- Speaker #0
Les grands entretiens du musée de la SACEM avec Stéphane Lerouge.
- Speaker #1
Au festival de Cannes 2024, la leçon de musique SACEM célébrait les 25 ans d'un binôme compositeur-cinéaste emblématique, Philippe Rombi et François Ozon. Pour un large public, la découverte du compositeur est liée à celle du cinéma de Ozon avec d'abord Les Amants Criminels puis Sous le Sable en 2001. Depuis, avec Ozon, c'est un mariage non exclusif mais d'une grande fidélité. 13 longs métrages au fil d'une collaboration sans cesse réactivée par la diversité des sujets qu'aborde le metteur en scène. La dialectique du vrai et du faux, les trompe-l'œil sur l'identité, le dédoublement trouvent chez Rombi un lyrisme trouble, sinon ambigu, en faux semblant. Dans ce second podcast, les deux créateurs détaillent notamment les fils rouges, visibles ou invisibles, qui relient leurs aventures partagées.
- Speaker #0
Je pense qu'il y a des goûts communs pour la mélodie entre Philippe et moi qui fait que moi j'aime voir un film et me souvenir de sa musique. Peut-être pas... qu'elle soit en surplomb pendant le film et que néanmoins quand je sors du film j'ai quelques notes en tête, une mélodie et un peu à l'inverse de tout ce qui se fait aujourd'hui. Il est dans une tradition mélodiste et il sait s'adapter à énormément d'univers donc ça c'est vraiment très agréable pour le cinéaste. Je le dirige un peu comme un metteur en scène avec un acteur mais il me surprend aussi, il apporte des choses auquel je ne m'attends pas. Et des fois, il nous donne un morceau de musique au moment du montage. Et ce morceau nous donne envie de le mettre à un autre endroit. Les points de synchro changent. Enfin voilà, donc il y a plein de choses qui se créent. C'est vraiment un processus de travail qui est très évolutif. Et ce qui est bien, c'est que Philippe est très à l'aise avec ces changements. Il est surpris quand on utilise une de ses musiques à un endroit qui n'était pas du tout prévu, que lui-même propose quelque chose à un moment où moi je ne souhaitais pas de musique. Enfin voilà, il y a vraiment un dialogue qui permet beaucoup d'expérimentation.
- Speaker #1
Oui, c'est François qui m'a dit que ça l'intéresserait de voir cet extrait de France pour justement illustrer l'idée du déplacement des musiques.
- Speaker #0
En fait, sur ce film, au début, je ne voulais pas de musique. J'étais parti sur l'idée qu'il n'y aurait pas de musique sur le film. Et puis très vite, je me suis rendu compte qu'il y en avait besoin. Donc, j'en ai parlé à Philippe. Je voulais quelque chose de très ténu, je voulais quelque chose qui soit très peu présent, que la musique disparaisse au maximum. Et très vite avec Philippe, il m'a proposé des thèmes qui me plaisaient beaucoup. Et il y avait ce moment de la confession de Pierre Niney où il raconte, quand il est sur le corps de Franz, en montage souvent on utilise des musiques temporaires. Et pour ce moment-là, on avait mis une musique de Philippe, d'une nouvelle amie que j'aimais beaucoup. qui était utilisé au moment où Romain Duris se confessait sur comment il en était arrivé à se travestir après la mort de sa femme. C'était aussi un moment de confession, d'émotion assez forte et on l'a utilisé. Et on a dit à Philippe, on a déjà utilisé une de tes musiques, est-ce que tu peux nous faire autre chose ? Et tout ce que nous proposait Philippe était moins bien que ce qu'il avait fait la première fois. Et au bout d'un moment, on a décidé en commun de le garder. Enfin, toi, tu étais un peu réticent.
- Speaker #2
On a toujours envie de créer quelque chose de neuf, bien sûr, mais François, tu étais vraiment très habitué à cette musique, la montage aussi, ça fonctionnait. On s'habitue au montage. Et donc, à un moment donné, je me suis dit, ça ne sert à rien, c'est à nous, finalement, c'est notre musique, on l'a enregistrée pour nous, quelque part. Bon, ça sera inédit, ce sera la première fois. Et dans France, tu parlais de couleurs tout à l'heure et de tonalités, ça me fait rebondir en revoyant les images au noir et blanc. Je me souviens que j'avais préparé une musique, puisqu'on était parti sur des idées de mélo, d'époque, etc. Et finalement, je suis allé sur le tournage, parce que mon épouse Géraldine donnait les cours de violon à Pierre Niney, et du coup je l'ai accompagnée, et j'ai découvert, parce que François ne m'avait pas tout dit, sur le combo que le film était en noir et blanc.
- Speaker #0
Je ne le savais pas moi-même. C'est-à-dire qu'on a des films... 15 jours avant le début du tournage, j'ai appelé mes producteurs, je leur ai dit, voilà, finalement le film va être en noir et blanc. Normalement, il était en couleur. Et c'est vrai que comme il était en couleur, on était parti sur l'idée d'un mélodrame presque à la Douglas Sirk. Et finalement, en fait, c'est aussi pour des raisons économiques, on n'avait pas assez d'argent. pour les décors, tout ça. Et le fait de tout passer en noir et blanc, ça simplifie le tournage.
- Speaker #2
Ça, je ne savais pas.
- Speaker #0
Et du coup, le film est devenu plus austère et la musique aussi.
- Speaker #2
Le démystifie un peu. Bon, non, mais c'est vrai que j'ai découvert ce combo, cette ambiance en noir et blanc, cette pudeur, cette sobriété, cette profondeur. Et mon morceau que j'étais en train de préparer, je me suis dit, mon Dieu, ce n'est pas ça du tout. Ce que je suis en train de faire, ce n'est pas ça du tout. Donc, de retour à la maison, François avait l'impatience que je lui donne quand même, tu te rappelles. donc je lui ai dit ouais tu sais j'ai pas tout, je suis en train de réfléchir. Donc je lui ai envoyé quand même le morceau, et il m'a dit, oui, en effet, c'est un peu mélo. Je lui ai dit, non, est-ce que tu peux pas me donner quelques images, s'il te plaît, parce que j'avais pas l'image, en fait, j'avais que le scénario. Donc il m'a donné quelques images, et là j'ai tout de suite vu le ton. J'ai fait, non pas ce morceau, mais le thème original, qui est très étiré, qui est très fantomatique.
- Speaker #1
François tu as défini tout à l'heure un emploi de Philippe comme un compositeur aux élans lyriques emprunt de néo-romantisme, mais dans un film comme L'Amant Double, par exemple, là, tu utilises Rombi à contre-emploi.
- Speaker #0
Oui, d'ailleurs, je lui ai dit, quand je lui ai parlé de ce film, je lui ai dit, je pense que ce n'est pas pour toi. Je pense que ce n'est pas du tout dans ta veine. Et en même temps, je lui ai dit, essaye quelque chose. J'avais envie de musique électronique, d'aller vers quelque chose de très différent. Et voilà, c'est un touche-à-tout génial. Donc, il s'est mis dedans et très vite, il m'a proposé des morceaux qui allaient dans le sens de ce qu'on cherchait.
- Speaker #2
J'avais expérimenté l'électronique un petit peu dans l'Outsider de Christophe Baratier, un petit peu dans La Maison. A ce niveau-là, non, parce que là, vraiment, il y avait une atmosphère générale et il n'y avait pas que de l'électro, il y avait aussi des choses à créer organiques qui m'ont beaucoup captivé. C'est des espèces de textures, d'orchestres à cordes que j'ai mis à l'envers, que j'ai retravaillé, de la musique un petit peu électro-acoustique mélangé à plein de programmations électroniques, des nappes. Pour moi, c'était un terrain de jeu aussi. J'avais envie de relever ce défi.
- Speaker #0
On se connaît suffisamment, on est amis. Si ça n'avait pas collé, je lui aurais dit. J'aurais dit, écoute, Philippe, j'ai travaillé aussi avec d'autres compositeurs. C'est vrai que majoritairement, j'ai travaillé avec Philippe. Mais là, c'était une gageure, c'était un défi.
- Speaker #2
J'aurais été franc aussi avec toi. Oui, mais aussi de lui-même. Certains films ne méritent pas forcément un thème qui se... tiens, pas du tout,
- Speaker #0
ça peut être des motifs il y avait l'idée du chaos vraiment d'être dans l'intériorité de ce personnage dans l'introspection c'est vrai qu'on n'avait pas envie d'une mélodie là-dessus
- Speaker #1
Et toi François, comment tu vis ce moment clé de l'enregistrement ? C'est-à-dire le moment où le cinéaste devient spectateur du travail d'un collaborateur de création. C'est-à-dire que tu vois cet enregistrement qui est l'équivalent pour Philippe de ce qu'est le tournage pour toi.
- Speaker #0
Alors au début j'assistais beaucoup aux enregistrements de musique, c'était assez grisant parce que souvent, enfin je me souviens les premiers enregistrements, souvent l'orchestre était quasiment complet. Et puis petit à petit, souvent, tu as enregistré séparément plein d'instruments. Et là, ça devient assez rébarbatif parce que pour moi, d'entendre que juste trois violons et après, il va rajouter deux violoncelles, les trompettes et tout. C'est très rare finalement que tu aies eu un orchestre entier. Pour Angel, je crois, il y avait l'orchestre en entier. Mais même, il manquait des choses à chaque fois. C'est très compartimenté. Donc pour nous, c'est un peu frustrant.
- Speaker #2
Ils ne se rendent pas compte forcément, les réalisateurs, de l'œuvre finie. On procède par étapes, on ne peut pas faire un mix si on n'a pas le temps de faire écouter ce qu'on fait au fur et à mesure de manière confortable.
- Speaker #0
Moi, ce qui me déçoit toujours, c'est quand je vois un orchestre de 70 personnes et que je vois Philippe en train de les diriger, je me dis « mais est-ce qu'ils ont vu le film ? » Pourquoi on ne les a pas invités à une projection pour qu'ils voient le film avant ? Mais ça ne se fait jamais, finalement.
- Speaker #2
C'est moi qui raconte. Avant que ça commence, avant de lever la baguette, je raconte mais le temps nous est compté donc j'essaye de...
- Speaker #0
Après c'est vrai qu'on a des souvenirs à Abbey Road par exemple, on a enregistré la musique de Angel. Là on était tous ensemble, là c'était vraiment très beau et puis c'était à Abbey Road donc moi je voulais voir quand même ce studio mythique et Philippe était tellement surmené qu'il s'est évanoui à un moment donc c'était très beau, c'était comme le personnage du film.
- Speaker #2
C'est la légende ça, c'est la légende. Merci.
- Speaker #1
Alors Philippe, il y a deux versions d'une même situation.
- Speaker #2
J'étais très fatigué, c'est vrai, parce que là, pour une fois, je n'avais pas eu le scénario avant, j'ai été appelé plus tardivement. Donc le film était terminé, et c'était une partition... Oui, assez monumentale. Voilà, voilà. Et donc, en plus, c'est quelque chose qui faisait partie de mes rêves d'enfant, de faire un mélodrame en costume.
- Speaker #1
François, pour ton film Dans la maison, Philippe m'a dit que tu lui avais demandé une musique feuilletonante. Que signifie cet adjectif insolite ?
- Speaker #0
Oui, puisqu'il y a à suivre le personnage que joue Ernst Mayer, Claude, écrit des rédactions. Il doit créer une espèce d'habitude de drogue. C'est comme une drogue pour le personnage de Lou Kinnick, il a envie de savoir la suite. Et je voulais que le spectateur aussi... est envie, donc il y avait l'idée que ce soit un peu en suspension, et qu'on a envie de connaître la suite. Et là, je crois que c'est un scénario que je t'ai donné avant le début du tournage, parce que je me souviens que j'ai tourné vraiment cette scène du générique du lycée, en ayant la musique en tête de Philippe, le rythme, l'accélération, je savais déjà quelle serait la musique. Tu ne savais pas encore que ce serait pour le générique ?
- Speaker #2
En fait, j'ai fait ce thème, et puis dans les variations que j'ai proposées à François, il y avait ce morceau qui était le premier dans l'extrait, en me disant, bon... J'y suis allé peut-être un peu fort, là, avec la rythmique et tout ça, la guitare électrique saturée au début. Mais ça lui donnera une couleur supplémentaire. Mais quand je l'ai découvert au générique début, ça a été une belle surprise. Je pensais peut-être qu'il ne l'utiliserait pas. Quand François m'a dit feuilletonnant, je me suis attelé au travail et je me suis dit, qu'est-ce que je pourrais faire ? Il m'est venu un rythme de cordes. Alors là, ça va être au piano. C'est quand même des cordes, mais ce n'est pas pareil. Par contre, il fallait choisir des harmonies, il fallait que les choses ne soient pas conclusives. Donc j'ai trouvé cette suite d'accords. Et après j'aurais pu décliner ça à l'infini avec des arpèges. Mais ça ne me convenait pas, ça faisait une espèce de pastiche de musique répétitive. Donc il fallait que j'y mette mon grain un petit peu. Et que je décrive un peu l'histoire des personnages, l'histoire émotionnelle des personnages. Donc j'ai composé un thème. Et après j'essaie d'allier les deux.
- Speaker #1
Mon crime est votre treizième aventure partagée. Aujourd'hui, comment voyez-vous votre futur ? Je veux dire, vos 25 prochaines années.
- Speaker #2
On ne les voit pas, c'est mieux, je pense. On ne les regarde pas. Moi j'aime la surprise chaque fois que me fait François quand il m'appelle. Quand le téléphone sonne, pour moi j'ai l'impression que c'est les amants criminels. C'est sous le sable, que tout recommence à zéro. J'aime cette notion de ne pas regarder trop en arrière et d'avancer.