Speaker #0Un citoyen européen peut-il être privé de son droit de vote pour l'élection du Parlement européen ? C'est en substance et en schématisant la question que s'est posé Thierry Delvingne, un ancien détenu radié des listes électorales par sa commune de l'Espard-Médoc, une commune située près de Bordeaux, et dont l'action en justice en France a conduit à la saisine de la Cour justice de l'Union. dont l'arrêt rendu le 6 octobre 2015 a permis de clarifier les conditions dans lesquelles le droit de vote peut être restreint pour un citoyen européen. La condamnation de Thierry Delvingue par les juridictions pénales françaises est assez ancienne, puisqu'il a été condamné en dernier ressort précisément le 30 mars 1988. Il est l'auteur d'un crime grave, qui lui vaut 12 ans de prison. Mais à cette époque, la loi prévoit qu'une telle condamnation est assortie de plein droit d'une privation des droits civiques. De la sorte, Thierry Delving est privé de son droit de vote et d'éligibilité. Cette loi était en vigueur en application de l'ancien code pénal, mais elle a été modifiée lors de la réforme du code pénal instaurée en France en 1994. Le nouveau code pénal a donc supprimé cette dégradation des droits civiques automatiques en addition à une condamnation à une peine criminelle. Plus exactement, c'est le caractère automatique de cette peine accessoire qui est supprimée. Il reste toujours possible de limiter toute ou partie des droits civiques d'un condamné au pénal, mais de manière supplémentaire à cette condamnation. et sous condition d'être décidé par une juridiction, et applicable pour une durée de 10 ans maximum en cas de condamnation pour des faits qualifiés de crimes. Cette nouvelle loi entre en vigueur en 1994, et comme il a été dit, M. Delvin a été condamné en 1988. Sa privation des droits civiques a donc perduré puisqu'elle résultait de l'ancien régime pénal. Après avoir purgé sa peine de prison, M. Delving souhaitait retrouver ses droits civiques, et notamment son droit de vote. Mais il est radié des listes électorales de la commune dans laquelle il réside, l'Espard-Médoc. Quand on voit le taux d'abstention aux différentes élections, on devrait donc se réjouir de voir un citoyen faire des démarches pour retrouver son droit de vote. Mais il subit encore les conséquences de sa condamnation en 1988. Il reste privé de participer aux différentes échéances électorales. Mais quel est donc alors le rapport entre cette histoire et le droit de l'union ? Eh bien en étant privé de son droit de vote, Thierry Delvingne est donc spécifiquement privé de son droit de vote pour les élections européennes, c'est-à-dire l'élection des députés au Parlement européen. Et c'est cet élément qu'il va contester, parce qu'il y a un instrument de droit de l'union qui est le droit de l'union. l'Union, en l'occurrence la charte des droits fondamentaux, qui liste les droits et libertés essentiels qui devraient être garantis à tous les individus, et qui indique, à son article 39, que tout citoyen ou toute citoyenne de l'Union a le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen. Or, un citoyen européen est un individu qui dispose de la nationalité d'un état membre de l'Union, ce qui est bien le cas de M. Delving, puisqu'il est de nationalité françaises. Il estime ainsi subir une violation de son droit fondamental de participation aux élections du Parlement européen prévues par la Charte. Monsieur Delving va donc contester sa radiation des listes électorales devant un juge à Bordeaux. Et l'un de ses arguments est de dire que cette radiation est une privation de son droit de vote au Parlement européen, ce qui est contraire à l'article 39 de la Charte des droits fondamentaux. Devant cette question, le juge de Bordeaux se tourne alors vers la Cour de justice de l'Union pour un renvoi préjudiciel par lequel l'interrogation lui est directement posée. L'article 39 de la Charte des droits fondamentaux empêche-t-il une restriction du droit de vote aux élections européennes ? Stop ! Deux minutes d'arrêt à Luxembourg. Plusieurs éléments doivent en effet être précisés dans cette affaire. D'abord, la Cour a dû s'interroger sur l'application de la Charte des droits fondamentaux dans ce litige. La Charte des droits fondamentaux, c'est un instrument qui vise à protéger les droits et libertés des individus, mais son champ d'application est limité. En l'occurrence, c'est l'article 51 de la Charte qui précise ce champ d'application. Et donc, selon cette disposition, la Charte est applicable parce qu'elle s'adresse aux institutions de l'Union, qui doivent donc la respecter en toutes circonstances, mais elle s'adresse aussi aux États membres. C'est là que le champ d'application est quelque peu restreint, puisque la charte précise aux États membres lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'union. Ce qui signifie, à contrario, qu'en dehors de la mise en œuvre du droit de l'union, les États membres ne sont pas tenus par la charte. En l'espèce, dans notre affaire, la peine complémentaire de privation des droits civiques de M. Delving ne présente pas un lien de rattachement évident avec le droit de l'Union. Il est donc assez peu évident de considérer que la radiation des listes électorales est une mise en œuvre du droit de l'Union. Mais la Cour de justice va établir un tel lien précisément parce que la radiation emporte une limitation pour cet individu, citoyen européen, d'exercer son droit de vote pour l'élection. au Parlement européen. La charte est donc pleinement applicable au litige, ce qui va permettre à la Cour de répondre à la question de fond, à savoir s'il est possible de restreindre le droit de vote au regard de l'article 39 de la charte. La Cour rappelle qu'il peut exister des limites à l'exercice d'un droit fondamental, à la condition notable que ces limites soient proportionnées. En l'occurrence, la Cour évalue la situation de M. Delving et remarque que l'interdiction du droit de vote dont il fait l'objet, a été adoptée consécutivement à une lourde condamnation pénale, 12 ans de prison. Ensuite, la Cour remarque également que le droit français permet à un individu privé de ses droits civiques d'obtenir le relèvement de cette privation. Ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par les faits, puisque M. Delving a bien saisi un juge pour remédier à sa situation. En résumé, un État membre peut donc limiter le droit de vote d'un citoyen européen pour l'élection au Parlement européen, mais pour autant que cette limitation soit. justifiée, proportionnée et susceptible de recours. Enfin, il y a un autre argument qui est soulevé par M. Delvingue, que je n'ai pas rappelé dans cette histoire parce que ce point me semble quelque peu secondaire. Mais M. Delvingue considère que sa situation relève d'une violation de la règle de la rétroactivité des lois pénales plus douces, qui est en substance prévue par la Charte des droits fondamentaux, précisément à son article 49. Il est vrai que le nouveau code pénal de 1994 a introduit une législation moins sévère que celle dont M. Delving a fait l'objet en 1988. Sur ce point, la Cour de justice considère que la rétroactivité de la loi pénale plus douce ne change rien à la conclusion qui est la sienne. La réforme du code pénal, postérieure à la condamnation de M. Delving, n'affecte pas sa situation puisqu'il avait déjà été condamné de manière définitive au moment de l'entrée en vigueur du nouveau code pénal. Par conséquent, la loi française s'est en réalité contentée de maintenir l'interdiction perpétuelle des droits civiques prononcée sous l'empire de l'ancien Code pénal. Un grand merci pour avoir suivi ce nouvel épisode de Luxembourg 2 minutes d'arrêt. Les États membres peuvent donc restreindre sous condition le droit de vote des citoyens européens. Ceci dit, n'oubliez pas que le meilleur moyen de conserver ses droits civiques reste encore de ne pas commettre d'infraction pénale. Mais je rappelle ici ce qui n'est que la stricte évidence. A très bientôt !