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L'arrêt Costa c. ENEL a consacré la primauté du droit de l'Union sur les droits internes des Etats membres !
Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.




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L'arrêt Costa c. ENEL a consacré la primauté du droit de l'Union sur les droits internes des Etats membres !
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Costa contre Haenel, ou l'histoire de la consécration de la primauté du droit de l'Union sur les droits nationaux des états membres. En contestant une facture d'électricité d'un montant de 1925 lire, soit une vingtaine d'euros, Flaminio Costa a mis en marche l'affirmation d'un des principes les plus structurants de l'Union Européenne. Mais dans cette histoire, il faut rendre hommage à l'avocat de Flaminio Costa, un dénommé Gian Galeazzo Stendardi, qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour parvenir à ce résultat. Et oui, il semblerait que l'arrêt de la Cour de justice rendu le 15 juillet 1964 dans l'affaire Costa contre Enel soit le résultat qui était attendu par cet avocat. Il a cherché à faire reconnaître le principe de primauté du droit de l'union. Comment s'y est-il pris ? C'est ce que je vous propose de vous raconter dans cet épisode. L'histoire de cet arrêt nous renvoie en Italie, au début des années 60. A cette période, le gouvernement italien de l'époque initie une grande réforme visant à nationaliser la distribution de l'électricité en Italie. L'idée est de créer une entreprise publique en charge de la distribution de l'électricité, sur tout le territoire italien, à la place de nombreuses entreprises privées qui exerçaient dans ce secteur à ce moment-là. Le nom de cette entreprise ? L'Ente Nazionale per l'Energia Electrica. Est-ce que c'est mon accent italien douteux ? Enfin, s'il fallait maîtriser les 24 langues officielles de l'Union pour faire du droit européen, on ne serait pas beaucoup exercé dans le milieu. Par chance pour moi, cette entreprise sera appelée par son acronyme, l'ENEL, E-N-E-L. Et c'est par une loi du 6 décembre 1962 que l'ENEL est créée, ce qui concrétise le projet de nationalisation du secteur de l'électricité. Il y en a un à qui cette loi ne plaît pas beaucoup, c'est Gian Galeado Stendardi, qui est avocat au barreau de Milan, en plus d'être enseignant à l'université. Il ne se cache pas de son opposition à cette loi, et il le fait savoir dans plusieurs de ses écrits. Surtout, il considère que cette loi de nationalisation est contraire aux droits institués par la Communauté économique européenne, créée par le traité de Rome en 1957, autrement dit, le droit de l'Union. Dans le même temps, il considère que cette loi viole la constitution italienne, dans la mesure où la constitution autorise que l'Italie prenne des engagements internationaux, que le traité de Rome est un engagement international, et que ne pas le respecter revient à violer la constitution. Il a donc son opinion sur la loi créant l'Enel. Mais comme il n'est pas possible de contester directement une loi devant le juge, il faut trouver un acte pris en application de cette loi, pour pouvoir le contester, et à cette occasion soulever l'argument selon lequel Cet acte d'application n'est pas légal, puisque fondé sur une loi contraire aux droits de l'Union et à la Constitution. C'est à ce moment-là que Flaminio Costa entre en jeu. Flaminio Costa est aussi avocat, et il est aussi mécontent de cette nationalisation de la distribution de l'électricité. Et surtout, Flaminio Costa détenait des actions dans une société privée qui s'appelle Edison Volta, et qui a disparu puisque nationalisée par la loi NR. Alors, quand M. Costa a reçu sa première facture, émise par l'Enel, et non plus par Edison Volta, qui était son fournisseur, il décida de ne pas la payer, et de la contester devant un juge. Ce n'est pas le montant de 1925 lire qui l'ennuie. Cette somme correspond à un peu plus de 20 euros, et à sa place je serais content d'avoir une facture d'électricité d'un montant si bas. Mais de cette manière, il compte remettre en cause la loi Enel, considérant qu'en raison de l'illicéité de cette loi, Enel ne peut lui réclamer le moindre centime. C'est donc Stendardi qui a fomenté tout cela, et dans le recours introduit devant le juge de Milan, il fait valoir ses arguments connus de longue date. La loi Enel serait inconstitutionnelle, et contraire aux droits européens. Stendardi demande au juge de Milan de renvoyer la question, d'une part à la Cour constitutionnelle pour contrôler la conformité de la loi à la constitution et d'autre part à la Cour de justice des communautés européennes pour un renvoi préjudiciel, précisément pour lui poser la question de la conformité de la loi au traité de Rome. A ce moment là, Le juge de Milan accède à la demande de Stendardi et Costa, et renvoie au juge constitutionnel, mais s'abstient de renvoyer à la Cour de justice la question de la conformité avec le traité de Rome. La balle est donc renvoyée au juge constitutionnel italien. Dans son jugement, la Cour constitutionnelle rejette tous les arguments de Stendardi. Mais pour ce qui nous intéresse, elle rejette surtout l'hypothèse selon laquelle le traité de Rome de 1957 devrait primer sur une loi italienne adoptée en 1962. Le juge constitutionnel fait application d'un adage connu du droit, l'ex-postérieur dérogateur. C'est-à-dire qu'en cas de conflit de normes, il faut privilégier la norme la plus récente, et donc ici la loi italienne. En résumant, le juge constitutionnel anéantit le raisonnement de Stendardi, mais ce dernier a de la suite dans les idées. C'est un fin stratège, et il avait anticipé la possibilité d'un tel résultat. Prenez-en de la graine si vous voulez devenir avocat, mais Stendardi a fait ici œuvre d'une stratégie phénoménale. En effet, après avoir contesté la première facture d'électricité de Flaminio Costa, les deux protagonistes de cette histoire ont introduit un deuxième recours, en contestant la deuxième facture d'électricité reçue par Flaminio Costa. Il y a donc en réalité une affaire Costa contre Enel 2, et c'est cette deuxième affaire qui va aboutir à la saisine de la Cour de justice. Un deuxième recours est introduit, identique au premier, une facture de 1925 lire, et un argumentaire sur l'inconstitutionnalité de la loi Enel et son incompatibilité avec le droit européen. Sauf que cette fois-ci, pour mettre fin au débat, le juge de Milan décide de s'en remettre à la Cour de Justice et de lui poser directement la question. En cas de contrariété entre une loi nationale et le traité de Rome, quelle est la norme qui doit primer ? Costa et Stendardi ont réussi leur coup. La Cour de Justice va trancher la question. Pour Stendardi, c'est un aboutissement. Il a mûri sa réflexion de longue date. Il avait déjà publié un ouvrage juste après l'adoption du traité de Rome pour expliquer que les dispositions de ce traité devaient primer sur les lois nationales qui lui sont contraires et que ces dernières doivent donc être écartées. Il va avoir tout loisir de développer ses arguments devant la Cour de justice dont la décision est finalement rendue le 15 juillet 1964. C'est le moment. de faire deux minutes d'arrêt à Luxembourg. Il n'y a aucune surprise ici. L'arrêt Costa-Contrénel est justement célèbre parce qu'il affirme le principe de primauté. C'est-à-dire que dans un rapport hiérarchique entre une norme de droit de l'Union et une norme de droit national, c'est le droit de l'Union qui doit s'appliquer et donc le droit national s'incliner. Mais comme le souligne le professeur Jean-Paul Jacquet dans son ouvrage de référence de droit institutionnel de l'Union, ce n'est pas tant la solution arrêtée par le juge de l'Union qui surprend, mais plus le raisonnement qui le conduit à ce résultat. Au fond, il est assez logique qu'une juridiction supranationale comme la Cour de justice consacre la primauté du droit de l'Union sur le droit national. Mais elle aurait pu le faire simplement en rappelant aux États membres qu'ils se sont engagés à respecter les traités Et qu'il n'est donc pas question d'adopter des lois nationales entraînant l'irrespect de ces traités. La Cour aurait pu faire application d'un adage bien connu du droit, « pacta sunt servanda » , applicable au droit des contrats mais aussi au droit des traités, qui veut dire que les contrats, comme les traités, légalement conclus, doivent être respectés. Les États membres ont conclu le traité de Rome, ils doivent donc le respecter. C'était sans doute un raisonnement suffisant pour consacrer la primauté. Mais la Cour va aller un peu plus loin. Elle fait une série de constatations desquelles elle va déduire la primauté et desquelles elle va déduire la nécessité de la primauté du droit de l'Union. La Cour souligne la spécificité de l'Union européenne, enfin de la Communauté économique européenne, puisque c'est son nom à l'époque, qui est une organisation qui tient ses pouvoirs de la volonté des États de lui transférer, certes de manière limitée, une part de leur souveraineté. Ce transfert d'attribution signifie que les États ne peuvent plus adopter de réglementation dans certains domaines, puisque précisément, il revient aux institutions de l'Union d'intervenir à leur place. Cette constatation conduit la Cour à remarquer que le traité de Rome dispose d'une nature spécifique, qui le différencie de n'importe quel autre traité international, puisqu'il crée un ordre juridique spécifique qui va s'intégrer dans les ordres juridiques nationaux des États membres. Cette intégration du droit produit par l'organisation européenne dans l'ordre juridique national empêche de faire prévaloir le droit national. Autrement, c'est une violation des traités. C'est pour cela que le droit de l'Union doit primer sur le droit national. Il en va de son effectivité, ce qui veut dire que les États n'ont plus la possibilité d'adopter un texte interne qui lui soit contraire. C'est la consécration du principe de primauté du droit de l'Union qui reste valable encore aujourd'hui. Et puis il y a un aspect moins connu, moins traité de l'arrêt Costa contre Haenel. Dans cette affaire, la Cour précise qu'il ne lui revient pas de contrôler le droit national, mais seulement d'interpréter les traités. Cela veut dire que la Cour n'est pas une Cour suprême, en mesure d'écarter le droit national contraire au traité. C'est au juge national qu'il reviendra de tirer les conséquences du principe de primauté. En l'occurrence, dans cette affaire, la Cour de justice interprète les dispositions du traité invoquées par Maître Stendardi et estime, pour faire simple, que le traité n'interdit pas par principe les monopoles nationaux, n'interdit pas les nationalisations, mais qu'il reviendra au juge national de vérifier que la loi italienne sur l'Enel est compatible ou non avec le traité. Dans notre affaire italienne tenant compte de la primauté, le juge de Milan a finalement donné raison à Stendardi. Mais l'Enel a finalement formé un pourvoi en cassation et la Cour de cassation italienne a jugé que la loi Enel n'était pas incompatible avec les traités. Il faut donc rappeler ici une évidence. Le droit de l'union prime sur le droit interne des États membres. Mais pour autant qu'il y ait un conflit de normes, en cas de compatibilité avec les traités, il n'y a aucune raison d'écarter le droit national. En conséquence, Costa et Stendardi n'ont pas réussi à obtenir ce qu'ils cherchaient. à savoir une mise en retrait de la loi Haenel. Mais on doit à leur démarche le rendu d'un grand arrêt de la Cour de justice en 1964 qui a permis de consacrer et d'expliquer la nécessité de la primauté du droit de l'union. C'était l'histoire de l'arrêt Costa contre Haenel. Un grand merci de m'avoir écouté. Avant de vous quitter, je voudrais signaler que cet épisode a été réalisé grâce à un article qui m'a énormément aidé, et j'invite toute personne intéressée par cette affaire à le lire. Il s'agit d'un article du professeur Amedeo Arena, qui s'intitule « Ainsi naquit la primauté du droit communautaire aux origines de l'affaire Costa-Contrenelles » , et dont la traduction en français a été publiée à la Revue trimestrielle de droit européen, une revue éditée par Dalloz en 2021. Cet article présente l'affaire Costa contre Enel avec beaucoup, beaucoup plus de détails et de sources que ce que j'ai fait dans cet épisode. Et vraiment, je vous en conseille la lecture et je le remercie pour l'aide qu'il m'a fournie. Quant à nous, on se retrouve très vite pour un nouvel épisode de Luxembourg 2 minutes d'arrêt. Merci beaucoup et à bientôt.
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Costa contre Haenel, ou l'histoire de la consécration de la primauté du droit de l'Union sur les droits nationaux des états membres. En contestant une facture d'électricité d'un montant de 1925 lire, soit une vingtaine d'euros, Flaminio Costa a mis en marche l'affirmation d'un des principes les plus structurants de l'Union Européenne. Mais dans cette histoire, il faut rendre hommage à l'avocat de Flaminio Costa, un dénommé Gian Galeazzo Stendardi, qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour parvenir à ce résultat. Et oui, il semblerait que l'arrêt de la Cour de justice rendu le 15 juillet 1964 dans l'affaire Costa contre Enel soit le résultat qui était attendu par cet avocat. Il a cherché à faire reconnaître le principe de primauté du droit de l'union. Comment s'y est-il pris ? C'est ce que je vous propose de vous raconter dans cet épisode. L'histoire de cet arrêt nous renvoie en Italie, au début des années 60. A cette période, le gouvernement italien de l'époque initie une grande réforme visant à nationaliser la distribution de l'électricité en Italie. L'idée est de créer une entreprise publique en charge de la distribution de l'électricité, sur tout le territoire italien, à la place de nombreuses entreprises privées qui exerçaient dans ce secteur à ce moment-là. Le nom de cette entreprise ? L'Ente Nazionale per l'Energia Electrica. Est-ce que c'est mon accent italien douteux ? Enfin, s'il fallait maîtriser les 24 langues officielles de l'Union pour faire du droit européen, on ne serait pas beaucoup exercé dans le milieu. Par chance pour moi, cette entreprise sera appelée par son acronyme, l'ENEL, E-N-E-L. Et c'est par une loi du 6 décembre 1962 que l'ENEL est créée, ce qui concrétise le projet de nationalisation du secteur de l'électricité. Il y en a un à qui cette loi ne plaît pas beaucoup, c'est Gian Galeado Stendardi, qui est avocat au barreau de Milan, en plus d'être enseignant à l'université. Il ne se cache pas de son opposition à cette loi, et il le fait savoir dans plusieurs de ses écrits. Surtout, il considère que cette loi de nationalisation est contraire aux droits institués par la Communauté économique européenne, créée par le traité de Rome en 1957, autrement dit, le droit de l'Union. Dans le même temps, il considère que cette loi viole la constitution italienne, dans la mesure où la constitution autorise que l'Italie prenne des engagements internationaux, que le traité de Rome est un engagement international, et que ne pas le respecter revient à violer la constitution. Il a donc son opinion sur la loi créant l'Enel. Mais comme il n'est pas possible de contester directement une loi devant le juge, il faut trouver un acte pris en application de cette loi, pour pouvoir le contester, et à cette occasion soulever l'argument selon lequel Cet acte d'application n'est pas légal, puisque fondé sur une loi contraire aux droits de l'Union et à la Constitution. C'est à ce moment-là que Flaminio Costa entre en jeu. Flaminio Costa est aussi avocat, et il est aussi mécontent de cette nationalisation de la distribution de l'électricité. Et surtout, Flaminio Costa détenait des actions dans une société privée qui s'appelle Edison Volta, et qui a disparu puisque nationalisée par la loi NR. Alors, quand M. Costa a reçu sa première facture, émise par l'Enel, et non plus par Edison Volta, qui était son fournisseur, il décida de ne pas la payer, et de la contester devant un juge. Ce n'est pas le montant de 1925 lire qui l'ennuie. Cette somme correspond à un peu plus de 20 euros, et à sa place je serais content d'avoir une facture d'électricité d'un montant si bas. Mais de cette manière, il compte remettre en cause la loi Enel, considérant qu'en raison de l'illicéité de cette loi, Enel ne peut lui réclamer le moindre centime. C'est donc Stendardi qui a fomenté tout cela, et dans le recours introduit devant le juge de Milan, il fait valoir ses arguments connus de longue date. La loi Enel serait inconstitutionnelle, et contraire aux droits européens. Stendardi demande au juge de Milan de renvoyer la question, d'une part à la Cour constitutionnelle pour contrôler la conformité de la loi à la constitution et d'autre part à la Cour de justice des communautés européennes pour un renvoi préjudiciel, précisément pour lui poser la question de la conformité de la loi au traité de Rome. A ce moment là, Le juge de Milan accède à la demande de Stendardi et Costa, et renvoie au juge constitutionnel, mais s'abstient de renvoyer à la Cour de justice la question de la conformité avec le traité de Rome. La balle est donc renvoyée au juge constitutionnel italien. Dans son jugement, la Cour constitutionnelle rejette tous les arguments de Stendardi. Mais pour ce qui nous intéresse, elle rejette surtout l'hypothèse selon laquelle le traité de Rome de 1957 devrait primer sur une loi italienne adoptée en 1962. Le juge constitutionnel fait application d'un adage connu du droit, l'ex-postérieur dérogateur. C'est-à-dire qu'en cas de conflit de normes, il faut privilégier la norme la plus récente, et donc ici la loi italienne. En résumant, le juge constitutionnel anéantit le raisonnement de Stendardi, mais ce dernier a de la suite dans les idées. C'est un fin stratège, et il avait anticipé la possibilité d'un tel résultat. Prenez-en de la graine si vous voulez devenir avocat, mais Stendardi a fait ici œuvre d'une stratégie phénoménale. En effet, après avoir contesté la première facture d'électricité de Flaminio Costa, les deux protagonistes de cette histoire ont introduit un deuxième recours, en contestant la deuxième facture d'électricité reçue par Flaminio Costa. Il y a donc en réalité une affaire Costa contre Enel 2, et c'est cette deuxième affaire qui va aboutir à la saisine de la Cour de justice. Un deuxième recours est introduit, identique au premier, une facture de 1925 lire, et un argumentaire sur l'inconstitutionnalité de la loi Enel et son incompatibilité avec le droit européen. Sauf que cette fois-ci, pour mettre fin au débat, le juge de Milan décide de s'en remettre à la Cour de Justice et de lui poser directement la question. En cas de contrariété entre une loi nationale et le traité de Rome, quelle est la norme qui doit primer ? Costa et Stendardi ont réussi leur coup. La Cour de Justice va trancher la question. Pour Stendardi, c'est un aboutissement. Il a mûri sa réflexion de longue date. Il avait déjà publié un ouvrage juste après l'adoption du traité de Rome pour expliquer que les dispositions de ce traité devaient primer sur les lois nationales qui lui sont contraires et que ces dernières doivent donc être écartées. Il va avoir tout loisir de développer ses arguments devant la Cour de justice dont la décision est finalement rendue le 15 juillet 1964. C'est le moment. de faire deux minutes d'arrêt à Luxembourg. Il n'y a aucune surprise ici. L'arrêt Costa-Contrénel est justement célèbre parce qu'il affirme le principe de primauté. C'est-à-dire que dans un rapport hiérarchique entre une norme de droit de l'Union et une norme de droit national, c'est le droit de l'Union qui doit s'appliquer et donc le droit national s'incliner. Mais comme le souligne le professeur Jean-Paul Jacquet dans son ouvrage de référence de droit institutionnel de l'Union, ce n'est pas tant la solution arrêtée par le juge de l'Union qui surprend, mais plus le raisonnement qui le conduit à ce résultat. Au fond, il est assez logique qu'une juridiction supranationale comme la Cour de justice consacre la primauté du droit de l'Union sur le droit national. Mais elle aurait pu le faire simplement en rappelant aux États membres qu'ils se sont engagés à respecter les traités Et qu'il n'est donc pas question d'adopter des lois nationales entraînant l'irrespect de ces traités. La Cour aurait pu faire application d'un adage bien connu du droit, « pacta sunt servanda » , applicable au droit des contrats mais aussi au droit des traités, qui veut dire que les contrats, comme les traités, légalement conclus, doivent être respectés. Les États membres ont conclu le traité de Rome, ils doivent donc le respecter. C'était sans doute un raisonnement suffisant pour consacrer la primauté. Mais la Cour va aller un peu plus loin. Elle fait une série de constatations desquelles elle va déduire la primauté et desquelles elle va déduire la nécessité de la primauté du droit de l'Union. La Cour souligne la spécificité de l'Union européenne, enfin de la Communauté économique européenne, puisque c'est son nom à l'époque, qui est une organisation qui tient ses pouvoirs de la volonté des États de lui transférer, certes de manière limitée, une part de leur souveraineté. Ce transfert d'attribution signifie que les États ne peuvent plus adopter de réglementation dans certains domaines, puisque précisément, il revient aux institutions de l'Union d'intervenir à leur place. Cette constatation conduit la Cour à remarquer que le traité de Rome dispose d'une nature spécifique, qui le différencie de n'importe quel autre traité international, puisqu'il crée un ordre juridique spécifique qui va s'intégrer dans les ordres juridiques nationaux des États membres. Cette intégration du droit produit par l'organisation européenne dans l'ordre juridique national empêche de faire prévaloir le droit national. Autrement, c'est une violation des traités. C'est pour cela que le droit de l'Union doit primer sur le droit national. Il en va de son effectivité, ce qui veut dire que les États n'ont plus la possibilité d'adopter un texte interne qui lui soit contraire. C'est la consécration du principe de primauté du droit de l'Union qui reste valable encore aujourd'hui. Et puis il y a un aspect moins connu, moins traité de l'arrêt Costa contre Haenel. Dans cette affaire, la Cour précise qu'il ne lui revient pas de contrôler le droit national, mais seulement d'interpréter les traités. Cela veut dire que la Cour n'est pas une Cour suprême, en mesure d'écarter le droit national contraire au traité. C'est au juge national qu'il reviendra de tirer les conséquences du principe de primauté. En l'occurrence, dans cette affaire, la Cour de justice interprète les dispositions du traité invoquées par Maître Stendardi et estime, pour faire simple, que le traité n'interdit pas par principe les monopoles nationaux, n'interdit pas les nationalisations, mais qu'il reviendra au juge national de vérifier que la loi italienne sur l'Enel est compatible ou non avec le traité. Dans notre affaire italienne tenant compte de la primauté, le juge de Milan a finalement donné raison à Stendardi. Mais l'Enel a finalement formé un pourvoi en cassation et la Cour de cassation italienne a jugé que la loi Enel n'était pas incompatible avec les traités. Il faut donc rappeler ici une évidence. Le droit de l'union prime sur le droit interne des États membres. Mais pour autant qu'il y ait un conflit de normes, en cas de compatibilité avec les traités, il n'y a aucune raison d'écarter le droit national. En conséquence, Costa et Stendardi n'ont pas réussi à obtenir ce qu'ils cherchaient. à savoir une mise en retrait de la loi Haenel. Mais on doit à leur démarche le rendu d'un grand arrêt de la Cour de justice en 1964 qui a permis de consacrer et d'expliquer la nécessité de la primauté du droit de l'union. C'était l'histoire de l'arrêt Costa contre Haenel. Un grand merci de m'avoir écouté. Avant de vous quitter, je voudrais signaler que cet épisode a été réalisé grâce à un article qui m'a énormément aidé, et j'invite toute personne intéressée par cette affaire à le lire. Il s'agit d'un article du professeur Amedeo Arena, qui s'intitule « Ainsi naquit la primauté du droit communautaire aux origines de l'affaire Costa-Contrenelles » , et dont la traduction en français a été publiée à la Revue trimestrielle de droit européen, une revue éditée par Dalloz en 2021. Cet article présente l'affaire Costa contre Enel avec beaucoup, beaucoup plus de détails et de sources que ce que j'ai fait dans cet épisode. Et vraiment, je vous en conseille la lecture et je le remercie pour l'aide qu'il m'a fournie. Quant à nous, on se retrouve très vite pour un nouvel épisode de Luxembourg 2 minutes d'arrêt. Merci beaucoup et à bientôt.
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L'arrêt Costa c. ENEL a consacré la primauté du droit de l'Union sur les droits internes des Etats membres !
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Costa contre Haenel, ou l'histoire de la consécration de la primauté du droit de l'Union sur les droits nationaux des états membres. En contestant une facture d'électricité d'un montant de 1925 lire, soit une vingtaine d'euros, Flaminio Costa a mis en marche l'affirmation d'un des principes les plus structurants de l'Union Européenne. Mais dans cette histoire, il faut rendre hommage à l'avocat de Flaminio Costa, un dénommé Gian Galeazzo Stendardi, qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour parvenir à ce résultat. Et oui, il semblerait que l'arrêt de la Cour de justice rendu le 15 juillet 1964 dans l'affaire Costa contre Enel soit le résultat qui était attendu par cet avocat. Il a cherché à faire reconnaître le principe de primauté du droit de l'union. Comment s'y est-il pris ? C'est ce que je vous propose de vous raconter dans cet épisode. L'histoire de cet arrêt nous renvoie en Italie, au début des années 60. A cette période, le gouvernement italien de l'époque initie une grande réforme visant à nationaliser la distribution de l'électricité en Italie. L'idée est de créer une entreprise publique en charge de la distribution de l'électricité, sur tout le territoire italien, à la place de nombreuses entreprises privées qui exerçaient dans ce secteur à ce moment-là. Le nom de cette entreprise ? L'Ente Nazionale per l'Energia Electrica. Est-ce que c'est mon accent italien douteux ? Enfin, s'il fallait maîtriser les 24 langues officielles de l'Union pour faire du droit européen, on ne serait pas beaucoup exercé dans le milieu. Par chance pour moi, cette entreprise sera appelée par son acronyme, l'ENEL, E-N-E-L. Et c'est par une loi du 6 décembre 1962 que l'ENEL est créée, ce qui concrétise le projet de nationalisation du secteur de l'électricité. Il y en a un à qui cette loi ne plaît pas beaucoup, c'est Gian Galeado Stendardi, qui est avocat au barreau de Milan, en plus d'être enseignant à l'université. Il ne se cache pas de son opposition à cette loi, et il le fait savoir dans plusieurs de ses écrits. Surtout, il considère que cette loi de nationalisation est contraire aux droits institués par la Communauté économique européenne, créée par le traité de Rome en 1957, autrement dit, le droit de l'Union. Dans le même temps, il considère que cette loi viole la constitution italienne, dans la mesure où la constitution autorise que l'Italie prenne des engagements internationaux, que le traité de Rome est un engagement international, et que ne pas le respecter revient à violer la constitution. Il a donc son opinion sur la loi créant l'Enel. Mais comme il n'est pas possible de contester directement une loi devant le juge, il faut trouver un acte pris en application de cette loi, pour pouvoir le contester, et à cette occasion soulever l'argument selon lequel Cet acte d'application n'est pas légal, puisque fondé sur une loi contraire aux droits de l'Union et à la Constitution. C'est à ce moment-là que Flaminio Costa entre en jeu. Flaminio Costa est aussi avocat, et il est aussi mécontent de cette nationalisation de la distribution de l'électricité. Et surtout, Flaminio Costa détenait des actions dans une société privée qui s'appelle Edison Volta, et qui a disparu puisque nationalisée par la loi NR. Alors, quand M. Costa a reçu sa première facture, émise par l'Enel, et non plus par Edison Volta, qui était son fournisseur, il décida de ne pas la payer, et de la contester devant un juge. Ce n'est pas le montant de 1925 lire qui l'ennuie. Cette somme correspond à un peu plus de 20 euros, et à sa place je serais content d'avoir une facture d'électricité d'un montant si bas. Mais de cette manière, il compte remettre en cause la loi Enel, considérant qu'en raison de l'illicéité de cette loi, Enel ne peut lui réclamer le moindre centime. C'est donc Stendardi qui a fomenté tout cela, et dans le recours introduit devant le juge de Milan, il fait valoir ses arguments connus de longue date. La loi Enel serait inconstitutionnelle, et contraire aux droits européens. Stendardi demande au juge de Milan de renvoyer la question, d'une part à la Cour constitutionnelle pour contrôler la conformité de la loi à la constitution et d'autre part à la Cour de justice des communautés européennes pour un renvoi préjudiciel, précisément pour lui poser la question de la conformité de la loi au traité de Rome. A ce moment là, Le juge de Milan accède à la demande de Stendardi et Costa, et renvoie au juge constitutionnel, mais s'abstient de renvoyer à la Cour de justice la question de la conformité avec le traité de Rome. La balle est donc renvoyée au juge constitutionnel italien. Dans son jugement, la Cour constitutionnelle rejette tous les arguments de Stendardi. Mais pour ce qui nous intéresse, elle rejette surtout l'hypothèse selon laquelle le traité de Rome de 1957 devrait primer sur une loi italienne adoptée en 1962. Le juge constitutionnel fait application d'un adage connu du droit, l'ex-postérieur dérogateur. C'est-à-dire qu'en cas de conflit de normes, il faut privilégier la norme la plus récente, et donc ici la loi italienne. En résumant, le juge constitutionnel anéantit le raisonnement de Stendardi, mais ce dernier a de la suite dans les idées. C'est un fin stratège, et il avait anticipé la possibilité d'un tel résultat. Prenez-en de la graine si vous voulez devenir avocat, mais Stendardi a fait ici œuvre d'une stratégie phénoménale. En effet, après avoir contesté la première facture d'électricité de Flaminio Costa, les deux protagonistes de cette histoire ont introduit un deuxième recours, en contestant la deuxième facture d'électricité reçue par Flaminio Costa. Il y a donc en réalité une affaire Costa contre Enel 2, et c'est cette deuxième affaire qui va aboutir à la saisine de la Cour de justice. Un deuxième recours est introduit, identique au premier, une facture de 1925 lire, et un argumentaire sur l'inconstitutionnalité de la loi Enel et son incompatibilité avec le droit européen. Sauf que cette fois-ci, pour mettre fin au débat, le juge de Milan décide de s'en remettre à la Cour de Justice et de lui poser directement la question. En cas de contrariété entre une loi nationale et le traité de Rome, quelle est la norme qui doit primer ? Costa et Stendardi ont réussi leur coup. La Cour de Justice va trancher la question. Pour Stendardi, c'est un aboutissement. Il a mûri sa réflexion de longue date. Il avait déjà publié un ouvrage juste après l'adoption du traité de Rome pour expliquer que les dispositions de ce traité devaient primer sur les lois nationales qui lui sont contraires et que ces dernières doivent donc être écartées. Il va avoir tout loisir de développer ses arguments devant la Cour de justice dont la décision est finalement rendue le 15 juillet 1964. C'est le moment. de faire deux minutes d'arrêt à Luxembourg. Il n'y a aucune surprise ici. L'arrêt Costa-Contrénel est justement célèbre parce qu'il affirme le principe de primauté. C'est-à-dire que dans un rapport hiérarchique entre une norme de droit de l'Union et une norme de droit national, c'est le droit de l'Union qui doit s'appliquer et donc le droit national s'incliner. Mais comme le souligne le professeur Jean-Paul Jacquet dans son ouvrage de référence de droit institutionnel de l'Union, ce n'est pas tant la solution arrêtée par le juge de l'Union qui surprend, mais plus le raisonnement qui le conduit à ce résultat. Au fond, il est assez logique qu'une juridiction supranationale comme la Cour de justice consacre la primauté du droit de l'Union sur le droit national. Mais elle aurait pu le faire simplement en rappelant aux États membres qu'ils se sont engagés à respecter les traités Et qu'il n'est donc pas question d'adopter des lois nationales entraînant l'irrespect de ces traités. La Cour aurait pu faire application d'un adage bien connu du droit, « pacta sunt servanda » , applicable au droit des contrats mais aussi au droit des traités, qui veut dire que les contrats, comme les traités, légalement conclus, doivent être respectés. Les États membres ont conclu le traité de Rome, ils doivent donc le respecter. C'était sans doute un raisonnement suffisant pour consacrer la primauté. Mais la Cour va aller un peu plus loin. Elle fait une série de constatations desquelles elle va déduire la primauté et desquelles elle va déduire la nécessité de la primauté du droit de l'Union. La Cour souligne la spécificité de l'Union européenne, enfin de la Communauté économique européenne, puisque c'est son nom à l'époque, qui est une organisation qui tient ses pouvoirs de la volonté des États de lui transférer, certes de manière limitée, une part de leur souveraineté. Ce transfert d'attribution signifie que les États ne peuvent plus adopter de réglementation dans certains domaines, puisque précisément, il revient aux institutions de l'Union d'intervenir à leur place. Cette constatation conduit la Cour à remarquer que le traité de Rome dispose d'une nature spécifique, qui le différencie de n'importe quel autre traité international, puisqu'il crée un ordre juridique spécifique qui va s'intégrer dans les ordres juridiques nationaux des États membres. Cette intégration du droit produit par l'organisation européenne dans l'ordre juridique national empêche de faire prévaloir le droit national. Autrement, c'est une violation des traités. C'est pour cela que le droit de l'Union doit primer sur le droit national. Il en va de son effectivité, ce qui veut dire que les États n'ont plus la possibilité d'adopter un texte interne qui lui soit contraire. C'est la consécration du principe de primauté du droit de l'Union qui reste valable encore aujourd'hui. Et puis il y a un aspect moins connu, moins traité de l'arrêt Costa contre Haenel. Dans cette affaire, la Cour précise qu'il ne lui revient pas de contrôler le droit national, mais seulement d'interpréter les traités. Cela veut dire que la Cour n'est pas une Cour suprême, en mesure d'écarter le droit national contraire au traité. C'est au juge national qu'il reviendra de tirer les conséquences du principe de primauté. En l'occurrence, dans cette affaire, la Cour de justice interprète les dispositions du traité invoquées par Maître Stendardi et estime, pour faire simple, que le traité n'interdit pas par principe les monopoles nationaux, n'interdit pas les nationalisations, mais qu'il reviendra au juge national de vérifier que la loi italienne sur l'Enel est compatible ou non avec le traité. Dans notre affaire italienne tenant compte de la primauté, le juge de Milan a finalement donné raison à Stendardi. Mais l'Enel a finalement formé un pourvoi en cassation et la Cour de cassation italienne a jugé que la loi Enel n'était pas incompatible avec les traités. Il faut donc rappeler ici une évidence. Le droit de l'union prime sur le droit interne des États membres. Mais pour autant qu'il y ait un conflit de normes, en cas de compatibilité avec les traités, il n'y a aucune raison d'écarter le droit national. En conséquence, Costa et Stendardi n'ont pas réussi à obtenir ce qu'ils cherchaient. à savoir une mise en retrait de la loi Haenel. Mais on doit à leur démarche le rendu d'un grand arrêt de la Cour de justice en 1964 qui a permis de consacrer et d'expliquer la nécessité de la primauté du droit de l'union. C'était l'histoire de l'arrêt Costa contre Haenel. Un grand merci de m'avoir écouté. Avant de vous quitter, je voudrais signaler que cet épisode a été réalisé grâce à un article qui m'a énormément aidé, et j'invite toute personne intéressée par cette affaire à le lire. Il s'agit d'un article du professeur Amedeo Arena, qui s'intitule « Ainsi naquit la primauté du droit communautaire aux origines de l'affaire Costa-Contrenelles » , et dont la traduction en français a été publiée à la Revue trimestrielle de droit européen, une revue éditée par Dalloz en 2021. Cet article présente l'affaire Costa contre Enel avec beaucoup, beaucoup plus de détails et de sources que ce que j'ai fait dans cet épisode. Et vraiment, je vous en conseille la lecture et je le remercie pour l'aide qu'il m'a fournie. Quant à nous, on se retrouve très vite pour un nouvel épisode de Luxembourg 2 minutes d'arrêt. Merci beaucoup et à bientôt.
Description
L'arrêt Costa c. ENEL a consacré la primauté du droit de l'Union sur les droits internes des Etats membres !
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Transcription
Costa contre Haenel, ou l'histoire de la consécration de la primauté du droit de l'Union sur les droits nationaux des états membres. En contestant une facture d'électricité d'un montant de 1925 lire, soit une vingtaine d'euros, Flaminio Costa a mis en marche l'affirmation d'un des principes les plus structurants de l'Union Européenne. Mais dans cette histoire, il faut rendre hommage à l'avocat de Flaminio Costa, un dénommé Gian Galeazzo Stendardi, qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour parvenir à ce résultat. Et oui, il semblerait que l'arrêt de la Cour de justice rendu le 15 juillet 1964 dans l'affaire Costa contre Enel soit le résultat qui était attendu par cet avocat. Il a cherché à faire reconnaître le principe de primauté du droit de l'union. Comment s'y est-il pris ? C'est ce que je vous propose de vous raconter dans cet épisode. L'histoire de cet arrêt nous renvoie en Italie, au début des années 60. A cette période, le gouvernement italien de l'époque initie une grande réforme visant à nationaliser la distribution de l'électricité en Italie. L'idée est de créer une entreprise publique en charge de la distribution de l'électricité, sur tout le territoire italien, à la place de nombreuses entreprises privées qui exerçaient dans ce secteur à ce moment-là. Le nom de cette entreprise ? L'Ente Nazionale per l'Energia Electrica. Est-ce que c'est mon accent italien douteux ? Enfin, s'il fallait maîtriser les 24 langues officielles de l'Union pour faire du droit européen, on ne serait pas beaucoup exercé dans le milieu. Par chance pour moi, cette entreprise sera appelée par son acronyme, l'ENEL, E-N-E-L. Et c'est par une loi du 6 décembre 1962 que l'ENEL est créée, ce qui concrétise le projet de nationalisation du secteur de l'électricité. Il y en a un à qui cette loi ne plaît pas beaucoup, c'est Gian Galeado Stendardi, qui est avocat au barreau de Milan, en plus d'être enseignant à l'université. Il ne se cache pas de son opposition à cette loi, et il le fait savoir dans plusieurs de ses écrits. Surtout, il considère que cette loi de nationalisation est contraire aux droits institués par la Communauté économique européenne, créée par le traité de Rome en 1957, autrement dit, le droit de l'Union. Dans le même temps, il considère que cette loi viole la constitution italienne, dans la mesure où la constitution autorise que l'Italie prenne des engagements internationaux, que le traité de Rome est un engagement international, et que ne pas le respecter revient à violer la constitution. Il a donc son opinion sur la loi créant l'Enel. Mais comme il n'est pas possible de contester directement une loi devant le juge, il faut trouver un acte pris en application de cette loi, pour pouvoir le contester, et à cette occasion soulever l'argument selon lequel Cet acte d'application n'est pas légal, puisque fondé sur une loi contraire aux droits de l'Union et à la Constitution. C'est à ce moment-là que Flaminio Costa entre en jeu. Flaminio Costa est aussi avocat, et il est aussi mécontent de cette nationalisation de la distribution de l'électricité. Et surtout, Flaminio Costa détenait des actions dans une société privée qui s'appelle Edison Volta, et qui a disparu puisque nationalisée par la loi NR. Alors, quand M. Costa a reçu sa première facture, émise par l'Enel, et non plus par Edison Volta, qui était son fournisseur, il décida de ne pas la payer, et de la contester devant un juge. Ce n'est pas le montant de 1925 lire qui l'ennuie. Cette somme correspond à un peu plus de 20 euros, et à sa place je serais content d'avoir une facture d'électricité d'un montant si bas. Mais de cette manière, il compte remettre en cause la loi Enel, considérant qu'en raison de l'illicéité de cette loi, Enel ne peut lui réclamer le moindre centime. C'est donc Stendardi qui a fomenté tout cela, et dans le recours introduit devant le juge de Milan, il fait valoir ses arguments connus de longue date. La loi Enel serait inconstitutionnelle, et contraire aux droits européens. Stendardi demande au juge de Milan de renvoyer la question, d'une part à la Cour constitutionnelle pour contrôler la conformité de la loi à la constitution et d'autre part à la Cour de justice des communautés européennes pour un renvoi préjudiciel, précisément pour lui poser la question de la conformité de la loi au traité de Rome. A ce moment là, Le juge de Milan accède à la demande de Stendardi et Costa, et renvoie au juge constitutionnel, mais s'abstient de renvoyer à la Cour de justice la question de la conformité avec le traité de Rome. La balle est donc renvoyée au juge constitutionnel italien. Dans son jugement, la Cour constitutionnelle rejette tous les arguments de Stendardi. Mais pour ce qui nous intéresse, elle rejette surtout l'hypothèse selon laquelle le traité de Rome de 1957 devrait primer sur une loi italienne adoptée en 1962. Le juge constitutionnel fait application d'un adage connu du droit, l'ex-postérieur dérogateur. C'est-à-dire qu'en cas de conflit de normes, il faut privilégier la norme la plus récente, et donc ici la loi italienne. En résumant, le juge constitutionnel anéantit le raisonnement de Stendardi, mais ce dernier a de la suite dans les idées. C'est un fin stratège, et il avait anticipé la possibilité d'un tel résultat. Prenez-en de la graine si vous voulez devenir avocat, mais Stendardi a fait ici œuvre d'une stratégie phénoménale. En effet, après avoir contesté la première facture d'électricité de Flaminio Costa, les deux protagonistes de cette histoire ont introduit un deuxième recours, en contestant la deuxième facture d'électricité reçue par Flaminio Costa. Il y a donc en réalité une affaire Costa contre Enel 2, et c'est cette deuxième affaire qui va aboutir à la saisine de la Cour de justice. Un deuxième recours est introduit, identique au premier, une facture de 1925 lire, et un argumentaire sur l'inconstitutionnalité de la loi Enel et son incompatibilité avec le droit européen. Sauf que cette fois-ci, pour mettre fin au débat, le juge de Milan décide de s'en remettre à la Cour de Justice et de lui poser directement la question. En cas de contrariété entre une loi nationale et le traité de Rome, quelle est la norme qui doit primer ? Costa et Stendardi ont réussi leur coup. La Cour de Justice va trancher la question. Pour Stendardi, c'est un aboutissement. Il a mûri sa réflexion de longue date. Il avait déjà publié un ouvrage juste après l'adoption du traité de Rome pour expliquer que les dispositions de ce traité devaient primer sur les lois nationales qui lui sont contraires et que ces dernières doivent donc être écartées. Il va avoir tout loisir de développer ses arguments devant la Cour de justice dont la décision est finalement rendue le 15 juillet 1964. C'est le moment. de faire deux minutes d'arrêt à Luxembourg. Il n'y a aucune surprise ici. L'arrêt Costa-Contrénel est justement célèbre parce qu'il affirme le principe de primauté. C'est-à-dire que dans un rapport hiérarchique entre une norme de droit de l'Union et une norme de droit national, c'est le droit de l'Union qui doit s'appliquer et donc le droit national s'incliner. Mais comme le souligne le professeur Jean-Paul Jacquet dans son ouvrage de référence de droit institutionnel de l'Union, ce n'est pas tant la solution arrêtée par le juge de l'Union qui surprend, mais plus le raisonnement qui le conduit à ce résultat. Au fond, il est assez logique qu'une juridiction supranationale comme la Cour de justice consacre la primauté du droit de l'Union sur le droit national. Mais elle aurait pu le faire simplement en rappelant aux États membres qu'ils se sont engagés à respecter les traités Et qu'il n'est donc pas question d'adopter des lois nationales entraînant l'irrespect de ces traités. La Cour aurait pu faire application d'un adage bien connu du droit, « pacta sunt servanda » , applicable au droit des contrats mais aussi au droit des traités, qui veut dire que les contrats, comme les traités, légalement conclus, doivent être respectés. Les États membres ont conclu le traité de Rome, ils doivent donc le respecter. C'était sans doute un raisonnement suffisant pour consacrer la primauté. Mais la Cour va aller un peu plus loin. Elle fait une série de constatations desquelles elle va déduire la primauté et desquelles elle va déduire la nécessité de la primauté du droit de l'Union. La Cour souligne la spécificité de l'Union européenne, enfin de la Communauté économique européenne, puisque c'est son nom à l'époque, qui est une organisation qui tient ses pouvoirs de la volonté des États de lui transférer, certes de manière limitée, une part de leur souveraineté. Ce transfert d'attribution signifie que les États ne peuvent plus adopter de réglementation dans certains domaines, puisque précisément, il revient aux institutions de l'Union d'intervenir à leur place. Cette constatation conduit la Cour à remarquer que le traité de Rome dispose d'une nature spécifique, qui le différencie de n'importe quel autre traité international, puisqu'il crée un ordre juridique spécifique qui va s'intégrer dans les ordres juridiques nationaux des États membres. Cette intégration du droit produit par l'organisation européenne dans l'ordre juridique national empêche de faire prévaloir le droit national. Autrement, c'est une violation des traités. C'est pour cela que le droit de l'Union doit primer sur le droit national. Il en va de son effectivité, ce qui veut dire que les États n'ont plus la possibilité d'adopter un texte interne qui lui soit contraire. C'est la consécration du principe de primauté du droit de l'Union qui reste valable encore aujourd'hui. Et puis il y a un aspect moins connu, moins traité de l'arrêt Costa contre Haenel. Dans cette affaire, la Cour précise qu'il ne lui revient pas de contrôler le droit national, mais seulement d'interpréter les traités. Cela veut dire que la Cour n'est pas une Cour suprême, en mesure d'écarter le droit national contraire au traité. C'est au juge national qu'il reviendra de tirer les conséquences du principe de primauté. En l'occurrence, dans cette affaire, la Cour de justice interprète les dispositions du traité invoquées par Maître Stendardi et estime, pour faire simple, que le traité n'interdit pas par principe les monopoles nationaux, n'interdit pas les nationalisations, mais qu'il reviendra au juge national de vérifier que la loi italienne sur l'Enel est compatible ou non avec le traité. Dans notre affaire italienne tenant compte de la primauté, le juge de Milan a finalement donné raison à Stendardi. Mais l'Enel a finalement formé un pourvoi en cassation et la Cour de cassation italienne a jugé que la loi Enel n'était pas incompatible avec les traités. Il faut donc rappeler ici une évidence. Le droit de l'union prime sur le droit interne des États membres. Mais pour autant qu'il y ait un conflit de normes, en cas de compatibilité avec les traités, il n'y a aucune raison d'écarter le droit national. En conséquence, Costa et Stendardi n'ont pas réussi à obtenir ce qu'ils cherchaient. à savoir une mise en retrait de la loi Haenel. Mais on doit à leur démarche le rendu d'un grand arrêt de la Cour de justice en 1964 qui a permis de consacrer et d'expliquer la nécessité de la primauté du droit de l'union. C'était l'histoire de l'arrêt Costa contre Haenel. Un grand merci de m'avoir écouté. Avant de vous quitter, je voudrais signaler que cet épisode a été réalisé grâce à un article qui m'a énormément aidé, et j'invite toute personne intéressée par cette affaire à le lire. Il s'agit d'un article du professeur Amedeo Arena, qui s'intitule « Ainsi naquit la primauté du droit communautaire aux origines de l'affaire Costa-Contrenelles » , et dont la traduction en français a été publiée à la Revue trimestrielle de droit européen, une revue éditée par Dalloz en 2021. Cet article présente l'affaire Costa contre Enel avec beaucoup, beaucoup plus de détails et de sources que ce que j'ai fait dans cet épisode. Et vraiment, je vous en conseille la lecture et je le remercie pour l'aide qu'il m'a fournie. Quant à nous, on se retrouve très vite pour un nouvel épisode de Luxembourg 2 minutes d'arrêt. Merci beaucoup et à bientôt.
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