- Speaker #0
Moi, je dis batteuse, ouais. Après, ce qui est un peu rigolo dans notre langue, c'est que souvent, quand tu as un métier au masculin, quand tu le passes au féminin, ça devient un objet.
- Speaker #1
Fermez
- Speaker #2
les yeux, Luc. C'est le podcast qui écoute la lumière. Je m'appelle Lucie Brasseur, je suis journaliste, entrepreneur, écrivain, militante et maman.
- Speaker #3
Dans ce quatrième épisode, je rencontre Anne Paceo. Batteuse de jazz autant que défricheuse, Anne enchaîne les premières fois au féminin dans l'histoire du jazz. Pourtant, ici, nous avons surtout parlé de musique, car comme le répétaient les joueuses de foot interrogées lorsque j'ai écrit l'essai MiFoot pour en finir avec les machos du foot, l'égalité sera atteinte quand il ne sera plus question que de la discipline pratiquée. Le foot comme la musique. Ainsi, si j'ai eu envie de vous la présenter, c'est avant tout parce qu'en écoutant sa musique, j'ai pleuré. Vous venez ?
- Speaker #2
Dans la plupart de tes bios,
- Speaker #3
je vois écrit batteur Toi, tu dis batteuse
- Speaker #0
Moi, je dis batteuse ouais. Au tout début, il y avait des journalistes qui m'ont dit non, mais batteuse, c'est moche, je vais écrire batteure Mais non, batteuse pourquoi pas batteuse Après, ce qui est un peu rigolo dans notre langue, c'est que souvent, quand tu as un métier au masculin, quand tu le passes au féminin, ça devient un objet. Par exemple, le jardinier, une jardinière, tu penses à l'objet.
- Speaker #2
Voilà,
- Speaker #0
à l'objet pour les fleurs. Et il y a plein, plein de métiers. Et donc, batteuse, souvent on me dit, moi, c'est une batteuse, mais en fait, pour moi, c'est juste des habitudes de langage. Il faut s'habituer à ce que les métiers aient leur pendant féminin. Oui, je dis batteuse.
- Speaker #2
Alors, tu parles d'habitude, je vais aller plus loin, je vais parler de conditionnement. Si le fait qu'il y ait si peu de femmes qui jouent de la batterie, je me suis demandé, est-ce que c'est un truc physique, comme on a mis longtemps à voir des femmes jouer de la contrebasse, parce que c'est imposant, parce que pour la portée, tout ça c'est lourd. Est-ce que c'est un truc physique, ou est-ce que c'est le fruit d'un conditionnement qu'on ne voit pas une femme derrière une caisse claire ?
- Speaker #0
Non, je pense que c'est complètement un conditionnement. Tu as des cultures où c'est les femmes qui jouent les percussions. beaucoup. Tu as des cultures où c'est des cultures où c'est les femmes qui ont le pouvoir aussi.
- Speaker #2
Je me suis dit que j'allais commencer par te lire deux livres. Parce qu'à chaque fois qu'on voit une bio de toi, ça commence par ces mots de Charlie Haddon, qui sont assez dingues, quoi. Charlie Haddon dit de toi, Elle m'a immensément impressionnée par son talent, sa musicalité et son dévouement à sa forme d'art. Son style personnel et particulier fait d'elle une musicienne unique. Charlie Haddon, c'est quand même dingue. À quel cadre il a dit ça ?
- Speaker #0
J'étais encore étudiante. Il avait fait un workshop à la Cité de la Musique à Paris. Et l'idée, c'est qu'il choisissait sur des mots dix musiciens pour refaire un Liberation Music Orchestra. Donc, on avait été énormément à candidater. Et en fait, j'avais été choisie pour assurer la batterie. Et donc, on avait passé une semaine ensemble à jouer la musique du Liberation Music Orchestra, mais aussi à jouer avec lui, parce qu'il avait joué un peu avec nous. Et puis, passer du temps ensemble, quoi. Aller au resto, papoter, tout ça. Les années qu'on suivit, en fait, sa femme me prévenait quand il venait en France. J'allais le voir dans les loges, passer du temps avec lui encore. Et en fait, je voulais présenter un concours aux États-Unis. Finalement, je n'ai pas présenté d'ailleurs. Mais du coup, je lui avais demandé une lettre de recommandation. Et donc, il avait écrit ça.
- Speaker #2
Donc, ses mots, c'est la lettre de recommandation pour le concours aux US.
- Speaker #0
Ouais.
- Speaker #2
Tu l'as... t'as rejoué avec lui depuis ?
- Speaker #0
maintenant il est décédé et entre temps on a pas rejoué mais je me souviendrai toujours de moi il y a un morceau que j'adore de lui qui s'appelle Silent et ça a été très très puissant de le jouer avec lui c'était fort
- Speaker #2
Il y a beaucoup de titres d'albums ou de morceaux, de compos, qui sont justement un mot. Est-ce que c'est un peu un hommage à Silent ? Parce qu'on voit dans toutes les langues, Piel, Allégria. en portugais, il y a des mots évidemment qu'on ne comprend pas quand on ne parle pas les langues latines. Est-ce que c'est un hommage à lui ? Est-ce que c'est quelque chose qui te parle ? Il fallait juste un mot.
- Speaker #0
Non, c'est un... En tout cas, ça n'a pas de lien. Mais c'est une bonne question. Je ne m'étais jamais posée cette question-là. Je pense que c'est peut-être... c'est comme quand on dit s'il fallait un mot pour définir après c'est dur, un mot c'est trop peu pour exprimer la foultitude de sensations de sentiments qu'il peut y avoir, d'émotions mais après c'est et c'est vrai que je pense même au titre de mon prochain disque il y en a pas mal, c'est juste un seul mot mais c'est une bonne question je sais pas pourquoi je fais ça,
- Speaker #2
je vais y réfléchir le prochain disque c'est le dixième
- Speaker #0
Ouais, alors en fait, c'est un peu plus complexe que ça parce que j'ai fait... Alors attends, Trifaz, Empreinte, Yo-Kai, Circles, Bright Shadows, Favored, Shaman. Ça fait sept albums. Le Circle Live, il est considéré comme un album, donc ça serait huit. Et les autres, c'est des EP. Donc, ça serait... Si on compte vraiment bien, c'est 9. Mais c'est vrai que moi, j'ai tendance à penser 8e.
- Speaker #2
Donc, pour toi, c'est le 8e.
- Speaker #0
Pour les journalistes,
- Speaker #2
c'est presque le 10e.
- Speaker #0
Ouais, c'est ça. Il y a eu les EP, quoi. Mais si on compte vraiment par le décompte, en tout cas, plateforme de streaming et disques sortis en physique, ça serait... Le prochain serait le 9e.
- Speaker #2
Tu as commencé chez Labori. J'ai bêtise, tu m'arrêtes ?
- Speaker #0
Oui, c'est ça.
- Speaker #2
Et à un moment donné, tu as eu besoin de créer ton propre label.
- Speaker #0
Pourquoi ?
- Speaker #2
Comment ça s'est passé ?
- Speaker #0
J'ai bossé avec Labori assez longtemps, qui m'ont beaucoup aidée, beaucoup tenue. Qui m'ont vraiment portée, qui ont été les premières à me faire confiance. Mais en fait, ce qui s'est passé, c'est qu'en août 2020, on venait de sortir de quatre mois de confinement. On avait une réunion pour parler des prochains albums, qui était Chaman. Et donc, il passe chez moi. Moi, je venais d'emménager dans mon appart. Donc, il sortait d'une période où tout s'était effondré. C'est-à-dire que je m'étais séparée d'une relation de six ans. Je n'avais plus d'appart. J'étais confinée chez ma mère. C'est pas évident, quoi. Et puis, voilà, on n'avait pas eu... Enfin, toute la musique s'était arrêtée. En fait, tout mon monde s'était complètement effondré. Et donc, je venais d'avoir ce nouvel appart. Il passe. Et donc, on est au milieu des cartons. Il y avait des cartons jusqu'au plafond. Et donc, on devait parler du jet suite. Et en fait, ils m'ont annoncé qu'ils ne continuaient pas. Parce que mes disques coûtaient trop cher.
- Speaker #2
Au même moment ? Parce que c'était la dernière brique qui se sortait.
- Speaker #0
C'était la dernière brique qui était en train d'être cassée. Donc sur le coup, j'avoue que j'ai été assez secouée parce qu'en fait, ça fait beaucoup de choses qui se coupaient en même temps. Et puis, je suis allée un peu, je vous rappelle, à quelques portes. Et en fait, je ne voulais pas aller sur un label équivalent, peut-être de la même taille. Je me suis dit, je vais être mieux accompagnée. Donc soit c'était une major, soit j'y allais solo. Et puis, les majors, à l'époque, en fait, personne signait personne, quoi. Et encore moins une batteuse compositrice. Et donc, les portes se sont fermées. Ce qui est un peu drôle, c'est que ces mêmes majors sont revenus me chercher récemment.
- Speaker #2
Évidemment, c'est toujours comme ça.
- Speaker #0
C'est rigolo, ouais. Mais en tout cas, je me suis dit, en fait, je ferai jamais mieux les choses que moi-même. Et je me suis dit, ils trouvent que mes disques, ils coûtent trop cher. Mais en fait, ça fait des années que je prends... Parce que j'avais un mécénat, donc je prenais en charge des trucs. Certes, du coup, je suis devenue productrice. Et je me suis rendue compte qu'en fait, concrètement, quand tu fais un disque, non seulement tu ne gagnes pas d'argent, mais si tu payes tout le monde, dont toi, tout le boulot que tu fais, en fait, tu en perds. Donc je me suis lancée dans l'aventure en faisant beaucoup de choses de moi, ce qui m'a pris un temps considérable, mais c'était pendant le Covid donc jamais de temps. Et puis il y a eu cette volonté aussi de revanche, de dire je vais y aller solo mais je vais faire mieux que... Et ce qui a été fou c'est que Shaman a eu un succès incroyable, je l'ai défendu comme je voulais le défendre, et c'était fou. Et donc là récemment... Il y a cette major qui revient me voir et j'ai fait le choix de continuer. J'ai fait le choix de continuer en solo. C'est un sacré pari,
- Speaker #2
quand même.
- Speaker #0
Oui, c'est osé.
- Speaker #2
Tu n'as plus le filet de sécurité de la major. Je n'ai jamais eu le filet de sécurité. Si tu choisis, pour une fois, tu peux te reposer sur ce filet de sécurité. Là, tu choisis de continuer avec le danger de la liberté.
- Speaker #0
Ouais, je continue de faire les choses comme j'en ai envie. Alors après, je pense que le moralisme, c'est assez libre, mais c'est aussi que... En fait, quelque part, tu vois, le truc d'être entre deux, c'est-à-dire que tu produis ton disque, mais tu es en licence chez le major. En fait, tu fais un trou dans ton assaut, concrètement, parce qu'un contrat de licence, ils prennent un tellement gros pourcentage.
- Speaker #2
C'était sous condition de ce qu'il faut faire.
- Speaker #0
Oui, tu creuses ta tombe, en fait. Et du coup, je me suis dit, hors de question, que je plombe les finances de mon atso et je vais être en capacité de faire des disques jusqu'à très longtemps. Donc, à moins qu'il y ait une majeure qui vienne et qui me dise On investit sur ton disque, bravo ! Beaucoup. Et que ça ne mette pas ma structure en difficulté, là, peut-être que je reconsidérerais.
- Speaker #2
C'est dingue parce que quand on lit des interviews de musiciens... des années 50, 60, 70, en fait, les discussions sont les mêmes. Majors ou pas majeurs, faut-il aller sur la liberté, faire des disques comme on veut les faire. C'est dingue. Les sujets sont toujours là. Oui,
- Speaker #0
les sujets sont les mêmes. Après, aujourd'hui, ce qui est sûr, c'est qu'il y a de moins en moins d'argent. Les disques se vendent très peu. Le moment où... Surtout des disques, ça en concerne. C'est génial, parce que les gens achètent des disques. Mais c'est vrai que c'est des... C'est une folie, en fait, de faire des albums aujourd'hui. Et en même temps, quelle joie, quoi. Tu vois, je te retrouve, tu as ton CD ou ton vinyle, trop content, tu as tout fait avec tes mains, et c'est trop cool. Mais c'est vraiment suicidaire, en fait, parce que c'est des sommes d'argent. C'est hallucinant, quoi.
- Speaker #2
Tu as parlé de Chabannes, c'est le dernier, on est d'accord ?
- Speaker #0
Ouais, c'est le dernier qui est sorti.
- Speaker #2
Qu'est-ce que ça veut dire, chaque petite lettre ? Il y a quelque chose derrière. C'est pas le mot chaman retravaillé ? Ou peut-être que si ?
- Speaker #0
Si, en fait, c'est le mot chaman, mais je voulais pas qu'il soit trop... C'est quoi le nom ? Que ça soit trop textuel, factuel. Je voulais pas écrire chaman, c-h-a-m-a, tu vois ? Et en fait, chaman, en anglais, il s'écrit avec un S, mais sans le E à la fin. Et du coup, il y avait ce... Truc de vouloir évoquer le chamanisme sans dire non plus je prétends faire un disque de chamanisme Enfin, tu vois, c'est pas du tout... Donc, c'était une manière de l'évoquer, de dire ça parle de ça mais en toute humilité et aussi avec ses points entre les lettres. Aussi, il y a un petit clin d'œil à l'écriture inclusive. Voilà, mais c'est pas les initiales d'un mot.
- Speaker #2
Ok, donc c'est pas un mot clé d'idée derrière, c'est un clin d'œil à l'écriture inclusive.
- Speaker #0
Ouais.
- Speaker #2
Dans cet album, il y a un titre qui s'appelle Travelers. Quand je l'ai écouté,
- Speaker #0
j'ai pleuré.
- Speaker #2
Quand j'étais avec ma fille de deux ans, qui l'a écouté aussi, à la fin, elle m'a dit, encore, maman ? Il est dingue, ce morceau. Qu'est-ce que tu racontes dedans ?
- Speaker #0
En fait, c'est un morceau que j'ai écrit dans le train. J'allais pour la première résidence de chamanes et... Et puis j'étais, tu sais, sur les anciens wagons, les anciens trains, le dernier wagon, où t'as la ville qui voit le rail derrière. Et j'étais là en train de regarder le paysage, puis il y a cette mélodie qui est venue. Et on a commencé, en tout cas, je suis arrivée en résidence, enfin tu sais, je l'ai enregistrée sur mon téléphone comme ça, et on a commencé à répéter. Et puis un soir, Isabelle Sörling me dit, mais ah, ça sera trop bien qu'on ait un morceau. Elle chantait avec du chant, pas d'instrument, juste du chant et de la percure. Et puis je lui dis, attends, je vais enregistrer un mémo en venant. Elle me fait, écoutez, c'est trop bien ça. Et donc je suis montée dans ma chambre, je l'ai mise sur un bout de papier. Et puis voilà quoi. Et c'est Travelers, on dit que les chamanes voyagent dans les différents...
- Speaker #3
Cette rencontre de Marseille cet été sera suivie sans doute d'un échange plus long à l'automne à l'occasion de la sortie de son nouvel album. Anne a mille choses à dire sur ses engagements en faveur de la pratique instrumentale par les femmes, autant qu'à partager sur la place du sacré dans sa musique. Vous avez des questions à lui poser ? Vous avez particulièrement aimé une de ses compos ? Vous voulez en savoir plus sur ses prochaines dates de concert ? Écrivez-moi sur les réseaux, nous co-construirons la prochaine rencontre. Et n'oubliez pas de laisser 5 étoiles ou un commentaire sur les plateformes d'écoute, c'est essentiel pour que le podcast soit recommandé par Spotify ou Apple Podcasts.
- Speaker #1
Oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé,
- Speaker #0
oh,
- Speaker #1
hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé, oh, hé