- Speaker #0
Les grands entretiens du musée de la Sacem avec Stéphane Lerouge. Bonjour à tous. Lors du premier podcast, nous avons évoqué avec lui sa jeunesse, ses débuts, sa formation et ses formations. Et évidemment, la rencontre avec son grand frère de cinéma, c'est-à-dire le cinéaste qui a permis au public de découvrir son écriture, François Ozon, et la collaboration au long cours qui en a découlé. Aujourd'hui, nous allons parler de l'esthétique musicale pour la comédie, de Dany Boon, de Christophe Baratier, de l'outil électronique, de dessins animés avec un personnage dit réductible au gaulois créé par Gossigny et Uderzo, et enfin, d'avenir. Bonjour Philippe Rombi. Rebonjour. On a évoqué à la fin du premier podcast, du premier module, le succès de Joyeux Noël, de ce qu'avait été aussi ce film, qui était un carrefour pour vous, puisque dans le film mis en scène par Christian Carillon, il y avait un personnage interprété par Dany Boon, dans un rôle à la fois truculent et tragique. Et Dany Boon allait passer à la mise en scène un an plus tard, avec son premier long métrage, La Maison du Bonheur. Et ça allait être aussi, là aussi, pour vous, une sorte de césure, un peu de transition. il y a un autre axe que vous allez creuser dans votre filmographie, qui est la comédie. Et quand on entend « Joyeux Noël » , qui est une partition emblématique de votre écriture, on a du mal à imaginer à quel point vous avez œuvré dans la comédie. Et que, ben voilà, je parle de Dany Boon à l'instant, mais trois longs métrages, vous avez mis en musique ces trois premiers films, dont « Bienvenue chez les Ch'tis » , qui était un peu son film triomphe, surprise. Que représente cet axe-là dans votre parcours, et en particulier l'aventure partagée avec Dany Boon ? La comédie, c'est un exercice difficile, mais que j'aborde absolument de la même manière qu'un drame ou qu'un thriller, peu importe. Pour avoir retranscrit musicalement les émotions qu'on peut trouver autour de nous depuis toujours, la gaieté, la légèreté, l'ironie. Ce sont des sentiments de la vie de tous les jours, au même titre que la tristesse, le drame. Donc, je vois le film et puis j'essaye de ressentir ce que je peux apporter. Alors, dans la comédie, là où on peut tomber dans un piège, c'est que le comique qu'on appelle de situation, le comique même physique, de mise en scène, presque de chorégraphique même, parfois suivant le jeu des personnages. donc on peut très bien tomber dans le piège de la musique un petit peu trop à l'image, ou trop quelqu'un tombe, on suit musicalement une espèce de Mickey Mouse un peu, qui surligne juste ce qu'on voit à l'image C'est-à-dire que cette technique qui vient vraiment du début du cinéma muet, et du dessin animé, le Mickey Mouse, puisque ça vient de l'école Disney, où la musique stabilobose non pas le sens global de la situation, mais chaque détail de l'action. Oui, oui, tout à fait. Alors parfois c'est utile, il ne faut pas non plus dire je n'y fous pas. pas faire ça, c'est mal. Parfois, il faut le faire et ça fonctionne très bien. Mais c'est vrai que dans une comédie comme l'Echti, moi, la première chose que j'ai fait, j'ai lu le scénario, j'ai beaucoup, beaucoup ri tout seul chez moi, je me souviens. Et Dany m'avait dit appelle-moi quand tu l'as lu pour me dire ce que tu en penses et ce que tu ressens. Et quand je l'ai appelé, je lui ai dit pour moi, c'est une fable. Voilà. J'ai beaucoup ri, tu n'as pas besoin de moi pour qu'on rit davantage, je pense. Ce que je vais essayer par contre de trouver quelque chose peut-être de l'ordre de la fable, de la morale, de la tendresse de ces deux cultures. Et il m'a dit mais c'est tout à fait ça, tu as raison, vas-y, je te laisse libre, mais tu as le bon réflexe, je pense que c'est ce qu'il faut. j'ai eu vite cette valse d'Echti qui m'est venue pour cimenter un peu l'humanité quitter finalement le message, quelque part, qu'il y a dans le film au final. Et pas simplement illustrer tout ce qui s'y passe.
- Speaker #1
Cette valse aussi, qui correspond à l'ouverture du film, au générique du film, et à sa conclusion, et au début sur un trajet, un trajet à travers deux cultures, mais aussi un trajet géographique du sud de la France au nord de la France. Et vous parlez souvent de séquences cadeaux, quand on offre au compositeur, c'est une belle séquence sur laquelle il va vraiment pouvoir Vraiment développer une idée, un concept. Est-ce que vous pourriez nous jouer juste, pour nous rappeler les premières mesures au piano ? Pourquoi pas ? Voilà, ça c'est juste le thème réduit à deux lignes. Mais il y a aussi l'idée du traitement. Comment vous allez gonfler ces deux lignes à travers une orchestration donnée ? Et là, quelle est votre idée ?
- Speaker #0
Il faut que je fasse un flashback. Je pense qu'il y avait une manière un petit peu moqueuse, ironique, grinçante, dans l'orchestration que j'ai essayé d'ajouter, notamment dans le générique, qui est traité d'une manière très ludique. Il y a presque un mélange d'animation, de dessin, de plan aérien. Oui, il y a de l'humour, il y a du second degré à un moment donné dans ce générique. Et donc, tout d'un coup, avoir cette voiture qui part avec ce côté balade, on part au soleil. Et ces guitares, ce thème à la guitare qui représente pour moi un petit peu le voyage. J'avais envie que le thème soit la guitare. Je ne sais pas pourquoi j'avais ressenti cet instrument. et après, quand le générique se fait plus animé... Là, j'ai fait des contre-chants, des réponses ironiques, des bois, avec des cellules rythmiques, comme s'il y avait des gens qui ricanaient. Comme ça, que j'ai mis au bois. C'était amusant de partir de cette valse pure au piano, toute simple, et d'en faire parfois quelque chose d'un petit peu lyrique, comme à la fin du film, quand ils se séparent, d'une manière beaucoup plus symphonique. et puis traiter ça Avec ironie, parfois. C'est tout l'art de l'orchestration. C'est ça aussi, de l'arrangement. C'est d'avoir une matière première. Mais qu'est-ce qu'on en fait ?
- Speaker #1
Une idée, comment on la développe ? On la fait vivre, on la fait évoluer. On en tire tous les rouages possibles. C'est passionnant à faire. Quand on réécoute ce générique des Ch'tis, on a l'impression que vous vous inscrivez dans une démarche qui a été celle notamment d'Henri Mancini chez Blake Edwards ou de Vladimir Kosmach chez Yves Robert. A savoir que dans une comédie, la drôlerie c'est d'abord l'affaire du metteur en scène, des auteurs du film, scénaristes, adaptateurs, dialoguistes, des comédiens, mais que le compositeur doit se situer à un autre niveau qui est plutôt à un niveau, disons, émotionnel ou lyrique, et que le compositeur n'est pas forcément là. pour, de façon mécanique, chercher à faire rire. Pour moi, la musique d'une comédie, c'est trouver la bonne humeur, dans les deux sens. Et l'humeur, ça vient de la direction d'acteurs, ça vient du jeu des comédiens, ça vient du montage, de l'écriture, de l'histoire, de ce qu'on raconte vraiment au fond, dans cette comédie. Et je m'amuse beaucoup, dans les comédies, à chercher cette humeur, ce parfum-là, cette couleur-là. Alors c'est... Pas forcément mettre de l'émotion là où il n'y en a pas, parce que parfois, par exemple, dans ce que j'ai écrit pour Mensonges et Trahison, il n'y a pas de musique vraiment lyrique dedans, ou très mélancolique ou sentimentale, à part quelques petites touches. Mais de voir Edouard Baird évoluer, de voir son rythme, sa façon de rythmer ses dialogues, de bouger. cornea, etc. Il y avait une couleur dans ce film qui m'a dirigé vers une humeur musicale. Alors ça peut être chaloupé, ça peut être latino, ça peut être... Vous parliez de Mancini, ça peut être jazzy. Et des fois, il y a des comédies qui ne m'inspirent absolument pas quelque chose de jazzy. Je me dis non, ça, c'est pas juste. Ça ne va pas avec. Ça ne va pas avec la photo, ça ne va pas avec la couleur, Je ne sais pas expliquer pourquoi, je ne sais pas. mais on mettre la musique de Mensonges et Trahison dans Bienvenue chez les Ch'tis, par exemple, c'est impossible. C'est un contresens. Pour moi, c'est une faute de goût. Et inversement aussi. Parce que la musique des Ch'tis, il y a quelque chose de populaire au sens noble du terme. Quelque chose dans les harmonies, dans l'arrangement, dans quelque chose qui, pour moi, ça va avec eux, ça va avec ces gens-là. Vous parliez à l'instant de la gestuelle des comédiens à propos d'Edouard Baird, mais il y a une première partition Donc qui est le dialogue du film et qui a ses interprètes également. Et quand on pense aux comédiens que vous avez eu la chance de mettre en musique, on pense à la fois au timbre et au phrasé de Michel Serrault, Dany Boon, Lucchini, même Pierre Ninet récemment dans France. Est-ce que parfois, justement, le timbre, le phrasé d'un comédien a pu avoir une influence sur la partition ? Bien sûr. Dans quel sens ? Un sens que je n'explique pas théorie, mais un film, finalement, si on ne regarde pas l'image, c'est une partition, quelque part. Donc, dans mon conducteur 40 portées, par exemple, je pourrais très bien consacrer 8 portées au son du film. Quand je dis son, c'est à la fois le son lui-même, bien sûr, auquel je fais attention souvent, mais au dialogue et à la musicalité de ces dialogues, au rythme de ces dialogues. Si c'est une répartie de Depardieu dans Potiche, emmène un rebondissement rythmique qui a un tempo qui va peut-être être différent que Michel Serrault dans Une rondelle. C'est parce qu'il y a déjà une partition dans le film, quelque part, un battement de cœur du film. Et je pense que pour être vraiment juste, il faut avoir à essayer de l'attraper. Vous vous rendez compte, la voix de Charlotte Rampling, c'est un instrument. Sa façon de la parler, son rythme Vous pouvez pas commencer une phrase après une tirade de Charlotte Rampling comme vous la commencez après Lucchini, c'est impossible. Ou après Michel Serrault, par exemple. Ou après Michel Serrault. C'est-à-dire ? Oui, ben alors, je vous vois venir. Vous cherchez l'imitation. Je cherche l'imitation parce qu'il faut le dire aux auditeurs de ce podcast, Philippe Ramby est le président de l'association française des imitateurs de Michel Serrault. Il l'a fait. Et ça, ça aurait été une injustice objective de ne pas le signaler. On parlait tout à l'heure, dans le premier podcast, on parlait d'Antoine Duhamel. Antoine avait cette théorie qui était la sienne. Il disait qu'au cinéma, le compositeur écrit par conviction et non par fonction. Il voulait dire par là que le compositeur est un artiste, un créateur, et que quand on lui propose de s'exprimer sur le projet initié au départ par un autre créateur, qui est le metteur en scène, un projet, un sujet et son traitement peuvent le toucher, peuvent tout de suite déclencher des idées, mais il peut aussi ne pas y être sensible. Antoine avait cette jolie formule, il disait « les histoires des autres ne m'intéressent pas forcément » . Vous est-il arrivé, Philippe Romby, de vous retrouver devant un film qui n'avait pas de résonance en vous ?
- Speaker #0
Oui, ça m'est arrivé. Pas souvent. J'ai eu la chance d'avoir des propositions de films inspirantes et inspirées. Mais oui, ça a pu m'arriver. Je me souviens de deux exemples. Alors, ce n'étaient pas tout à fait des films eux-mêmes que j'ai refusés. C'est souvent des directions que je me semblais Ne pas être sincère. Ça m'est arrivé il n'y a pas très longtemps, et une expérience plus ancienne. C'était un film qui m'avait touché. J'avais vraiment spontanément des idées en tête, rien qu'en sortant de la projection. Et malheureusement, la musique temporaire qui avait été posée sur le film avant qu'un compositeur soit appelé, la réalisatrice s'était habituée. Et donc, j'ai compris que ça allait être difficile. De sortir de ce piège. Et alors, là, comme c'était vraiment éloigné de ce que je ressentais sincèrement, c'était même plus un exercice de style. Ça devenait quelque chose que j'allais faire un peu à contre-cœur. Donc je l'ai appelé, je lui ai expliqué ça. Et elle m'a dit, personne ne m'a jamais parlé comme ça. Elle a apprécié. Votre franchise. Oui, oui. Elle m'a dit, on se retrouvera une autre fois. Merci de m'avoir dit ce que... Voilà. Ça m'est arrivé une fois, puis une autre fois, il y a très longtemps. Le film sur la choix, je me souviens, j'avais été bouleversé par le film et tout de suite mes résonances musicales étaient venues en moi et les réalisatrices m'avaient demandé de faire du jazz. Non, je ne pouvais pas. On ne fait pas un exercice de style avec un film comme ça, avec un sujet comme ça. Il faut un minimum de sincérité. Autant j'adore relever les défis quand j'y crois. Je sens que sur ce film-là, il faut un grand orchestre, c'est bien. Je sens sur ce film-là que de l'électro, ça va être des nappes, des choses, des ambiances. Avec le film, ça va être bien et qu'on est d'accord avec le réalisateur. Je peux faire n'importe quel style, ça ne me fait pas peur parce que j'aime tellement la musique, la musique avec un grand M. J'aime tellement la musique que quand elle est bien faite, il n'y a pas de mauvais style ou de style moins noble qu'un autre. C'est quand l'inspiration est là et quand c'est bien fait. Mais si vraiment, je sens que par contre, l'intention n'est pas là, la sincérité de créer quelque chose n'est pas là.
- Speaker #1
Vous préférez décliner ? Oui. Alors c'est très curieux parce que depuis finalement, ces deux grandes révélations successives qui ont été à la fois sous le sable avec Ozon, auquel s'est enchaînée une hirondelle, puis cinq ans plus tard, Joyeux Noël, on a l'impression que vous avez
- Speaker #0
beaucoup, beaucoup écrit. Pour le cinéma, votre vie est une sorte de tourbillon permanent. Est-ce que parfois vous avez ressenti, et ça a été le cas par exemple pour Bruno Coulet, vous avez ressenti que vous commenciez à entrer dans une période de rejet du cinéma et qu'il fallait vous calmer pour vous régénérer, pour un peu renouveler les idées, la fraîcheur et tout simplement l'inspiration ? Pour l'instant ça va parce que je me protège en ne faisant pas autant de films que je pourrais. techniquement le faire. Oui, je me protège un peu. Peut-être que c'est pour ça que je n'ai pas de lassitude au fond. J'aime avoir le temps sur les films. J'aime apprécier, avoir le plaisir tout simplement. Parce que la création, quand même au départ, c'est un besoin, c'est un plaisir. Ce n'est pas un métier. Ça en devient un si on en vit et qu'on lâche tout ce qui nous a fait vivre. pour faire ça. Mais au départ, ce n'est pas un métier. Il faut garder ce plaisir, il faut essayer de garder cette, comme vous disiez, cette fraîcheur. Donc cette fraîcheur, soit peut-être qu'on fait beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup trop, et à un moment donné, on est obligé carrément de s'arrêter pour la récupérer. Soit on essaye peut-être de temporiser comme on peut, parce que vous savez bien que dans ce métier, on... On ne pose pas ses congés et on n'a pas, tiens, on va travailler tel jour, puis là, je vais m'arrêter, là, non, c'est... Comme vous disiez, c'est un tourbillon, oui, c'est un tourbillon.
- Speaker #1
Alors, votre image a été un peu bousculée, chahutée par deux expériences récentes qui se sont enchaînées à quelques mois d'intervalle, notamment votre deuxième film avec Christophe Baratier. Donc, Christophe Baratier était venu vous chercher pour la nouvelle guerre des boutons parce qu'il avait une sorte de coup de foudre pour une... très très jolie valse des sentiments de la mélancolie, écrite pour un film qui s'appelait Oui mais, un film de vos débuts. Et puis, ensuite, pour une nouvelle aventure, plus étrange, plus insolite, qui est un film à la fois sur l'ascension et la chute de Jérôme Kerviel. Donc un film qui s'appelle L'Outsider. Christophe avait très envie de travailler avec vous. Et en même temps, il entendait sur ce film un type d'inspiration sur lequel il se disait mais sera-t-il complètement dans son emploi ? Et en l'occurrence, il vous a poussé vers un langage et vers des outils. qui n'étaient pas naturellement les vôtres. Est-ce que vous avez vécu cette demande de Christophe Baratier à la fois comme un enjeu, une provocation, un challenge avec vous-même ? J'ai d'abord énormément apprécié que Christophe me rappelle. D'abord parce que sur la Nouvelle Guerre des boutons, c'était un travail certes très intense parce que le planning était très serré, mais où on a fusionné au niveau sensibilité. C'était un ping-pong exaltant, plein d'enthousiasme de part et d'autre. C'était réjouissant, vraiment. Et quand il m'a rappelé pour un film totalement différent, avec cet univers nouveau, plus urbain, plus à défense Plus abstrait, presque. Oui, moins dans l'onirisme, moins dans l'épique, moins dans le Le démonstratif, l'orchestral, mais plus dans le mental, plus dans l'organique. J'ai trouvé ça tellement bien de sa part. C'est-à-dire que, comme avec François, ce ne sont pas des gens qui pensent qu'eux sont capables de passer d'un univers à l'autre, mais pas l'artiste avec qui ils travaillent. Je trouve ça assez intelligent. Le fait qu'ils se disent, tiens, ce type-là, il est... certaines sensibilités, il a compris ça, il a fait ça. Donc, à mon avis, si je lui montre ce film avec la couleur qu'il a, avec le style qu'il a, avec son univers, il est capable sûrement de choper l'esthétique qu'il faut. Je trouve ça touchant, quoi, qu'intelligent et audacieux. Après, c'est un risque, bien sûr. Soit vous avez fait déjà ça, exactement ça, dans un autre film. À ce moment-là, moi, ça m'est arrivé plein de fois, par exemple, après Une hirondelle. On m'a appelé pour faire des films un petit peu comme ça. Donc j'ai préféré prendre des risques en faisant des choses qui allaient me faire faire des sentiers inédits. Voilà, c'est ça. Et j'ai bien fait, je pense, parce que je crois que si je n'avais pas fait ça, par exemple, je n'aurais jamais fait Les Ch'tis ou son premier film, La maison du bonheur. C'est un exemple typique, par exemple, où Danny Boone me pensait que j'étais le compositeur de Joyeux Noël. Voilà, du grand orchestre, du lyrisme, du drame. Et il ne m'avait pas appelé au départ pour La Maison du Bonheur. Et c'est en découvrant Mensonges et Trahison, la musique, qu'il m'a appelé. Comme s'il y avait un emploi présumé. C'est-à-dire que les gens ne voyaient pas forcément toute l'étendue de votre palette expressive. Parce qu'il y avait une image, il y avait un emploi qui était lié au succès, aux films et aux partitions qui ont fonctionné. Bien sûr, c'est normal. C'est normal. Donc Baratier vous bouscule et vous entraîne vers un film. Oui. Et un outil. Là, de toute façon, quand j'ai vu les images, quand j'ai vu l'univers de Kerviel, comment voulez-vous imaginer une couleur musicale qui aurait un rapport avec Une rondelle a fait le printemps. Donc, j'ai pris ça comme un défi. J'ai été très respectueux de son audace, de son choix. Et je trouve ça tellement bien que Je me suis lancé à fond dans cette aventure. Je me suis enfermé chez moi. J'ai fait une espèce de laboratoire. Parce que vous savez, quand vous composez de la musique pour orchestre, un instrument reste un instrument. Une clarinette, c'est le son d'une clarinette, même si elle a mille et mille et une couleur merveilleuse, mais ça reste un son de clarinette. Donc quand vous faites une maquette, vous choisissez la piste clarinette et vous jouez d'un son de clarinette. dans ce genre de par contre de travail avec l'outsider, la création est tout autant dans les sons choisis que dans l'agencement de ces sons et la composition elle-même. Donc c'est un travail plus long pour déjà fabriquer la palette. La palette n'est pas l'orchestrale, c'est un nouvel orchestre virtuel qui arrive et donc il faut faire un choix dans ces sons, etc. C'est presque un travail de chimiste, et après il faut agencer tous ces sons, et ce qui m'intéressait aussi, parce que malgré tout je suis quand même un amoureux comme Christophe de l'orchestre, c'est de le mélanger avec de l'orchestre acoustique pour créer de la matière hybride. Musique On a cherché une musique d'engrenage, Christophe. Une musique d'un placable, quelque part. Musique On sent qu'il est condamné à aller au bout de son idée. C'est un destin qui est déjà tracé. Rien ne peut arrêter ça, cette machine à faire des chiffres et à faire des chiffres. Et cette descente aux enfers. Donc la musique descend un peu aux enfers avec lui. Parce qu'au début du film, elle reste encore un petit peu claire. Plus le film avance, plus la musique se noircit. Plus les instruments sont plus accidentés, sont plus sombres. L'harmonie aussi. Les harmonies, les dissonances. Non, c'était un travail passionnant à faire. Est-ce que vous aimeriez que ça vous arrive encore plus souvent ? C'est-à-dire qu'on vienne vous chercher pour des aspects encore inexploités ou inexplorés de votre personnalité ?
- Speaker #0
Je ne sais pas ce qu'il reste à explorer. Quelle est la part à explorer de Philippe Rombi ? Il y en a certainement encore. Encore que je ne soupçonne pas moi-même, parce que vous savez, à chaque fois quand je dis oui, je suis excité, j'ai envie, je suis heureux. Mais la page, elle est blanche quand même. Il ne faut pas oublier ça. C'est que dire oui, c'est un compte, mais fournir la musique, c'en est un autre. Donc chaque fois, cette angoisse de la page blanche, c'est ce qui fait de ce métier son côté exaltant. et en même temps difficile, difficile à vivre tout le temps, parce que vous êtes tout le temps dans le besoin d'être satisfait de vous-même avant même d'être satisfait de l'autre, voilà, donc tout le temps il faut Ça va, c'est bien ce que j'ai trouvé ? Enfin, j'en réécoute. Non, j'en réécouterai demain. Parce que là, je suis trop dedans. Demain, je vais trouver ça nul, peut-être. Alors non, demain, je réécoute. Et puis bon, on vous appelle, on vous dit « Alors, tu as aspiré ? » Ça, ça veut dire en principe « Bon, alors, tu nous donnes quelque chose ? » Alors là, soit vous donnez ce que vous avez, soit vous dites « Non, je ne suis pas prêt, je ne suis pas content. » Et c'est ce que j'ai fait avec Christophe, parce que c'est évidemment une musique plus longue à élaborer, pour les raisons qu'on a évoquées. Et donc je lui disais, donne-moi encore un peu de temps, je ne suis pas encore content.
- Speaker #1
Est-ce que parfois la pression des délais a pu être un accélérateur de l'inspiration ? Picasso avait toujours cette formule, il disait, quand je n'ai pas le temps de chercher, je trouve. Oui, c'est une belle formule. Est-ce que ce n'est qu'une formule ou est-ce que vous l'avez vraiment vérifiée ? Oui, ça peut se vérifier, mais on ne saura jamais. On ne saura jamais si en ayant un mois de plus, on aurait trouvé mieux. C'est ça le problème. Comment savoir ? Oui, la Maison du Bonheur, je l'ai fait en 15 jours. J'ai tout fait, j'ai tout écrit à la main. Il y a 45 minutes de musique symphonique, plus de téléprogrammation électronique que j'ai fait moi-même. Maintenant, quand j'y pense, c'est bien quand même. C'est pas mal, mais je ne sais pas si je le ferai aujourd'hui. On y laisse des plumes quand même à ce rythme. C'est vrai qu'on peut se brûler des ailes quand même à faire des choses dans l'urgence comme ça. On ne peut pas faire ça à longueur d'année quand même. Il y a aussi un film qu'on doit évoquer rapidement. Vous avez fait assez tardivement, finalement, votre premier film d'animation en images de synthèse et qui était Un film qui s'inscrit dans cette longue série des dessins animés d'Astérix, Le Domaine des Dieux, co-réalisé par Louis Clichy et Alexandre Astier. Comment est-ce qu'on fait pour s'inscrire dans cette tradition, et puis en même temps, la renouveler et la décaper presque, j'ai envie de dire ?
- Speaker #0
Le metteur en scène, en l'occurrence l'animateur et le créateur de l'esthétique de ce film, est primordial pour vous. Vous mettre dans une couleur particulière, dans une inspiration particulière. Donc Louis avait des idées, Alexandre aussi, de ce qu'il voulait comme faire un film d'aventure, faire un film épique avec un grand orchestre. On est un peu de la même génération aussi, on a vibré au son des... de Williams, d'Horner, de Goldschmidt et des autres. Donc il y avait un petit peu cette envie de leur part, je crois. Et comme j'ai grandi avec ça, ce langage ne m'est pas totalement inconnu.
- Speaker #1
Vous ouvrez sur une grande ouverture, très très large, et ce qui est assez rare pour un film qui cherche à toucher un public à la fois familial et un public aussi enfantin, de jouer sur des mesures composées, d'avoir un rythme irrégulier. Est-ce que vous pouvez raconter ça ?
- Speaker #0
C'est venu d'une discussion avec Alexandre Astier, parce que comme il fait de la musique lui aussi, il adore ça. On s'est laissé aller un peu, à part les boutiques tous les deux, et on a évoqué ça. Et on s'est dit pourquoi pas faire un truc à 7, à 5, enfin je sais pas. Et moi je trouve ça super parce que ça crée des synchronismes inespérés parfois, inattendus. C'est pas pour rien que Goldsmith ou Schifrin utilisent ça dans les scènes d'action. Parce que, c'est moins métrique et ça crée des décalages de synchronisme.
- Speaker #1
Oui, de l'asymétrie, quelque chose de boiteux, d'inattendu. C'est intéressant. Dans cette ouverture tribale, un peu épique, un peu héroïque et cuivrée, je pense que c'était intéressant de casser Ce qu'on aurait pu faire en faisant une marche militaire qui, du coup, serait devenue trop martiale. Et en cassant avec un rythme comme ça à 5-4, je pense que ça faisait passer le côté martial avec ce décalage moins métrique qu'une mesure à 2-4 ou à 4-4. Voilà, oui, je pense, oui. Générique Philippe Rombi, j'ai envie de vous demander, vous fêterez dans un an le début de votre collaboration avec François Ozon, donc 20 ans de long métrage. Au ciel, déjà. Je sais, oui. Est-ce que pour vous, la musique, écrire pour l'image, suffit à vos ambitions de créatrice ? Est-ce que par moment, vous vous êtes dit, tiens, et si je faisais une pause, un arrêt, un break, et que j'écrivais une oeuvre pour le concert ou si j'écrivais pour le ballet ? Est-ce que ça vous tente, ça vous effleure l'esprit ?
- Speaker #0
Ça m'effleure pas. Pas l'esprit, parce que je suis en train de le faire. C'est drôle, parce que vous ne le saviez pas. Non. Donc voilà, la question est... Mais non pas par lassitude de la musique de film, absolument pas. C'est juste une opportunité, une chose que j'avais dans les tiroirs depuis longtemps et qui a ressurgi par le hasard récemment. Vous savez, je vis en création musicale tout le temps. Donc quand je suis en plein film, il m'arrive de m'arrêter. Et on pourrait dire, mais puisque tu fais une pause, qu'est-ce que tu fais au piano ? Donc je vais au piano, puis je fais autre chose, je compose d'autres choses. Je couche des thèmes sur un papier, ou des formules, ou j'improvise. Parce que quand vous êtes dans un film comme La Monde Double, par exemple, si vous vivez plusieurs mois dans cette ambiance-là, vous ne pouvez pas quand même, à tout moment, ces trois ou quatre mois ou cinq mois de travail être dans le même état, parce que sinon, c'est pas possible. Donc, vous sortez de là, vous faites autre chose, vous composez autre chose. J'écris même des chansons, parfois. C'est vrai que le cinéma prend beaucoup de temps. Donc, c'est vrai que c'est difficile d'avoir aussi à côté l'esprit suffisamment frais et dispo pour dire, ah ben tiens, je vais écrire un quatuor ou une musique de ballet.
- Speaker #1
Et là, c'est quoi, précisément ? Je vous en dirai plus dans quelques temps. Comment est-ce que vous voyez Phil Bromby, mettons, dans 20 ans ? Ou dans 10 ans, allez, en 2028 ? Je sais que vous n'êtes pas le fils caché de Paco Rabanne et Elisabeth Tessier, mais comment est-ce que vous vous voyez dans quelques années ? Ce que j'aimerais, peut-être, c'est rester le plus possible raccord avec ce que j'étais quand j'étais ado. C'est un combat que je mène depuis que je suis ado. Garder une forme de naïveté, d'idéalisme. Oui. Essayer de préserver ça. Parce que je pense que c'est à la fois la vie vous fait grandir, vous apprend, vous donne de la maturité, de l'expérience dans le métier, un recul sur certaines choses. Voilà. Après, je pense que quand on est créateur, tout ça, il faut s'en servir, il faut l'avoir avec soi, mais il faut conserver la flamme du début, celle qui a fait ce que vous faites aujourd'hui. Et donc, pour pouvoir conserver cette flamme, je pense, il faut parfois descendre du train en marche. Parce que le train, lui, il ne s'arrête pas et il va vite. Donc, à un moment donné, on est obligé, si on veut conserver cette flamme, je pense, descendre du train, dire où je suis, qu'est-ce que j'ai fait, la vie a toujours ce rythme-là, les gens sont toujours là autour de moi, ok, tout va bien, je remonte dans le train. Donc j'espère, dans 20 ans, faire m'arrêter à une gare à nouveau, régulièrement, comme je le fais souvent, et reprendre un nouveau train juste après. Alors pour conclure ce podcast, je voudrais, Philippe, que vous nous proposiez une œuvre qui vous semble emblématique de votre écriture, mais qui ne soit pas forcément une œuvre très exposée ou très connue et que vous aimeriez mettre en lumière. Eh bien, Un thème pour lequel j'ai beaucoup de tendresse, c'était le thème que j'avais fait pour Ricky, le film de François Ozon. J'ai été content quand j'avais trouvé ce thème. Je me suis dit, tiens, j'aime bien ça. C'est vrai que ce n'est pas un thème qu'on entend souvent. Oui, ça me fera plaisir de le faire partager. Et bien voilà, ce sera donc la conclusion proposée par Philippe Rombi pour ce double podcast qui lui était consacré dans cette série des grands entretiens du musée Sacem pour saluer Philippe Rombi. Voici sa musique originale pour Ricky. Philippe Rombi, merci.
- Speaker #0
Merci à vous.