- Speaker #0
Bonjour à tous. Dans Évocation d'une vocation, un compositeur d'aujourd'hui nous raconte les cinq bandes originales fondatrices qui ont façonné son ADN et lui ont transmis l'envie, l'impulsion d'écrire pour l'image. Pour ce troisième épisode, nous accueillons une personnalité chaleureuse et attachante dont le cinéaste Henri Verneuil disait « Ce n'est pas un compositeur, c'est un aristocrate de la mélodie » . Accordéoniste de formation, accompagnateur d'Edith Piaf, son destin l'a amené des collines de Nice à celles d'Hollywood. Il détient le record d'écriture de bandes originales pour un même cinéaste avec 34 films de Claude Lelouch, son frère de cinéma. Ses partitions emblématiques s'intitulent Un homme et une femme, Vivre pour vivre, Le passager de la pluie, Love story, Billitis, Les uns et les autres, Les ripoux, Les yeux noirs, Itinéraire d'un enfant gâté, 1 plus 1. Bonjour Francis Lé.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Alors, vous êtes né à Nice au printemps 1932. Et vous avez grandi dans les collines, au-dessus de la ville. Quels sont, dans le contexte de l'époque, vos premiers souvenirs de cinéma ? Et j'ai presque envie de vous demander de musique au cinéma.
- Speaker #1
Je n'ai pas de grands souvenirs de cinéma, parce qu'étant loin du centre de la ville, il n'était pas facile. Et à l'époque, il n'y avait pas de télévision, bien sûr. Donc c'était vraiment accidentel. La plupart du temps, c'était le dimanche, ou le samedi et le dimanche. où on allait au cinéma. On allait au cinéma et là, c'était les grands classiques. On allait voir les grands classiques avec mes frères. Et j'adorais voir les films de Laurel et Hardy, de Charlie Chaplin. Et dans un film de Charlie Chaplin, il y avait une musique qui m'avait énormément plu et c'était dans Limelight. Et cette musique m'avait beaucoup touché. Donc voilà, peut-être le premier... le... Le premier thème musical filmographique sur lequel peut-être j'aurais bien aimé participer.
- Speaker #0
Qu'est-ce qui vous a touché spécialement dans ce thème des Feux de l'art ?
- Speaker #1
C'est-à-dire qu'il allait parfaitement avec l'image. Moi, ça m'a fait pleurer parce que quand on entend cette musique qui sent sur le banc, je ne sais plus, il y a une image comme ça qui m'est restée. Je sais que j'avais les larmes aux yeux. Donc, cette musique m'avait donné une émotion forte. forte, mais là par contre c'est vrai que c'était avec l'image, c'était le mariage de la musique et de l'image Mais est-ce que aussi parce que
- Speaker #0
Chaplin a été peut-être quasiment un des premiers compositeurs cinéastes de l'histoire, il y en a quelques-uns, il a été peut-être l'un des précurseurs à avoir ce double statut, en plus d'être comédien et producteur de ses films et scénariste de ses films, mais c'est aussi parce que peut-être dans Les Feux de la Rampe, ce thème est déjà le thème d'un Chaplin qui n'est plus le Chaplin de l'époque du muet, c'est plus le personnage de Charlot, c'est le personnage de quelqu'un qui a été une icône de la comédie mondiale, le personnage peut-être de l'histoire du cinéma le plus populaire qui traverse le temps, et que là, c'est un thème qui correspond à un versant, disons, au deuxième versant de sa vie, au Chaplin de la maturité, du vieillissement aussi, et qui a du mal à faire rire encore, qui essaye de retrouver son public. Est-ce que vous trouvez que c'est en ça que ce thème a pu vous toucher aussi ?
- Speaker #1
Il m'a touché dans les deux sens. Il m'a touché dans le sens que l'image était superbe, que les acteurs étaient superbes. Moi, je n'avais jamais entendu, je n'avais jamais écouté une séquence de film aussi touchante et aussi forte. Je ne l'ai pas vu comme un comique, je l'ai vu comme un véritable acteur. Donc, si ma mémoire est bonne, c'est... Oui, ça doit être ça, oui.
- Speaker #2
Sous-titrage Société Radio
- Speaker #0
Vos parents étaient italiens, donc je suppose que la culture transalpine était très importante dans le contexte familial de votre enfance. Et du coup, vous m'avez cité un compositeur qui doit peut-être pour vous être associé à des réminiscences de l'histoire de votre famille. Vous avez voulu inclure à cette liste de cinq compositeurs et partitions Nino Rota.
- Speaker #1
Nino Rota, c'est exceptionnel. C'est exceptionnel parce qu'il a créé... Toujours pareil, un créateur pur et pur. Il a créé un style de musique qui n'existait pas et qui collait tellement avec l'univers félinien que j'étais en admiration devant ce couple. Ensuite, mélodiquement, c'est pareil. C'était un mélodiste hors pair. sachant que c'était un grand, grand, grand musicien, qu'il avait un bagage musical très, très poussé. Il avait dirigé des orchestres symphoniques. Mais ce style de musique, il a été vraiment le créateur et il en a inspiré d'autres.
- Speaker #0
Dont moi. Mais ça vous fait quoi d'avoir un compositeur de culture savante et qui arrive avec son savoir-faire, sa technique, à réinventer les musiques populaire italienne, et notamment tout ce qui est lié à l'univers du cirque.
- Speaker #1
Oui, c'était lié à l'univers du cirque. C'est vrai qu'il y avait ce côté-là. Mais en plus de cette culture, mes parents, surtout mon père, aimait l'opéra en plus. Il aimait les grands compositeurs, Puccini, j'écoutais la Tosca, il me faisait écouter la Tosca, des trucs. À mon âge, à 7 ans, 8 ans, écouter la Tosca, ça ne voulait rien dire, parce que je ne comprenais pas grand-chose. Mais il me dit, écoute, surtout c'était les chanteurs. À l'époque, il y avait des chanteurs hors normes, qui avaient des voix absolument sublimes, des ténors qui étaient très connus. Donc j'écoutais ça. Et puis, en fin de compte, l'oreille enregistre. Il y a des choses qui se passent intérieurement, qu'on ne réalise pas trop, et qui en sortent. 10 ans, 15 ans, 20 ans après, on se souvient, je dis, ah ben oui, tu te souviens, voilà, on se souvient de quelques mélodies de l'époque, j'ai pas la voix de, comment il s'appelait déjà ce fameux ténor ? Caruso ! Donc, voilà.
- Speaker #0
Quand vous avez vu les films de Fellini avec les musiques de Rota, ça a été pour vous une sorte de piqûre de rappel ou de réminiscence comme ça de... d'enfance et de ses écoutes d'opéra avec votre père,
- Speaker #1
non ? Non, ça a été une révélation totale. L'ensemble, j'ai pris l'ensemble, j'ai tout. J'ai tellement aimé que je suis devenu le fan fini de Fellini. Avant qu'il ait sorti une image, j'essayais de la voir.
- Speaker #0
Et s'il y avait une partition emblématique pour vous, ce serait laquelle ?
- Speaker #1
Ça reste quand même le film remarquant où la musique est sublimissime. Elle est tellement touchante, elle va tellement avec le film. Ça reste quand même leur univers. Il est là, même si ça n'a plus le côté cirque, parce que là, ça devient carrément une véritable musique mélodique.
- Speaker #0
L'homme qui a composé et interprété la musique de ce film, c'est Anton Karras. Orson Welles à l'écran. Le film s'appelle Le Troisième Homme. Quels souvenirs vous avez de ce film et de cette partition ? Pourquoi l'avoir choisi ? Les avoir choisis ?
- Speaker #1
Toujours par l'originalité et la trouvaille inouïe. Déjà d'utiliser un instrument qui était complètement banni, qui était oublié du monde, le mettre à ce niveau-là, avec cet acte. acteurs prodigieux. Et ce musicien qui, effectivement, n'a fait que ce thème-là, mais quelle réussite ! Donc, si on arrive à faire un thème qui traverse les époques, qui traverse les années, qui traverse les décennies, et qui va traverser probablement, je ne sais pas encore, on ne peut pas demander plus. On ne peut pas demander plus. C'est la réussite la plus totale. On ne demande pas. à un musicien d'écrire 50 thèmes qui soient mémorisables. Lui, il en a écrit un, et il a fait le tour du monde, et il continue à faire le tour du monde. Donc je trouve que c'est une grande réussite.
- Speaker #0
Vous aviez 15 ans quand le film est sorti. Ça vous avait frappé que, contrairement à beaucoup de films américains dans lesquels on avait des partitions descriptives, une sorte de robinet à musique permanent, avec des musiques qui surlignaient tous les détails de l'action, là, c'était le contraire absolu de cette esthétique hollywoodienne. un thème unique sur tout le film avec un seul instrument, la sitar.
- Speaker #1
C'était ça la grande trouvaille. C'était ça. Alors, à l'époque, je ne vais pas mentir, je ne réalisais pas que c'était aussi prodigieux d'utiliser qu'un seul instrument. Si on m'avait demandé de faire une musique, j'aurais dit, allez, on prend 50 cordes. Là, lui, il a été très, très, très astucieux. Il a trouvé ce lien. Il y a comme ça, de temps en temps, des choses nouvelles qu'on ne réalise pas et qui prennent une part très conséquente dans l'histoire. Et ça, c'est une étude.
- Speaker #0
Ce choix du troisième môme nous amène logiquement à un autre choix avec une partition qui fonctionne un peu sur le même principe avec un parti pris similaire. au troisième homme, sauf qu'on remplace la sitar par un harmonica, avec derrière un quartet, piano, basse, batterie, guitare, Jean Vienner. Touchez pas au grisbi.
- Speaker #1
Oui, ça a été aussi une révolution. La première fois qu'on entend ça, c'est toujours les inattendus, en fin de compte, qui sont fabuleux. On s'attendait tellement peu à voir un Gabin avec un harmonica. Et oui, ça marche très bien. Ça allume tout. C'est vraiment fabuleux. Et le thème est magnifique. Le thème est une trouvaille. C'est superbe. Et puis, il n'y a pas beaucoup... Voilà, ce n'est pas la peine d'avoir des fioritures à droite et à gauche. C'est jouer simplement, c'est jouer avec du cœur. Et puis, ça transperce tout. Et ça restera également, ça restera quand même un intouchable dans une partition de musique de film.
- Speaker #0
Est-ce que ça vous a surpris quand vous avez appris que Jacques Becker, finalement, c'était lui le metteur en scène du film, qui avait fait le choix de ne rien conserver de toute la partie, disons, tension, suspense, toute la partie dramatique de la partition, il l'a foutu intégralement la poubelle, et c'est lui qui a choisi de ne garder que ce thème-là sur tout le film.
- Speaker #1
Oui, non, ça ne m'étonne pas, parce que c'est dans ma conception. Dans les films américains, des fois, il y a une saturation de musique, c'est-à-dire qu'il y a tellement de musique qu'on n'en retient aucune, alors qu'elles sont superbement bien écrites, bien faites, bien enregistrées, parce que là-bas, ça ne rigole pas, quand c'est vraiment de la grande qualité. Mais il y en a tellement que, sous toutes les images, c'est qu'on arrive à une saturation de musique où on ne récupère plus rien.
- Speaker #0
J'ai l'impression que vous aimez, quand vous choisissez Antoine Carras pour le troisième homme, ou Vienner avec « Touchez pas au gris de vie » , vous aimez une forme d'économie et de dépouillement.
- Speaker #1
Oui, oui, oui. J'ai toujours essayé d'être le plus simple et le plus direct possible. Je ne sais pas si je suis arrivé, mais je trouve que les fioritures, c'est en plus. C'est trop, c'est quand on fait une tri en plus, bon, elle amène quoi ? Elle amène une tri, et elle sert à rien. Elle sert à rien, alors ça peut enjoliver quelque chose, mais je préfère la simplicité. J'ai essayé, jusqu'à aujourd'hui, j'ai essayé d'être simple. Je ne sais pas si j'y suis arrivé, mais bon, c'est au moins, j'aurais essayé.
- Speaker #0
Comme une prémonition de la simplicité du langage francislais, voici celle de Jean Vienner, touchez pas au grisby, avec Jean Vienner en quartette et en invité Jean Wetzel à l'harmonica. Alors Francis, vous avez voulu inclure également un compositeur avec lequel vous avez travaillé, puisque vous avez co-composé avec lui, à parts égales, la partition du film Le Claude Lelouch, les uns les autres, en 1980. Et ce compositeur, c'est Michel Legrand.
- Speaker #1
Pour moi, c'était un grand honneur de travailler avec Michel, parce que j'avais été un fan de sa musique sublime, les Parapluies de Cherbourg, où il y avait un thème qui restera, qui restera toujours, le thème de la séparation. Pour moi, ça avait été un grand honneur de travailler avec lui, alors que les choses étaient bien claires avec le louche. Il devait faire toute la partie américaine, moi je devais faire toute la partie européenne. Et on m'avait dit, attention, c'est difficile de travailler avec M. Le Grand. Et j'ai trouvé que c'était d'une simplicité tout à fait simple, plus que simple, et que ça s'est merveilleusement bien passé. Et merci à Claude de nous avoir réunis pour ce film-là.
- Speaker #0
Qu'est-ce qui vous avait frappé dans les parapluies, dans cette partition foisonnante, luxuriante, et qui raconte finalement un drame ? Deux personnes qui se font une promesse d'amour. Et finalement, le temps va les séparer. Et ils vont rater leur vie, leur destin, en passant l'un à côté de l'autre.
- Speaker #1
Non, mais c'était de nouveau, l'innovation. Là, pour moi, c'était complètement nouveau. Chanter les dialogues, personne ne l'avait jamais fait. Et ça aurait pu être vraiment difficile à soutenir. Alors que là, c'était d'une clarté, c'était d'une beauté. Le soir où j'ai vu, j'étais à la première du film, en sortant, je suis allé tout de suite au magasin de disques qui était juste à côté. J'ai acheté le double album de Michel. Je suis rentré chez moi, je me suis écouté l'album toute la nuit. Ah oui ? J'ai trouvé cette musique tellement belle que j'ai terminé ma nuit avec la musique de Michel Lebrun.
- Speaker #0
Est-ce qu'il y avait un thème en particulier qui vous... touchait plus qu'un autre dans le...
- Speaker #1
Ouais, bien sûr, le thème de la séparation a été sublime. Rien que la trouvaille de ces notes-là... Bravo Michel !
- Speaker #0
Pour conclure cette évocation d'une vocation avec Francis Lay, Francis Lay rend hommage à Michel Legrand avec les parapluies de Cherbourg. Merci Francis !
- Speaker #1
Merci ! Mon ami, mon ami,
- Speaker #0
mon amour,
- Speaker #2
je t'aime, je t'aime.