undefined cover
undefined cover
Hubert Védrine pour l'amour de Camus cover
Hubert Védrine pour l'amour de Camus cover
Lux, le podcast qui écoute la lumière

Hubert Védrine pour l'amour de Camus

Hubert Védrine pour l'amour de Camus

26min |08/08/2024
Play
undefined cover
undefined cover
Hubert Védrine pour l'amour de Camus cover
Hubert Védrine pour l'amour de Camus cover
Lux, le podcast qui écoute la lumière

Hubert Védrine pour l'amour de Camus

Hubert Védrine pour l'amour de Camus

26min |08/08/2024
Play

Description

Pour ce troisième épisode de LUX, le podcast qui écoute la lumière, Lucie Brasseur, journaliste, entrepreneure, écrivaine, militante et maman a rencontré Hubert Védrine, à l’occasion de la sortie chez Plon, au printemps dernier, de son essai-amoureux Camus, notre dernier Rempart.


Hubert Védrine, a passé 19 ans au pouvoir comme éminent fonctionnaire et homme politique français, ancien membre du Parti Socialiste, secrétaire général de l'Élysée sous François Mitterrand et ministre des Affaires étrangères sous Lionel Jospin.


Cet essai magnifique plonge dans l'univers de l'auteur de L'Étranger et de Noces à Tipasa, nous offrant une perspective intime et profonde liée à la rencontre d'Hubert Védrine avec Camus, bien au-delà de la vision strictement géopolitique à laquelle le haut fontionnaire nous a habitués.


Dans cet épisode, Védrine nous raconte comment il a découvert Camus à l'adolescence grâce à un disque offert par ses parents, contenant des textes lus par Camus lui-même. Il évoque la fascination immédiate qu'il a ressentie pour la langue et les expressions de Camus, une admiration qui l'a accompagné toute sa vie. Védrine partage ses réflexions sur la solitude de Camus face à l'immense figure de Sartre, un affrontement d'idées toujours actuel selon lui, particulièrement à la lumière des phénomènes contemporains comme le wokisme.


Hubert Védrine évoque la manière dont les mots et l'éthique de Camus ont l’influencé dans sa carrière et sa vie personnelle. Il souligne la beauté et la justesse de la langue de Camus, en contraste avec le langage contemporain souvent envahi par la communication corporate.


Hubert Védrine nous invite à redécouvrir l'œuvre de Camus, à lire ou relire Le Premier Homme, L'Étranger et Noces, des œuvres qui, malgré le temps, restent d'une actualité poignante et inspirante. Il insiste sur l'importance de l'éthique de responsabilité, une valeur qu'il partage avec Camus, et sur la nécessité de résister aux simplifications manichéennes.


Cet épisode est une exploration lumineuse et passionnante de l'œuvre d'Albert Camus avec Hubert Védrine.

Vous pouvez commander l’essai ici : https://www.leslibraires.fr/livre/23136155-camus-notre-rempart-hubert-vedrine-plon

 

LUX, c'est le podcast qui écoute la lumière.


Ne manquez pas la semaine prochaine le quatrième épisode avec Anne Paceo, batteuse de jazz rencontrée pendant le festival de @JazzInMarciac, dont le dernier album S.H.A.M.A.N.E.S est disponible ici : https://annepaceo.com

En attendant le prochain à l’automne.Suivez-moi sur les réseaux sociaux Facebook et Instagramm @luciebrasseur


Laissez vos commentaires et 5 étoiles sur votre plateforme d'écoute préférée Spotify ou Apple Podcast !


Si vous aimez les podcasts comme Canapé 6 places de Léna Situations, InPower de Louise Aubery, Vlan! de Grégory Pouy ou Le monde d'Elodie d'Elodie Suigo sur France Info, vous aimerez #LUX le podcast de Lucie Brasseur.


Crédits :

Photo Lucie Brasseur Ivan Franchet

Le discours de Suède d'Albert Camus, prononcé lors de la remise du Prix Nobel en 1957 à Stockholm a été partagé par SOS RACISME et est disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=ZCort8RuuMc&t=200s.

Le prix Nobel lui a été décerné pour «l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière les problèmes se posant de nos jours à la conscience des hommes».


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est une sorte de choc d'adolescence, la façon dont il parlait de la lumière, du soleil, du petit bazar, des textes du début, dans le nocelle-été, des choses comme ça. Ça m'a complètement ébloui.

  • Speaker #1

    Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique ? Un arrêt qui le portait d'un coup seul et réduit à lui-même au centre d'une lumière crue.

  • Speaker #2

    Fermez les yeux. Luxe, c'est le podcast qui écoute la lumière. Je m'appelle Lucie Brasseur. Je suis journaliste, entrepreneur, écrivain, militante et maman. Pour ce troisième épisode, je reçois Hubert Védrine, haut fonctionnaire et homme politique français, longtemps membre du Parti Socialiste, secrétaire général de l'Élysée sous Mitterrand et ministre des Affaires étrangères du gouvernement. Jospin Souchirac, il est surtout l'auteur amoureux de Camus, notre dernier rempart paru chez Plon au printemps. Magnifique essai sur l'auteur de L'étranger et de Nos à Tipaza, il semble ouvrir des portes vers d'autres dimensions et d'autres profondeurs que la vision stricto-géopolitique du monde qu'Hubert Védrine apporte généralement quand on l'invite. D'ailleurs, quand mon confrère de la PQR, également présent lors de notre échange, l'a à son tour interrogé, le niveau de la voix comme la posture ont changé. C'est dire comme il a révélé son intimité. Vous venez, je vous le présente. Comment vous êtes passionné pour Camus ?

  • Speaker #0

    C'est une sorte de choc d'adolescence. Quand Camus avait eu le prix Nobel, mes parents m'avaient offert un disque dans lequel il y avait des textes de Camus avec sa voix si particulière, si attachante, des textes d'Origiani, de Maria Cazares, etc. Et donc je l'écoutais sans arrêt et j'ai été, je ne sais pas comment vous le dire, mais moi je ne suis pas d'Algérie, je ne suis pas pied-noir. Mais la façon dont il parlait de la lumière, du soleil, de Tipaza, l'été du début, dans Noce, c'est l'été, des choses comme ça, ça m'a complètement ébloui. J'y adorais. J'en connaissais 30 pages par cœur. Et donc, j'avais déjà ça en moi quand il est mort, heureusement. J'en ai su ressembler dans l'accident de voiture. D'abord, ça m'a plus frappé que si je ne l'avais pas découvert avant. Et après, j'étais tellement saisi de sa langue, ce n'était pas la philosophie. C'est venu après, dans ma curiosité. Mais ça a l'air, en mode d'expression, que dès que j'ai eu un peu d'argent de poche après le bac, j'étais prof comme ça pendant longtemps dans une boîte privée prof d'histoire géo, j'ai été à Tipaza pour découvrir Tipaza. Puis j'ai erré pendant deux jours dans les ruines. Donc c'est une vraie histoire de... Alors j'ai eu plein d'autres passions littéraires ou de choses de ce type, mais c'est quand même l'élément fondateur, fondateur pour moi. Et ça m'a accompagné toute ma vie, même si j'ai fait mille autres choses puisque j'ai passé la... comme mes vieux pouvoirs, et j'ai eu la curiosité depuis un an ou deux de revenir à Camus.

  • Speaker #2

    Dans votre livre, justement, vous dites que lors de votre passage à Tipaza, vous caressez la plaque commémorative qui vient d'être posée, sur laquelle il est écrit Je comprends ici ce qu'on appelle gloire, le droit d'aimer sans mesure Qu'est-ce que ça vous inspire, vous ?

  • Speaker #0

    Alors ça dépend si c'est moi maintenant ou moi à l'époque, mais je ne suis pas la même personne en réalité. A l'époque, je suis un adolescent et je suis fasciné par cette langue, par la beauté, la sensualité dans Camus qui est quatante aujourd'hui. Mais je ne le vis pas comme ça, ça me paraît simplement beau. Les garçons que j'étais à l'époque, qu'est-ce que c'est de lire pour moi le droit des muses sans mesure ? En réalité, je ne suis pas capable de vous le dire aujourd'hui. Je sais que ça m'a énormément frappé, accompagné, la beauté des mots de Camus. Et quand on revient maintenant, quelles que soient les phrases, on le voit bien dans les textes du début, on le voit bien dans le... Le premier homme qui est le roman en posthume, c'est une langue extraordinaire. Il n'y a jamais un mot de trop, il ne manque jamais un mot. C'est parfaitement juste et il n'y a aucune scorie. Il n'y a pas tout ce qui est envahi du langage contemporain qui est épouvantable, tout le langage de la corporette, tout le langage de la com, le globiste, tout ce machin. Il n'y a rien de ça. Il n'y a qu'une langue belle, bûre, simple, pas du tout non plus froide. Et ça, c'est une raison d'après.

  • Speaker #2

    Est-ce que vous pensez que ça a inspiré votre façon ? d'écrire dans vos missions professionnelles ?

  • Speaker #0

    Non, je n'aurai pas cette prétention, mais des fois, quand j'écris des textes et que je me relis une fois, deux fois, trois fois, je raye, je raye tous les mots en trop, mais je n'aurai pas l'intrepidence de comparer. Non, c'est une musique qui m'a toujours accompagné. D'autre part, même si je tente à la fin du livre, c'est un peu osé, ce qu'a fait le dialogue du chronique. Qu'est-ce qu'aurait pensé Clérus s'il avait vécu beaucoup plus longtemps ? On peut compester, bien sûr, mais tout le monde le fait, avec les grands auteurs qui nous habitent. Même les philosophes, ils passent leur temps à dialoguer avec Socrate, Slaton ou Aristote. Donc ce n'est pas complètement interdit ni choquant. Je ne sais pas si c'est convaincant. Mais donc il y a une sorte d'inspiration qui n'est pas transposable mécaniquement. Et je ne peux pas dire que dans la vie de pouvoir que j'ai menée, puisque j'ai mené une vie pas tellement politique de pouvoir, ça ne s'applique pas automatiquement à ce qu'il aurait fait là. Malgré ça, ce que je dis, on fait limite de l'inspiration. Mais malgré ça, ça m'a accompagné comme une sorte de musique qui ne m'a jamais lâché. Et c'est beaucoup la langue avant d'être la réflexion, avant d'être les idées, même s'il y a un débat d'idées très puissant, très fort. Et je reviens à l'épisode majeur, quel affrontement entre lui et Serp dans le début des années 50.

  • Speaker #2

    Vous dites que cet affrontement est toujours d'une extrême actualité. Qu'est-ce que vous entendez par là ? À quel endroit de l'actualité aujourd'hui vous voyez toujours l'affrontement Sartre-Camus ?

  • Speaker #0

    Alors, pas exactement le contenu de l'affrontement, mais la solitude de Camus. C'est ça qui me fait penser à l'époque contemporaine, parce qu'en gros, Sartre, à l'époque, et la figure de Pou est un talent géant, d'ailleurs, des progressistes, des gens qui n'ont jamais résisté pendant la guerre, mais ils se rattrapent un peu après. C'est bien, pendant la guerre, il y a eu 1% de résistants, 1% de collabos, et ils ont vivé au jour le jour. Bon, Sartre, il en rajoute beaucoup après la guerre. Et il devient à la tête du groupe progressiste, aligné sur l'URSS, l'URSS de Staline. Et donc ils n'acceptent pas qu'au nom de la lutte des classes, au nom de la lutte historique, qu'on puisse critiquer en quoi que ce soit l'Union soviétique. Et qu'à lui en face, il écrit l'homme révolté

  • Speaker #1

    L'homme refuse le monde tel qu'il est et pourtant il n'accepte pas de lui échapper. En fait, les hommes tiennent au monde et dans leur immense majorité, ils ne désirent pas le quitter. Loin de vouloir toujours l'oublier, il souffre au contraire de le point le posséder assez, étrange citoyen du monde exilé dans leur propre patrie. Sauf aux instants fulgurants de la plénitude, toute réalité est pour eux inachevée.

  • Speaker #0

    Lui qui est d'origine vraiment plus que modeste, boursier du lycée d'Afgé, il sait ce que c'est en fait, la pauvreté. Donc il écrit un livre en disant oui, on a des tas de raisons de se révolter, bien sûr, il y a plein de choses injustes qu'on veut combattre, mais... La révolte ne justifie pas tout. Elle ne justifie pas n'importe quoi. Elle ne justifie pas le meurtre politique. Dans les récumptes, on voit un anarchiste qui renonce. Elle a lancé les bombes dans le carrosse du Grand-Duc parce qu'il y a des enfants dedans. La banque, il dit ça. Il y a des limites. À un autre moment, il dit à un homme, ça s'empêche. Il n'est pas tellement moraliste en réalité, contre moi ce qu'on croit, mais il a une éthique très puissante. Tous les sapriens, l'attaque des temps modernes, ils n'ont jamais rien compris. Ils ne comprennent pas la lutte historique. Ils ne comprennent pas... le matériel historique, il ne comprend pas la lutte des classes, blablabla. Et alors, la comparaison que je fais avec le phénomène du wokisme, qui est en train de ravager les États-Unis, en tout cas, certains secteurs, les grandes universités, les facs, la com, plein de choses, c'est que Camus est seul. Donc, ce n'est pas simplement le wokisme, c'est la solitude. Si on compare aujourd'hui, ce n'est pas le wokisme, c'est la cancel culture, le fait d'empêcher quelqu'un qui ne pense pas. comme veulent les groupes activistes, l'empêcher d'éditer, de passer la radio, de faire des livres, de faire des conférences, une sorte de mort sociale. Et il m'a semblé en relisant, donc c'est les dernières années, j'ai fait ça en 2022, en 2024, que ça ressemblait à la certaine situation d'interdiction par la consécution quand Camus est quasiment seul face au Sartreien qui domine Saint-Germain-des-Prés en gros après la guerre. Alors, à l'époque, il n'y a pas de réseau, donc c'est les réseaux sociaux, c'est la presse. Il est défendu par Roné Char, son aimé, son vrai pote, quoi. Il est défendu par Romain Garry, qui est une sorte d'original, et puis par Jean Gué, donc c'est à peu près tout. Donc, la compréhension que j'ai faite, c'est la solitude de Camus.

  • Speaker #2

    Vous parlez de Roné Char. Il y a une très belle lettre que vous publiez à l'intérieur de votre essai, qui dit que... Camus était un homme joyeux. Quand vous relisez son travail, L'homme révolté, il est juste, vous y voyez un homme joyeux, lumineux, un homme solaire ?

  • Speaker #0

    Alors lumineux, oui. Solaire, oui. Joyeux, non. On ne le voit pas en fait. On ne le voit pas dans ses œuvres. Mais on le voit dès qu'on lit les témoignages. Les témoignages dans sa famille, sa fille, qui a fait énormément pour perpétuer la connaissance de l'œuvre et qui a autorisé la publication du premier homme il y a quelques années. les témoignages des autres, il y a des photos, il est en train de rigoler, il joue avec les enfants. On raconte maintenant qu'il avait réécrit l'étranger. c'est le sujet de la semaine d'ailleurs, l'étranger, une sorte de deuxième manuscrit, et qu'il le foulait au pied comme ça, pour le faire un peu vieux, vous savez, comme les jeunes avec les jeans, il y a des côtés, disons, assez rigolos, et puis il y a un côté populaire, un côté sympa qui est toujours continué chez lui, à travers le foot, les matchs de poche, donc le côté vivant, populaire, oui, énormément. Il y a un personnage, manifestement, comme père de famille, comme l'amant de quelques femmes qui l'ont adoré, mais... Il ne faut pas projeter les résumements contemporains sur Camus qui était très aimé, ce n'est pas du tout un prédateur, qui montre un homme très vivant, très attachant et sympa. Oui, potentiellement rigolo, on ne voit pas dans les textes.

  • Speaker #2

    Dans le dialogue Uchronique, à la fin, il y a des mots qui reviennent, des mots que vous avez déjà prononcés depuis qu'on échange aujourd'hui, sur les mots droiture, morale versus éthique et responsabilité. Est-ce qu'en fait, ces grandes valeurs, ces grands piliers de l'œuvre de Camus, ce sont des valeurs qui vous ont permis d'avancer en tant qu'homme de pouvoir ?

  • Speaker #0

    Comme je l'ai dit, honnêtement, on ne peut pas transposer mécaniquement. Donc, vous pouvez s'amuser intellectuellement à se dire mais qu'est-ce que Camus aurait pensé de ceci, cela ? Mais on n'a pas le droit d'aller au-delà. Et comme il avait énormément souffert dans la ferme d'Algérie, il n'a pas connu l'indépendance qui est des morts enfouissantes. Et qu'il avait dit à Stockholm, un étudiant algérien nationaliste qui l'agressait, il avait dit, entre la justice de ma mère, je préfère ma mère. Ça a été surinterprété comme étant une sorte de choix colonial, etc. Ce n'est pas vrai. Parce que sa mère, qui est très attachée à sa mère, qui est à moitié malphabète, qui est une famille très très pauvre, un mec malphabète venu de Minorque, un blague qui s'appelle Mircadal, à Minorque. La grand-mère est une paysanne inflexible. La mer est à moitié sur, on est à moitié dans le sol. Il est très, très, très attaché. Ce monde de misère et de soleil, c'est ce qu'il dit. Donc il y a des mots magnifiques arrachés à ce milieu, grâce à un instituteur extraordinaire qui devrait être le saint patron. Si on était dans l'époque chrétienne d'autrefois, il deviendrait le saint patron des institutes. Alors M. Louis Germain, extraordinaire, qui détecte le jeune canut, qui obtient une bourse pour le mi, qui se bat avec la grand-mère qui veut qu'il aille travailler, on ne peut plus payer, on a besoin d'argent. Dans la famille, il n'y a rien. Il faut que j'aille travailler chez le... Je ne sais pas qui, le quincailler des côtés, tout comme ça. Donc, il y a toute une espèce de processus, et ça ne le rend pas moraliste. D'ailleurs, lui dit lui-même, j'aime pas tout cet aspect de blabla. Il n'aime pas qu'on l'enferme dans l'image du moralier. Il y a une éthique qui est très forte, et cette éthique, désolé de le dire, elle ne permet pas de trancher automatiquement. Dans les situations, quand on est au pouvoir, on n'a jamais le choix. Entre le bien et le mal, ça n'existe pas, ça. Elles sont entre différentes mauvaises solutions, plus ou moins bonnes. Et comme il était vraiment déchiré sur l'Algérie, il a d'ailleurs quasiment rompu avec Jean Daniel, le fondateur, le patron de l'Observateur, qui est un personnage formidable aussi. Ils ont rompu. Mais quand Camus a eu le Nobel, Jean Daniel lui a écrit quand même. Et à l'air, Camus lui dit, l'important, c'est que nous soyons tous les deux déchirés. Il y a des choses comme ça, on ne sombre jamais complètement dans un camp contre l'autre. Donc je pense que ça l'aurait empêché de devenir manichéen. Et donc si on imagine les événements géants, terribles, au fil des décennies après, je pense qu'il aurait toujours été un peu au-dessus ou un peu ailleurs. D'ailleurs, il contestait la notion d'écrivain engagé. Ça, c'est le concept serpillien en fait. Il est en disant, on est embarqué, on n'a pas le choix, on est embarqué dans notre époque, dans la vie de notre époque. Mais on n'est pas engagé, parce que pour lui, c'est voulu dire maniquer un sectaire partisan. C'est un terme beaucoup plus complexe que l'idée qu'on en a fait après.

  • Speaker #2

    C'est dans ça qu'il est notre dernier rempart ?

  • Speaker #0

    Alors, le mot de rempart est résulté d'une conversation entre l'éditeur, Jean-Paul Barret, qui vient d'écrire d'ailleurs le premier de trois tomes une biographie du général de Gaulle, qui à mon avis sera la biographie formidable. Donc, on discutait tous les deux et c'est venu comme ça. On part contre quoi ? Contre la bêtise, tout bête. Contre le fanaticisme. Alors, il y a aussi le côté langue. Dans le monde dans lequel on vit, je ne vais pas le répéter, mais lire quelques pages de Camus, c'est merveilleux. Il y a un côté détox, vous voyez, par rapport à la langue. Oui, c'est vrai. C'est beau, c'est juste. Donc, ça rempart contre ça. Et vu l'honnêteté des prises de position, sans que ce soit dû. du moralisme gnangnan, qu'il y a des moralistes méchants en plus, il y a des moralistes manichéens, qui veulent imposer leur morale avec des pieds quand même. Camus, ce n'est pas ça du tout. Donc, c'est un rempart pour ceux qui veulent bien le relire, le découvrir, le redécouvrir. C'est un rempart contre ça.

  • Speaker #2

    Qu'est-ce que vous auriez envie de dire à la jeunesse après avoir relu l'intégralité de l'œuvre de Camus et pas seulement son œuvre, aussi toute la littérature qu'il y a eu autour de Camus ces dernières années ?

  • Speaker #0

    Ce que j'ai envie de dire, c'est qu'il faut relire Camus. Les merveilleux livres du début, les nouvelles dans l'été, les nouvelles dans… dans Nos, L'étranger, c'est un des livres les plus connus. Je crois qu'il a été acheté par 52, élu par 52 millions de personnes dans le monde. J'ai une cinquantaine de langues, c'est dingue. Et puis, le premier homme aussi. Ce qui est désespérant, c'est de croire à des choses idéales qui n'existent pas et d'être épouvanté chaque matin en écoutant les nouvelles. Parce que du coup, on ne sait pas quoi faire.

  • Speaker #2

    En même temps, quand je vous entends parler de réalisme, Je ne vais pas m'empêcher de revenir au livre que vous avez écrit sur Camus. Je trouve qu'il y a un parallèle dans la pensée qui est permanent, sur ce devoir, presque ce devoir de réalité et d'honnêteté vis-à-vis de soi-même, du monde, de l'avenir, de ce que je peux faire, de ce que je ne peux pas faire.

  • Speaker #0

    Vous êtes une bonne lectrice.

  • Speaker #2

    Je vous remercie.

  • Speaker #0

    Ça veut dire que je mets en avance ce que je crois avoir en commun avec Camus. Si ce n'est pas trop prétentieux, c'est le... une sorte de responsabilité. Vous savez, on distingue, selon Max Weber, l'éthique de conviction, je dis ce que je pense et je suis convaincu de ce que je dis. Et l'éthique de responsabilité, dans lequel on a besoin de mesurer le poids de ses paroles. Et moi, comme j'étais jeté dans le bain du pouvoir au plus haut niveau par Mitterrand, j'ai 34 ans, du jour au lendemain, on ne peut plus se dire, j'écris ça parce que c'est ce que je pense. Mais si j'écris ça et que ça a une influence en vrai, et que je suis responsable des résultats. Donc, qu'est-ce que je dis ? Donc, j'étais marqué, moi, par l'esprit de responsabilité, et je ne veux pas en changer maintenant. Et je trouve qu'une part des pieds est complètement différente, pas rutique, au milieu de son état. Encore une fois, ce n'est pas le principe, le chère moralisme, c'est autre chose. Quel mieux, comme ça, en termes de sens des responsabilités ? Et en ayant le débat avec Chartres, c'est évident, ça.

  • Speaker #2

    Vous parlez de ce premier voyage, c'est 1965 ? En Algérie ?

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est celui qui vous a donné le goût de l'international ?

  • Speaker #0

    Non, parce que j'ai vécu dans un milieu, une famille très ouverte. Je m'étais chez l'international, pour des raisons trop longues à raconter, puis ce n'est pas le lieu ici. Mais mon père a joué un rôle très important dans l'indépendance du Maroc. Et donc, le Maroc faisait partie de notre vie. Il avait des amis dont tout le monde avait des cousins en Louisiane. On s'appelait les Vidrines. On avait des amis américains. J'ai été un peu routard. À l'époque où j'étais étudiant, j'étais en voiture en Afghanistan. Et donc, ce n'est pas lié à ça. Ça en fait partie, disons. Mais ce n'est pas le déclencheur. J'ai vécu dans un milieu qui était naturellement ouvert à ces questions.

  • Speaker #2

    En revanche, est-ce que c'est ce moment-là qui vous a donné envie de recommander, disons, à François Mitterrand d'aller avec son homologue algérien se promener pour se faire filmer ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est une anecdote. Mais j'ai tellement aimé qui passe à l'endroit tellement inspirant. En fait... qu'un jour où François Mitterrand avait une réunion prévue avec le président algérien, il voulait tous les deux améliorer la relation en y allant pour une amour, parce que c'est un juge explosif quand même. Donc il y avait une réunion à côté, au siège de la présidente du gouvernement, je crois que c'est Zeranda, je crois que c'est pas très loin de dire ça. Donc j'ai eu l'idée comme ça, mais c'est une astuce de com'. Je ne suis pas un homme de com'du tout, mais j'ai pu avoir des idées qui étaient des idées de ce genre. Donc j'ai dit, mais en fait, la conférence de presse que vous devez faire, vous pourriez la faire avec Tipazard en fond, ce serait magnifique. Elle dit oui, très bien.

  • Speaker #2

    Ça ressemble aussi à...

  • Speaker #0

    D'accord. Châtelier, Présent, Châtelier, ça très bien. Donc, on a emmené tout le système à Tipazard et on voit Mitterrand et Châtelier qui marchent en devisant. Là, évidemment, il y a 250 photographes, journalistes, mais on ne les voit pas. Donc, on les voit, on a Tipazard, il y a au fond la fameuse montagne de Chénois, tout ça. Donc, c'est une petite astuce de mise en scène, mais ce n'était pas mon métier.

  • Speaker #2

    Ça ressemble aussi un peu à... un clin d'œil de passion.

  • Speaker #0

    Oui, mais je l'ai fait ailleurs. Dans d'autres endroits, on l'a fait entre Mitterrand et Georges Bruch, le père, etc. Oui, bien sûr, mais c'était trop tentant. La réunion qui avait lieu juste à côté, à 20 kilomètres. J'ai eu beaucoup de lettres. J'ai beaucoup plus de lettres sur ce livre que sur les livres de jeux politiques qui se vendent bien en général, mais les gens le lisent, ça ne leur donne pas envie d'écrire. Mais Camus a représenté tellement pour des gens de ma génération ou alors 10 ou 20 ans de plus ou 10 ou 20 ans de moins. ou d'autres qui ont découvert que j'ai plein de lettres. C'est amusant ça, les gens qui prennent le temps d'écrire des vraies lettres. Alors il y a des messages, des SMS, mais aussi des lettres. Ils en racontent ce que ça a représenté pour eux. Et Tipaza vient souvent dans ces tableaux. Le lieu Tipaza, il y a des lieux inspirés quand même. Merci. Merci.

  • Speaker #2

    Vous avez senti toute la lumière et l'amour qui irradient des mots d'Hubert Védrine quand il parle de Camus ? Ça vous a donné envie de relire le premier homme ou d'aller voir une représentation des Justes ? Quel est le livre de Camus qui vous a le plus marqué ? Comme Hubert Védrine, vous êtes allé sur les traces de l'auteur de L'Homme révolté à Tipaza ? Racontez-moi sur les réseaux ou en commentaire de l'épisode sur les plateformes d'écoute votre relation à l'auteur de l'étranger. Et n'oubliez pas de laisser 5 étoiles. C'est essentiel pour que le podcast gagne de la visibilité dans les suggestions de Spotify ou d'Apple Podcast. La semaine prochaine, je vous présente une méga meuf, du genre de celle qui fonce lever le matin avec un motivation maître gonflé à bloc. Elle est batteuse de jazz, son nom est le premier des femmes batteuses inscrits dans le dictionnaire du jazz. Elle s'appelle Anne Paceo. Bien que notre rencontre ait été brève, je suis sûre que ça va vous plaire. Et je crois bien que je retournerai la rencontrer à l'automne lorsqu'elle sortira son nouveau diss. Patience, c'est la semaine prochaine. Fermez les yeux.

  • Speaker #0

    Luxe,

  • Speaker #2

    c'est le podcast qui écoute la lumière.

  • Speaker #1

    Sire, Madame, Altesse Royale, Mesdames, Messieurs. En recevant la distinction dont votre libre académie a bien voulu m'honorer, Ma gratitude était d'autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme, et à plus forte raison tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m'a pas été possible d'apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d'un coup seul et réduit à lui-même au centre d'une lumière crue ? De quel cœur aussi ? Pouvait-il recevoir cet honneur à l'heure où en Europe d'autres écrivains, et par nous les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ? J'ai connu ce Deja-Roi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m'a fallu en somme me mettre en règle avec un corps au généraux. Et puisque je ne pouvais m'égaler à lui, En m'appuyant sur mes seuls mérites, je n'ai rien trouvé d'autre pour m'aider que ce qui m'a soutenu tout au long de ma vie, et dans les circonstances les plus contraires, je veux dire l'idée que je me fais de mon art et du rôle de l'écrivain. Permettez seulement que dans un sentiment de reconnaissance et d'amitié, je vous dise aussi simplement que je le pourrais, qu'elle est satisfaite. Je ne puis vivre personnellement sans mon art, mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S'il m'est nécessaire, au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne et me permet de vivre tel que je suis, au niveau de tous. L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance funéraire. Il est un moyen de dénouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée. des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l'artiste à ne pas se séparer. Il ne soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui souvent a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent apprend bien vite qu'il ne nourrira son art et sa différence qu'en avouant sa ressemblance avec tous. L'artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne maîtrisent rien. Ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. Et s'ils ont un parti à prendre en ce monde, ce n'est peut-être que celui d'une société. où selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge. mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel. Le rôle de l'écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire. Il est au service de ceux qui la subissent. Ou sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie. avec leurs millions d'hommes, ne l'enlèveront pas à la solitude, même si ils consentent à prendre leur part. Mais le silence d'un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l'autre bout du monde, suffit à retirer l'écrivain de l'exil, chaque fois du moins qu'il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence, et à le relayer pour le faire retentir. par les moyens de l'art. Aucun de nous n'est assez grand pour une pareille vocation. Mais dans toutes les circonstances de sa vie, obscure ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s'exprimer, l'écrivain peut retrouver le sentiment d'une communauté vivante qui le justifiera à la seule condition qu'il accepte. Autant qu'il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier, le service de la vérité et celui de la liberté.

Chapters

  • 00:00 Introduction

    00:00

  • 00:41 La fascination pour Camus

    00:41

  • 03:07 La langue et l'expression de Camus

    03:07

  • 05:31 La solitude de Camus et son affrontement avec Sartre

    05:31

  • 08:27 L'éthique et la responsabilité dans l'écriture

    08:27

  • 15:13 Relire Camus et redécouvrir son œuvre

    15:13

  • 20:58 Conclusion

    20:58

Description

Pour ce troisième épisode de LUX, le podcast qui écoute la lumière, Lucie Brasseur, journaliste, entrepreneure, écrivaine, militante et maman a rencontré Hubert Védrine, à l’occasion de la sortie chez Plon, au printemps dernier, de son essai-amoureux Camus, notre dernier Rempart.


Hubert Védrine, a passé 19 ans au pouvoir comme éminent fonctionnaire et homme politique français, ancien membre du Parti Socialiste, secrétaire général de l'Élysée sous François Mitterrand et ministre des Affaires étrangères sous Lionel Jospin.


Cet essai magnifique plonge dans l'univers de l'auteur de L'Étranger et de Noces à Tipasa, nous offrant une perspective intime et profonde liée à la rencontre d'Hubert Védrine avec Camus, bien au-delà de la vision strictement géopolitique à laquelle le haut fontionnaire nous a habitués.


Dans cet épisode, Védrine nous raconte comment il a découvert Camus à l'adolescence grâce à un disque offert par ses parents, contenant des textes lus par Camus lui-même. Il évoque la fascination immédiate qu'il a ressentie pour la langue et les expressions de Camus, une admiration qui l'a accompagné toute sa vie. Védrine partage ses réflexions sur la solitude de Camus face à l'immense figure de Sartre, un affrontement d'idées toujours actuel selon lui, particulièrement à la lumière des phénomènes contemporains comme le wokisme.


Hubert Védrine évoque la manière dont les mots et l'éthique de Camus ont l’influencé dans sa carrière et sa vie personnelle. Il souligne la beauté et la justesse de la langue de Camus, en contraste avec le langage contemporain souvent envahi par la communication corporate.


Hubert Védrine nous invite à redécouvrir l'œuvre de Camus, à lire ou relire Le Premier Homme, L'Étranger et Noces, des œuvres qui, malgré le temps, restent d'une actualité poignante et inspirante. Il insiste sur l'importance de l'éthique de responsabilité, une valeur qu'il partage avec Camus, et sur la nécessité de résister aux simplifications manichéennes.


Cet épisode est une exploration lumineuse et passionnante de l'œuvre d'Albert Camus avec Hubert Védrine.

Vous pouvez commander l’essai ici : https://www.leslibraires.fr/livre/23136155-camus-notre-rempart-hubert-vedrine-plon

 

LUX, c'est le podcast qui écoute la lumière.


Ne manquez pas la semaine prochaine le quatrième épisode avec Anne Paceo, batteuse de jazz rencontrée pendant le festival de @JazzInMarciac, dont le dernier album S.H.A.M.A.N.E.S est disponible ici : https://annepaceo.com

En attendant le prochain à l’automne.Suivez-moi sur les réseaux sociaux Facebook et Instagramm @luciebrasseur


Laissez vos commentaires et 5 étoiles sur votre plateforme d'écoute préférée Spotify ou Apple Podcast !


Si vous aimez les podcasts comme Canapé 6 places de Léna Situations, InPower de Louise Aubery, Vlan! de Grégory Pouy ou Le monde d'Elodie d'Elodie Suigo sur France Info, vous aimerez #LUX le podcast de Lucie Brasseur.


Crédits :

Photo Lucie Brasseur Ivan Franchet

Le discours de Suède d'Albert Camus, prononcé lors de la remise du Prix Nobel en 1957 à Stockholm a été partagé par SOS RACISME et est disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=ZCort8RuuMc&t=200s.

Le prix Nobel lui a été décerné pour «l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière les problèmes se posant de nos jours à la conscience des hommes».


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est une sorte de choc d'adolescence, la façon dont il parlait de la lumière, du soleil, du petit bazar, des textes du début, dans le nocelle-été, des choses comme ça. Ça m'a complètement ébloui.

  • Speaker #1

    Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique ? Un arrêt qui le portait d'un coup seul et réduit à lui-même au centre d'une lumière crue.

  • Speaker #2

    Fermez les yeux. Luxe, c'est le podcast qui écoute la lumière. Je m'appelle Lucie Brasseur. Je suis journaliste, entrepreneur, écrivain, militante et maman. Pour ce troisième épisode, je reçois Hubert Védrine, haut fonctionnaire et homme politique français, longtemps membre du Parti Socialiste, secrétaire général de l'Élysée sous Mitterrand et ministre des Affaires étrangères du gouvernement. Jospin Souchirac, il est surtout l'auteur amoureux de Camus, notre dernier rempart paru chez Plon au printemps. Magnifique essai sur l'auteur de L'étranger et de Nos à Tipaza, il semble ouvrir des portes vers d'autres dimensions et d'autres profondeurs que la vision stricto-géopolitique du monde qu'Hubert Védrine apporte généralement quand on l'invite. D'ailleurs, quand mon confrère de la PQR, également présent lors de notre échange, l'a à son tour interrogé, le niveau de la voix comme la posture ont changé. C'est dire comme il a révélé son intimité. Vous venez, je vous le présente. Comment vous êtes passionné pour Camus ?

  • Speaker #0

    C'est une sorte de choc d'adolescence. Quand Camus avait eu le prix Nobel, mes parents m'avaient offert un disque dans lequel il y avait des textes de Camus avec sa voix si particulière, si attachante, des textes d'Origiani, de Maria Cazares, etc. Et donc je l'écoutais sans arrêt et j'ai été, je ne sais pas comment vous le dire, mais moi je ne suis pas d'Algérie, je ne suis pas pied-noir. Mais la façon dont il parlait de la lumière, du soleil, de Tipaza, l'été du début, dans Noce, c'est l'été, des choses comme ça, ça m'a complètement ébloui. J'y adorais. J'en connaissais 30 pages par cœur. Et donc, j'avais déjà ça en moi quand il est mort, heureusement. J'en ai su ressembler dans l'accident de voiture. D'abord, ça m'a plus frappé que si je ne l'avais pas découvert avant. Et après, j'étais tellement saisi de sa langue, ce n'était pas la philosophie. C'est venu après, dans ma curiosité. Mais ça a l'air, en mode d'expression, que dès que j'ai eu un peu d'argent de poche après le bac, j'étais prof comme ça pendant longtemps dans une boîte privée prof d'histoire géo, j'ai été à Tipaza pour découvrir Tipaza. Puis j'ai erré pendant deux jours dans les ruines. Donc c'est une vraie histoire de... Alors j'ai eu plein d'autres passions littéraires ou de choses de ce type, mais c'est quand même l'élément fondateur, fondateur pour moi. Et ça m'a accompagné toute ma vie, même si j'ai fait mille autres choses puisque j'ai passé la... comme mes vieux pouvoirs, et j'ai eu la curiosité depuis un an ou deux de revenir à Camus.

  • Speaker #2

    Dans votre livre, justement, vous dites que lors de votre passage à Tipaza, vous caressez la plaque commémorative qui vient d'être posée, sur laquelle il est écrit Je comprends ici ce qu'on appelle gloire, le droit d'aimer sans mesure Qu'est-ce que ça vous inspire, vous ?

  • Speaker #0

    Alors ça dépend si c'est moi maintenant ou moi à l'époque, mais je ne suis pas la même personne en réalité. A l'époque, je suis un adolescent et je suis fasciné par cette langue, par la beauté, la sensualité dans Camus qui est quatante aujourd'hui. Mais je ne le vis pas comme ça, ça me paraît simplement beau. Les garçons que j'étais à l'époque, qu'est-ce que c'est de lire pour moi le droit des muses sans mesure ? En réalité, je ne suis pas capable de vous le dire aujourd'hui. Je sais que ça m'a énormément frappé, accompagné, la beauté des mots de Camus. Et quand on revient maintenant, quelles que soient les phrases, on le voit bien dans les textes du début, on le voit bien dans le... Le premier homme qui est le roman en posthume, c'est une langue extraordinaire. Il n'y a jamais un mot de trop, il ne manque jamais un mot. C'est parfaitement juste et il n'y a aucune scorie. Il n'y a pas tout ce qui est envahi du langage contemporain qui est épouvantable, tout le langage de la corporette, tout le langage de la com, le globiste, tout ce machin. Il n'y a rien de ça. Il n'y a qu'une langue belle, bûre, simple, pas du tout non plus froide. Et ça, c'est une raison d'après.

  • Speaker #2

    Est-ce que vous pensez que ça a inspiré votre façon ? d'écrire dans vos missions professionnelles ?

  • Speaker #0

    Non, je n'aurai pas cette prétention, mais des fois, quand j'écris des textes et que je me relis une fois, deux fois, trois fois, je raye, je raye tous les mots en trop, mais je n'aurai pas l'intrepidence de comparer. Non, c'est une musique qui m'a toujours accompagné. D'autre part, même si je tente à la fin du livre, c'est un peu osé, ce qu'a fait le dialogue du chronique. Qu'est-ce qu'aurait pensé Clérus s'il avait vécu beaucoup plus longtemps ? On peut compester, bien sûr, mais tout le monde le fait, avec les grands auteurs qui nous habitent. Même les philosophes, ils passent leur temps à dialoguer avec Socrate, Slaton ou Aristote. Donc ce n'est pas complètement interdit ni choquant. Je ne sais pas si c'est convaincant. Mais donc il y a une sorte d'inspiration qui n'est pas transposable mécaniquement. Et je ne peux pas dire que dans la vie de pouvoir que j'ai menée, puisque j'ai mené une vie pas tellement politique de pouvoir, ça ne s'applique pas automatiquement à ce qu'il aurait fait là. Malgré ça, ce que je dis, on fait limite de l'inspiration. Mais malgré ça, ça m'a accompagné comme une sorte de musique qui ne m'a jamais lâché. Et c'est beaucoup la langue avant d'être la réflexion, avant d'être les idées, même s'il y a un débat d'idées très puissant, très fort. Et je reviens à l'épisode majeur, quel affrontement entre lui et Serp dans le début des années 50.

  • Speaker #2

    Vous dites que cet affrontement est toujours d'une extrême actualité. Qu'est-ce que vous entendez par là ? À quel endroit de l'actualité aujourd'hui vous voyez toujours l'affrontement Sartre-Camus ?

  • Speaker #0

    Alors, pas exactement le contenu de l'affrontement, mais la solitude de Camus. C'est ça qui me fait penser à l'époque contemporaine, parce qu'en gros, Sartre, à l'époque, et la figure de Pou est un talent géant, d'ailleurs, des progressistes, des gens qui n'ont jamais résisté pendant la guerre, mais ils se rattrapent un peu après. C'est bien, pendant la guerre, il y a eu 1% de résistants, 1% de collabos, et ils ont vivé au jour le jour. Bon, Sartre, il en rajoute beaucoup après la guerre. Et il devient à la tête du groupe progressiste, aligné sur l'URSS, l'URSS de Staline. Et donc ils n'acceptent pas qu'au nom de la lutte des classes, au nom de la lutte historique, qu'on puisse critiquer en quoi que ce soit l'Union soviétique. Et qu'à lui en face, il écrit l'homme révolté

  • Speaker #1

    L'homme refuse le monde tel qu'il est et pourtant il n'accepte pas de lui échapper. En fait, les hommes tiennent au monde et dans leur immense majorité, ils ne désirent pas le quitter. Loin de vouloir toujours l'oublier, il souffre au contraire de le point le posséder assez, étrange citoyen du monde exilé dans leur propre patrie. Sauf aux instants fulgurants de la plénitude, toute réalité est pour eux inachevée.

  • Speaker #0

    Lui qui est d'origine vraiment plus que modeste, boursier du lycée d'Afgé, il sait ce que c'est en fait, la pauvreté. Donc il écrit un livre en disant oui, on a des tas de raisons de se révolter, bien sûr, il y a plein de choses injustes qu'on veut combattre, mais... La révolte ne justifie pas tout. Elle ne justifie pas n'importe quoi. Elle ne justifie pas le meurtre politique. Dans les récumptes, on voit un anarchiste qui renonce. Elle a lancé les bombes dans le carrosse du Grand-Duc parce qu'il y a des enfants dedans. La banque, il dit ça. Il y a des limites. À un autre moment, il dit à un homme, ça s'empêche. Il n'est pas tellement moraliste en réalité, contre moi ce qu'on croit, mais il a une éthique très puissante. Tous les sapriens, l'attaque des temps modernes, ils n'ont jamais rien compris. Ils ne comprennent pas la lutte historique. Ils ne comprennent pas... le matériel historique, il ne comprend pas la lutte des classes, blablabla. Et alors, la comparaison que je fais avec le phénomène du wokisme, qui est en train de ravager les États-Unis, en tout cas, certains secteurs, les grandes universités, les facs, la com, plein de choses, c'est que Camus est seul. Donc, ce n'est pas simplement le wokisme, c'est la solitude. Si on compare aujourd'hui, ce n'est pas le wokisme, c'est la cancel culture, le fait d'empêcher quelqu'un qui ne pense pas. comme veulent les groupes activistes, l'empêcher d'éditer, de passer la radio, de faire des livres, de faire des conférences, une sorte de mort sociale. Et il m'a semblé en relisant, donc c'est les dernières années, j'ai fait ça en 2022, en 2024, que ça ressemblait à la certaine situation d'interdiction par la consécution quand Camus est quasiment seul face au Sartreien qui domine Saint-Germain-des-Prés en gros après la guerre. Alors, à l'époque, il n'y a pas de réseau, donc c'est les réseaux sociaux, c'est la presse. Il est défendu par Roné Char, son aimé, son vrai pote, quoi. Il est défendu par Romain Garry, qui est une sorte d'original, et puis par Jean Gué, donc c'est à peu près tout. Donc, la compréhension que j'ai faite, c'est la solitude de Camus.

  • Speaker #2

    Vous parlez de Roné Char. Il y a une très belle lettre que vous publiez à l'intérieur de votre essai, qui dit que... Camus était un homme joyeux. Quand vous relisez son travail, L'homme révolté, il est juste, vous y voyez un homme joyeux, lumineux, un homme solaire ?

  • Speaker #0

    Alors lumineux, oui. Solaire, oui. Joyeux, non. On ne le voit pas en fait. On ne le voit pas dans ses œuvres. Mais on le voit dès qu'on lit les témoignages. Les témoignages dans sa famille, sa fille, qui a fait énormément pour perpétuer la connaissance de l'œuvre et qui a autorisé la publication du premier homme il y a quelques années. les témoignages des autres, il y a des photos, il est en train de rigoler, il joue avec les enfants. On raconte maintenant qu'il avait réécrit l'étranger. c'est le sujet de la semaine d'ailleurs, l'étranger, une sorte de deuxième manuscrit, et qu'il le foulait au pied comme ça, pour le faire un peu vieux, vous savez, comme les jeunes avec les jeans, il y a des côtés, disons, assez rigolos, et puis il y a un côté populaire, un côté sympa qui est toujours continué chez lui, à travers le foot, les matchs de poche, donc le côté vivant, populaire, oui, énormément. Il y a un personnage, manifestement, comme père de famille, comme l'amant de quelques femmes qui l'ont adoré, mais... Il ne faut pas projeter les résumements contemporains sur Camus qui était très aimé, ce n'est pas du tout un prédateur, qui montre un homme très vivant, très attachant et sympa. Oui, potentiellement rigolo, on ne voit pas dans les textes.

  • Speaker #2

    Dans le dialogue Uchronique, à la fin, il y a des mots qui reviennent, des mots que vous avez déjà prononcés depuis qu'on échange aujourd'hui, sur les mots droiture, morale versus éthique et responsabilité. Est-ce qu'en fait, ces grandes valeurs, ces grands piliers de l'œuvre de Camus, ce sont des valeurs qui vous ont permis d'avancer en tant qu'homme de pouvoir ?

  • Speaker #0

    Comme je l'ai dit, honnêtement, on ne peut pas transposer mécaniquement. Donc, vous pouvez s'amuser intellectuellement à se dire mais qu'est-ce que Camus aurait pensé de ceci, cela ? Mais on n'a pas le droit d'aller au-delà. Et comme il avait énormément souffert dans la ferme d'Algérie, il n'a pas connu l'indépendance qui est des morts enfouissantes. Et qu'il avait dit à Stockholm, un étudiant algérien nationaliste qui l'agressait, il avait dit, entre la justice de ma mère, je préfère ma mère. Ça a été surinterprété comme étant une sorte de choix colonial, etc. Ce n'est pas vrai. Parce que sa mère, qui est très attachée à sa mère, qui est à moitié malphabète, qui est une famille très très pauvre, un mec malphabète venu de Minorque, un blague qui s'appelle Mircadal, à Minorque. La grand-mère est une paysanne inflexible. La mer est à moitié sur, on est à moitié dans le sol. Il est très, très, très attaché. Ce monde de misère et de soleil, c'est ce qu'il dit. Donc il y a des mots magnifiques arrachés à ce milieu, grâce à un instituteur extraordinaire qui devrait être le saint patron. Si on était dans l'époque chrétienne d'autrefois, il deviendrait le saint patron des institutes. Alors M. Louis Germain, extraordinaire, qui détecte le jeune canut, qui obtient une bourse pour le mi, qui se bat avec la grand-mère qui veut qu'il aille travailler, on ne peut plus payer, on a besoin d'argent. Dans la famille, il n'y a rien. Il faut que j'aille travailler chez le... Je ne sais pas qui, le quincailler des côtés, tout comme ça. Donc, il y a toute une espèce de processus, et ça ne le rend pas moraliste. D'ailleurs, lui dit lui-même, j'aime pas tout cet aspect de blabla. Il n'aime pas qu'on l'enferme dans l'image du moralier. Il y a une éthique qui est très forte, et cette éthique, désolé de le dire, elle ne permet pas de trancher automatiquement. Dans les situations, quand on est au pouvoir, on n'a jamais le choix. Entre le bien et le mal, ça n'existe pas, ça. Elles sont entre différentes mauvaises solutions, plus ou moins bonnes. Et comme il était vraiment déchiré sur l'Algérie, il a d'ailleurs quasiment rompu avec Jean Daniel, le fondateur, le patron de l'Observateur, qui est un personnage formidable aussi. Ils ont rompu. Mais quand Camus a eu le Nobel, Jean Daniel lui a écrit quand même. Et à l'air, Camus lui dit, l'important, c'est que nous soyons tous les deux déchirés. Il y a des choses comme ça, on ne sombre jamais complètement dans un camp contre l'autre. Donc je pense que ça l'aurait empêché de devenir manichéen. Et donc si on imagine les événements géants, terribles, au fil des décennies après, je pense qu'il aurait toujours été un peu au-dessus ou un peu ailleurs. D'ailleurs, il contestait la notion d'écrivain engagé. Ça, c'est le concept serpillien en fait. Il est en disant, on est embarqué, on n'a pas le choix, on est embarqué dans notre époque, dans la vie de notre époque. Mais on n'est pas engagé, parce que pour lui, c'est voulu dire maniquer un sectaire partisan. C'est un terme beaucoup plus complexe que l'idée qu'on en a fait après.

  • Speaker #2

    C'est dans ça qu'il est notre dernier rempart ?

  • Speaker #0

    Alors, le mot de rempart est résulté d'une conversation entre l'éditeur, Jean-Paul Barret, qui vient d'écrire d'ailleurs le premier de trois tomes une biographie du général de Gaulle, qui à mon avis sera la biographie formidable. Donc, on discutait tous les deux et c'est venu comme ça. On part contre quoi ? Contre la bêtise, tout bête. Contre le fanaticisme. Alors, il y a aussi le côté langue. Dans le monde dans lequel on vit, je ne vais pas le répéter, mais lire quelques pages de Camus, c'est merveilleux. Il y a un côté détox, vous voyez, par rapport à la langue. Oui, c'est vrai. C'est beau, c'est juste. Donc, ça rempart contre ça. Et vu l'honnêteté des prises de position, sans que ce soit dû. du moralisme gnangnan, qu'il y a des moralistes méchants en plus, il y a des moralistes manichéens, qui veulent imposer leur morale avec des pieds quand même. Camus, ce n'est pas ça du tout. Donc, c'est un rempart pour ceux qui veulent bien le relire, le découvrir, le redécouvrir. C'est un rempart contre ça.

  • Speaker #2

    Qu'est-ce que vous auriez envie de dire à la jeunesse après avoir relu l'intégralité de l'œuvre de Camus et pas seulement son œuvre, aussi toute la littérature qu'il y a eu autour de Camus ces dernières années ?

  • Speaker #0

    Ce que j'ai envie de dire, c'est qu'il faut relire Camus. Les merveilleux livres du début, les nouvelles dans l'été, les nouvelles dans… dans Nos, L'étranger, c'est un des livres les plus connus. Je crois qu'il a été acheté par 52, élu par 52 millions de personnes dans le monde. J'ai une cinquantaine de langues, c'est dingue. Et puis, le premier homme aussi. Ce qui est désespérant, c'est de croire à des choses idéales qui n'existent pas et d'être épouvanté chaque matin en écoutant les nouvelles. Parce que du coup, on ne sait pas quoi faire.

  • Speaker #2

    En même temps, quand je vous entends parler de réalisme, Je ne vais pas m'empêcher de revenir au livre que vous avez écrit sur Camus. Je trouve qu'il y a un parallèle dans la pensée qui est permanent, sur ce devoir, presque ce devoir de réalité et d'honnêteté vis-à-vis de soi-même, du monde, de l'avenir, de ce que je peux faire, de ce que je ne peux pas faire.

  • Speaker #0

    Vous êtes une bonne lectrice.

  • Speaker #2

    Je vous remercie.

  • Speaker #0

    Ça veut dire que je mets en avance ce que je crois avoir en commun avec Camus. Si ce n'est pas trop prétentieux, c'est le... une sorte de responsabilité. Vous savez, on distingue, selon Max Weber, l'éthique de conviction, je dis ce que je pense et je suis convaincu de ce que je dis. Et l'éthique de responsabilité, dans lequel on a besoin de mesurer le poids de ses paroles. Et moi, comme j'étais jeté dans le bain du pouvoir au plus haut niveau par Mitterrand, j'ai 34 ans, du jour au lendemain, on ne peut plus se dire, j'écris ça parce que c'est ce que je pense. Mais si j'écris ça et que ça a une influence en vrai, et que je suis responsable des résultats. Donc, qu'est-ce que je dis ? Donc, j'étais marqué, moi, par l'esprit de responsabilité, et je ne veux pas en changer maintenant. Et je trouve qu'une part des pieds est complètement différente, pas rutique, au milieu de son état. Encore une fois, ce n'est pas le principe, le chère moralisme, c'est autre chose. Quel mieux, comme ça, en termes de sens des responsabilités ? Et en ayant le débat avec Chartres, c'est évident, ça.

  • Speaker #2

    Vous parlez de ce premier voyage, c'est 1965 ? En Algérie ?

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est celui qui vous a donné le goût de l'international ?

  • Speaker #0

    Non, parce que j'ai vécu dans un milieu, une famille très ouverte. Je m'étais chez l'international, pour des raisons trop longues à raconter, puis ce n'est pas le lieu ici. Mais mon père a joué un rôle très important dans l'indépendance du Maroc. Et donc, le Maroc faisait partie de notre vie. Il avait des amis dont tout le monde avait des cousins en Louisiane. On s'appelait les Vidrines. On avait des amis américains. J'ai été un peu routard. À l'époque où j'étais étudiant, j'étais en voiture en Afghanistan. Et donc, ce n'est pas lié à ça. Ça en fait partie, disons. Mais ce n'est pas le déclencheur. J'ai vécu dans un milieu qui était naturellement ouvert à ces questions.

  • Speaker #2

    En revanche, est-ce que c'est ce moment-là qui vous a donné envie de recommander, disons, à François Mitterrand d'aller avec son homologue algérien se promener pour se faire filmer ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est une anecdote. Mais j'ai tellement aimé qui passe à l'endroit tellement inspirant. En fait... qu'un jour où François Mitterrand avait une réunion prévue avec le président algérien, il voulait tous les deux améliorer la relation en y allant pour une amour, parce que c'est un juge explosif quand même. Donc il y avait une réunion à côté, au siège de la présidente du gouvernement, je crois que c'est Zeranda, je crois que c'est pas très loin de dire ça. Donc j'ai eu l'idée comme ça, mais c'est une astuce de com'. Je ne suis pas un homme de com'du tout, mais j'ai pu avoir des idées qui étaient des idées de ce genre. Donc j'ai dit, mais en fait, la conférence de presse que vous devez faire, vous pourriez la faire avec Tipazard en fond, ce serait magnifique. Elle dit oui, très bien.

  • Speaker #2

    Ça ressemble aussi à...

  • Speaker #0

    D'accord. Châtelier, Présent, Châtelier, ça très bien. Donc, on a emmené tout le système à Tipazard et on voit Mitterrand et Châtelier qui marchent en devisant. Là, évidemment, il y a 250 photographes, journalistes, mais on ne les voit pas. Donc, on les voit, on a Tipazard, il y a au fond la fameuse montagne de Chénois, tout ça. Donc, c'est une petite astuce de mise en scène, mais ce n'était pas mon métier.

  • Speaker #2

    Ça ressemble aussi un peu à... un clin d'œil de passion.

  • Speaker #0

    Oui, mais je l'ai fait ailleurs. Dans d'autres endroits, on l'a fait entre Mitterrand et Georges Bruch, le père, etc. Oui, bien sûr, mais c'était trop tentant. La réunion qui avait lieu juste à côté, à 20 kilomètres. J'ai eu beaucoup de lettres. J'ai beaucoup plus de lettres sur ce livre que sur les livres de jeux politiques qui se vendent bien en général, mais les gens le lisent, ça ne leur donne pas envie d'écrire. Mais Camus a représenté tellement pour des gens de ma génération ou alors 10 ou 20 ans de plus ou 10 ou 20 ans de moins. ou d'autres qui ont découvert que j'ai plein de lettres. C'est amusant ça, les gens qui prennent le temps d'écrire des vraies lettres. Alors il y a des messages, des SMS, mais aussi des lettres. Ils en racontent ce que ça a représenté pour eux. Et Tipaza vient souvent dans ces tableaux. Le lieu Tipaza, il y a des lieux inspirés quand même. Merci. Merci.

  • Speaker #2

    Vous avez senti toute la lumière et l'amour qui irradient des mots d'Hubert Védrine quand il parle de Camus ? Ça vous a donné envie de relire le premier homme ou d'aller voir une représentation des Justes ? Quel est le livre de Camus qui vous a le plus marqué ? Comme Hubert Védrine, vous êtes allé sur les traces de l'auteur de L'Homme révolté à Tipaza ? Racontez-moi sur les réseaux ou en commentaire de l'épisode sur les plateformes d'écoute votre relation à l'auteur de l'étranger. Et n'oubliez pas de laisser 5 étoiles. C'est essentiel pour que le podcast gagne de la visibilité dans les suggestions de Spotify ou d'Apple Podcast. La semaine prochaine, je vous présente une méga meuf, du genre de celle qui fonce lever le matin avec un motivation maître gonflé à bloc. Elle est batteuse de jazz, son nom est le premier des femmes batteuses inscrits dans le dictionnaire du jazz. Elle s'appelle Anne Paceo. Bien que notre rencontre ait été brève, je suis sûre que ça va vous plaire. Et je crois bien que je retournerai la rencontrer à l'automne lorsqu'elle sortira son nouveau diss. Patience, c'est la semaine prochaine. Fermez les yeux.

  • Speaker #0

    Luxe,

  • Speaker #2

    c'est le podcast qui écoute la lumière.

  • Speaker #1

    Sire, Madame, Altesse Royale, Mesdames, Messieurs. En recevant la distinction dont votre libre académie a bien voulu m'honorer, Ma gratitude était d'autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme, et à plus forte raison tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m'a pas été possible d'apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d'un coup seul et réduit à lui-même au centre d'une lumière crue ? De quel cœur aussi ? Pouvait-il recevoir cet honneur à l'heure où en Europe d'autres écrivains, et par nous les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ? J'ai connu ce Deja-Roi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m'a fallu en somme me mettre en règle avec un corps au généraux. Et puisque je ne pouvais m'égaler à lui, En m'appuyant sur mes seuls mérites, je n'ai rien trouvé d'autre pour m'aider que ce qui m'a soutenu tout au long de ma vie, et dans les circonstances les plus contraires, je veux dire l'idée que je me fais de mon art et du rôle de l'écrivain. Permettez seulement que dans un sentiment de reconnaissance et d'amitié, je vous dise aussi simplement que je le pourrais, qu'elle est satisfaite. Je ne puis vivre personnellement sans mon art, mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S'il m'est nécessaire, au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne et me permet de vivre tel que je suis, au niveau de tous. L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance funéraire. Il est un moyen de dénouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée. des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l'artiste à ne pas se séparer. Il ne soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui souvent a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent apprend bien vite qu'il ne nourrira son art et sa différence qu'en avouant sa ressemblance avec tous. L'artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne maîtrisent rien. Ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. Et s'ils ont un parti à prendre en ce monde, ce n'est peut-être que celui d'une société. où selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge. mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel. Le rôle de l'écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire. Il est au service de ceux qui la subissent. Ou sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie. avec leurs millions d'hommes, ne l'enlèveront pas à la solitude, même si ils consentent à prendre leur part. Mais le silence d'un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l'autre bout du monde, suffit à retirer l'écrivain de l'exil, chaque fois du moins qu'il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence, et à le relayer pour le faire retentir. par les moyens de l'art. Aucun de nous n'est assez grand pour une pareille vocation. Mais dans toutes les circonstances de sa vie, obscure ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s'exprimer, l'écrivain peut retrouver le sentiment d'une communauté vivante qui le justifiera à la seule condition qu'il accepte. Autant qu'il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier, le service de la vérité et celui de la liberté.

Chapters

  • 00:00 Introduction

    00:00

  • 00:41 La fascination pour Camus

    00:41

  • 03:07 La langue et l'expression de Camus

    03:07

  • 05:31 La solitude de Camus et son affrontement avec Sartre

    05:31

  • 08:27 L'éthique et la responsabilité dans l'écriture

    08:27

  • 15:13 Relire Camus et redécouvrir son œuvre

    15:13

  • 20:58 Conclusion

    20:58

Share

Embed

You may also like

Description

Pour ce troisième épisode de LUX, le podcast qui écoute la lumière, Lucie Brasseur, journaliste, entrepreneure, écrivaine, militante et maman a rencontré Hubert Védrine, à l’occasion de la sortie chez Plon, au printemps dernier, de son essai-amoureux Camus, notre dernier Rempart.


Hubert Védrine, a passé 19 ans au pouvoir comme éminent fonctionnaire et homme politique français, ancien membre du Parti Socialiste, secrétaire général de l'Élysée sous François Mitterrand et ministre des Affaires étrangères sous Lionel Jospin.


Cet essai magnifique plonge dans l'univers de l'auteur de L'Étranger et de Noces à Tipasa, nous offrant une perspective intime et profonde liée à la rencontre d'Hubert Védrine avec Camus, bien au-delà de la vision strictement géopolitique à laquelle le haut fontionnaire nous a habitués.


Dans cet épisode, Védrine nous raconte comment il a découvert Camus à l'adolescence grâce à un disque offert par ses parents, contenant des textes lus par Camus lui-même. Il évoque la fascination immédiate qu'il a ressentie pour la langue et les expressions de Camus, une admiration qui l'a accompagné toute sa vie. Védrine partage ses réflexions sur la solitude de Camus face à l'immense figure de Sartre, un affrontement d'idées toujours actuel selon lui, particulièrement à la lumière des phénomènes contemporains comme le wokisme.


Hubert Védrine évoque la manière dont les mots et l'éthique de Camus ont l’influencé dans sa carrière et sa vie personnelle. Il souligne la beauté et la justesse de la langue de Camus, en contraste avec le langage contemporain souvent envahi par la communication corporate.


Hubert Védrine nous invite à redécouvrir l'œuvre de Camus, à lire ou relire Le Premier Homme, L'Étranger et Noces, des œuvres qui, malgré le temps, restent d'une actualité poignante et inspirante. Il insiste sur l'importance de l'éthique de responsabilité, une valeur qu'il partage avec Camus, et sur la nécessité de résister aux simplifications manichéennes.


Cet épisode est une exploration lumineuse et passionnante de l'œuvre d'Albert Camus avec Hubert Védrine.

Vous pouvez commander l’essai ici : https://www.leslibraires.fr/livre/23136155-camus-notre-rempart-hubert-vedrine-plon

 

LUX, c'est le podcast qui écoute la lumière.


Ne manquez pas la semaine prochaine le quatrième épisode avec Anne Paceo, batteuse de jazz rencontrée pendant le festival de @JazzInMarciac, dont le dernier album S.H.A.M.A.N.E.S est disponible ici : https://annepaceo.com

En attendant le prochain à l’automne.Suivez-moi sur les réseaux sociaux Facebook et Instagramm @luciebrasseur


Laissez vos commentaires et 5 étoiles sur votre plateforme d'écoute préférée Spotify ou Apple Podcast !


Si vous aimez les podcasts comme Canapé 6 places de Léna Situations, InPower de Louise Aubery, Vlan! de Grégory Pouy ou Le monde d'Elodie d'Elodie Suigo sur France Info, vous aimerez #LUX le podcast de Lucie Brasseur.


Crédits :

Photo Lucie Brasseur Ivan Franchet

Le discours de Suède d'Albert Camus, prononcé lors de la remise du Prix Nobel en 1957 à Stockholm a été partagé par SOS RACISME et est disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=ZCort8RuuMc&t=200s.

Le prix Nobel lui a été décerné pour «l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière les problèmes se posant de nos jours à la conscience des hommes».


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est une sorte de choc d'adolescence, la façon dont il parlait de la lumière, du soleil, du petit bazar, des textes du début, dans le nocelle-été, des choses comme ça. Ça m'a complètement ébloui.

  • Speaker #1

    Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique ? Un arrêt qui le portait d'un coup seul et réduit à lui-même au centre d'une lumière crue.

  • Speaker #2

    Fermez les yeux. Luxe, c'est le podcast qui écoute la lumière. Je m'appelle Lucie Brasseur. Je suis journaliste, entrepreneur, écrivain, militante et maman. Pour ce troisième épisode, je reçois Hubert Védrine, haut fonctionnaire et homme politique français, longtemps membre du Parti Socialiste, secrétaire général de l'Élysée sous Mitterrand et ministre des Affaires étrangères du gouvernement. Jospin Souchirac, il est surtout l'auteur amoureux de Camus, notre dernier rempart paru chez Plon au printemps. Magnifique essai sur l'auteur de L'étranger et de Nos à Tipaza, il semble ouvrir des portes vers d'autres dimensions et d'autres profondeurs que la vision stricto-géopolitique du monde qu'Hubert Védrine apporte généralement quand on l'invite. D'ailleurs, quand mon confrère de la PQR, également présent lors de notre échange, l'a à son tour interrogé, le niveau de la voix comme la posture ont changé. C'est dire comme il a révélé son intimité. Vous venez, je vous le présente. Comment vous êtes passionné pour Camus ?

  • Speaker #0

    C'est une sorte de choc d'adolescence. Quand Camus avait eu le prix Nobel, mes parents m'avaient offert un disque dans lequel il y avait des textes de Camus avec sa voix si particulière, si attachante, des textes d'Origiani, de Maria Cazares, etc. Et donc je l'écoutais sans arrêt et j'ai été, je ne sais pas comment vous le dire, mais moi je ne suis pas d'Algérie, je ne suis pas pied-noir. Mais la façon dont il parlait de la lumière, du soleil, de Tipaza, l'été du début, dans Noce, c'est l'été, des choses comme ça, ça m'a complètement ébloui. J'y adorais. J'en connaissais 30 pages par cœur. Et donc, j'avais déjà ça en moi quand il est mort, heureusement. J'en ai su ressembler dans l'accident de voiture. D'abord, ça m'a plus frappé que si je ne l'avais pas découvert avant. Et après, j'étais tellement saisi de sa langue, ce n'était pas la philosophie. C'est venu après, dans ma curiosité. Mais ça a l'air, en mode d'expression, que dès que j'ai eu un peu d'argent de poche après le bac, j'étais prof comme ça pendant longtemps dans une boîte privée prof d'histoire géo, j'ai été à Tipaza pour découvrir Tipaza. Puis j'ai erré pendant deux jours dans les ruines. Donc c'est une vraie histoire de... Alors j'ai eu plein d'autres passions littéraires ou de choses de ce type, mais c'est quand même l'élément fondateur, fondateur pour moi. Et ça m'a accompagné toute ma vie, même si j'ai fait mille autres choses puisque j'ai passé la... comme mes vieux pouvoirs, et j'ai eu la curiosité depuis un an ou deux de revenir à Camus.

  • Speaker #2

    Dans votre livre, justement, vous dites que lors de votre passage à Tipaza, vous caressez la plaque commémorative qui vient d'être posée, sur laquelle il est écrit Je comprends ici ce qu'on appelle gloire, le droit d'aimer sans mesure Qu'est-ce que ça vous inspire, vous ?

  • Speaker #0

    Alors ça dépend si c'est moi maintenant ou moi à l'époque, mais je ne suis pas la même personne en réalité. A l'époque, je suis un adolescent et je suis fasciné par cette langue, par la beauté, la sensualité dans Camus qui est quatante aujourd'hui. Mais je ne le vis pas comme ça, ça me paraît simplement beau. Les garçons que j'étais à l'époque, qu'est-ce que c'est de lire pour moi le droit des muses sans mesure ? En réalité, je ne suis pas capable de vous le dire aujourd'hui. Je sais que ça m'a énormément frappé, accompagné, la beauté des mots de Camus. Et quand on revient maintenant, quelles que soient les phrases, on le voit bien dans les textes du début, on le voit bien dans le... Le premier homme qui est le roman en posthume, c'est une langue extraordinaire. Il n'y a jamais un mot de trop, il ne manque jamais un mot. C'est parfaitement juste et il n'y a aucune scorie. Il n'y a pas tout ce qui est envahi du langage contemporain qui est épouvantable, tout le langage de la corporette, tout le langage de la com, le globiste, tout ce machin. Il n'y a rien de ça. Il n'y a qu'une langue belle, bûre, simple, pas du tout non plus froide. Et ça, c'est une raison d'après.

  • Speaker #2

    Est-ce que vous pensez que ça a inspiré votre façon ? d'écrire dans vos missions professionnelles ?

  • Speaker #0

    Non, je n'aurai pas cette prétention, mais des fois, quand j'écris des textes et que je me relis une fois, deux fois, trois fois, je raye, je raye tous les mots en trop, mais je n'aurai pas l'intrepidence de comparer. Non, c'est une musique qui m'a toujours accompagné. D'autre part, même si je tente à la fin du livre, c'est un peu osé, ce qu'a fait le dialogue du chronique. Qu'est-ce qu'aurait pensé Clérus s'il avait vécu beaucoup plus longtemps ? On peut compester, bien sûr, mais tout le monde le fait, avec les grands auteurs qui nous habitent. Même les philosophes, ils passent leur temps à dialoguer avec Socrate, Slaton ou Aristote. Donc ce n'est pas complètement interdit ni choquant. Je ne sais pas si c'est convaincant. Mais donc il y a une sorte d'inspiration qui n'est pas transposable mécaniquement. Et je ne peux pas dire que dans la vie de pouvoir que j'ai menée, puisque j'ai mené une vie pas tellement politique de pouvoir, ça ne s'applique pas automatiquement à ce qu'il aurait fait là. Malgré ça, ce que je dis, on fait limite de l'inspiration. Mais malgré ça, ça m'a accompagné comme une sorte de musique qui ne m'a jamais lâché. Et c'est beaucoup la langue avant d'être la réflexion, avant d'être les idées, même s'il y a un débat d'idées très puissant, très fort. Et je reviens à l'épisode majeur, quel affrontement entre lui et Serp dans le début des années 50.

  • Speaker #2

    Vous dites que cet affrontement est toujours d'une extrême actualité. Qu'est-ce que vous entendez par là ? À quel endroit de l'actualité aujourd'hui vous voyez toujours l'affrontement Sartre-Camus ?

  • Speaker #0

    Alors, pas exactement le contenu de l'affrontement, mais la solitude de Camus. C'est ça qui me fait penser à l'époque contemporaine, parce qu'en gros, Sartre, à l'époque, et la figure de Pou est un talent géant, d'ailleurs, des progressistes, des gens qui n'ont jamais résisté pendant la guerre, mais ils se rattrapent un peu après. C'est bien, pendant la guerre, il y a eu 1% de résistants, 1% de collabos, et ils ont vivé au jour le jour. Bon, Sartre, il en rajoute beaucoup après la guerre. Et il devient à la tête du groupe progressiste, aligné sur l'URSS, l'URSS de Staline. Et donc ils n'acceptent pas qu'au nom de la lutte des classes, au nom de la lutte historique, qu'on puisse critiquer en quoi que ce soit l'Union soviétique. Et qu'à lui en face, il écrit l'homme révolté

  • Speaker #1

    L'homme refuse le monde tel qu'il est et pourtant il n'accepte pas de lui échapper. En fait, les hommes tiennent au monde et dans leur immense majorité, ils ne désirent pas le quitter. Loin de vouloir toujours l'oublier, il souffre au contraire de le point le posséder assez, étrange citoyen du monde exilé dans leur propre patrie. Sauf aux instants fulgurants de la plénitude, toute réalité est pour eux inachevée.

  • Speaker #0

    Lui qui est d'origine vraiment plus que modeste, boursier du lycée d'Afgé, il sait ce que c'est en fait, la pauvreté. Donc il écrit un livre en disant oui, on a des tas de raisons de se révolter, bien sûr, il y a plein de choses injustes qu'on veut combattre, mais... La révolte ne justifie pas tout. Elle ne justifie pas n'importe quoi. Elle ne justifie pas le meurtre politique. Dans les récumptes, on voit un anarchiste qui renonce. Elle a lancé les bombes dans le carrosse du Grand-Duc parce qu'il y a des enfants dedans. La banque, il dit ça. Il y a des limites. À un autre moment, il dit à un homme, ça s'empêche. Il n'est pas tellement moraliste en réalité, contre moi ce qu'on croit, mais il a une éthique très puissante. Tous les sapriens, l'attaque des temps modernes, ils n'ont jamais rien compris. Ils ne comprennent pas la lutte historique. Ils ne comprennent pas... le matériel historique, il ne comprend pas la lutte des classes, blablabla. Et alors, la comparaison que je fais avec le phénomène du wokisme, qui est en train de ravager les États-Unis, en tout cas, certains secteurs, les grandes universités, les facs, la com, plein de choses, c'est que Camus est seul. Donc, ce n'est pas simplement le wokisme, c'est la solitude. Si on compare aujourd'hui, ce n'est pas le wokisme, c'est la cancel culture, le fait d'empêcher quelqu'un qui ne pense pas. comme veulent les groupes activistes, l'empêcher d'éditer, de passer la radio, de faire des livres, de faire des conférences, une sorte de mort sociale. Et il m'a semblé en relisant, donc c'est les dernières années, j'ai fait ça en 2022, en 2024, que ça ressemblait à la certaine situation d'interdiction par la consécution quand Camus est quasiment seul face au Sartreien qui domine Saint-Germain-des-Prés en gros après la guerre. Alors, à l'époque, il n'y a pas de réseau, donc c'est les réseaux sociaux, c'est la presse. Il est défendu par Roné Char, son aimé, son vrai pote, quoi. Il est défendu par Romain Garry, qui est une sorte d'original, et puis par Jean Gué, donc c'est à peu près tout. Donc, la compréhension que j'ai faite, c'est la solitude de Camus.

  • Speaker #2

    Vous parlez de Roné Char. Il y a une très belle lettre que vous publiez à l'intérieur de votre essai, qui dit que... Camus était un homme joyeux. Quand vous relisez son travail, L'homme révolté, il est juste, vous y voyez un homme joyeux, lumineux, un homme solaire ?

  • Speaker #0

    Alors lumineux, oui. Solaire, oui. Joyeux, non. On ne le voit pas en fait. On ne le voit pas dans ses œuvres. Mais on le voit dès qu'on lit les témoignages. Les témoignages dans sa famille, sa fille, qui a fait énormément pour perpétuer la connaissance de l'œuvre et qui a autorisé la publication du premier homme il y a quelques années. les témoignages des autres, il y a des photos, il est en train de rigoler, il joue avec les enfants. On raconte maintenant qu'il avait réécrit l'étranger. c'est le sujet de la semaine d'ailleurs, l'étranger, une sorte de deuxième manuscrit, et qu'il le foulait au pied comme ça, pour le faire un peu vieux, vous savez, comme les jeunes avec les jeans, il y a des côtés, disons, assez rigolos, et puis il y a un côté populaire, un côté sympa qui est toujours continué chez lui, à travers le foot, les matchs de poche, donc le côté vivant, populaire, oui, énormément. Il y a un personnage, manifestement, comme père de famille, comme l'amant de quelques femmes qui l'ont adoré, mais... Il ne faut pas projeter les résumements contemporains sur Camus qui était très aimé, ce n'est pas du tout un prédateur, qui montre un homme très vivant, très attachant et sympa. Oui, potentiellement rigolo, on ne voit pas dans les textes.

  • Speaker #2

    Dans le dialogue Uchronique, à la fin, il y a des mots qui reviennent, des mots que vous avez déjà prononcés depuis qu'on échange aujourd'hui, sur les mots droiture, morale versus éthique et responsabilité. Est-ce qu'en fait, ces grandes valeurs, ces grands piliers de l'œuvre de Camus, ce sont des valeurs qui vous ont permis d'avancer en tant qu'homme de pouvoir ?

  • Speaker #0

    Comme je l'ai dit, honnêtement, on ne peut pas transposer mécaniquement. Donc, vous pouvez s'amuser intellectuellement à se dire mais qu'est-ce que Camus aurait pensé de ceci, cela ? Mais on n'a pas le droit d'aller au-delà. Et comme il avait énormément souffert dans la ferme d'Algérie, il n'a pas connu l'indépendance qui est des morts enfouissantes. Et qu'il avait dit à Stockholm, un étudiant algérien nationaliste qui l'agressait, il avait dit, entre la justice de ma mère, je préfère ma mère. Ça a été surinterprété comme étant une sorte de choix colonial, etc. Ce n'est pas vrai. Parce que sa mère, qui est très attachée à sa mère, qui est à moitié malphabète, qui est une famille très très pauvre, un mec malphabète venu de Minorque, un blague qui s'appelle Mircadal, à Minorque. La grand-mère est une paysanne inflexible. La mer est à moitié sur, on est à moitié dans le sol. Il est très, très, très attaché. Ce monde de misère et de soleil, c'est ce qu'il dit. Donc il y a des mots magnifiques arrachés à ce milieu, grâce à un instituteur extraordinaire qui devrait être le saint patron. Si on était dans l'époque chrétienne d'autrefois, il deviendrait le saint patron des institutes. Alors M. Louis Germain, extraordinaire, qui détecte le jeune canut, qui obtient une bourse pour le mi, qui se bat avec la grand-mère qui veut qu'il aille travailler, on ne peut plus payer, on a besoin d'argent. Dans la famille, il n'y a rien. Il faut que j'aille travailler chez le... Je ne sais pas qui, le quincailler des côtés, tout comme ça. Donc, il y a toute une espèce de processus, et ça ne le rend pas moraliste. D'ailleurs, lui dit lui-même, j'aime pas tout cet aspect de blabla. Il n'aime pas qu'on l'enferme dans l'image du moralier. Il y a une éthique qui est très forte, et cette éthique, désolé de le dire, elle ne permet pas de trancher automatiquement. Dans les situations, quand on est au pouvoir, on n'a jamais le choix. Entre le bien et le mal, ça n'existe pas, ça. Elles sont entre différentes mauvaises solutions, plus ou moins bonnes. Et comme il était vraiment déchiré sur l'Algérie, il a d'ailleurs quasiment rompu avec Jean Daniel, le fondateur, le patron de l'Observateur, qui est un personnage formidable aussi. Ils ont rompu. Mais quand Camus a eu le Nobel, Jean Daniel lui a écrit quand même. Et à l'air, Camus lui dit, l'important, c'est que nous soyons tous les deux déchirés. Il y a des choses comme ça, on ne sombre jamais complètement dans un camp contre l'autre. Donc je pense que ça l'aurait empêché de devenir manichéen. Et donc si on imagine les événements géants, terribles, au fil des décennies après, je pense qu'il aurait toujours été un peu au-dessus ou un peu ailleurs. D'ailleurs, il contestait la notion d'écrivain engagé. Ça, c'est le concept serpillien en fait. Il est en disant, on est embarqué, on n'a pas le choix, on est embarqué dans notre époque, dans la vie de notre époque. Mais on n'est pas engagé, parce que pour lui, c'est voulu dire maniquer un sectaire partisan. C'est un terme beaucoup plus complexe que l'idée qu'on en a fait après.

  • Speaker #2

    C'est dans ça qu'il est notre dernier rempart ?

  • Speaker #0

    Alors, le mot de rempart est résulté d'une conversation entre l'éditeur, Jean-Paul Barret, qui vient d'écrire d'ailleurs le premier de trois tomes une biographie du général de Gaulle, qui à mon avis sera la biographie formidable. Donc, on discutait tous les deux et c'est venu comme ça. On part contre quoi ? Contre la bêtise, tout bête. Contre le fanaticisme. Alors, il y a aussi le côté langue. Dans le monde dans lequel on vit, je ne vais pas le répéter, mais lire quelques pages de Camus, c'est merveilleux. Il y a un côté détox, vous voyez, par rapport à la langue. Oui, c'est vrai. C'est beau, c'est juste. Donc, ça rempart contre ça. Et vu l'honnêteté des prises de position, sans que ce soit dû. du moralisme gnangnan, qu'il y a des moralistes méchants en plus, il y a des moralistes manichéens, qui veulent imposer leur morale avec des pieds quand même. Camus, ce n'est pas ça du tout. Donc, c'est un rempart pour ceux qui veulent bien le relire, le découvrir, le redécouvrir. C'est un rempart contre ça.

  • Speaker #2

    Qu'est-ce que vous auriez envie de dire à la jeunesse après avoir relu l'intégralité de l'œuvre de Camus et pas seulement son œuvre, aussi toute la littérature qu'il y a eu autour de Camus ces dernières années ?

  • Speaker #0

    Ce que j'ai envie de dire, c'est qu'il faut relire Camus. Les merveilleux livres du début, les nouvelles dans l'été, les nouvelles dans… dans Nos, L'étranger, c'est un des livres les plus connus. Je crois qu'il a été acheté par 52, élu par 52 millions de personnes dans le monde. J'ai une cinquantaine de langues, c'est dingue. Et puis, le premier homme aussi. Ce qui est désespérant, c'est de croire à des choses idéales qui n'existent pas et d'être épouvanté chaque matin en écoutant les nouvelles. Parce que du coup, on ne sait pas quoi faire.

  • Speaker #2

    En même temps, quand je vous entends parler de réalisme, Je ne vais pas m'empêcher de revenir au livre que vous avez écrit sur Camus. Je trouve qu'il y a un parallèle dans la pensée qui est permanent, sur ce devoir, presque ce devoir de réalité et d'honnêteté vis-à-vis de soi-même, du monde, de l'avenir, de ce que je peux faire, de ce que je ne peux pas faire.

  • Speaker #0

    Vous êtes une bonne lectrice.

  • Speaker #2

    Je vous remercie.

  • Speaker #0

    Ça veut dire que je mets en avance ce que je crois avoir en commun avec Camus. Si ce n'est pas trop prétentieux, c'est le... une sorte de responsabilité. Vous savez, on distingue, selon Max Weber, l'éthique de conviction, je dis ce que je pense et je suis convaincu de ce que je dis. Et l'éthique de responsabilité, dans lequel on a besoin de mesurer le poids de ses paroles. Et moi, comme j'étais jeté dans le bain du pouvoir au plus haut niveau par Mitterrand, j'ai 34 ans, du jour au lendemain, on ne peut plus se dire, j'écris ça parce que c'est ce que je pense. Mais si j'écris ça et que ça a une influence en vrai, et que je suis responsable des résultats. Donc, qu'est-ce que je dis ? Donc, j'étais marqué, moi, par l'esprit de responsabilité, et je ne veux pas en changer maintenant. Et je trouve qu'une part des pieds est complètement différente, pas rutique, au milieu de son état. Encore une fois, ce n'est pas le principe, le chère moralisme, c'est autre chose. Quel mieux, comme ça, en termes de sens des responsabilités ? Et en ayant le débat avec Chartres, c'est évident, ça.

  • Speaker #2

    Vous parlez de ce premier voyage, c'est 1965 ? En Algérie ?

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est celui qui vous a donné le goût de l'international ?

  • Speaker #0

    Non, parce que j'ai vécu dans un milieu, une famille très ouverte. Je m'étais chez l'international, pour des raisons trop longues à raconter, puis ce n'est pas le lieu ici. Mais mon père a joué un rôle très important dans l'indépendance du Maroc. Et donc, le Maroc faisait partie de notre vie. Il avait des amis dont tout le monde avait des cousins en Louisiane. On s'appelait les Vidrines. On avait des amis américains. J'ai été un peu routard. À l'époque où j'étais étudiant, j'étais en voiture en Afghanistan. Et donc, ce n'est pas lié à ça. Ça en fait partie, disons. Mais ce n'est pas le déclencheur. J'ai vécu dans un milieu qui était naturellement ouvert à ces questions.

  • Speaker #2

    En revanche, est-ce que c'est ce moment-là qui vous a donné envie de recommander, disons, à François Mitterrand d'aller avec son homologue algérien se promener pour se faire filmer ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est une anecdote. Mais j'ai tellement aimé qui passe à l'endroit tellement inspirant. En fait... qu'un jour où François Mitterrand avait une réunion prévue avec le président algérien, il voulait tous les deux améliorer la relation en y allant pour une amour, parce que c'est un juge explosif quand même. Donc il y avait une réunion à côté, au siège de la présidente du gouvernement, je crois que c'est Zeranda, je crois que c'est pas très loin de dire ça. Donc j'ai eu l'idée comme ça, mais c'est une astuce de com'. Je ne suis pas un homme de com'du tout, mais j'ai pu avoir des idées qui étaient des idées de ce genre. Donc j'ai dit, mais en fait, la conférence de presse que vous devez faire, vous pourriez la faire avec Tipazard en fond, ce serait magnifique. Elle dit oui, très bien.

  • Speaker #2

    Ça ressemble aussi à...

  • Speaker #0

    D'accord. Châtelier, Présent, Châtelier, ça très bien. Donc, on a emmené tout le système à Tipazard et on voit Mitterrand et Châtelier qui marchent en devisant. Là, évidemment, il y a 250 photographes, journalistes, mais on ne les voit pas. Donc, on les voit, on a Tipazard, il y a au fond la fameuse montagne de Chénois, tout ça. Donc, c'est une petite astuce de mise en scène, mais ce n'était pas mon métier.

  • Speaker #2

    Ça ressemble aussi un peu à... un clin d'œil de passion.

  • Speaker #0

    Oui, mais je l'ai fait ailleurs. Dans d'autres endroits, on l'a fait entre Mitterrand et Georges Bruch, le père, etc. Oui, bien sûr, mais c'était trop tentant. La réunion qui avait lieu juste à côté, à 20 kilomètres. J'ai eu beaucoup de lettres. J'ai beaucoup plus de lettres sur ce livre que sur les livres de jeux politiques qui se vendent bien en général, mais les gens le lisent, ça ne leur donne pas envie d'écrire. Mais Camus a représenté tellement pour des gens de ma génération ou alors 10 ou 20 ans de plus ou 10 ou 20 ans de moins. ou d'autres qui ont découvert que j'ai plein de lettres. C'est amusant ça, les gens qui prennent le temps d'écrire des vraies lettres. Alors il y a des messages, des SMS, mais aussi des lettres. Ils en racontent ce que ça a représenté pour eux. Et Tipaza vient souvent dans ces tableaux. Le lieu Tipaza, il y a des lieux inspirés quand même. Merci. Merci.

  • Speaker #2

    Vous avez senti toute la lumière et l'amour qui irradient des mots d'Hubert Védrine quand il parle de Camus ? Ça vous a donné envie de relire le premier homme ou d'aller voir une représentation des Justes ? Quel est le livre de Camus qui vous a le plus marqué ? Comme Hubert Védrine, vous êtes allé sur les traces de l'auteur de L'Homme révolté à Tipaza ? Racontez-moi sur les réseaux ou en commentaire de l'épisode sur les plateformes d'écoute votre relation à l'auteur de l'étranger. Et n'oubliez pas de laisser 5 étoiles. C'est essentiel pour que le podcast gagne de la visibilité dans les suggestions de Spotify ou d'Apple Podcast. La semaine prochaine, je vous présente une méga meuf, du genre de celle qui fonce lever le matin avec un motivation maître gonflé à bloc. Elle est batteuse de jazz, son nom est le premier des femmes batteuses inscrits dans le dictionnaire du jazz. Elle s'appelle Anne Paceo. Bien que notre rencontre ait été brève, je suis sûre que ça va vous plaire. Et je crois bien que je retournerai la rencontrer à l'automne lorsqu'elle sortira son nouveau diss. Patience, c'est la semaine prochaine. Fermez les yeux.

  • Speaker #0

    Luxe,

  • Speaker #2

    c'est le podcast qui écoute la lumière.

  • Speaker #1

    Sire, Madame, Altesse Royale, Mesdames, Messieurs. En recevant la distinction dont votre libre académie a bien voulu m'honorer, Ma gratitude était d'autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme, et à plus forte raison tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m'a pas été possible d'apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d'un coup seul et réduit à lui-même au centre d'une lumière crue ? De quel cœur aussi ? Pouvait-il recevoir cet honneur à l'heure où en Europe d'autres écrivains, et par nous les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ? J'ai connu ce Deja-Roi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m'a fallu en somme me mettre en règle avec un corps au généraux. Et puisque je ne pouvais m'égaler à lui, En m'appuyant sur mes seuls mérites, je n'ai rien trouvé d'autre pour m'aider que ce qui m'a soutenu tout au long de ma vie, et dans les circonstances les plus contraires, je veux dire l'idée que je me fais de mon art et du rôle de l'écrivain. Permettez seulement que dans un sentiment de reconnaissance et d'amitié, je vous dise aussi simplement que je le pourrais, qu'elle est satisfaite. Je ne puis vivre personnellement sans mon art, mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S'il m'est nécessaire, au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne et me permet de vivre tel que je suis, au niveau de tous. L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance funéraire. Il est un moyen de dénouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée. des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l'artiste à ne pas se séparer. Il ne soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui souvent a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent apprend bien vite qu'il ne nourrira son art et sa différence qu'en avouant sa ressemblance avec tous. L'artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne maîtrisent rien. Ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. Et s'ils ont un parti à prendre en ce monde, ce n'est peut-être que celui d'une société. où selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge. mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel. Le rôle de l'écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire. Il est au service de ceux qui la subissent. Ou sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie. avec leurs millions d'hommes, ne l'enlèveront pas à la solitude, même si ils consentent à prendre leur part. Mais le silence d'un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l'autre bout du monde, suffit à retirer l'écrivain de l'exil, chaque fois du moins qu'il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence, et à le relayer pour le faire retentir. par les moyens de l'art. Aucun de nous n'est assez grand pour une pareille vocation. Mais dans toutes les circonstances de sa vie, obscure ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s'exprimer, l'écrivain peut retrouver le sentiment d'une communauté vivante qui le justifiera à la seule condition qu'il accepte. Autant qu'il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier, le service de la vérité et celui de la liberté.

Chapters

  • 00:00 Introduction

    00:00

  • 00:41 La fascination pour Camus

    00:41

  • 03:07 La langue et l'expression de Camus

    03:07

  • 05:31 La solitude de Camus et son affrontement avec Sartre

    05:31

  • 08:27 L'éthique et la responsabilité dans l'écriture

    08:27

  • 15:13 Relire Camus et redécouvrir son œuvre

    15:13

  • 20:58 Conclusion

    20:58

Description

Pour ce troisième épisode de LUX, le podcast qui écoute la lumière, Lucie Brasseur, journaliste, entrepreneure, écrivaine, militante et maman a rencontré Hubert Védrine, à l’occasion de la sortie chez Plon, au printemps dernier, de son essai-amoureux Camus, notre dernier Rempart.


Hubert Védrine, a passé 19 ans au pouvoir comme éminent fonctionnaire et homme politique français, ancien membre du Parti Socialiste, secrétaire général de l'Élysée sous François Mitterrand et ministre des Affaires étrangères sous Lionel Jospin.


Cet essai magnifique plonge dans l'univers de l'auteur de L'Étranger et de Noces à Tipasa, nous offrant une perspective intime et profonde liée à la rencontre d'Hubert Védrine avec Camus, bien au-delà de la vision strictement géopolitique à laquelle le haut fontionnaire nous a habitués.


Dans cet épisode, Védrine nous raconte comment il a découvert Camus à l'adolescence grâce à un disque offert par ses parents, contenant des textes lus par Camus lui-même. Il évoque la fascination immédiate qu'il a ressentie pour la langue et les expressions de Camus, une admiration qui l'a accompagné toute sa vie. Védrine partage ses réflexions sur la solitude de Camus face à l'immense figure de Sartre, un affrontement d'idées toujours actuel selon lui, particulièrement à la lumière des phénomènes contemporains comme le wokisme.


Hubert Védrine évoque la manière dont les mots et l'éthique de Camus ont l’influencé dans sa carrière et sa vie personnelle. Il souligne la beauté et la justesse de la langue de Camus, en contraste avec le langage contemporain souvent envahi par la communication corporate.


Hubert Védrine nous invite à redécouvrir l'œuvre de Camus, à lire ou relire Le Premier Homme, L'Étranger et Noces, des œuvres qui, malgré le temps, restent d'une actualité poignante et inspirante. Il insiste sur l'importance de l'éthique de responsabilité, une valeur qu'il partage avec Camus, et sur la nécessité de résister aux simplifications manichéennes.


Cet épisode est une exploration lumineuse et passionnante de l'œuvre d'Albert Camus avec Hubert Védrine.

Vous pouvez commander l’essai ici : https://www.leslibraires.fr/livre/23136155-camus-notre-rempart-hubert-vedrine-plon

 

LUX, c'est le podcast qui écoute la lumière.


Ne manquez pas la semaine prochaine le quatrième épisode avec Anne Paceo, batteuse de jazz rencontrée pendant le festival de @JazzInMarciac, dont le dernier album S.H.A.M.A.N.E.S est disponible ici : https://annepaceo.com

En attendant le prochain à l’automne.Suivez-moi sur les réseaux sociaux Facebook et Instagramm @luciebrasseur


Laissez vos commentaires et 5 étoiles sur votre plateforme d'écoute préférée Spotify ou Apple Podcast !


Si vous aimez les podcasts comme Canapé 6 places de Léna Situations, InPower de Louise Aubery, Vlan! de Grégory Pouy ou Le monde d'Elodie d'Elodie Suigo sur France Info, vous aimerez #LUX le podcast de Lucie Brasseur.


Crédits :

Photo Lucie Brasseur Ivan Franchet

Le discours de Suède d'Albert Camus, prononcé lors de la remise du Prix Nobel en 1957 à Stockholm a été partagé par SOS RACISME et est disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=ZCort8RuuMc&t=200s.

Le prix Nobel lui a été décerné pour «l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière les problèmes se posant de nos jours à la conscience des hommes».


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    C'est une sorte de choc d'adolescence, la façon dont il parlait de la lumière, du soleil, du petit bazar, des textes du début, dans le nocelle-été, des choses comme ça. Ça m'a complètement ébloui.

  • Speaker #1

    Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique ? Un arrêt qui le portait d'un coup seul et réduit à lui-même au centre d'une lumière crue.

  • Speaker #2

    Fermez les yeux. Luxe, c'est le podcast qui écoute la lumière. Je m'appelle Lucie Brasseur. Je suis journaliste, entrepreneur, écrivain, militante et maman. Pour ce troisième épisode, je reçois Hubert Védrine, haut fonctionnaire et homme politique français, longtemps membre du Parti Socialiste, secrétaire général de l'Élysée sous Mitterrand et ministre des Affaires étrangères du gouvernement. Jospin Souchirac, il est surtout l'auteur amoureux de Camus, notre dernier rempart paru chez Plon au printemps. Magnifique essai sur l'auteur de L'étranger et de Nos à Tipaza, il semble ouvrir des portes vers d'autres dimensions et d'autres profondeurs que la vision stricto-géopolitique du monde qu'Hubert Védrine apporte généralement quand on l'invite. D'ailleurs, quand mon confrère de la PQR, également présent lors de notre échange, l'a à son tour interrogé, le niveau de la voix comme la posture ont changé. C'est dire comme il a révélé son intimité. Vous venez, je vous le présente. Comment vous êtes passionné pour Camus ?

  • Speaker #0

    C'est une sorte de choc d'adolescence. Quand Camus avait eu le prix Nobel, mes parents m'avaient offert un disque dans lequel il y avait des textes de Camus avec sa voix si particulière, si attachante, des textes d'Origiani, de Maria Cazares, etc. Et donc je l'écoutais sans arrêt et j'ai été, je ne sais pas comment vous le dire, mais moi je ne suis pas d'Algérie, je ne suis pas pied-noir. Mais la façon dont il parlait de la lumière, du soleil, de Tipaza, l'été du début, dans Noce, c'est l'été, des choses comme ça, ça m'a complètement ébloui. J'y adorais. J'en connaissais 30 pages par cœur. Et donc, j'avais déjà ça en moi quand il est mort, heureusement. J'en ai su ressembler dans l'accident de voiture. D'abord, ça m'a plus frappé que si je ne l'avais pas découvert avant. Et après, j'étais tellement saisi de sa langue, ce n'était pas la philosophie. C'est venu après, dans ma curiosité. Mais ça a l'air, en mode d'expression, que dès que j'ai eu un peu d'argent de poche après le bac, j'étais prof comme ça pendant longtemps dans une boîte privée prof d'histoire géo, j'ai été à Tipaza pour découvrir Tipaza. Puis j'ai erré pendant deux jours dans les ruines. Donc c'est une vraie histoire de... Alors j'ai eu plein d'autres passions littéraires ou de choses de ce type, mais c'est quand même l'élément fondateur, fondateur pour moi. Et ça m'a accompagné toute ma vie, même si j'ai fait mille autres choses puisque j'ai passé la... comme mes vieux pouvoirs, et j'ai eu la curiosité depuis un an ou deux de revenir à Camus.

  • Speaker #2

    Dans votre livre, justement, vous dites que lors de votre passage à Tipaza, vous caressez la plaque commémorative qui vient d'être posée, sur laquelle il est écrit Je comprends ici ce qu'on appelle gloire, le droit d'aimer sans mesure Qu'est-ce que ça vous inspire, vous ?

  • Speaker #0

    Alors ça dépend si c'est moi maintenant ou moi à l'époque, mais je ne suis pas la même personne en réalité. A l'époque, je suis un adolescent et je suis fasciné par cette langue, par la beauté, la sensualité dans Camus qui est quatante aujourd'hui. Mais je ne le vis pas comme ça, ça me paraît simplement beau. Les garçons que j'étais à l'époque, qu'est-ce que c'est de lire pour moi le droit des muses sans mesure ? En réalité, je ne suis pas capable de vous le dire aujourd'hui. Je sais que ça m'a énormément frappé, accompagné, la beauté des mots de Camus. Et quand on revient maintenant, quelles que soient les phrases, on le voit bien dans les textes du début, on le voit bien dans le... Le premier homme qui est le roman en posthume, c'est une langue extraordinaire. Il n'y a jamais un mot de trop, il ne manque jamais un mot. C'est parfaitement juste et il n'y a aucune scorie. Il n'y a pas tout ce qui est envahi du langage contemporain qui est épouvantable, tout le langage de la corporette, tout le langage de la com, le globiste, tout ce machin. Il n'y a rien de ça. Il n'y a qu'une langue belle, bûre, simple, pas du tout non plus froide. Et ça, c'est une raison d'après.

  • Speaker #2

    Est-ce que vous pensez que ça a inspiré votre façon ? d'écrire dans vos missions professionnelles ?

  • Speaker #0

    Non, je n'aurai pas cette prétention, mais des fois, quand j'écris des textes et que je me relis une fois, deux fois, trois fois, je raye, je raye tous les mots en trop, mais je n'aurai pas l'intrepidence de comparer. Non, c'est une musique qui m'a toujours accompagné. D'autre part, même si je tente à la fin du livre, c'est un peu osé, ce qu'a fait le dialogue du chronique. Qu'est-ce qu'aurait pensé Clérus s'il avait vécu beaucoup plus longtemps ? On peut compester, bien sûr, mais tout le monde le fait, avec les grands auteurs qui nous habitent. Même les philosophes, ils passent leur temps à dialoguer avec Socrate, Slaton ou Aristote. Donc ce n'est pas complètement interdit ni choquant. Je ne sais pas si c'est convaincant. Mais donc il y a une sorte d'inspiration qui n'est pas transposable mécaniquement. Et je ne peux pas dire que dans la vie de pouvoir que j'ai menée, puisque j'ai mené une vie pas tellement politique de pouvoir, ça ne s'applique pas automatiquement à ce qu'il aurait fait là. Malgré ça, ce que je dis, on fait limite de l'inspiration. Mais malgré ça, ça m'a accompagné comme une sorte de musique qui ne m'a jamais lâché. Et c'est beaucoup la langue avant d'être la réflexion, avant d'être les idées, même s'il y a un débat d'idées très puissant, très fort. Et je reviens à l'épisode majeur, quel affrontement entre lui et Serp dans le début des années 50.

  • Speaker #2

    Vous dites que cet affrontement est toujours d'une extrême actualité. Qu'est-ce que vous entendez par là ? À quel endroit de l'actualité aujourd'hui vous voyez toujours l'affrontement Sartre-Camus ?

  • Speaker #0

    Alors, pas exactement le contenu de l'affrontement, mais la solitude de Camus. C'est ça qui me fait penser à l'époque contemporaine, parce qu'en gros, Sartre, à l'époque, et la figure de Pou est un talent géant, d'ailleurs, des progressistes, des gens qui n'ont jamais résisté pendant la guerre, mais ils se rattrapent un peu après. C'est bien, pendant la guerre, il y a eu 1% de résistants, 1% de collabos, et ils ont vivé au jour le jour. Bon, Sartre, il en rajoute beaucoup après la guerre. Et il devient à la tête du groupe progressiste, aligné sur l'URSS, l'URSS de Staline. Et donc ils n'acceptent pas qu'au nom de la lutte des classes, au nom de la lutte historique, qu'on puisse critiquer en quoi que ce soit l'Union soviétique. Et qu'à lui en face, il écrit l'homme révolté

  • Speaker #1

    L'homme refuse le monde tel qu'il est et pourtant il n'accepte pas de lui échapper. En fait, les hommes tiennent au monde et dans leur immense majorité, ils ne désirent pas le quitter. Loin de vouloir toujours l'oublier, il souffre au contraire de le point le posséder assez, étrange citoyen du monde exilé dans leur propre patrie. Sauf aux instants fulgurants de la plénitude, toute réalité est pour eux inachevée.

  • Speaker #0

    Lui qui est d'origine vraiment plus que modeste, boursier du lycée d'Afgé, il sait ce que c'est en fait, la pauvreté. Donc il écrit un livre en disant oui, on a des tas de raisons de se révolter, bien sûr, il y a plein de choses injustes qu'on veut combattre, mais... La révolte ne justifie pas tout. Elle ne justifie pas n'importe quoi. Elle ne justifie pas le meurtre politique. Dans les récumptes, on voit un anarchiste qui renonce. Elle a lancé les bombes dans le carrosse du Grand-Duc parce qu'il y a des enfants dedans. La banque, il dit ça. Il y a des limites. À un autre moment, il dit à un homme, ça s'empêche. Il n'est pas tellement moraliste en réalité, contre moi ce qu'on croit, mais il a une éthique très puissante. Tous les sapriens, l'attaque des temps modernes, ils n'ont jamais rien compris. Ils ne comprennent pas la lutte historique. Ils ne comprennent pas... le matériel historique, il ne comprend pas la lutte des classes, blablabla. Et alors, la comparaison que je fais avec le phénomène du wokisme, qui est en train de ravager les États-Unis, en tout cas, certains secteurs, les grandes universités, les facs, la com, plein de choses, c'est que Camus est seul. Donc, ce n'est pas simplement le wokisme, c'est la solitude. Si on compare aujourd'hui, ce n'est pas le wokisme, c'est la cancel culture, le fait d'empêcher quelqu'un qui ne pense pas. comme veulent les groupes activistes, l'empêcher d'éditer, de passer la radio, de faire des livres, de faire des conférences, une sorte de mort sociale. Et il m'a semblé en relisant, donc c'est les dernières années, j'ai fait ça en 2022, en 2024, que ça ressemblait à la certaine situation d'interdiction par la consécution quand Camus est quasiment seul face au Sartreien qui domine Saint-Germain-des-Prés en gros après la guerre. Alors, à l'époque, il n'y a pas de réseau, donc c'est les réseaux sociaux, c'est la presse. Il est défendu par Roné Char, son aimé, son vrai pote, quoi. Il est défendu par Romain Garry, qui est une sorte d'original, et puis par Jean Gué, donc c'est à peu près tout. Donc, la compréhension que j'ai faite, c'est la solitude de Camus.

  • Speaker #2

    Vous parlez de Roné Char. Il y a une très belle lettre que vous publiez à l'intérieur de votre essai, qui dit que... Camus était un homme joyeux. Quand vous relisez son travail, L'homme révolté, il est juste, vous y voyez un homme joyeux, lumineux, un homme solaire ?

  • Speaker #0

    Alors lumineux, oui. Solaire, oui. Joyeux, non. On ne le voit pas en fait. On ne le voit pas dans ses œuvres. Mais on le voit dès qu'on lit les témoignages. Les témoignages dans sa famille, sa fille, qui a fait énormément pour perpétuer la connaissance de l'œuvre et qui a autorisé la publication du premier homme il y a quelques années. les témoignages des autres, il y a des photos, il est en train de rigoler, il joue avec les enfants. On raconte maintenant qu'il avait réécrit l'étranger. c'est le sujet de la semaine d'ailleurs, l'étranger, une sorte de deuxième manuscrit, et qu'il le foulait au pied comme ça, pour le faire un peu vieux, vous savez, comme les jeunes avec les jeans, il y a des côtés, disons, assez rigolos, et puis il y a un côté populaire, un côté sympa qui est toujours continué chez lui, à travers le foot, les matchs de poche, donc le côté vivant, populaire, oui, énormément. Il y a un personnage, manifestement, comme père de famille, comme l'amant de quelques femmes qui l'ont adoré, mais... Il ne faut pas projeter les résumements contemporains sur Camus qui était très aimé, ce n'est pas du tout un prédateur, qui montre un homme très vivant, très attachant et sympa. Oui, potentiellement rigolo, on ne voit pas dans les textes.

  • Speaker #2

    Dans le dialogue Uchronique, à la fin, il y a des mots qui reviennent, des mots que vous avez déjà prononcés depuis qu'on échange aujourd'hui, sur les mots droiture, morale versus éthique et responsabilité. Est-ce qu'en fait, ces grandes valeurs, ces grands piliers de l'œuvre de Camus, ce sont des valeurs qui vous ont permis d'avancer en tant qu'homme de pouvoir ?

  • Speaker #0

    Comme je l'ai dit, honnêtement, on ne peut pas transposer mécaniquement. Donc, vous pouvez s'amuser intellectuellement à se dire mais qu'est-ce que Camus aurait pensé de ceci, cela ? Mais on n'a pas le droit d'aller au-delà. Et comme il avait énormément souffert dans la ferme d'Algérie, il n'a pas connu l'indépendance qui est des morts enfouissantes. Et qu'il avait dit à Stockholm, un étudiant algérien nationaliste qui l'agressait, il avait dit, entre la justice de ma mère, je préfère ma mère. Ça a été surinterprété comme étant une sorte de choix colonial, etc. Ce n'est pas vrai. Parce que sa mère, qui est très attachée à sa mère, qui est à moitié malphabète, qui est une famille très très pauvre, un mec malphabète venu de Minorque, un blague qui s'appelle Mircadal, à Minorque. La grand-mère est une paysanne inflexible. La mer est à moitié sur, on est à moitié dans le sol. Il est très, très, très attaché. Ce monde de misère et de soleil, c'est ce qu'il dit. Donc il y a des mots magnifiques arrachés à ce milieu, grâce à un instituteur extraordinaire qui devrait être le saint patron. Si on était dans l'époque chrétienne d'autrefois, il deviendrait le saint patron des institutes. Alors M. Louis Germain, extraordinaire, qui détecte le jeune canut, qui obtient une bourse pour le mi, qui se bat avec la grand-mère qui veut qu'il aille travailler, on ne peut plus payer, on a besoin d'argent. Dans la famille, il n'y a rien. Il faut que j'aille travailler chez le... Je ne sais pas qui, le quincailler des côtés, tout comme ça. Donc, il y a toute une espèce de processus, et ça ne le rend pas moraliste. D'ailleurs, lui dit lui-même, j'aime pas tout cet aspect de blabla. Il n'aime pas qu'on l'enferme dans l'image du moralier. Il y a une éthique qui est très forte, et cette éthique, désolé de le dire, elle ne permet pas de trancher automatiquement. Dans les situations, quand on est au pouvoir, on n'a jamais le choix. Entre le bien et le mal, ça n'existe pas, ça. Elles sont entre différentes mauvaises solutions, plus ou moins bonnes. Et comme il était vraiment déchiré sur l'Algérie, il a d'ailleurs quasiment rompu avec Jean Daniel, le fondateur, le patron de l'Observateur, qui est un personnage formidable aussi. Ils ont rompu. Mais quand Camus a eu le Nobel, Jean Daniel lui a écrit quand même. Et à l'air, Camus lui dit, l'important, c'est que nous soyons tous les deux déchirés. Il y a des choses comme ça, on ne sombre jamais complètement dans un camp contre l'autre. Donc je pense que ça l'aurait empêché de devenir manichéen. Et donc si on imagine les événements géants, terribles, au fil des décennies après, je pense qu'il aurait toujours été un peu au-dessus ou un peu ailleurs. D'ailleurs, il contestait la notion d'écrivain engagé. Ça, c'est le concept serpillien en fait. Il est en disant, on est embarqué, on n'a pas le choix, on est embarqué dans notre époque, dans la vie de notre époque. Mais on n'est pas engagé, parce que pour lui, c'est voulu dire maniquer un sectaire partisan. C'est un terme beaucoup plus complexe que l'idée qu'on en a fait après.

  • Speaker #2

    C'est dans ça qu'il est notre dernier rempart ?

  • Speaker #0

    Alors, le mot de rempart est résulté d'une conversation entre l'éditeur, Jean-Paul Barret, qui vient d'écrire d'ailleurs le premier de trois tomes une biographie du général de Gaulle, qui à mon avis sera la biographie formidable. Donc, on discutait tous les deux et c'est venu comme ça. On part contre quoi ? Contre la bêtise, tout bête. Contre le fanaticisme. Alors, il y a aussi le côté langue. Dans le monde dans lequel on vit, je ne vais pas le répéter, mais lire quelques pages de Camus, c'est merveilleux. Il y a un côté détox, vous voyez, par rapport à la langue. Oui, c'est vrai. C'est beau, c'est juste. Donc, ça rempart contre ça. Et vu l'honnêteté des prises de position, sans que ce soit dû. du moralisme gnangnan, qu'il y a des moralistes méchants en plus, il y a des moralistes manichéens, qui veulent imposer leur morale avec des pieds quand même. Camus, ce n'est pas ça du tout. Donc, c'est un rempart pour ceux qui veulent bien le relire, le découvrir, le redécouvrir. C'est un rempart contre ça.

  • Speaker #2

    Qu'est-ce que vous auriez envie de dire à la jeunesse après avoir relu l'intégralité de l'œuvre de Camus et pas seulement son œuvre, aussi toute la littérature qu'il y a eu autour de Camus ces dernières années ?

  • Speaker #0

    Ce que j'ai envie de dire, c'est qu'il faut relire Camus. Les merveilleux livres du début, les nouvelles dans l'été, les nouvelles dans… dans Nos, L'étranger, c'est un des livres les plus connus. Je crois qu'il a été acheté par 52, élu par 52 millions de personnes dans le monde. J'ai une cinquantaine de langues, c'est dingue. Et puis, le premier homme aussi. Ce qui est désespérant, c'est de croire à des choses idéales qui n'existent pas et d'être épouvanté chaque matin en écoutant les nouvelles. Parce que du coup, on ne sait pas quoi faire.

  • Speaker #2

    En même temps, quand je vous entends parler de réalisme, Je ne vais pas m'empêcher de revenir au livre que vous avez écrit sur Camus. Je trouve qu'il y a un parallèle dans la pensée qui est permanent, sur ce devoir, presque ce devoir de réalité et d'honnêteté vis-à-vis de soi-même, du monde, de l'avenir, de ce que je peux faire, de ce que je ne peux pas faire.

  • Speaker #0

    Vous êtes une bonne lectrice.

  • Speaker #2

    Je vous remercie.

  • Speaker #0

    Ça veut dire que je mets en avance ce que je crois avoir en commun avec Camus. Si ce n'est pas trop prétentieux, c'est le... une sorte de responsabilité. Vous savez, on distingue, selon Max Weber, l'éthique de conviction, je dis ce que je pense et je suis convaincu de ce que je dis. Et l'éthique de responsabilité, dans lequel on a besoin de mesurer le poids de ses paroles. Et moi, comme j'étais jeté dans le bain du pouvoir au plus haut niveau par Mitterrand, j'ai 34 ans, du jour au lendemain, on ne peut plus se dire, j'écris ça parce que c'est ce que je pense. Mais si j'écris ça et que ça a une influence en vrai, et que je suis responsable des résultats. Donc, qu'est-ce que je dis ? Donc, j'étais marqué, moi, par l'esprit de responsabilité, et je ne veux pas en changer maintenant. Et je trouve qu'une part des pieds est complètement différente, pas rutique, au milieu de son état. Encore une fois, ce n'est pas le principe, le chère moralisme, c'est autre chose. Quel mieux, comme ça, en termes de sens des responsabilités ? Et en ayant le débat avec Chartres, c'est évident, ça.

  • Speaker #2

    Vous parlez de ce premier voyage, c'est 1965 ? En Algérie ?

  • Speaker #0

    Oui.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est celui qui vous a donné le goût de l'international ?

  • Speaker #0

    Non, parce que j'ai vécu dans un milieu, une famille très ouverte. Je m'étais chez l'international, pour des raisons trop longues à raconter, puis ce n'est pas le lieu ici. Mais mon père a joué un rôle très important dans l'indépendance du Maroc. Et donc, le Maroc faisait partie de notre vie. Il avait des amis dont tout le monde avait des cousins en Louisiane. On s'appelait les Vidrines. On avait des amis américains. J'ai été un peu routard. À l'époque où j'étais étudiant, j'étais en voiture en Afghanistan. Et donc, ce n'est pas lié à ça. Ça en fait partie, disons. Mais ce n'est pas le déclencheur. J'ai vécu dans un milieu qui était naturellement ouvert à ces questions.

  • Speaker #2

    En revanche, est-ce que c'est ce moment-là qui vous a donné envie de recommander, disons, à François Mitterrand d'aller avec son homologue algérien se promener pour se faire filmer ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est une anecdote. Mais j'ai tellement aimé qui passe à l'endroit tellement inspirant. En fait... qu'un jour où François Mitterrand avait une réunion prévue avec le président algérien, il voulait tous les deux améliorer la relation en y allant pour une amour, parce que c'est un juge explosif quand même. Donc il y avait une réunion à côté, au siège de la présidente du gouvernement, je crois que c'est Zeranda, je crois que c'est pas très loin de dire ça. Donc j'ai eu l'idée comme ça, mais c'est une astuce de com'. Je ne suis pas un homme de com'du tout, mais j'ai pu avoir des idées qui étaient des idées de ce genre. Donc j'ai dit, mais en fait, la conférence de presse que vous devez faire, vous pourriez la faire avec Tipazard en fond, ce serait magnifique. Elle dit oui, très bien.

  • Speaker #2

    Ça ressemble aussi à...

  • Speaker #0

    D'accord. Châtelier, Présent, Châtelier, ça très bien. Donc, on a emmené tout le système à Tipazard et on voit Mitterrand et Châtelier qui marchent en devisant. Là, évidemment, il y a 250 photographes, journalistes, mais on ne les voit pas. Donc, on les voit, on a Tipazard, il y a au fond la fameuse montagne de Chénois, tout ça. Donc, c'est une petite astuce de mise en scène, mais ce n'était pas mon métier.

  • Speaker #2

    Ça ressemble aussi un peu à... un clin d'œil de passion.

  • Speaker #0

    Oui, mais je l'ai fait ailleurs. Dans d'autres endroits, on l'a fait entre Mitterrand et Georges Bruch, le père, etc. Oui, bien sûr, mais c'était trop tentant. La réunion qui avait lieu juste à côté, à 20 kilomètres. J'ai eu beaucoup de lettres. J'ai beaucoup plus de lettres sur ce livre que sur les livres de jeux politiques qui se vendent bien en général, mais les gens le lisent, ça ne leur donne pas envie d'écrire. Mais Camus a représenté tellement pour des gens de ma génération ou alors 10 ou 20 ans de plus ou 10 ou 20 ans de moins. ou d'autres qui ont découvert que j'ai plein de lettres. C'est amusant ça, les gens qui prennent le temps d'écrire des vraies lettres. Alors il y a des messages, des SMS, mais aussi des lettres. Ils en racontent ce que ça a représenté pour eux. Et Tipaza vient souvent dans ces tableaux. Le lieu Tipaza, il y a des lieux inspirés quand même. Merci. Merci.

  • Speaker #2

    Vous avez senti toute la lumière et l'amour qui irradient des mots d'Hubert Védrine quand il parle de Camus ? Ça vous a donné envie de relire le premier homme ou d'aller voir une représentation des Justes ? Quel est le livre de Camus qui vous a le plus marqué ? Comme Hubert Védrine, vous êtes allé sur les traces de l'auteur de L'Homme révolté à Tipaza ? Racontez-moi sur les réseaux ou en commentaire de l'épisode sur les plateformes d'écoute votre relation à l'auteur de l'étranger. Et n'oubliez pas de laisser 5 étoiles. C'est essentiel pour que le podcast gagne de la visibilité dans les suggestions de Spotify ou d'Apple Podcast. La semaine prochaine, je vous présente une méga meuf, du genre de celle qui fonce lever le matin avec un motivation maître gonflé à bloc. Elle est batteuse de jazz, son nom est le premier des femmes batteuses inscrits dans le dictionnaire du jazz. Elle s'appelle Anne Paceo. Bien que notre rencontre ait été brève, je suis sûre que ça va vous plaire. Et je crois bien que je retournerai la rencontrer à l'automne lorsqu'elle sortira son nouveau diss. Patience, c'est la semaine prochaine. Fermez les yeux.

  • Speaker #0

    Luxe,

  • Speaker #2

    c'est le podcast qui écoute la lumière.

  • Speaker #1

    Sire, Madame, Altesse Royale, Mesdames, Messieurs. En recevant la distinction dont votre libre académie a bien voulu m'honorer, Ma gratitude était d'autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme, et à plus forte raison tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m'a pas été possible d'apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d'une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l'amitié, n'aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d'un coup seul et réduit à lui-même au centre d'une lumière crue ? De quel cœur aussi ? Pouvait-il recevoir cet honneur à l'heure où en Europe d'autres écrivains, et par nous les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ? J'ai connu ce Deja-Roi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m'a fallu en somme me mettre en règle avec un corps au généraux. Et puisque je ne pouvais m'égaler à lui, En m'appuyant sur mes seuls mérites, je n'ai rien trouvé d'autre pour m'aider que ce qui m'a soutenu tout au long de ma vie, et dans les circonstances les plus contraires, je veux dire l'idée que je me fais de mon art et du rôle de l'écrivain. Permettez seulement que dans un sentiment de reconnaissance et d'amitié, je vous dise aussi simplement que je le pourrais, qu'elle est satisfaite. Je ne puis vivre personnellement sans mon art, mais je n'ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S'il m'est nécessaire, au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne et me permet de vivre tel que je suis, au niveau de tous. L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance funéraire. Il est un moyen de dénouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée. des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l'artiste à ne pas se séparer. Il ne soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui souvent a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent apprend bien vite qu'il ne nourrira son art et sa différence qu'en avouant sa ressemblance avec tous. L'artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher. C'est pourquoi les vrais artistes ne maîtrisent rien. Ils s'obligent à comprendre au lieu de juger. Et s'ils ont un parti à prendre en ce monde, ce n'est peut-être que celui d'une société. où selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge. mais le créateur, qu'il soit travailleur ou intellectuel. Le rôle de l'écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire. Il est au service de ceux qui la subissent. Ou sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie. avec leurs millions d'hommes, ne l'enlèveront pas à la solitude, même si ils consentent à prendre leur part. Mais le silence d'un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l'autre bout du monde, suffit à retirer l'écrivain de l'exil, chaque fois du moins qu'il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence, et à le relayer pour le faire retentir. par les moyens de l'art. Aucun de nous n'est assez grand pour une pareille vocation. Mais dans toutes les circonstances de sa vie, obscure ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s'exprimer, l'écrivain peut retrouver le sentiment d'une communauté vivante qui le justifiera à la seule condition qu'il accepte. Autant qu'il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier, le service de la vérité et celui de la liberté.

Chapters

  • 00:00 Introduction

    00:00

  • 00:41 La fascination pour Camus

    00:41

  • 03:07 La langue et l'expression de Camus

    03:07

  • 05:31 La solitude de Camus et son affrontement avec Sartre

    05:31

  • 08:27 L'éthique et la responsabilité dans l'écriture

    08:27

  • 15:13 Relire Camus et redécouvrir son œuvre

    15:13

  • 20:58 Conclusion

    20:58

Share

Embed

You may also like