Speaker #0Le sud de la France, le chant des cigales, le soleil, la chaleur, mais aussi parfois ces agriculteurs en colère. Mécontents de la concurrence de produits venant des autres États membres de l'Union, différents collectifs d'agriculteurs du sud de la France ont mené des actions, parfois violentes, contre les importations de fruits et légumes. Tellement violentes que l'affaire dont il est question dans cet épisode est souvent appelée la guerre des fraises. Cette appellation est même peut-être réductrice, parce que c'est aussi une guerre des tomates, des asperges et de plein d'autres fruits et légumes. Mais à la fin, c'est l'État français qui a été tenu comptable des agissements violents des agriculteurs, en étant reconnu responsable d'un manquement à ses obligations qui découlent du droit de l'Union, dans un arrêt rendu par la Cour de justice le 9 décembre 1997 et qui s'intitule officiellement « Commission contre France » , mais que l'on va donc appeler « l'affaire de la guerre des frèves » . L'affaire débute dès le milieu des années 80, lorsque la Commission européenne reçoit de nombreuses plaintes en raison d'actes de violence commis dans le sud de la France par des agriculteurs contre des transporteurs et des distributeurs de fruits et légumes venant d'autres États membres de l'Union. Cette situation inquiète la Commission, qui prend contact avec les autorités françaises pour comprendre ce qui se passe exactement. Les autorités françaises se veulent alors rassurantes. répondant à la commission que toute action d'agriculteurs entre avant l'arrivée de produits d'autres états membres sur le territoire français feront l'objet d'une réponse ferme et que des mesures préventives comme répressives seront prises malgré cet apparent contrôle des autorités françaises sur la situation la commission continue de recevoir des plaintes identiques le problème va même s'accentuer avec le temps et notamment en 1993 à partir de cette année là Un groupe d'agriculteurs, dont le nom est Coordination Rurale, organise un véritable contrôle de la circulation des fruits et légumes dans le sud de la France, au besoin, en ayant recours à des actions violentes. Ce qui n'était que ponctuel dans les années 80 devient de plus en plus régulier. Au cours de l'année 1993, de nombreux camions chargés de fruits et légumes, et notamment des fraises espagnoles, sont attaqués, et les transporteurs sont harcelés. Après les fraises espagnoles, c'est au tour des tomates belges d'en faire les frais. Les chargements sont détruits, les camions sont détériorés, bref, la bataille fait rage. Dans cette affaire, la commission a listé tous les méfaits du groupe Coordination Rurale, et la liste est éloquente. Menaces et intimidations à l'encontre des transporteurs, mais aussi des vendeurs de fruits et légumes en grande distribution. Incitation musclée, et le terme musclée est mis entre guillemets par la commission. Intervention musclée visant à forcer les grandes surfaces à acheter des produits français. Imposition d'un prix minimum de vente pour les produits français. Organisation de contrôle pour vérifier que les consignes données sont bien appliquées par les distributeurs de fruits et légumes de la région. À lire tout ça, on comprend qu'il y a une véritable mafia qui s'est mise en place. Et coordination rurale ne va pas s'arrêter là. En 1994, à plusieurs dates différentes, des opérations de contrôle de camions de fruits et légumes sont menées, précisément au péage de Saint-Jean-de-Védasse, qui est une petite ville de 15 000 habitants près de Montpellier. Et dans ce contexte, que font les autorités françaises ? Eh bien, rien. Ou disons pas grand-chose. Des contacts réguliers se poursuivent entre la Commission et les autorités françaises, qui indiquent que des enquêtes judiciaires ont été initiées mais que les méthodes des agriculteurs de coordination rurale sont difficiles à contrer. C'est presque un aveu de faiblesse de la part de l'État français, et on ne comprend pas bien si l'État ne veut pas agir ou s'il ne peut pas agir contre ces actions. La Commission maintient le contact avec les autorités pour trouver des solutions, mais un événement malheureux va la faire monter au créneau. En avril 1995, la violence monte d'un cran dans le sud de la France, près de Narbonne, Des agriculteurs interceptent 9 camions de fruits de fraises espagnoles et les aspergent de gaz pour les rendre impropres à la consommation. Dans le même temps, d'autres camions sont interceptés à Toulouse et toutes les cargaisons de fruits et légumes venant d'Espagne sont brûlées. D'autres incidents du même type ont lieu vers Salon de Provence. La situation devient incontrôlable. Les agriculteurs espagnols menacent à leur tour de boycotter le marché français. Les autorités françaises n'arrivent pas à retrouver le contrôle de la situation. C'en est trop pour la Commission, qui se décide à saisir la Cour de justice d'un recours en manquement contre la France, qui, en ne faisant rien contre ses agriculteurs, se rend fautive d'une violation de la libre circulation des marchandises agricoles, alors même que les traités et la politique agricole commune indiquent que les produits agricoles doivent pouvoir circuler librement et vendus partout dans l'Union européenne. La Cour de justice est donc saisie. et va rendre un arrêt le 9 décembre 1997 dans cette affaire qui oppose donc la Commission à la France. Luxembourg, deux minutes d'arrêt pour expliquer cette affaire et son apport à l'ordre juridique de l'Union. Alors pour commencer, il faut apporter une précision. Dans cette affaire, on se situe dans un recours en manquement devant la Cour de justice. La procédure de manquement est prévue par les traités, actuellement c'est l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union qui la prévoit, et cette procédure de manquement permet à la Commission européenne de saisir la Cour pour qu'elle vérifie qu'un État membre n'est pas en situation de violation. d'une obligation qui découle du droit de l'Union. Pour être précis, un État membre peut aussi se saisir de cette voie de droit contre un autre État membre, mais cette alternative n'est que peu utilisée en pratique, et c'est pour cette raison que les recours en manquement sont dans leur très grande majorité des arrêts commission contre un État membre, comme c'est le cas en l'espèce avec cet arrêt commission contre France. Dans la procédure de manquement, il y a une phase qualifiée de précontentieuse, c'est-à-dire qu'il y a une discussion entre la commission et l'État membre soupçonné de violer le droit de l'Union, Une discussion qui est obligatoire, qui est formalisée par différentes étapes, et c'est seulement après cette phase précontentieuse, si l'État n'a pas démontré qu'il s'était conformé à ses obligations, qu'il est alors possible de saisir la Cour. Dans l'affaire de la guerre des fraises, la Commission et la France ont ainsi échangé, et même pendant plusieurs années, avant que la Commission ne se décide à saisir la Cour. Et finalement, la Cour sera saisie, et la Cour va reconnaître que la France a manqué à ses obligations, en ne prenant pas les mesures. pour faire respecter une règle essentielle du droit de l'Union, la libre circulation des marchandises, et en l'occurrence, la libre circulation des marchandises agricoles. Et c'est en cela que cette affaire de manquement dénote par rapport aux faits qui conduisent traditionnellement la Cour à reconnaître un manquement. En règle générale, les recours en manquement sont initiés parce que les États se rendent eux-mêmes responsables d'usuation du droit de l'Union. Souvent, en ne transposant pas une directive européenne dans les délais, par exemple, ou en maintenant... une loi dans leur ordre juridique national qui est contraire avec le droit de l'Union. Mais en l'espèce, la France n'a rien fait. Ce sont des acteurs privés, en l'occurrence les agriculteurs, qui ont entravé la libre circulation des marchandises en s'en prenant aux fraises espagnoles, aux tomates belges et à tout autre fruit et légumes importés depuis un autre État membre de l'Union. Et justement, c'est ce qui est reproché à la France en l'espèce. C'est de n'avoir rien fait contre cela. ou d'avoir insuffisamment fait pour lutter contre les actions violentes des agriculteurs, qui ont par conséquence commis une entrave à la libre circulation des marchandises. En s'étant montré passives, les autorités françaises ont donc violé le droit de l'Union, et la France est donc reconnue responsable d'un manquement à ses obligations. Je vous remercie pour votre écoute, j'espère que cet épisode vous a plu. N'hésitez pas à aller passer vos vacances dans le sud de la France, il y a des coins très sympas à visiter. Et même si vous êtes un producteur de phrases espagnoles, pas d'inquiétude, la situation s'est normalisée depuis le rendu de la récommission Compte France de 1997. A bientôt !