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# 45 Sophie Robert-Velut - Renoncer pour transformer

# 45 Sophie Robert-Velut - Renoncer pour transformer

1h00 |28/09/2024
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Description

Sophie Robert-Velut est directrice générale des activités du groupe Expanscience, devenu entreprise à mission en 2021.


Dirigeante engagée, elle a suivi le parcours de la Convention des entreprises pour le climat et pris plusieurs décisions majeures pour contribuer à rendre les activités de son entreprise compatibles des limites planétaires.


Dans l’entretien à suivre, Sophie s’interroge sur les risques liés à l’accélération et à l’amplification des développements de dispositifs de surveillance de masse, revient sur le rôle clé joué par une loi américaine votée au milieu de la décennie 1970 et qui a permis l’essor puis la domination de la finance internationale, et propose enfin différentes pistes concrètes pour reconnecter les entreprises à leurs territoires.


Entretien enregistré le 5 septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    I can slightly hear it. Nos limites. Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarithm.

  • Speaker #1

    The growing threat of climate change could define the contours of this... The world is waking up and change is coming, whether you like it or not.

  • Speaker #0

    Une enquête à bord du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité.

  • Speaker #2

    Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires, nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre. La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat.

  • Speaker #0

    Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Sophie Robert-Velut est directrice générale des activités du groupe Expanscience, devenue entreprise à mission en 2021. Dirigeante engagée, elle a suivi le parcours de la Convention des entreprises pour le climat et pris plusieurs décisions majeures pour contribuer à rendre les activités de son entreprise compatibles avec les limites planétaires. Dans l'entretien à suivre, Sophie s'interroge sur les risques liés à l'accélération et à l'amplification des développements de dispositifs de surveillance de masse. Elle revient sur le rôle clé d'une loi américaine votée au milieu des années 70 qui a permis l'essor puis la domination de la finance internationale. Elle propose enfin différentes pistes concrètes pour reconnecter les entreprises à leur territoire.

  • Speaker #2

    Bonjour Sophie.

  • Speaker #1

    Bonjour Thomas.

  • Speaker #2

    Alors ça y est, tu es face à l'oracle, tu vas pouvoir lui poser une question. Qu'est-ce que tu lui demandes ?

  • Speaker #1

    Alors Oracle, est-ce que nos sociétés humaines sauront sortir de la société de contrôle dans laquelle elles s'engouffrent en ce moment, en laissant les technologies de l'information, l'intelligence artificielle et les réseaux sociaux s'emparer de nos vies ?

  • Speaker #2

    Alors avec cette question, il y a forcément plusieurs questions que j'ai envie de te poser à mon tour. Tu parles de contrôle, tu parles de prééminence des réseaux sociaux dans la vie de tous les jours. Est-ce qu'il y a des signes dans ton quotidien ? qui te font craindre pour la suite ? Est-ce qu'il y a des angoisses particulières qui te préoccupent ? Est-ce que tu peux nous partager peut-être des situations dans lesquelles tu t'es trouvée ou des observations que tu as pu faire qui te donnent envie d'aller voir l'oracle avec cette question-là et pas une autre ?

  • Speaker #1

    Oui, il y en a plein des situations. Alors, elles sont peut-être un peu moins dans ma vie professionnelle et un peu plus dans ma vie personnelle, dans mes lectures et dans ce que je vis de l'actualité aussi. Je pense qu'on a tous souvenir que ces derniers mois ont fracturé la société française. Moi j'ai un mari dont la mère est de confession juive, donc elle a forcément vécu très fortement un certain nombre de drames et d'horreurs passées l'année dernière. Elle a réagi fortement sur ces sujets-là, beaucoup en regardant les réseaux sociaux. De l'autre côté, j'ai des parents qui sont des laïcars pas possibles et qui, pareil, sont très, très, très confrontés aux réseaux sociaux. Et puis, j'ai un mari qui, lui, travaille dans une ONG qui favorise l'accueil des personnes réfugiées en France, avec beaucoup de gens qui fuient la dictature, qui fuient parfois des religions qui les emprisonnent, d'une certaine manière. Et il y a eu des débats énormes sur l'islamophobie, sur l'antisémitisme. Et là où on était plutôt dans des familles assez unies. plutôt dans le dialogue, pas toujours d'accord, on avait du mal à discuter. Et on a regardé il n'y a pas très longtemps La Fièvre, du même scénariste que Baron Noir, et on a été complètement frappés par l'analyse qui est faite sur ce qui se passe dans les réseaux sociaux, sur la capacité qu'on peut avoir, par petites touches finalement, entraîner des débats de société, des fausses informations, des clivages qui peuvent en fait fracturer complètement une société. Donc ça, ça me fait très peur. Il se trouve qu'en plus, j'ai lu une étude qui a été publiée par le CNRS il n'y a pas très longtemps, qui s'appelle Minimum indice à l'horloge de Poutine et qui est une étude qui a été faite par David Chavalarias. En gros, c'est quelqu'un qui a développé des méthodes pour analyser toutes les dynamiques dans les réseaux sociaux, les débats sur X, ex-Twitter. Et en fait, ils ont découvert, en faisant cette méta-analyse, qu'il y avait eu énormément de manipulations dans les réseaux sociaux par les pouvoirs russes. Donc c'est une étude qui est publiée, qui est tout à fait sérieuse, elle a même été citée par Le Monde il n'y a pas très longtemps. Et une grande majorité de ces manipulations viendraient du pouvoir russe et pousseraient finalement à une déliquescence du front républicain contre l'extrême droite. Donc c'est hyper intéressant de voir que ce qu'on voit dans des fictions, ce qu'on ressent à l'échelle de notre intimité familiale... Et ce que des grandes études de fond sont faites sur ce qui se passe géopolitiquement et dans nos sociétés finalement, tout ça se rejoint et est très lié à cette idée qu'on ne choisit plus ce qu'on lit comme information. On n'est plus tout à fait sûr du niveau de certitude finalement de ce que nos enfants sont aussi en train de regarder sur les réseaux sociaux, etc. Et tout ce qui était des grandes évidences il y a encore 15 ans ou 20 ans dans nos sociétés, la démocratie c'est bien, la science c'est un fait, c'est en train de voler en éclats. Donc ça, c'est quelque chose qui me fait très peur et dont je sais en plus qu'on est encore à l'orée de ce que le deepfake va permettre de faire, finalement, comme détournement de la réalité. Donc on est en train de mettre le doigt dans un truc qui va aller beaucoup, beaucoup trop vite et très loin.

  • Speaker #2

    Tu as commencé par dire que cette prise de conscience et ces anecdotes que tu relates concernent, pour commencer, ta vie personne, néanmoins... Tu l'as dit en introduction, tu diriges les activités d'une entreprise. On a à l'esprit les uns et les autres que la frontière entre la vie perso et la vie pro est de plus en plus perméable, que ce qui se passe en dehors de l'entreprise joue un rôle dans l'entreprise et vice versa. Est-ce que tu constates toi déjà, à ton niveau, dans tes activités, tu parles de fracturation de la société française, est-ce que ça existe aussi la fracturation à l'intérieur d'un collectif de travail ou alors est-ce que l'entreprise... selon la façon dont elle est organisée, quelque part arrive à apaiser cette fracturation. Est-ce que tu peux peut-être nous en dire un peu plus ?

  • Speaker #1

    Alors aujourd'hui, moi je travaille dans une entreprise où ce n'est pas tabou de parler de politique au sens non pas d'être partisan d'un parti ou d'un autre, mais plutôt de se dire qu'il y a un rôle sociétal de l'entreprise. En fait, on a, toutes nos entreprises ont participé, ont contribué à la destruction d'un certain nombre de ressources depuis 50 ans. Et donc notre entreprise Expansion, comme les autres, on a donc cette part de responsabilité-là et on estime, et je pense que le corps social de ma boîte l'estime aussi, qu'on a du coup maintenant une part à jouer pour reconstruire et réparer. Et c'est ça être politique, c'est-à-dire en fait c'est juste accepter que quand on fait société, au sens d'une entreprise, on fait aussi partie d'une société humaine. Et donc on a absolument des responsabilités. Je vais te donner un exemple tout bête mais... Dans mon entreprise, on produit des produits de soins pour les bébés, pour la famille, de la marque Mustela. C'est une marque qui est leader, ça fait 70 ans qu'elle existe, donc c'est une marque qui a beaucoup d'influence, malgré elle, sur ce que les parents s'autorisent à faire ou à ne pas faire. Il y a encore 5 ans, chez Mustela, on produisait des coffrets roses pour la naissance des petites filles et des coffrets bleus pour la naissance des petits garçons. Alors oui, c'est moins grave que la manipulation des Russes sur les élections législatives françaises, mais c'est une part de responsabilité qui est très forte, parce que finalement, tu ne vas pas à l'encontre de ces stéréotypes de genre qui aujourd'hui, je pense, sont extrêmement mauvais pour le bien-être à la fois des petites filles et des petits garçons. De la même manière, on montrait très peu de pères de famille, on montrait beaucoup de femmes systématiquement qui étaient en charge de l'enfant. Donc finalement, c'est encore une fois une injonction. à ce que la femme soit la première à s'occuper de l'enfant. On ne parlait pas tellement du choix d'allaiter ou de ne pas allaiter. Donc moi, ça, c'est des sujets sur lesquels on a fait beaucoup de changements ces dernières années parce qu'on part du principe qu'on doit porter un message, un message politique, mais au sens pas partisan, mais au sens de dire qu'on n'a pas à pousser les femmes à rester à la maison quand elles font un enfant. On n'a pas à faire le jugement de ce qui est bon pour un enfant à la place de ses parents. On n'a pas non plus à montrer uniquement des familles biparentales, hétérosexuelles. Il y a plein de modèles familiaux différents qu'on peut montrer. Donc ça, c'est une première prise de position, on va dire, qui nous incombe. Et puis ensuite, évidemment, assez vite, on est allé sur les sujets de la responsabilité environnementale et sociale, au-delà juste de tes messages de communication. Mais ça, on en reparlera peut-être après.

  • Speaker #2

    Sur ces sujets sociétaux, ces prises de position et ces actions de ton entreprise, j'imagine qu'en fait, il y a une infinité d'interventions que ton entreprise peut envisager pour, quelque part, contribuer à réparer des injustices, rétablir des équilibres, pour replacer l'homme et la femme. à des places plus équilibrées, comment à l'intérieur de l'entreprise vous instruisez finalement le choix des interventions que vous allez faire et comment est-ce que vous estimez peut-être par anticipation qu'en agissant de ce sens-là ou de cet autre sens, vous allez avoir un effet sociétal tel que vous le souhaitez ? Est-ce que tu peux nous faire vivre un tout petit peu le processus d'instruction de ces interventions ?

  • Speaker #1

    Sur les interventions sociétales, c'est assez intéressant parce que justement, on est présent dans une centaine de pays avec Mustela. Alors, on n'a que 13 filiales. Donc, même si je me concentre uniquement sur les filiales, on est quand même aux manettes beaucoup plus que sur les autres pays où on va distribuer le produit. Mais ce n'est pas nous qui opérons la distribution. Dans ces 13 filiales, on va avoir des pays où la parentalité va être vécue de manière très différente. Tu vas voir les États-Unis, la Chine, la Turquie, le Brésil, la France. Donc, en fait, il y a... autant de modèles parentaux et de cultures parentales différentes dans tous ces pays-là. Pour autant, on a commencé par faire pas mal d'observatoires des questions que se posaient les parents. Donc beaucoup d'études, de sondages pour poser les questions aux gens. C'est quoi les grandes angoisses que vous pouvez avoir à la naissance d'un premier enfant, etc. On a donc un socle assez commun. Ça, ça nous aide déjà à nous dire qu'est-ce qui nous relie. Parce que souvent dans notre société de réseaux sociaux, on est beaucoup sur ce qui nous divise, ce qui nous sépare. Je suis dans ma bulle, mon technococon, comme dirait Damasio, mais de l'autre côté, en face, tu es différent, donc je ne veux pas entendre tes différences. Donc on a commencé par se dire, ok, qu'est-ce qui relie tous ces parents ? Et il y a des tas de choses. Des choses assez sur la physiologie, l'angoisse que tu as, la mort du prématuré, du nourrisson, des tas de choses comme ça assez évidentes. Évidemment, la notion de la répartition des tâches entre les hommes et les femmes peut être différente d'un pays à l'autre. Pour autant, c'est toujours une question transversale, c'est-à-dire qu'elle est plus ou moins avancée. en fonction de la maturité ou de l'histoire de la culture d'un pays. Mais ça reste un sujet aujourd'hui qui se déploie partout. Donc là, hyper intéressant, parce que les pays assez vite, on avait demandé à nos filiales, à nos équipes terrain, qui sont de la culture nationale locale, de décider quels étaient les grands sujets locaux qu'ils voulaient justement essayer d'aider à adresser dans les pays dont ils étaient en charge. Je te donne un exemple tout bête, mais en Pologne, il y a eu... Pendant plusieurs années, un gouvernement assez rigide, autoritaire, qui a... Bon, l'avortement est interdit en Pologne. Et il y a eu, en fait, une femme qui est morte en couche au moment de l'accouchement parce que les médecins pouvaient lui sauver la vie. Ils avaient tellement peur de pratiquer un avortement thérapeutique. Il y avait, en gros, une mort du nourrisson qui était en cours, etc. Mais ça a provoqué la mort des deux, le bébé et la mère. Et la femme n'a pas été soignée et sauvée à cause de ça. Et ça a créé un énorme raz-de-marée de manifestations dans les rues en Pologne. Et l'équipe polonaise m'a dit, en fait, c'est ça le sujet. C'est mettre au courant les parents des droits dont ils disposent, juridiques, quand ils sont au sein de la maternité, pour s'assurer que ça ne sera jamais reproduit. Et on leur a donné un seul guide qui était, n'essayez pas de jouer aux ONG à la place des ONG. Vous trouvez l'ONG qui vous paraît la plus en place sur ces sujets-là. qui a un propos, qui travaille le sujet depuis longtemps, qui est reconnu, qui a des travaux scientifiques, etc. Et donner lui un coup de main. Soit financier, soit par du mécénat de compétences, etc. L'objectif, c'est surtout pas de commencer à être, nous, les pompiers, d'un truc qu'on ne maîtrise pas. Donc, eux, ils ont choisi cette cause-là, parce qu'ils ont estimé que c'était le sujet brûlant et qui allait à la fois durer quelques années quand même en Pologne. En Turquie, on est sur des sujets autour de la répartition des tâches entre les hommes et les femmes. Donc, un sujet un poil plus léger. Mais pour autant, qui est très important dans une Turquie qui est très divisée entre la Turquie rurale, la Turquie citadine. Donc, ils ont vraiment fait un choix, justement, de se dire, nous, on va être dans une marque qui prend le pari, peut-être, de dresser contre elle un certain nombre de familles peut-être plus traditionnalistes. Mais on pense que c'est notre rôle. Et donc, c'est vraiment aux équipes locales qu'on a donné ce choix-là, avec la seule directive de s'associer à des ONG qui connaissent leur métier. Oui, ayant un mari qui est en ONG et deux parents aussi contrariés dans le milieu associatif, je pars du principe que les entreprises, ce n'est pas leur rôle. Mais leur rôle, en revanche, c'est de subvenir aux besoins de ces associations ou de donner un coup de main.

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup d'entreprises, pour tout un tas de bonnes raisons, qui essayent à travers leurs actions infinies d'accroître autant que possible leur profitabilité. Il y a un critère bien identifié qui permet à posteriori à l'équipe dirigeante d'avoir un retour sur ce qu'elle a fait et sur ce qu'elle a bien fait à l'aune de ce critère. Tu utilises quel critère ? Tu utilises quel feedback ? Tu t'adresses à quelle partie prenante pour qualifier ces différentes actions, ces différents investissements ? Et peut-être à la fin de la journée pour te dire à toi-même si tu en as fait assez ou pas. Oui.

  • Speaker #1

    Alors l'avantage d'Expansion, c'est qu'on est devenu une société à mission il y a quelques années maintenant. Et ça nous donne un cadre assez précis puisqu'on est censé... Donc on a quatre objectifs de mission et on est censé... dérouler finalement des indicateurs de performance sur ces objectifs de mission à court, moyen et long terme. Et puis chaque année, on est contrôlé par une assemblée on va dire externe, qui est le comité de mission, et qui a un droit finalement de ne pas valider notre mission chaque année. Donc finalement c'est comme un commissaire aux comptes qui ne va pas valider tes comptes. Et ça je trouve que c'est très intéressant parce qu'il nous pousse énormément. sur les critères. Et notamment sur les critères, par exemple, je te donne un exemple un peu dans la veine de ce que tu me demandes. On s'est donné comme mission d'aider les individus à façonner leur bien-être, donc à avoir de l'amélioration de bien-être grâce à nos offres et à nos actions. Je pense que les plus grands débats qu'on a eu avec eux, c'est définition des critères du bien-être et de comment vous allez mesurer l'impact que vous avez sur le bien-être des gens. Donc typiquement sur les parents, par exemple sur la parentalité. on a commencé par dire, nous, déjà, on va interroger les parents qui achètent nos produits, qui lisent nos communications, puisque maintenant, on a plus de 50% de nos communications systématiquement qui ne doivent pas parler des produits, mais qui doivent parler justement, qui doivent apporter du contenu et des outils pour le bien-être des parents. Ça veut dire quoi ? Des guides sur le sommeil de l'enfant, ça peut être retour à la sexualité en postpartum, les mots tabous, les choses dont on n'ose pas parler entre un homme et une femme, etc. Donc, des choses très concrètes. issus plutôt de nos discussions avec nos parties prenantes. Puis après, on leur demande. Est-ce que vous avez trouvé ces contenus utiles ? Est-ce que ça a amélioré votre bien-être ? Pour autant, pour l'instant, ça reste du sondage. Le comité de mission a dit, c'est pas mal, mais il faut que vous arriviez à pousser encore un peu plus vos critères. De la même manière qu'on a une espèce de grille d'évaluation sur l'impact environnemental de nos produits. Et là encore, ce sont des outils. imparfaits. On utilise des analyses de cycle de vie, on utilise la réduction du taux de plastique de nos emballages, le poids, etc. Mais il manque encore plein de choses dans cette scorecard. Donc on est en permanence, chaque année, en train d'aller affiner ça. Comment on peut améliorer la mesure ? Donc là, on va rajouter maintenant l'impact carbone systématiquement et l'ACV de nos produits à l'intérieur. Et sur l'utilité aussi des produits, est-ce qu'il faut juste faire un sondage ? Est-ce qu'il faut qu'il y ait des pros de santé qui valident ça ? En fait, on multiplie tout un tas de données et c'est l'agrégation de ces données-là qui vont nous donner cette espèce de spider qui va nous permettre de dire, OK, ce produit-là, il va plutôt dans le bon sens et on vient coupler ça à la marge. Parce qu'en fait, ce qui serait idéal, c'est que d'ici trois ans, la boîte soit capable de se dire, le produit qu'il faut que je vende le plus dans mon portefeuille l'année prochaine, c'est celui qui combine le meilleur taux d'utilité et donc de bien-être pour les parents, le meilleur scorecard en environnement. Et en même temps, la marge la plus grosse. Et alors, des fois, ce sera le cas. Des fois, il y aura des produits no regret, comme on les appelle. C'est-à-dire qu'un, ils apportent zéro marge. En plus, ils sont super polluants. Et puis, globalement, ce n'est pas ça qui va rendre les gens plus heureux. Comme les lingettes, par exemple, qu'on a décidé d'arrêter. Mais il y a des produits où, en fait, il va falloir choisir. Il a la marge la plus haute, il est vaguement utile. Et en revanche, son environnement, il est pourri. Qu'est-ce qu'on fait ? Mais au moins, on aura les débats avec des données. concrètes et qui vont nous permettre de prendre des décisions et de se donner le temps qu'il faut pour faire évoluer notre portefeuille.

  • Speaker #2

    Et à quoi ressemblent aujourd'hui ces rapports de force, si je puis dire, justement, entre les dimensions marges, donc dimensions financières classiques, quelque part, telle qu'on l'entend en entreprise, dimensions sociétales, dimensions environnementales ? À quoi ressemblent les frictions ? À quoi ressemblent les hésitations ? À quoi ressemblent les sauts dans l'inconnu quand il s'agit peut-être... Pour la première fois, de mettre en retrait un critère financier qui a été, au cours de décennies passées, érigé comme l'étoile polaire, quelque part, qui doit guider les choix stratégiques d'entreprise. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de ce qui frotte effectivement dans l'entreprise, dans les circuits décisionnels ?

  • Speaker #1

    Alors... La première chose qu'on apprend à faire et qu'on a appris à faire beaucoup avec la Convention des entreprises pour le climat, ça a été évidemment de remettre en question ta boussole. Donc effectivement, qu'est-ce que tu regardes dans ta performance d'entreprise pour prendre des décisions ? Et la deuxième chose sur laquelle ils nous ont fait bosser, c'était un peu l'iceberg de toutes nos idées reçues. Et ces idées reçues, ces mythes fondateurs des écoles de management et de l'économie, sont par exemple que la croissance ruisselle. Plus depuis dix ans. C'est aussi qu'un produit clean, c'est forcément un produit moins margeur. C'est faux. Nous, ce qu'on a commencé par faire chez Expansion, ça a été de se dire, déjà, on va regarder tous ceux qui sont super bons en marge et qui sont les plus clean possibles. Ou à l'inverse, ceux qui ne sont franchement pas très profitables et qui, en plus, sont dégueulasses. Toujours commencer par le plus simple, je veux dire, comme l'eau. On va suivre la pente. Donc, on a commencé par faire ça et ça a mis tout le monde d'accord. Et ça, c'était déjà pas mal. Et ça, c'est encore aussi ma méthode, c'est de dire déjà, trouvons ce qui nous rend heureux tous ensemble. Et puis, au fil des années, on va petit à petit aller se frotter aux produits qui sont plus difficiles. J'ai un médicament, par exemple, chez nous. Un médicament, tu ne peux pas le modifier, sa composition, très facilement, sinon tu perds toutes tes autorisations sur le marché. Dedans, il y a du soja. Donc, c'est forcément très impactant pour la biodiversité quand tu achètes du soja en grande quantité. Même si c'est un coproduit de l'alimentaire soja, ça reste du soja initialement. Donc, ce sujet-là, sur un médicament qui est très profitable, il est énormément problématique. Mais en revanche, ce qu'on a fait, c'est qu'on s'est dit, on ne va pas pouvoir le modifier en composition, il faut qu'on change la source. Pour changer la source, on se donne 5-6 ans. C'est long, mais en fait, c'est la seule manière qu'on va avoir d'adresser ce sujet sans pour autant perdre toute la profitabilité de ce produit. Donc, on va tout de suite sur les parties faciles, celles qui à la fois sont plus margeuses et plus écolo. Et puis, on va aller prendre le temps d'adresser les autres. Les lingettes, par exemple, en pourcentage de marge, effectivement, ce ne sont pas des produits qui sont très profitables. Mais en masse de marge, c'était énorme quand on a pris la décision. C'est quand même 20% de notre chiffre d'affaires pour la France à l'époque. Et c'était, je crois, autour de 5% de la profitabilité de la filiale. Donc, on ne s'assoit pas sur 5% de notre profitabilité du jour au lendemain. Mais en revanche, à partir du moment où on s'est dit Attends, on se donne 3-4 ans pour sortir de cette catégorie-là. Il se trouve que c'est un produit qui n'est pas fabriqué dans notre usine, donc il n'y a pas de destruction d'emploi à attendre de cet arrêt. Bon voilà, on va se donner 3-4 ans et on sait que ce produit n'est pas valorisé. Enfin, c'est comme de vendre du PQ, objectivement. Donc, ce n'est pas ce vers quoi on va tendre de toute façon pour l'avenir de la marque. Donc, il y a eu des discussions, il peut y avoir des... pas des incompréhensions, mais des inquiétudes de la part des syndicats ou des gens du terrain au démarrage. Mais à chaque fois qu'on a discuté de manière très claire sur les tenants et aboutissants, les conclusions qu'on avait, le fait que ces produits étaient effectivement quand même pas bons du tout pour la vie des sols, etc. Et qu'on a aussi expliqué à nos gens du terrain, en fait, quand tu veux rapporter à l'entreprise autant d'argent en vendant tes lingettes qu'en vendant des soins pour les vergetures des femmes enceintes, par exemple, c'est un rapport de volume de 1 à 100. Il faut que tu vendes 100 paquets de lingettes pour apporter autant que... un produit de vergeture. Qu'est-ce que t'en penses ? En fait, en vrai, c'est possible. Donc, tout cet enjeu de simplifier, en tout cas de décomplexifier la transition, à partir du moment où on est dans la transparence, on explique pourquoi on le fait, et comment on va le faire, et qu'on se donne le temps de le faire, il n'y a pas tant de friction que ça. Après, je ne te cache pas qu'évidemment, quand il y a des tensions, ou quand on a des difficultés, et on en a tout le temps, je veux dire, on est dans un monde de plus en plus complexe, donc des difficultés et des crises, il y en a un peu tout le temps dans toutes les entreprises. C'est vrai que le premier réflexe peut être, pour certaines populations, certains métiers, de se dire oui, mais ça, c'est parce qu'on est trop écolo Donc, il faut systématiquement réexpliquer en disant non, ce truc-là, il n'a rien à voir avec nos partis pris sociétaux ou environnementaux Mais c'est vrai que c'est un peu le premier réflexe, finalement.

  • Speaker #2

    On va passer à la deuxième partie de l'entretien. Te voilà désormais archiviste. Selon toi, quel serait un événement clé qui serait méconnu, voire peut-être même inconnu, et qui a marqué l'histoire et dont les conséquences se font encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Alors là, j'ai choisi un fait historique qui me vient tout de suite, je vais donner ma source parce qu'en plus tu le connais, donc il ne faut pas que je vous fasse semblant, qui me vient d'un économiste que j'ai rencontré à la Convention des entreprises pour le climat et qui est prof à l'EM Lyon aussi, qui s'appelle Pierre-Yves Gomez. Et il se trouve que cette rencontre a été très fructueuse puisqu'on lui a proposé de devenir président de notre société à mission d'expansion. Et Pierre-Yves, il raconte... Le moment où le président Ford, aux Etats-Unis, c'est en 1974, va lancer une nouvelle loi qui s'appelle ERISA. ERISA pour Employment Retirement Income Security Act. Et en gros, c'est une loi qui va permettre aux entreprises de mettre leur épargne retraite, l'épargne retraite de leurs futurs salariés retraités, dans plein de fonds différents, plein d'entreprises différentes. Avant cette loi de 1974, tu avais l'obligation en tant qu'employeur. de mettre de l'argent de côté pour payer les retraites de tes salariés. Donc finalement, cet argent était réinvesti dans l'entreprise le temps d'eux. Et puis si l'entreprise avait de bons résultats, elle pouvait payer les retraites. Mais il y a eu une entreprise qui n'a pas réussi à le faire. Du coup, Ford s'est dit non, on ne peut pas mettre tous les oeufs dans le même panier. Donc, on va proposer aux entreprises via la bourse, qui était à l'époque très peu dotée en entreprise. En fait, il y avait finalement peu d'entreprises qui étaient cotées en bourse. Mais Ford a dit très bien, maintenant, les fonds de pension vont pouvoir... pour investir de plein de manières différentes, dans plein d'entreprises différentes, via la bourse. Et qu'est-ce qui s'est passé à ce moment-là, finalement ? C'est que vous avez un actionnariat qui ne va pas aller rechercher le bien de l'entreprise, il va aller rechercher la maximisation des profits.

  • Speaker #0

    à court terme, pour pouvoir ensuite rémunérer ces pensionnaires, enfin les gens qui vont partir à la retraite. Et qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Finalement, ça fait des envolées de cotations en bourse, parce que d'un coup, il y a des mannes d'argent qui sont disponibles sur les marchés boursiers, d'abord américains, mais ensuite, finalement, c'est un mouvement qui se déploie au monde entier, à l'Occident en tout cas. Et du coup, on se retrouve avec toutes les entreprises qui se disent Attends, mais moi aussi, je vais me coter en bourse Et donc, cette course à la cotation en bourse, couplée à... à la course à des promesses de croissance de profit chaque année pour avoir plus de gens qui mettent de l'argent dans son entreprise, les entreprises annonçaient l'année prochaine, on va faire de la croissance, plus 10, plus 20, plus 30, etc. Et c'est vraiment le démarrage de cette financiarisation de l'entreprise où on se dit finalement, pour pouvoir être à la hauteur des promesses qu'on a faites à nos actionnaires en bourse, il faut faire plus de croissance. Pour faire plus de croissance, il faut lancer plein de produits. Et moi, quand je suis rentrée chez L'Oréal, c'est vraiment le truc qui m'a... Et franchement, ce n'est pas que L'Oréal, je pense que vraiment, il joue le jeu comme beaucoup, beaucoup de très grosses entreprises. C'est qu'est-ce qu'on pourrait bien lancer l'année prochaine pour faire plus de CA et plus de profit au final ? Et peu importe si ces produits sont utiles, s'il y a un vrai besoin de ces produits-là. Peu importe à l'époque, même si maintenant, je pense que ça a changé dans des grosses boîtes comme L'Oréal, l'impact environnemental ou sociétal de ces produits, etc. Donc, on se retrouve finalement avec une entreprise gouvernée par les ratios financiers et non pas des ratios financiers qui sont... au service d'une analyse de l'état de santé de l'entreprise. Moi, dans ma boîte, c'est typiquement le genre de truc qu'on essaye de changer aujourd'hui, qui est de se dire, qu'est-ce qu'on regarde ? Je te parlais de boussole. Qu'est-ce qu'on regarde ? Ok, un ratio financier peut être utile, évidemment. Il te dit ton taux d'endettement, il te permet de voir si la croissance de tes profits est au moins aussi grosse que la croissance de ton chiffre d'affaires, parce que si tu crois trop en chiffre d'affaires et pas assez en profits, ça veut dire que finalement, tu as tout le temps besoin de vendre plus. ou plus cher pour faire une valeur absolue de profit qui est toujours la même, ce n'est pas très bon signe, etc. Donc les ratios, ça peut être intéressant. C'est une partie de la boussole. Pour autant, si tu regardes que les ratios, tu ne vois pas arriver la crise Covid, tu ne vois pas arriver les logistiques qui s'effondrent complètement sur toute la planète, tu ne vois pas arriver le mec qui coince son bateau au milieu du canal de Suez et qui va faire que pendant 7 mois, c'est plus intéressant de faire voyager tes marchandises en avion qu'en bateau. au détriment de toute décarbonation possible, évidemment. Donc finalement, on a tous réalisé dans les années 2020 que nos entreprises étaient des géants au pied d'argile, qu'on était extrêmement fragiles, et que même si on avait les ratios au top, ça ne suffisait pas pour prévenir les crises. Donc on est rentrés, nous, dans une logique d'anticipation et de recherche d'adaptabilité, de robustesse. Pendant trois années de suite, je pense, j'ai fait des vœux aux salariés en disant bon, l'année dernière, c'était vraiment super difficile et tout, mais vous avez été au top au top, vraiment merci, et l'année prochaine, ça va aller mieux, l'année d'après. Bon, l'année dernière aussi, ça a été vraiment compliqué, mais vraiment, vous avez été au top, mais là, je suis sûre que ça va s'améliorer. La troisième année, j'ai dit, bon, c'était pas flambard l'année dernière, ça devrait pas être génial non plus l'année prochaine, globalement, il va falloir s'habituer à vivre en crise, même si notre boîte s'en est plutôt très bien sortie, juste, c'était un chaos permanent, c'est-à-dire qu'on avait, ah, telle matière première, finalement, est bloquée aux douanes, on n'arrive plus à avoir ça. Le mec a fait faillite, qu'est-ce qu'on fait ? On n'a plus de fournisseurs de ci, de ça. Enfin, il y avait des crises partout. Alors certes, ça s'est un peu calmé. Derrière, on a eu la guerre en Ukraine. On a dû mettre en sommeil notre filiale russe. Donc c'est 4 millions de profits directement qui sont partis d'une année sur l'autre. Et l'année encore d'après, il y avait le Covid chinois, qui avait deux ans de retard par rapport au reste. Et on a perdu 6 millions de profits d'un coup, parce que pas prévu, parce qu'un marché qui s'explose complètement. Donc là, ce sujet-là... on se rend bien compte que les lunettes utilisées depuis 30 ans ou 40 ans par les financiers pour regarder la santé d'une entreprise ne suffisent pas. Donc aujourd'hui, la question est vraiment de se dire, compter ce qui compte, être en capacité de regarder quelles vont être les matières premières qui vont être disponibles ou non disponibles, les sources d'énergie qui vont être non disponibles à l'avenir, et on se met petit à petit à entrer dans une comptabilité en triple capital. Je ne sais pas si ça c'est un sujet qui est abordé avec tes étudiants, mais... Pour moi, c'est plus possible d'apprendre la finance à quelqu'un si on ne lui apprend pas l'extra-finance. Ça n'a plus de sens. Donc aujourd'hui, je donne un exemple tout bête. Faire un produit solide, par exemple un shampoing solide, c'est faire un produit qui n'a pas d'eau. 100% de la matière qu'on met dans ce shampoing solide, on la paye. Quand on fait un gel douche ou un shampoing liquide, il y a entre 50 et 70% d'eau du robinet qui fait partie de la composition de ce produit. Paye l'eau, on la paye vraiment pas cher en France. Donc évidemment, la profitabilité, le taux de marge d'un shampoing solide est toujours bien inférieur au taux de marge d'un shampoing liquide. Mais si demain, on paye l'eau, vraiment, ou même qu'on nous dit vous n'avez plus le droit d'utiliser autant d'eau qu'avant, vous êtes rationné, etc. Mais là, la profitabilité du shampoing solide, elle va exploser. Donc le ratio lui-même, s'il n'est pas comptabilisé avec les bonnes données du futur, ça ne sert à rien. On a eu trois étés de suite, alors pas cet été, mais les trois étés d'avant, où la préfecture a dû fermer entre 1 et 25 jours des usines. Autour de nous, en Eure-et-Loire, parce qu'il y avait un stress hydrique tel, qu'ils ont dit Non mais toutes les entreprises qui n'ont pas fait d'économie d'eau vraiment substantielle ces dernières années, on vous coupe l'eau pendant X jours. Nous on a eu, je crois, une journée ou une demi-journée de coupe l'année d'avant, mais comme on avait fait pas mal d'économies, etc., on n'a pas été les plus touchés. Mais on a vraiment eu une usine à côté de nous qui a fermé 25 jours, 25 jours de production en moins, c'est juste une catastrophe financière pour le coup. Donc aujourd'hui... On fait des investissements, quand on fait des investissements, et notamment sur le circuit d'eau, si on applique le prix de l'eau actuel, le ROI de ces investissements, il est à 19 ans. Donc c'est l'équivalent d'une centrale nucléaire. Si on applique un prix de l'eau fictif, où on se dit, il y aura moins d'eau, on va nous couper l'eau, l'eau nous coûtera tant, on peut redescendre notre ROI à 6-7 ans. Tout ça, ça reste encore fictif, la comptabilité en triple capital, c'est un exercice théorique, mais qui est très utile pour envisager ce qui va se passer dans l'avenir pour la santé de notre entreprise.

  • Speaker #1

    Avec ce que tu viens de dérouler, j'ai facilement 3, 4, 5, peut-être plus questions à te poser. Je vais essayer d'être moi-même sobre en question. La première qui me vient, c'est que tu as parlé de paire de lunettes, de façon de voir le monde. J'établis un lien direct avec un cours suivi par les étudiantes et étudiants en première année du programme Grande École à EBM Lyon où on leur demande, en interaction avec un dirigeant ou une dirigeante d'entreprise, d'essayer de comprendre Quelle est la grille de lecture de ce dirigeant ou de cette dirigeante ? Quelle est sa façon à elle ou à lui de voir le monde, de comprendre le monde, de retenir certains signaux, d'en éliminer d'autres, de donner du sens en fait à ce qui se joue autour de son entreprise ? Si toi t'es face à une autre dirigeante, à un autre dirigeant, quelles questions tu lui poses ? À quoi es-tu attentive pour essayer d'esquisser le portrait robot du monde tel que cette interlocutrice le perçoit ? Comment tu fais ?

  • Speaker #0

    Alors, en fait, c'est très intéressant d'observer la grammaire des gens avec qui tu discutes. Parce qu'on a tous fait à peu près les mêmes écoles, les mêmes études. Donc, quand tu vas parler des résultats de ton entreprise, c'est intéressant de voir de quoi ils te parlent, par exemple. Donc, est-ce qu'ils vont te parler de prévision de croissance, comme si c'était l'alpha et l'oméga de leur entreprise ? Ça, ça m'intéresse toujours. Mais tu sais, cette grille, je l'utilise même pour quand des gens me démarchent. On reçoit tous plein de mails pour dire, oui, votre entreprise a besoin de ci, de ça. Et je suis toujours scotchée qu'il y a encore des gens qui m'écrivent pour me proposer des techniques pour faire de la croissance à trois chiffres, par exemple. Je me dis, bon, eux, ils n'ont pas trop travaillé leur cas, leur targeting. Donc, effectivement, est-ce que la croissance est une fin en soi pour le dirigeant ? Est-ce qu'elle n'a pas de limite ? potentiellement. C'est toujours très intéressant de le voir. Et j'ai pu l'observer chez des gens qui étaient sur des boîtes assez anciennes, avec un modèle ancien. Mais je l'ai aussi beaucoup observé sur des start-upeurs qui, finalement, se disent avec un modèle hyper vertueux, mais dans la mesure où ils estiment que leur modèle est vertueux, l'hypercroissance, pour eux, ce n'est pas un sujet. Moi, je doute quand même aussi de ça en permanence. Je pense que même une start-up, à part une start-up de l'ESS, qui a vraiment une... dont le seul objectif et la seule production, c'est de réparer les gens, ok, on peut admettre que l'hypercroissance est souhaitable. Mais sinon, tu mets un bien de consommation sur le marché, imaginez que ça doit tout remplacer. Pour moi, c'est un problème. Ensuite, il y a le modèle managérial. C'est toujours intéressant de regarder si ces gens-là connaissent la notion de subsidiarité, par exemple. Pour moi, c'est assez éclairant. ou s'ils sont sur cette idée, quand ils parlent, ils disent je tout le temps. C'est cette idée que c'est finalement eux, le penseur absolu, unique. Après, il y a la notion de transparence, c'est-à-dire les gens qui me disent aussi bien ce qu'ils font de bien que ce qu'ils font de mal, me donnent à penser, pas que je les aime plus ou moins, mais me donnent à penser qu'on a une grille de lecture proche. Moi, j'ai aussi... très longtemps, donc chez L'Oréal, où on nous interdisait de parler des choses qui n'allaient pas. Et je trouve ça dommage, parce que par ailleurs, chez L'Oréal, ils font plein de choses super cool. Objectivement, j'ai vu dans cette boîte plein de choses affreuses et aussi plein de choses formidables. Et je pense qu'on gagne toujours à être dans la transparence. parce que c'est plus crédible aujourd'hui qu'une entreprise soit parfaite, qu'elle fasse tout bien. Personne n'y croit. Donc en revanche, je pense être capable d'avoir la capacité de dire ce qu'on fait très bien et ce qu'on fait très mal, et quels sont encore les points d'amélioration, les trucs qu'on aurait envie de mettre sous le tapis, pour moi c'est clé, parce que ça permet de se dire je veux m'intéresser aux points d'amélioration et pas uniquement faire de la communication. Pour ne pas dire du greenwashing. Voilà globalement ce que je regarde, le vocabulaire. effectivement quels sont leurs indicateurs de performance. Même le mot performance devient sensible maintenant, ce que j'ai écouté Olivier Hamon hier dans une conf, et il n'a pas tort. C'est vrai que la sous-optimisation dans un régime en crise en permanence, par exemple, ou très souvent en crise, être en capacité de ne pas être tout le temps sur régime, ça va être clé. Moi, je vois les équipes aujourd'hui qui ont tendance à tellement s'engager sur les sujets, qu'elles voudraient que ça aille plus vite, qu'elles voudraient tout réussir, et je leur dis... Guys, on ne va pas réussir à tout faire très vite. Il y aura des écueils, il y aura des échecs. On en apprendra des choses. Donc, apprenez aussi à ne pas vouloir être tout le temps à 100%. Parce que le jour où il y a une crise, là, il faut que tout le monde soit à 100%. On ne peut pas être en permanence à 100%. Donc, voilà, c'est un peu ces sujets-là que je regarde chez une personne. Et après, j'avoue, mais ça, c'est mon petit côté bobo-chiante, je regarde toujours si les gens sont partis en vacances à Bali en avion pour trois jours ou s'ils ont pris le train. pour aller jusqu'à Rome. Tu vois, c'est un petit indicateur aussi. Bon, voilà. Mais c'est un peu jugeant, j'avoue, c'est pas terrible.

  • Speaker #1

    On va arriver à la troisième et dernière partie de l'entretien. Donc, tu as été face à l'oracle, tu viens d'être archiviste, tu nous as ramené la loi ERISA, d'ailleurs d'un président américain qui n'a pas été élu par le peuple. Il est devenu président suite à l'affaire du Watergate et à la démission ou à la destitution de Nixon. Je n'ai pas le vocabulaire exact à l'esprit. Et maintenant, te voilà acupunctrice. Est-ce que tu peux nous partager, selon toi, une décision, une action, une intervention, c'est l'un ou l'autre à chaque fois, qui pourrait aujourd'hui contribuer significativement à la fabrique d'un monde, disons, plus habitable. Tu as un seul moment pour intervenir dans le système monde, tu fais quoi ?

  • Speaker #0

    Alors déjà, moi, j'avais un petit sujet avec le monde habitable. Je ne me sentirais pas capable, moi, de participer à la fabrique d'un monde habitable. Je trouve que c'est tellement lourd et dur. Donc j'aurais dit plutôt... fabriquer ou inventer un modèle de société compatible avec les limites planétaires. Parce que je ne sais pas, en fait, le vivant est tellement en Qatar, à cause de nous, que je ne sais pas si on va être capable réellement d'inverser la courbe. On sait qu'on peut faire beaucoup de mal à la biodiversité, à la vie des sols, etc. Je ne suis pas sûre qu'on ait les moyens, même avec une petite aiguille d'acupuncteur, de corriger ça. C'est peut-être en lui foutant la paix en fait que... Donc la question c'est quels sont les modèles de société qu'on pourrait inventer et qui permettraient au moins aux vivants de se reconstruire. C'est un peu ça, c'est un peu l'idée. Et je vais parler plutôt d'une intervention au niveau entreprise parce que c'est quand même à ce titre-là que je suis là aujourd'hui. Même si j'ai plein d'idées aussi sur comment on accueillerait les personnes qui migrent pour des raisons d'effondrement écologique. Mais ça c'est plus des interventions de type politique. Donc, je vais les garder pour moi-même. Mais effectivement, mon idée, c'est plutôt de travailler sur l'atterrissage. Les entreprises aujourd'hui, et depuis, on va dire, 30 ans, 40 ans, se sont hyper mondialisées. Moi, même chez Expanscience, on a beau essayer de retravailler sur quelque chose de plus resserré, et j'en parlerai après, on achète nos matières premières. En gros, il y a une équipe marketing qui va donner un briefing aux gens des labos. qui vont imaginer un produit, qui répondent à ce brief. Et puis ensuite, ils vont donner une liste de courses aux acheteurs. Et puis les acheteurs, eux, ils vont se dire, bon, ok, je dois acheter 50 matières premières, au meilleur coût et à la meilleure qualité. Ça, c'était le brief initial. Et qu'est-ce qui se passe en général ? Ils vont aller acheter des matières premières à l'autre bout de la Terre, dans plein d'endroits du monde. On va les faire voyager, si possible, en bateau, etc. Ok, le plus clean possible. Mais enfin, quand même, ils viennent jusqu'à Épernon. On fabrique notre produit et on renvoie ces produits à l'autre bout de la terre, dans les 100 pays où on est distribué. Ça, ça doit changer. Et ce n'est pas une question de morale. Ça doit changer parce que justement, pendant la période Covid, on s'est rendu compte qu'on était dépendant 1 de territoire où on n'est pas sûr qu'il n'y aura pas de guerre dans les années à venir. Que ce soit la Chine, que ce soit l'Ukraine, où on achetait notre huile de tournesol à 100% en Ukraine. Il se trouve que trois mois avant la guerre en Ukraine, on était en pleine CEC et on a commencé à faire la cartographie de nos dépendances et on s'est rendu compte qu'on était dépendant à 100% d'un territoire qui lui-même était quand même extrêmement menacé. quelques années avant avec le Donbass, etc., on savait que l'Ukraine, c'était quand même pas un pays où tout était rose. On s'est dit, là, on ne peut pas être dépendant à ce point-là. Donc, on a commencé à diversifier un peu nos sources. Et heureusement qu'on l'a fait, parce que trois mois plus tard, il n'y avait plus rien qui sortait d'Ukraine. Donc, effectivement, aujourd'hui, c'est une question de survie des entreprises, déjà de commencer à se poser sur son territoire et arrêter d'aller acheter les trucs à l'autre bout de la Terre. Mais déjà, commencer à se dire, qu'est-ce qui serait ? maîtrisable comme source d'approvisionnement et en général, c'est quand même d'autant plus maîtrisable quand c'est pas trop loin de chez toi. Alors aujourd'hui, on n'y arrive pas, on n'est pas du tout à 100% sur du local, mais en revanche, on apprend à le faire. Parce que du coup, la matière définit ton brief. Alors qu'avant, c'était ce que va faire ce produit, on aimerait qu'il soit bleu, qu'il soit doux, qu'il soit qui sent je sais pas quoi, etc. Et après, on allait chercher les matières. Donc là, c'est un peu comme de la permaformulation qu'on essaye de faire avec les équipes des labos, c'est-à-dire qu'ils regardent ce qui pousse autour de chez nous en Eure-et-Loire. Donc il y a du tournesol, c'est de la monoculture, c'est pas terrible, donc il faut trouver des gars qui font du tournesol en bio si possible, en sol couvert, sans trop retourner la terre, etc. Mais il y a aussi du lin, pas mal de culture du lin, qui en plus le lin est plutôt dépolluant sur les sols, donc c'est intéressant. Il y a aussi sur les bords de Loire ou les affluents de la Loire, pas mal de... plantes invasives issues d'aquariums que les gens ont jetés et tout. Et donc, en regardant tout ça, finalement, en atterrissant sur ce territoire, on se rend compte qu'il y a plein de matières intéressantes. Et on est en train de les valoriser et de regarder si on est capable de les transformer de plein de manières différentes. Parce que, pour le coup, notre usine, elle est très bonne pour extraire des coproduits de matières premières. Et avec ça, voir si on est capable de fabriquer des soins essentiels qui pourraient se substituer à ceux qu'on a aujourd'hui. Donc, c'est une autre méthode de travail. Ça va prendre une dizaine d'années pour apprendre réellement à faire ça. Mais là, pour le coup, c'est pour moi de la robustesse. C'est-à-dire que si on sait faire ça, si on a ce savoir-faire, on est capable ensuite de le réappliquer dans d'autres pays où on est. Parce que c'est bien de le faire sur l'or et l'or, mais du coup, si tu veux vraiment être local, ça veut dire que ce produit, tu ne le vends qu'en France, ou aller en Europe pour être vraiment sur une région du monde. Mais ça veut dire que demain, il faudra qu'on soit en capacité de se dire qu'est-ce qui pousse au Brésil et qu'on pourrait prendre, et avec ça, on pourrait faire nos 4-5 soins les plus essentiels. Idem sur les Etats-Unis, etc. Et ça voudra dire aussi que cet atterrissage et cette relocalisation, finalement, elle va être multizone. Et elle pourrait permettre de changer aussi la notion de marque. C'est-à-dire que les gens n'achèteraient plus Mustela parce qu'ils adorent la texture de tel produit, qui pourrait être réplicable par n'importe quel concurrent, objectivement. Mais qu'en revanche, ce qui les intéresse, c'est qu'ils s'assurent, quand ils achètent un produit Mustela, que ce produit ne contribue pas à détruire l'environnement ou l'enfant. qui vont laver, va grandir. Mais au contraire, que ce soit un produit qui va plutôt contribuer à une agriculture régénératrice ou protectrice des sols et locale. Donc c'est d'autres critères finalement, d'autres attributs du produit qu'on aimerait travailler. Et ça, c'est très prospectif parce que pour l'instant, on a des consommateurs qui ne sont pas encore tout à fait prêts pour ça. Mais que ça tombe bien, comme ça va nous mettre une dizaine d'années pour être capable de le faire. Il faut qu'on soit prêts d'ici là. Donc l'atterrissage, c'est l'intervention que je proposerais, c'est un réancrage, un réatterrissage. Je donne un exemple aussi de coopération locale qu'on a trouvé récemment. Juste notre directeur des opérations industrielles, Jean, qui habite pas très loin du site de production, tous les matins, il passait avec sa voiture devant une ferme expérimentale de chez Bongrain. Un jour, il s'est arrêté. Il vendait du frometon, tout ça. Donc, il allait discuter avec les gars. Et les types ont dit, ah bah oui, mais nous, on est ferme expérimentale. On a une chaudière biomasse maintenant. Donc, on a beaucoup moins d'émissions de gaz à effet de serre. On a notre forêt qu'on gère nous-mêmes, etc. Donc, comme ça, vraiment, le bois qu'on met dans la chaudière biomasse est local. On a aussi une petite station de méthanisation. D'ailleurs, on manque un peu de boue pour nourrir cette station. Et en fait, rien qu'en discutant avec ses voisins, on s'est rendu compte que les bouts de lavage, dont on ne savait que faire, issus des cuves. On a des cuves où on fait nos cosmétiques et puis après, il faut laver ces cuves. Et ça crée de l'eau, d'un côté, qu'on retraite, mais aussi des bouts. Et en fait, ces bouts et ces eaux de lavage, on était obligés d'aller les mettre dans des cuves. camions-citernes qu'on envoyait à 400 km de chez nous pour aller les retraiter avant de pouvoir les remettre dans les affluents et les rivières du coin. Ce qui est normal. Mais en fait, là, les mecs nous ont dit, Ah mais non, mais nous, ça nous intéresse parce qu'il y a de la matière organique dans vos produits. Donc nous, ce qu'on veut faire maintenant, c'est utiliser vos bouts. Donc en fait, c'est devenu une opération 1, blanche financièrement puisqu'on n'avait plus les coûts de tous ces transports-là. 2, ça nourrit cette usine de médianisation locale et donc ça crée de l'énergie. Donc encore une fois, une coopération très fructueuse et à 10 km de chez nous. Et il se trouve que derrière, on s'est dit, mais dis donc, ta chaudière biomasse, c'est intéressant. Et donc là, on est en train d'investir pour changer le mix énergétique de notre usine, passer en chaudière biomasse comme eux et utiliser en partie le bois qu'ils utilisent eux, parce qu'ils en avaient trop. Et donc, ça va nous permettre de baisser très fortement notre mix énergétique et nos gaz à effet de serre. Donc atterrir, coopérer et favoriser des écosystèmes de coopération. C'est ça l'intervention qui, pour nous en tout cas, a été bénéfique dans la méthode pour apprendre et trouver des solutions, histoire d'être en compatibilité avec les limites planétaires. Coopérer, c'est coopérer aussi avec nos concurrents. On a proposé à nos concurrents de venir avec nous ouvrir des machines de vrac dans les pharmacies. Ils n'ont pas compris au début qu'on puisse aller les voir. On leur a dit, nous ça fait deux ans qu'on le fait tout seul, on pense que c'est moins efficace, venez avec nous, si on a plus d'offres, on sera plus fort. Et on leur a donné en open source... toutes nos études de compatibilité, de bactériologie, les indices de cycle de vie, etc. Donc cette coopération-là est très fructueuse, je pense.

  • Speaker #1

    Avec les exemples que tu nous partages là, ce qui me vient à l'esprit, en pensant aux étudiantes et aux étudiants, c'est que tu dois être déjà à la recherche, ou tu vas être à la recherche de nouveaux profils, de nouvelles compétences, de nouveaux diplômés des écoles, que ce soit des écoles de management, d'ingénieurs, de design, filières universitaires. Est-ce qu'aujourd'hui, pour donner toute la substance nécessaire à cette nouvelle grammaire d'entreprise que tu es en train d'écrire, tu as tous les profils dont tu as besoin ? Ou alors, est-ce que tu as déjà repéré des profils que tu souhaiterais voir affluer vers ton entreprise, des compétences ? Tu les touches du doigt, mais tu ne les as pas encore à disposition au sein du groupe. Qu'est-ce qu'il te faut pour... compléter quelque part la photo de famille d'expansion, c'est être en mesure de parfaitement déployer cette nouvelle grammaire stratégique ?

  • Speaker #0

    Alors, ma première réponse, elle est autour déjà de... Il y a plein de métiers qui changent en interne. C'est-à-dire que ce n'est pas des nouveaux métiers, mais c'est juste que la définition des métiers, elle change. Les acheteurs, dont je te parlais tout à l'heure, qui allaient à le bout de la terre pour chercher les produits de meilleure qualité, meilleur prix, aujourd'hui, il faut qu'ils deviennent des négociateurs. consortium avec d'autres contre des géants de type BASF etc. pour les pousser à être dans la traçabilité etc. Donc c'est plus du tout les mêmes enjeux. Il y a de la négociation de prix, évidemment, toujours chez un acheteur. Mais la première chose qu'il regarde c'est est-ce que je sais du champ au flacon, d'où vient exactement cette matière ? Est-ce que je suis sûre que ça ne participe pas à de la déforestation ? D'autant plus que maintenant il y a des lois sur la déforestation importée qui vont faire qu'on va être obligé de prouver ça. Et ça, c'est aux acheteurs. C'est les acheteurs qui doivent retomber sur leurs pattes avec ça. Donc, il y a des métiers qui sont en train de se changer. Et donc, effectivement, aux jeunes diplômés, je dirais, si vous devenez acheteur, renseignez-vous bien sur le métier que ça va devenir. Je pense qu'il n'y a aucun métier aujourd'hui dans mon entreprise qui ne va pas être profondément bouleversé dans les dix années qui viennent. Que ce soit à cause de ses limites planétaires ou à cause de l'intelligence artificielle. C'est pour ça que c'est les deux sujets qui focalisent mon attention, parce que finalement, c'est deux énormes... pression qu'on va opérer sur les sociétés humaines. Donc les acheteurs, pour moi, c'est un nouveau métier qui est aussi sur un métier de coopération plus que de négociation violente. Alors je ne dis pas que les acheteurs avec qui on bosse actuellement sont des négociateurs violents, pas du tout, mais quand même, j'ai en tête que quand tu voulais être acheteur, tu étais quand même un peu le mec qui pose tes couilles sur la table et qui dit ce sera ça le prier ou rien d'autre. Pas du tout. Aujourd'hui, notre objectif, c'est vraiment que les gens avec qui on va faire affaire puissent gagner suffisamment pour être bien, pour être pérennes. C'est la longévité de la relation qu'on va aller rechercher. Comme on a un scope 1, 2, 3 à traiter sur le carbone notamment, mais sur la biodive aussi, si nos sous-traitants, nos suppliers ne sont pas eux-mêmes en train de se changer, notre bilan sera toujours aussi pourri. Donc l'acheteur, son boulot, c'est aussi d'éduquer et de former ses sous-traitants à limites planétaires, fresques du climat, etc. Donc leur métier change radicalement. Le marketing change radicalement. Moi, j'ai besoin de nouveaux marketeurs. Alors aujourd'hui, j'ai des marketeurs qui sont en train d'inventer un nouveau marketing. Il y a deux ans, ils ont décidé, la directrice marketing de Mustela est rentrée de la CEC justement en me disant, pour qu'on tue la fonction marketing. Alors je dis, c'est dommage quand même, c'est ton boulot. Il me dit, ouais, mais on ne peut pas, il faut inventer des nouveaux récits, on ne peut pas continuer à inventer des produits qui ne servent à rien, enfin, ce n'est plus possible. Et donc là, ça fait deux ans que les équipes de toutes les activités, pas uniquement sur Mustela, mais aussi sur tout ce qui est bien vieillir et rhumatologie, ils travaillent sur c'est quoi notre nouveau métier, c'est quoi nos critères justement pour savoir si un produit est utile, pas utile au bien-être des parents. Donc ils rentrent dans des logiques d'analyse. de data et de faire des choix, faire les bons choix. Donc un gros travail sur l'éthique, ce qui n'était pas du tout le cas d'un marketeur, je pense, il y a encore 20 ans, quand moi j'ai commencé à bosser. Et après, la gestion se change énormément. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on ne décorrèle pas le financier de l'extra-financier. Donc finalement, les équipes qui travaillent sur le contrôle de gestion et sur la finance sont obligées de se former à la comptabilité en triple capital. à la comptabilité carbone. Donc l'IT est très en prise aussi avec ça, c'est-à-dire comment tu récupères la data, comment tu la flèches au bon endroit, comment tu donnes finalement le pouvoir à chaque salarié de faire les bons choix en n'ayant pas uniquement le seul prisme des euros pour prendre des décisions. Donc la gestion, aujourd'hui, on a un duo magnifique qui travaille sur les bilans carbone, enfin les budgets carbone de chaque pays et des équipes corporate autour de leur voyage professionnel. On a commencé comme ça. Et donc cette année, on leur a donné un budget carbone sur leur déplacement professionnel. Au début, on avait dit on interdit, on baisse, on était dans le top-down, et ça grognait de partout. Et en fait, moi j'ai réalisé que c'était une grosse erreur de ma part de vouloir sortir le bâton sur un sujet comme ça. Donc on a dit, ok, voilà combien vous avez dépensé en carbone l'année dernière en voyage professionnel, équipe par équipe. Voilà notre trajectoire carbone SBTI. Il faut donc diminuer de temps l'année prochaine. Donc voilà votre nouveau budget carbone. Après, vous en faites ce que vous voulez. Vous voulez aller voir huit fois le même distributeur parce qu'il est compliqué ? Vous y allez huit fois. Mais vous n'aurez aucun autre voyage à la place. Ou alors, si vous faites ça, ça veut dire que vous n'avez aucun moyen de vous tromper dans vos commandes parce que tout ce que vous allez recevoir, ce sera en bateau. Et si vous avez la moindre erreur, un voyage en avion, en cargo sur une palette, c'est monstrueux. Vous ne pourrez pas. Donc au moins, on leur donne le souci de bien faire. On leur donne un chiffre objectif. et après ils se débrouillent. Et c'est assez rigolo de voir que ça c'est des sujets où en fait les gens se prennent au jeu, comme ils se prenaient au jeu de réussir le chiffre d'affaires, ils se prennent au jeu sur le chiffre du carbone. Donc on a aussi tout un travail autour de la motivation des gens et comment tu trouves les bons leviers pour faire changer leur métier tout en restant ludique et sans rendre trop grave non plus leur quotidien.

  • Speaker #1

    Ce qui me venait à l'esprit en t'écoutant parler finalement de cette nouvelle nouvelle richesse professionnelle qui est proposée, de cette considération non seulement pour la réussite financière mais pour la réussite en termes de gestion d'un bilan carbone, en termes de respect des limites planétaires, de non franchissement ou de défranchissement si l'expression existe des limites planétaires. Ce qui me vient à l'esprit c'est tu proposes aussi avec toutes celles et tous ceux qui travaillent dans ton entreprise ou qui pourraient la rejoindre, d'habiter un nouveau rapport au monde, d'être quelque part traversé par un ou plusieurs nouveaux imaginaires qui sont encore en émergence et qui, quand même, assez largement, sont incommensurables avec les imaginaires encore dans beaucoup d'entreprises dominants où la réussite, où le succès, c'est nécessairement la progression dans la hiérarchie, c'est l'émission à l'international, idéalement très très loin de son camp de base. Comment ça se passe en interne dans ton entreprise, cette espèce de bataille, le mot est peut-être un peu fort, des imaginaires ?

  • Speaker #0

    Écoute, ça se passe pas trop mal. Cette année, on a sûrement pris les trucs dans le mauvais sens, mais c'est comme ça, c'est la vraie vie. Cette année, on s'est rendu compte qu'il fallait qu'on fasse évoluer notre culture d'entreprise, par exemple. Parce qu'on avait commencé, en gros, après la CEC, on a fait fresque du climat pour les 1150 salariés de l'époque, maintenant on est à 1245. Ça veut dire que même les opérateurs de l'usine, de nuit, ils ont fait la fresque du climat. Fresqués par des internes d'ailleurs. On avait fait former des fresqueurs internes, etc. Donc, vachement de dialogue et tout, hyper intéressant. Beaucoup de colère d'abord, comme toute personne fresquée. On est peut-être dans le saut, on n'est pas heureux, on est en colère. Et puis après, on remonte la pente et tout. Donc, une année de prise de conscience pour s'assurer qu'on parlait tous le même langage, qu'on avait tous compris le même constat. Et puis, pour leur montrer qu'on avait quand même une feuille de route et qu'on ne les laissait pas juste tout seuls avec leur désespoir, mais qu'on les mettait en action avec tout un sujet d'appropriation. individuelle de chacun, se dire, alors je dis pas que tout le monde y a réussi, mais une grande partie des salariés se disent, bah moi ma mission pour faire marcher la feuille de route, c'est ça peut être des toutes petites choses, ça peut être des choses très grosses, ça dépend de votre boulot. On fait ça la première année. Ça a pris en vrai un an et demi pour vraiment faire digérer ces sujets-là, l'accepter, puis se rendre compte qu'en fait, ça donne envie d'aller bosser le matin, etc. Assez vite face à ça, tu as je suis hyper motivée Quand je ne l'étais pas forcément avant, je deviens super motivée. Mais en revanche, il n'y a rien qui marche, les processus sont pourris, et puis la IT, ça ne va pas, le système d'information. Enfin, je n'ai pas les outils pour. Logique. Donc, on s'est dit, OK, maintenant, il faut qu'on mette de l'infrastructure. Il faut qu'on passe de l'infrastructure 0.0 à 4.0, parce qu'on a des idées 8.0, mais on n'a pas encore les routes et tout ça. Donc, il y a eu un travail commencé l'année dernière, qu'on continue cette année vraiment de... On a mis Business Process Owners, là c'est un nouveau métier qu'on a intégré dans l'entreprise. Il y a tout un travail autour de la data qui va prendre pas mal d'années aussi, donc on va un peu mettre ces infrastructures. Et en fait, après ça, on s'est rendu compte qu'il y avait une histoire de comportement aussi à aller travailler. Pas au sens du comportement, le bon élève ou le mauvais élève. Mais vraiment, quelles sont les attitudes ? C'est du behaviorisme, c'est on aura beau mettre les bons process, les bonnes infrastructures, les bons outils, si les gens continuent à... pas savoir se faire des feedbacks positifs, à ne pas partager leurs échecs, mais à ne partager que leur grand succès. En fait, du coup, les échecs vont continuer à se répéter d'une équipe à l'autre, parce qu'on aura mis sous le tapis la poussière pour surtout pas dire, j'ai essayé ça, ça n'a pas du tout marché, ne le refaites pas. Donc, il y a eu, en fait, cette prise de conscience qu'il fallait changer de culture. Et là, l'équipe RH, COM, ils ont été super, parce qu'ils ont dit, non, non, mais c'est pas nous au comité de direction qui allons choisir la culture cible. On va demander aux salariés de le faire. Ce qui va nous permettre aussi d'aller chercher tout ce qu'on fait de mal au niveau de la hiérarchie du management. Parce que si c'est nous qui influons, on va dire oui, vous devez être plus autonome, machin, évidemment, comme d'habitude, faire plus avec moins. Mais en fait, il y a peut-être un vrai problème managérial aussi à régler. Et donc, il y a eu des groupes de travail et ils sont arrivés à, je crois, six comportements souhaitables. Dans ces comportements, il y avait déjà des choses qu'on faisait. chez Expansion 5, autour de l'engagement, notamment parce que c'est une boîte qui n'a pas attendu 5 ans pour être très engagée. Ça fait depuis 2004 qu'on a signé le pacte de l'ONU, donc je pense qu'il y avait déjà un vrai substrat dans la boîte. Mais en revanche, il y a eu toutes ces notions dans les comportements de valoriser le chemin, c'est-à-dire accepter qu'on expérimente, qu'on teste des trucs, et qu'en revanche, on s'obstine pas si ça marche pas. On fait tout de suite un retour d'expérience en disant Ok, ce truc n'a pas marché, voilà pourquoi il n'a pas marché. soit on change légèrement de voie pour retenter, soit c'est un vrai échec, c'est un four. On le dit haut et fort à tout le monde, on ferme cette porte. Et tant mieux, on se félicite d'avoir fait cet échec parce que ça nous permet d'arrêter d'essayer des trucs qui ne servent à rien. Ça, c'est sûr, cette porte, elle est fermée, on ne la prendra plus jamais. Donc, il y a eu cette histoire de l'échec. Et du coup, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'au niveau managerial, il faut accepter que les gens se plantent. Donc, ça nous a obligés à nous dire, OK, donc attention, quand il y a un problème, on ne va pas aller chercher le coupable. On va aller chercher la raison de l'échec pour en faire une leçon. Ça, c'est un exemple parmi d'autres. Il y a aussi tout un sujet autour de s'écouter, écouter, vraiment avoir de l'écoute active. Et ça, c'est autour de la diversité, parce qu'on est quand même sur 13 filiales différentes et donc accepter que tout le monde n'a pas les mêmes modèles culturels, etc. Donc, ce n'est pas toujours des points faciles, ça va mettre du temps à l'instaurer. Mais ce qui est génial, c'est que c'est quelque chose qui a été co-construit par plein de nationalités différentes. Plein de métiers différents, c'est des gens qui avaient des hiérarchies aussi très différentes. Et donc, on estime que ça représente pas mal ce que le collectif d'expansion aujourd'hui a envie d'opérer comme changement de comportement pour se sentir en capacité de changer notre trajectoire. Je te propose qu'on en reste là.

  • Speaker #1

    La planète a des limites, cet entretien aussi,

  • Speaker #0

    on vient de l'atteindre. Merci infiniment Sophie. Merci à toi.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté cet épisode de Nos Limites, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

Description

Sophie Robert-Velut est directrice générale des activités du groupe Expanscience, devenu entreprise à mission en 2021.


Dirigeante engagée, elle a suivi le parcours de la Convention des entreprises pour le climat et pris plusieurs décisions majeures pour contribuer à rendre les activités de son entreprise compatibles des limites planétaires.


Dans l’entretien à suivre, Sophie s’interroge sur les risques liés à l’accélération et à l’amplification des développements de dispositifs de surveillance de masse, revient sur le rôle clé joué par une loi américaine votée au milieu de la décennie 1970 et qui a permis l’essor puis la domination de la finance internationale, et propose enfin différentes pistes concrètes pour reconnecter les entreprises à leurs territoires.


Entretien enregistré le 5 septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    I can slightly hear it. Nos limites. Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarithm.

  • Speaker #1

    The growing threat of climate change could define the contours of this... The world is waking up and change is coming, whether you like it or not.

  • Speaker #0

    Une enquête à bord du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité.

  • Speaker #2

    Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires, nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre. La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat.

  • Speaker #0

    Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Sophie Robert-Velut est directrice générale des activités du groupe Expanscience, devenue entreprise à mission en 2021. Dirigeante engagée, elle a suivi le parcours de la Convention des entreprises pour le climat et pris plusieurs décisions majeures pour contribuer à rendre les activités de son entreprise compatibles avec les limites planétaires. Dans l'entretien à suivre, Sophie s'interroge sur les risques liés à l'accélération et à l'amplification des développements de dispositifs de surveillance de masse. Elle revient sur le rôle clé d'une loi américaine votée au milieu des années 70 qui a permis l'essor puis la domination de la finance internationale. Elle propose enfin différentes pistes concrètes pour reconnecter les entreprises à leur territoire.

  • Speaker #2

    Bonjour Sophie.

  • Speaker #1

    Bonjour Thomas.

  • Speaker #2

    Alors ça y est, tu es face à l'oracle, tu vas pouvoir lui poser une question. Qu'est-ce que tu lui demandes ?

  • Speaker #1

    Alors Oracle, est-ce que nos sociétés humaines sauront sortir de la société de contrôle dans laquelle elles s'engouffrent en ce moment, en laissant les technologies de l'information, l'intelligence artificielle et les réseaux sociaux s'emparer de nos vies ?

  • Speaker #2

    Alors avec cette question, il y a forcément plusieurs questions que j'ai envie de te poser à mon tour. Tu parles de contrôle, tu parles de prééminence des réseaux sociaux dans la vie de tous les jours. Est-ce qu'il y a des signes dans ton quotidien ? qui te font craindre pour la suite ? Est-ce qu'il y a des angoisses particulières qui te préoccupent ? Est-ce que tu peux nous partager peut-être des situations dans lesquelles tu t'es trouvée ou des observations que tu as pu faire qui te donnent envie d'aller voir l'oracle avec cette question-là et pas une autre ?

  • Speaker #1

    Oui, il y en a plein des situations. Alors, elles sont peut-être un peu moins dans ma vie professionnelle et un peu plus dans ma vie personnelle, dans mes lectures et dans ce que je vis de l'actualité aussi. Je pense qu'on a tous souvenir que ces derniers mois ont fracturé la société française. Moi j'ai un mari dont la mère est de confession juive, donc elle a forcément vécu très fortement un certain nombre de drames et d'horreurs passées l'année dernière. Elle a réagi fortement sur ces sujets-là, beaucoup en regardant les réseaux sociaux. De l'autre côté, j'ai des parents qui sont des laïcars pas possibles et qui, pareil, sont très, très, très confrontés aux réseaux sociaux. Et puis, j'ai un mari qui, lui, travaille dans une ONG qui favorise l'accueil des personnes réfugiées en France, avec beaucoup de gens qui fuient la dictature, qui fuient parfois des religions qui les emprisonnent, d'une certaine manière. Et il y a eu des débats énormes sur l'islamophobie, sur l'antisémitisme. Et là où on était plutôt dans des familles assez unies. plutôt dans le dialogue, pas toujours d'accord, on avait du mal à discuter. Et on a regardé il n'y a pas très longtemps La Fièvre, du même scénariste que Baron Noir, et on a été complètement frappés par l'analyse qui est faite sur ce qui se passe dans les réseaux sociaux, sur la capacité qu'on peut avoir, par petites touches finalement, entraîner des débats de société, des fausses informations, des clivages qui peuvent en fait fracturer complètement une société. Donc ça, ça me fait très peur. Il se trouve qu'en plus, j'ai lu une étude qui a été publiée par le CNRS il n'y a pas très longtemps, qui s'appelle Minimum indice à l'horloge de Poutine et qui est une étude qui a été faite par David Chavalarias. En gros, c'est quelqu'un qui a développé des méthodes pour analyser toutes les dynamiques dans les réseaux sociaux, les débats sur X, ex-Twitter. Et en fait, ils ont découvert, en faisant cette méta-analyse, qu'il y avait eu énormément de manipulations dans les réseaux sociaux par les pouvoirs russes. Donc c'est une étude qui est publiée, qui est tout à fait sérieuse, elle a même été citée par Le Monde il n'y a pas très longtemps. Et une grande majorité de ces manipulations viendraient du pouvoir russe et pousseraient finalement à une déliquescence du front républicain contre l'extrême droite. Donc c'est hyper intéressant de voir que ce qu'on voit dans des fictions, ce qu'on ressent à l'échelle de notre intimité familiale... Et ce que des grandes études de fond sont faites sur ce qui se passe géopolitiquement et dans nos sociétés finalement, tout ça se rejoint et est très lié à cette idée qu'on ne choisit plus ce qu'on lit comme information. On n'est plus tout à fait sûr du niveau de certitude finalement de ce que nos enfants sont aussi en train de regarder sur les réseaux sociaux, etc. Et tout ce qui était des grandes évidences il y a encore 15 ans ou 20 ans dans nos sociétés, la démocratie c'est bien, la science c'est un fait, c'est en train de voler en éclats. Donc ça, c'est quelque chose qui me fait très peur et dont je sais en plus qu'on est encore à l'orée de ce que le deepfake va permettre de faire, finalement, comme détournement de la réalité. Donc on est en train de mettre le doigt dans un truc qui va aller beaucoup, beaucoup trop vite et très loin.

  • Speaker #2

    Tu as commencé par dire que cette prise de conscience et ces anecdotes que tu relates concernent, pour commencer, ta vie personne, néanmoins... Tu l'as dit en introduction, tu diriges les activités d'une entreprise. On a à l'esprit les uns et les autres que la frontière entre la vie perso et la vie pro est de plus en plus perméable, que ce qui se passe en dehors de l'entreprise joue un rôle dans l'entreprise et vice versa. Est-ce que tu constates toi déjà, à ton niveau, dans tes activités, tu parles de fracturation de la société française, est-ce que ça existe aussi la fracturation à l'intérieur d'un collectif de travail ou alors est-ce que l'entreprise... selon la façon dont elle est organisée, quelque part arrive à apaiser cette fracturation. Est-ce que tu peux peut-être nous en dire un peu plus ?

  • Speaker #1

    Alors aujourd'hui, moi je travaille dans une entreprise où ce n'est pas tabou de parler de politique au sens non pas d'être partisan d'un parti ou d'un autre, mais plutôt de se dire qu'il y a un rôle sociétal de l'entreprise. En fait, on a, toutes nos entreprises ont participé, ont contribué à la destruction d'un certain nombre de ressources depuis 50 ans. Et donc notre entreprise Expansion, comme les autres, on a donc cette part de responsabilité-là et on estime, et je pense que le corps social de ma boîte l'estime aussi, qu'on a du coup maintenant une part à jouer pour reconstruire et réparer. Et c'est ça être politique, c'est-à-dire en fait c'est juste accepter que quand on fait société, au sens d'une entreprise, on fait aussi partie d'une société humaine. Et donc on a absolument des responsabilités. Je vais te donner un exemple tout bête mais... Dans mon entreprise, on produit des produits de soins pour les bébés, pour la famille, de la marque Mustela. C'est une marque qui est leader, ça fait 70 ans qu'elle existe, donc c'est une marque qui a beaucoup d'influence, malgré elle, sur ce que les parents s'autorisent à faire ou à ne pas faire. Il y a encore 5 ans, chez Mustela, on produisait des coffrets roses pour la naissance des petites filles et des coffrets bleus pour la naissance des petits garçons. Alors oui, c'est moins grave que la manipulation des Russes sur les élections législatives françaises, mais c'est une part de responsabilité qui est très forte, parce que finalement, tu ne vas pas à l'encontre de ces stéréotypes de genre qui aujourd'hui, je pense, sont extrêmement mauvais pour le bien-être à la fois des petites filles et des petits garçons. De la même manière, on montrait très peu de pères de famille, on montrait beaucoup de femmes systématiquement qui étaient en charge de l'enfant. Donc finalement, c'est encore une fois une injonction. à ce que la femme soit la première à s'occuper de l'enfant. On ne parlait pas tellement du choix d'allaiter ou de ne pas allaiter. Donc moi, ça, c'est des sujets sur lesquels on a fait beaucoup de changements ces dernières années parce qu'on part du principe qu'on doit porter un message, un message politique, mais au sens pas partisan, mais au sens de dire qu'on n'a pas à pousser les femmes à rester à la maison quand elles font un enfant. On n'a pas à faire le jugement de ce qui est bon pour un enfant à la place de ses parents. On n'a pas non plus à montrer uniquement des familles biparentales, hétérosexuelles. Il y a plein de modèles familiaux différents qu'on peut montrer. Donc ça, c'est une première prise de position, on va dire, qui nous incombe. Et puis ensuite, évidemment, assez vite, on est allé sur les sujets de la responsabilité environnementale et sociale, au-delà juste de tes messages de communication. Mais ça, on en reparlera peut-être après.

  • Speaker #2

    Sur ces sujets sociétaux, ces prises de position et ces actions de ton entreprise, j'imagine qu'en fait, il y a une infinité d'interventions que ton entreprise peut envisager pour, quelque part, contribuer à réparer des injustices, rétablir des équilibres, pour replacer l'homme et la femme. à des places plus équilibrées, comment à l'intérieur de l'entreprise vous instruisez finalement le choix des interventions que vous allez faire et comment est-ce que vous estimez peut-être par anticipation qu'en agissant de ce sens-là ou de cet autre sens, vous allez avoir un effet sociétal tel que vous le souhaitez ? Est-ce que tu peux nous faire vivre un tout petit peu le processus d'instruction de ces interventions ?

  • Speaker #1

    Sur les interventions sociétales, c'est assez intéressant parce que justement, on est présent dans une centaine de pays avec Mustela. Alors, on n'a que 13 filiales. Donc, même si je me concentre uniquement sur les filiales, on est quand même aux manettes beaucoup plus que sur les autres pays où on va distribuer le produit. Mais ce n'est pas nous qui opérons la distribution. Dans ces 13 filiales, on va avoir des pays où la parentalité va être vécue de manière très différente. Tu vas voir les États-Unis, la Chine, la Turquie, le Brésil, la France. Donc, en fait, il y a... autant de modèles parentaux et de cultures parentales différentes dans tous ces pays-là. Pour autant, on a commencé par faire pas mal d'observatoires des questions que se posaient les parents. Donc beaucoup d'études, de sondages pour poser les questions aux gens. C'est quoi les grandes angoisses que vous pouvez avoir à la naissance d'un premier enfant, etc. On a donc un socle assez commun. Ça, ça nous aide déjà à nous dire qu'est-ce qui nous relie. Parce que souvent dans notre société de réseaux sociaux, on est beaucoup sur ce qui nous divise, ce qui nous sépare. Je suis dans ma bulle, mon technococon, comme dirait Damasio, mais de l'autre côté, en face, tu es différent, donc je ne veux pas entendre tes différences. Donc on a commencé par se dire, ok, qu'est-ce qui relie tous ces parents ? Et il y a des tas de choses. Des choses assez sur la physiologie, l'angoisse que tu as, la mort du prématuré, du nourrisson, des tas de choses comme ça assez évidentes. Évidemment, la notion de la répartition des tâches entre les hommes et les femmes peut être différente d'un pays à l'autre. Pour autant, c'est toujours une question transversale, c'est-à-dire qu'elle est plus ou moins avancée. en fonction de la maturité ou de l'histoire de la culture d'un pays. Mais ça reste un sujet aujourd'hui qui se déploie partout. Donc là, hyper intéressant, parce que les pays assez vite, on avait demandé à nos filiales, à nos équipes terrain, qui sont de la culture nationale locale, de décider quels étaient les grands sujets locaux qu'ils voulaient justement essayer d'aider à adresser dans les pays dont ils étaient en charge. Je te donne un exemple tout bête, mais en Pologne, il y a eu... Pendant plusieurs années, un gouvernement assez rigide, autoritaire, qui a... Bon, l'avortement est interdit en Pologne. Et il y a eu, en fait, une femme qui est morte en couche au moment de l'accouchement parce que les médecins pouvaient lui sauver la vie. Ils avaient tellement peur de pratiquer un avortement thérapeutique. Il y avait, en gros, une mort du nourrisson qui était en cours, etc. Mais ça a provoqué la mort des deux, le bébé et la mère. Et la femme n'a pas été soignée et sauvée à cause de ça. Et ça a créé un énorme raz-de-marée de manifestations dans les rues en Pologne. Et l'équipe polonaise m'a dit, en fait, c'est ça le sujet. C'est mettre au courant les parents des droits dont ils disposent, juridiques, quand ils sont au sein de la maternité, pour s'assurer que ça ne sera jamais reproduit. Et on leur a donné un seul guide qui était, n'essayez pas de jouer aux ONG à la place des ONG. Vous trouvez l'ONG qui vous paraît la plus en place sur ces sujets-là. qui a un propos, qui travaille le sujet depuis longtemps, qui est reconnu, qui a des travaux scientifiques, etc. Et donner lui un coup de main. Soit financier, soit par du mécénat de compétences, etc. L'objectif, c'est surtout pas de commencer à être, nous, les pompiers, d'un truc qu'on ne maîtrise pas. Donc, eux, ils ont choisi cette cause-là, parce qu'ils ont estimé que c'était le sujet brûlant et qui allait à la fois durer quelques années quand même en Pologne. En Turquie, on est sur des sujets autour de la répartition des tâches entre les hommes et les femmes. Donc, un sujet un poil plus léger. Mais pour autant, qui est très important dans une Turquie qui est très divisée entre la Turquie rurale, la Turquie citadine. Donc, ils ont vraiment fait un choix, justement, de se dire, nous, on va être dans une marque qui prend le pari, peut-être, de dresser contre elle un certain nombre de familles peut-être plus traditionnalistes. Mais on pense que c'est notre rôle. Et donc, c'est vraiment aux équipes locales qu'on a donné ce choix-là, avec la seule directive de s'associer à des ONG qui connaissent leur métier. Oui, ayant un mari qui est en ONG et deux parents aussi contrariés dans le milieu associatif, je pars du principe que les entreprises, ce n'est pas leur rôle. Mais leur rôle, en revanche, c'est de subvenir aux besoins de ces associations ou de donner un coup de main.

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup d'entreprises, pour tout un tas de bonnes raisons, qui essayent à travers leurs actions infinies d'accroître autant que possible leur profitabilité. Il y a un critère bien identifié qui permet à posteriori à l'équipe dirigeante d'avoir un retour sur ce qu'elle a fait et sur ce qu'elle a bien fait à l'aune de ce critère. Tu utilises quel critère ? Tu utilises quel feedback ? Tu t'adresses à quelle partie prenante pour qualifier ces différentes actions, ces différents investissements ? Et peut-être à la fin de la journée pour te dire à toi-même si tu en as fait assez ou pas. Oui.

  • Speaker #1

    Alors l'avantage d'Expansion, c'est qu'on est devenu une société à mission il y a quelques années maintenant. Et ça nous donne un cadre assez précis puisqu'on est censé... Donc on a quatre objectifs de mission et on est censé... dérouler finalement des indicateurs de performance sur ces objectifs de mission à court, moyen et long terme. Et puis chaque année, on est contrôlé par une assemblée on va dire externe, qui est le comité de mission, et qui a un droit finalement de ne pas valider notre mission chaque année. Donc finalement c'est comme un commissaire aux comptes qui ne va pas valider tes comptes. Et ça je trouve que c'est très intéressant parce qu'il nous pousse énormément. sur les critères. Et notamment sur les critères, par exemple, je te donne un exemple un peu dans la veine de ce que tu me demandes. On s'est donné comme mission d'aider les individus à façonner leur bien-être, donc à avoir de l'amélioration de bien-être grâce à nos offres et à nos actions. Je pense que les plus grands débats qu'on a eu avec eux, c'est définition des critères du bien-être et de comment vous allez mesurer l'impact que vous avez sur le bien-être des gens. Donc typiquement sur les parents, par exemple sur la parentalité. on a commencé par dire, nous, déjà, on va interroger les parents qui achètent nos produits, qui lisent nos communications, puisque maintenant, on a plus de 50% de nos communications systématiquement qui ne doivent pas parler des produits, mais qui doivent parler justement, qui doivent apporter du contenu et des outils pour le bien-être des parents. Ça veut dire quoi ? Des guides sur le sommeil de l'enfant, ça peut être retour à la sexualité en postpartum, les mots tabous, les choses dont on n'ose pas parler entre un homme et une femme, etc. Donc, des choses très concrètes. issus plutôt de nos discussions avec nos parties prenantes. Puis après, on leur demande. Est-ce que vous avez trouvé ces contenus utiles ? Est-ce que ça a amélioré votre bien-être ? Pour autant, pour l'instant, ça reste du sondage. Le comité de mission a dit, c'est pas mal, mais il faut que vous arriviez à pousser encore un peu plus vos critères. De la même manière qu'on a une espèce de grille d'évaluation sur l'impact environnemental de nos produits. Et là encore, ce sont des outils. imparfaits. On utilise des analyses de cycle de vie, on utilise la réduction du taux de plastique de nos emballages, le poids, etc. Mais il manque encore plein de choses dans cette scorecard. Donc on est en permanence, chaque année, en train d'aller affiner ça. Comment on peut améliorer la mesure ? Donc là, on va rajouter maintenant l'impact carbone systématiquement et l'ACV de nos produits à l'intérieur. Et sur l'utilité aussi des produits, est-ce qu'il faut juste faire un sondage ? Est-ce qu'il faut qu'il y ait des pros de santé qui valident ça ? En fait, on multiplie tout un tas de données et c'est l'agrégation de ces données-là qui vont nous donner cette espèce de spider qui va nous permettre de dire, OK, ce produit-là, il va plutôt dans le bon sens et on vient coupler ça à la marge. Parce qu'en fait, ce qui serait idéal, c'est que d'ici trois ans, la boîte soit capable de se dire, le produit qu'il faut que je vende le plus dans mon portefeuille l'année prochaine, c'est celui qui combine le meilleur taux d'utilité et donc de bien-être pour les parents, le meilleur scorecard en environnement. Et en même temps, la marge la plus grosse. Et alors, des fois, ce sera le cas. Des fois, il y aura des produits no regret, comme on les appelle. C'est-à-dire qu'un, ils apportent zéro marge. En plus, ils sont super polluants. Et puis, globalement, ce n'est pas ça qui va rendre les gens plus heureux. Comme les lingettes, par exemple, qu'on a décidé d'arrêter. Mais il y a des produits où, en fait, il va falloir choisir. Il a la marge la plus haute, il est vaguement utile. Et en revanche, son environnement, il est pourri. Qu'est-ce qu'on fait ? Mais au moins, on aura les débats avec des données. concrètes et qui vont nous permettre de prendre des décisions et de se donner le temps qu'il faut pour faire évoluer notre portefeuille.

  • Speaker #2

    Et à quoi ressemblent aujourd'hui ces rapports de force, si je puis dire, justement, entre les dimensions marges, donc dimensions financières classiques, quelque part, telle qu'on l'entend en entreprise, dimensions sociétales, dimensions environnementales ? À quoi ressemblent les frictions ? À quoi ressemblent les hésitations ? À quoi ressemblent les sauts dans l'inconnu quand il s'agit peut-être... Pour la première fois, de mettre en retrait un critère financier qui a été, au cours de décennies passées, érigé comme l'étoile polaire, quelque part, qui doit guider les choix stratégiques d'entreprise. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de ce qui frotte effectivement dans l'entreprise, dans les circuits décisionnels ?

  • Speaker #1

    Alors... La première chose qu'on apprend à faire et qu'on a appris à faire beaucoup avec la Convention des entreprises pour le climat, ça a été évidemment de remettre en question ta boussole. Donc effectivement, qu'est-ce que tu regardes dans ta performance d'entreprise pour prendre des décisions ? Et la deuxième chose sur laquelle ils nous ont fait bosser, c'était un peu l'iceberg de toutes nos idées reçues. Et ces idées reçues, ces mythes fondateurs des écoles de management et de l'économie, sont par exemple que la croissance ruisselle. Plus depuis dix ans. C'est aussi qu'un produit clean, c'est forcément un produit moins margeur. C'est faux. Nous, ce qu'on a commencé par faire chez Expansion, ça a été de se dire, déjà, on va regarder tous ceux qui sont super bons en marge et qui sont les plus clean possibles. Ou à l'inverse, ceux qui ne sont franchement pas très profitables et qui, en plus, sont dégueulasses. Toujours commencer par le plus simple, je veux dire, comme l'eau. On va suivre la pente. Donc, on a commencé par faire ça et ça a mis tout le monde d'accord. Et ça, c'était déjà pas mal. Et ça, c'est encore aussi ma méthode, c'est de dire déjà, trouvons ce qui nous rend heureux tous ensemble. Et puis, au fil des années, on va petit à petit aller se frotter aux produits qui sont plus difficiles. J'ai un médicament, par exemple, chez nous. Un médicament, tu ne peux pas le modifier, sa composition, très facilement, sinon tu perds toutes tes autorisations sur le marché. Dedans, il y a du soja. Donc, c'est forcément très impactant pour la biodiversité quand tu achètes du soja en grande quantité. Même si c'est un coproduit de l'alimentaire soja, ça reste du soja initialement. Donc, ce sujet-là, sur un médicament qui est très profitable, il est énormément problématique. Mais en revanche, ce qu'on a fait, c'est qu'on s'est dit, on ne va pas pouvoir le modifier en composition, il faut qu'on change la source. Pour changer la source, on se donne 5-6 ans. C'est long, mais en fait, c'est la seule manière qu'on va avoir d'adresser ce sujet sans pour autant perdre toute la profitabilité de ce produit. Donc, on va tout de suite sur les parties faciles, celles qui à la fois sont plus margeuses et plus écolo. Et puis, on va aller prendre le temps d'adresser les autres. Les lingettes, par exemple, en pourcentage de marge, effectivement, ce ne sont pas des produits qui sont très profitables. Mais en masse de marge, c'était énorme quand on a pris la décision. C'est quand même 20% de notre chiffre d'affaires pour la France à l'époque. Et c'était, je crois, autour de 5% de la profitabilité de la filiale. Donc, on ne s'assoit pas sur 5% de notre profitabilité du jour au lendemain. Mais en revanche, à partir du moment où on s'est dit Attends, on se donne 3-4 ans pour sortir de cette catégorie-là. Il se trouve que c'est un produit qui n'est pas fabriqué dans notre usine, donc il n'y a pas de destruction d'emploi à attendre de cet arrêt. Bon voilà, on va se donner 3-4 ans et on sait que ce produit n'est pas valorisé. Enfin, c'est comme de vendre du PQ, objectivement. Donc, ce n'est pas ce vers quoi on va tendre de toute façon pour l'avenir de la marque. Donc, il y a eu des discussions, il peut y avoir des... pas des incompréhensions, mais des inquiétudes de la part des syndicats ou des gens du terrain au démarrage. Mais à chaque fois qu'on a discuté de manière très claire sur les tenants et aboutissants, les conclusions qu'on avait, le fait que ces produits étaient effectivement quand même pas bons du tout pour la vie des sols, etc. Et qu'on a aussi expliqué à nos gens du terrain, en fait, quand tu veux rapporter à l'entreprise autant d'argent en vendant tes lingettes qu'en vendant des soins pour les vergetures des femmes enceintes, par exemple, c'est un rapport de volume de 1 à 100. Il faut que tu vendes 100 paquets de lingettes pour apporter autant que... un produit de vergeture. Qu'est-ce que t'en penses ? En fait, en vrai, c'est possible. Donc, tout cet enjeu de simplifier, en tout cas de décomplexifier la transition, à partir du moment où on est dans la transparence, on explique pourquoi on le fait, et comment on va le faire, et qu'on se donne le temps de le faire, il n'y a pas tant de friction que ça. Après, je ne te cache pas qu'évidemment, quand il y a des tensions, ou quand on a des difficultés, et on en a tout le temps, je veux dire, on est dans un monde de plus en plus complexe, donc des difficultés et des crises, il y en a un peu tout le temps dans toutes les entreprises. C'est vrai que le premier réflexe peut être, pour certaines populations, certains métiers, de se dire oui, mais ça, c'est parce qu'on est trop écolo Donc, il faut systématiquement réexpliquer en disant non, ce truc-là, il n'a rien à voir avec nos partis pris sociétaux ou environnementaux Mais c'est vrai que c'est un peu le premier réflexe, finalement.

  • Speaker #2

    On va passer à la deuxième partie de l'entretien. Te voilà désormais archiviste. Selon toi, quel serait un événement clé qui serait méconnu, voire peut-être même inconnu, et qui a marqué l'histoire et dont les conséquences se font encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Alors là, j'ai choisi un fait historique qui me vient tout de suite, je vais donner ma source parce qu'en plus tu le connais, donc il ne faut pas que je vous fasse semblant, qui me vient d'un économiste que j'ai rencontré à la Convention des entreprises pour le climat et qui est prof à l'EM Lyon aussi, qui s'appelle Pierre-Yves Gomez. Et il se trouve que cette rencontre a été très fructueuse puisqu'on lui a proposé de devenir président de notre société à mission d'expansion. Et Pierre-Yves, il raconte... Le moment où le président Ford, aux Etats-Unis, c'est en 1974, va lancer une nouvelle loi qui s'appelle ERISA. ERISA pour Employment Retirement Income Security Act. Et en gros, c'est une loi qui va permettre aux entreprises de mettre leur épargne retraite, l'épargne retraite de leurs futurs salariés retraités, dans plein de fonds différents, plein d'entreprises différentes. Avant cette loi de 1974, tu avais l'obligation en tant qu'employeur. de mettre de l'argent de côté pour payer les retraites de tes salariés. Donc finalement, cet argent était réinvesti dans l'entreprise le temps d'eux. Et puis si l'entreprise avait de bons résultats, elle pouvait payer les retraites. Mais il y a eu une entreprise qui n'a pas réussi à le faire. Du coup, Ford s'est dit non, on ne peut pas mettre tous les oeufs dans le même panier. Donc, on va proposer aux entreprises via la bourse, qui était à l'époque très peu dotée en entreprise. En fait, il y avait finalement peu d'entreprises qui étaient cotées en bourse. Mais Ford a dit très bien, maintenant, les fonds de pension vont pouvoir... pour investir de plein de manières différentes, dans plein d'entreprises différentes, via la bourse. Et qu'est-ce qui s'est passé à ce moment-là, finalement ? C'est que vous avez un actionnariat qui ne va pas aller rechercher le bien de l'entreprise, il va aller rechercher la maximisation des profits.

  • Speaker #0

    à court terme, pour pouvoir ensuite rémunérer ces pensionnaires, enfin les gens qui vont partir à la retraite. Et qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Finalement, ça fait des envolées de cotations en bourse, parce que d'un coup, il y a des mannes d'argent qui sont disponibles sur les marchés boursiers, d'abord américains, mais ensuite, finalement, c'est un mouvement qui se déploie au monde entier, à l'Occident en tout cas. Et du coup, on se retrouve avec toutes les entreprises qui se disent Attends, mais moi aussi, je vais me coter en bourse Et donc, cette course à la cotation en bourse, couplée à... à la course à des promesses de croissance de profit chaque année pour avoir plus de gens qui mettent de l'argent dans son entreprise, les entreprises annonçaient l'année prochaine, on va faire de la croissance, plus 10, plus 20, plus 30, etc. Et c'est vraiment le démarrage de cette financiarisation de l'entreprise où on se dit finalement, pour pouvoir être à la hauteur des promesses qu'on a faites à nos actionnaires en bourse, il faut faire plus de croissance. Pour faire plus de croissance, il faut lancer plein de produits. Et moi, quand je suis rentrée chez L'Oréal, c'est vraiment le truc qui m'a... Et franchement, ce n'est pas que L'Oréal, je pense que vraiment, il joue le jeu comme beaucoup, beaucoup de très grosses entreprises. C'est qu'est-ce qu'on pourrait bien lancer l'année prochaine pour faire plus de CA et plus de profit au final ? Et peu importe si ces produits sont utiles, s'il y a un vrai besoin de ces produits-là. Peu importe à l'époque, même si maintenant, je pense que ça a changé dans des grosses boîtes comme L'Oréal, l'impact environnemental ou sociétal de ces produits, etc. Donc, on se retrouve finalement avec une entreprise gouvernée par les ratios financiers et non pas des ratios financiers qui sont... au service d'une analyse de l'état de santé de l'entreprise. Moi, dans ma boîte, c'est typiquement le genre de truc qu'on essaye de changer aujourd'hui, qui est de se dire, qu'est-ce qu'on regarde ? Je te parlais de boussole. Qu'est-ce qu'on regarde ? Ok, un ratio financier peut être utile, évidemment. Il te dit ton taux d'endettement, il te permet de voir si la croissance de tes profits est au moins aussi grosse que la croissance de ton chiffre d'affaires, parce que si tu crois trop en chiffre d'affaires et pas assez en profits, ça veut dire que finalement, tu as tout le temps besoin de vendre plus. ou plus cher pour faire une valeur absolue de profit qui est toujours la même, ce n'est pas très bon signe, etc. Donc les ratios, ça peut être intéressant. C'est une partie de la boussole. Pour autant, si tu regardes que les ratios, tu ne vois pas arriver la crise Covid, tu ne vois pas arriver les logistiques qui s'effondrent complètement sur toute la planète, tu ne vois pas arriver le mec qui coince son bateau au milieu du canal de Suez et qui va faire que pendant 7 mois, c'est plus intéressant de faire voyager tes marchandises en avion qu'en bateau. au détriment de toute décarbonation possible, évidemment. Donc finalement, on a tous réalisé dans les années 2020 que nos entreprises étaient des géants au pied d'argile, qu'on était extrêmement fragiles, et que même si on avait les ratios au top, ça ne suffisait pas pour prévenir les crises. Donc on est rentrés, nous, dans une logique d'anticipation et de recherche d'adaptabilité, de robustesse. Pendant trois années de suite, je pense, j'ai fait des vœux aux salariés en disant bon, l'année dernière, c'était vraiment super difficile et tout, mais vous avez été au top au top, vraiment merci, et l'année prochaine, ça va aller mieux, l'année d'après. Bon, l'année dernière aussi, ça a été vraiment compliqué, mais vraiment, vous avez été au top, mais là, je suis sûre que ça va s'améliorer. La troisième année, j'ai dit, bon, c'était pas flambard l'année dernière, ça devrait pas être génial non plus l'année prochaine, globalement, il va falloir s'habituer à vivre en crise, même si notre boîte s'en est plutôt très bien sortie, juste, c'était un chaos permanent, c'est-à-dire qu'on avait, ah, telle matière première, finalement, est bloquée aux douanes, on n'arrive plus à avoir ça. Le mec a fait faillite, qu'est-ce qu'on fait ? On n'a plus de fournisseurs de ci, de ça. Enfin, il y avait des crises partout. Alors certes, ça s'est un peu calmé. Derrière, on a eu la guerre en Ukraine. On a dû mettre en sommeil notre filiale russe. Donc c'est 4 millions de profits directement qui sont partis d'une année sur l'autre. Et l'année encore d'après, il y avait le Covid chinois, qui avait deux ans de retard par rapport au reste. Et on a perdu 6 millions de profits d'un coup, parce que pas prévu, parce qu'un marché qui s'explose complètement. Donc là, ce sujet-là... on se rend bien compte que les lunettes utilisées depuis 30 ans ou 40 ans par les financiers pour regarder la santé d'une entreprise ne suffisent pas. Donc aujourd'hui, la question est vraiment de se dire, compter ce qui compte, être en capacité de regarder quelles vont être les matières premières qui vont être disponibles ou non disponibles, les sources d'énergie qui vont être non disponibles à l'avenir, et on se met petit à petit à entrer dans une comptabilité en triple capital. Je ne sais pas si ça c'est un sujet qui est abordé avec tes étudiants, mais... Pour moi, c'est plus possible d'apprendre la finance à quelqu'un si on ne lui apprend pas l'extra-finance. Ça n'a plus de sens. Donc aujourd'hui, je donne un exemple tout bête. Faire un produit solide, par exemple un shampoing solide, c'est faire un produit qui n'a pas d'eau. 100% de la matière qu'on met dans ce shampoing solide, on la paye. Quand on fait un gel douche ou un shampoing liquide, il y a entre 50 et 70% d'eau du robinet qui fait partie de la composition de ce produit. Paye l'eau, on la paye vraiment pas cher en France. Donc évidemment, la profitabilité, le taux de marge d'un shampoing solide est toujours bien inférieur au taux de marge d'un shampoing liquide. Mais si demain, on paye l'eau, vraiment, ou même qu'on nous dit vous n'avez plus le droit d'utiliser autant d'eau qu'avant, vous êtes rationné, etc. Mais là, la profitabilité du shampoing solide, elle va exploser. Donc le ratio lui-même, s'il n'est pas comptabilisé avec les bonnes données du futur, ça ne sert à rien. On a eu trois étés de suite, alors pas cet été, mais les trois étés d'avant, où la préfecture a dû fermer entre 1 et 25 jours des usines. Autour de nous, en Eure-et-Loire, parce qu'il y avait un stress hydrique tel, qu'ils ont dit Non mais toutes les entreprises qui n'ont pas fait d'économie d'eau vraiment substantielle ces dernières années, on vous coupe l'eau pendant X jours. Nous on a eu, je crois, une journée ou une demi-journée de coupe l'année d'avant, mais comme on avait fait pas mal d'économies, etc., on n'a pas été les plus touchés. Mais on a vraiment eu une usine à côté de nous qui a fermé 25 jours, 25 jours de production en moins, c'est juste une catastrophe financière pour le coup. Donc aujourd'hui... On fait des investissements, quand on fait des investissements, et notamment sur le circuit d'eau, si on applique le prix de l'eau actuel, le ROI de ces investissements, il est à 19 ans. Donc c'est l'équivalent d'une centrale nucléaire. Si on applique un prix de l'eau fictif, où on se dit, il y aura moins d'eau, on va nous couper l'eau, l'eau nous coûtera tant, on peut redescendre notre ROI à 6-7 ans. Tout ça, ça reste encore fictif, la comptabilité en triple capital, c'est un exercice théorique, mais qui est très utile pour envisager ce qui va se passer dans l'avenir pour la santé de notre entreprise.

  • Speaker #1

    Avec ce que tu viens de dérouler, j'ai facilement 3, 4, 5, peut-être plus questions à te poser. Je vais essayer d'être moi-même sobre en question. La première qui me vient, c'est que tu as parlé de paire de lunettes, de façon de voir le monde. J'établis un lien direct avec un cours suivi par les étudiantes et étudiants en première année du programme Grande École à EBM Lyon où on leur demande, en interaction avec un dirigeant ou une dirigeante d'entreprise, d'essayer de comprendre Quelle est la grille de lecture de ce dirigeant ou de cette dirigeante ? Quelle est sa façon à elle ou à lui de voir le monde, de comprendre le monde, de retenir certains signaux, d'en éliminer d'autres, de donner du sens en fait à ce qui se joue autour de son entreprise ? Si toi t'es face à une autre dirigeante, à un autre dirigeant, quelles questions tu lui poses ? À quoi es-tu attentive pour essayer d'esquisser le portrait robot du monde tel que cette interlocutrice le perçoit ? Comment tu fais ?

  • Speaker #0

    Alors, en fait, c'est très intéressant d'observer la grammaire des gens avec qui tu discutes. Parce qu'on a tous fait à peu près les mêmes écoles, les mêmes études. Donc, quand tu vas parler des résultats de ton entreprise, c'est intéressant de voir de quoi ils te parlent, par exemple. Donc, est-ce qu'ils vont te parler de prévision de croissance, comme si c'était l'alpha et l'oméga de leur entreprise ? Ça, ça m'intéresse toujours. Mais tu sais, cette grille, je l'utilise même pour quand des gens me démarchent. On reçoit tous plein de mails pour dire, oui, votre entreprise a besoin de ci, de ça. Et je suis toujours scotchée qu'il y a encore des gens qui m'écrivent pour me proposer des techniques pour faire de la croissance à trois chiffres, par exemple. Je me dis, bon, eux, ils n'ont pas trop travaillé leur cas, leur targeting. Donc, effectivement, est-ce que la croissance est une fin en soi pour le dirigeant ? Est-ce qu'elle n'a pas de limite ? potentiellement. C'est toujours très intéressant de le voir. Et j'ai pu l'observer chez des gens qui étaient sur des boîtes assez anciennes, avec un modèle ancien. Mais je l'ai aussi beaucoup observé sur des start-upeurs qui, finalement, se disent avec un modèle hyper vertueux, mais dans la mesure où ils estiment que leur modèle est vertueux, l'hypercroissance, pour eux, ce n'est pas un sujet. Moi, je doute quand même aussi de ça en permanence. Je pense que même une start-up, à part une start-up de l'ESS, qui a vraiment une... dont le seul objectif et la seule production, c'est de réparer les gens, ok, on peut admettre que l'hypercroissance est souhaitable. Mais sinon, tu mets un bien de consommation sur le marché, imaginez que ça doit tout remplacer. Pour moi, c'est un problème. Ensuite, il y a le modèle managérial. C'est toujours intéressant de regarder si ces gens-là connaissent la notion de subsidiarité, par exemple. Pour moi, c'est assez éclairant. ou s'ils sont sur cette idée, quand ils parlent, ils disent je tout le temps. C'est cette idée que c'est finalement eux, le penseur absolu, unique. Après, il y a la notion de transparence, c'est-à-dire les gens qui me disent aussi bien ce qu'ils font de bien que ce qu'ils font de mal, me donnent à penser, pas que je les aime plus ou moins, mais me donnent à penser qu'on a une grille de lecture proche. Moi, j'ai aussi... très longtemps, donc chez L'Oréal, où on nous interdisait de parler des choses qui n'allaient pas. Et je trouve ça dommage, parce que par ailleurs, chez L'Oréal, ils font plein de choses super cool. Objectivement, j'ai vu dans cette boîte plein de choses affreuses et aussi plein de choses formidables. Et je pense qu'on gagne toujours à être dans la transparence. parce que c'est plus crédible aujourd'hui qu'une entreprise soit parfaite, qu'elle fasse tout bien. Personne n'y croit. Donc en revanche, je pense être capable d'avoir la capacité de dire ce qu'on fait très bien et ce qu'on fait très mal, et quels sont encore les points d'amélioration, les trucs qu'on aurait envie de mettre sous le tapis, pour moi c'est clé, parce que ça permet de se dire je veux m'intéresser aux points d'amélioration et pas uniquement faire de la communication. Pour ne pas dire du greenwashing. Voilà globalement ce que je regarde, le vocabulaire. effectivement quels sont leurs indicateurs de performance. Même le mot performance devient sensible maintenant, ce que j'ai écouté Olivier Hamon hier dans une conf, et il n'a pas tort. C'est vrai que la sous-optimisation dans un régime en crise en permanence, par exemple, ou très souvent en crise, être en capacité de ne pas être tout le temps sur régime, ça va être clé. Moi, je vois les équipes aujourd'hui qui ont tendance à tellement s'engager sur les sujets, qu'elles voudraient que ça aille plus vite, qu'elles voudraient tout réussir, et je leur dis... Guys, on ne va pas réussir à tout faire très vite. Il y aura des écueils, il y aura des échecs. On en apprendra des choses. Donc, apprenez aussi à ne pas vouloir être tout le temps à 100%. Parce que le jour où il y a une crise, là, il faut que tout le monde soit à 100%. On ne peut pas être en permanence à 100%. Donc, voilà, c'est un peu ces sujets-là que je regarde chez une personne. Et après, j'avoue, mais ça, c'est mon petit côté bobo-chiante, je regarde toujours si les gens sont partis en vacances à Bali en avion pour trois jours ou s'ils ont pris le train. pour aller jusqu'à Rome. Tu vois, c'est un petit indicateur aussi. Bon, voilà. Mais c'est un peu jugeant, j'avoue, c'est pas terrible.

  • Speaker #1

    On va arriver à la troisième et dernière partie de l'entretien. Donc, tu as été face à l'oracle, tu viens d'être archiviste, tu nous as ramené la loi ERISA, d'ailleurs d'un président américain qui n'a pas été élu par le peuple. Il est devenu président suite à l'affaire du Watergate et à la démission ou à la destitution de Nixon. Je n'ai pas le vocabulaire exact à l'esprit. Et maintenant, te voilà acupunctrice. Est-ce que tu peux nous partager, selon toi, une décision, une action, une intervention, c'est l'un ou l'autre à chaque fois, qui pourrait aujourd'hui contribuer significativement à la fabrique d'un monde, disons, plus habitable. Tu as un seul moment pour intervenir dans le système monde, tu fais quoi ?

  • Speaker #0

    Alors déjà, moi, j'avais un petit sujet avec le monde habitable. Je ne me sentirais pas capable, moi, de participer à la fabrique d'un monde habitable. Je trouve que c'est tellement lourd et dur. Donc j'aurais dit plutôt... fabriquer ou inventer un modèle de société compatible avec les limites planétaires. Parce que je ne sais pas, en fait, le vivant est tellement en Qatar, à cause de nous, que je ne sais pas si on va être capable réellement d'inverser la courbe. On sait qu'on peut faire beaucoup de mal à la biodiversité, à la vie des sols, etc. Je ne suis pas sûre qu'on ait les moyens, même avec une petite aiguille d'acupuncteur, de corriger ça. C'est peut-être en lui foutant la paix en fait que... Donc la question c'est quels sont les modèles de société qu'on pourrait inventer et qui permettraient au moins aux vivants de se reconstruire. C'est un peu ça, c'est un peu l'idée. Et je vais parler plutôt d'une intervention au niveau entreprise parce que c'est quand même à ce titre-là que je suis là aujourd'hui. Même si j'ai plein d'idées aussi sur comment on accueillerait les personnes qui migrent pour des raisons d'effondrement écologique. Mais ça c'est plus des interventions de type politique. Donc, je vais les garder pour moi-même. Mais effectivement, mon idée, c'est plutôt de travailler sur l'atterrissage. Les entreprises aujourd'hui, et depuis, on va dire, 30 ans, 40 ans, se sont hyper mondialisées. Moi, même chez Expanscience, on a beau essayer de retravailler sur quelque chose de plus resserré, et j'en parlerai après, on achète nos matières premières. En gros, il y a une équipe marketing qui va donner un briefing aux gens des labos. qui vont imaginer un produit, qui répondent à ce brief. Et puis ensuite, ils vont donner une liste de courses aux acheteurs. Et puis les acheteurs, eux, ils vont se dire, bon, ok, je dois acheter 50 matières premières, au meilleur coût et à la meilleure qualité. Ça, c'était le brief initial. Et qu'est-ce qui se passe en général ? Ils vont aller acheter des matières premières à l'autre bout de la Terre, dans plein d'endroits du monde. On va les faire voyager, si possible, en bateau, etc. Ok, le plus clean possible. Mais enfin, quand même, ils viennent jusqu'à Épernon. On fabrique notre produit et on renvoie ces produits à l'autre bout de la terre, dans les 100 pays où on est distribué. Ça, ça doit changer. Et ce n'est pas une question de morale. Ça doit changer parce que justement, pendant la période Covid, on s'est rendu compte qu'on était dépendant 1 de territoire où on n'est pas sûr qu'il n'y aura pas de guerre dans les années à venir. Que ce soit la Chine, que ce soit l'Ukraine, où on achetait notre huile de tournesol à 100% en Ukraine. Il se trouve que trois mois avant la guerre en Ukraine, on était en pleine CEC et on a commencé à faire la cartographie de nos dépendances et on s'est rendu compte qu'on était dépendant à 100% d'un territoire qui lui-même était quand même extrêmement menacé. quelques années avant avec le Donbass, etc., on savait que l'Ukraine, c'était quand même pas un pays où tout était rose. On s'est dit, là, on ne peut pas être dépendant à ce point-là. Donc, on a commencé à diversifier un peu nos sources. Et heureusement qu'on l'a fait, parce que trois mois plus tard, il n'y avait plus rien qui sortait d'Ukraine. Donc, effectivement, aujourd'hui, c'est une question de survie des entreprises, déjà de commencer à se poser sur son territoire et arrêter d'aller acheter les trucs à l'autre bout de la Terre. Mais déjà, commencer à se dire, qu'est-ce qui serait ? maîtrisable comme source d'approvisionnement et en général, c'est quand même d'autant plus maîtrisable quand c'est pas trop loin de chez toi. Alors aujourd'hui, on n'y arrive pas, on n'est pas du tout à 100% sur du local, mais en revanche, on apprend à le faire. Parce que du coup, la matière définit ton brief. Alors qu'avant, c'était ce que va faire ce produit, on aimerait qu'il soit bleu, qu'il soit doux, qu'il soit qui sent je sais pas quoi, etc. Et après, on allait chercher les matières. Donc là, c'est un peu comme de la permaformulation qu'on essaye de faire avec les équipes des labos, c'est-à-dire qu'ils regardent ce qui pousse autour de chez nous en Eure-et-Loire. Donc il y a du tournesol, c'est de la monoculture, c'est pas terrible, donc il faut trouver des gars qui font du tournesol en bio si possible, en sol couvert, sans trop retourner la terre, etc. Mais il y a aussi du lin, pas mal de culture du lin, qui en plus le lin est plutôt dépolluant sur les sols, donc c'est intéressant. Il y a aussi sur les bords de Loire ou les affluents de la Loire, pas mal de... plantes invasives issues d'aquariums que les gens ont jetés et tout. Et donc, en regardant tout ça, finalement, en atterrissant sur ce territoire, on se rend compte qu'il y a plein de matières intéressantes. Et on est en train de les valoriser et de regarder si on est capable de les transformer de plein de manières différentes. Parce que, pour le coup, notre usine, elle est très bonne pour extraire des coproduits de matières premières. Et avec ça, voir si on est capable de fabriquer des soins essentiels qui pourraient se substituer à ceux qu'on a aujourd'hui. Donc, c'est une autre méthode de travail. Ça va prendre une dizaine d'années pour apprendre réellement à faire ça. Mais là, pour le coup, c'est pour moi de la robustesse. C'est-à-dire que si on sait faire ça, si on a ce savoir-faire, on est capable ensuite de le réappliquer dans d'autres pays où on est. Parce que c'est bien de le faire sur l'or et l'or, mais du coup, si tu veux vraiment être local, ça veut dire que ce produit, tu ne le vends qu'en France, ou aller en Europe pour être vraiment sur une région du monde. Mais ça veut dire que demain, il faudra qu'on soit en capacité de se dire qu'est-ce qui pousse au Brésil et qu'on pourrait prendre, et avec ça, on pourrait faire nos 4-5 soins les plus essentiels. Idem sur les Etats-Unis, etc. Et ça voudra dire aussi que cet atterrissage et cette relocalisation, finalement, elle va être multizone. Et elle pourrait permettre de changer aussi la notion de marque. C'est-à-dire que les gens n'achèteraient plus Mustela parce qu'ils adorent la texture de tel produit, qui pourrait être réplicable par n'importe quel concurrent, objectivement. Mais qu'en revanche, ce qui les intéresse, c'est qu'ils s'assurent, quand ils achètent un produit Mustela, que ce produit ne contribue pas à détruire l'environnement ou l'enfant. qui vont laver, va grandir. Mais au contraire, que ce soit un produit qui va plutôt contribuer à une agriculture régénératrice ou protectrice des sols et locale. Donc c'est d'autres critères finalement, d'autres attributs du produit qu'on aimerait travailler. Et ça, c'est très prospectif parce que pour l'instant, on a des consommateurs qui ne sont pas encore tout à fait prêts pour ça. Mais que ça tombe bien, comme ça va nous mettre une dizaine d'années pour être capable de le faire. Il faut qu'on soit prêts d'ici là. Donc l'atterrissage, c'est l'intervention que je proposerais, c'est un réancrage, un réatterrissage. Je donne un exemple aussi de coopération locale qu'on a trouvé récemment. Juste notre directeur des opérations industrielles, Jean, qui habite pas très loin du site de production, tous les matins, il passait avec sa voiture devant une ferme expérimentale de chez Bongrain. Un jour, il s'est arrêté. Il vendait du frometon, tout ça. Donc, il allait discuter avec les gars. Et les types ont dit, ah bah oui, mais nous, on est ferme expérimentale. On a une chaudière biomasse maintenant. Donc, on a beaucoup moins d'émissions de gaz à effet de serre. On a notre forêt qu'on gère nous-mêmes, etc. Donc, comme ça, vraiment, le bois qu'on met dans la chaudière biomasse est local. On a aussi une petite station de méthanisation. D'ailleurs, on manque un peu de boue pour nourrir cette station. Et en fait, rien qu'en discutant avec ses voisins, on s'est rendu compte que les bouts de lavage, dont on ne savait que faire, issus des cuves. On a des cuves où on fait nos cosmétiques et puis après, il faut laver ces cuves. Et ça crée de l'eau, d'un côté, qu'on retraite, mais aussi des bouts. Et en fait, ces bouts et ces eaux de lavage, on était obligés d'aller les mettre dans des cuves. camions-citernes qu'on envoyait à 400 km de chez nous pour aller les retraiter avant de pouvoir les remettre dans les affluents et les rivières du coin. Ce qui est normal. Mais en fait, là, les mecs nous ont dit, Ah mais non, mais nous, ça nous intéresse parce qu'il y a de la matière organique dans vos produits. Donc nous, ce qu'on veut faire maintenant, c'est utiliser vos bouts. Donc en fait, c'est devenu une opération 1, blanche financièrement puisqu'on n'avait plus les coûts de tous ces transports-là. 2, ça nourrit cette usine de médianisation locale et donc ça crée de l'énergie. Donc encore une fois, une coopération très fructueuse et à 10 km de chez nous. Et il se trouve que derrière, on s'est dit, mais dis donc, ta chaudière biomasse, c'est intéressant. Et donc là, on est en train d'investir pour changer le mix énergétique de notre usine, passer en chaudière biomasse comme eux et utiliser en partie le bois qu'ils utilisent eux, parce qu'ils en avaient trop. Et donc, ça va nous permettre de baisser très fortement notre mix énergétique et nos gaz à effet de serre. Donc atterrir, coopérer et favoriser des écosystèmes de coopération. C'est ça l'intervention qui, pour nous en tout cas, a été bénéfique dans la méthode pour apprendre et trouver des solutions, histoire d'être en compatibilité avec les limites planétaires. Coopérer, c'est coopérer aussi avec nos concurrents. On a proposé à nos concurrents de venir avec nous ouvrir des machines de vrac dans les pharmacies. Ils n'ont pas compris au début qu'on puisse aller les voir. On leur a dit, nous ça fait deux ans qu'on le fait tout seul, on pense que c'est moins efficace, venez avec nous, si on a plus d'offres, on sera plus fort. Et on leur a donné en open source... toutes nos études de compatibilité, de bactériologie, les indices de cycle de vie, etc. Donc cette coopération-là est très fructueuse, je pense.

  • Speaker #1

    Avec les exemples que tu nous partages là, ce qui me vient à l'esprit, en pensant aux étudiantes et aux étudiants, c'est que tu dois être déjà à la recherche, ou tu vas être à la recherche de nouveaux profils, de nouvelles compétences, de nouveaux diplômés des écoles, que ce soit des écoles de management, d'ingénieurs, de design, filières universitaires. Est-ce qu'aujourd'hui, pour donner toute la substance nécessaire à cette nouvelle grammaire d'entreprise que tu es en train d'écrire, tu as tous les profils dont tu as besoin ? Ou alors, est-ce que tu as déjà repéré des profils que tu souhaiterais voir affluer vers ton entreprise, des compétences ? Tu les touches du doigt, mais tu ne les as pas encore à disposition au sein du groupe. Qu'est-ce qu'il te faut pour... compléter quelque part la photo de famille d'expansion, c'est être en mesure de parfaitement déployer cette nouvelle grammaire stratégique ?

  • Speaker #0

    Alors, ma première réponse, elle est autour déjà de... Il y a plein de métiers qui changent en interne. C'est-à-dire que ce n'est pas des nouveaux métiers, mais c'est juste que la définition des métiers, elle change. Les acheteurs, dont je te parlais tout à l'heure, qui allaient à le bout de la terre pour chercher les produits de meilleure qualité, meilleur prix, aujourd'hui, il faut qu'ils deviennent des négociateurs. consortium avec d'autres contre des géants de type BASF etc. pour les pousser à être dans la traçabilité etc. Donc c'est plus du tout les mêmes enjeux. Il y a de la négociation de prix, évidemment, toujours chez un acheteur. Mais la première chose qu'il regarde c'est est-ce que je sais du champ au flacon, d'où vient exactement cette matière ? Est-ce que je suis sûre que ça ne participe pas à de la déforestation ? D'autant plus que maintenant il y a des lois sur la déforestation importée qui vont faire qu'on va être obligé de prouver ça. Et ça, c'est aux acheteurs. C'est les acheteurs qui doivent retomber sur leurs pattes avec ça. Donc, il y a des métiers qui sont en train de se changer. Et donc, effectivement, aux jeunes diplômés, je dirais, si vous devenez acheteur, renseignez-vous bien sur le métier que ça va devenir. Je pense qu'il n'y a aucun métier aujourd'hui dans mon entreprise qui ne va pas être profondément bouleversé dans les dix années qui viennent. Que ce soit à cause de ses limites planétaires ou à cause de l'intelligence artificielle. C'est pour ça que c'est les deux sujets qui focalisent mon attention, parce que finalement, c'est deux énormes... pression qu'on va opérer sur les sociétés humaines. Donc les acheteurs, pour moi, c'est un nouveau métier qui est aussi sur un métier de coopération plus que de négociation violente. Alors je ne dis pas que les acheteurs avec qui on bosse actuellement sont des négociateurs violents, pas du tout, mais quand même, j'ai en tête que quand tu voulais être acheteur, tu étais quand même un peu le mec qui pose tes couilles sur la table et qui dit ce sera ça le prier ou rien d'autre. Pas du tout. Aujourd'hui, notre objectif, c'est vraiment que les gens avec qui on va faire affaire puissent gagner suffisamment pour être bien, pour être pérennes. C'est la longévité de la relation qu'on va aller rechercher. Comme on a un scope 1, 2, 3 à traiter sur le carbone notamment, mais sur la biodive aussi, si nos sous-traitants, nos suppliers ne sont pas eux-mêmes en train de se changer, notre bilan sera toujours aussi pourri. Donc l'acheteur, son boulot, c'est aussi d'éduquer et de former ses sous-traitants à limites planétaires, fresques du climat, etc. Donc leur métier change radicalement. Le marketing change radicalement. Moi, j'ai besoin de nouveaux marketeurs. Alors aujourd'hui, j'ai des marketeurs qui sont en train d'inventer un nouveau marketing. Il y a deux ans, ils ont décidé, la directrice marketing de Mustela est rentrée de la CEC justement en me disant, pour qu'on tue la fonction marketing. Alors je dis, c'est dommage quand même, c'est ton boulot. Il me dit, ouais, mais on ne peut pas, il faut inventer des nouveaux récits, on ne peut pas continuer à inventer des produits qui ne servent à rien, enfin, ce n'est plus possible. Et donc là, ça fait deux ans que les équipes de toutes les activités, pas uniquement sur Mustela, mais aussi sur tout ce qui est bien vieillir et rhumatologie, ils travaillent sur c'est quoi notre nouveau métier, c'est quoi nos critères justement pour savoir si un produit est utile, pas utile au bien-être des parents. Donc ils rentrent dans des logiques d'analyse. de data et de faire des choix, faire les bons choix. Donc un gros travail sur l'éthique, ce qui n'était pas du tout le cas d'un marketeur, je pense, il y a encore 20 ans, quand moi j'ai commencé à bosser. Et après, la gestion se change énormément. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on ne décorrèle pas le financier de l'extra-financier. Donc finalement, les équipes qui travaillent sur le contrôle de gestion et sur la finance sont obligées de se former à la comptabilité en triple capital. à la comptabilité carbone. Donc l'IT est très en prise aussi avec ça, c'est-à-dire comment tu récupères la data, comment tu la flèches au bon endroit, comment tu donnes finalement le pouvoir à chaque salarié de faire les bons choix en n'ayant pas uniquement le seul prisme des euros pour prendre des décisions. Donc la gestion, aujourd'hui, on a un duo magnifique qui travaille sur les bilans carbone, enfin les budgets carbone de chaque pays et des équipes corporate autour de leur voyage professionnel. On a commencé comme ça. Et donc cette année, on leur a donné un budget carbone sur leur déplacement professionnel. Au début, on avait dit on interdit, on baisse, on était dans le top-down, et ça grognait de partout. Et en fait, moi j'ai réalisé que c'était une grosse erreur de ma part de vouloir sortir le bâton sur un sujet comme ça. Donc on a dit, ok, voilà combien vous avez dépensé en carbone l'année dernière en voyage professionnel, équipe par équipe. Voilà notre trajectoire carbone SBTI. Il faut donc diminuer de temps l'année prochaine. Donc voilà votre nouveau budget carbone. Après, vous en faites ce que vous voulez. Vous voulez aller voir huit fois le même distributeur parce qu'il est compliqué ? Vous y allez huit fois. Mais vous n'aurez aucun autre voyage à la place. Ou alors, si vous faites ça, ça veut dire que vous n'avez aucun moyen de vous tromper dans vos commandes parce que tout ce que vous allez recevoir, ce sera en bateau. Et si vous avez la moindre erreur, un voyage en avion, en cargo sur une palette, c'est monstrueux. Vous ne pourrez pas. Donc au moins, on leur donne le souci de bien faire. On leur donne un chiffre objectif. et après ils se débrouillent. Et c'est assez rigolo de voir que ça c'est des sujets où en fait les gens se prennent au jeu, comme ils se prenaient au jeu de réussir le chiffre d'affaires, ils se prennent au jeu sur le chiffre du carbone. Donc on a aussi tout un travail autour de la motivation des gens et comment tu trouves les bons leviers pour faire changer leur métier tout en restant ludique et sans rendre trop grave non plus leur quotidien.

  • Speaker #1

    Ce qui me venait à l'esprit en t'écoutant parler finalement de cette nouvelle nouvelle richesse professionnelle qui est proposée, de cette considération non seulement pour la réussite financière mais pour la réussite en termes de gestion d'un bilan carbone, en termes de respect des limites planétaires, de non franchissement ou de défranchissement si l'expression existe des limites planétaires. Ce qui me vient à l'esprit c'est tu proposes aussi avec toutes celles et tous ceux qui travaillent dans ton entreprise ou qui pourraient la rejoindre, d'habiter un nouveau rapport au monde, d'être quelque part traversé par un ou plusieurs nouveaux imaginaires qui sont encore en émergence et qui, quand même, assez largement, sont incommensurables avec les imaginaires encore dans beaucoup d'entreprises dominants où la réussite, où le succès, c'est nécessairement la progression dans la hiérarchie, c'est l'émission à l'international, idéalement très très loin de son camp de base. Comment ça se passe en interne dans ton entreprise, cette espèce de bataille, le mot est peut-être un peu fort, des imaginaires ?

  • Speaker #0

    Écoute, ça se passe pas trop mal. Cette année, on a sûrement pris les trucs dans le mauvais sens, mais c'est comme ça, c'est la vraie vie. Cette année, on s'est rendu compte qu'il fallait qu'on fasse évoluer notre culture d'entreprise, par exemple. Parce qu'on avait commencé, en gros, après la CEC, on a fait fresque du climat pour les 1150 salariés de l'époque, maintenant on est à 1245. Ça veut dire que même les opérateurs de l'usine, de nuit, ils ont fait la fresque du climat. Fresqués par des internes d'ailleurs. On avait fait former des fresqueurs internes, etc. Donc, vachement de dialogue et tout, hyper intéressant. Beaucoup de colère d'abord, comme toute personne fresquée. On est peut-être dans le saut, on n'est pas heureux, on est en colère. Et puis après, on remonte la pente et tout. Donc, une année de prise de conscience pour s'assurer qu'on parlait tous le même langage, qu'on avait tous compris le même constat. Et puis, pour leur montrer qu'on avait quand même une feuille de route et qu'on ne les laissait pas juste tout seuls avec leur désespoir, mais qu'on les mettait en action avec tout un sujet d'appropriation. individuelle de chacun, se dire, alors je dis pas que tout le monde y a réussi, mais une grande partie des salariés se disent, bah moi ma mission pour faire marcher la feuille de route, c'est ça peut être des toutes petites choses, ça peut être des choses très grosses, ça dépend de votre boulot. On fait ça la première année. Ça a pris en vrai un an et demi pour vraiment faire digérer ces sujets-là, l'accepter, puis se rendre compte qu'en fait, ça donne envie d'aller bosser le matin, etc. Assez vite face à ça, tu as je suis hyper motivée Quand je ne l'étais pas forcément avant, je deviens super motivée. Mais en revanche, il n'y a rien qui marche, les processus sont pourris, et puis la IT, ça ne va pas, le système d'information. Enfin, je n'ai pas les outils pour. Logique. Donc, on s'est dit, OK, maintenant, il faut qu'on mette de l'infrastructure. Il faut qu'on passe de l'infrastructure 0.0 à 4.0, parce qu'on a des idées 8.0, mais on n'a pas encore les routes et tout ça. Donc, il y a eu un travail commencé l'année dernière, qu'on continue cette année vraiment de... On a mis Business Process Owners, là c'est un nouveau métier qu'on a intégré dans l'entreprise. Il y a tout un travail autour de la data qui va prendre pas mal d'années aussi, donc on va un peu mettre ces infrastructures. Et en fait, après ça, on s'est rendu compte qu'il y avait une histoire de comportement aussi à aller travailler. Pas au sens du comportement, le bon élève ou le mauvais élève. Mais vraiment, quelles sont les attitudes ? C'est du behaviorisme, c'est on aura beau mettre les bons process, les bonnes infrastructures, les bons outils, si les gens continuent à... pas savoir se faire des feedbacks positifs, à ne pas partager leurs échecs, mais à ne partager que leur grand succès. En fait, du coup, les échecs vont continuer à se répéter d'une équipe à l'autre, parce qu'on aura mis sous le tapis la poussière pour surtout pas dire, j'ai essayé ça, ça n'a pas du tout marché, ne le refaites pas. Donc, il y a eu, en fait, cette prise de conscience qu'il fallait changer de culture. Et là, l'équipe RH, COM, ils ont été super, parce qu'ils ont dit, non, non, mais c'est pas nous au comité de direction qui allons choisir la culture cible. On va demander aux salariés de le faire. Ce qui va nous permettre aussi d'aller chercher tout ce qu'on fait de mal au niveau de la hiérarchie du management. Parce que si c'est nous qui influons, on va dire oui, vous devez être plus autonome, machin, évidemment, comme d'habitude, faire plus avec moins. Mais en fait, il y a peut-être un vrai problème managérial aussi à régler. Et donc, il y a eu des groupes de travail et ils sont arrivés à, je crois, six comportements souhaitables. Dans ces comportements, il y avait déjà des choses qu'on faisait. chez Expansion 5, autour de l'engagement, notamment parce que c'est une boîte qui n'a pas attendu 5 ans pour être très engagée. Ça fait depuis 2004 qu'on a signé le pacte de l'ONU, donc je pense qu'il y avait déjà un vrai substrat dans la boîte. Mais en revanche, il y a eu toutes ces notions dans les comportements de valoriser le chemin, c'est-à-dire accepter qu'on expérimente, qu'on teste des trucs, et qu'en revanche, on s'obstine pas si ça marche pas. On fait tout de suite un retour d'expérience en disant Ok, ce truc n'a pas marché, voilà pourquoi il n'a pas marché. soit on change légèrement de voie pour retenter, soit c'est un vrai échec, c'est un four. On le dit haut et fort à tout le monde, on ferme cette porte. Et tant mieux, on se félicite d'avoir fait cet échec parce que ça nous permet d'arrêter d'essayer des trucs qui ne servent à rien. Ça, c'est sûr, cette porte, elle est fermée, on ne la prendra plus jamais. Donc, il y a eu cette histoire de l'échec. Et du coup, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'au niveau managerial, il faut accepter que les gens se plantent. Donc, ça nous a obligés à nous dire, OK, donc attention, quand il y a un problème, on ne va pas aller chercher le coupable. On va aller chercher la raison de l'échec pour en faire une leçon. Ça, c'est un exemple parmi d'autres. Il y a aussi tout un sujet autour de s'écouter, écouter, vraiment avoir de l'écoute active. Et ça, c'est autour de la diversité, parce qu'on est quand même sur 13 filiales différentes et donc accepter que tout le monde n'a pas les mêmes modèles culturels, etc. Donc, ce n'est pas toujours des points faciles, ça va mettre du temps à l'instaurer. Mais ce qui est génial, c'est que c'est quelque chose qui a été co-construit par plein de nationalités différentes. Plein de métiers différents, c'est des gens qui avaient des hiérarchies aussi très différentes. Et donc, on estime que ça représente pas mal ce que le collectif d'expansion aujourd'hui a envie d'opérer comme changement de comportement pour se sentir en capacité de changer notre trajectoire. Je te propose qu'on en reste là.

  • Speaker #1

    La planète a des limites, cet entretien aussi,

  • Speaker #0

    on vient de l'atteindre. Merci infiniment Sophie. Merci à toi.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté cet épisode de Nos Limites, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

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Description

Sophie Robert-Velut est directrice générale des activités du groupe Expanscience, devenu entreprise à mission en 2021.


Dirigeante engagée, elle a suivi le parcours de la Convention des entreprises pour le climat et pris plusieurs décisions majeures pour contribuer à rendre les activités de son entreprise compatibles des limites planétaires.


Dans l’entretien à suivre, Sophie s’interroge sur les risques liés à l’accélération et à l’amplification des développements de dispositifs de surveillance de masse, revient sur le rôle clé joué par une loi américaine votée au milieu de la décennie 1970 et qui a permis l’essor puis la domination de la finance internationale, et propose enfin différentes pistes concrètes pour reconnecter les entreprises à leurs territoires.


Entretien enregistré le 5 septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    I can slightly hear it. Nos limites. Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarithm.

  • Speaker #1

    The growing threat of climate change could define the contours of this... The world is waking up and change is coming, whether you like it or not.

  • Speaker #0

    Une enquête à bord du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité.

  • Speaker #2

    Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires, nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre. La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat.

  • Speaker #0

    Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Sophie Robert-Velut est directrice générale des activités du groupe Expanscience, devenue entreprise à mission en 2021. Dirigeante engagée, elle a suivi le parcours de la Convention des entreprises pour le climat et pris plusieurs décisions majeures pour contribuer à rendre les activités de son entreprise compatibles avec les limites planétaires. Dans l'entretien à suivre, Sophie s'interroge sur les risques liés à l'accélération et à l'amplification des développements de dispositifs de surveillance de masse. Elle revient sur le rôle clé d'une loi américaine votée au milieu des années 70 qui a permis l'essor puis la domination de la finance internationale. Elle propose enfin différentes pistes concrètes pour reconnecter les entreprises à leur territoire.

  • Speaker #2

    Bonjour Sophie.

  • Speaker #1

    Bonjour Thomas.

  • Speaker #2

    Alors ça y est, tu es face à l'oracle, tu vas pouvoir lui poser une question. Qu'est-ce que tu lui demandes ?

  • Speaker #1

    Alors Oracle, est-ce que nos sociétés humaines sauront sortir de la société de contrôle dans laquelle elles s'engouffrent en ce moment, en laissant les technologies de l'information, l'intelligence artificielle et les réseaux sociaux s'emparer de nos vies ?

  • Speaker #2

    Alors avec cette question, il y a forcément plusieurs questions que j'ai envie de te poser à mon tour. Tu parles de contrôle, tu parles de prééminence des réseaux sociaux dans la vie de tous les jours. Est-ce qu'il y a des signes dans ton quotidien ? qui te font craindre pour la suite ? Est-ce qu'il y a des angoisses particulières qui te préoccupent ? Est-ce que tu peux nous partager peut-être des situations dans lesquelles tu t'es trouvée ou des observations que tu as pu faire qui te donnent envie d'aller voir l'oracle avec cette question-là et pas une autre ?

  • Speaker #1

    Oui, il y en a plein des situations. Alors, elles sont peut-être un peu moins dans ma vie professionnelle et un peu plus dans ma vie personnelle, dans mes lectures et dans ce que je vis de l'actualité aussi. Je pense qu'on a tous souvenir que ces derniers mois ont fracturé la société française. Moi j'ai un mari dont la mère est de confession juive, donc elle a forcément vécu très fortement un certain nombre de drames et d'horreurs passées l'année dernière. Elle a réagi fortement sur ces sujets-là, beaucoup en regardant les réseaux sociaux. De l'autre côté, j'ai des parents qui sont des laïcars pas possibles et qui, pareil, sont très, très, très confrontés aux réseaux sociaux. Et puis, j'ai un mari qui, lui, travaille dans une ONG qui favorise l'accueil des personnes réfugiées en France, avec beaucoup de gens qui fuient la dictature, qui fuient parfois des religions qui les emprisonnent, d'une certaine manière. Et il y a eu des débats énormes sur l'islamophobie, sur l'antisémitisme. Et là où on était plutôt dans des familles assez unies. plutôt dans le dialogue, pas toujours d'accord, on avait du mal à discuter. Et on a regardé il n'y a pas très longtemps La Fièvre, du même scénariste que Baron Noir, et on a été complètement frappés par l'analyse qui est faite sur ce qui se passe dans les réseaux sociaux, sur la capacité qu'on peut avoir, par petites touches finalement, entraîner des débats de société, des fausses informations, des clivages qui peuvent en fait fracturer complètement une société. Donc ça, ça me fait très peur. Il se trouve qu'en plus, j'ai lu une étude qui a été publiée par le CNRS il n'y a pas très longtemps, qui s'appelle Minimum indice à l'horloge de Poutine et qui est une étude qui a été faite par David Chavalarias. En gros, c'est quelqu'un qui a développé des méthodes pour analyser toutes les dynamiques dans les réseaux sociaux, les débats sur X, ex-Twitter. Et en fait, ils ont découvert, en faisant cette méta-analyse, qu'il y avait eu énormément de manipulations dans les réseaux sociaux par les pouvoirs russes. Donc c'est une étude qui est publiée, qui est tout à fait sérieuse, elle a même été citée par Le Monde il n'y a pas très longtemps. Et une grande majorité de ces manipulations viendraient du pouvoir russe et pousseraient finalement à une déliquescence du front républicain contre l'extrême droite. Donc c'est hyper intéressant de voir que ce qu'on voit dans des fictions, ce qu'on ressent à l'échelle de notre intimité familiale... Et ce que des grandes études de fond sont faites sur ce qui se passe géopolitiquement et dans nos sociétés finalement, tout ça se rejoint et est très lié à cette idée qu'on ne choisit plus ce qu'on lit comme information. On n'est plus tout à fait sûr du niveau de certitude finalement de ce que nos enfants sont aussi en train de regarder sur les réseaux sociaux, etc. Et tout ce qui était des grandes évidences il y a encore 15 ans ou 20 ans dans nos sociétés, la démocratie c'est bien, la science c'est un fait, c'est en train de voler en éclats. Donc ça, c'est quelque chose qui me fait très peur et dont je sais en plus qu'on est encore à l'orée de ce que le deepfake va permettre de faire, finalement, comme détournement de la réalité. Donc on est en train de mettre le doigt dans un truc qui va aller beaucoup, beaucoup trop vite et très loin.

  • Speaker #2

    Tu as commencé par dire que cette prise de conscience et ces anecdotes que tu relates concernent, pour commencer, ta vie personne, néanmoins... Tu l'as dit en introduction, tu diriges les activités d'une entreprise. On a à l'esprit les uns et les autres que la frontière entre la vie perso et la vie pro est de plus en plus perméable, que ce qui se passe en dehors de l'entreprise joue un rôle dans l'entreprise et vice versa. Est-ce que tu constates toi déjà, à ton niveau, dans tes activités, tu parles de fracturation de la société française, est-ce que ça existe aussi la fracturation à l'intérieur d'un collectif de travail ou alors est-ce que l'entreprise... selon la façon dont elle est organisée, quelque part arrive à apaiser cette fracturation. Est-ce que tu peux peut-être nous en dire un peu plus ?

  • Speaker #1

    Alors aujourd'hui, moi je travaille dans une entreprise où ce n'est pas tabou de parler de politique au sens non pas d'être partisan d'un parti ou d'un autre, mais plutôt de se dire qu'il y a un rôle sociétal de l'entreprise. En fait, on a, toutes nos entreprises ont participé, ont contribué à la destruction d'un certain nombre de ressources depuis 50 ans. Et donc notre entreprise Expansion, comme les autres, on a donc cette part de responsabilité-là et on estime, et je pense que le corps social de ma boîte l'estime aussi, qu'on a du coup maintenant une part à jouer pour reconstruire et réparer. Et c'est ça être politique, c'est-à-dire en fait c'est juste accepter que quand on fait société, au sens d'une entreprise, on fait aussi partie d'une société humaine. Et donc on a absolument des responsabilités. Je vais te donner un exemple tout bête mais... Dans mon entreprise, on produit des produits de soins pour les bébés, pour la famille, de la marque Mustela. C'est une marque qui est leader, ça fait 70 ans qu'elle existe, donc c'est une marque qui a beaucoup d'influence, malgré elle, sur ce que les parents s'autorisent à faire ou à ne pas faire. Il y a encore 5 ans, chez Mustela, on produisait des coffrets roses pour la naissance des petites filles et des coffrets bleus pour la naissance des petits garçons. Alors oui, c'est moins grave que la manipulation des Russes sur les élections législatives françaises, mais c'est une part de responsabilité qui est très forte, parce que finalement, tu ne vas pas à l'encontre de ces stéréotypes de genre qui aujourd'hui, je pense, sont extrêmement mauvais pour le bien-être à la fois des petites filles et des petits garçons. De la même manière, on montrait très peu de pères de famille, on montrait beaucoup de femmes systématiquement qui étaient en charge de l'enfant. Donc finalement, c'est encore une fois une injonction. à ce que la femme soit la première à s'occuper de l'enfant. On ne parlait pas tellement du choix d'allaiter ou de ne pas allaiter. Donc moi, ça, c'est des sujets sur lesquels on a fait beaucoup de changements ces dernières années parce qu'on part du principe qu'on doit porter un message, un message politique, mais au sens pas partisan, mais au sens de dire qu'on n'a pas à pousser les femmes à rester à la maison quand elles font un enfant. On n'a pas à faire le jugement de ce qui est bon pour un enfant à la place de ses parents. On n'a pas non plus à montrer uniquement des familles biparentales, hétérosexuelles. Il y a plein de modèles familiaux différents qu'on peut montrer. Donc ça, c'est une première prise de position, on va dire, qui nous incombe. Et puis ensuite, évidemment, assez vite, on est allé sur les sujets de la responsabilité environnementale et sociale, au-delà juste de tes messages de communication. Mais ça, on en reparlera peut-être après.

  • Speaker #2

    Sur ces sujets sociétaux, ces prises de position et ces actions de ton entreprise, j'imagine qu'en fait, il y a une infinité d'interventions que ton entreprise peut envisager pour, quelque part, contribuer à réparer des injustices, rétablir des équilibres, pour replacer l'homme et la femme. à des places plus équilibrées, comment à l'intérieur de l'entreprise vous instruisez finalement le choix des interventions que vous allez faire et comment est-ce que vous estimez peut-être par anticipation qu'en agissant de ce sens-là ou de cet autre sens, vous allez avoir un effet sociétal tel que vous le souhaitez ? Est-ce que tu peux nous faire vivre un tout petit peu le processus d'instruction de ces interventions ?

  • Speaker #1

    Sur les interventions sociétales, c'est assez intéressant parce que justement, on est présent dans une centaine de pays avec Mustela. Alors, on n'a que 13 filiales. Donc, même si je me concentre uniquement sur les filiales, on est quand même aux manettes beaucoup plus que sur les autres pays où on va distribuer le produit. Mais ce n'est pas nous qui opérons la distribution. Dans ces 13 filiales, on va avoir des pays où la parentalité va être vécue de manière très différente. Tu vas voir les États-Unis, la Chine, la Turquie, le Brésil, la France. Donc, en fait, il y a... autant de modèles parentaux et de cultures parentales différentes dans tous ces pays-là. Pour autant, on a commencé par faire pas mal d'observatoires des questions que se posaient les parents. Donc beaucoup d'études, de sondages pour poser les questions aux gens. C'est quoi les grandes angoisses que vous pouvez avoir à la naissance d'un premier enfant, etc. On a donc un socle assez commun. Ça, ça nous aide déjà à nous dire qu'est-ce qui nous relie. Parce que souvent dans notre société de réseaux sociaux, on est beaucoup sur ce qui nous divise, ce qui nous sépare. Je suis dans ma bulle, mon technococon, comme dirait Damasio, mais de l'autre côté, en face, tu es différent, donc je ne veux pas entendre tes différences. Donc on a commencé par se dire, ok, qu'est-ce qui relie tous ces parents ? Et il y a des tas de choses. Des choses assez sur la physiologie, l'angoisse que tu as, la mort du prématuré, du nourrisson, des tas de choses comme ça assez évidentes. Évidemment, la notion de la répartition des tâches entre les hommes et les femmes peut être différente d'un pays à l'autre. Pour autant, c'est toujours une question transversale, c'est-à-dire qu'elle est plus ou moins avancée. en fonction de la maturité ou de l'histoire de la culture d'un pays. Mais ça reste un sujet aujourd'hui qui se déploie partout. Donc là, hyper intéressant, parce que les pays assez vite, on avait demandé à nos filiales, à nos équipes terrain, qui sont de la culture nationale locale, de décider quels étaient les grands sujets locaux qu'ils voulaient justement essayer d'aider à adresser dans les pays dont ils étaient en charge. Je te donne un exemple tout bête, mais en Pologne, il y a eu... Pendant plusieurs années, un gouvernement assez rigide, autoritaire, qui a... Bon, l'avortement est interdit en Pologne. Et il y a eu, en fait, une femme qui est morte en couche au moment de l'accouchement parce que les médecins pouvaient lui sauver la vie. Ils avaient tellement peur de pratiquer un avortement thérapeutique. Il y avait, en gros, une mort du nourrisson qui était en cours, etc. Mais ça a provoqué la mort des deux, le bébé et la mère. Et la femme n'a pas été soignée et sauvée à cause de ça. Et ça a créé un énorme raz-de-marée de manifestations dans les rues en Pologne. Et l'équipe polonaise m'a dit, en fait, c'est ça le sujet. C'est mettre au courant les parents des droits dont ils disposent, juridiques, quand ils sont au sein de la maternité, pour s'assurer que ça ne sera jamais reproduit. Et on leur a donné un seul guide qui était, n'essayez pas de jouer aux ONG à la place des ONG. Vous trouvez l'ONG qui vous paraît la plus en place sur ces sujets-là. qui a un propos, qui travaille le sujet depuis longtemps, qui est reconnu, qui a des travaux scientifiques, etc. Et donner lui un coup de main. Soit financier, soit par du mécénat de compétences, etc. L'objectif, c'est surtout pas de commencer à être, nous, les pompiers, d'un truc qu'on ne maîtrise pas. Donc, eux, ils ont choisi cette cause-là, parce qu'ils ont estimé que c'était le sujet brûlant et qui allait à la fois durer quelques années quand même en Pologne. En Turquie, on est sur des sujets autour de la répartition des tâches entre les hommes et les femmes. Donc, un sujet un poil plus léger. Mais pour autant, qui est très important dans une Turquie qui est très divisée entre la Turquie rurale, la Turquie citadine. Donc, ils ont vraiment fait un choix, justement, de se dire, nous, on va être dans une marque qui prend le pari, peut-être, de dresser contre elle un certain nombre de familles peut-être plus traditionnalistes. Mais on pense que c'est notre rôle. Et donc, c'est vraiment aux équipes locales qu'on a donné ce choix-là, avec la seule directive de s'associer à des ONG qui connaissent leur métier. Oui, ayant un mari qui est en ONG et deux parents aussi contrariés dans le milieu associatif, je pars du principe que les entreprises, ce n'est pas leur rôle. Mais leur rôle, en revanche, c'est de subvenir aux besoins de ces associations ou de donner un coup de main.

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup d'entreprises, pour tout un tas de bonnes raisons, qui essayent à travers leurs actions infinies d'accroître autant que possible leur profitabilité. Il y a un critère bien identifié qui permet à posteriori à l'équipe dirigeante d'avoir un retour sur ce qu'elle a fait et sur ce qu'elle a bien fait à l'aune de ce critère. Tu utilises quel critère ? Tu utilises quel feedback ? Tu t'adresses à quelle partie prenante pour qualifier ces différentes actions, ces différents investissements ? Et peut-être à la fin de la journée pour te dire à toi-même si tu en as fait assez ou pas. Oui.

  • Speaker #1

    Alors l'avantage d'Expansion, c'est qu'on est devenu une société à mission il y a quelques années maintenant. Et ça nous donne un cadre assez précis puisqu'on est censé... Donc on a quatre objectifs de mission et on est censé... dérouler finalement des indicateurs de performance sur ces objectifs de mission à court, moyen et long terme. Et puis chaque année, on est contrôlé par une assemblée on va dire externe, qui est le comité de mission, et qui a un droit finalement de ne pas valider notre mission chaque année. Donc finalement c'est comme un commissaire aux comptes qui ne va pas valider tes comptes. Et ça je trouve que c'est très intéressant parce qu'il nous pousse énormément. sur les critères. Et notamment sur les critères, par exemple, je te donne un exemple un peu dans la veine de ce que tu me demandes. On s'est donné comme mission d'aider les individus à façonner leur bien-être, donc à avoir de l'amélioration de bien-être grâce à nos offres et à nos actions. Je pense que les plus grands débats qu'on a eu avec eux, c'est définition des critères du bien-être et de comment vous allez mesurer l'impact que vous avez sur le bien-être des gens. Donc typiquement sur les parents, par exemple sur la parentalité. on a commencé par dire, nous, déjà, on va interroger les parents qui achètent nos produits, qui lisent nos communications, puisque maintenant, on a plus de 50% de nos communications systématiquement qui ne doivent pas parler des produits, mais qui doivent parler justement, qui doivent apporter du contenu et des outils pour le bien-être des parents. Ça veut dire quoi ? Des guides sur le sommeil de l'enfant, ça peut être retour à la sexualité en postpartum, les mots tabous, les choses dont on n'ose pas parler entre un homme et une femme, etc. Donc, des choses très concrètes. issus plutôt de nos discussions avec nos parties prenantes. Puis après, on leur demande. Est-ce que vous avez trouvé ces contenus utiles ? Est-ce que ça a amélioré votre bien-être ? Pour autant, pour l'instant, ça reste du sondage. Le comité de mission a dit, c'est pas mal, mais il faut que vous arriviez à pousser encore un peu plus vos critères. De la même manière qu'on a une espèce de grille d'évaluation sur l'impact environnemental de nos produits. Et là encore, ce sont des outils. imparfaits. On utilise des analyses de cycle de vie, on utilise la réduction du taux de plastique de nos emballages, le poids, etc. Mais il manque encore plein de choses dans cette scorecard. Donc on est en permanence, chaque année, en train d'aller affiner ça. Comment on peut améliorer la mesure ? Donc là, on va rajouter maintenant l'impact carbone systématiquement et l'ACV de nos produits à l'intérieur. Et sur l'utilité aussi des produits, est-ce qu'il faut juste faire un sondage ? Est-ce qu'il faut qu'il y ait des pros de santé qui valident ça ? En fait, on multiplie tout un tas de données et c'est l'agrégation de ces données-là qui vont nous donner cette espèce de spider qui va nous permettre de dire, OK, ce produit-là, il va plutôt dans le bon sens et on vient coupler ça à la marge. Parce qu'en fait, ce qui serait idéal, c'est que d'ici trois ans, la boîte soit capable de se dire, le produit qu'il faut que je vende le plus dans mon portefeuille l'année prochaine, c'est celui qui combine le meilleur taux d'utilité et donc de bien-être pour les parents, le meilleur scorecard en environnement. Et en même temps, la marge la plus grosse. Et alors, des fois, ce sera le cas. Des fois, il y aura des produits no regret, comme on les appelle. C'est-à-dire qu'un, ils apportent zéro marge. En plus, ils sont super polluants. Et puis, globalement, ce n'est pas ça qui va rendre les gens plus heureux. Comme les lingettes, par exemple, qu'on a décidé d'arrêter. Mais il y a des produits où, en fait, il va falloir choisir. Il a la marge la plus haute, il est vaguement utile. Et en revanche, son environnement, il est pourri. Qu'est-ce qu'on fait ? Mais au moins, on aura les débats avec des données. concrètes et qui vont nous permettre de prendre des décisions et de se donner le temps qu'il faut pour faire évoluer notre portefeuille.

  • Speaker #2

    Et à quoi ressemblent aujourd'hui ces rapports de force, si je puis dire, justement, entre les dimensions marges, donc dimensions financières classiques, quelque part, telle qu'on l'entend en entreprise, dimensions sociétales, dimensions environnementales ? À quoi ressemblent les frictions ? À quoi ressemblent les hésitations ? À quoi ressemblent les sauts dans l'inconnu quand il s'agit peut-être... Pour la première fois, de mettre en retrait un critère financier qui a été, au cours de décennies passées, érigé comme l'étoile polaire, quelque part, qui doit guider les choix stratégiques d'entreprise. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de ce qui frotte effectivement dans l'entreprise, dans les circuits décisionnels ?

  • Speaker #1

    Alors... La première chose qu'on apprend à faire et qu'on a appris à faire beaucoup avec la Convention des entreprises pour le climat, ça a été évidemment de remettre en question ta boussole. Donc effectivement, qu'est-ce que tu regardes dans ta performance d'entreprise pour prendre des décisions ? Et la deuxième chose sur laquelle ils nous ont fait bosser, c'était un peu l'iceberg de toutes nos idées reçues. Et ces idées reçues, ces mythes fondateurs des écoles de management et de l'économie, sont par exemple que la croissance ruisselle. Plus depuis dix ans. C'est aussi qu'un produit clean, c'est forcément un produit moins margeur. C'est faux. Nous, ce qu'on a commencé par faire chez Expansion, ça a été de se dire, déjà, on va regarder tous ceux qui sont super bons en marge et qui sont les plus clean possibles. Ou à l'inverse, ceux qui ne sont franchement pas très profitables et qui, en plus, sont dégueulasses. Toujours commencer par le plus simple, je veux dire, comme l'eau. On va suivre la pente. Donc, on a commencé par faire ça et ça a mis tout le monde d'accord. Et ça, c'était déjà pas mal. Et ça, c'est encore aussi ma méthode, c'est de dire déjà, trouvons ce qui nous rend heureux tous ensemble. Et puis, au fil des années, on va petit à petit aller se frotter aux produits qui sont plus difficiles. J'ai un médicament, par exemple, chez nous. Un médicament, tu ne peux pas le modifier, sa composition, très facilement, sinon tu perds toutes tes autorisations sur le marché. Dedans, il y a du soja. Donc, c'est forcément très impactant pour la biodiversité quand tu achètes du soja en grande quantité. Même si c'est un coproduit de l'alimentaire soja, ça reste du soja initialement. Donc, ce sujet-là, sur un médicament qui est très profitable, il est énormément problématique. Mais en revanche, ce qu'on a fait, c'est qu'on s'est dit, on ne va pas pouvoir le modifier en composition, il faut qu'on change la source. Pour changer la source, on se donne 5-6 ans. C'est long, mais en fait, c'est la seule manière qu'on va avoir d'adresser ce sujet sans pour autant perdre toute la profitabilité de ce produit. Donc, on va tout de suite sur les parties faciles, celles qui à la fois sont plus margeuses et plus écolo. Et puis, on va aller prendre le temps d'adresser les autres. Les lingettes, par exemple, en pourcentage de marge, effectivement, ce ne sont pas des produits qui sont très profitables. Mais en masse de marge, c'était énorme quand on a pris la décision. C'est quand même 20% de notre chiffre d'affaires pour la France à l'époque. Et c'était, je crois, autour de 5% de la profitabilité de la filiale. Donc, on ne s'assoit pas sur 5% de notre profitabilité du jour au lendemain. Mais en revanche, à partir du moment où on s'est dit Attends, on se donne 3-4 ans pour sortir de cette catégorie-là. Il se trouve que c'est un produit qui n'est pas fabriqué dans notre usine, donc il n'y a pas de destruction d'emploi à attendre de cet arrêt. Bon voilà, on va se donner 3-4 ans et on sait que ce produit n'est pas valorisé. Enfin, c'est comme de vendre du PQ, objectivement. Donc, ce n'est pas ce vers quoi on va tendre de toute façon pour l'avenir de la marque. Donc, il y a eu des discussions, il peut y avoir des... pas des incompréhensions, mais des inquiétudes de la part des syndicats ou des gens du terrain au démarrage. Mais à chaque fois qu'on a discuté de manière très claire sur les tenants et aboutissants, les conclusions qu'on avait, le fait que ces produits étaient effectivement quand même pas bons du tout pour la vie des sols, etc. Et qu'on a aussi expliqué à nos gens du terrain, en fait, quand tu veux rapporter à l'entreprise autant d'argent en vendant tes lingettes qu'en vendant des soins pour les vergetures des femmes enceintes, par exemple, c'est un rapport de volume de 1 à 100. Il faut que tu vendes 100 paquets de lingettes pour apporter autant que... un produit de vergeture. Qu'est-ce que t'en penses ? En fait, en vrai, c'est possible. Donc, tout cet enjeu de simplifier, en tout cas de décomplexifier la transition, à partir du moment où on est dans la transparence, on explique pourquoi on le fait, et comment on va le faire, et qu'on se donne le temps de le faire, il n'y a pas tant de friction que ça. Après, je ne te cache pas qu'évidemment, quand il y a des tensions, ou quand on a des difficultés, et on en a tout le temps, je veux dire, on est dans un monde de plus en plus complexe, donc des difficultés et des crises, il y en a un peu tout le temps dans toutes les entreprises. C'est vrai que le premier réflexe peut être, pour certaines populations, certains métiers, de se dire oui, mais ça, c'est parce qu'on est trop écolo Donc, il faut systématiquement réexpliquer en disant non, ce truc-là, il n'a rien à voir avec nos partis pris sociétaux ou environnementaux Mais c'est vrai que c'est un peu le premier réflexe, finalement.

  • Speaker #2

    On va passer à la deuxième partie de l'entretien. Te voilà désormais archiviste. Selon toi, quel serait un événement clé qui serait méconnu, voire peut-être même inconnu, et qui a marqué l'histoire et dont les conséquences se font encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Alors là, j'ai choisi un fait historique qui me vient tout de suite, je vais donner ma source parce qu'en plus tu le connais, donc il ne faut pas que je vous fasse semblant, qui me vient d'un économiste que j'ai rencontré à la Convention des entreprises pour le climat et qui est prof à l'EM Lyon aussi, qui s'appelle Pierre-Yves Gomez. Et il se trouve que cette rencontre a été très fructueuse puisqu'on lui a proposé de devenir président de notre société à mission d'expansion. Et Pierre-Yves, il raconte... Le moment où le président Ford, aux Etats-Unis, c'est en 1974, va lancer une nouvelle loi qui s'appelle ERISA. ERISA pour Employment Retirement Income Security Act. Et en gros, c'est une loi qui va permettre aux entreprises de mettre leur épargne retraite, l'épargne retraite de leurs futurs salariés retraités, dans plein de fonds différents, plein d'entreprises différentes. Avant cette loi de 1974, tu avais l'obligation en tant qu'employeur. de mettre de l'argent de côté pour payer les retraites de tes salariés. Donc finalement, cet argent était réinvesti dans l'entreprise le temps d'eux. Et puis si l'entreprise avait de bons résultats, elle pouvait payer les retraites. Mais il y a eu une entreprise qui n'a pas réussi à le faire. Du coup, Ford s'est dit non, on ne peut pas mettre tous les oeufs dans le même panier. Donc, on va proposer aux entreprises via la bourse, qui était à l'époque très peu dotée en entreprise. En fait, il y avait finalement peu d'entreprises qui étaient cotées en bourse. Mais Ford a dit très bien, maintenant, les fonds de pension vont pouvoir... pour investir de plein de manières différentes, dans plein d'entreprises différentes, via la bourse. Et qu'est-ce qui s'est passé à ce moment-là, finalement ? C'est que vous avez un actionnariat qui ne va pas aller rechercher le bien de l'entreprise, il va aller rechercher la maximisation des profits.

  • Speaker #0

    à court terme, pour pouvoir ensuite rémunérer ces pensionnaires, enfin les gens qui vont partir à la retraite. Et qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Finalement, ça fait des envolées de cotations en bourse, parce que d'un coup, il y a des mannes d'argent qui sont disponibles sur les marchés boursiers, d'abord américains, mais ensuite, finalement, c'est un mouvement qui se déploie au monde entier, à l'Occident en tout cas. Et du coup, on se retrouve avec toutes les entreprises qui se disent Attends, mais moi aussi, je vais me coter en bourse Et donc, cette course à la cotation en bourse, couplée à... à la course à des promesses de croissance de profit chaque année pour avoir plus de gens qui mettent de l'argent dans son entreprise, les entreprises annonçaient l'année prochaine, on va faire de la croissance, plus 10, plus 20, plus 30, etc. Et c'est vraiment le démarrage de cette financiarisation de l'entreprise où on se dit finalement, pour pouvoir être à la hauteur des promesses qu'on a faites à nos actionnaires en bourse, il faut faire plus de croissance. Pour faire plus de croissance, il faut lancer plein de produits. Et moi, quand je suis rentrée chez L'Oréal, c'est vraiment le truc qui m'a... Et franchement, ce n'est pas que L'Oréal, je pense que vraiment, il joue le jeu comme beaucoup, beaucoup de très grosses entreprises. C'est qu'est-ce qu'on pourrait bien lancer l'année prochaine pour faire plus de CA et plus de profit au final ? Et peu importe si ces produits sont utiles, s'il y a un vrai besoin de ces produits-là. Peu importe à l'époque, même si maintenant, je pense que ça a changé dans des grosses boîtes comme L'Oréal, l'impact environnemental ou sociétal de ces produits, etc. Donc, on se retrouve finalement avec une entreprise gouvernée par les ratios financiers et non pas des ratios financiers qui sont... au service d'une analyse de l'état de santé de l'entreprise. Moi, dans ma boîte, c'est typiquement le genre de truc qu'on essaye de changer aujourd'hui, qui est de se dire, qu'est-ce qu'on regarde ? Je te parlais de boussole. Qu'est-ce qu'on regarde ? Ok, un ratio financier peut être utile, évidemment. Il te dit ton taux d'endettement, il te permet de voir si la croissance de tes profits est au moins aussi grosse que la croissance de ton chiffre d'affaires, parce que si tu crois trop en chiffre d'affaires et pas assez en profits, ça veut dire que finalement, tu as tout le temps besoin de vendre plus. ou plus cher pour faire une valeur absolue de profit qui est toujours la même, ce n'est pas très bon signe, etc. Donc les ratios, ça peut être intéressant. C'est une partie de la boussole. Pour autant, si tu regardes que les ratios, tu ne vois pas arriver la crise Covid, tu ne vois pas arriver les logistiques qui s'effondrent complètement sur toute la planète, tu ne vois pas arriver le mec qui coince son bateau au milieu du canal de Suez et qui va faire que pendant 7 mois, c'est plus intéressant de faire voyager tes marchandises en avion qu'en bateau. au détriment de toute décarbonation possible, évidemment. Donc finalement, on a tous réalisé dans les années 2020 que nos entreprises étaient des géants au pied d'argile, qu'on était extrêmement fragiles, et que même si on avait les ratios au top, ça ne suffisait pas pour prévenir les crises. Donc on est rentrés, nous, dans une logique d'anticipation et de recherche d'adaptabilité, de robustesse. Pendant trois années de suite, je pense, j'ai fait des vœux aux salariés en disant bon, l'année dernière, c'était vraiment super difficile et tout, mais vous avez été au top au top, vraiment merci, et l'année prochaine, ça va aller mieux, l'année d'après. Bon, l'année dernière aussi, ça a été vraiment compliqué, mais vraiment, vous avez été au top, mais là, je suis sûre que ça va s'améliorer. La troisième année, j'ai dit, bon, c'était pas flambard l'année dernière, ça devrait pas être génial non plus l'année prochaine, globalement, il va falloir s'habituer à vivre en crise, même si notre boîte s'en est plutôt très bien sortie, juste, c'était un chaos permanent, c'est-à-dire qu'on avait, ah, telle matière première, finalement, est bloquée aux douanes, on n'arrive plus à avoir ça. Le mec a fait faillite, qu'est-ce qu'on fait ? On n'a plus de fournisseurs de ci, de ça. Enfin, il y avait des crises partout. Alors certes, ça s'est un peu calmé. Derrière, on a eu la guerre en Ukraine. On a dû mettre en sommeil notre filiale russe. Donc c'est 4 millions de profits directement qui sont partis d'une année sur l'autre. Et l'année encore d'après, il y avait le Covid chinois, qui avait deux ans de retard par rapport au reste. Et on a perdu 6 millions de profits d'un coup, parce que pas prévu, parce qu'un marché qui s'explose complètement. Donc là, ce sujet-là... on se rend bien compte que les lunettes utilisées depuis 30 ans ou 40 ans par les financiers pour regarder la santé d'une entreprise ne suffisent pas. Donc aujourd'hui, la question est vraiment de se dire, compter ce qui compte, être en capacité de regarder quelles vont être les matières premières qui vont être disponibles ou non disponibles, les sources d'énergie qui vont être non disponibles à l'avenir, et on se met petit à petit à entrer dans une comptabilité en triple capital. Je ne sais pas si ça c'est un sujet qui est abordé avec tes étudiants, mais... Pour moi, c'est plus possible d'apprendre la finance à quelqu'un si on ne lui apprend pas l'extra-finance. Ça n'a plus de sens. Donc aujourd'hui, je donne un exemple tout bête. Faire un produit solide, par exemple un shampoing solide, c'est faire un produit qui n'a pas d'eau. 100% de la matière qu'on met dans ce shampoing solide, on la paye. Quand on fait un gel douche ou un shampoing liquide, il y a entre 50 et 70% d'eau du robinet qui fait partie de la composition de ce produit. Paye l'eau, on la paye vraiment pas cher en France. Donc évidemment, la profitabilité, le taux de marge d'un shampoing solide est toujours bien inférieur au taux de marge d'un shampoing liquide. Mais si demain, on paye l'eau, vraiment, ou même qu'on nous dit vous n'avez plus le droit d'utiliser autant d'eau qu'avant, vous êtes rationné, etc. Mais là, la profitabilité du shampoing solide, elle va exploser. Donc le ratio lui-même, s'il n'est pas comptabilisé avec les bonnes données du futur, ça ne sert à rien. On a eu trois étés de suite, alors pas cet été, mais les trois étés d'avant, où la préfecture a dû fermer entre 1 et 25 jours des usines. Autour de nous, en Eure-et-Loire, parce qu'il y avait un stress hydrique tel, qu'ils ont dit Non mais toutes les entreprises qui n'ont pas fait d'économie d'eau vraiment substantielle ces dernières années, on vous coupe l'eau pendant X jours. Nous on a eu, je crois, une journée ou une demi-journée de coupe l'année d'avant, mais comme on avait fait pas mal d'économies, etc., on n'a pas été les plus touchés. Mais on a vraiment eu une usine à côté de nous qui a fermé 25 jours, 25 jours de production en moins, c'est juste une catastrophe financière pour le coup. Donc aujourd'hui... On fait des investissements, quand on fait des investissements, et notamment sur le circuit d'eau, si on applique le prix de l'eau actuel, le ROI de ces investissements, il est à 19 ans. Donc c'est l'équivalent d'une centrale nucléaire. Si on applique un prix de l'eau fictif, où on se dit, il y aura moins d'eau, on va nous couper l'eau, l'eau nous coûtera tant, on peut redescendre notre ROI à 6-7 ans. Tout ça, ça reste encore fictif, la comptabilité en triple capital, c'est un exercice théorique, mais qui est très utile pour envisager ce qui va se passer dans l'avenir pour la santé de notre entreprise.

  • Speaker #1

    Avec ce que tu viens de dérouler, j'ai facilement 3, 4, 5, peut-être plus questions à te poser. Je vais essayer d'être moi-même sobre en question. La première qui me vient, c'est que tu as parlé de paire de lunettes, de façon de voir le monde. J'établis un lien direct avec un cours suivi par les étudiantes et étudiants en première année du programme Grande École à EBM Lyon où on leur demande, en interaction avec un dirigeant ou une dirigeante d'entreprise, d'essayer de comprendre Quelle est la grille de lecture de ce dirigeant ou de cette dirigeante ? Quelle est sa façon à elle ou à lui de voir le monde, de comprendre le monde, de retenir certains signaux, d'en éliminer d'autres, de donner du sens en fait à ce qui se joue autour de son entreprise ? Si toi t'es face à une autre dirigeante, à un autre dirigeant, quelles questions tu lui poses ? À quoi es-tu attentive pour essayer d'esquisser le portrait robot du monde tel que cette interlocutrice le perçoit ? Comment tu fais ?

  • Speaker #0

    Alors, en fait, c'est très intéressant d'observer la grammaire des gens avec qui tu discutes. Parce qu'on a tous fait à peu près les mêmes écoles, les mêmes études. Donc, quand tu vas parler des résultats de ton entreprise, c'est intéressant de voir de quoi ils te parlent, par exemple. Donc, est-ce qu'ils vont te parler de prévision de croissance, comme si c'était l'alpha et l'oméga de leur entreprise ? Ça, ça m'intéresse toujours. Mais tu sais, cette grille, je l'utilise même pour quand des gens me démarchent. On reçoit tous plein de mails pour dire, oui, votre entreprise a besoin de ci, de ça. Et je suis toujours scotchée qu'il y a encore des gens qui m'écrivent pour me proposer des techniques pour faire de la croissance à trois chiffres, par exemple. Je me dis, bon, eux, ils n'ont pas trop travaillé leur cas, leur targeting. Donc, effectivement, est-ce que la croissance est une fin en soi pour le dirigeant ? Est-ce qu'elle n'a pas de limite ? potentiellement. C'est toujours très intéressant de le voir. Et j'ai pu l'observer chez des gens qui étaient sur des boîtes assez anciennes, avec un modèle ancien. Mais je l'ai aussi beaucoup observé sur des start-upeurs qui, finalement, se disent avec un modèle hyper vertueux, mais dans la mesure où ils estiment que leur modèle est vertueux, l'hypercroissance, pour eux, ce n'est pas un sujet. Moi, je doute quand même aussi de ça en permanence. Je pense que même une start-up, à part une start-up de l'ESS, qui a vraiment une... dont le seul objectif et la seule production, c'est de réparer les gens, ok, on peut admettre que l'hypercroissance est souhaitable. Mais sinon, tu mets un bien de consommation sur le marché, imaginez que ça doit tout remplacer. Pour moi, c'est un problème. Ensuite, il y a le modèle managérial. C'est toujours intéressant de regarder si ces gens-là connaissent la notion de subsidiarité, par exemple. Pour moi, c'est assez éclairant. ou s'ils sont sur cette idée, quand ils parlent, ils disent je tout le temps. C'est cette idée que c'est finalement eux, le penseur absolu, unique. Après, il y a la notion de transparence, c'est-à-dire les gens qui me disent aussi bien ce qu'ils font de bien que ce qu'ils font de mal, me donnent à penser, pas que je les aime plus ou moins, mais me donnent à penser qu'on a une grille de lecture proche. Moi, j'ai aussi... très longtemps, donc chez L'Oréal, où on nous interdisait de parler des choses qui n'allaient pas. Et je trouve ça dommage, parce que par ailleurs, chez L'Oréal, ils font plein de choses super cool. Objectivement, j'ai vu dans cette boîte plein de choses affreuses et aussi plein de choses formidables. Et je pense qu'on gagne toujours à être dans la transparence. parce que c'est plus crédible aujourd'hui qu'une entreprise soit parfaite, qu'elle fasse tout bien. Personne n'y croit. Donc en revanche, je pense être capable d'avoir la capacité de dire ce qu'on fait très bien et ce qu'on fait très mal, et quels sont encore les points d'amélioration, les trucs qu'on aurait envie de mettre sous le tapis, pour moi c'est clé, parce que ça permet de se dire je veux m'intéresser aux points d'amélioration et pas uniquement faire de la communication. Pour ne pas dire du greenwashing. Voilà globalement ce que je regarde, le vocabulaire. effectivement quels sont leurs indicateurs de performance. Même le mot performance devient sensible maintenant, ce que j'ai écouté Olivier Hamon hier dans une conf, et il n'a pas tort. C'est vrai que la sous-optimisation dans un régime en crise en permanence, par exemple, ou très souvent en crise, être en capacité de ne pas être tout le temps sur régime, ça va être clé. Moi, je vois les équipes aujourd'hui qui ont tendance à tellement s'engager sur les sujets, qu'elles voudraient que ça aille plus vite, qu'elles voudraient tout réussir, et je leur dis... Guys, on ne va pas réussir à tout faire très vite. Il y aura des écueils, il y aura des échecs. On en apprendra des choses. Donc, apprenez aussi à ne pas vouloir être tout le temps à 100%. Parce que le jour où il y a une crise, là, il faut que tout le monde soit à 100%. On ne peut pas être en permanence à 100%. Donc, voilà, c'est un peu ces sujets-là que je regarde chez une personne. Et après, j'avoue, mais ça, c'est mon petit côté bobo-chiante, je regarde toujours si les gens sont partis en vacances à Bali en avion pour trois jours ou s'ils ont pris le train. pour aller jusqu'à Rome. Tu vois, c'est un petit indicateur aussi. Bon, voilà. Mais c'est un peu jugeant, j'avoue, c'est pas terrible.

  • Speaker #1

    On va arriver à la troisième et dernière partie de l'entretien. Donc, tu as été face à l'oracle, tu viens d'être archiviste, tu nous as ramené la loi ERISA, d'ailleurs d'un président américain qui n'a pas été élu par le peuple. Il est devenu président suite à l'affaire du Watergate et à la démission ou à la destitution de Nixon. Je n'ai pas le vocabulaire exact à l'esprit. Et maintenant, te voilà acupunctrice. Est-ce que tu peux nous partager, selon toi, une décision, une action, une intervention, c'est l'un ou l'autre à chaque fois, qui pourrait aujourd'hui contribuer significativement à la fabrique d'un monde, disons, plus habitable. Tu as un seul moment pour intervenir dans le système monde, tu fais quoi ?

  • Speaker #0

    Alors déjà, moi, j'avais un petit sujet avec le monde habitable. Je ne me sentirais pas capable, moi, de participer à la fabrique d'un monde habitable. Je trouve que c'est tellement lourd et dur. Donc j'aurais dit plutôt... fabriquer ou inventer un modèle de société compatible avec les limites planétaires. Parce que je ne sais pas, en fait, le vivant est tellement en Qatar, à cause de nous, que je ne sais pas si on va être capable réellement d'inverser la courbe. On sait qu'on peut faire beaucoup de mal à la biodiversité, à la vie des sols, etc. Je ne suis pas sûre qu'on ait les moyens, même avec une petite aiguille d'acupuncteur, de corriger ça. C'est peut-être en lui foutant la paix en fait que... Donc la question c'est quels sont les modèles de société qu'on pourrait inventer et qui permettraient au moins aux vivants de se reconstruire. C'est un peu ça, c'est un peu l'idée. Et je vais parler plutôt d'une intervention au niveau entreprise parce que c'est quand même à ce titre-là que je suis là aujourd'hui. Même si j'ai plein d'idées aussi sur comment on accueillerait les personnes qui migrent pour des raisons d'effondrement écologique. Mais ça c'est plus des interventions de type politique. Donc, je vais les garder pour moi-même. Mais effectivement, mon idée, c'est plutôt de travailler sur l'atterrissage. Les entreprises aujourd'hui, et depuis, on va dire, 30 ans, 40 ans, se sont hyper mondialisées. Moi, même chez Expanscience, on a beau essayer de retravailler sur quelque chose de plus resserré, et j'en parlerai après, on achète nos matières premières. En gros, il y a une équipe marketing qui va donner un briefing aux gens des labos. qui vont imaginer un produit, qui répondent à ce brief. Et puis ensuite, ils vont donner une liste de courses aux acheteurs. Et puis les acheteurs, eux, ils vont se dire, bon, ok, je dois acheter 50 matières premières, au meilleur coût et à la meilleure qualité. Ça, c'était le brief initial. Et qu'est-ce qui se passe en général ? Ils vont aller acheter des matières premières à l'autre bout de la Terre, dans plein d'endroits du monde. On va les faire voyager, si possible, en bateau, etc. Ok, le plus clean possible. Mais enfin, quand même, ils viennent jusqu'à Épernon. On fabrique notre produit et on renvoie ces produits à l'autre bout de la terre, dans les 100 pays où on est distribué. Ça, ça doit changer. Et ce n'est pas une question de morale. Ça doit changer parce que justement, pendant la période Covid, on s'est rendu compte qu'on était dépendant 1 de territoire où on n'est pas sûr qu'il n'y aura pas de guerre dans les années à venir. Que ce soit la Chine, que ce soit l'Ukraine, où on achetait notre huile de tournesol à 100% en Ukraine. Il se trouve que trois mois avant la guerre en Ukraine, on était en pleine CEC et on a commencé à faire la cartographie de nos dépendances et on s'est rendu compte qu'on était dépendant à 100% d'un territoire qui lui-même était quand même extrêmement menacé. quelques années avant avec le Donbass, etc., on savait que l'Ukraine, c'était quand même pas un pays où tout était rose. On s'est dit, là, on ne peut pas être dépendant à ce point-là. Donc, on a commencé à diversifier un peu nos sources. Et heureusement qu'on l'a fait, parce que trois mois plus tard, il n'y avait plus rien qui sortait d'Ukraine. Donc, effectivement, aujourd'hui, c'est une question de survie des entreprises, déjà de commencer à se poser sur son territoire et arrêter d'aller acheter les trucs à l'autre bout de la Terre. Mais déjà, commencer à se dire, qu'est-ce qui serait ? maîtrisable comme source d'approvisionnement et en général, c'est quand même d'autant plus maîtrisable quand c'est pas trop loin de chez toi. Alors aujourd'hui, on n'y arrive pas, on n'est pas du tout à 100% sur du local, mais en revanche, on apprend à le faire. Parce que du coup, la matière définit ton brief. Alors qu'avant, c'était ce que va faire ce produit, on aimerait qu'il soit bleu, qu'il soit doux, qu'il soit qui sent je sais pas quoi, etc. Et après, on allait chercher les matières. Donc là, c'est un peu comme de la permaformulation qu'on essaye de faire avec les équipes des labos, c'est-à-dire qu'ils regardent ce qui pousse autour de chez nous en Eure-et-Loire. Donc il y a du tournesol, c'est de la monoculture, c'est pas terrible, donc il faut trouver des gars qui font du tournesol en bio si possible, en sol couvert, sans trop retourner la terre, etc. Mais il y a aussi du lin, pas mal de culture du lin, qui en plus le lin est plutôt dépolluant sur les sols, donc c'est intéressant. Il y a aussi sur les bords de Loire ou les affluents de la Loire, pas mal de... plantes invasives issues d'aquariums que les gens ont jetés et tout. Et donc, en regardant tout ça, finalement, en atterrissant sur ce territoire, on se rend compte qu'il y a plein de matières intéressantes. Et on est en train de les valoriser et de regarder si on est capable de les transformer de plein de manières différentes. Parce que, pour le coup, notre usine, elle est très bonne pour extraire des coproduits de matières premières. Et avec ça, voir si on est capable de fabriquer des soins essentiels qui pourraient se substituer à ceux qu'on a aujourd'hui. Donc, c'est une autre méthode de travail. Ça va prendre une dizaine d'années pour apprendre réellement à faire ça. Mais là, pour le coup, c'est pour moi de la robustesse. C'est-à-dire que si on sait faire ça, si on a ce savoir-faire, on est capable ensuite de le réappliquer dans d'autres pays où on est. Parce que c'est bien de le faire sur l'or et l'or, mais du coup, si tu veux vraiment être local, ça veut dire que ce produit, tu ne le vends qu'en France, ou aller en Europe pour être vraiment sur une région du monde. Mais ça veut dire que demain, il faudra qu'on soit en capacité de se dire qu'est-ce qui pousse au Brésil et qu'on pourrait prendre, et avec ça, on pourrait faire nos 4-5 soins les plus essentiels. Idem sur les Etats-Unis, etc. Et ça voudra dire aussi que cet atterrissage et cette relocalisation, finalement, elle va être multizone. Et elle pourrait permettre de changer aussi la notion de marque. C'est-à-dire que les gens n'achèteraient plus Mustela parce qu'ils adorent la texture de tel produit, qui pourrait être réplicable par n'importe quel concurrent, objectivement. Mais qu'en revanche, ce qui les intéresse, c'est qu'ils s'assurent, quand ils achètent un produit Mustela, que ce produit ne contribue pas à détruire l'environnement ou l'enfant. qui vont laver, va grandir. Mais au contraire, que ce soit un produit qui va plutôt contribuer à une agriculture régénératrice ou protectrice des sols et locale. Donc c'est d'autres critères finalement, d'autres attributs du produit qu'on aimerait travailler. Et ça, c'est très prospectif parce que pour l'instant, on a des consommateurs qui ne sont pas encore tout à fait prêts pour ça. Mais que ça tombe bien, comme ça va nous mettre une dizaine d'années pour être capable de le faire. Il faut qu'on soit prêts d'ici là. Donc l'atterrissage, c'est l'intervention que je proposerais, c'est un réancrage, un réatterrissage. Je donne un exemple aussi de coopération locale qu'on a trouvé récemment. Juste notre directeur des opérations industrielles, Jean, qui habite pas très loin du site de production, tous les matins, il passait avec sa voiture devant une ferme expérimentale de chez Bongrain. Un jour, il s'est arrêté. Il vendait du frometon, tout ça. Donc, il allait discuter avec les gars. Et les types ont dit, ah bah oui, mais nous, on est ferme expérimentale. On a une chaudière biomasse maintenant. Donc, on a beaucoup moins d'émissions de gaz à effet de serre. On a notre forêt qu'on gère nous-mêmes, etc. Donc, comme ça, vraiment, le bois qu'on met dans la chaudière biomasse est local. On a aussi une petite station de méthanisation. D'ailleurs, on manque un peu de boue pour nourrir cette station. Et en fait, rien qu'en discutant avec ses voisins, on s'est rendu compte que les bouts de lavage, dont on ne savait que faire, issus des cuves. On a des cuves où on fait nos cosmétiques et puis après, il faut laver ces cuves. Et ça crée de l'eau, d'un côté, qu'on retraite, mais aussi des bouts. Et en fait, ces bouts et ces eaux de lavage, on était obligés d'aller les mettre dans des cuves. camions-citernes qu'on envoyait à 400 km de chez nous pour aller les retraiter avant de pouvoir les remettre dans les affluents et les rivières du coin. Ce qui est normal. Mais en fait, là, les mecs nous ont dit, Ah mais non, mais nous, ça nous intéresse parce qu'il y a de la matière organique dans vos produits. Donc nous, ce qu'on veut faire maintenant, c'est utiliser vos bouts. Donc en fait, c'est devenu une opération 1, blanche financièrement puisqu'on n'avait plus les coûts de tous ces transports-là. 2, ça nourrit cette usine de médianisation locale et donc ça crée de l'énergie. Donc encore une fois, une coopération très fructueuse et à 10 km de chez nous. Et il se trouve que derrière, on s'est dit, mais dis donc, ta chaudière biomasse, c'est intéressant. Et donc là, on est en train d'investir pour changer le mix énergétique de notre usine, passer en chaudière biomasse comme eux et utiliser en partie le bois qu'ils utilisent eux, parce qu'ils en avaient trop. Et donc, ça va nous permettre de baisser très fortement notre mix énergétique et nos gaz à effet de serre. Donc atterrir, coopérer et favoriser des écosystèmes de coopération. C'est ça l'intervention qui, pour nous en tout cas, a été bénéfique dans la méthode pour apprendre et trouver des solutions, histoire d'être en compatibilité avec les limites planétaires. Coopérer, c'est coopérer aussi avec nos concurrents. On a proposé à nos concurrents de venir avec nous ouvrir des machines de vrac dans les pharmacies. Ils n'ont pas compris au début qu'on puisse aller les voir. On leur a dit, nous ça fait deux ans qu'on le fait tout seul, on pense que c'est moins efficace, venez avec nous, si on a plus d'offres, on sera plus fort. Et on leur a donné en open source... toutes nos études de compatibilité, de bactériologie, les indices de cycle de vie, etc. Donc cette coopération-là est très fructueuse, je pense.

  • Speaker #1

    Avec les exemples que tu nous partages là, ce qui me vient à l'esprit, en pensant aux étudiantes et aux étudiants, c'est que tu dois être déjà à la recherche, ou tu vas être à la recherche de nouveaux profils, de nouvelles compétences, de nouveaux diplômés des écoles, que ce soit des écoles de management, d'ingénieurs, de design, filières universitaires. Est-ce qu'aujourd'hui, pour donner toute la substance nécessaire à cette nouvelle grammaire d'entreprise que tu es en train d'écrire, tu as tous les profils dont tu as besoin ? Ou alors, est-ce que tu as déjà repéré des profils que tu souhaiterais voir affluer vers ton entreprise, des compétences ? Tu les touches du doigt, mais tu ne les as pas encore à disposition au sein du groupe. Qu'est-ce qu'il te faut pour... compléter quelque part la photo de famille d'expansion, c'est être en mesure de parfaitement déployer cette nouvelle grammaire stratégique ?

  • Speaker #0

    Alors, ma première réponse, elle est autour déjà de... Il y a plein de métiers qui changent en interne. C'est-à-dire que ce n'est pas des nouveaux métiers, mais c'est juste que la définition des métiers, elle change. Les acheteurs, dont je te parlais tout à l'heure, qui allaient à le bout de la terre pour chercher les produits de meilleure qualité, meilleur prix, aujourd'hui, il faut qu'ils deviennent des négociateurs. consortium avec d'autres contre des géants de type BASF etc. pour les pousser à être dans la traçabilité etc. Donc c'est plus du tout les mêmes enjeux. Il y a de la négociation de prix, évidemment, toujours chez un acheteur. Mais la première chose qu'il regarde c'est est-ce que je sais du champ au flacon, d'où vient exactement cette matière ? Est-ce que je suis sûre que ça ne participe pas à de la déforestation ? D'autant plus que maintenant il y a des lois sur la déforestation importée qui vont faire qu'on va être obligé de prouver ça. Et ça, c'est aux acheteurs. C'est les acheteurs qui doivent retomber sur leurs pattes avec ça. Donc, il y a des métiers qui sont en train de se changer. Et donc, effectivement, aux jeunes diplômés, je dirais, si vous devenez acheteur, renseignez-vous bien sur le métier que ça va devenir. Je pense qu'il n'y a aucun métier aujourd'hui dans mon entreprise qui ne va pas être profondément bouleversé dans les dix années qui viennent. Que ce soit à cause de ses limites planétaires ou à cause de l'intelligence artificielle. C'est pour ça que c'est les deux sujets qui focalisent mon attention, parce que finalement, c'est deux énormes... pression qu'on va opérer sur les sociétés humaines. Donc les acheteurs, pour moi, c'est un nouveau métier qui est aussi sur un métier de coopération plus que de négociation violente. Alors je ne dis pas que les acheteurs avec qui on bosse actuellement sont des négociateurs violents, pas du tout, mais quand même, j'ai en tête que quand tu voulais être acheteur, tu étais quand même un peu le mec qui pose tes couilles sur la table et qui dit ce sera ça le prier ou rien d'autre. Pas du tout. Aujourd'hui, notre objectif, c'est vraiment que les gens avec qui on va faire affaire puissent gagner suffisamment pour être bien, pour être pérennes. C'est la longévité de la relation qu'on va aller rechercher. Comme on a un scope 1, 2, 3 à traiter sur le carbone notamment, mais sur la biodive aussi, si nos sous-traitants, nos suppliers ne sont pas eux-mêmes en train de se changer, notre bilan sera toujours aussi pourri. Donc l'acheteur, son boulot, c'est aussi d'éduquer et de former ses sous-traitants à limites planétaires, fresques du climat, etc. Donc leur métier change radicalement. Le marketing change radicalement. Moi, j'ai besoin de nouveaux marketeurs. Alors aujourd'hui, j'ai des marketeurs qui sont en train d'inventer un nouveau marketing. Il y a deux ans, ils ont décidé, la directrice marketing de Mustela est rentrée de la CEC justement en me disant, pour qu'on tue la fonction marketing. Alors je dis, c'est dommage quand même, c'est ton boulot. Il me dit, ouais, mais on ne peut pas, il faut inventer des nouveaux récits, on ne peut pas continuer à inventer des produits qui ne servent à rien, enfin, ce n'est plus possible. Et donc là, ça fait deux ans que les équipes de toutes les activités, pas uniquement sur Mustela, mais aussi sur tout ce qui est bien vieillir et rhumatologie, ils travaillent sur c'est quoi notre nouveau métier, c'est quoi nos critères justement pour savoir si un produit est utile, pas utile au bien-être des parents. Donc ils rentrent dans des logiques d'analyse. de data et de faire des choix, faire les bons choix. Donc un gros travail sur l'éthique, ce qui n'était pas du tout le cas d'un marketeur, je pense, il y a encore 20 ans, quand moi j'ai commencé à bosser. Et après, la gestion se change énormément. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on ne décorrèle pas le financier de l'extra-financier. Donc finalement, les équipes qui travaillent sur le contrôle de gestion et sur la finance sont obligées de se former à la comptabilité en triple capital. à la comptabilité carbone. Donc l'IT est très en prise aussi avec ça, c'est-à-dire comment tu récupères la data, comment tu la flèches au bon endroit, comment tu donnes finalement le pouvoir à chaque salarié de faire les bons choix en n'ayant pas uniquement le seul prisme des euros pour prendre des décisions. Donc la gestion, aujourd'hui, on a un duo magnifique qui travaille sur les bilans carbone, enfin les budgets carbone de chaque pays et des équipes corporate autour de leur voyage professionnel. On a commencé comme ça. Et donc cette année, on leur a donné un budget carbone sur leur déplacement professionnel. Au début, on avait dit on interdit, on baisse, on était dans le top-down, et ça grognait de partout. Et en fait, moi j'ai réalisé que c'était une grosse erreur de ma part de vouloir sortir le bâton sur un sujet comme ça. Donc on a dit, ok, voilà combien vous avez dépensé en carbone l'année dernière en voyage professionnel, équipe par équipe. Voilà notre trajectoire carbone SBTI. Il faut donc diminuer de temps l'année prochaine. Donc voilà votre nouveau budget carbone. Après, vous en faites ce que vous voulez. Vous voulez aller voir huit fois le même distributeur parce qu'il est compliqué ? Vous y allez huit fois. Mais vous n'aurez aucun autre voyage à la place. Ou alors, si vous faites ça, ça veut dire que vous n'avez aucun moyen de vous tromper dans vos commandes parce que tout ce que vous allez recevoir, ce sera en bateau. Et si vous avez la moindre erreur, un voyage en avion, en cargo sur une palette, c'est monstrueux. Vous ne pourrez pas. Donc au moins, on leur donne le souci de bien faire. On leur donne un chiffre objectif. et après ils se débrouillent. Et c'est assez rigolo de voir que ça c'est des sujets où en fait les gens se prennent au jeu, comme ils se prenaient au jeu de réussir le chiffre d'affaires, ils se prennent au jeu sur le chiffre du carbone. Donc on a aussi tout un travail autour de la motivation des gens et comment tu trouves les bons leviers pour faire changer leur métier tout en restant ludique et sans rendre trop grave non plus leur quotidien.

  • Speaker #1

    Ce qui me venait à l'esprit en t'écoutant parler finalement de cette nouvelle nouvelle richesse professionnelle qui est proposée, de cette considération non seulement pour la réussite financière mais pour la réussite en termes de gestion d'un bilan carbone, en termes de respect des limites planétaires, de non franchissement ou de défranchissement si l'expression existe des limites planétaires. Ce qui me vient à l'esprit c'est tu proposes aussi avec toutes celles et tous ceux qui travaillent dans ton entreprise ou qui pourraient la rejoindre, d'habiter un nouveau rapport au monde, d'être quelque part traversé par un ou plusieurs nouveaux imaginaires qui sont encore en émergence et qui, quand même, assez largement, sont incommensurables avec les imaginaires encore dans beaucoup d'entreprises dominants où la réussite, où le succès, c'est nécessairement la progression dans la hiérarchie, c'est l'émission à l'international, idéalement très très loin de son camp de base. Comment ça se passe en interne dans ton entreprise, cette espèce de bataille, le mot est peut-être un peu fort, des imaginaires ?

  • Speaker #0

    Écoute, ça se passe pas trop mal. Cette année, on a sûrement pris les trucs dans le mauvais sens, mais c'est comme ça, c'est la vraie vie. Cette année, on s'est rendu compte qu'il fallait qu'on fasse évoluer notre culture d'entreprise, par exemple. Parce qu'on avait commencé, en gros, après la CEC, on a fait fresque du climat pour les 1150 salariés de l'époque, maintenant on est à 1245. Ça veut dire que même les opérateurs de l'usine, de nuit, ils ont fait la fresque du climat. Fresqués par des internes d'ailleurs. On avait fait former des fresqueurs internes, etc. Donc, vachement de dialogue et tout, hyper intéressant. Beaucoup de colère d'abord, comme toute personne fresquée. On est peut-être dans le saut, on n'est pas heureux, on est en colère. Et puis après, on remonte la pente et tout. Donc, une année de prise de conscience pour s'assurer qu'on parlait tous le même langage, qu'on avait tous compris le même constat. Et puis, pour leur montrer qu'on avait quand même une feuille de route et qu'on ne les laissait pas juste tout seuls avec leur désespoir, mais qu'on les mettait en action avec tout un sujet d'appropriation. individuelle de chacun, se dire, alors je dis pas que tout le monde y a réussi, mais une grande partie des salariés se disent, bah moi ma mission pour faire marcher la feuille de route, c'est ça peut être des toutes petites choses, ça peut être des choses très grosses, ça dépend de votre boulot. On fait ça la première année. Ça a pris en vrai un an et demi pour vraiment faire digérer ces sujets-là, l'accepter, puis se rendre compte qu'en fait, ça donne envie d'aller bosser le matin, etc. Assez vite face à ça, tu as je suis hyper motivée Quand je ne l'étais pas forcément avant, je deviens super motivée. Mais en revanche, il n'y a rien qui marche, les processus sont pourris, et puis la IT, ça ne va pas, le système d'information. Enfin, je n'ai pas les outils pour. Logique. Donc, on s'est dit, OK, maintenant, il faut qu'on mette de l'infrastructure. Il faut qu'on passe de l'infrastructure 0.0 à 4.0, parce qu'on a des idées 8.0, mais on n'a pas encore les routes et tout ça. Donc, il y a eu un travail commencé l'année dernière, qu'on continue cette année vraiment de... On a mis Business Process Owners, là c'est un nouveau métier qu'on a intégré dans l'entreprise. Il y a tout un travail autour de la data qui va prendre pas mal d'années aussi, donc on va un peu mettre ces infrastructures. Et en fait, après ça, on s'est rendu compte qu'il y avait une histoire de comportement aussi à aller travailler. Pas au sens du comportement, le bon élève ou le mauvais élève. Mais vraiment, quelles sont les attitudes ? C'est du behaviorisme, c'est on aura beau mettre les bons process, les bonnes infrastructures, les bons outils, si les gens continuent à... pas savoir se faire des feedbacks positifs, à ne pas partager leurs échecs, mais à ne partager que leur grand succès. En fait, du coup, les échecs vont continuer à se répéter d'une équipe à l'autre, parce qu'on aura mis sous le tapis la poussière pour surtout pas dire, j'ai essayé ça, ça n'a pas du tout marché, ne le refaites pas. Donc, il y a eu, en fait, cette prise de conscience qu'il fallait changer de culture. Et là, l'équipe RH, COM, ils ont été super, parce qu'ils ont dit, non, non, mais c'est pas nous au comité de direction qui allons choisir la culture cible. On va demander aux salariés de le faire. Ce qui va nous permettre aussi d'aller chercher tout ce qu'on fait de mal au niveau de la hiérarchie du management. Parce que si c'est nous qui influons, on va dire oui, vous devez être plus autonome, machin, évidemment, comme d'habitude, faire plus avec moins. Mais en fait, il y a peut-être un vrai problème managérial aussi à régler. Et donc, il y a eu des groupes de travail et ils sont arrivés à, je crois, six comportements souhaitables. Dans ces comportements, il y avait déjà des choses qu'on faisait. chez Expansion 5, autour de l'engagement, notamment parce que c'est une boîte qui n'a pas attendu 5 ans pour être très engagée. Ça fait depuis 2004 qu'on a signé le pacte de l'ONU, donc je pense qu'il y avait déjà un vrai substrat dans la boîte. Mais en revanche, il y a eu toutes ces notions dans les comportements de valoriser le chemin, c'est-à-dire accepter qu'on expérimente, qu'on teste des trucs, et qu'en revanche, on s'obstine pas si ça marche pas. On fait tout de suite un retour d'expérience en disant Ok, ce truc n'a pas marché, voilà pourquoi il n'a pas marché. soit on change légèrement de voie pour retenter, soit c'est un vrai échec, c'est un four. On le dit haut et fort à tout le monde, on ferme cette porte. Et tant mieux, on se félicite d'avoir fait cet échec parce que ça nous permet d'arrêter d'essayer des trucs qui ne servent à rien. Ça, c'est sûr, cette porte, elle est fermée, on ne la prendra plus jamais. Donc, il y a eu cette histoire de l'échec. Et du coup, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'au niveau managerial, il faut accepter que les gens se plantent. Donc, ça nous a obligés à nous dire, OK, donc attention, quand il y a un problème, on ne va pas aller chercher le coupable. On va aller chercher la raison de l'échec pour en faire une leçon. Ça, c'est un exemple parmi d'autres. Il y a aussi tout un sujet autour de s'écouter, écouter, vraiment avoir de l'écoute active. Et ça, c'est autour de la diversité, parce qu'on est quand même sur 13 filiales différentes et donc accepter que tout le monde n'a pas les mêmes modèles culturels, etc. Donc, ce n'est pas toujours des points faciles, ça va mettre du temps à l'instaurer. Mais ce qui est génial, c'est que c'est quelque chose qui a été co-construit par plein de nationalités différentes. Plein de métiers différents, c'est des gens qui avaient des hiérarchies aussi très différentes. Et donc, on estime que ça représente pas mal ce que le collectif d'expansion aujourd'hui a envie d'opérer comme changement de comportement pour se sentir en capacité de changer notre trajectoire. Je te propose qu'on en reste là.

  • Speaker #1

    La planète a des limites, cet entretien aussi,

  • Speaker #0

    on vient de l'atteindre. Merci infiniment Sophie. Merci à toi.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté cet épisode de Nos Limites, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

Description

Sophie Robert-Velut est directrice générale des activités du groupe Expanscience, devenu entreprise à mission en 2021.


Dirigeante engagée, elle a suivi le parcours de la Convention des entreprises pour le climat et pris plusieurs décisions majeures pour contribuer à rendre les activités de son entreprise compatibles des limites planétaires.


Dans l’entretien à suivre, Sophie s’interroge sur les risques liés à l’accélération et à l’amplification des développements de dispositifs de surveillance de masse, revient sur le rôle clé joué par une loi américaine votée au milieu de la décennie 1970 et qui a permis l’essor puis la domination de la finance internationale, et propose enfin différentes pistes concrètes pour reconnecter les entreprises à leurs territoires.


Entretien enregistré le 5 septembre 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    I can slightly hear it. Nos limites. Un podcast de Thomas Gauthier, produit par Logarithm.

  • Speaker #1

    The growing threat of climate change could define the contours of this... The world is waking up and change is coming, whether you like it or not.

  • Speaker #0

    Une enquête à bord du vaisseau Terre à la recherche d'un nouveau cap pour l'humanité.

  • Speaker #2

    Nous sommes en train d'atteindre les limites planétaires, nous sommes en train de détruire ce qui nous permet de vivre. La modernité, c'est la vitesse. Et c'est vrai que ça va un peu vite.

  • Speaker #1

    Aujourd'hui, on ne va pas se permettre de ne pas s'engager. Il faut qu'on soit dans une science de combat.

  • Speaker #0

    Enseignant-chercheur à EM Lyon Business School, Thomas va à la rencontre de celles et ceux qui explorent le futur et se remémorent l'histoire pour bâtir un monde habitable dès aujourd'hui. À chaque épisode, son invité, curieux du monde à venir, commence par poser une question à l'oracle. Ensuite, tel un archiviste, il nous rapporte un événement méconnu du passé dont les conséquences sont pourtant bien prégnantes dans le monde actuel. Pour conclure, il devient acupuncteur et propose une action clé afin d'aligner les activités humaines sur les limites planétaires. Sophie Robert-Velut est directrice générale des activités du groupe Expanscience, devenue entreprise à mission en 2021. Dirigeante engagée, elle a suivi le parcours de la Convention des entreprises pour le climat et pris plusieurs décisions majeures pour contribuer à rendre les activités de son entreprise compatibles avec les limites planétaires. Dans l'entretien à suivre, Sophie s'interroge sur les risques liés à l'accélération et à l'amplification des développements de dispositifs de surveillance de masse. Elle revient sur le rôle clé d'une loi américaine votée au milieu des années 70 qui a permis l'essor puis la domination de la finance internationale. Elle propose enfin différentes pistes concrètes pour reconnecter les entreprises à leur territoire.

  • Speaker #2

    Bonjour Sophie.

  • Speaker #1

    Bonjour Thomas.

  • Speaker #2

    Alors ça y est, tu es face à l'oracle, tu vas pouvoir lui poser une question. Qu'est-ce que tu lui demandes ?

  • Speaker #1

    Alors Oracle, est-ce que nos sociétés humaines sauront sortir de la société de contrôle dans laquelle elles s'engouffrent en ce moment, en laissant les technologies de l'information, l'intelligence artificielle et les réseaux sociaux s'emparer de nos vies ?

  • Speaker #2

    Alors avec cette question, il y a forcément plusieurs questions que j'ai envie de te poser à mon tour. Tu parles de contrôle, tu parles de prééminence des réseaux sociaux dans la vie de tous les jours. Est-ce qu'il y a des signes dans ton quotidien ? qui te font craindre pour la suite ? Est-ce qu'il y a des angoisses particulières qui te préoccupent ? Est-ce que tu peux nous partager peut-être des situations dans lesquelles tu t'es trouvée ou des observations que tu as pu faire qui te donnent envie d'aller voir l'oracle avec cette question-là et pas une autre ?

  • Speaker #1

    Oui, il y en a plein des situations. Alors, elles sont peut-être un peu moins dans ma vie professionnelle et un peu plus dans ma vie personnelle, dans mes lectures et dans ce que je vis de l'actualité aussi. Je pense qu'on a tous souvenir que ces derniers mois ont fracturé la société française. Moi j'ai un mari dont la mère est de confession juive, donc elle a forcément vécu très fortement un certain nombre de drames et d'horreurs passées l'année dernière. Elle a réagi fortement sur ces sujets-là, beaucoup en regardant les réseaux sociaux. De l'autre côté, j'ai des parents qui sont des laïcars pas possibles et qui, pareil, sont très, très, très confrontés aux réseaux sociaux. Et puis, j'ai un mari qui, lui, travaille dans une ONG qui favorise l'accueil des personnes réfugiées en France, avec beaucoup de gens qui fuient la dictature, qui fuient parfois des religions qui les emprisonnent, d'une certaine manière. Et il y a eu des débats énormes sur l'islamophobie, sur l'antisémitisme. Et là où on était plutôt dans des familles assez unies. plutôt dans le dialogue, pas toujours d'accord, on avait du mal à discuter. Et on a regardé il n'y a pas très longtemps La Fièvre, du même scénariste que Baron Noir, et on a été complètement frappés par l'analyse qui est faite sur ce qui se passe dans les réseaux sociaux, sur la capacité qu'on peut avoir, par petites touches finalement, entraîner des débats de société, des fausses informations, des clivages qui peuvent en fait fracturer complètement une société. Donc ça, ça me fait très peur. Il se trouve qu'en plus, j'ai lu une étude qui a été publiée par le CNRS il n'y a pas très longtemps, qui s'appelle Minimum indice à l'horloge de Poutine et qui est une étude qui a été faite par David Chavalarias. En gros, c'est quelqu'un qui a développé des méthodes pour analyser toutes les dynamiques dans les réseaux sociaux, les débats sur X, ex-Twitter. Et en fait, ils ont découvert, en faisant cette méta-analyse, qu'il y avait eu énormément de manipulations dans les réseaux sociaux par les pouvoirs russes. Donc c'est une étude qui est publiée, qui est tout à fait sérieuse, elle a même été citée par Le Monde il n'y a pas très longtemps. Et une grande majorité de ces manipulations viendraient du pouvoir russe et pousseraient finalement à une déliquescence du front républicain contre l'extrême droite. Donc c'est hyper intéressant de voir que ce qu'on voit dans des fictions, ce qu'on ressent à l'échelle de notre intimité familiale... Et ce que des grandes études de fond sont faites sur ce qui se passe géopolitiquement et dans nos sociétés finalement, tout ça se rejoint et est très lié à cette idée qu'on ne choisit plus ce qu'on lit comme information. On n'est plus tout à fait sûr du niveau de certitude finalement de ce que nos enfants sont aussi en train de regarder sur les réseaux sociaux, etc. Et tout ce qui était des grandes évidences il y a encore 15 ans ou 20 ans dans nos sociétés, la démocratie c'est bien, la science c'est un fait, c'est en train de voler en éclats. Donc ça, c'est quelque chose qui me fait très peur et dont je sais en plus qu'on est encore à l'orée de ce que le deepfake va permettre de faire, finalement, comme détournement de la réalité. Donc on est en train de mettre le doigt dans un truc qui va aller beaucoup, beaucoup trop vite et très loin.

  • Speaker #2

    Tu as commencé par dire que cette prise de conscience et ces anecdotes que tu relates concernent, pour commencer, ta vie personne, néanmoins... Tu l'as dit en introduction, tu diriges les activités d'une entreprise. On a à l'esprit les uns et les autres que la frontière entre la vie perso et la vie pro est de plus en plus perméable, que ce qui se passe en dehors de l'entreprise joue un rôle dans l'entreprise et vice versa. Est-ce que tu constates toi déjà, à ton niveau, dans tes activités, tu parles de fracturation de la société française, est-ce que ça existe aussi la fracturation à l'intérieur d'un collectif de travail ou alors est-ce que l'entreprise... selon la façon dont elle est organisée, quelque part arrive à apaiser cette fracturation. Est-ce que tu peux peut-être nous en dire un peu plus ?

  • Speaker #1

    Alors aujourd'hui, moi je travaille dans une entreprise où ce n'est pas tabou de parler de politique au sens non pas d'être partisan d'un parti ou d'un autre, mais plutôt de se dire qu'il y a un rôle sociétal de l'entreprise. En fait, on a, toutes nos entreprises ont participé, ont contribué à la destruction d'un certain nombre de ressources depuis 50 ans. Et donc notre entreprise Expansion, comme les autres, on a donc cette part de responsabilité-là et on estime, et je pense que le corps social de ma boîte l'estime aussi, qu'on a du coup maintenant une part à jouer pour reconstruire et réparer. Et c'est ça être politique, c'est-à-dire en fait c'est juste accepter que quand on fait société, au sens d'une entreprise, on fait aussi partie d'une société humaine. Et donc on a absolument des responsabilités. Je vais te donner un exemple tout bête mais... Dans mon entreprise, on produit des produits de soins pour les bébés, pour la famille, de la marque Mustela. C'est une marque qui est leader, ça fait 70 ans qu'elle existe, donc c'est une marque qui a beaucoup d'influence, malgré elle, sur ce que les parents s'autorisent à faire ou à ne pas faire. Il y a encore 5 ans, chez Mustela, on produisait des coffrets roses pour la naissance des petites filles et des coffrets bleus pour la naissance des petits garçons. Alors oui, c'est moins grave que la manipulation des Russes sur les élections législatives françaises, mais c'est une part de responsabilité qui est très forte, parce que finalement, tu ne vas pas à l'encontre de ces stéréotypes de genre qui aujourd'hui, je pense, sont extrêmement mauvais pour le bien-être à la fois des petites filles et des petits garçons. De la même manière, on montrait très peu de pères de famille, on montrait beaucoup de femmes systématiquement qui étaient en charge de l'enfant. Donc finalement, c'est encore une fois une injonction. à ce que la femme soit la première à s'occuper de l'enfant. On ne parlait pas tellement du choix d'allaiter ou de ne pas allaiter. Donc moi, ça, c'est des sujets sur lesquels on a fait beaucoup de changements ces dernières années parce qu'on part du principe qu'on doit porter un message, un message politique, mais au sens pas partisan, mais au sens de dire qu'on n'a pas à pousser les femmes à rester à la maison quand elles font un enfant. On n'a pas à faire le jugement de ce qui est bon pour un enfant à la place de ses parents. On n'a pas non plus à montrer uniquement des familles biparentales, hétérosexuelles. Il y a plein de modèles familiaux différents qu'on peut montrer. Donc ça, c'est une première prise de position, on va dire, qui nous incombe. Et puis ensuite, évidemment, assez vite, on est allé sur les sujets de la responsabilité environnementale et sociale, au-delà juste de tes messages de communication. Mais ça, on en reparlera peut-être après.

  • Speaker #2

    Sur ces sujets sociétaux, ces prises de position et ces actions de ton entreprise, j'imagine qu'en fait, il y a une infinité d'interventions que ton entreprise peut envisager pour, quelque part, contribuer à réparer des injustices, rétablir des équilibres, pour replacer l'homme et la femme. à des places plus équilibrées, comment à l'intérieur de l'entreprise vous instruisez finalement le choix des interventions que vous allez faire et comment est-ce que vous estimez peut-être par anticipation qu'en agissant de ce sens-là ou de cet autre sens, vous allez avoir un effet sociétal tel que vous le souhaitez ? Est-ce que tu peux nous faire vivre un tout petit peu le processus d'instruction de ces interventions ?

  • Speaker #1

    Sur les interventions sociétales, c'est assez intéressant parce que justement, on est présent dans une centaine de pays avec Mustela. Alors, on n'a que 13 filiales. Donc, même si je me concentre uniquement sur les filiales, on est quand même aux manettes beaucoup plus que sur les autres pays où on va distribuer le produit. Mais ce n'est pas nous qui opérons la distribution. Dans ces 13 filiales, on va avoir des pays où la parentalité va être vécue de manière très différente. Tu vas voir les États-Unis, la Chine, la Turquie, le Brésil, la France. Donc, en fait, il y a... autant de modèles parentaux et de cultures parentales différentes dans tous ces pays-là. Pour autant, on a commencé par faire pas mal d'observatoires des questions que se posaient les parents. Donc beaucoup d'études, de sondages pour poser les questions aux gens. C'est quoi les grandes angoisses que vous pouvez avoir à la naissance d'un premier enfant, etc. On a donc un socle assez commun. Ça, ça nous aide déjà à nous dire qu'est-ce qui nous relie. Parce que souvent dans notre société de réseaux sociaux, on est beaucoup sur ce qui nous divise, ce qui nous sépare. Je suis dans ma bulle, mon technococon, comme dirait Damasio, mais de l'autre côté, en face, tu es différent, donc je ne veux pas entendre tes différences. Donc on a commencé par se dire, ok, qu'est-ce qui relie tous ces parents ? Et il y a des tas de choses. Des choses assez sur la physiologie, l'angoisse que tu as, la mort du prématuré, du nourrisson, des tas de choses comme ça assez évidentes. Évidemment, la notion de la répartition des tâches entre les hommes et les femmes peut être différente d'un pays à l'autre. Pour autant, c'est toujours une question transversale, c'est-à-dire qu'elle est plus ou moins avancée. en fonction de la maturité ou de l'histoire de la culture d'un pays. Mais ça reste un sujet aujourd'hui qui se déploie partout. Donc là, hyper intéressant, parce que les pays assez vite, on avait demandé à nos filiales, à nos équipes terrain, qui sont de la culture nationale locale, de décider quels étaient les grands sujets locaux qu'ils voulaient justement essayer d'aider à adresser dans les pays dont ils étaient en charge. Je te donne un exemple tout bête, mais en Pologne, il y a eu... Pendant plusieurs années, un gouvernement assez rigide, autoritaire, qui a... Bon, l'avortement est interdit en Pologne. Et il y a eu, en fait, une femme qui est morte en couche au moment de l'accouchement parce que les médecins pouvaient lui sauver la vie. Ils avaient tellement peur de pratiquer un avortement thérapeutique. Il y avait, en gros, une mort du nourrisson qui était en cours, etc. Mais ça a provoqué la mort des deux, le bébé et la mère. Et la femme n'a pas été soignée et sauvée à cause de ça. Et ça a créé un énorme raz-de-marée de manifestations dans les rues en Pologne. Et l'équipe polonaise m'a dit, en fait, c'est ça le sujet. C'est mettre au courant les parents des droits dont ils disposent, juridiques, quand ils sont au sein de la maternité, pour s'assurer que ça ne sera jamais reproduit. Et on leur a donné un seul guide qui était, n'essayez pas de jouer aux ONG à la place des ONG. Vous trouvez l'ONG qui vous paraît la plus en place sur ces sujets-là. qui a un propos, qui travaille le sujet depuis longtemps, qui est reconnu, qui a des travaux scientifiques, etc. Et donner lui un coup de main. Soit financier, soit par du mécénat de compétences, etc. L'objectif, c'est surtout pas de commencer à être, nous, les pompiers, d'un truc qu'on ne maîtrise pas. Donc, eux, ils ont choisi cette cause-là, parce qu'ils ont estimé que c'était le sujet brûlant et qui allait à la fois durer quelques années quand même en Pologne. En Turquie, on est sur des sujets autour de la répartition des tâches entre les hommes et les femmes. Donc, un sujet un poil plus léger. Mais pour autant, qui est très important dans une Turquie qui est très divisée entre la Turquie rurale, la Turquie citadine. Donc, ils ont vraiment fait un choix, justement, de se dire, nous, on va être dans une marque qui prend le pari, peut-être, de dresser contre elle un certain nombre de familles peut-être plus traditionnalistes. Mais on pense que c'est notre rôle. Et donc, c'est vraiment aux équipes locales qu'on a donné ce choix-là, avec la seule directive de s'associer à des ONG qui connaissent leur métier. Oui, ayant un mari qui est en ONG et deux parents aussi contrariés dans le milieu associatif, je pars du principe que les entreprises, ce n'est pas leur rôle. Mais leur rôle, en revanche, c'est de subvenir aux besoins de ces associations ou de donner un coup de main.

  • Speaker #2

    Il y a beaucoup d'entreprises, pour tout un tas de bonnes raisons, qui essayent à travers leurs actions infinies d'accroître autant que possible leur profitabilité. Il y a un critère bien identifié qui permet à posteriori à l'équipe dirigeante d'avoir un retour sur ce qu'elle a fait et sur ce qu'elle a bien fait à l'aune de ce critère. Tu utilises quel critère ? Tu utilises quel feedback ? Tu t'adresses à quelle partie prenante pour qualifier ces différentes actions, ces différents investissements ? Et peut-être à la fin de la journée pour te dire à toi-même si tu en as fait assez ou pas. Oui.

  • Speaker #1

    Alors l'avantage d'Expansion, c'est qu'on est devenu une société à mission il y a quelques années maintenant. Et ça nous donne un cadre assez précis puisqu'on est censé... Donc on a quatre objectifs de mission et on est censé... dérouler finalement des indicateurs de performance sur ces objectifs de mission à court, moyen et long terme. Et puis chaque année, on est contrôlé par une assemblée on va dire externe, qui est le comité de mission, et qui a un droit finalement de ne pas valider notre mission chaque année. Donc finalement c'est comme un commissaire aux comptes qui ne va pas valider tes comptes. Et ça je trouve que c'est très intéressant parce qu'il nous pousse énormément. sur les critères. Et notamment sur les critères, par exemple, je te donne un exemple un peu dans la veine de ce que tu me demandes. On s'est donné comme mission d'aider les individus à façonner leur bien-être, donc à avoir de l'amélioration de bien-être grâce à nos offres et à nos actions. Je pense que les plus grands débats qu'on a eu avec eux, c'est définition des critères du bien-être et de comment vous allez mesurer l'impact que vous avez sur le bien-être des gens. Donc typiquement sur les parents, par exemple sur la parentalité. on a commencé par dire, nous, déjà, on va interroger les parents qui achètent nos produits, qui lisent nos communications, puisque maintenant, on a plus de 50% de nos communications systématiquement qui ne doivent pas parler des produits, mais qui doivent parler justement, qui doivent apporter du contenu et des outils pour le bien-être des parents. Ça veut dire quoi ? Des guides sur le sommeil de l'enfant, ça peut être retour à la sexualité en postpartum, les mots tabous, les choses dont on n'ose pas parler entre un homme et une femme, etc. Donc, des choses très concrètes. issus plutôt de nos discussions avec nos parties prenantes. Puis après, on leur demande. Est-ce que vous avez trouvé ces contenus utiles ? Est-ce que ça a amélioré votre bien-être ? Pour autant, pour l'instant, ça reste du sondage. Le comité de mission a dit, c'est pas mal, mais il faut que vous arriviez à pousser encore un peu plus vos critères. De la même manière qu'on a une espèce de grille d'évaluation sur l'impact environnemental de nos produits. Et là encore, ce sont des outils. imparfaits. On utilise des analyses de cycle de vie, on utilise la réduction du taux de plastique de nos emballages, le poids, etc. Mais il manque encore plein de choses dans cette scorecard. Donc on est en permanence, chaque année, en train d'aller affiner ça. Comment on peut améliorer la mesure ? Donc là, on va rajouter maintenant l'impact carbone systématiquement et l'ACV de nos produits à l'intérieur. Et sur l'utilité aussi des produits, est-ce qu'il faut juste faire un sondage ? Est-ce qu'il faut qu'il y ait des pros de santé qui valident ça ? En fait, on multiplie tout un tas de données et c'est l'agrégation de ces données-là qui vont nous donner cette espèce de spider qui va nous permettre de dire, OK, ce produit-là, il va plutôt dans le bon sens et on vient coupler ça à la marge. Parce qu'en fait, ce qui serait idéal, c'est que d'ici trois ans, la boîte soit capable de se dire, le produit qu'il faut que je vende le plus dans mon portefeuille l'année prochaine, c'est celui qui combine le meilleur taux d'utilité et donc de bien-être pour les parents, le meilleur scorecard en environnement. Et en même temps, la marge la plus grosse. Et alors, des fois, ce sera le cas. Des fois, il y aura des produits no regret, comme on les appelle. C'est-à-dire qu'un, ils apportent zéro marge. En plus, ils sont super polluants. Et puis, globalement, ce n'est pas ça qui va rendre les gens plus heureux. Comme les lingettes, par exemple, qu'on a décidé d'arrêter. Mais il y a des produits où, en fait, il va falloir choisir. Il a la marge la plus haute, il est vaguement utile. Et en revanche, son environnement, il est pourri. Qu'est-ce qu'on fait ? Mais au moins, on aura les débats avec des données. concrètes et qui vont nous permettre de prendre des décisions et de se donner le temps qu'il faut pour faire évoluer notre portefeuille.

  • Speaker #2

    Et à quoi ressemblent aujourd'hui ces rapports de force, si je puis dire, justement, entre les dimensions marges, donc dimensions financières classiques, quelque part, telle qu'on l'entend en entreprise, dimensions sociétales, dimensions environnementales ? À quoi ressemblent les frictions ? À quoi ressemblent les hésitations ? À quoi ressemblent les sauts dans l'inconnu quand il s'agit peut-être... Pour la première fois, de mettre en retrait un critère financier qui a été, au cours de décennies passées, érigé comme l'étoile polaire, quelque part, qui doit guider les choix stratégiques d'entreprise. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu de ce qui frotte effectivement dans l'entreprise, dans les circuits décisionnels ?

  • Speaker #1

    Alors... La première chose qu'on apprend à faire et qu'on a appris à faire beaucoup avec la Convention des entreprises pour le climat, ça a été évidemment de remettre en question ta boussole. Donc effectivement, qu'est-ce que tu regardes dans ta performance d'entreprise pour prendre des décisions ? Et la deuxième chose sur laquelle ils nous ont fait bosser, c'était un peu l'iceberg de toutes nos idées reçues. Et ces idées reçues, ces mythes fondateurs des écoles de management et de l'économie, sont par exemple que la croissance ruisselle. Plus depuis dix ans. C'est aussi qu'un produit clean, c'est forcément un produit moins margeur. C'est faux. Nous, ce qu'on a commencé par faire chez Expansion, ça a été de se dire, déjà, on va regarder tous ceux qui sont super bons en marge et qui sont les plus clean possibles. Ou à l'inverse, ceux qui ne sont franchement pas très profitables et qui, en plus, sont dégueulasses. Toujours commencer par le plus simple, je veux dire, comme l'eau. On va suivre la pente. Donc, on a commencé par faire ça et ça a mis tout le monde d'accord. Et ça, c'était déjà pas mal. Et ça, c'est encore aussi ma méthode, c'est de dire déjà, trouvons ce qui nous rend heureux tous ensemble. Et puis, au fil des années, on va petit à petit aller se frotter aux produits qui sont plus difficiles. J'ai un médicament, par exemple, chez nous. Un médicament, tu ne peux pas le modifier, sa composition, très facilement, sinon tu perds toutes tes autorisations sur le marché. Dedans, il y a du soja. Donc, c'est forcément très impactant pour la biodiversité quand tu achètes du soja en grande quantité. Même si c'est un coproduit de l'alimentaire soja, ça reste du soja initialement. Donc, ce sujet-là, sur un médicament qui est très profitable, il est énormément problématique. Mais en revanche, ce qu'on a fait, c'est qu'on s'est dit, on ne va pas pouvoir le modifier en composition, il faut qu'on change la source. Pour changer la source, on se donne 5-6 ans. C'est long, mais en fait, c'est la seule manière qu'on va avoir d'adresser ce sujet sans pour autant perdre toute la profitabilité de ce produit. Donc, on va tout de suite sur les parties faciles, celles qui à la fois sont plus margeuses et plus écolo. Et puis, on va aller prendre le temps d'adresser les autres. Les lingettes, par exemple, en pourcentage de marge, effectivement, ce ne sont pas des produits qui sont très profitables. Mais en masse de marge, c'était énorme quand on a pris la décision. C'est quand même 20% de notre chiffre d'affaires pour la France à l'époque. Et c'était, je crois, autour de 5% de la profitabilité de la filiale. Donc, on ne s'assoit pas sur 5% de notre profitabilité du jour au lendemain. Mais en revanche, à partir du moment où on s'est dit Attends, on se donne 3-4 ans pour sortir de cette catégorie-là. Il se trouve que c'est un produit qui n'est pas fabriqué dans notre usine, donc il n'y a pas de destruction d'emploi à attendre de cet arrêt. Bon voilà, on va se donner 3-4 ans et on sait que ce produit n'est pas valorisé. Enfin, c'est comme de vendre du PQ, objectivement. Donc, ce n'est pas ce vers quoi on va tendre de toute façon pour l'avenir de la marque. Donc, il y a eu des discussions, il peut y avoir des... pas des incompréhensions, mais des inquiétudes de la part des syndicats ou des gens du terrain au démarrage. Mais à chaque fois qu'on a discuté de manière très claire sur les tenants et aboutissants, les conclusions qu'on avait, le fait que ces produits étaient effectivement quand même pas bons du tout pour la vie des sols, etc. Et qu'on a aussi expliqué à nos gens du terrain, en fait, quand tu veux rapporter à l'entreprise autant d'argent en vendant tes lingettes qu'en vendant des soins pour les vergetures des femmes enceintes, par exemple, c'est un rapport de volume de 1 à 100. Il faut que tu vendes 100 paquets de lingettes pour apporter autant que... un produit de vergeture. Qu'est-ce que t'en penses ? En fait, en vrai, c'est possible. Donc, tout cet enjeu de simplifier, en tout cas de décomplexifier la transition, à partir du moment où on est dans la transparence, on explique pourquoi on le fait, et comment on va le faire, et qu'on se donne le temps de le faire, il n'y a pas tant de friction que ça. Après, je ne te cache pas qu'évidemment, quand il y a des tensions, ou quand on a des difficultés, et on en a tout le temps, je veux dire, on est dans un monde de plus en plus complexe, donc des difficultés et des crises, il y en a un peu tout le temps dans toutes les entreprises. C'est vrai que le premier réflexe peut être, pour certaines populations, certains métiers, de se dire oui, mais ça, c'est parce qu'on est trop écolo Donc, il faut systématiquement réexpliquer en disant non, ce truc-là, il n'a rien à voir avec nos partis pris sociétaux ou environnementaux Mais c'est vrai que c'est un peu le premier réflexe, finalement.

  • Speaker #2

    On va passer à la deuxième partie de l'entretien. Te voilà désormais archiviste. Selon toi, quel serait un événement clé qui serait méconnu, voire peut-être même inconnu, et qui a marqué l'histoire et dont les conséquences se font encore sentir aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Alors là, j'ai choisi un fait historique qui me vient tout de suite, je vais donner ma source parce qu'en plus tu le connais, donc il ne faut pas que je vous fasse semblant, qui me vient d'un économiste que j'ai rencontré à la Convention des entreprises pour le climat et qui est prof à l'EM Lyon aussi, qui s'appelle Pierre-Yves Gomez. Et il se trouve que cette rencontre a été très fructueuse puisqu'on lui a proposé de devenir président de notre société à mission d'expansion. Et Pierre-Yves, il raconte... Le moment où le président Ford, aux Etats-Unis, c'est en 1974, va lancer une nouvelle loi qui s'appelle ERISA. ERISA pour Employment Retirement Income Security Act. Et en gros, c'est une loi qui va permettre aux entreprises de mettre leur épargne retraite, l'épargne retraite de leurs futurs salariés retraités, dans plein de fonds différents, plein d'entreprises différentes. Avant cette loi de 1974, tu avais l'obligation en tant qu'employeur. de mettre de l'argent de côté pour payer les retraites de tes salariés. Donc finalement, cet argent était réinvesti dans l'entreprise le temps d'eux. Et puis si l'entreprise avait de bons résultats, elle pouvait payer les retraites. Mais il y a eu une entreprise qui n'a pas réussi à le faire. Du coup, Ford s'est dit non, on ne peut pas mettre tous les oeufs dans le même panier. Donc, on va proposer aux entreprises via la bourse, qui était à l'époque très peu dotée en entreprise. En fait, il y avait finalement peu d'entreprises qui étaient cotées en bourse. Mais Ford a dit très bien, maintenant, les fonds de pension vont pouvoir... pour investir de plein de manières différentes, dans plein d'entreprises différentes, via la bourse. Et qu'est-ce qui s'est passé à ce moment-là, finalement ? C'est que vous avez un actionnariat qui ne va pas aller rechercher le bien de l'entreprise, il va aller rechercher la maximisation des profits.

  • Speaker #0

    à court terme, pour pouvoir ensuite rémunérer ces pensionnaires, enfin les gens qui vont partir à la retraite. Et qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Finalement, ça fait des envolées de cotations en bourse, parce que d'un coup, il y a des mannes d'argent qui sont disponibles sur les marchés boursiers, d'abord américains, mais ensuite, finalement, c'est un mouvement qui se déploie au monde entier, à l'Occident en tout cas. Et du coup, on se retrouve avec toutes les entreprises qui se disent Attends, mais moi aussi, je vais me coter en bourse Et donc, cette course à la cotation en bourse, couplée à... à la course à des promesses de croissance de profit chaque année pour avoir plus de gens qui mettent de l'argent dans son entreprise, les entreprises annonçaient l'année prochaine, on va faire de la croissance, plus 10, plus 20, plus 30, etc. Et c'est vraiment le démarrage de cette financiarisation de l'entreprise où on se dit finalement, pour pouvoir être à la hauteur des promesses qu'on a faites à nos actionnaires en bourse, il faut faire plus de croissance. Pour faire plus de croissance, il faut lancer plein de produits. Et moi, quand je suis rentrée chez L'Oréal, c'est vraiment le truc qui m'a... Et franchement, ce n'est pas que L'Oréal, je pense que vraiment, il joue le jeu comme beaucoup, beaucoup de très grosses entreprises. C'est qu'est-ce qu'on pourrait bien lancer l'année prochaine pour faire plus de CA et plus de profit au final ? Et peu importe si ces produits sont utiles, s'il y a un vrai besoin de ces produits-là. Peu importe à l'époque, même si maintenant, je pense que ça a changé dans des grosses boîtes comme L'Oréal, l'impact environnemental ou sociétal de ces produits, etc. Donc, on se retrouve finalement avec une entreprise gouvernée par les ratios financiers et non pas des ratios financiers qui sont... au service d'une analyse de l'état de santé de l'entreprise. Moi, dans ma boîte, c'est typiquement le genre de truc qu'on essaye de changer aujourd'hui, qui est de se dire, qu'est-ce qu'on regarde ? Je te parlais de boussole. Qu'est-ce qu'on regarde ? Ok, un ratio financier peut être utile, évidemment. Il te dit ton taux d'endettement, il te permet de voir si la croissance de tes profits est au moins aussi grosse que la croissance de ton chiffre d'affaires, parce que si tu crois trop en chiffre d'affaires et pas assez en profits, ça veut dire que finalement, tu as tout le temps besoin de vendre plus. ou plus cher pour faire une valeur absolue de profit qui est toujours la même, ce n'est pas très bon signe, etc. Donc les ratios, ça peut être intéressant. C'est une partie de la boussole. Pour autant, si tu regardes que les ratios, tu ne vois pas arriver la crise Covid, tu ne vois pas arriver les logistiques qui s'effondrent complètement sur toute la planète, tu ne vois pas arriver le mec qui coince son bateau au milieu du canal de Suez et qui va faire que pendant 7 mois, c'est plus intéressant de faire voyager tes marchandises en avion qu'en bateau. au détriment de toute décarbonation possible, évidemment. Donc finalement, on a tous réalisé dans les années 2020 que nos entreprises étaient des géants au pied d'argile, qu'on était extrêmement fragiles, et que même si on avait les ratios au top, ça ne suffisait pas pour prévenir les crises. Donc on est rentrés, nous, dans une logique d'anticipation et de recherche d'adaptabilité, de robustesse. Pendant trois années de suite, je pense, j'ai fait des vœux aux salariés en disant bon, l'année dernière, c'était vraiment super difficile et tout, mais vous avez été au top au top, vraiment merci, et l'année prochaine, ça va aller mieux, l'année d'après. Bon, l'année dernière aussi, ça a été vraiment compliqué, mais vraiment, vous avez été au top, mais là, je suis sûre que ça va s'améliorer. La troisième année, j'ai dit, bon, c'était pas flambard l'année dernière, ça devrait pas être génial non plus l'année prochaine, globalement, il va falloir s'habituer à vivre en crise, même si notre boîte s'en est plutôt très bien sortie, juste, c'était un chaos permanent, c'est-à-dire qu'on avait, ah, telle matière première, finalement, est bloquée aux douanes, on n'arrive plus à avoir ça. Le mec a fait faillite, qu'est-ce qu'on fait ? On n'a plus de fournisseurs de ci, de ça. Enfin, il y avait des crises partout. Alors certes, ça s'est un peu calmé. Derrière, on a eu la guerre en Ukraine. On a dû mettre en sommeil notre filiale russe. Donc c'est 4 millions de profits directement qui sont partis d'une année sur l'autre. Et l'année encore d'après, il y avait le Covid chinois, qui avait deux ans de retard par rapport au reste. Et on a perdu 6 millions de profits d'un coup, parce que pas prévu, parce qu'un marché qui s'explose complètement. Donc là, ce sujet-là... on se rend bien compte que les lunettes utilisées depuis 30 ans ou 40 ans par les financiers pour regarder la santé d'une entreprise ne suffisent pas. Donc aujourd'hui, la question est vraiment de se dire, compter ce qui compte, être en capacité de regarder quelles vont être les matières premières qui vont être disponibles ou non disponibles, les sources d'énergie qui vont être non disponibles à l'avenir, et on se met petit à petit à entrer dans une comptabilité en triple capital. Je ne sais pas si ça c'est un sujet qui est abordé avec tes étudiants, mais... Pour moi, c'est plus possible d'apprendre la finance à quelqu'un si on ne lui apprend pas l'extra-finance. Ça n'a plus de sens. Donc aujourd'hui, je donne un exemple tout bête. Faire un produit solide, par exemple un shampoing solide, c'est faire un produit qui n'a pas d'eau. 100% de la matière qu'on met dans ce shampoing solide, on la paye. Quand on fait un gel douche ou un shampoing liquide, il y a entre 50 et 70% d'eau du robinet qui fait partie de la composition de ce produit. Paye l'eau, on la paye vraiment pas cher en France. Donc évidemment, la profitabilité, le taux de marge d'un shampoing solide est toujours bien inférieur au taux de marge d'un shampoing liquide. Mais si demain, on paye l'eau, vraiment, ou même qu'on nous dit vous n'avez plus le droit d'utiliser autant d'eau qu'avant, vous êtes rationné, etc. Mais là, la profitabilité du shampoing solide, elle va exploser. Donc le ratio lui-même, s'il n'est pas comptabilisé avec les bonnes données du futur, ça ne sert à rien. On a eu trois étés de suite, alors pas cet été, mais les trois étés d'avant, où la préfecture a dû fermer entre 1 et 25 jours des usines. Autour de nous, en Eure-et-Loire, parce qu'il y avait un stress hydrique tel, qu'ils ont dit Non mais toutes les entreprises qui n'ont pas fait d'économie d'eau vraiment substantielle ces dernières années, on vous coupe l'eau pendant X jours. Nous on a eu, je crois, une journée ou une demi-journée de coupe l'année d'avant, mais comme on avait fait pas mal d'économies, etc., on n'a pas été les plus touchés. Mais on a vraiment eu une usine à côté de nous qui a fermé 25 jours, 25 jours de production en moins, c'est juste une catastrophe financière pour le coup. Donc aujourd'hui... On fait des investissements, quand on fait des investissements, et notamment sur le circuit d'eau, si on applique le prix de l'eau actuel, le ROI de ces investissements, il est à 19 ans. Donc c'est l'équivalent d'une centrale nucléaire. Si on applique un prix de l'eau fictif, où on se dit, il y aura moins d'eau, on va nous couper l'eau, l'eau nous coûtera tant, on peut redescendre notre ROI à 6-7 ans. Tout ça, ça reste encore fictif, la comptabilité en triple capital, c'est un exercice théorique, mais qui est très utile pour envisager ce qui va se passer dans l'avenir pour la santé de notre entreprise.

  • Speaker #1

    Avec ce que tu viens de dérouler, j'ai facilement 3, 4, 5, peut-être plus questions à te poser. Je vais essayer d'être moi-même sobre en question. La première qui me vient, c'est que tu as parlé de paire de lunettes, de façon de voir le monde. J'établis un lien direct avec un cours suivi par les étudiantes et étudiants en première année du programme Grande École à EBM Lyon où on leur demande, en interaction avec un dirigeant ou une dirigeante d'entreprise, d'essayer de comprendre Quelle est la grille de lecture de ce dirigeant ou de cette dirigeante ? Quelle est sa façon à elle ou à lui de voir le monde, de comprendre le monde, de retenir certains signaux, d'en éliminer d'autres, de donner du sens en fait à ce qui se joue autour de son entreprise ? Si toi t'es face à une autre dirigeante, à un autre dirigeant, quelles questions tu lui poses ? À quoi es-tu attentive pour essayer d'esquisser le portrait robot du monde tel que cette interlocutrice le perçoit ? Comment tu fais ?

  • Speaker #0

    Alors, en fait, c'est très intéressant d'observer la grammaire des gens avec qui tu discutes. Parce qu'on a tous fait à peu près les mêmes écoles, les mêmes études. Donc, quand tu vas parler des résultats de ton entreprise, c'est intéressant de voir de quoi ils te parlent, par exemple. Donc, est-ce qu'ils vont te parler de prévision de croissance, comme si c'était l'alpha et l'oméga de leur entreprise ? Ça, ça m'intéresse toujours. Mais tu sais, cette grille, je l'utilise même pour quand des gens me démarchent. On reçoit tous plein de mails pour dire, oui, votre entreprise a besoin de ci, de ça. Et je suis toujours scotchée qu'il y a encore des gens qui m'écrivent pour me proposer des techniques pour faire de la croissance à trois chiffres, par exemple. Je me dis, bon, eux, ils n'ont pas trop travaillé leur cas, leur targeting. Donc, effectivement, est-ce que la croissance est une fin en soi pour le dirigeant ? Est-ce qu'elle n'a pas de limite ? potentiellement. C'est toujours très intéressant de le voir. Et j'ai pu l'observer chez des gens qui étaient sur des boîtes assez anciennes, avec un modèle ancien. Mais je l'ai aussi beaucoup observé sur des start-upeurs qui, finalement, se disent avec un modèle hyper vertueux, mais dans la mesure où ils estiment que leur modèle est vertueux, l'hypercroissance, pour eux, ce n'est pas un sujet. Moi, je doute quand même aussi de ça en permanence. Je pense que même une start-up, à part une start-up de l'ESS, qui a vraiment une... dont le seul objectif et la seule production, c'est de réparer les gens, ok, on peut admettre que l'hypercroissance est souhaitable. Mais sinon, tu mets un bien de consommation sur le marché, imaginez que ça doit tout remplacer. Pour moi, c'est un problème. Ensuite, il y a le modèle managérial. C'est toujours intéressant de regarder si ces gens-là connaissent la notion de subsidiarité, par exemple. Pour moi, c'est assez éclairant. ou s'ils sont sur cette idée, quand ils parlent, ils disent je tout le temps. C'est cette idée que c'est finalement eux, le penseur absolu, unique. Après, il y a la notion de transparence, c'est-à-dire les gens qui me disent aussi bien ce qu'ils font de bien que ce qu'ils font de mal, me donnent à penser, pas que je les aime plus ou moins, mais me donnent à penser qu'on a une grille de lecture proche. Moi, j'ai aussi... très longtemps, donc chez L'Oréal, où on nous interdisait de parler des choses qui n'allaient pas. Et je trouve ça dommage, parce que par ailleurs, chez L'Oréal, ils font plein de choses super cool. Objectivement, j'ai vu dans cette boîte plein de choses affreuses et aussi plein de choses formidables. Et je pense qu'on gagne toujours à être dans la transparence. parce que c'est plus crédible aujourd'hui qu'une entreprise soit parfaite, qu'elle fasse tout bien. Personne n'y croit. Donc en revanche, je pense être capable d'avoir la capacité de dire ce qu'on fait très bien et ce qu'on fait très mal, et quels sont encore les points d'amélioration, les trucs qu'on aurait envie de mettre sous le tapis, pour moi c'est clé, parce que ça permet de se dire je veux m'intéresser aux points d'amélioration et pas uniquement faire de la communication. Pour ne pas dire du greenwashing. Voilà globalement ce que je regarde, le vocabulaire. effectivement quels sont leurs indicateurs de performance. Même le mot performance devient sensible maintenant, ce que j'ai écouté Olivier Hamon hier dans une conf, et il n'a pas tort. C'est vrai que la sous-optimisation dans un régime en crise en permanence, par exemple, ou très souvent en crise, être en capacité de ne pas être tout le temps sur régime, ça va être clé. Moi, je vois les équipes aujourd'hui qui ont tendance à tellement s'engager sur les sujets, qu'elles voudraient que ça aille plus vite, qu'elles voudraient tout réussir, et je leur dis... Guys, on ne va pas réussir à tout faire très vite. Il y aura des écueils, il y aura des échecs. On en apprendra des choses. Donc, apprenez aussi à ne pas vouloir être tout le temps à 100%. Parce que le jour où il y a une crise, là, il faut que tout le monde soit à 100%. On ne peut pas être en permanence à 100%. Donc, voilà, c'est un peu ces sujets-là que je regarde chez une personne. Et après, j'avoue, mais ça, c'est mon petit côté bobo-chiante, je regarde toujours si les gens sont partis en vacances à Bali en avion pour trois jours ou s'ils ont pris le train. pour aller jusqu'à Rome. Tu vois, c'est un petit indicateur aussi. Bon, voilà. Mais c'est un peu jugeant, j'avoue, c'est pas terrible.

  • Speaker #1

    On va arriver à la troisième et dernière partie de l'entretien. Donc, tu as été face à l'oracle, tu viens d'être archiviste, tu nous as ramené la loi ERISA, d'ailleurs d'un président américain qui n'a pas été élu par le peuple. Il est devenu président suite à l'affaire du Watergate et à la démission ou à la destitution de Nixon. Je n'ai pas le vocabulaire exact à l'esprit. Et maintenant, te voilà acupunctrice. Est-ce que tu peux nous partager, selon toi, une décision, une action, une intervention, c'est l'un ou l'autre à chaque fois, qui pourrait aujourd'hui contribuer significativement à la fabrique d'un monde, disons, plus habitable. Tu as un seul moment pour intervenir dans le système monde, tu fais quoi ?

  • Speaker #0

    Alors déjà, moi, j'avais un petit sujet avec le monde habitable. Je ne me sentirais pas capable, moi, de participer à la fabrique d'un monde habitable. Je trouve que c'est tellement lourd et dur. Donc j'aurais dit plutôt... fabriquer ou inventer un modèle de société compatible avec les limites planétaires. Parce que je ne sais pas, en fait, le vivant est tellement en Qatar, à cause de nous, que je ne sais pas si on va être capable réellement d'inverser la courbe. On sait qu'on peut faire beaucoup de mal à la biodiversité, à la vie des sols, etc. Je ne suis pas sûre qu'on ait les moyens, même avec une petite aiguille d'acupuncteur, de corriger ça. C'est peut-être en lui foutant la paix en fait que... Donc la question c'est quels sont les modèles de société qu'on pourrait inventer et qui permettraient au moins aux vivants de se reconstruire. C'est un peu ça, c'est un peu l'idée. Et je vais parler plutôt d'une intervention au niveau entreprise parce que c'est quand même à ce titre-là que je suis là aujourd'hui. Même si j'ai plein d'idées aussi sur comment on accueillerait les personnes qui migrent pour des raisons d'effondrement écologique. Mais ça c'est plus des interventions de type politique. Donc, je vais les garder pour moi-même. Mais effectivement, mon idée, c'est plutôt de travailler sur l'atterrissage. Les entreprises aujourd'hui, et depuis, on va dire, 30 ans, 40 ans, se sont hyper mondialisées. Moi, même chez Expanscience, on a beau essayer de retravailler sur quelque chose de plus resserré, et j'en parlerai après, on achète nos matières premières. En gros, il y a une équipe marketing qui va donner un briefing aux gens des labos. qui vont imaginer un produit, qui répondent à ce brief. Et puis ensuite, ils vont donner une liste de courses aux acheteurs. Et puis les acheteurs, eux, ils vont se dire, bon, ok, je dois acheter 50 matières premières, au meilleur coût et à la meilleure qualité. Ça, c'était le brief initial. Et qu'est-ce qui se passe en général ? Ils vont aller acheter des matières premières à l'autre bout de la Terre, dans plein d'endroits du monde. On va les faire voyager, si possible, en bateau, etc. Ok, le plus clean possible. Mais enfin, quand même, ils viennent jusqu'à Épernon. On fabrique notre produit et on renvoie ces produits à l'autre bout de la terre, dans les 100 pays où on est distribué. Ça, ça doit changer. Et ce n'est pas une question de morale. Ça doit changer parce que justement, pendant la période Covid, on s'est rendu compte qu'on était dépendant 1 de territoire où on n'est pas sûr qu'il n'y aura pas de guerre dans les années à venir. Que ce soit la Chine, que ce soit l'Ukraine, où on achetait notre huile de tournesol à 100% en Ukraine. Il se trouve que trois mois avant la guerre en Ukraine, on était en pleine CEC et on a commencé à faire la cartographie de nos dépendances et on s'est rendu compte qu'on était dépendant à 100% d'un territoire qui lui-même était quand même extrêmement menacé. quelques années avant avec le Donbass, etc., on savait que l'Ukraine, c'était quand même pas un pays où tout était rose. On s'est dit, là, on ne peut pas être dépendant à ce point-là. Donc, on a commencé à diversifier un peu nos sources. Et heureusement qu'on l'a fait, parce que trois mois plus tard, il n'y avait plus rien qui sortait d'Ukraine. Donc, effectivement, aujourd'hui, c'est une question de survie des entreprises, déjà de commencer à se poser sur son territoire et arrêter d'aller acheter les trucs à l'autre bout de la Terre. Mais déjà, commencer à se dire, qu'est-ce qui serait ? maîtrisable comme source d'approvisionnement et en général, c'est quand même d'autant plus maîtrisable quand c'est pas trop loin de chez toi. Alors aujourd'hui, on n'y arrive pas, on n'est pas du tout à 100% sur du local, mais en revanche, on apprend à le faire. Parce que du coup, la matière définit ton brief. Alors qu'avant, c'était ce que va faire ce produit, on aimerait qu'il soit bleu, qu'il soit doux, qu'il soit qui sent je sais pas quoi, etc. Et après, on allait chercher les matières. Donc là, c'est un peu comme de la permaformulation qu'on essaye de faire avec les équipes des labos, c'est-à-dire qu'ils regardent ce qui pousse autour de chez nous en Eure-et-Loire. Donc il y a du tournesol, c'est de la monoculture, c'est pas terrible, donc il faut trouver des gars qui font du tournesol en bio si possible, en sol couvert, sans trop retourner la terre, etc. Mais il y a aussi du lin, pas mal de culture du lin, qui en plus le lin est plutôt dépolluant sur les sols, donc c'est intéressant. Il y a aussi sur les bords de Loire ou les affluents de la Loire, pas mal de... plantes invasives issues d'aquariums que les gens ont jetés et tout. Et donc, en regardant tout ça, finalement, en atterrissant sur ce territoire, on se rend compte qu'il y a plein de matières intéressantes. Et on est en train de les valoriser et de regarder si on est capable de les transformer de plein de manières différentes. Parce que, pour le coup, notre usine, elle est très bonne pour extraire des coproduits de matières premières. Et avec ça, voir si on est capable de fabriquer des soins essentiels qui pourraient se substituer à ceux qu'on a aujourd'hui. Donc, c'est une autre méthode de travail. Ça va prendre une dizaine d'années pour apprendre réellement à faire ça. Mais là, pour le coup, c'est pour moi de la robustesse. C'est-à-dire que si on sait faire ça, si on a ce savoir-faire, on est capable ensuite de le réappliquer dans d'autres pays où on est. Parce que c'est bien de le faire sur l'or et l'or, mais du coup, si tu veux vraiment être local, ça veut dire que ce produit, tu ne le vends qu'en France, ou aller en Europe pour être vraiment sur une région du monde. Mais ça veut dire que demain, il faudra qu'on soit en capacité de se dire qu'est-ce qui pousse au Brésil et qu'on pourrait prendre, et avec ça, on pourrait faire nos 4-5 soins les plus essentiels. Idem sur les Etats-Unis, etc. Et ça voudra dire aussi que cet atterrissage et cette relocalisation, finalement, elle va être multizone. Et elle pourrait permettre de changer aussi la notion de marque. C'est-à-dire que les gens n'achèteraient plus Mustela parce qu'ils adorent la texture de tel produit, qui pourrait être réplicable par n'importe quel concurrent, objectivement. Mais qu'en revanche, ce qui les intéresse, c'est qu'ils s'assurent, quand ils achètent un produit Mustela, que ce produit ne contribue pas à détruire l'environnement ou l'enfant. qui vont laver, va grandir. Mais au contraire, que ce soit un produit qui va plutôt contribuer à une agriculture régénératrice ou protectrice des sols et locale. Donc c'est d'autres critères finalement, d'autres attributs du produit qu'on aimerait travailler. Et ça, c'est très prospectif parce que pour l'instant, on a des consommateurs qui ne sont pas encore tout à fait prêts pour ça. Mais que ça tombe bien, comme ça va nous mettre une dizaine d'années pour être capable de le faire. Il faut qu'on soit prêts d'ici là. Donc l'atterrissage, c'est l'intervention que je proposerais, c'est un réancrage, un réatterrissage. Je donne un exemple aussi de coopération locale qu'on a trouvé récemment. Juste notre directeur des opérations industrielles, Jean, qui habite pas très loin du site de production, tous les matins, il passait avec sa voiture devant une ferme expérimentale de chez Bongrain. Un jour, il s'est arrêté. Il vendait du frometon, tout ça. Donc, il allait discuter avec les gars. Et les types ont dit, ah bah oui, mais nous, on est ferme expérimentale. On a une chaudière biomasse maintenant. Donc, on a beaucoup moins d'émissions de gaz à effet de serre. On a notre forêt qu'on gère nous-mêmes, etc. Donc, comme ça, vraiment, le bois qu'on met dans la chaudière biomasse est local. On a aussi une petite station de méthanisation. D'ailleurs, on manque un peu de boue pour nourrir cette station. Et en fait, rien qu'en discutant avec ses voisins, on s'est rendu compte que les bouts de lavage, dont on ne savait que faire, issus des cuves. On a des cuves où on fait nos cosmétiques et puis après, il faut laver ces cuves. Et ça crée de l'eau, d'un côté, qu'on retraite, mais aussi des bouts. Et en fait, ces bouts et ces eaux de lavage, on était obligés d'aller les mettre dans des cuves. camions-citernes qu'on envoyait à 400 km de chez nous pour aller les retraiter avant de pouvoir les remettre dans les affluents et les rivières du coin. Ce qui est normal. Mais en fait, là, les mecs nous ont dit, Ah mais non, mais nous, ça nous intéresse parce qu'il y a de la matière organique dans vos produits. Donc nous, ce qu'on veut faire maintenant, c'est utiliser vos bouts. Donc en fait, c'est devenu une opération 1, blanche financièrement puisqu'on n'avait plus les coûts de tous ces transports-là. 2, ça nourrit cette usine de médianisation locale et donc ça crée de l'énergie. Donc encore une fois, une coopération très fructueuse et à 10 km de chez nous. Et il se trouve que derrière, on s'est dit, mais dis donc, ta chaudière biomasse, c'est intéressant. Et donc là, on est en train d'investir pour changer le mix énergétique de notre usine, passer en chaudière biomasse comme eux et utiliser en partie le bois qu'ils utilisent eux, parce qu'ils en avaient trop. Et donc, ça va nous permettre de baisser très fortement notre mix énergétique et nos gaz à effet de serre. Donc atterrir, coopérer et favoriser des écosystèmes de coopération. C'est ça l'intervention qui, pour nous en tout cas, a été bénéfique dans la méthode pour apprendre et trouver des solutions, histoire d'être en compatibilité avec les limites planétaires. Coopérer, c'est coopérer aussi avec nos concurrents. On a proposé à nos concurrents de venir avec nous ouvrir des machines de vrac dans les pharmacies. Ils n'ont pas compris au début qu'on puisse aller les voir. On leur a dit, nous ça fait deux ans qu'on le fait tout seul, on pense que c'est moins efficace, venez avec nous, si on a plus d'offres, on sera plus fort. Et on leur a donné en open source... toutes nos études de compatibilité, de bactériologie, les indices de cycle de vie, etc. Donc cette coopération-là est très fructueuse, je pense.

  • Speaker #1

    Avec les exemples que tu nous partages là, ce qui me vient à l'esprit, en pensant aux étudiantes et aux étudiants, c'est que tu dois être déjà à la recherche, ou tu vas être à la recherche de nouveaux profils, de nouvelles compétences, de nouveaux diplômés des écoles, que ce soit des écoles de management, d'ingénieurs, de design, filières universitaires. Est-ce qu'aujourd'hui, pour donner toute la substance nécessaire à cette nouvelle grammaire d'entreprise que tu es en train d'écrire, tu as tous les profils dont tu as besoin ? Ou alors, est-ce que tu as déjà repéré des profils que tu souhaiterais voir affluer vers ton entreprise, des compétences ? Tu les touches du doigt, mais tu ne les as pas encore à disposition au sein du groupe. Qu'est-ce qu'il te faut pour... compléter quelque part la photo de famille d'expansion, c'est être en mesure de parfaitement déployer cette nouvelle grammaire stratégique ?

  • Speaker #0

    Alors, ma première réponse, elle est autour déjà de... Il y a plein de métiers qui changent en interne. C'est-à-dire que ce n'est pas des nouveaux métiers, mais c'est juste que la définition des métiers, elle change. Les acheteurs, dont je te parlais tout à l'heure, qui allaient à le bout de la terre pour chercher les produits de meilleure qualité, meilleur prix, aujourd'hui, il faut qu'ils deviennent des négociateurs. consortium avec d'autres contre des géants de type BASF etc. pour les pousser à être dans la traçabilité etc. Donc c'est plus du tout les mêmes enjeux. Il y a de la négociation de prix, évidemment, toujours chez un acheteur. Mais la première chose qu'il regarde c'est est-ce que je sais du champ au flacon, d'où vient exactement cette matière ? Est-ce que je suis sûre que ça ne participe pas à de la déforestation ? D'autant plus que maintenant il y a des lois sur la déforestation importée qui vont faire qu'on va être obligé de prouver ça. Et ça, c'est aux acheteurs. C'est les acheteurs qui doivent retomber sur leurs pattes avec ça. Donc, il y a des métiers qui sont en train de se changer. Et donc, effectivement, aux jeunes diplômés, je dirais, si vous devenez acheteur, renseignez-vous bien sur le métier que ça va devenir. Je pense qu'il n'y a aucun métier aujourd'hui dans mon entreprise qui ne va pas être profondément bouleversé dans les dix années qui viennent. Que ce soit à cause de ses limites planétaires ou à cause de l'intelligence artificielle. C'est pour ça que c'est les deux sujets qui focalisent mon attention, parce que finalement, c'est deux énormes... pression qu'on va opérer sur les sociétés humaines. Donc les acheteurs, pour moi, c'est un nouveau métier qui est aussi sur un métier de coopération plus que de négociation violente. Alors je ne dis pas que les acheteurs avec qui on bosse actuellement sont des négociateurs violents, pas du tout, mais quand même, j'ai en tête que quand tu voulais être acheteur, tu étais quand même un peu le mec qui pose tes couilles sur la table et qui dit ce sera ça le prier ou rien d'autre. Pas du tout. Aujourd'hui, notre objectif, c'est vraiment que les gens avec qui on va faire affaire puissent gagner suffisamment pour être bien, pour être pérennes. C'est la longévité de la relation qu'on va aller rechercher. Comme on a un scope 1, 2, 3 à traiter sur le carbone notamment, mais sur la biodive aussi, si nos sous-traitants, nos suppliers ne sont pas eux-mêmes en train de se changer, notre bilan sera toujours aussi pourri. Donc l'acheteur, son boulot, c'est aussi d'éduquer et de former ses sous-traitants à limites planétaires, fresques du climat, etc. Donc leur métier change radicalement. Le marketing change radicalement. Moi, j'ai besoin de nouveaux marketeurs. Alors aujourd'hui, j'ai des marketeurs qui sont en train d'inventer un nouveau marketing. Il y a deux ans, ils ont décidé, la directrice marketing de Mustela est rentrée de la CEC justement en me disant, pour qu'on tue la fonction marketing. Alors je dis, c'est dommage quand même, c'est ton boulot. Il me dit, ouais, mais on ne peut pas, il faut inventer des nouveaux récits, on ne peut pas continuer à inventer des produits qui ne servent à rien, enfin, ce n'est plus possible. Et donc là, ça fait deux ans que les équipes de toutes les activités, pas uniquement sur Mustela, mais aussi sur tout ce qui est bien vieillir et rhumatologie, ils travaillent sur c'est quoi notre nouveau métier, c'est quoi nos critères justement pour savoir si un produit est utile, pas utile au bien-être des parents. Donc ils rentrent dans des logiques d'analyse. de data et de faire des choix, faire les bons choix. Donc un gros travail sur l'éthique, ce qui n'était pas du tout le cas d'un marketeur, je pense, il y a encore 20 ans, quand moi j'ai commencé à bosser. Et après, la gestion se change énormément. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on ne décorrèle pas le financier de l'extra-financier. Donc finalement, les équipes qui travaillent sur le contrôle de gestion et sur la finance sont obligées de se former à la comptabilité en triple capital. à la comptabilité carbone. Donc l'IT est très en prise aussi avec ça, c'est-à-dire comment tu récupères la data, comment tu la flèches au bon endroit, comment tu donnes finalement le pouvoir à chaque salarié de faire les bons choix en n'ayant pas uniquement le seul prisme des euros pour prendre des décisions. Donc la gestion, aujourd'hui, on a un duo magnifique qui travaille sur les bilans carbone, enfin les budgets carbone de chaque pays et des équipes corporate autour de leur voyage professionnel. On a commencé comme ça. Et donc cette année, on leur a donné un budget carbone sur leur déplacement professionnel. Au début, on avait dit on interdit, on baisse, on était dans le top-down, et ça grognait de partout. Et en fait, moi j'ai réalisé que c'était une grosse erreur de ma part de vouloir sortir le bâton sur un sujet comme ça. Donc on a dit, ok, voilà combien vous avez dépensé en carbone l'année dernière en voyage professionnel, équipe par équipe. Voilà notre trajectoire carbone SBTI. Il faut donc diminuer de temps l'année prochaine. Donc voilà votre nouveau budget carbone. Après, vous en faites ce que vous voulez. Vous voulez aller voir huit fois le même distributeur parce qu'il est compliqué ? Vous y allez huit fois. Mais vous n'aurez aucun autre voyage à la place. Ou alors, si vous faites ça, ça veut dire que vous n'avez aucun moyen de vous tromper dans vos commandes parce que tout ce que vous allez recevoir, ce sera en bateau. Et si vous avez la moindre erreur, un voyage en avion, en cargo sur une palette, c'est monstrueux. Vous ne pourrez pas. Donc au moins, on leur donne le souci de bien faire. On leur donne un chiffre objectif. et après ils se débrouillent. Et c'est assez rigolo de voir que ça c'est des sujets où en fait les gens se prennent au jeu, comme ils se prenaient au jeu de réussir le chiffre d'affaires, ils se prennent au jeu sur le chiffre du carbone. Donc on a aussi tout un travail autour de la motivation des gens et comment tu trouves les bons leviers pour faire changer leur métier tout en restant ludique et sans rendre trop grave non plus leur quotidien.

  • Speaker #1

    Ce qui me venait à l'esprit en t'écoutant parler finalement de cette nouvelle nouvelle richesse professionnelle qui est proposée, de cette considération non seulement pour la réussite financière mais pour la réussite en termes de gestion d'un bilan carbone, en termes de respect des limites planétaires, de non franchissement ou de défranchissement si l'expression existe des limites planétaires. Ce qui me vient à l'esprit c'est tu proposes aussi avec toutes celles et tous ceux qui travaillent dans ton entreprise ou qui pourraient la rejoindre, d'habiter un nouveau rapport au monde, d'être quelque part traversé par un ou plusieurs nouveaux imaginaires qui sont encore en émergence et qui, quand même, assez largement, sont incommensurables avec les imaginaires encore dans beaucoup d'entreprises dominants où la réussite, où le succès, c'est nécessairement la progression dans la hiérarchie, c'est l'émission à l'international, idéalement très très loin de son camp de base. Comment ça se passe en interne dans ton entreprise, cette espèce de bataille, le mot est peut-être un peu fort, des imaginaires ?

  • Speaker #0

    Écoute, ça se passe pas trop mal. Cette année, on a sûrement pris les trucs dans le mauvais sens, mais c'est comme ça, c'est la vraie vie. Cette année, on s'est rendu compte qu'il fallait qu'on fasse évoluer notre culture d'entreprise, par exemple. Parce qu'on avait commencé, en gros, après la CEC, on a fait fresque du climat pour les 1150 salariés de l'époque, maintenant on est à 1245. Ça veut dire que même les opérateurs de l'usine, de nuit, ils ont fait la fresque du climat. Fresqués par des internes d'ailleurs. On avait fait former des fresqueurs internes, etc. Donc, vachement de dialogue et tout, hyper intéressant. Beaucoup de colère d'abord, comme toute personne fresquée. On est peut-être dans le saut, on n'est pas heureux, on est en colère. Et puis après, on remonte la pente et tout. Donc, une année de prise de conscience pour s'assurer qu'on parlait tous le même langage, qu'on avait tous compris le même constat. Et puis, pour leur montrer qu'on avait quand même une feuille de route et qu'on ne les laissait pas juste tout seuls avec leur désespoir, mais qu'on les mettait en action avec tout un sujet d'appropriation. individuelle de chacun, se dire, alors je dis pas que tout le monde y a réussi, mais une grande partie des salariés se disent, bah moi ma mission pour faire marcher la feuille de route, c'est ça peut être des toutes petites choses, ça peut être des choses très grosses, ça dépend de votre boulot. On fait ça la première année. Ça a pris en vrai un an et demi pour vraiment faire digérer ces sujets-là, l'accepter, puis se rendre compte qu'en fait, ça donne envie d'aller bosser le matin, etc. Assez vite face à ça, tu as je suis hyper motivée Quand je ne l'étais pas forcément avant, je deviens super motivée. Mais en revanche, il n'y a rien qui marche, les processus sont pourris, et puis la IT, ça ne va pas, le système d'information. Enfin, je n'ai pas les outils pour. Logique. Donc, on s'est dit, OK, maintenant, il faut qu'on mette de l'infrastructure. Il faut qu'on passe de l'infrastructure 0.0 à 4.0, parce qu'on a des idées 8.0, mais on n'a pas encore les routes et tout ça. Donc, il y a eu un travail commencé l'année dernière, qu'on continue cette année vraiment de... On a mis Business Process Owners, là c'est un nouveau métier qu'on a intégré dans l'entreprise. Il y a tout un travail autour de la data qui va prendre pas mal d'années aussi, donc on va un peu mettre ces infrastructures. Et en fait, après ça, on s'est rendu compte qu'il y avait une histoire de comportement aussi à aller travailler. Pas au sens du comportement, le bon élève ou le mauvais élève. Mais vraiment, quelles sont les attitudes ? C'est du behaviorisme, c'est on aura beau mettre les bons process, les bonnes infrastructures, les bons outils, si les gens continuent à... pas savoir se faire des feedbacks positifs, à ne pas partager leurs échecs, mais à ne partager que leur grand succès. En fait, du coup, les échecs vont continuer à se répéter d'une équipe à l'autre, parce qu'on aura mis sous le tapis la poussière pour surtout pas dire, j'ai essayé ça, ça n'a pas du tout marché, ne le refaites pas. Donc, il y a eu, en fait, cette prise de conscience qu'il fallait changer de culture. Et là, l'équipe RH, COM, ils ont été super, parce qu'ils ont dit, non, non, mais c'est pas nous au comité de direction qui allons choisir la culture cible. On va demander aux salariés de le faire. Ce qui va nous permettre aussi d'aller chercher tout ce qu'on fait de mal au niveau de la hiérarchie du management. Parce que si c'est nous qui influons, on va dire oui, vous devez être plus autonome, machin, évidemment, comme d'habitude, faire plus avec moins. Mais en fait, il y a peut-être un vrai problème managérial aussi à régler. Et donc, il y a eu des groupes de travail et ils sont arrivés à, je crois, six comportements souhaitables. Dans ces comportements, il y avait déjà des choses qu'on faisait. chez Expansion 5, autour de l'engagement, notamment parce que c'est une boîte qui n'a pas attendu 5 ans pour être très engagée. Ça fait depuis 2004 qu'on a signé le pacte de l'ONU, donc je pense qu'il y avait déjà un vrai substrat dans la boîte. Mais en revanche, il y a eu toutes ces notions dans les comportements de valoriser le chemin, c'est-à-dire accepter qu'on expérimente, qu'on teste des trucs, et qu'en revanche, on s'obstine pas si ça marche pas. On fait tout de suite un retour d'expérience en disant Ok, ce truc n'a pas marché, voilà pourquoi il n'a pas marché. soit on change légèrement de voie pour retenter, soit c'est un vrai échec, c'est un four. On le dit haut et fort à tout le monde, on ferme cette porte. Et tant mieux, on se félicite d'avoir fait cet échec parce que ça nous permet d'arrêter d'essayer des trucs qui ne servent à rien. Ça, c'est sûr, cette porte, elle est fermée, on ne la prendra plus jamais. Donc, il y a eu cette histoire de l'échec. Et du coup, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'au niveau managerial, il faut accepter que les gens se plantent. Donc, ça nous a obligés à nous dire, OK, donc attention, quand il y a un problème, on ne va pas aller chercher le coupable. On va aller chercher la raison de l'échec pour en faire une leçon. Ça, c'est un exemple parmi d'autres. Il y a aussi tout un sujet autour de s'écouter, écouter, vraiment avoir de l'écoute active. Et ça, c'est autour de la diversité, parce qu'on est quand même sur 13 filiales différentes et donc accepter que tout le monde n'a pas les mêmes modèles culturels, etc. Donc, ce n'est pas toujours des points faciles, ça va mettre du temps à l'instaurer. Mais ce qui est génial, c'est que c'est quelque chose qui a été co-construit par plein de nationalités différentes. Plein de métiers différents, c'est des gens qui avaient des hiérarchies aussi très différentes. Et donc, on estime que ça représente pas mal ce que le collectif d'expansion aujourd'hui a envie d'opérer comme changement de comportement pour se sentir en capacité de changer notre trajectoire. Je te propose qu'on en reste là.

  • Speaker #1

    La planète a des limites, cet entretien aussi,

  • Speaker #0

    on vient de l'atteindre. Merci infiniment Sophie. Merci à toi.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté cet épisode de Nos Limites, produit par Logarithme. L'ensemble des épisodes est disponible sur toutes les plateformes et sur le site atelier-desfuturs.org. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous et n'hésitez pas à en parler autour de vous. A bientôt !

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