Speaker #1Alors vous, vos premières fois sont doubles. Il y a un court-métrage de Jean-Yves Philippe, « La virée » en 92, et il y a « Sept ans plus tard » . Évidemment, Les amants criminels, qui est le deuxième long-métrage de François Ozon et qui est votre premier long-métrage. Comment est-ce qu'on apprend à nouer, à dialoguer avec un cinéaste ? Comment est-ce qu'on apprend à cerner ses attentes, à cerner parfois même ses silences ? Comment est-ce qu'on apprend à l'accoucher, en quelque sorte, lors de ce premier face-à-face ? On était dans la classe d'Antoine Duhamel, à l'école normale, et on avait eu cette opportunité pour nos examens de fin d'année. collaborer avec des élèves de la FEMIS. Dans les enseignes ? D'abord en montage, donc on apprenait les rouages du synchronisme, le processus de montage, et puis après, lors de nos examens, l'orchestre étant installé, le petit orchestre, je précise, installé dans les locaux de la FEMIS, passaient là des étudiants réalisateurs. Et donc il y a un jeune garçon qui est passé et qui a entendu ma musique pour mon épreuve et a trouvé ça a priori chouette puisqu'il est venu me voir et m'a dit si je pourrais faire ma musique de mon film de fin d'année voilà comment tout a démarré j'ai commencé à faire des courts métrages pour des élèves de la FEMIS qui de bouche à oreille après m'ont demandé aussi de faire des musiques pour eux mais la question du comment communiquer avec un réalisateur je pense qu'elle est mutuelle c'est à dire c'est à la fois aussi difficile pour lui ou elle que pour nous compositeurs finalement Parce qu'un film est plus facilement décryptable avec des mots qu'une musique pour le vocabulaire. Donc fébrilement, on a commencé avec Jean-Yves, Philippe, Isabelle Brouet et d'autres. On a appris à se connaître, appris à échanger nos sensibilités. Donc c'était un apprentissage aussi pour moi, l'apprentissage du partage, apprentissage de savoir écouter aussi. Les désirs, les démons, les doutes, tout ça commence déjà dans le court-métrage. À petite échelle, mais c'est un vrai apprentissage pour la suite. Est-ce qu'il y a des erreurs, quand on est un jeune compositeur qui aspire à écrire pour le cinéma et qui débute, qui débute avec des créateurs, des metteurs en scène de sa génération, est-ce qu'il y a des erreurs que l'on a tendance à facilement commettre ? La mienne, en tout cas, je pense que c'était d'être trop généreux, parce qu'on rêve de musique, de films. Donc il m'est arrivé de faire des génériques de courts-métrages comme si c'était le nouveau grand film de long-métrage de l'année français ou américain. Mais sans les moyens, vous voyez. Avec les moyens du bord, mais on sentait quand même derrière, ça poussait fort. Donc c'est vrai qu'à être un peu trop bavard, peut-être. En vouloir montrer, vouloir s'exprimer. Être démonstratif. Oui, être débordé d'envie, de besoin, de prouver, de montrer, de se faire plaisir aussi. D'avoir un peu moins la sagesse de dire non, non, là, il faut un silence. Là, il ne faut pas mettre de musique. Surtout, vous savez, ça, ça vient plus tard quand on dit, vous savez, là, je pense qu'il ne faut pas de musique. Quand vous faites votre premier court métrage, vous n'avez pas forcément ce genre d'approche. Est-ce qu'on apprend aussi que finalement Souvent, c'est ce qu'on retient aussi d'ailleurs de votre propos en général sur votre discipline, c'est que bien sûr il y a l'écriture, bien sûr il y a les idées, bien sûr il y a leur traitement, mais il y a aussi arriver à les faire admettre et comprendre au metteur en scène. Je ne sais pas s'il faut la faire admettre à tout prix. On n'a pas non plus la clé de la vérité. même dans le court-métrage, même avec des jeunes réalisateurs inexpérimentés, nous aussi on était inexpérimentés, vouloir faire admettre coûte que coûte n'est pas une solution faire comprendre en expliquant parfois pourquoi on a fait telle modulation, pourquoi on a changé d'instrumentation, on peut expliquer par rapport au personnage j'ai fait ça parce que à ce moment-là il repart chez lui, il repense à elle ... Donc dans sa tête, il a encore des souvenirs qui reviennent, des images. Donc tu comprends, même s'il rentre chez lui qu'elle n'est plus là. Je donne un exemple comme ça. Alors le réalisateur, à ce moment-là, peut vous dire « Ah oui, mais pour moi, c'est fini. » Quand il rentre chez lui, il l'a oublié. Il est reparti dans sa tête, dans son monde. Et donc là, il y a un vrai échange de points de vue scénaristique. de direction d'acteur, là c'est une direction de compositeur. C'est-à-dire qu'il vous dit ce que lui a imaginé. C'est là que ça devient intéressant. Parce que vous voyez bien que vous aviez une vérité, mais pas la vérité du réalisateur. Ça ne veut pas dire que vous aviez tort. C'est toujours la confrontation de deux points de vue, mais avec un point de vue qui est celui du cinéaste et qui de toute façon va l'emporter parce que c'est son film.
Speaker #0Bien sûr, mais quand on sent, en revanche, que ça m'est arrivé quelquefois, on sent C'est une intuition qu'on a raison et que le réalisateur peut se tromper. Parfois dans l'instrumentation ou dans la couleur qu'on va donner. Là, oui, parfois il faut défendre parce que le réalisateur peut avoir des réticences qui sont purement esthétiques et qui n'ont rien à voir avec le film, qui sont personnelles. Donc là, il faut expliquer. Il faut dire non, écoute, je sais que tu n'aimes pas les Je vais dire n'importe quoi, mais que tu n'aimes pas le célesta. mais là je t'assure que pour la séquence s'il y en a un petit peu Ça va donner un peu d'onérisme, ça va donner un petit peu de magie. Parfois, il faut défendre certaines idées, mais dans le sens, c'est très intéressant de partager. Parce qu'il y a toujours quelque chose à attirer de l'observation d'un réalisateur. En quoi est-ce que ces années d'apprentissage dans le court-métrage vous ont aidé pour votre autre première fois, qui est le jour où vous vous êtes retrouvé face à François Ozon sur Les Amants Criminels ? Ça a aidé à anticiper des réactions sur ces échanges, avoir appris un peu le partage, avoir expérimenté des styles différents, parce que dans le court-métrage, on a quand même des choses complètement incroyables qu'on peut tenter et qu'on peut expérimenter. Souvent plus audacieuse d'ailleurs. Donc on a expérimenté, on s'est confronté au temps, à un enregistrement sans moyens, parce que dans le court-métrage il n'y a pas d'argent, donc on enregistre comme on peut. Ça forge quand même, on a l'habitude de faire avec peu, et avoir peut-être ce recul dont je parlais tout à l'heure, de ne pas avoir besoin de charger et d'être plus honnête envers l'oeuvre elle-même. Et pour terminer, quels conseils pourriez-vous donner aujourd'hui à un jeune compositeur qui se retrouverait dans votre situation à l'époque de vos premiers courts-métrages ou à l'époque des Amants Criminels ? Qu'est-ce que vous auriez envie de lui dire, de lui transmettre ? De faire de son mieux toujours. Aimer le cinéma, beaucoup. Parce que ce que vous faites, ça reste. C'est entendu, c'est jugé très vite. On se fait vite une opinion de vous. Donc ne pas faire trop de concessions au départ. Être juste avec soi-même. Être franc dans la démarche. Surtout, être passionné par ce métier. Parce que c'est un métier tellement difficile. Avoir une bonne raison de faire de la musique de film. Pas simplement pour le cinéma. N'allez pas y être les acteurs. Non, faire ça parce qu'on sent qu'on a ça à l'intérieur. Et qu'on va donner tout ce qu'on peut pour que la musique de film garde un certain niveau Aussi, pour penser à défendre le niveau que nous ont laissé les Delru, les Legrand, les Morisard et les autres.