs rêves Est-ce que c'est vraiment du surréalisme malgré soi ? Disons qu'on est des surréalistes malgré nous. Et en parlant de rêve, voilà justement par une sorte d'association d'idées que me permet la fatigue liée au bouclage de ce numéro. J'ai pensé à quelques pistes comme ça. J'avais le livre d'un grand ami qui a fait la couverture du numéro et qui s'appelle À contre-jour, qui est épuisé, comme nous tous, chez une maison d'édition qui s'appelle De l'incidence, tu parlais d'incident tout à l'heure. Il raconte peut-être ce qui a été, sinon le dernier rêve, disons plus honnêtement, la dernière utopie libanaise, la taura, ça veut dire la grande mobilisation citoyenne, toute religion confondue, qui n'a jamais connu le Liban, qui a cru pouvoir rembourser un pouvoir qui n'en avait strictement rien à faire, qui a été interrompu par tous les désastres qu'on connaît au Liban. Toujours est-il que dans ce sorte de journal de Bord, il note les fragments de ses pensées, de son enthousiasme, de comment lui porte une certaine idée de la révolution par des envies de solidarité, d'amitié, de sentiments, de la beauté qui peut exister entre les êtres. Enfin, je voudrais parler par le biais d'un autre ami auquel je parle un peu moins ces derniers temps mais avec qui j'ai parlé, rencontré, en quelque sorte, le Liban il y a 10-15 ans, c'est Sabir Houssoub. J'ai trouvé ce livre, c'est un livre de la photographe Orianne Ciantar Olive, qui s'appelle Les Ruines Circulaires, et qui est paru chez Dunes Éditions, et qui est donc préfacé par Sabir Houssoub sur une page, mais très belle, qui s'appelle Le Soleil Brille, encore ici, et où il est question de ce personnage, Nabil. Nabil, ça fait Liban à l'envers. Et je voudrais simplement lire la fin. Nabil la retient sans même le vouloir, il en a toujours agi ainsi avec ses amants et ses amantes, c'est plus fort que lui. Orianne lève les yeux au ciel, le soleil l'éblouit, mais elle ne baisse pas le regard, elle l'observe, elle le fixe, et malgré tout le poids du monde, se dit-elle, ce poids du monde que les poètes, les écrivains et les artistes de ce pays ont déjà décrit, peint, photographié, filmé, chanté, et continueront à décrire, peindre, photographier, filmer et chanter, malgré tout ce poids du monde, se dit-elle, le soleil brille encore ici.

  • Speaker #1

    Merci Alexandre. Donc c'était tiré de Les ruines circulaires d'Orianne Ciantar Olive, paru chez Dunes Éditions. Est-ce que tu peux rappeler les deux autres titres que tu as évoqués ? Il y avait Diaries from Lebanon.

  • Speaker #0

    De Myriam El Hajj. Et l'autre, c'est un livre épuisé. Donc voilà, un livre épuisé, un film à paraître, je suis désolé. C'est À contre-jour de Hassan Sallab chez De l'incidence, éditeur.

  • Speaker #1

    À mon tour, mon coup de cœur est une BD qui s'appelle Beyrouth malgré tout. Elle est signée Sophie Guignon et Chloé Dommat, deux journalistes correspondantes au Liban. Elle est illustrée par Kamal Hakim, qui a lui aussi dessiné l'ouverture du hors-série. Oui,

  • Speaker #0

    il a dessiné l'ouverture de ce hors-série, un hommage à Jocelyne Saab.

  • Speaker #1

    Et cette BD raconte l'histoire du Liban de 1950 à aujourd'hui à travers la vie d'un homme, un médecin célèbre pour son engagement humanitaire qui s'appelle Robert Sassi. Ce pédiatre libanais a vraiment vécu, il est mort d'une crise cardiaque juste avant la parution de cet album, il n'a pas pu lire ce livre qui est devenu donc un hommage à sa mémoire. Alors qui est Robert Sassi ? Je vous réponds en adoptant le point de vue de Sophie et Chloé, les deux autrices de ce livre, puisque tout est raconté à travers leur point de vue et à travers le coup de crayon très émouvant de Kamal Hakim. On est entièrement plongés dans leur récit, les questions qu'elle lui pose sur le pays, sur la guerre, sur son passé à lui, les raisons profondes de ses engagements, les conséquences des événements et de la crise économique sur sa vie. Elle noue une relation avec lui et avec sa famille, elle le taquine au passage sur son style de bon papy avec ses bretelles et ses lunettes ovales. Elle s'attache à lui et elle l'écoute attentivement parce qu'il en a vécu des choses Robert. Il est né en 1950, âge d'or du Liban, comme il dit. Il se rappelle de la frénésie culturelle de l'époque. Et puis, le tournant de la guerre civile dès 1975, la reconstruction dans les années 90, la crise économique terrible en 2019, qualifiée par la Banque mondiale comme l'une des pires crises récentes au monde. Et peu de temps avant, le docteur Sassi devient acteur de l'histoire du pays en créant, en 2016, le premier service publique de pédiatrie à Beyrouth, salutaire à une période où les Libanais n'ont plus le moyen de se soigner dans le privé. Pendant que Dr Sassi raconte son histoire à Chloé Dommat et Sophie Guignon, sa famille est autour de lui à interrompre le récit pour proposer du café, à lui rappeler d'autres souvenirs, parfois plus gais, parfois épouvantables. C'est un récit extrêmement vivant, personnel, poignant, un concentré d'humanisme et d'histoire en temps réel, et surtout une fenêtre sur cette guerre et ses conséquences sur la population comme on ne la voit jamais. La BD s'appelle Beyrouth malgré tout. Je vous conseille aussi le film qu'elles ont réalisé pour Arte, "Liban: dans le chaos des hôpitaux", qui a été nominé pour plusieurs prix. Merci Philippe Azoury, merci Joseph Ghosn, et merci Alexandre Mouawad. Rendez-vous pour découvrir ce hors-série, titré "Beyrouth quand même", récit d'un monde du livre en guerre. Merci à tous les trois.

  • Speaker #2

    Merci à toi,chère Lauren.

  • Speaker #1

    C'était Les Voix du Livre, le podcast mensuel de Livres Hebdo présenté par Lauren Malka. À la musique, Ferdinand Bayard. Si vous avez aimé cet épisode, abonnez-vous au podcast Les Voix du Livre et envoyez-nous des tas de cœurs et d'étoiles. À bientôt !

Chapters

  • Introduction

    01:17

  • En ouverture: Remise des prix littéraires: une évasion entre mots et saveurs

    01:42

  • En chemin: à la découverte de la librairie Millepages

    13:46

  • La clique critique de Livres Hebdo

    24:42

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Description

C’est au restaurant Drouant, entre un homard et une tourte de perdreaux que Kamel Daoud et Gaël Faye ont respectivement été proclamés lauréats des prix Goncourt et Renaudot 2025. Quelques jours plus tard, le café de Flore, la brasserie Wepler, le restaurant Méditerranée et le restaurant Lasserre accueillent, à leur tour, la grande fête annuelle des prix littéraires. Pourquoi ces prix sont-ils remis dans des restaurants ? Olivier Dion, photographe pour Livres Hebdo, raconte les coulisses de cette organisation millimétrée, où tout, de la préparation du menu au rôle de chaque garçon, est réfléchi en amont pour perpétuer la tradition. 


Dans la deuxième partie de l'épisode, Lauren Malka nous emmène à Vincennes, dans la plus grande librairie indépendante d’Ile de France, la librairie Millepages et tend son micro au célèbre directeur, Pascal Thuot. 


Enfin, pour rendre hommage au festival “Beyrouth Livres”, qui n’aura pas lieu cette année, le rédacteur en chef adjoint de Livres Hebdo, Alexandre Mouawad, invite les journalistes Joseph Ghosn et Philippe Azoury à parler de leur attachement très fort au Liban à travers les livres, films, BD et romans qui les ont marqués. Au programme: Grandir et devenir poète au Liban d’Etel Adnan aux éditions de l'Échoppe; Beyrouth aller-retour de Fouad Elkoury par les Cahiers du Cinéma; Les ruines circulaires d’Orianne Ciantar Olive par Dunes éditions; À Contre-jour de Ghassan Salhab de L’Incidence Éditeur; le documentaire Diaries from Lebanon de Myriam El Hajj; la bande-dessinée Beyrouth malgré tout de Sophie Guignon et Chloé Domat, illustrée par Kamal Hakim. 


Un podcast réalisé en partenariat avec les éditions DUNOD, l'éditeur de la transmission de tous les savoirs.


Ont participé à cet épisode :

Alexandre Mouawad, Joseph Ghosn, Philippe Azoury 


Sont mentionnés dans cet épisode :


Etel Adnan, Grandir et devenir poète au Liban, éditions de l'Échoppe

Fouad Elkoury, Beyrouth aller-retour, Les Cahiers du Cinéma

Beyrouth, 13 avril 1975, Marwan Chahine, Belfond

Ghassan Salhab, À Contre-jour, de L’Incidence Editeur

Beyrouth malgré tout, Sophie Guignon et Chloé Domat, Steinkis

Documentaire Diaries from Lebanon, Myriam El Hajj 

Liban, dans le chaos des hôpitaux De Sylvain Lepetit et Chloé Domat – 25 min – France – 2020


Crédits :

Émission France Inter: Kamel Daoud remporte le prix Goncourt pour son roman “Houris”: https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-info-de-france-inter/l-info-de-france-inter-7386787






Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le Prix Goncourt 2024 a été décerné au premier tour de scrutin par 6 voix à Kamel Daoud pour son roman "Houris" paru aux éditions Gallimard.

  • Speaker #1

    Kamel Daoud, Prix Goncourt 2024. L'annonce est diffusée presque en direct sur France Inter depuis le restaurant Drouant par la voix du président du jury, Philippe Claudel. Toujours chez Drouant, quelques secondes plus tard, Gaël Faye est proclamé lauréat du Prix Renaudot. La même semaine, comme chaque année, le café de Flore, la brasserie Wepler, le restaurant Méditerrané forment autant de scènes parisiennes où se déroule l'action littéraire la plus attendue de l'année. Pourquoi ces prix se déroulent-ils dans des cafés et des restaurants de Paris ? De quand date cette tradition et qu'implique-t-elle en termes d'organisation ? C'est le sujet d'ouverture de cet épisode. Je m'appelle Lauren Malka, je suis journaliste indépendante et vous écoutez Les Voix du Livre, un podcast conçu en partenariat avec les éditions Dunod. Chaque mois, je vous embarque chez Livres Hebdo pour entendre le bruit que ça fait quand les pages du magazine du livre se mettent à parler. Au sommaire, en deuxième partie, direction Vincennes pour arpenter la plus grande librairie indépendante d'Ile-de-France, aux côtés de son célèbre directeur Pascal Thuot, j'ai nommé la librairie Millepages. En troisième partie, la clique critique des voix du livre sera dédiée au Liban, une table ronde que nous organisons pour tenter de compenser l'annulation du festival Beyrouth Livres qui n'aura pas lieu cette année. Avant cela, Olivier Dion, photographe de Livre Hebdo depuis plus de 25 ans, nous raconte les coulisses de la préparation des prix et les joies et embûches du jour.

  • Speaker #2

    Les voix du livre En ouverture: Alors le mois de novembre chez Livres Hebdo, c'est un mois et même une semaine particulière puisque c'est la semaine de la remise des prix littéraire. Il n'y a qu'en France que ça se passe. Pour moi en tant que photographe, ça implique des changements dans ma façon de travailler puisque c'est le seul moment de l'année où je ne suis pas seul à faire mes photos. On peut dire que c'est le moment people de la vie du livre en France. Il y a tous les photographes français et étrangers qui sont là, surtout pour le concours. Alors, cette année, chez Drouant, c'était un petit peu particulier parce que dans la liste du Goncourt et du Renaudot, il y avait Kamel Daoud. Et Kamel Daoud fait l'objet d'une fatwa. Il y avait un gros service de sécurité et aussi un service policier qui était là. Beaucoup de journalistes sont restés sur la place parce qu'il fallait montrer sa carte de presse. Et il se trouve qu'il y a beaucoup de journalistes qui n'ont pas de carte de presse. Et il y a aussi des influenceurs qui sont là et qui n'ont pas non plus de carte de presse et qui n'ont pas pu rentrer chez Drouant. Alors, pour la petite histoire, le Prix Goncourt était historiquement le premier prix à avoir installé son académie dans un restaurant. Ce qui le distingue de l'académie française, car les écrivains n'occupent pas un fauteuil mais tiennent un couvert. Nous sommes allés interroger Lauren et moi, James Ney, le directeur de chez Rouen, qui nous a raconté l'origine de cette tradition qui remonte à 1914 dans le quartier de l'Opéra.

  • Speaker #0

    Le Prix Goncourt a été créé en 1902 et les académiciens avaient pour habitude à l'origine de se retrouver pour dîner et ça ne se déroulait pas chez Drouant. Ça se déroulait juste à côté, à l'hôtel de Paris, il me semble. Et ils avaient l'habitude de tourner un peu sur tous les restaurants qu'il y avait autour de l'Opéra. Et à partir de 1914, ils décident de venir chez Drouant pour le déjeuner, parce que c'était plus adapté, on va dire, pour recevoir notamment la presse, mais également parce qu'eux tous étaient amateurs de bonne chair, et qu'un repas a cette capacité à apaiser les tensions, on va dire. Donc si on a une belle assiette, du bon vin... Au final, le débat se retrouve un peu plus apaisé. Et donc, de fil en aiguille, Drouant est devenu une sorte d'évidence pour eux. Le premier mardi de chaque mois, tous les jurés Goncourt se trouvent chez Drouant, dans le salon Goncourt. Ça commence en septembre, le jour de la remise du prix du Goncourt. Donc nous, on est autorisés à rentrer dans ce salon, à faire des photos du lauréat et des jurés. Mais sur la table aussi, il y a d'autres éléments photographiques et entre autres le menu. Ce jour-là, il y a un menu un peu particulier et d'après James Ney, tout a commencé avec Colette qui a été la première femme à présider le jury du concours en 1949. Colette a eu beaucoup à faire là-dessus puisqu'elle était critique gastronomique et donc on a des traditions qui se sont instaurées. La tradition veut qu'il y ait toujours des crustacés qui soient servis pour le déjeuner du prix concours. Pourquoi des crustacés ? Colette adorait les crustacés, ça c'est certain, mais c'est également le lieu, Drouant, qui a été un des premiers restaurants à servir des crustacés qui venaient de Bretagne. Et puis après, la deuxième tradition est d'avoir toujours un gibier à poils ou à plumes, en fonction des années paires ou impaires. Et ça, je pense aussi que ça a à voir avec Colette. Et pourquoi paires ou impaires ? Après avoir eu quelques échanges avec les académiciens, c'était simplement pour ne pas s'ennuyer, ne pas toujours avoir des gibiers à poils.

  • Speaker #2

    Le mélange de gastronomie et de littérature chez Drouant contribue certainement à l'effervescence médiatique autour du prix Goncourt, mais aussi du prix Rennaudot. Donc pour le prix Goncourt, en règle générale, j'essaie d'arriver au moins une heure à l'avance. L'annonce est faite dans l'escalier de chez Drouant. Donc le président du Goncourt annonce le lauréat, souvent à 12h45, quand ça se passe bien au niveau des votes. Ensuite, il y a le président du Renaudot. Cette année, c'était Jean-Marie Le Clézio qui annonce aussi le lauréat du Renaudot. Il y a quelques journalistes et deux photographes ou trois photographes qui peuvent monter dans le salon Goncourt. Et donc là, il faut juste bien se placer dans le salon pour faire la photo du lauréat avec toute la presse qui arrive autour. C'est un joli bordel, mais un joli bordel bien organisé quand même. Il y a une autre photo qui se fait maintenant, c'est le lauréat à la fenêtre de chez Drouant. Ce qui fait qu'il y a beaucoup de photographes qui restent en bas de chez Drouant et qui le photographient à la fenêtre de chez Drouant avec son livre. Mais moi, je ne peux pas faire cette photo-là parce que comme je suis déjà dans le salon, je ne vais pas redescendre. Donc en fait, je reste dans le salon et cette année, ce que j'ai fait, c'est que je me suis fait oublier et je suis resté jusqu'au moment où il n'y avait plus de photographe. Enfin, il restait juste un photographe avec moi, celui du jury Goncourt. Et donc là, j'ai réussi à faire la photographie de tous les jurés avec Kamel Daoud et son éditeur Antoine Gallimard. Il y a une autre année aussi où j'ai fait une photo un peu différente. C'était en 2011 où j'ai pris, entre guillemets, le risque d'aller chez un des éditeurs qui était sur la dernière liste du concours. En l'occurrence, chez Flammarion et c'était Michel Houellebecq. Encore une fois, j'ai réussi à me faire oublier chez Flammarion. Je suis allé jusque dans le bureau de Teresa Cremizi et j'ai réussi à faire la photographie quand Teresa Cremizy reçoit le coup de fil de chez Drouant comme quoi ils ont le prix Goncourt. Donc j'ai fait cette photo-là. Après, je suis vite redescendu. Je suis monté vite fait dans un taxi et je suis allé chez Drouant attendre l'arrivée de Michel Houellebecq. Et c'est, je pense, une année où le lauréat est passé par l'ascenseur des cuisines tellement il y avait de monde chez Drouant. Parce que Michel Houellebecq l'avait déjà loupé plusieurs années auparavant. Et donc là, cette année, c'était quasi sûr que c'était lui qui allait l'avoir. Et donc, il y avait beaucoup, beaucoup de presse. Et moi, j'étais déjà arrivé dans le salon Goncourt. Donc, en fait, j'ai réussi aussi à avoir la photographie de Michel Houellebecq au milieu de Georges Champrain, de Pierre Assouline et tous les autres jurés de Goncourt. Donc, dans les grands prix d'automne, Drouant n'est pas le seul restaurant iconique des prix littéraires. Il y a aussi le Café de Flore. Et le Café de Flore, c'est un nez à 30 ans. Donc, le Prix de Flore a été cofondé par Carole Chrétiennot, qui est la propriétaire, avec Frédéric Beighbeder, qu'on ne présente plus, en s'inspirant de l'identité du lieu du Café de Flore à Saint-Germain-des-Prés.

  • Speaker #1

    Il faut savoir que le Café de Flore a toujours été le lieu de résistance en tout, en art, en histoire. On disait toujours que les Deux Magots étaient le café des gens arrivés, posés, et le Flore du bruit, de l'insolence. Et en fait, quand j'en ai parlé à Frédéric il y a 30 ans, je me suis collée sur l'histoire de la bande à Prévert: Un attelage assez extraordinaire entre des cinéastes, des écrivains, des poètes, des philosophes. Et donc, ils étaient aux Deux Magots initialement, mais ils étaient si bruyants qu'on les a foutus dehors. Et évidemment, ils ont trouvé refuge où ? Au Flore. J'ai pris la photo de ça en disant à Fred, je veux qu'on monte un prix. Mais tu vois, ça, il fallait que ça soit la vie. Le contraire des cocktails littéraires où nous allions il y a 30 ans, très calmes... D'ailleurs, ensemble, on a créé la fête littéraire, puisque c'est devenu, voilà, une énorme fête.

  • Speaker #2

    Au prix de Flore, l'un des ingrédients, c'est le ballet des serveurs qui remplissent coupe de champagne sur coupe de champagne. Il y a un monde de dingue, au Flore, et une ambiance de dingue aussi. Et d'ailleurs, M. Delacroix, directeur général du Café de Flore, nous a expliqué quelques-uns de ses secrets. Oui, effectivement, avant d'arriver à ce ballet, qui caractérise quand même le service en général du Café de Flore, je pense que la clé, c'est de s'amuser de façon très professionnelle. Donc, il faut être hyper organisé, que ce soit pour le rôle de chaque garçon, également pour tous les musiciens qui interviennent au Café de Flore, de pouvoir répéter dans des conditions dignes de leur art. Tout se passe très joyeusement. Donc, de l'autre côté de la scène, c'est-à-dire rive droite, Le prix littéraire, c'est le prix Wepler Fondation de la Poste que Marie-Rose Guarnieri, la fameuse libraire des Abbesses, a créé en 1998. C'est un prix littéraire plutôt décerné à ce qu'on appelle, entre guillemets, des petites maisons d'édition. Et puis, c'est surtout une ambiance autre que celle de Saint-Germain-des-Prés, parce que là, c'est le Paris 18e. C'est plutôt la gouaille, les huîtres, le vin blanc. Marie-Rose Guarnieri va nous raconter comment elle a rattaché son prix à l'histoire culturelle des Cafés de Paris.

  • Speaker #1

    Dans la brasserie Wepler, quand je suis arrivée à Montmartre, c'est vraiment conjointement à la création de ma librairie que je me suis tournée vers le Wepler parce que c'est un café qui avait une histoire et une vie artistique dans ses murs. Il y avait Miller, les Américains à Paris, adoraient cette brasserie puisqu'il a écrit un livre qui s'appelle "Jour tranquille à Clichy". Il y avait les poètes du Chat Noir aussi, Aristide Bruant. Il y avait toute une histoire artistique autour de cette brasserie. Pour moi, c'était vraiment perpétuer cet esprit-là. Je voulais redonner aujourd'hui la place dans les arts qu'a eus cet artiste, cet arrondissement. C'est un lieu où vraiment ont émergé de très grands mouvements littéraires, de très grands mouvements artistiques, des gens qui étaient un peu immondins et un peu hors de l'institution, qui ont mis en œuvre un renouveau artistique absolument rayonnant.

  • Speaker #2

    Donc dans la liste des prix de l'automne, il y a un prix qui se distingue, c'est le prix Fémina. Alors le prix Fémina, jusqu'à il y a quelques années, était décerné dans un hôtel. Moi j'ai connu à l'hôtel Crillon, puis ensuite au club L'Interallié. Et depuis deux ans, je crois, deux ou trois ans, il est décerné au musée Carnavalet. Et donc Jérôme Tréca, responsable du mécénat au musée Carnavalet, nous explique pourquoi. En 2021, la remise du prix Fémina a eu lieu ici, entre autres à cause de l'exposition Marcel Proust. Puisque une des personnes intervenant dans le catalogue de l'exposition Marcel Proust était Evelyne Bloch-Dano. Evelyne Bloch-Dano est membre du jury du Prix Fémina. Il se trouve qu'à l'occasion de cette exposition, nous avons exposé la chambre d'Anna de Noailles. Et Anna de Noailles a été la première présidente du premier jury du Fémina en 1904. Donc il y avait une légitimité d'accueillir le jury du Fémina. Donc Jérôme Tréca, le responsable du mécénat, a des idées de mise en scène pour que le prix soit très photogénique et théâtral. On avait créé une petite mise en scène assez amusante avec Evelyne, c'est-à-dire qu'on invitait les gens à ce petit cocktail à 13h au 23 rue de Sévigné, donc dans l'entrée du musée. Et parallèlement, moi j'accueillais les trois lauréats et leurs éditeurs au 29 rue de Sévigné, ce qui permettait à personne de croiser les lauréats et de maintenir l'effet de surprise. Et on a un très grand escalier noir dans la première salle des enseignes et on installait les 12 membres du jury dans l'escalier qui proclamaient. Et moi, comme à la sortie de mannequin dans un défilé de mode, j'étais en haut de l'escalier et je poussais les lauréats pour qu'ils descendent et qu'ils soient présentés au jury. Donc en tant que photographe, et d'autant plus que moi je pratique ces prix depuis plus de 25 ans, on a aussi les oreilles qui traînent. On peut quand même récupérer quelques infos. Il y en a que je ne peux pas vous révéler. Il y en a d'autres que je peux vous révéler. Donc la confidence de cette année, c'est que le prix Renaudot a effectué deux votes. Comme certains lauréats étaient à la fois sur la liste du Renaudot et du Goncourt, si toutefois c'était le même pour le Renaudot que pour le Goncourt, ils avaient quand même un second choix pour que justement ce ne soit pas le même lauréat qui remporte à la fois le prix Goncourt et le prix Renaudot. Alors, autre info que je peux vous divulguer: c'est James Ney, le directeur de chez Drouant, qui nous a confié qu'il était déjà sur les préparatifs du menu 2025. Donc son menu est lié à une commémoration importante de 2025. Et si j'ai bien compris, cette commémoration est liée à l'histoire des femmes. Donc vous avez un an pour trouver le menu.

  • Speaker #1

    Le portfolio des grands prix littéraires de l'automne, signé Olivier Dion, est à retrouver dans le numéro de décembre de Livres Hebdo.

  • Speaker #0

    Les voix du livre

  • Speaker #3

    En chemin.

  • Speaker #1

    Nous sommes le 8 octobre 2024 à l'ombre du château de Vincennes et je m'apprête à entrer dans une librairie qui va bientôt fêter ses 45 ans, la librairie Millepages. Le directeur Pascal Thuot et le responsable -entre autres- du rayon scientifique Malik Rumeau, nous ont demandé d'attendre la fin du Festival America pour avoir le temps de nous accueillir. Bonjour ! Bonjour Pascal, bonjour Malik.

  • Speaker #4

    Bonjour,

  • Speaker #1

    bonjour. Pascal, on est au lendemain du Festival América, on va commencer par ça, vos impressions à chaud ?

  • Speaker #4

    Écoutez, c'était plutôt une réussite, on est très content de l'affluence, très content de la qualité des débats, puisque pour la première fois le Festival América invitait 9 pays européens pour dialoguer autour des grandes problématiques qui sont les nôtres avec une quarantaine d'auteurs américains. Donc ça a créé en fait des rencontres assez nouvelles, donc voilà, que du positif.

  • Speaker #1

    Le Festival América, vous y êtes très attachés, très liés, puisqu'il a été créé par le fondateur de la librairie Millepages, Francis Géffard. Est-ce que vous pouvez parler de la création de ce lieu et de l'histoire de ce lieu ?

  • Speaker #4

    Oui, bien sûr. Au départ, c'est le projet d'un jeune homme qui veut ouvrir une librairie dans une ville qui en compte déjà plusieurs. Ça n'est plus le cas aujourd'hui. Et lui, son rêve, c'était de donner à la littérature la possibilité d'être incarnée différemment. Ce qu'il faut savoir, c'est que la librairie, avant 1980, ça reste un lieu très régi par des codes. La plupart du temps, les gens n'ont pas le droit de toucher les livres. Le libraire est un peu une sorte de personnalité locale très importante, respectée, parfois crainte. Et donc, lui, il a un peu cassé ce code-là en introduisant notamment l'idée des notules sur les livres. Alors après, ce qui est assez amusant, c'est que cette librairie, au départ, était une librairie de littérature, mais aussi une librairie où des gens plus tradis venaient chercher des objets pieux, des rosaires, des micelles, des choses comme ça. Il a eu une éducation catholique assez approfondie, Francis. Voilà, c'était un lieu mixte où on pouvait à la fois découvrir les premiers livres d'auteurs américains qui sont aujourd'hui considérés comme des géants de la littérature et en même temps, cette imprégnation d'une communauté locale. Il y avait plusieurs paroisses ici qui étaient très actives. C'est comme ça qu'est née Millepages, dans un petit local qui aujourd'hui n'est plus du tout une librairie, à quelques centaines de mètres d'ici, qui faisait un petit peu moins de 50 mètres carrés. Il y avait un écureuil en vitrine qui faisait office un peu de mascotte de la librairie. C'était un lieu comme il n'en existait pas encore à l'époque. La précarité économique de la librairie a bien failli lui coûter son existence dans les premières années de cette librairie. Mais en fait, il naissait au début des années 80 dans le sillage de la loi sur le prix unique, une institution qui s'appelle l'ADELC, l'Aide au Développement Économique de la Librairie de Création, donc financée par des éditeurs qui, en mutualisant leurs moyens, permettaient ensuite à des projets de libraires, d'agrandissement, de modernisation, d'extension des fonds, d'être financés. Et ça, c'était une nouveauté. Et Millepages a fait partie des premières librairies aidées par l'ADELC. C'était cette première expérience d'une librairie indépendante qui réussissait à développer sa capacité à recevoir du public, à créer du catalogue grâce à l'adhésion et au soutien des éditeurs indépendants. À l'époque, c'était Gallimard, c'était Le Seuil, les éditions de Minuit. Finalement, rien n'aurait été possible sans cette possibilité-là. Moi, je suis arrivé en 99. Francis m'a appelé. On se connaissait depuis quelques années déjà. On s'est rencontrés autour de la littérature nord-américaine, puisque lui a inauguré sa collection Terre d'Amérique et avant ça, Terre indienne, au début des années 90. Et c'est là que moi, j'ai commencé en librairie. Et comme j'avais un tropisme assez important pour la littérature étrangère d'une façon générale et la littérature américaine en particulier, évidemment, ses premiers textes, qui sont pour moi des textes très importants, ça a été capital, en fait, dans ma démarche à moi aussi.

  • Speaker #1

    C'est une sacrée transmission quand même qui s'est passée à ce moment-là pour vous, j'imagine. Qu'est-ce que vous avez gardé en tant que directeur, même comme esprit des lieux ?

  • Speaker #4

    Je crois qu'on a gardé l'essentiel, c'est-à-dire que cette librairie, elle devait rester proche de ses clients. Malgré le fait qu'elle ait grandi, grossi en chiffre d'affaires, l'idée c'était de ne pas perdre cet objectif.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous diriez qu'il y a quelque chose qui est resté de ce rapport à la foi et à la spiritualité qu'avait Francis Géffard ?

  • Speaker #4

    Alors moi, personnellement, pas vraiment.

  • Speaker #1

    Pascal Thuot?

  • Speaker #4

    Alors, moi, je suis un mécréant. Mais en même temps, forcément, nous, on n'est qu'une partie du tout. Une librairie, c'est à la fois les libraires qui en sont les animateurs et en même temps les gens qui en sont les usagers. Donc forcément, il y a des petits échanges moléculaires qui se font en termes de pensée, qui sont riches et qui alimentent.

  • Speaker #1

    Une dernière question sur la librairie. Le fait d'être à Vincennes, vous en avez un petit peu parlé par rapport au festival. Est-ce qu'il y a d'autres choses que ça change par rapport au fait d'être au cœur de Paris ?

  • Speaker #4

    Alors oui, ce qui change par rapport au cœur de Paris, c'est que justement, on est un peu à l'écart. Et ça a plutôt des avantages. C'est-à-dire qu'on est un petit peu moins visités par les éditeurs qui viennent vérifier que leurs livres sont bien en place. On est quand même un peu préservés de ça. Après, c'est aussi la possibilité d'évoluer dans des surfaces qui sont quand même un peu plus importantes que celles dont on pourrait bénéficier à Paris. Et puis, il y a une sorte d'osmose entre la librairie et la ville où elle a grandi. On nous a souvent proposé de nous intéresser à des dossiers de reprises de librairie dans d'autres villes. Et finalement, ça ne nous a jamais intéressés parce qu'en fait, la copie ne ressemblera jamais à l'original. Et comme on n'est pas à la recherche d'un développement économique et qu'on n'a pas spécialement envie de créer un empire, on a décidé de rester très implantés ici. Il y a un auteur de littérature que j'adore qui s'appelle Mario Rigoni Stern, qui est vraiment un écrivain italien de l'enracinement. Mais ce ne sont pas des racines qui moisissent, ce ne sont pas des racines qui l'empêchent de regarder celui qui vient. C'est juste l'endroit où, comme un aimant, il retrouve sa place. Et je dirais que c'est un peu ça aussi une librairie. Elle a des racines et ces racines sont importantes puisqu'elles racontent une histoire, elles racontent les liens entretenus avec une histoire un peu plus grande. On ne réinvente rien si on ne sait pas ce qu'il y a eu avant.

  • Speaker #1

    Pour ce podcast, Livres Hebdo, en partenariat avec les éditions Dunod, pousse la porte des libraires pour les écouter décrire leurs enjeux, décrypter les tendances éditoriales du moment et partager leurs coups de cœur. La Maison Dunod publie des ouvrages de non-fiction sous les éditions Dunod et Armand Collin, pour rendre le savoir accessible au grand public, aux professionnels et aux étudiants. Nous sommes de retour avec Pascal Thuot et Malik Rumeau, mais je me tourne surtout cette fois vers Malik Rumeau pour nous parler de l'un de vos rayons, de l'une de vos spécialités, la science.

  • Speaker #2

    Moi je suis un peu comme la plupart des gens, j'aime la musique mais je ne sais pas la lire, dans le sens où je ne lis pas les maths. La science m'a toujours intéressé depuis que je suis enfant. Ça fait partie, je pense, de la curiosité qu'on a sur les choses, sur le monde. Dans une librairie comme celle-là, il y a plusieurs publics. Sur la question de la science, vous avez des chercheurs qui viennent chercher du livre. Vous avez des gens qui vont demander des ouvrages de science pour des adolescents de 14 ans, 15 ans. Donc des choses vraiment très, très, très grand public. Et puis, ce qui est plutôt quelque chose qui, moi, va me concerner, c'est la question des récits. Et je pense que ça n'engage que moi, qu'un livre de science grand public réussi, c'est un livre qui arrive à produire un récit, qui peut convoquer un imaginaire qui n'est pas uniquement un imaginaire scientifique, mais aussi qui est un imaginaire qui va peut-être essayer de rassembler autour de la poésie, autour de la peinture, autour du voyage. Par exemple, il y a un auteur qui a beaucoup retenu mon attention, c'est Guido Tonelli, qui est édité chez les éditions Dunod, qui a écrit Genèse, Temps, et le dernier qui va bientôt sortir, qui est Matière, qui à chaque fois arrive à articuler des questions scientifiques et philosophiques dans un grand récit. Autre chose dans ce genre-là, vous avez Yann Mambrini avec La Nouvelle Physique, qui par ailleurs est magicien aussi, et qui fait de l'astrophysique, qui fait de lien avec la physique fondamentale et la physique expérimentale, qui était publiée chez Albin Michel. Et puis, là, un autre ouvrage assez ancien, qui s'appelle Cybernétique et Société, de Wiener, qui est un ouvrage vraiment de fond et qui pose les fondamentaux de la science de l'information, de la cybernétique. On découvre la pensée systémique, on découvre la pensée complexe, et on voit à quel point cette pensée cybernétique a infusé dans un grand nombre de sciences et de pratiques.

  • Speaker #1

    Merci aux éditions Dunod pour cette séquence de transmission des savoirs. Pascal, Malik, qu'est-ce qu'on peut souhaiter à la librairie Millepages pour l'avenir, pour les années qui viennent ?

  • Speaker #4

    Vaste question, si vous voulez. Moi, je suis plutôt un pragmatique, donc je serais plutôt tenté d'être assez simple dans mon souhait. C'est-à-dire qu'il nous reste encore quelques années à tirer pour atteindre le grand âge, donc au moins qu'on puisse jusque là continuer de porter notre bannière. Après, ce qu'on peut souhaiter, c'est que le volume de lecteurs cesse de subir cette embolie assez préoccupante. Je suis très préoccupé par le paysage tel qu'il est en train de se dessiner aujourd'hui. C'est-à-dire avec surproduction, une embolie de lecteurs et une concurrence très marquée de loisirs qui éloignent les gens de la lecture. Si vous voulez, la formule du souhait, elle est sympathique. C'est comme la formule du génie dans la lampe magique. Il faut frotter pour qu'il apparaisse. Je ne sais pas très bien ce qu'il faudrait frotter pour qu'apparaisse la possibilité d'une vraie discussion, pour penser l'avenir. Il y a plein de choses à imaginer et pour l'instant, je n'ai pas l'impression qu'on y aille. Sinon, la création, elle reste très intéressante, très stimulante.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on peut imaginer quand même une fête pour les 45 ans ?

  • Speaker #4

    Ouais ! Carrément, il faut faire la fête. Pour oublier tout ça.

  • Speaker #2

    Avec plaisir.

  • Speaker #1

    Merci Malik.

  • Speaker #2

    Merci à vous.

  • Speaker #0

    Les Voix du livre. En haut de la pile.

  • Speaker #1

    C'est la troisième partie de cet épisode, la rubrique en haut de la pile, consacrée ce mois-ci à Beyrouth, à l'occasion du tiré à part spécial Beyrouth, porté par les équipes de Livres Hebdo, qui sera distribué avec le mensuel de décembre. Alexandre Mouawad, rédacteur en chef adjoint de Livre Hebdo, tu as dirigé ce hors-série, qui au départ devait être distribué pendant le festival Beyrouth Livres, mais l'histoire en a décidé autrement.

  • Speaker #0

    Un hors-série qui devait être distribué plus précisément pendant la journée professionnelle qui n'a pas plus eu lieu que le festival. Aussi, collectivement, avec Livres Hebdo et l'Institut français de Beyrouth, nous avons décidé de sortir quand même ce numéro, mais différemment, et d'essayer de rendre compte, à notre niveau, des impacts de la guerre sur le monde du livre libanais, déjà par respect pour ce qu'on pourrait appeler l'interprétation internationale, et pour rendre hommage aux professionnels libanais ainsi qu'à ses littératures. Nous sommes aujourd'hui même en train de le boucler, je viens de recevoir la dernière réponse à la dernière question que je pose à Mathieu Diaz dans l'entretien qu'il y a au début. Elle est superbe, c'est peut-être le plus beau texte du numéro. On espère que les événements qui nous séparent de sa parution, qui sera le 28 novembre, ne rendront pas ce numéro inadapté. C'est une vraie question de presse qui nous a suivi tout au long de la confection de ce numéro. On a lancé il y a presque six mois, mais en ce moment les temps changent très très vite.

  • Speaker #1

    C'est un numéro que tu boucles avec émotion, on le sent. On va découvrir les invités du jour, mais avant cela, la parole au rédacteur en chef de Livres Hebdo, Jacques Braunstein. Quel est le chiffre du mois ?

  • Speaker #0

    Le chiffre du mois, c'est 95 millions d'euros. C'est ce qu'ont rapporté les livres vendus grâce au Pass Culture en 2023. Je vous en parle parce que dans le PLF, le projet de l'Ouest Finance, on sent que le Pass Culture est un peu remis en cause, il y a eu une sorte d'offensive de certains médias et d'autres domaines culturels, le spectacle vivant pour ne pas le nommer, contre le Pass culture, disant que est-ce que les jeunes achètent vraiment les bons livres, pourquoi ils ne vont pas au spectacle vivant, pourquoi, plus le livre que le cinéma est-ce que ça touche vraiment les bons jeunes bref, tout un tas de questions qui sont légitimes, mais qui sont un petit peu inquiétantes parce que si on réduisait par exemple la part du livre dans le pass culture de moitié, sachant qu'aujourd'hui, le pass culture et les livres qui sont vendus grâce à lui, c'est 2% du marché du livre. Si vous réduisez, par exemple, les montants du passe-culture de moitié, ça fait 1% en moins. 1% en moins, c'est énorme dans un métier, les libraires le savent bien, où les marques ne sont pas énormes, sachant que pour certaines librairies et certains de nos auditeurs, c'est 1%. Le pass culture, c'est 5-10% de leur chiffre d'affaires. Donc, il est normal que la filière se mobilise pour qu'on réduise au minimum le pass culture. Et c'est l'occasion de rappeler que c'est quand même plutôt un bon dispositif qui a emmené beaucoup de jeunes qui n'y étaient jamais allés vers les librairies. Et que même si on a caricaturé le pass culture en disant c'est le pass manga, la plupart des jeunes, ils rentrent dans la librairie peut-être pour acheter un manga et ils achètent. Ce livre-là, un autre, d'autres livres. Et donc, on a très envie de défendre le passe-culture et de s'y accrocher un petit peu.

  • Speaker #1

    Merci Jacques. Retour à Beyrouth. Alexandre Mouawad, tu as invité autour de la table aujourd'hui Joseph Ghosn. Bonjour Joseph. Bonjour. Tu es journaliste, tu as dirigé Vanity Fair, Les Inrocks, Grazia. À tes côtés, Philippe Azoury. Bonjour Philippe. Bonjour. Tu es critique de cinéma, tu as enseigné le cinéma à la Sorbonne et à Beyrouth. Vous avez tous les trois des liens très fort avec le Liban. La chanteuse libanaise Fayrouz, qui était surnommée l'âme du Liban, chantait "Kifak enta", qui veut dire "Et toi, comment ça va" en arabe ? Première question à tous les trois. Et vous, vos proches, comment ça va ? Joseph ?

  • Speaker #3

    C'est une bonne question. C'est une question qu'on se pose tout le temps, en ce moment. C'est une question à laquelle, je crois, il y a plusieurs réponses évidemment, la première est une réponse assez collective et une réponse un peu de "façade" qui est tout va bien, forcément tout doit bien aller. D'autant plus que de là d'où nous parlons, c'est-à-dire à Paris, forcément on est mieux qu'ailleurs, c'est-à-dire qu'on n'est pas sous les bombes. Ensuite, cette question elle renvoie à tout à fait autre chose en fait, parce que vous citez la chanson de Fayrouz, et la chanson de Fayrouz c'est une chanson assez particulière. Ce kifak enta de Feyrouz c'est un Kifak enta qui est écrit à la fin de la guerre. C'est un morceau qui, à chaque fois que je l'écoute, me rappelle l'ambiance, notamment de mes parents pendant la guerre. Et c'est aussi un morceau qui a fait scandale, parce qu'on en parlait il y a quelques jours avec des amis. C'est un morceau dans lequel Fayrouz prend un accent qui n'est pas son accent habituel. Et Fayrouz prend un accent un peu palestinien. Et donc elle englobe quelque chose d'un peu plus général. Et que donc la question comment vas-tu ? elle n'est pas uniquement adressée à nous, elle est adressée à nous en tant qu'individu. ou en tant que Libanais, elle est adressée à nous en tant que peuple aussi, puisque nous sommes aussi ça, et aussi au fait que nous faisons partie non seulement d'un pays, mais aussi d'une région, je crois. Donc comment ça va ? Ouais, moi ça va. Mais pour le reste... On verra.

  • Speaker #1

    Philippe ?

  • Speaker #5

    À la fois, je suis totalement d'accord avec Joseph et je veux dire exactement l'inverse. C'est une question qui est devenue... D'abord, je suis très content que vous la posiez parce que personne ne nous la pose en France. La question n'intéresse pas, manifestement, de savoir comment on va. Ce qui rajoute à l'abandon à la fois des Libanais au Liban, mais des Libanais ailleurs, politiques ou même amicales, on va dire. C'est une question qui est devenue totalement obsolète. On ne peut plus tout y répondre, non pas depuis deux mois, mais depuis un an. Il y a un narratif, si vous voulez, israélien, qui voudrait décorréler le destin d'abord des Palestiniens avec celui des Libanais, puis ensuite le sud du reste du Liban, puis la banlieue sud de Beyrouth avec Beyrouth. Mais on voit bien que la logique fait que tout ça se rapproche et qu'aujourd'hui aucun Libanais ne peut se dire ou en sécurité ou épargné de ce qui serait un nettoyage ethnique. En fait, non, ça ne va pas. Ça ne va pas du tout et politiquement, ça va de mal en pire. Les élections américaines ne donnent pas de signe. Il n'y a pas de quoi se réjouir, disons. Mais en tout cas, merci de l'avoir posé. C'est si rare.

  • Speaker #1

    Alors, on l'a dit, ce hors-série comme ce podcast permettent de compenser l'impossibilité pour les professionnels du livre de se réunir comme chaque année au Festival Beyrouth Livres. qui n'a pas lieu. Vous êtes donc venu avec des livres qui vous tiennent à cœur sur le Liban. La parole est à toi, Joseph Ghosn. Tu nous présentes une poétesse syro-franco-americano-libanaise.

  • Speaker #3

    Oui, enfin, c'est surtout Etel Adnan.

  • Speaker #2

    Un monument.

  • Speaker #3

    Un monument. Etel Adnan est une artiste, plasticienne, peintre, poète. Elle a écrit beaucoup de textes. Elle a été découverte plutôt tard dans sa vie, dans les années 2000. Le texte dont je voudrais parler, c'est un texte que j'aime beaucoup, qui s'appelle Grandir et devenir poète au Liban C'est une conférence qu'elle a donnée en 1986 et qui est devenue un texte comme certains de ses livres. C'est un livre que je mets en perspective avec un autre livre d'un photographe qui s'appelle Fouad Elkoury, et ce livre-là s'appelle Beyrouth, aller-retour. Le livre d'Ethel Adnan raconte vraiment son enfance. En gros, le livre va de 1925 à 1949. c'est l'enfance d'une jeune femme qui grandit à Beyrouth. Elle découvre le français, elle découvre la littérature, elle découvre aussi son premier amour pour une femme. Et donc il y a toutes ces choses qui sont en train de se former et on comprend à travers ce qu'elle écrit ce que c'est que le Liban dans ces années-là. C'est-à-dire un Liban qui est un pays en train d'être formé, un pays qui a été inventé par la France d'une certaine façon, un pays qui traverse aussi la Deuxième Guerre mondiale et avec beaucoup de désirs d'ailleurs. Et on voit chez Etel Adnan quelque chose que moi j'ai pu voir chez mes grands-parents ou chez mes parents ou bien avant la guerre. C'est-à-dire cette idée de se dire de quel monde faisons-nous partie et où est-ce que nous pouvons aller. Je le mets en écho avec le livre de Fouad Elkoury parce que le livre de Fouad Elkoury part quasiment de ce truc-là où Fouad ElKoury est un jeune architecte qui a fait ses études à Paris, qui revient au Liban, qui fait aussi la photographie et qui se retrouve en 1975 au début de la guerre en train de se dire mais qu'est-ce qui se passe ? Et qu'est-ce que je fais ? Et qu'est-ce que je deviens ? Son livre raconte en images. D'abord, toute la guerre et notamment les années 1982 pendant l'invasion israélienne. Et surtout, il y a des textes dans ce livre qui ponctuent les images. Et en relisant ces textes, j'avais l'impression de lire des textes qui parlaient d'aujourd'hui. C'est-à-dire des textes de gens qui seraient à Beyrouth sous les bombes et qui disent on ne sait pas ce qui se passe, on essaie de vivre quand même. Et c'est très, très difficile. Et vous tournez une page, puis d'un coup, il vous parle d'une soirée, puis vous tournez une page. Et le lendemain, il vous dit tous les gens avec qui j'étais hier soir sont morts. Donc, on est vraiment pris dans cette même... En tout cas, il y a quelque chose qui, moi, m'a évoqué cette impression que j'ai depuis plusieurs mois, qui est que j'ai l'impression d'être dans une boucle, parce qu'en 1982, j'étais à Beyrouth pendant cette invasion-là, j'étais un gamin. Et donc j'ai l'impression de revivre tout ça en boucle et que la seule chose qui a changé, c'est que l'armement est beaucoup plus puissant. Et encore, quand on lit ce qu'écrit Fouad Elkoury, on se rend compte que tout a été démoli de la même façon. Et que les immeubles ont été détruits de la même façon, et que les ruines sont les mêmes, et que les gens sont détruits de la même façon. Donc voilà, je voulais vraiment parler de ces deux livres-là comme un écho l'un à l'autre. A la fois dans cette idée, qu'est-ce que c'est qu'être libanais, mais aussi beaucoup de ce désespoir qui depuis 50 ans fait partie de nos vies.

  • Speaker #1

    Philippe ?

  • Speaker #5

    Oui, c'est deux textes que j'aime beaucoup. Énormément. Le livre de Fouad, moi, c'est un livre qui m'a énormément accompagné. C'est un livre que les Cahiers du cinéma avaient sorti en 84-85. C'est un livre que j'ai toujours trouvé actuel, je suis comme Joseph. Quand on l'a lu, je me souviens qu'on l'avait lu ensemble en 2006, au moment d'une précédente guerre, c'est infini mais c'est toujours comme ça, ça nous semblait déjà être le livre, totalement le journal, la main courante de ce que nous, on vivait. J'ai pas eu la curiosité de l'ouvrir là, ces derniers temps. Peut-être que je n'arrive plus à lire aussi, c'est possible, depuis deux mois. Je ne sais pas, mais j'ai des souvenirs très très forts de ce texte-là.

  • Speaker #1

    "Beyrouth, aller-retour" de Fouad ElKoury, c'est donc paru au Cahier du cinéma en 1984 et "Grandir et devenir poète au Liban" de Etel Adnan, paru aux éditions de Les Echoppes, en 2019. Philippe Azoury, c'est à toi. Tu as toutes les peines à lire depuis deux mois, on le comprend, mais tu nous parles d'un récit-enquête.

  • Speaker #5

    Oui, j'ai non seulement des peines à lire, je suis celui qui a élu un livre de 600 pages. Et d'ailleurs, je ne vais pas mentir, je ne vais pas spoiler ce livre, parce que d'abord, spoiler, c'est mal. Mais surtout, il me reste 200 pages à lire.

  • Speaker #1

    Je suis donc en cours de lecture.

  • Speaker #5

    Je suis en cours de lecture, mais je suis quand même assez bien avancé. Et en partie aussi, mais c'est un livre que je n'ai pas du tout voulu lire en diagonale, comme on dit. Déjà parce qu'il me passionne, parce qu'il fourmille de détails. Mais c'est un livre qui a pris 10 ans à s'écrire. Marwan Chahine, lui aussi, travaillait pour Libération. Quand j'ai quitté L'Obs, il a écrit un texte, justement, quelques textes quand il était correspondant au Caire pour Libé, notamment une commande sur le 13 avril 1975, l'attaque qu'on appelle Al-Bosta, le bus, c'est-à-dire cette attaque massacre d'un bus contenant des fédéines palestiniens par des miliciens kataïbes, phalangistes chrétiens, le 13 avril 1975, et qui est considérée par les historiens comme l'étincelle qui a mis le faux poudre d'une guerre civile qui va durer jusqu'en 89-90. Et donc voilà, j'ai toujours raté Marwan Chahine, parce que quand il était à l'office pour ce papier, j'y étais déjà plus. J'aimais beaucoup ses papiers au Caire, je trouvais qu'il y avait une approche que je retrouve dans ce livre-là. Il y a quelque chose chez lui qui n'est jamais surplombant, parce qu'il avoue tout, c'est-à-dire qu'il est d'une famille franco-libanaise, il ne parle pas arabe, il le parle mal. Et en plus, il l'a appris au Caire, et l'arabe du Caire et l'arabe de Beyrouth, c'est absolument pas du tout la même chose. Et quand il quitte le Caire et Libération avec un peu de thunes, il arrive à Beyrouth un peu comme de juste, parce que sa famille est là, un peu comme en retour aux sources, sans du tout savoir ce qu'il va faire. Et puis bon, il faut vivre, donc il propose, ça va être les 40 ans du 13 avril, donc c'était il y a 10 ans, et donc il propose ce papier, et il commence à rencontrer les gens, parce que cet événement, cet événement du bus, ne cesse d'être la cicatrice à partir de laquelle chacun se renvoie la balle en disant c'est vous qui avez commencé. Et évidemment cette histoire de qui a commencé, elle est infinie, et on se prend les pieds dans le tapis. Mais surtout cette histoire du bus, on la connaît pas bien. On sait pas combien il y a eu de morts. Il n'y aurait pas de survivants, au bout de 300 pages il en est déjà à 12 ou 13. Tout le monde a vu la scène, tous les grands artistes libanais étaient tous là. Ils avaient tous 5 ans, ils étaient tous en train de jouer autour. Tout le monde a vu la scène, puis tout le monde l'a vu différemment. Et puis même à l'intérieur des entretiens qu'il arrive à déplier, sur 10 ans, de fil en aiguille, de rencontre en rencontre, des gens lui disent un truc en début d'entretien, mais qui lui disent le verre, c'est la fin de l'entretien. Tout va bien, c'est le Liban. C'est comme ça. Et en fait, ça rappelle cette... Je sais pas si vous vous souvenez, il y a un sketch des inconnus, au début de la fin des années 80, qui était génial, où un faux Guillaume Durand demandait à l'un des inconnus, qui est aujourd'hui, de raconter la situation en deux coups de cuillère à peau, et le type se lançait dans un tunnel de 12 minutes, et ça rappelle ce... Je sais plus qui était le mot, mais c'est devenu canonique. Si vous avez compris quoi que ce soit à la guerre du Liban, c'est qu'on vous l'a super mal raconté. Et c'est exactement le livre de Marwan, c'est-à-dire que si vous avez compris quelque chose au 13 avril 75, un, c'est qu'on vous l'a mal raconté, mais à lui, tout le monde lui raconte mal, il ne raconte pas mieux, mais il a cette humilité géniale de mettre les mains là-dedans, et finalement, à la façon d'un enquêteur, il y a un côté d'acheter la mètre chez lui, de faire un roman policier avec un imbroglio politique dans un pays qui est un puzzle, où personne n'a vu la même chose. Chacun vient avec son fantasme et aussi avec sa croyance politique. Et puis il est totalement obsessionnel. Et moi j'adore ça. Et on ne fait pas pour rien un livre de 500 pages. Ce n'est pas juste pour en foutre plein la vue ou parce que ça a pris 10 ans. Mais c'est que le moindre détail le rend dingue. Et il voit toujours qu'il manque une pièce de puzzle. Et il faut qu'il y aille. Et il faut qu'il déplie. Il faut qu'il déplie. Et c'est une démonstration d'humilité et d'intelligence à tous les endroits.

  • Speaker #1

    Merci Philippe. Je crois qu'Alex, tu as aimé aussi ce livre, il me semble.

  • Speaker #0

    Oui, ce que montre ce livre, il me semble, c'est un truc que je constate le plus fort. Jour après jour, moi qui me plonge dans cette histoire depuis que je suis allé dans le pays de mon père pour la première fois l'année dernière, à l'occasion du festival Beyrouth Livres, c'est qu'une sorte de série de hasards objectifs, et puis quelque chose qu'on trouve dans un film que j'ai vu jeudi dernier, qui est un complément, voire une suite du livre de Marwan Chahine justement, en parlant de hasards objectifs, qui s'appelle Diaries from Beyrouth. En arabe, le titre signifie "Comme une histoire d'amour". Et dans ce film-là, on filme quelqu'un qui serait à l'origine de l'attaque du bus. Et qui, comme beaucoup de Libanais, porte le prénom de mon père, Georges. C'est d'ailleurs la dernière image de ce film qui va commencer notre hors-série avec cette phrase "Maudit soit celui qui a maudit ma terre". Je peux dérouler comme ça une série de moments de grâce, comme ça, infiniment. Mais dans ce film, il y a aussi autre chose, c'est qu'elle dit Les Libanais ont peur de leurs rêves Est-ce que c'est vraiment du surréalisme malgré soi ? Disons qu'on est des surréalistes malgré nous. Et en parlant de rêve, voilà justement par une sorte d'association d'idées que me permet la fatigue liée au bouclage de ce numéro. J'ai pensé à quelques pistes comme ça. J'avais le livre d'un grand ami qui a fait la couverture du numéro et qui s'appelle À contre-jour, qui est épuisé, comme nous tous, chez une maison d'édition qui s'appelle De l'incidence, tu parlais d'incident tout à l'heure. Il raconte peut-être ce qui a été, sinon le dernier rêve, disons plus honnêtement, la dernière utopie libanaise, la taura, ça veut dire la grande mobilisation citoyenne, toute religion confondue, qui n'a jamais connu le Liban, qui a cru pouvoir rembourser un pouvoir qui n'en avait strictement rien à faire, qui a été interrompu par tous les désastres qu'on connaît au Liban. Toujours est-il que dans ce sorte de journal de Bord, il note les fragments de ses pensées, de son enthousiasme, de comment lui porte une certaine idée de la révolution par des envies de solidarité, d'amitié, de sentiments, de la beauté qui peut exister entre les êtres. Enfin, je voudrais parler par le biais d'un autre ami auquel je parle un peu moins ces derniers temps mais avec qui j'ai parlé, rencontré, en quelque sorte, le Liban il y a 10-15 ans, c'est Sabir Houssoub. J'ai trouvé ce livre, c'est un livre de la photographe Orianne Ciantar Olive, qui s'appelle Les Ruines Circulaires, et qui est paru chez Dunes Éditions, et qui est donc préfacé par Sabir Houssoub sur une page, mais très belle, qui s'appelle Le Soleil Brille, encore ici, et où il est question de ce personnage, Nabil. Nabil, ça fait Liban à l'envers. Et je voudrais simplement lire la fin. Nabil la retient sans même le vouloir, il en a toujours agi ainsi avec ses amants et ses amantes, c'est plus fort que lui. Orianne lève les yeux au ciel, le soleil l'éblouit, mais elle ne baisse pas le regard, elle l'observe, elle le fixe, et malgré tout le poids du monde, se dit-elle, ce poids du monde que les poètes, les écrivains et les artistes de ce pays ont déjà décrit, peint, photographié, filmé, chanté, et continueront à décrire, peindre, photographier, filmer et chanter, malgré tout ce poids du monde, se dit-elle, le soleil brille encore ici.

  • Speaker #1

    Merci Alexandre. Donc c'était tiré de Les ruines circulaires d'Orianne Ciantar Olive, paru chez Dunes Éditions. Est-ce que tu peux rappeler les deux autres titres que tu as évoqués ? Il y avait Diaries from Lebanon.

  • Speaker #0

    De Myriam El Hajj. Et l'autre, c'est un livre épuisé. Donc voilà, un livre épuisé, un film à paraître, je suis désolé. C'est À contre-jour de Hassan Sallab chez De l'incidence, éditeur.

  • Speaker #1

    À mon tour, mon coup de cœur est une BD qui s'appelle Beyrouth malgré tout. Elle est signée Sophie Guignon et Chloé Dommat, deux journalistes correspondantes au Liban. Elle est illustrée par Kamal Hakim, qui a lui aussi dessiné l'ouverture du hors-série. Oui,

  • Speaker #0

    il a dessiné l'ouverture de ce hors-série, un hommage à Jocelyne Saab.

  • Speaker #1

    Et cette BD raconte l'histoire du Liban de 1950 à aujourd'hui à travers la vie d'un homme, un médecin célèbre pour son engagement humanitaire qui s'appelle Robert Sassi. Ce pédiatre libanais a vraiment vécu, il est mort d'une crise cardiaque juste avant la parution de cet album, il n'a pas pu lire ce livre qui est devenu donc un hommage à sa mémoire. Alors qui est Robert Sassi ? Je vous réponds en adoptant le point de vue de Sophie et Chloé, les deux autrices de ce livre, puisque tout est raconté à travers leur point de vue et à travers le coup de crayon très émouvant de Kamal Hakim. On est entièrement plongés dans leur récit, les questions qu'elle lui pose sur le pays, sur la guerre, sur son passé à lui, les raisons profondes de ses engagements, les conséquences des événements et de la crise économique sur sa vie. Elle noue une relation avec lui et avec sa famille, elle le taquine au passage sur son style de bon papy avec ses bretelles et ses lunettes ovales. Elle s'attache à lui et elle l'écoute attentivement parce qu'il en a vécu des choses Robert. Il est né en 1950, âge d'or du Liban, comme il dit. Il se rappelle de la frénésie culturelle de l'époque. Et puis, le tournant de la guerre civile dès 1975, la reconstruction dans les années 90, la crise économique terrible en 2019, qualifiée par la Banque mondiale comme l'une des pires crises récentes au monde. Et peu de temps avant, le docteur Sassi devient acteur de l'histoire du pays en créant, en 2016, le premier service publique de pédiatrie à Beyrouth, salutaire à une période où les Libanais n'ont plus le moyen de se soigner dans le privé. Pendant que Dr Sassi raconte son histoire à Chloé Dommat et Sophie Guignon, sa famille est autour de lui à interrompre le récit pour proposer du café, à lui rappeler d'autres souvenirs, parfois plus gais, parfois épouvantables. C'est un récit extrêmement vivant, personnel, poignant, un concentré d'humanisme et d'histoire en temps réel, et surtout une fenêtre sur cette guerre et ses conséquences sur la population comme on ne la voit jamais. La BD s'appelle Beyrouth malgré tout. Je vous conseille aussi le film qu'elles ont réalisé pour Arte, "Liban: dans le chaos des hôpitaux", qui a été nominé pour plusieurs prix. Merci Philippe Azoury, merci Joseph Ghosn, et merci Alexandre Mouawad. Rendez-vous pour découvrir ce hors-série, titré "Beyrouth quand même", récit d'un monde du livre en guerre. Merci à tous les trois.

  • Speaker #2

    Merci à toi,chère Lauren.

  • Speaker #1

    C'était Les Voix du Livre, le podcast mensuel de Livres Hebdo présenté par Lauren Malka. À la musique, Ferdinand Bayard. Si vous avez aimé cet épisode, abonnez-vous au podcast Les Voix du Livre et envoyez-nous des tas de cœurs et d'étoiles. À bientôt !

Chapters

  • Introduction

    01:17

  • En ouverture: Remise des prix littéraires: une évasion entre mots et saveurs

    01:42

  • En chemin: à la découverte de la librairie Millepages

    13:46

  • La clique critique de Livres Hebdo

    24:42

Description

C’est au restaurant Drouant, entre un homard et une tourte de perdreaux que Kamel Daoud et Gaël Faye ont respectivement été proclamés lauréats des prix Goncourt et Renaudot 2025. Quelques jours plus tard, le café de Flore, la brasserie Wepler, le restaurant Méditerranée et le restaurant Lasserre accueillent, à leur tour, la grande fête annuelle des prix littéraires. Pourquoi ces prix sont-ils remis dans des restaurants ? Olivier Dion, photographe pour Livres Hebdo, raconte les coulisses de cette organisation millimétrée, où tout, de la préparation du menu au rôle de chaque garçon, est réfléchi en amont pour perpétuer la tradition. 


Dans la deuxième partie de l'épisode, Lauren Malka nous emmène à Vincennes, dans la plus grande librairie indépendante d’Ile de France, la librairie Millepages et tend son micro au célèbre directeur, Pascal Thuot. 


Enfin, pour rendre hommage au festival “Beyrouth Livres”, qui n’aura pas lieu cette année, le rédacteur en chef adjoint de Livres Hebdo, Alexandre Mouawad, invite les journalistes Joseph Ghosn et Philippe Azoury à parler de leur attachement très fort au Liban à travers les livres, films, BD et romans qui les ont marqués. Au programme: Grandir et devenir poète au Liban d’Etel Adnan aux éditions de l'Échoppe; Beyrouth aller-retour de Fouad Elkoury par les Cahiers du Cinéma; Les ruines circulaires d’Orianne Ciantar Olive par Dunes éditions; À Contre-jour de Ghassan Salhab de L’Incidence Éditeur; le documentaire Diaries from Lebanon de Myriam El Hajj; la bande-dessinée Beyrouth malgré tout de Sophie Guignon et Chloé Domat, illustrée par Kamal Hakim. 


Un podcast réalisé en partenariat avec les éditions DUNOD, l'éditeur de la transmission de tous les savoirs.


Ont participé à cet épisode :

Alexandre Mouawad, Joseph Ghosn, Philippe Azoury 


Sont mentionnés dans cet épisode :


Etel Adnan, Grandir et devenir poète au Liban, éditions de l'Échoppe

Fouad Elkoury, Beyrouth aller-retour, Les Cahiers du Cinéma

Beyrouth, 13 avril 1975, Marwan Chahine, Belfond

Ghassan Salhab, À Contre-jour, de L’Incidence Editeur

Beyrouth malgré tout, Sophie Guignon et Chloé Domat, Steinkis

Documentaire Diaries from Lebanon, Myriam El Hajj 

Liban, dans le chaos des hôpitaux De Sylvain Lepetit et Chloé Domat – 25 min – France – 2020


Crédits :

Émission France Inter: Kamel Daoud remporte le prix Goncourt pour son roman “Houris”: https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-info-de-france-inter/l-info-de-france-inter-7386787






Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Le Prix Goncourt 2024 a été décerné au premier tour de scrutin par 6 voix à Kamel Daoud pour son roman "Houris" paru aux éditions Gallimard.

  • Speaker #1

    Kamel Daoud, Prix Goncourt 2024. L'annonce est diffusée presque en direct sur France Inter depuis le restaurant Drouant par la voix du président du jury, Philippe Claudel. Toujours chez Drouant, quelques secondes plus tard, Gaël Faye est proclamé lauréat du Prix Renaudot. La même semaine, comme chaque année, le café de Flore, la brasserie Wepler, le restaurant Méditerrané forment autant de scènes parisiennes où se déroule l'action littéraire la plus attendue de l'année. Pourquoi ces prix se déroulent-ils dans des cafés et des restaurants de Paris ? De quand date cette tradition et qu'implique-t-elle en termes d'organisation ? C'est le sujet d'ouverture de cet épisode. Je m'appelle Lauren Malka, je suis journaliste indépendante et vous écoutez Les Voix du Livre, un podcast conçu en partenariat avec les éditions Dunod. Chaque mois, je vous embarque chez Livres Hebdo pour entendre le bruit que ça fait quand les pages du magazine du livre se mettent à parler. Au sommaire, en deuxième partie, direction Vincennes pour arpenter la plus grande librairie indépendante d'Ile-de-France, aux côtés de son célèbre directeur Pascal Thuot, j'ai nommé la librairie Millepages. En troisième partie, la clique critique des voix du livre sera dédiée au Liban, une table ronde que nous organisons pour tenter de compenser l'annulation du festival Beyrouth Livres qui n'aura pas lieu cette année. Avant cela, Olivier Dion, photographe de Livre Hebdo depuis plus de 25 ans, nous raconte les coulisses de la préparation des prix et les joies et embûches du jour.

  • Speaker #2

    Les voix du livre En ouverture: Alors le mois de novembre chez Livres Hebdo, c'est un mois et même une semaine particulière puisque c'est la semaine de la remise des prix littéraire. Il n'y a qu'en France que ça se passe. Pour moi en tant que photographe, ça implique des changements dans ma façon de travailler puisque c'est le seul moment de l'année où je ne suis pas seul à faire mes photos. On peut dire que c'est le moment people de la vie du livre en France. Il y a tous les photographes français et étrangers qui sont là, surtout pour le concours. Alors, cette année, chez Drouant, c'était un petit peu particulier parce que dans la liste du Goncourt et du Renaudot, il y avait Kamel Daoud. Et Kamel Daoud fait l'objet d'une fatwa. Il y avait un gros service de sécurité et aussi un service policier qui était là. Beaucoup de journalistes sont restés sur la place parce qu'il fallait montrer sa carte de presse. Et il se trouve qu'il y a beaucoup de journalistes qui n'ont pas de carte de presse. Et il y a aussi des influenceurs qui sont là et qui n'ont pas non plus de carte de presse et qui n'ont pas pu rentrer chez Drouant. Alors, pour la petite histoire, le Prix Goncourt était historiquement le premier prix à avoir installé son académie dans un restaurant. Ce qui le distingue de l'académie française, car les écrivains n'occupent pas un fauteuil mais tiennent un couvert. Nous sommes allés interroger Lauren et moi, James Ney, le directeur de chez Rouen, qui nous a raconté l'origine de cette tradition qui remonte à 1914 dans le quartier de l'Opéra.

  • Speaker #0

    Le Prix Goncourt a été créé en 1902 et les académiciens avaient pour habitude à l'origine de se retrouver pour dîner et ça ne se déroulait pas chez Drouant. Ça se déroulait juste à côté, à l'hôtel de Paris, il me semble. Et ils avaient l'habitude de tourner un peu sur tous les restaurants qu'il y avait autour de l'Opéra. Et à partir de 1914, ils décident de venir chez Drouant pour le déjeuner, parce que c'était plus adapté, on va dire, pour recevoir notamment la presse, mais également parce qu'eux tous étaient amateurs de bonne chair, et qu'un repas a cette capacité à apaiser les tensions, on va dire. Donc si on a une belle assiette, du bon vin... Au final, le débat se retrouve un peu plus apaisé. Et donc, de fil en aiguille, Drouant est devenu une sorte d'évidence pour eux. Le premier mardi de chaque mois, tous les jurés Goncourt se trouvent chez Drouant, dans le salon Goncourt. Ça commence en septembre, le jour de la remise du prix du Goncourt. Donc nous, on est autorisés à rentrer dans ce salon, à faire des photos du lauréat et des jurés. Mais sur la table aussi, il y a d'autres éléments photographiques et entre autres le menu. Ce jour-là, il y a un menu un peu particulier et d'après James Ney, tout a commencé avec Colette qui a été la première femme à présider le jury du concours en 1949. Colette a eu beaucoup à faire là-dessus puisqu'elle était critique gastronomique et donc on a des traditions qui se sont instaurées. La tradition veut qu'il y ait toujours des crustacés qui soient servis pour le déjeuner du prix concours. Pourquoi des crustacés ? Colette adorait les crustacés, ça c'est certain, mais c'est également le lieu, Drouant, qui a été un des premiers restaurants à servir des crustacés qui venaient de Bretagne. Et puis après, la deuxième tradition est d'avoir toujours un gibier à poils ou à plumes, en fonction des années paires ou impaires. Et ça, je pense aussi que ça a à voir avec Colette. Et pourquoi paires ou impaires ? Après avoir eu quelques échanges avec les académiciens, c'était simplement pour ne pas s'ennuyer, ne pas toujours avoir des gibiers à poils.

  • Speaker #2

    Le mélange de gastronomie et de littérature chez Drouant contribue certainement à l'effervescence médiatique autour du prix Goncourt, mais aussi du prix Rennaudot. Donc pour le prix Goncourt, en règle générale, j'essaie d'arriver au moins une heure à l'avance. L'annonce est faite dans l'escalier de chez Drouant. Donc le président du Goncourt annonce le lauréat, souvent à 12h45, quand ça se passe bien au niveau des votes. Ensuite, il y a le président du Renaudot. Cette année, c'était Jean-Marie Le Clézio qui annonce aussi le lauréat du Renaudot. Il y a quelques journalistes et deux photographes ou trois photographes qui peuvent monter dans le salon Goncourt. Et donc là, il faut juste bien se placer dans le salon pour faire la photo du lauréat avec toute la presse qui arrive autour. C'est un joli bordel, mais un joli bordel bien organisé quand même. Il y a une autre photo qui se fait maintenant, c'est le lauréat à la fenêtre de chez Drouant. Ce qui fait qu'il y a beaucoup de photographes qui restent en bas de chez Drouant et qui le photographient à la fenêtre de chez Drouant avec son livre. Mais moi, je ne peux pas faire cette photo-là parce que comme je suis déjà dans le salon, je ne vais pas redescendre. Donc en fait, je reste dans le salon et cette année, ce que j'ai fait, c'est que je me suis fait oublier et je suis resté jusqu'au moment où il n'y avait plus de photographe. Enfin, il restait juste un photographe avec moi, celui du jury Goncourt. Et donc là, j'ai réussi à faire la photographie de tous les jurés avec Kamel Daoud et son éditeur Antoine Gallimard. Il y a une autre année aussi où j'ai fait une photo un peu différente. C'était en 2011 où j'ai pris, entre guillemets, le risque d'aller chez un des éditeurs qui était sur la dernière liste du concours. En l'occurrence, chez Flammarion et c'était Michel Houellebecq. Encore une fois, j'ai réussi à me faire oublier chez Flammarion. Je suis allé jusque dans le bureau de Teresa Cremizi et j'ai réussi à faire la photographie quand Teresa Cremizy reçoit le coup de fil de chez Drouant comme quoi ils ont le prix Goncourt. Donc j'ai fait cette photo-là. Après, je suis vite redescendu. Je suis monté vite fait dans un taxi et je suis allé chez Drouant attendre l'arrivée de Michel Houellebecq. Et c'est, je pense, une année où le lauréat est passé par l'ascenseur des cuisines tellement il y avait de monde chez Drouant. Parce que Michel Houellebecq l'avait déjà loupé plusieurs années auparavant. Et donc là, cette année, c'était quasi sûr que c'était lui qui allait l'avoir. Et donc, il y avait beaucoup, beaucoup de presse. Et moi, j'étais déjà arrivé dans le salon Goncourt. Donc, en fait, j'ai réussi aussi à avoir la photographie de Michel Houellebecq au milieu de Georges Champrain, de Pierre Assouline et tous les autres jurés de Goncourt. Donc, dans les grands prix d'automne, Drouant n'est pas le seul restaurant iconique des prix littéraires. Il y a aussi le Café de Flore. Et le Café de Flore, c'est un nez à 30 ans. Donc, le Prix de Flore a été cofondé par Carole Chrétiennot, qui est la propriétaire, avec Frédéric Beighbeder, qu'on ne présente plus, en s'inspirant de l'identité du lieu du Café de Flore à Saint-Germain-des-Prés.

  • Speaker #1

    Il faut savoir que le Café de Flore a toujours été le lieu de résistance en tout, en art, en histoire. On disait toujours que les Deux Magots étaient le café des gens arrivés, posés, et le Flore du bruit, de l'insolence. Et en fait, quand j'en ai parlé à Frédéric il y a 30 ans, je me suis collée sur l'histoire de la bande à Prévert: Un attelage assez extraordinaire entre des cinéastes, des écrivains, des poètes, des philosophes. Et donc, ils étaient aux Deux Magots initialement, mais ils étaient si bruyants qu'on les a foutus dehors. Et évidemment, ils ont trouvé refuge où ? Au Flore. J'ai pris la photo de ça en disant à Fred, je veux qu'on monte un prix. Mais tu vois, ça, il fallait que ça soit la vie. Le contraire des cocktails littéraires où nous allions il y a 30 ans, très calmes... D'ailleurs, ensemble, on a créé la fête littéraire, puisque c'est devenu, voilà, une énorme fête.

  • Speaker #2

    Au prix de Flore, l'un des ingrédients, c'est le ballet des serveurs qui remplissent coupe de champagne sur coupe de champagne. Il y a un monde de dingue, au Flore, et une ambiance de dingue aussi. Et d'ailleurs, M. Delacroix, directeur général du Café de Flore, nous a expliqué quelques-uns de ses secrets. Oui, effectivement, avant d'arriver à ce ballet, qui caractérise quand même le service en général du Café de Flore, je pense que la clé, c'est de s'amuser de façon très professionnelle. Donc, il faut être hyper organisé, que ce soit pour le rôle de chaque garçon, également pour tous les musiciens qui interviennent au Café de Flore, de pouvoir répéter dans des conditions dignes de leur art. Tout se passe très joyeusement. Donc, de l'autre côté de la scène, c'est-à-dire rive droite, Le prix littéraire, c'est le prix Wepler Fondation de la Poste que Marie-Rose Guarnieri, la fameuse libraire des Abbesses, a créé en 1998. C'est un prix littéraire plutôt décerné à ce qu'on appelle, entre guillemets, des petites maisons d'édition. Et puis, c'est surtout une ambiance autre que celle de Saint-Germain-des-Prés, parce que là, c'est le Paris 18e. C'est plutôt la gouaille, les huîtres, le vin blanc. Marie-Rose Guarnieri va nous raconter comment elle a rattaché son prix à l'histoire culturelle des Cafés de Paris.

  • Speaker #1

    Dans la brasserie Wepler, quand je suis arrivée à Montmartre, c'est vraiment conjointement à la création de ma librairie que je me suis tournée vers le Wepler parce que c'est un café qui avait une histoire et une vie artistique dans ses murs. Il y avait Miller, les Américains à Paris, adoraient cette brasserie puisqu'il a écrit un livre qui s'appelle "Jour tranquille à Clichy". Il y avait les poètes du Chat Noir aussi, Aristide Bruant. Il y avait toute une histoire artistique autour de cette brasserie. Pour moi, c'était vraiment perpétuer cet esprit-là. Je voulais redonner aujourd'hui la place dans les arts qu'a eus cet artiste, cet arrondissement. C'est un lieu où vraiment ont émergé de très grands mouvements littéraires, de très grands mouvements artistiques, des gens qui étaient un peu immondins et un peu hors de l'institution, qui ont mis en œuvre un renouveau artistique absolument rayonnant.

  • Speaker #2

    Donc dans la liste des prix de l'automne, il y a un prix qui se distingue, c'est le prix Fémina. Alors le prix Fémina, jusqu'à il y a quelques années, était décerné dans un hôtel. Moi j'ai connu à l'hôtel Crillon, puis ensuite au club L'Interallié. Et depuis deux ans, je crois, deux ou trois ans, il est décerné au musée Carnavalet. Et donc Jérôme Tréca, responsable du mécénat au musée Carnavalet, nous explique pourquoi. En 2021, la remise du prix Fémina a eu lieu ici, entre autres à cause de l'exposition Marcel Proust. Puisque une des personnes intervenant dans le catalogue de l'exposition Marcel Proust était Evelyne Bloch-Dano. Evelyne Bloch-Dano est membre du jury du Prix Fémina. Il se trouve qu'à l'occasion de cette exposition, nous avons exposé la chambre d'Anna de Noailles. Et Anna de Noailles a été la première présidente du premier jury du Fémina en 1904. Donc il y avait une légitimité d'accueillir le jury du Fémina. Donc Jérôme Tréca, le responsable du mécénat, a des idées de mise en scène pour que le prix soit très photogénique et théâtral. On avait créé une petite mise en scène assez amusante avec Evelyne, c'est-à-dire qu'on invitait les gens à ce petit cocktail à 13h au 23 rue de Sévigné, donc dans l'entrée du musée. Et parallèlement, moi j'accueillais les trois lauréats et leurs éditeurs au 29 rue de Sévigné, ce qui permettait à personne de croiser les lauréats et de maintenir l'effet de surprise. Et on a un très grand escalier noir dans la première salle des enseignes et on installait les 12 membres du jury dans l'escalier qui proclamaient. Et moi, comme à la sortie de mannequin dans un défilé de mode, j'étais en haut de l'escalier et je poussais les lauréats pour qu'ils descendent et qu'ils soient présentés au jury. Donc en tant que photographe, et d'autant plus que moi je pratique ces prix depuis plus de 25 ans, on a aussi les oreilles qui traînent. On peut quand même récupérer quelques infos. Il y en a que je ne peux pas vous révéler. Il y en a d'autres que je peux vous révéler. Donc la confidence de cette année, c'est que le prix Renaudot a effectué deux votes. Comme certains lauréats étaient à la fois sur la liste du Renaudot et du Goncourt, si toutefois c'était le même pour le Renaudot que pour le Goncourt, ils avaient quand même un second choix pour que justement ce ne soit pas le même lauréat qui remporte à la fois le prix Goncourt et le prix Renaudot. Alors, autre info que je peux vous divulguer: c'est James Ney, le directeur de chez Drouant, qui nous a confié qu'il était déjà sur les préparatifs du menu 2025. Donc son menu est lié à une commémoration importante de 2025. Et si j'ai bien compris, cette commémoration est liée à l'histoire des femmes. Donc vous avez un an pour trouver le menu.

  • Speaker #1

    Le portfolio des grands prix littéraires de l'automne, signé Olivier Dion, est à retrouver dans le numéro de décembre de Livres Hebdo.

  • Speaker #0

    Les voix du livre

  • Speaker #3

    En chemin.

  • Speaker #1

    Nous sommes le 8 octobre 2024 à l'ombre du château de Vincennes et je m'apprête à entrer dans une librairie qui va bientôt fêter ses 45 ans, la librairie Millepages. Le directeur Pascal Thuot et le responsable -entre autres- du rayon scientifique Malik Rumeau, nous ont demandé d'attendre la fin du Festival America pour avoir le temps de nous accueillir. Bonjour ! Bonjour Pascal, bonjour Malik.

  • Speaker #4

    Bonjour,

  • Speaker #1

    bonjour. Pascal, on est au lendemain du Festival América, on va commencer par ça, vos impressions à chaud ?

  • Speaker #4

    Écoutez, c'était plutôt une réussite, on est très content de l'affluence, très content de la qualité des débats, puisque pour la première fois le Festival América invitait 9 pays européens pour dialoguer autour des grandes problématiques qui sont les nôtres avec une quarantaine d'auteurs américains. Donc ça a créé en fait des rencontres assez nouvelles, donc voilà, que du positif.

  • Speaker #1

    Le Festival América, vous y êtes très attachés, très liés, puisqu'il a été créé par le fondateur de la librairie Millepages, Francis Géffard. Est-ce que vous pouvez parler de la création de ce lieu et de l'histoire de ce lieu ?

  • Speaker #4

    Oui, bien sûr. Au départ, c'est le projet d'un jeune homme qui veut ouvrir une librairie dans une ville qui en compte déjà plusieurs. Ça n'est plus le cas aujourd'hui. Et lui, son rêve, c'était de donner à la littérature la possibilité d'être incarnée différemment. Ce qu'il faut savoir, c'est que la librairie, avant 1980, ça reste un lieu très régi par des codes. La plupart du temps, les gens n'ont pas le droit de toucher les livres. Le libraire est un peu une sorte de personnalité locale très importante, respectée, parfois crainte. Et donc, lui, il a un peu cassé ce code-là en introduisant notamment l'idée des notules sur les livres. Alors après, ce qui est assez amusant, c'est que cette librairie, au départ, était une librairie de littérature, mais aussi une librairie où des gens plus tradis venaient chercher des objets pieux, des rosaires, des micelles, des choses comme ça. Il a eu une éducation catholique assez approfondie, Francis. Voilà, c'était un lieu mixte où on pouvait à la fois découvrir les premiers livres d'auteurs américains qui sont aujourd'hui considérés comme des géants de la littérature et en même temps, cette imprégnation d'une communauté locale. Il y avait plusieurs paroisses ici qui étaient très actives. C'est comme ça qu'est née Millepages, dans un petit local qui aujourd'hui n'est plus du tout une librairie, à quelques centaines de mètres d'ici, qui faisait un petit peu moins de 50 mètres carrés. Il y avait un écureuil en vitrine qui faisait office un peu de mascotte de la librairie. C'était un lieu comme il n'en existait pas encore à l'époque. La précarité économique de la librairie a bien failli lui coûter son existence dans les premières années de cette librairie. Mais en fait, il naissait au début des années 80 dans le sillage de la loi sur le prix unique, une institution qui s'appelle l'ADELC, l'Aide au Développement Économique de la Librairie de Création, donc financée par des éditeurs qui, en mutualisant leurs moyens, permettaient ensuite à des projets de libraires, d'agrandissement, de modernisation, d'extension des fonds, d'être financés. Et ça, c'était une nouveauté. Et Millepages a fait partie des premières librairies aidées par l'ADELC. C'était cette première expérience d'une librairie indépendante qui réussissait à développer sa capacité à recevoir du public, à créer du catalogue grâce à l'adhésion et au soutien des éditeurs indépendants. À l'époque, c'était Gallimard, c'était Le Seuil, les éditions de Minuit. Finalement, rien n'aurait été possible sans cette possibilité-là. Moi, je suis arrivé en 99. Francis m'a appelé. On se connaissait depuis quelques années déjà. On s'est rencontrés autour de la littérature nord-américaine, puisque lui a inauguré sa collection Terre d'Amérique et avant ça, Terre indienne, au début des années 90. Et c'est là que moi, j'ai commencé en librairie. Et comme j'avais un tropisme assez important pour la littérature étrangère d'une façon générale et la littérature américaine en particulier, évidemment, ses premiers textes, qui sont pour moi des textes très importants, ça a été capital, en fait, dans ma démarche à moi aussi.

  • Speaker #1

    C'est une sacrée transmission quand même qui s'est passée à ce moment-là pour vous, j'imagine. Qu'est-ce que vous avez gardé en tant que directeur, même comme esprit des lieux ?

  • Speaker #4

    Je crois qu'on a gardé l'essentiel, c'est-à-dire que cette librairie, elle devait rester proche de ses clients. Malgré le fait qu'elle ait grandi, grossi en chiffre d'affaires, l'idée c'était de ne pas perdre cet objectif.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous diriez qu'il y a quelque chose qui est resté de ce rapport à la foi et à la spiritualité qu'avait Francis Géffard ?

  • Speaker #4

    Alors moi, personnellement, pas vraiment.

  • Speaker #1

    Pascal Thuot?

  • Speaker #4

    Alors, moi, je suis un mécréant. Mais en même temps, forcément, nous, on n'est qu'une partie du tout. Une librairie, c'est à la fois les libraires qui en sont les animateurs et en même temps les gens qui en sont les usagers. Donc forcément, il y a des petits échanges moléculaires qui se font en termes de pensée, qui sont riches et qui alimentent.

  • Speaker #1

    Une dernière question sur la librairie. Le fait d'être à Vincennes, vous en avez un petit peu parlé par rapport au festival. Est-ce qu'il y a d'autres choses que ça change par rapport au fait d'être au cœur de Paris ?

  • Speaker #4

    Alors oui, ce qui change par rapport au cœur de Paris, c'est que justement, on est un peu à l'écart. Et ça a plutôt des avantages. C'est-à-dire qu'on est un petit peu moins visités par les éditeurs qui viennent vérifier que leurs livres sont bien en place. On est quand même un peu préservés de ça. Après, c'est aussi la possibilité d'évoluer dans des surfaces qui sont quand même un peu plus importantes que celles dont on pourrait bénéficier à Paris. Et puis, il y a une sorte d'osmose entre la librairie et la ville où elle a grandi. On nous a souvent proposé de nous intéresser à des dossiers de reprises de librairie dans d'autres villes. Et finalement, ça ne nous a jamais intéressés parce qu'en fait, la copie ne ressemblera jamais à l'original. Et comme on n'est pas à la recherche d'un développement économique et qu'on n'a pas spécialement envie de créer un empire, on a décidé de rester très implantés ici. Il y a un auteur de littérature que j'adore qui s'appelle Mario Rigoni Stern, qui est vraiment un écrivain italien de l'enracinement. Mais ce ne sont pas des racines qui moisissent, ce ne sont pas des racines qui l'empêchent de regarder celui qui vient. C'est juste l'endroit où, comme un aimant, il retrouve sa place. Et je dirais que c'est un peu ça aussi une librairie. Elle a des racines et ces racines sont importantes puisqu'elles racontent une histoire, elles racontent les liens entretenus avec une histoire un peu plus grande. On ne réinvente rien si on ne sait pas ce qu'il y a eu avant.

  • Speaker #1

    Pour ce podcast, Livres Hebdo, en partenariat avec les éditions Dunod, pousse la porte des libraires pour les écouter décrire leurs enjeux, décrypter les tendances éditoriales du moment et partager leurs coups de cœur. La Maison Dunod publie des ouvrages de non-fiction sous les éditions Dunod et Armand Collin, pour rendre le savoir accessible au grand public, aux professionnels et aux étudiants. Nous sommes de retour avec Pascal Thuot et Malik Rumeau, mais je me tourne surtout cette fois vers Malik Rumeau pour nous parler de l'un de vos rayons, de l'une de vos spécialités, la science.

  • Speaker #2

    Moi je suis un peu comme la plupart des gens, j'aime la musique mais je ne sais pas la lire, dans le sens où je ne lis pas les maths. La science m'a toujours intéressé depuis que je suis enfant. Ça fait partie, je pense, de la curiosité qu'on a sur les choses, sur le monde. Dans une librairie comme celle-là, il y a plusieurs publics. Sur la question de la science, vous avez des chercheurs qui viennent chercher du livre. Vous avez des gens qui vont demander des ouvrages de science pour des adolescents de 14 ans, 15 ans. Donc des choses vraiment très, très, très grand public. Et puis, ce qui est plutôt quelque chose qui, moi, va me concerner, c'est la question des récits. Et je pense que ça n'engage que moi, qu'un livre de science grand public réussi, c'est un livre qui arrive à produire un récit, qui peut convoquer un imaginaire qui n'est pas uniquement un imaginaire scientifique, mais aussi qui est un imaginaire qui va peut-être essayer de rassembler autour de la poésie, autour de la peinture, autour du voyage. Par exemple, il y a un auteur qui a beaucoup retenu mon attention, c'est Guido Tonelli, qui est édité chez les éditions Dunod, qui a écrit Genèse, Temps, et le dernier qui va bientôt sortir, qui est Matière, qui à chaque fois arrive à articuler des questions scientifiques et philosophiques dans un grand récit. Autre chose dans ce genre-là, vous avez Yann Mambrini avec La Nouvelle Physique, qui par ailleurs est magicien aussi, et qui fait de l'astrophysique, qui fait de lien avec la physique fondamentale et la physique expérimentale, qui était publiée chez Albin Michel. Et puis, là, un autre ouvrage assez ancien, qui s'appelle Cybernétique et Société, de Wiener, qui est un ouvrage vraiment de fond et qui pose les fondamentaux de la science de l'information, de la cybernétique. On découvre la pensée systémique, on découvre la pensée complexe, et on voit à quel point cette pensée cybernétique a infusé dans un grand nombre de sciences et de pratiques.

  • Speaker #1

    Merci aux éditions Dunod pour cette séquence de transmission des savoirs. Pascal, Malik, qu'est-ce qu'on peut souhaiter à la librairie Millepages pour l'avenir, pour les années qui viennent ?

  • Speaker #4

    Vaste question, si vous voulez. Moi, je suis plutôt un pragmatique, donc je serais plutôt tenté d'être assez simple dans mon souhait. C'est-à-dire qu'il nous reste encore quelques années à tirer pour atteindre le grand âge, donc au moins qu'on puisse jusque là continuer de porter notre bannière. Après, ce qu'on peut souhaiter, c'est que le volume de lecteurs cesse de subir cette embolie assez préoccupante. Je suis très préoccupé par le paysage tel qu'il est en train de se dessiner aujourd'hui. C'est-à-dire avec surproduction, une embolie de lecteurs et une concurrence très marquée de loisirs qui éloignent les gens de la lecture. Si vous voulez, la formule du souhait, elle est sympathique. C'est comme la formule du génie dans la lampe magique. Il faut frotter pour qu'il apparaisse. Je ne sais pas très bien ce qu'il faudrait frotter pour qu'apparaisse la possibilité d'une vraie discussion, pour penser l'avenir. Il y a plein de choses à imaginer et pour l'instant, je n'ai pas l'impression qu'on y aille. Sinon, la création, elle reste très intéressante, très stimulante.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'on peut imaginer quand même une fête pour les 45 ans ?

  • Speaker #4

    Ouais ! Carrément, il faut faire la fête. Pour oublier tout ça.

  • Speaker #2

    Avec plaisir.

  • Speaker #1

    Merci Malik.

  • Speaker #2

    Merci à vous.

  • Speaker #0

    Les Voix du livre. En haut de la pile.

  • Speaker #1

    C'est la troisième partie de cet épisode, la rubrique en haut de la pile, consacrée ce mois-ci à Beyrouth, à l'occasion du tiré à part spécial Beyrouth, porté par les équipes de Livres Hebdo, qui sera distribué avec le mensuel de décembre. Alexandre Mouawad, rédacteur en chef adjoint de Livre Hebdo, tu as dirigé ce hors-série, qui au départ devait être distribué pendant le festival Beyrouth Livres, mais l'histoire en a décidé autrement.

  • Speaker #0

    Un hors-série qui devait être distribué plus précisément pendant la journée professionnelle qui n'a pas plus eu lieu que le festival. Aussi, collectivement, avec Livres Hebdo et l'Institut français de Beyrouth, nous avons décidé de sortir quand même ce numéro, mais différemment, et d'essayer de rendre compte, à notre niveau, des impacts de la guerre sur le monde du livre libanais, déjà par respect pour ce qu'on pourrait appeler l'interprétation internationale, et pour rendre hommage aux professionnels libanais ainsi qu'à ses littératures. Nous sommes aujourd'hui même en train de le boucler, je viens de recevoir la dernière réponse à la dernière question que je pose à Mathieu Diaz dans l'entretien qu'il y a au début. Elle est superbe, c'est peut-être le plus beau texte du numéro. On espère que les événements qui nous séparent de sa parution, qui sera le 28 novembre, ne rendront pas ce numéro inadapté. C'est une vraie question de presse qui nous a suivi tout au long de la confection de ce numéro. On a lancé il y a presque six mois, mais en ce moment les temps changent très très vite.

  • Speaker #1

    C'est un numéro que tu boucles avec émotion, on le sent. On va découvrir les invités du jour, mais avant cela, la parole au rédacteur en chef de Livres Hebdo, Jacques Braunstein. Quel est le chiffre du mois ?

  • Speaker #0

    Le chiffre du mois, c'est 95 millions d'euros. C'est ce qu'ont rapporté les livres vendus grâce au Pass Culture en 2023. Je vous en parle parce que dans le PLF, le projet de l'Ouest Finance, on sent que le Pass Culture est un peu remis en cause, il y a eu une sorte d'offensive de certains médias et d'autres domaines culturels, le spectacle vivant pour ne pas le nommer, contre le Pass culture, disant que est-ce que les jeunes achètent vraiment les bons livres, pourquoi ils ne vont pas au spectacle vivant, pourquoi, plus le livre que le cinéma est-ce que ça touche vraiment les bons jeunes bref, tout un tas de questions qui sont légitimes, mais qui sont un petit peu inquiétantes parce que si on réduisait par exemple la part du livre dans le pass culture de moitié, sachant qu'aujourd'hui, le pass culture et les livres qui sont vendus grâce à lui, c'est 2% du marché du livre. Si vous réduisez, par exemple, les montants du passe-culture de moitié, ça fait 1% en moins. 1% en moins, c'est énorme dans un métier, les libraires le savent bien, où les marques ne sont pas énormes, sachant que pour certaines librairies et certains de nos auditeurs, c'est 1%. Le pass culture, c'est 5-10% de leur chiffre d'affaires. Donc, il est normal que la filière se mobilise pour qu'on réduise au minimum le pass culture. Et c'est l'occasion de rappeler que c'est quand même plutôt un bon dispositif qui a emmené beaucoup de jeunes qui n'y étaient jamais allés vers les librairies. Et que même si on a caricaturé le pass culture en disant c'est le pass manga, la plupart des jeunes, ils rentrent dans la librairie peut-être pour acheter un manga et ils achètent. Ce livre-là, un autre, d'autres livres. Et donc, on a très envie de défendre le passe-culture et de s'y accrocher un petit peu.

  • Speaker #1

    Merci Jacques. Retour à Beyrouth. Alexandre Mouawad, tu as invité autour de la table aujourd'hui Joseph Ghosn. Bonjour Joseph. Bonjour. Tu es journaliste, tu as dirigé Vanity Fair, Les Inrocks, Grazia. À tes côtés, Philippe Azoury. Bonjour Philippe. Bonjour. Tu es critique de cinéma, tu as enseigné le cinéma à la Sorbonne et à Beyrouth. Vous avez tous les trois des liens très fort avec le Liban. La chanteuse libanaise Fayrouz, qui était surnommée l'âme du Liban, chantait "Kifak enta", qui veut dire "Et toi, comment ça va" en arabe ? Première question à tous les trois. Et vous, vos proches, comment ça va ? Joseph ?

  • Speaker #3

    C'est une bonne question. C'est une question qu'on se pose tout le temps, en ce moment. C'est une question à laquelle, je crois, il y a plusieurs réponses évidemment, la première est une réponse assez collective et une réponse un peu de "façade" qui est tout va bien, forcément tout doit bien aller. D'autant plus que de là d'où nous parlons, c'est-à-dire à Paris, forcément on est mieux qu'ailleurs, c'est-à-dire qu'on n'est pas sous les bombes. Ensuite, cette question elle renvoie à tout à fait autre chose en fait, parce que vous citez la chanson de Fayrouz, et la chanson de Fayrouz c'est une chanson assez particulière. Ce kifak enta de Feyrouz c'est un Kifak enta qui est écrit à la fin de la guerre. C'est un morceau qui, à chaque fois que je l'écoute, me rappelle l'ambiance, notamment de mes parents pendant la guerre. Et c'est aussi un morceau qui a fait scandale, parce qu'on en parlait il y a quelques jours avec des amis. C'est un morceau dans lequel Fayrouz prend un accent qui n'est pas son accent habituel. Et Fayrouz prend un accent un peu palestinien. Et donc elle englobe quelque chose d'un peu plus général. Et que donc la question comment vas-tu ? elle n'est pas uniquement adressée à nous, elle est adressée à nous en tant qu'individu. ou en tant que Libanais, elle est adressée à nous en tant que peuple aussi, puisque nous sommes aussi ça, et aussi au fait que nous faisons partie non seulement d'un pays, mais aussi d'une région, je crois. Donc comment ça va ? Ouais, moi ça va. Mais pour le reste... On verra.

  • Speaker #1

    Philippe ?

  • Speaker #5

    À la fois, je suis totalement d'accord avec Joseph et je veux dire exactement l'inverse. C'est une question qui est devenue... D'abord, je suis très content que vous la posiez parce que personne ne nous la pose en France. La question n'intéresse pas, manifestement, de savoir comment on va. Ce qui rajoute à l'abandon à la fois des Libanais au Liban, mais des Libanais ailleurs, politiques ou même amicales, on va dire. C'est une question qui est devenue totalement obsolète. On ne peut plus tout y répondre, non pas depuis deux mois, mais depuis un an. Il y a un narratif, si vous voulez, israélien, qui voudrait décorréler le destin d'abord des Palestiniens avec celui des Libanais, puis ensuite le sud du reste du Liban, puis la banlieue sud de Beyrouth avec Beyrouth. Mais on voit bien que la logique fait que tout ça se rapproche et qu'aujourd'hui aucun Libanais ne peut se dire ou en sécurité ou épargné de ce qui serait un nettoyage ethnique. En fait, non, ça ne va pas. Ça ne va pas du tout et politiquement, ça va de mal en pire. Les élections américaines ne donnent pas de signe. Il n'y a pas de quoi se réjouir, disons. Mais en tout cas, merci de l'avoir posé. C'est si rare.

  • Speaker #1

    Alors, on l'a dit, ce hors-série comme ce podcast permettent de compenser l'impossibilité pour les professionnels du livre de se réunir comme chaque année au Festival Beyrouth Livres. qui n'a pas lieu. Vous êtes donc venu avec des livres qui vous tiennent à cœur sur le Liban. La parole est à toi, Joseph Ghosn. Tu nous présentes une poétesse syro-franco-americano-libanaise.

  • Speaker #3

    Oui, enfin, c'est surtout Etel Adnan.

  • Speaker #2

    Un monument.

  • Speaker #3

    Un monument. Etel Adnan est une artiste, plasticienne, peintre, poète. Elle a écrit beaucoup de textes. Elle a été découverte plutôt tard dans sa vie, dans les années 2000. Le texte dont je voudrais parler, c'est un texte que j'aime beaucoup, qui s'appelle Grandir et devenir poète au Liban C'est une conférence qu'elle a donnée en 1986 et qui est devenue un texte comme certains de ses livres. C'est un livre que je mets en perspective avec un autre livre d'un photographe qui s'appelle Fouad Elkoury, et ce livre-là s'appelle Beyrouth, aller-retour. Le livre d'Ethel Adnan raconte vraiment son enfance. En gros, le livre va de 1925 à 1949. c'est l'enfance d'une jeune femme qui grandit à Beyrouth. Elle découvre le français, elle découvre la littérature, elle découvre aussi son premier amour pour une femme. Et donc il y a toutes ces choses qui sont en train de se former et on comprend à travers ce qu'elle écrit ce que c'est que le Liban dans ces années-là. C'est-à-dire un Liban qui est un pays en train d'être formé, un pays qui a été inventé par la France d'une certaine façon, un pays qui traverse aussi la Deuxième Guerre mondiale et avec beaucoup de désirs d'ailleurs. Et on voit chez Etel Adnan quelque chose que moi j'ai pu voir chez mes grands-parents ou chez mes parents ou bien avant la guerre. C'est-à-dire cette idée de se dire de quel monde faisons-nous partie et où est-ce que nous pouvons aller. Je le mets en écho avec le livre de Fouad Elkoury parce que le livre de Fouad Elkoury part quasiment de ce truc-là où Fouad ElKoury est un jeune architecte qui a fait ses études à Paris, qui revient au Liban, qui fait aussi la photographie et qui se retrouve en 1975 au début de la guerre en train de se dire mais qu'est-ce qui se passe ? Et qu'est-ce que je fais ? Et qu'est-ce que je deviens ? Son livre raconte en images. D'abord, toute la guerre et notamment les années 1982 pendant l'invasion israélienne. Et surtout, il y a des textes dans ce livre qui ponctuent les images. Et en relisant ces textes, j'avais l'impression de lire des textes qui parlaient d'aujourd'hui. C'est-à-dire des textes de gens qui seraient à Beyrouth sous les bombes et qui disent on ne sait pas ce qui se passe, on essaie de vivre quand même. Et c'est très, très difficile. Et vous tournez une page, puis d'un coup, il vous parle d'une soirée, puis vous tournez une page. Et le lendemain, il vous dit tous les gens avec qui j'étais hier soir sont morts. Donc, on est vraiment pris dans cette même... En tout cas, il y a quelque chose qui, moi, m'a évoqué cette impression que j'ai depuis plusieurs mois, qui est que j'ai l'impression d'être dans une boucle, parce qu'en 1982, j'étais à Beyrouth pendant cette invasion-là, j'étais un gamin. Et donc j'ai l'impression de revivre tout ça en boucle et que la seule chose qui a changé, c'est que l'armement est beaucoup plus puissant. Et encore, quand on lit ce qu'écrit Fouad Elkoury, on se rend compte que tout a été démoli de la même façon. Et que les immeubles ont été détruits de la même façon, et que les ruines sont les mêmes, et que les gens sont détruits de la même façon. Donc voilà, je voulais vraiment parler de ces deux livres-là comme un écho l'un à l'autre. A la fois dans cette idée, qu'est-ce que c'est qu'être libanais, mais aussi beaucoup de ce désespoir qui depuis 50 ans fait partie de nos vies.

  • Speaker #1

    Philippe ?

  • Speaker #5

    Oui, c'est deux textes que j'aime beaucoup. Énormément. Le livre de Fouad, moi, c'est un livre qui m'a énormément accompagné. C'est un livre que les Cahiers du cinéma avaient sorti en 84-85. C'est un livre que j'ai toujours trouvé actuel, je suis comme Joseph. Quand on l'a lu, je me souviens qu'on l'avait lu ensemble en 2006, au moment d'une précédente guerre, c'est infini mais c'est toujours comme ça, ça nous semblait déjà être le livre, totalement le journal, la main courante de ce que nous, on vivait. J'ai pas eu la curiosité de l'ouvrir là, ces derniers temps. Peut-être que je n'arrive plus à lire aussi, c'est possible, depuis deux mois. Je ne sais pas, mais j'ai des souvenirs très très forts de ce texte-là.

  • Speaker #1

    "Beyrouth, aller-retour" de Fouad ElKoury, c'est donc paru au Cahier du cinéma en 1984 et "Grandir et devenir poète au Liban" de Etel Adnan, paru aux éditions de Les Echoppes, en 2019. Philippe Azoury, c'est à toi. Tu as toutes les peines à lire depuis deux mois, on le comprend, mais tu nous parles d'un récit-enquête.

  • Speaker #5

    Oui, j'ai non seulement des peines à lire, je suis celui qui a élu un livre de 600 pages. Et d'ailleurs, je ne vais pas mentir, je ne vais pas spoiler ce livre, parce que d'abord, spoiler, c'est mal. Mais surtout, il me reste 200 pages à lire.

  • Speaker #1

    Je suis donc en cours de lecture.

  • Speaker #5

    Je suis en cours de lecture, mais je suis quand même assez bien avancé. Et en partie aussi, mais c'est un livre que je n'ai pas du tout voulu lire en diagonale, comme on dit. Déjà parce qu'il me passionne, parce qu'il fourmille de détails. Mais c'est un livre qui a pris 10 ans à s'écrire. Marwan Chahine, lui aussi, travaillait pour Libération. Quand j'ai quitté L'Obs, il a écrit un texte, justement, quelques textes quand il était correspondant au Caire pour Libé, notamment une commande sur le 13 avril 1975, l'attaque qu'on appelle Al-Bosta, le bus, c'est-à-dire cette attaque massacre d'un bus contenant des fédéines palestiniens par des miliciens kataïbes, phalangistes chrétiens, le 13 avril 1975, et qui est considérée par les historiens comme l'étincelle qui a mis le faux poudre d'une guerre civile qui va durer jusqu'en 89-90. Et donc voilà, j'ai toujours raté Marwan Chahine, parce que quand il était à l'office pour ce papier, j'y étais déjà plus. J'aimais beaucoup ses papiers au Caire, je trouvais qu'il y avait une approche que je retrouve dans ce livre-là. Il y a quelque chose chez lui qui n'est jamais surplombant, parce qu'il avoue tout, c'est-à-dire qu'il est d'une famille franco-libanaise, il ne parle pas arabe, il le parle mal. Et en plus, il l'a appris au Caire, et l'arabe du Caire et l'arabe de Beyrouth, c'est absolument pas du tout la même chose. Et quand il quitte le Caire et Libération avec un peu de thunes, il arrive à Beyrouth un peu comme de juste, parce que sa famille est là, un peu comme en retour aux sources, sans du tout savoir ce qu'il va faire. Et puis bon, il faut vivre, donc il propose, ça va être les 40 ans du 13 avril, donc c'était il y a 10 ans, et donc il propose ce papier, et il commence à rencontrer les gens, parce que cet événement, cet événement du bus, ne cesse d'être la cicatrice à partir de laquelle chacun se renvoie la balle en disant c'est vous qui avez commencé. Et évidemment cette histoire de qui a commencé, elle est infinie, et on se prend les pieds dans le tapis. Mais surtout cette histoire du bus, on la connaît pas bien. On sait pas combien il y a eu de morts. Il n'y aurait pas de survivants, au bout de 300 pages il en est déjà à 12 ou 13. Tout le monde a vu la scène, tous les grands artistes libanais étaient tous là. Ils avaient tous 5 ans, ils étaient tous en train de jouer autour. Tout le monde a vu la scène, puis tout le monde l'a vu différemment. Et puis même à l'intérieur des entretiens qu'il arrive à déplier, sur 10 ans, de fil en aiguille, de rencontre en rencontre, des gens lui disent un truc en début d'entretien, mais qui lui disent le verre, c'est la fin de l'entretien. Tout va bien, c'est le Liban. C'est comme ça. Et en fait, ça rappelle cette... Je sais pas si vous vous souvenez, il y a un sketch des inconnus, au début de la fin des années 80, qui était génial, où un faux Guillaume Durand demandait à l'un des inconnus, qui est aujourd'hui, de raconter la situation en deux coups de cuillère à peau, et le type se lançait dans un tunnel de 12 minutes, et ça rappelle ce... Je sais plus qui était le mot, mais c'est devenu canonique. Si vous avez compris quoi que ce soit à la guerre du Liban, c'est qu'on vous l'a super mal raconté. Et c'est exactement le livre de Marwan, c'est-à-dire que si vous avez compris quelque chose au 13 avril 75, un, c'est qu'on vous l'a mal raconté, mais à lui, tout le monde lui raconte mal, il ne raconte pas mieux, mais il a cette humilité géniale de mettre les mains là-dedans, et finalement, à la façon d'un enquêteur, il y a un côté d'acheter la mètre chez lui, de faire un roman policier avec un imbroglio politique dans un pays qui est un puzzle, où personne n'a vu la même chose. Chacun vient avec son fantasme et aussi avec sa croyance politique. Et puis il est totalement obsessionnel. Et moi j'adore ça. Et on ne fait pas pour rien un livre de 500 pages. Ce n'est pas juste pour en foutre plein la vue ou parce que ça a pris 10 ans. Mais c'est que le moindre détail le rend dingue. Et il voit toujours qu'il manque une pièce de puzzle. Et il faut qu'il y aille. Et il faut qu'il déplie. Il faut qu'il déplie. Et c'est une démonstration d'humilité et d'intelligence à tous les endroits.

  • Speaker #1

    Merci Philippe. Je crois qu'Alex, tu as aimé aussi ce livre, il me semble.

  • Speaker #0

    Oui, ce que montre ce livre, il me semble, c'est un truc que je constate le plus fort. Jour après jour, moi qui me plonge dans cette histoire depuis que je suis allé dans le pays de mon père pour la première fois l'année dernière, à l'occasion du festival Beyrouth Livres, c'est qu'une sorte de série de hasards objectifs, et puis quelque chose qu'on trouve dans un film que j'ai vu jeudi dernier, qui est un complément, voire une suite du livre de Marwan Chahine justement, en parlant de hasards objectifs, qui s'appelle Diaries from Beyrouth. En arabe, le titre signifie "Comme une histoire d'amour". Et dans ce film-là, on filme quelqu'un qui serait à l'origine de l'attaque du bus. Et qui, comme beaucoup de Libanais, porte le prénom de mon père, Georges. C'est d'ailleurs la dernière image de ce film qui va commencer notre hors-série avec cette phrase "Maudit soit celui qui a maudit ma terre". Je peux dérouler comme ça une série de moments de grâce, comme ça, infiniment. Mais dans ce film, il y a aussi autre chose, c'est qu'elle dit Les Libanais ont peur de leurs rêves Est-ce que c'est vraiment du surréalisme malgré soi ? Disons qu'on est des surréalistes malgré nous. Et en parlant de rêve, voilà justement par une sorte d'association d'idées que me permet la fatigue liée au bouclage de ce numéro. J'ai pensé à quelques pistes comme ça. J'avais le livre d'un grand ami qui a fait la couverture du numéro et qui s'appelle À contre-jour, qui est épuisé, comme nous tous, chez une maison d'édition qui s'appelle De l'incidence, tu parlais d'incident tout à l'heure. Il raconte peut-être ce qui a été, sinon le dernier rêve, disons plus honnêtement, la dernière utopie libanaise, la taura, ça veut dire la grande mobilisation citoyenne, toute religion confondue, qui n'a jamais connu le Liban, qui a cru pouvoir rembourser un pouvoir qui n'en avait strictement rien à faire, qui a été interrompu par tous les désastres qu'on connaît au Liban. Toujours est-il que dans ce sorte de journal de Bord, il note les fragments de ses pensées, de son enthousiasme, de comment lui porte une certaine idée de la révolution par des envies de solidarité, d'amitié, de sentiments, de la beauté qui peut exister entre les êtres. Enfin, je voudrais parler par le biais d'un autre ami auquel je parle un peu moins ces derniers temps mais avec qui j'ai parlé, rencontré, en quelque sorte, le Liban il y a 10-15 ans, c'est Sabir Houssoub. J'ai trouvé ce livre, c'est un livre de la photographe Orianne Ciantar Olive, qui s'appelle Les Ruines Circulaires, et qui est paru chez Dunes Éditions, et qui est donc préfacé par Sabir Houssoub sur une page, mais très belle, qui s'appelle Le Soleil Brille, encore ici, et où il est question de ce personnage, Nabil. Nabil, ça fait Liban à l'envers. Et je voudrais simplement lire la fin. Nabil la retient sans même le vouloir, il en a toujours agi ainsi avec ses amants et ses amantes, c'est plus fort que lui. Orianne lève les yeux au ciel, le soleil l'éblouit, mais elle ne baisse pas le regard, elle l'observe, elle le fixe, et malgré tout le poids du monde, se dit-elle, ce poids du monde que les poètes, les écrivains et les artistes de ce pays ont déjà décrit, peint, photographié, filmé, chanté, et continueront à décrire, peindre, photographier, filmer et chanter, malgré tout ce poids du monde, se dit-elle, le soleil brille encore ici.

  • Speaker #1

    Merci Alexandre. Donc c'était tiré de Les ruines circulaires d'Orianne Ciantar Olive, paru chez Dunes Éditions. Est-ce que tu peux rappeler les deux autres titres que tu as évoqués ? Il y avait Diaries from Lebanon.

  • Speaker #0

    De Myriam El Hajj. Et l'autre, c'est un livre épuisé. Donc voilà, un livre épuisé, un film à paraître, je suis désolé. C'est À contre-jour de Hassan Sallab chez De l'incidence, éditeur.

  • Speaker #1

    À mon tour, mon coup de cœur est une BD qui s'appelle Beyrouth malgré tout. Elle est signée Sophie Guignon et Chloé Dommat, deux journalistes correspondantes au Liban. Elle est illustrée par Kamal Hakim, qui a lui aussi dessiné l'ouverture du hors-série. Oui,

  • Speaker #0

    il a dessiné l'ouverture de ce hors-série, un hommage à Jocelyne Saab.

  • Speaker #1

    Et cette BD raconte l'histoire du Liban de 1950 à aujourd'hui à travers la vie d'un homme, un médecin célèbre pour son engagement humanitaire qui s'appelle Robert Sassi. Ce pédiatre libanais a vraiment vécu, il est mort d'une crise cardiaque juste avant la parution de cet album, il n'a pas pu lire ce livre qui est devenu donc un hommage à sa mémoire. Alors qui est Robert Sassi ? Je vous réponds en adoptant le point de vue de Sophie et Chloé, les deux autrices de ce livre, puisque tout est raconté à travers leur point de vue et à travers le coup de crayon très émouvant de Kamal Hakim. On est entièrement plongés dans leur récit, les questions qu'elle lui pose sur le pays, sur la guerre, sur son passé à lui, les raisons profondes de ses engagements, les conséquences des événements et de la crise économique sur sa vie. Elle noue une relation avec lui et avec sa famille, elle le taquine au passage sur son style de bon papy avec ses bretelles et ses lunettes ovales. Elle s'attache à lui et elle l'écoute attentivement parce qu'il en a vécu des choses Robert. Il est né en 1950, âge d'or du Liban, comme il dit. Il se rappelle de la frénésie culturelle de l'époque. Et puis, le tournant de la guerre civile dès 1975, la reconstruction dans les années 90, la crise économique terrible en 2019, qualifiée par la Banque mondiale comme l'une des pires crises récentes au monde. Et peu de temps avant, le docteur Sassi devient acteur de l'histoire du pays en créant, en 2016, le premier service publique de pédiatrie à Beyrouth, salutaire à une période où les Libanais n'ont plus le moyen de se soigner dans le privé. Pendant que Dr Sassi raconte son histoire à Chloé Dommat et Sophie Guignon, sa famille est autour de lui à interrompre le récit pour proposer du café, à lui rappeler d'autres souvenirs, parfois plus gais, parfois épouvantables. C'est un récit extrêmement vivant, personnel, poignant, un concentré d'humanisme et d'histoire en temps réel, et surtout une fenêtre sur cette guerre et ses conséquences sur la population comme on ne la voit jamais. La BD s'appelle Beyrouth malgré tout. Je vous conseille aussi le film qu'elles ont réalisé pour Arte, "Liban: dans le chaos des hôpitaux", qui a été nominé pour plusieurs prix. Merci Philippe Azoury, merci Joseph Ghosn, et merci Alexandre Mouawad. Rendez-vous pour découvrir ce hors-série, titré "Beyrouth quand même", récit d'un monde du livre en guerre. Merci à tous les trois.

  • Speaker #2

    Merci à toi,chère Lauren.

  • Speaker #1

    C'était Les Voix du Livre, le podcast mensuel de Livres Hebdo présenté par Lauren Malka. À la musique, Ferdinand Bayard. Si vous avez aimé cet épisode, abonnez-vous au podcast Les Voix du Livre et envoyez-nous des tas de cœurs et d'étoiles. À bientôt !

Chapters

  • Introduction

    01:17

  • En ouverture: Remise des prix littéraires: une évasion entre mots et saveurs

    01:42

  • En chemin: à la découverte de la librairie Millepages

    13:46

  • La clique critique de Livres Hebdo

    24:42

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