- Speaker #0
Seconde séquence de ce rendez-vous, les coûts cachés des aidants pour l'entreprise. On va tâcher de les évaluer et de donner quelques recommandations. Pour en débattre, à mes côtés Nathalie Chussot. Bonjour Nathalie. Bonjour. Vous êtes économiste, professeure à l'Université de Lille. Et Jean-Manuel Cupiec. Bonjour Jean-Manuel.
- Speaker #1
Bonjour Patrick.
- Speaker #0
Directeur du Lab au CIRPE Autonomie. Quand on parle de coûts cachés, moi, pardon, ça évoque un célèbre, non pas économiste, mais chanteur qui s'appelle Johnny Hallyday, qui dit les coûts, quand ça arrive, ah les coûts, ça fait mal. Alors quand ils sont cachés, je pense que ça fait encore plus mal, et c'est ce dont nous allons parler. Alors peut-être avec vous, Jean-Manuel, l'idée générale, c'est peut-être celle de se dire que si les employeurs ne s'occupent pas, pas de leur collaborateur aidant, finalement, ça va coûter cher et peut-être beaucoup plus cher que le fait de s'en occuper.
- Speaker #1
Oui, tout à fait. Merci, Patrick. En réalité, il y a un tabou vis-à-vis des entreprises sur ce sujet de dire comment dois-je m'occuper de mes salariés aidants ? Et il y a un déni de la part des salariés aidants de se dire est-ce que je me reconnais comme salarié aidant ou est-ce que je me déclare comme salarié aidant auprès de mon employeur ? On a un sujet de déni d'un côté des salariés, puis un sujet de tabou des entreprises sur un plan très simple, c'est la confusion ou non entre la vie professionnelle et la vie privée. Et puis ce coup caché, ils le connaissent mais ils ne veulent pas le voir. Ils ne veulent pas le voir parce qu'ils se disent, on sait qu'on a de l'absentéisme, ce n'est pas faux de voir le nombre d'études qui sortent chaque année sur l'absentéisme des salariés. Pour autant, dans aucune de ces études, on explique. véritablement la cause de l'absentéisme. Et on ne peut pas, parce que l'absentéisme, par définition, eh bien, il y a une neutralité en disant « vous êtes absent, mais on n'a pas la cause de l'absentéisme » . Et ce sujet-là est un sujet majeur, et effectivement, ça impacte complètement, ça impacte complètement ces coûts cachés. C'est une des composantes.
- Speaker #0
Les absents, toujours tort. Pour paradier la sagesse populaire, alors, justement, on parlait de le fait de ne pas... pas se déclarer. Vous avez vu que dans la présentation, ce qui arrivait surtout en tête, c'était le fait que ceux qui ont besoin d'aide, les salariés aidants, ne vont pas spontanément voir la DRH ou le DRH, ne vont pas se déclarer comme tels. Et effectivement, c'est difficile aussi pour l'employeur que de savoir qui est aidant dans son entreprise. Alors, Nathalie, justement, comment... On parle des salariés d'or, il y a quelques années on n'en parlait même pas, on ne savait même pas que ça existait. C'est un phénomène sociétal, c'est dû à quoi ?
- Speaker #2
Alors c'est essentiellement lié au vieillissement démographique, au vieillissement de la population, qui s'explique par l'allongement de l'espérance de vie. Et le problème c'est qu'effectivement jusqu'à 65 ans on vit sans incapacité, et puis à partir de 65 ans, un peu plus de 65 ans pour les femmes et à peu près 63 ans pour les hommes, peut commencer à se dégrader. Donc ça veut dire qu'on anticipe, selon les projections démographiques, qu'en 2030, on aura un Français sur trois qui aura plus de 60 ans. Et si on regarde les plus de 65 ans, en 2040, il y aura un quart de plus de 65 ans. Et en 2070, on sera à peu près à un tiers. Donc ça veut dire qu'on va avoir, c'est un choc démographique, et donc on va avoir une augmentation très importante des personnes qui vont être dépendantes. Et donc, qui dit personne dépendante, dit effectivement une augmentation mécanique du nombre des aidants. Alors, un aidant, il peut évidemment aider quelqu'un d'autre, un proche qui n'est pas forcément en situation de dépendance liée au vieillissement. On peut aider quelqu'un qui est malade, qui a une maladie de longue durée, un enfant handicapé, etc. Mais sur le simple volet de la dépendance, on anticipe qu'il va y avoir une augmentation mécanique du nombre des aidants. Et en 2030, on pense qu'on aura... au moins 25% de salariés aidants si on regarde les projections démographiques. Donc on ne peut pas y échapper. On sera probablement tous aidants au cours de notre vie et peut-être plusieurs fois.
- Speaker #1
Mais Nathalie a totalement raison. D'ailleurs la loi ne dit pas aidant, elle dit proche aidant. Pourquoi ? Parce que proche aidant, parce qu'il n'y aura pas assez d'aidants. Et vous savez que l'ancien vocabulaire aidant familial ou aidant naturel a disparu de notre vocabulaire pour dire maintenant ce sont des aidants voire des proches aidants. Et là aussi c'est une réponse démographique.
- Speaker #0
Alors 2030, ça sera l'Odyssée de l'édance, on peut dire ça comme ça. Dans ce que vous disiez, Nathalie, il y a 60 ans, 65 ans, c'est-à-dire finalement un moment où... Très souvent, on quitte l'entreprise pour entrer en retraite. Alors, Jean-Manuel, en quoi ça concerne l'entreprise ? On pourrait très bien dire, l'entreprise peut dire, moi, ce n'est plus mon problème.
- Speaker #1
Oui, c'est vrai, sauf que c'est son problème, parce que quand les chiffres qui ont été donnés, en tout cas, la moyenne, je ne parle pas de l'entrée dans les dents, c'est la moyenne qui est de 42 ans, vous êtes encore, y compris un junior, vous êtes proche d'être un senior, mais vous êtes encore dans l'entreprise pour quelques années. voire des dizaines d'années. Donc ce sujet-là impacte forcément l'entreprise.
- Speaker #0
Vas-y. Alors justement, oui, moi je voudrais que Nathalie vous parliez des coûts cachés, de ce que ça représente, mais peut-être rebondir sur ce que vient de dire Jean-Manuel.
- Speaker #2
Je vais juste rebondir sur ce que dit Jean-Manuel, c'est qu'effectivement, quand on a 60-65 ans, on va effectivement connaître probablement des questions, des problèmes de santé au travail, mais le sujet, c'est que vous allez vous retrouver dans l'entreprise. avec, vous êtes salarié et vous allez devoir vous occuper de vos parents, de la génération précédente. Donc vous êtes employé. Et puis on voit aussi quelque chose d'un phénomène un peu nouveau, c'est qu'on voit que l'âge justement d'entrée dans les danses ne cesse de baisser. Il était 39 ans, il y a 3 ou 4 ans, on est passé à 33 ans. C'est-à-dire qu'on va se retrouver avec une espèce de génération un peu pivot qui va s'occuper de ses parents et qui en même temps continue à avoir des enfants probablement à charge ou en études à la maison. Donc ces salariés-là, ils sont là et on va voir leur nombre finalement augmenter du fait du vieillissement de démographie.
- Speaker #0
Alors vous nous disiez, et l'étude OCIERP via Voice le montre, les coûts sont colossaux.
- Speaker #2
Absolument.
- Speaker #0
Un ordre d'idée ?
- Speaker #2
Alors ces coûts cachés, comme leur nom l'indique, ce sont des coûts qui n'apparaissent pas dans le bilan des entreprises. On les a estimés à entre 24 milliards et 31 milliards par an. Et ils sont liés effectivement à l'absentéisme, puisque vous devez effectivement gérer, vous occuper d'un proche aidé, et donc il faut que vous réorganisiez le vie du proche aidé et votre vie personnelle. Donc vous avez des moments où vous devez être absent pour vous occuper du proche aidé, organiser sa prise en charge. Et en plus, on ajoute des coûts liés à ce que l'on appelle le présentéisme. C'est-à-dire que vous êtes bien au travail, simplement vous êtes fatigué, en mauvaise santé. On a un salarié aidant sur deux qui déclare avoir des problèmes de santé. On peut arriver en retard, on peut commettre des erreurs. Et on a un impact aussi sur sa santé mentale. Donc ça impacte directement l'efficacité au travail. Donc ça, c'est un coût, on peut le chiffrer. Ça ne rentre pas dans le bilan des entreprises, mais comme je le disais, c'est effectivement colossal. Et si on considère qu'en 2030, on aura 25% de salariés aidants, eh bien le coût... augmente extrêmement sensiblement, d'à peu près 22% en moyenne. Et donc, on arrive à un coût entre 29 milliards et 38 milliards d'euros par an.
- Speaker #0
Effectivement, d'ailleurs, dans la présentation avec nos invités du début qu'on va retrouver dans les tables rondes, le poids, Arnaud le disait, le poids de la charge mentale est quelque chose d'extrêmement important. Alors, Jean-Manuel, est-ce que le chef d'entreprise, les chefs d'entreprise, Entendre cela, c'est-à-dire, est-ce que finalement, on parle des coûts cachés, mais il y a aussi des problèmes cachés ? C'est-à-dire qu'on verra bien plus tard, pour l'instant, on s'en occupe pas, on a d'autres préoccupations. Quel est l'accueil des entreprises ?
- Speaker #1
Alors, beaucoup de choses ont été faites depuis la loi de 2015, qui s'appelait ASV, Adaptation de la société au vieillissement. Et d'ailleurs, cette loi, avec ce titre, on pourrait se dire, mais pourquoi on sait bien que la société va vieillir ? Oui, mais c'est une prise de conscience globale et sociétale qui doit être prise, y compris dans les entreprises et les salariés. Aujourd'hui... Le chemin a été fait et les entreprises sont conscientes du sujet. Le seul point, c'est le passage à l'acte. C'est-à-dire, qu'est-ce que je mets en place pour, je dirais, travailler et puis travailler en bonne harmonie avec ses salariés. Ce sujet-là est en train de se faire tout doucement. On reparlera de négociations, mais il y a moins de 20% de branches qui ont signé des accords. Il y a... il y a 200, 225 entreprises qui ont signé des accords. On voit bien qu'aujourd'hui, c'est un sujet qui fait son chemin et donc c'est plutôt positif. Maintenant, je pense qu'une réunion comme aujourd'hui est nécessaire pour faire prendre conscience encore plus de cette thématique du choc démographique.
- Speaker #0
Alors, est-ce que finalement, Nathalie, la réponse... Une réponse relativement simple, ce serait le télétravail, l'aménagement du temps de travail. Est-ce qu'avec ça, comme d'un coup de baguette magique, on va tout résoudre ? Est-ce que les entreprises sont prêtes à se transformer en Harry Potter ?
- Speaker #2
Alors, l'aménagement des horaires, la flexibilité des horaires et le recours au télétravail, c'est une demande que l'on retrouve de la part des salariés aidants. Et finalement, un certain nombre d'entreprises considèrent qu'ils peuvent accéder à cette demande, évidemment quand on peut télétravailler, tous les métiers ne sont pas télétravaillables. Donc c'est quelque chose qui peut être mis en place. Le seul problème, c'est que non, ça ne résout pas la question et de l'absentéisme et du présentéisme dont des coûts cachés. Parce que si on se met en télétravail ou on aménage les horaires sans réduction de la charge de travail, et bien là, effectivement, il n'y a pas de raison magique pour que l'absentéisme, et de toute façon le présentéisme, lui, ne sera pas réduit. Parce que vous, vous vous occuperez quand même de votre proche aidé durant la journée, vous allez régler les problèmes pendant les heures ouvrables, et puis le soir à la maison, vous allez faire du télétravail, et le lendemain, vous allez rentrer fatigué. et à nouveau épuisé. Et donc, l'impact sur l'efficacité, votre productivité au travail, il va être toujours négatif. Et donc, il y a une vraie question derrière cela, de la charge de travail. Et de la charge de travail, peut-être à certains moments, de ce que j'appelle le cycle de l'aidance. Parce que quand on entre en aidance, quand il y a un problème et qu'on a un proche qui rentre en dépendance, c'est souvent à ce moment-là qu'il faut tout réorganiser. Et c'est là où ça demande du temps, et c'est là où c'est compliqué. Et c'est peut-être à ce moment-là qu'il faut justement alléger la charge de travail du salarié.
- Speaker #0
Charge de travail, charge mentale, ça fait beaucoup de charges. Ça commence à peser lourd, effectivement. Alors, vous avez fait le constat, vous avez évalué. Maintenant, quelques recommandations. Qu'est-ce qui peut être fait et qu'est-ce qui devrait être fait ? Jean-Manuel.
- Speaker #1
Qu'est-ce qui devrait être fait ? C'est la prise de conscience qu'on est sur du temps long. Dans les chiffres qui ont été donnés, on voit que le... Le temps de l'aidant, c'est en moyenne 9 ans. Donc, 9 ans, c'est du temps long et globalement, il va falloir que le salarié aidant, il puisse, je dirais, se dire, eh bien, j'ai devant moi quelque chose qu'il va falloir que j'intègre à ma vie personnelle, à ma vie quotidienne, avec des ruptures. Parce qu'il y a des moments où, effectivement, je devrais être plus présent que d'autres. Au début, ça va de soi, mais aussi au cours de ces 9 ans. Et donc... pour paraphraser parce que la vie n'est pas un fleuve tranquille, le sujet de les danses non plus. C'est qu'il va y avoir des ruptures tout au long de ce parcours. Et ça, si vous voulez, ça a une incidence directe. Et donc, la réponse, c'est qu'il faut protéger ses salariés et l'adaptabilité, je dirais, des horaires. Et ça, c'est un point aujourd'hui qui n'est pas encore complètement perçu. Bien sûr que beaucoup est fait quand on va rentrer dans les danses en disant ça y est. On a mis ce qu'il fallait, les filets de sécurité, d'une certaine façon, mais pas vraiment tout au long de ce parcours. Et je pense que c'est une réflexion qu'on doit avoir et qu'on va mener ensemble avec Nathalie sur, justement, ce travail qui doit être fait tout au long en disant, eh bien, la protection sociale, c'est une des réponses, c'est pas la réponse, mais c'est une des réponses solides, robustes, je dirais, à cette démarche.
- Speaker #0
Alors, on va avoir toute une table ronde consacrée, justement, à cela. Alors... Nathalie, le chiffre que donnait Jean-Manuel, qui est aussi important, 9 ans, le temps de les danses, donc 9 ans, c'est plus que l'âge de raison, je crois que c'est 7 ans l'âge de raison. Donc, comment vous voyez-vous des réponses qui pourraient être apportées, bien évidemment dans l'écoute, etc. Mais est-ce qu'il y a un petit « qui arrive » comme ça ?
- Speaker #2
Déjà, Jean-Manuel l'a dit, mais… Travailler sur l'information et l'information des salariés aidants eux-mêmes, qui parfois ignorent ce que c'est qu'ils sont aidants, qu'ils ont un certain nombre de recours. Informer les entreprises, donc c'est lié à un meilleur management au sein de l'entreprise. Comme le cycle de l'aidant, c'est long, j'ai dit l'entrée en l'aidant, c'est compliqué, mais à chaque rupture nouvelle, quand le proche aidé, il y a une dégradation de l'état de santé du proche aidé, c'est là aussi qu'il faudrait intervenir. Donc il faut une écoute et je dirais une... une confiance au sein de l'entreprise avec son manager pour lui signaler sa situation et lui dire à certains moments, au bout d'un certain temps, mais là, je rencontre à nouveau des difficultés. Et puis, Jean-Manuel l'a dit, évidemment, la prévoyance, mais aussi, c'est une question de négociation collective. C'est quelque chose qui doit être discuté et négocié entre les partenaires sociaux, puisqu'on l'a dit, c'est un sujet sociétal et on ne va pas pouvoir y échapper. Vous l'avez aussi dit, il est plus coûteux pour l'entreprise de ne rien faire que d'essayer de prendre à bras le corps cette question et de mieux accompagner ses salariés.
- Speaker #0
D'ailleurs, notre dernière table ronde sera sur négocier et assurer. Donc, c'est plutôt directif. Et là, effectivement, on aura des orientations sur cette question. Écoutez, les coûts cachés des aidants pour l'entreprise, on sait ce que c'est maintenant. On en prend conscience. Espérons que vous serez entendus, parce qu'effectivement, plus on attend et plus on risque d'avoir de très mauvaises surprises. Au regard de ce que vous avez dit, Nathalie, la population vieillit, avance en âge. Et ça me fait penser à cette formule de Thierry Baudet qui parlait de la révolution de l'âge. On ne l'a pas vraiment vu venir alors qu'on aurait pu quand même faire quelques efforts pour regarder. Mais en tout cas, merci de nous apporter vos lumières pour que la question puisse avancer année après année. comme en témoigne le baromètre, avec une... On prend le pouls à chaque fois de ces nouveautés. Et ce dont on s'aperçoit, c'est de plus en plus prégnant. Donc, c'est la raison pour laquelle, là, on multiplie les tables rondes pour qu'il n'y ait aucun sujet de l'aidance et de l'aidance salariée ou salariale qui soit ignoré. Merci à vous deux. Merci Nathalie. Merci Jean-Manuel pour vos éclairages.