- Salomé
Hello à tous, ici Salomé, j'ai 25 ans, je suis ingénieure en bâtiment et je suis surtout ravie de vous accueillir sur Officieux, le podcast qui vous livre les confidences de ceux qui font l'immobilier d'entreprise. Je vous propose de changer votre regard sur cet univers en vous emmenant avec moi pour en découvrir les coulisses. Tous les 15 jours, je vais à la rencontre d'archis, de constructeurs, d'investisseurs pour leur poser toutes mes questions et discuter ensemble des tendances qui font bouger le marché. Dans cet épisode, je reçois quelqu'un que j'ai rencontré dans un milieu très éloigné de celui de l'immobilier. Passée de la finance à l'architecture, j'avais très envie de la recevoir sur le podcast car c'est quelqu'un qui a su trouver sa place dans un milieu totalement différent de son domaine initial. Je vous parle de Carole de Crozet. Elle est associée chez Projective Architecture. Avec elle, j'ai discuté de son parcours, de son nouveau métier, de la méthodologie unique qu'elle utilise, mais aussi de plein d'autres sujets passionnants que je vais vous laisser découvrir. Je vous invite à écouter cet épisode jusqu'au bout car Carole a une vision qui pourrait bien vous inspirer et échanger votre perspective sur le design et le leadership. Personnellement, j'ai déjà envie de donner une suite à cette interview en allant visiter leur projet et j'espère que vous ressentirez la même chose. N'hésitez pas à laisser vos commentaires et lui envoyer un petit mot sur LinkedIn, je suis sûre qu'elle sera ravie de vous lire. Je vous mets toutes les informations nécessaires dans les notes de l'épisode. En attendant, je vous souhaite une très bonne écoute. Alors bonjour Carole.
- Carole
Bonjour Salomé.
- Salomé
Carole, je suis ravie de t'avoir à mon micro aujourd'hui. Pour nos auditeurs, on enregistre cet épisode avec un peu d'avance par rapport à la date de diffusion et tu fais partie de mes toutes premières invitées.
La pression.
Moi, je suis vraiment contente de t'interviewer. Moi aussi, j'ai un petit peu la pression, mais je suis vraiment très contente. Il y a plein de façons de commencer une interview. Mais d'abord, évidemment, je voudrais qu'on parle de toi. Est-ce que tu peux te présenter, s'il te plaît ? Me présenter un peu ton parcours aussi, s'il te plaît.
- Carole
Alors, je viens du milieu de la finance. J'ai été pendant 15 ans chez HSBC, formation gestion de patrimoine. Et puis, crise de la quarantaine aidant, j'ai changé de vie professionnelle, eh oui. J'ai suivi un coaching et le coaching, c'était une vraie révélation. Et je me suis dit, ce n'est pas possible au milieu de la banque, ce n'est pas mon domaine. Moi, les questions qui m'importent, c'est plutôt le management, c'est plutôt le collectif. Et j'ai repris mes études et j'ai fait une certification en coaching. Et puis également, pendant un an, d'autres formations, formations en méthode agile notamment.
- Salomé
C'est super intéressant. C'est un changement vraiment radical. Alors aujourd'hui, tu es chez Projective. D'après ce que tu viens de me dire, je comprends que tu n'es pas architecte.
- Carole
Exactement.
- Salomé
Quand on vient d'un milieu qui semble aussi peu propice à la créativité que le milieu de la banque, comment est-ce qu'on trouve sa place au sein d'une agence d'architectes ? Et qu'est-ce que fait quelqu'un comme toi, en fait, finalement, au sein d'une agence d'architectes ?
- Carole
On ne trouve pas sa place, on la crée, on va dire ça, plutôt chez Projective. En fait, la vraie valeur ajoutée, c'est que je ne faisais pas du tout partie de ce milieu-là, donc j'avais un regard neuf. Et puis Jérôme Galetti, qui est le fondateur de Projective, est venu me chercher à la fois pour mon expertise en communication et puis évidemment de ma formation de coach en entreprise, d'autant plus que les demandes des clients évoluaient. On avait à la base plutôt des directeurs immo qui étaient très autour de « on veut changer les espaces de travail » , « comment on optimise les mètres carrés » . Et puis au fur et à mesure, on a vu que les demandes étaient davantage RH, avec des questions du type "comment on fédère autour d'un projet spatial", "comment rendre acteurs les collaborateurs", et où on va dire plus généralement "comment l'espace de travail peut être un outil de transformation, un levier d'engagement pour les équipes". Et là, naturellement, en effet, tout ce qui m'anime autour des problématiques humaines, la force du collectif, le comment faire mieux travailler ensemble, le sens, la valeur que l'on donne aux choses a été une évidence et voilà. Et puis du coup, j'ai rejoint les équipes de ce beau collectif qu'est Projective.
- Salomé
Comme tu nous parles là des activités de Projective, de l'évolution des modes de travail, de la conduite du changement, je me permets un tout petit aparté pour nos auditeurs. On est dans un podcast, il n'y a pas de vidéo et pourtant je trouve que les locaux de Projective méritent d'être vus. On est à Pantin, en très proche banlieue parisienne. Quand on arrive au 24 de la rue Gabriel-Josserand, on fait face à un grand portail métallique et quand on pousse la porte, on s'aperçoit qu'on est dans une allée qu'il faut remonter pour aller jusqu'aux bureaux de Projective. On remonte assez loin, on ne voit pas les bureaux depuis le portail. Quand on rentre dans les bureaux, on aperçoit tout de suite un immense arbre au milieu de la pièce, c'est très coloré. Alors moi je suis particulièrement sensible à l'architecture, et notamment à l'architecture d'un lieu comme celui-là. On est dans un ancien atelier, il me semble ?
- Carole
Tout à fait.
- Salomé
Toute la structure est apparente et je trouve qu'on met un peu de temps à remarquer les bureaux. Et puis tu m'as montré plein d'espaces qui sont attenant à la cour, un atelier de fabrication, un rooftop. Ici on est dans la chambre d'un appartement dans lequel il y a une cuisine, un salon, une salle de bain, il y a même encore de la moquette au sol et des rideaux aux fenêtres. C'est vraiment marrant, on est un peu à la maison quoi. Les espaces sont variés, ça me semble être un endroit super propice à la créativité et les locaux reflètent vraiment cette idée de changement d'espaces de travail. Je referme cette parenthèse, dans tout ce que tu m'as dit, tu ne m'as pas dit quel était ton rôle à toi chez Projective ?
- Carole
Alors, juste, je rebondis sur ce que tu disais. En effet, Projective, c'est un connecteur. Ce n'est pas une entreprise ou un siège social. C'est vraiment un connecteur qui connecte tout un écosystème. Et ça, c'est important. Et du coup, je fais le parallèle, pourquoi ? Pour parler de mon rôle chez Projective. Donc, officiellement, dans ce monde d'architectes et d'ingénieurs, parce qu'on a un cabinet d'ingénierie associé, j'interagis en tant qu'experte en co-transformation, communément appelée conduite du changement, et puis évidemment dans le co-design des environnements de travail. Pour être un peu plus précise, je travaille autour de l'acculturation de nouveaux usages, de nouvelles méthodes de travail, sur les résistances au changement. Et mon travail, je dirais, c'est d'accompagner nos clients pour bien évidemment acculturer à cela. Et puis aussi accompagner dans le sens, faire en sorte que les collaborateurs soient davantage acteurs de leur transformation. Donc, on va travailler sur leurs irritants, sur les freins qu'ils peuvent avoir. Et l'idée, c'est de co-construire ensemble des solutions d'accompagnement vraiment ciblées et pour répondre aux attentes de chacun.
- Salomé
Ok, c'est hyper intéressant. Alors, quand on a préparé un peu cette interview, je t'ai demandé un peu des exemples. Donc, tu m'avais présenté quelques références et notamment l'une qui m'avait marqué, parce qu'il me semble que c'est l'une de vos principales références sur le sujet, celle du Campus Cyber. Donc, est-ce que tu peux nous représenter un peu le projet, nous expliquer un peu qui était le client, quel était le besoin, tout ce qui tourne autour de ce campus ?
- Carole
Oui, tout à fait. Donc, comme on se le disait, c'est vrai que Projective est un collectif qui réfléchit beaucoup au futur du travail. Et ce projet de Campus Cyber est un projet qui répond à la fois au futur du travail, à la fois spatialement et à la fois organisationnellement. Donc le projet Campus est vraiment une belle réponse à ces deux volets. Et pour répondre à ta question, le projet émane d'une demande de l'État qui avait pour ambition de rassembler des entités distinctes, mais complémentaires, et n'ayant pas l'habitude de travailler ensemble ou de cohabiter. Elle rassemble donc toutes typologies d'acteurs de la cybersécurité, issues du secteur privé, public, des écoles, des organismes de formation professionnelle, des associations, des laboratoires de recherche, des start-up, enfin bref, tout un écosystème. Et c'est à peu près environ 26 000 m² sur 13 étages, situés dans le quartier de la Défense. Et on peut dire que le campus cyber représente aujourd'hui le réacteur de cet écosystème qui est la cybersécurité en France.
- Salomé
Tu vois là, quand tu le dis, et pourtant je n'y avais pas pensé avant, mais c'est marrant parce que c'est quelque chose de très, finalement, novateur dans un quartier qui, traditionnellement, est un quartier de bureau, qui est le quartier de la défense.
Je t'avoue que je connais mal le monde de la cybersécurité. J'imagine quand même quelque chose d'assez confidentiel, de très concurrentiel. Comment est-ce que vous y êtes pris pour faire en sorte que ces acteurs travaillent ensemble, dans un monde où le travail en écosystème paraît un peu contre nature ?
- Carole
Oui, ça a été assez compliqué de faire travailler cet écosystème. Donc on s'est dit qu'on avait intérêt à travailler en groupes de réflexion. Donc on a créé cinq groupes de réflexion. On a travaillé à la fois sur le showroom, la recherche et l'innovation, les espaces de formation, l'événementiel et le digital, bien-être, restauration. Et ce qui a été assez drôle c'est qu'on avait prévu de faire ces ateliers, évidemment en physique puisqu'ils ne se connaissaient pas, c'était l'occasion qu'ils se voient en visu et de faire des visites également de décadrage mais on y reviendra davantage sur le principe de décadrage, donc des visites inspirantes. Et malheureusement le confinement octobre-novembre donc on a dû je dirais, pas en 24 heures, j'exagère, mais en une semaine, repenser le modèle. Et j'avoue que j'ai eu des nuits très, très courtes. Donc, on est allé vite filmer les choses et puis faire du Teams. Sauf que quand vous avez des acteurs de la cybersécurité en face, le Teams n'est pas spécialement ouvert à tous. Il y a des pare-feux. Donc, ça a été très, très compliqué. Mais on dira qu'on s'est plutôt bien débrouillé. On a vraiment orchestré ça de manière très efficace, pour que ce soit des moments de rencontres digitales, mais des moments de rencontres constructifs, je dirais. Donc, l'idée, c'était en deux mois d'établir un programme architectural et technique, d'où l'idée de ces cinq work Streams. Et évidemment, c'était de réfléchir avec eux sur la vision des besoins d'aujourd'hui, mais plutôt la vision prospective des besoins de demain. Donc on a travaillé les outils, il fallait réfléchir les outils, les espaces, les fonctions, les services pour accélérer ces échanges au sein de l'écosystème et fédérer les talents et acteurs de la cybersécurité. Articulés plutôt en quatre temps, avec des temps d'inspiration, donc comme je disais des visites inspirantes, des temps de co-construction où chacun avait une idée bien précise du work stream et de leur idée de comment ils avaient envie d'imaginer la chose demain. Donc là, il a fallu évidemment faire en sorte que les gens se parlent. Donc, ils ont idéé, puis hybridé, je dirais. Et puis après, évidemment, on a essayé de converger vers une réponse commune. Et puis enfin, voilà, un temps de validation pour que tout le monde soit OK sur ce programme technique et fonctionnel. Donc, c'est à peu près 200 participants qui ont œuvré à l'élaboration de ce lieu attractif. Voilà, et aujourd'hui, on dira que c'était une très très belle aventure humaine, un peu stressante j'avoue, mais une très belle aventure.
- Salomé
Je comprends que c'est un sacré challenge que vous avez relevé là, et en fait finalement qui est toujours d'actualité aujourd'hui, puisque c'est toujours un enjeu pour les entreprises que de réussir à fédérer les salariés à l'heure où le travail hybride est quand même vraiment d'actualité, et surtout en France. Tu m'as parlé du décadrage lors de ta réponse, j'aimerais qu'on y revienne un peu. Est-ce que tu peux m'expliquer ce que c'est et la méthodologie que vous mettez en place sur ce type de projet ? Puisque là, tu nous as parlé de la méthodologie du campus cyber, je suppose que c'est quelque chose que vous répliquez sur vos projets ?
- Carole
Oui, alors on est un peu, on va dire, passionnés par tout ce qui est « design thinking » , approche « human centric » , donc l'humain au centre. Et l'idée de ces méthodes un petit peu agiles, et je vais répondre à ta question, ne t'inquiète pas, l'idée c'est de générer des idées pour trouver la solution la plus adéquate. Donc c'est un processus bien rodé, je dirais, avec un premier temps d'inspiration, qu'on appelle nous chez Projective "de décadrage", où l'idée c'est vraiment sortir du cadre, de son cadre de confort, s'immerger un petit peu pour comprendre et appréhender davantage le monde ailleurs et découvrir un petit peu les entreprises et pratiques innovantes qui existent, autres que son périmètre. Donc, c'est surtout s'autoriser à penser autrement. Et puis, il y a une phase après, comme je disais, que l'on a pu expérimenter, notamment Campus Cyber. Même si c'est bien roté, on n'a pas vraiment expérimenté. Mais une phase d'idéation où tout le monde répond, on va dire, donne des idées, s'exprime. Et puis, le rôle du facilitateur va être évidemment de faire en sorte que les gens convergent vers une réponse et qu'ils co-créent une réponse tous ensemble. J'aime bien cette définition de l'intelligence collective qui dit que 1 plus 1 égal 3. Et c'est vraiment ça, en fait.
- Salomé
Là, tu m'as expliqué la vision de Projective, ton rôle au sein de cette agence, que vous travaillez beaucoup sur, finalement, la relation entre design et toutes les problématiques qu'on connaît aujourd'hui sur le retour au bureau des collaborateurs. Tu as récemment écrit un article avec Laure Girardot sur le thème du leader designer. Est-ce que tu peux nous parler de cet article, nous expliquer un peu ce concept ?
- Carole
On a beaucoup hésité avec le terme de leadership crafting. Alors crafting, c'est anglais, donc on s'est dit non, on va laisser tomber ce mot. Mais ce qui était intéressant dans crafting, c'est le côté artisan. L'artisan crée sa propre boîte à outils. Et puis, en fait, on est revenu à Leader Designer parce qu'on a réfléchi notamment à le leader, l'impact de l'environnement sur les manières de travailler. Et c'est devenu une évidence parce qu'en effet, l'espace crée du collectif, crée du commun. Et le Leader Designer, c'est celui qui utilise les espaces de travail comme un levier de changement. Là aussi, l'autre constat qu'on a fait avec Laure, c'est qu'en effet, très peu de managers avaient repensé leur manière de fonctionner. On a été assez étonnés quand on regardait les chiffres. Je crois que c'était 36 à l'époque, il y a deux ans déjà. Mais bon, je crois qu'on n'est pas trop éloigné aujourd'hui de ce taux. Et en fait, l'hybridation de travail, c'est bien plus qu'une superposition de travail à distance et sur site. Donc vraiment, il faut réfléchir davantage à une organisation différente et peut-être plus optimale.
- Salomé
Tu parles d'organisation optimale, ça m'intéresse beaucoup. Mais concrètement, qu'est-ce que ça veut dire pour toi une organisation optimale ?
- Carole
Très bonne question Salomé ! Je vais essayer d'être claire. On a essayé de regarder l'organisation optimale, en tout cas côté Projective, alors évidemment, on s'est beaucoup inspiré de lectures qu'on a eues ou de prises de parole qu'on a pu entendre. Mais on a articulé ça sous quatre axes. On a différencié donc les tâches.
Un premier axe qui est axe individuel versus collectif. Là, il s'agit de distinguer les temps et les missions les plus propices au travail individuel et collectif. Les moments de concentration, d'analyse, de restitution, de réflexion sont évidemment des tâches à mener en solitaire et également dans des lieux adéquats. Et puis, les espaces ouverts, quant à eux, sont tout à fait opportuns pour l'inspiration collective, les rituels d'équipe. Ce qui est très important, c'est favoriser ce lien d'appartenance, cette émulation créative. Tu en parlais tout à l'heure, de la créativité, en effet la sérendipité, l'inscription, c'est quand même plus facile dans un lieu adéquat que plutôt enfermé dans une pièce chez toi.
Peut-être un deuxième axe, l'axe synchrone versus asynchrone. C'est la question de quelles tâches nécessitent d'être exécutées en direct et celles qui peuvent être accomplies en différé pour faciliter le travail en équipe. Il est en effet intéressant de sanctuariser des temps communs. Et qu'est-ce que ça veut dire en termes d'espace ? Ça se traduit souvent par des plateaux modulaires, ouverts, flexibles, je dirais, où on trouve à la fois des postes de travail classiques, individuels, mais aussi davantage de collectifs et d'espaces plus ouverts, en tout cas modulables, flexibles, je dirais.
Peut-être un troisième axe, déploiement versus créativité. Là on a été questionnés par pas mal de nos clients sur le mode projet, donc on a voulu différencier ça. C'est à dire qu'évidemment en mode projet la vie d'un projet c'est différentes phases. Il y a une phase en mode récurrent, qui est le run, q ui est facile à faire à distance et puis la phase build, qui est la phase créative initiale du projet, donc qui nécessite davantage d'intelligence collective. Donc là, en effet, et c'est marrant, je visitais hier, j'étais à Laval, et j'étais chez un de nos clients qui travaillait beaucoup en mode projet. Et justement, ils avaient co-créé à l'époque, et d'ailleurs, j'y reviens, c'est les salles, des espaces, en tout cas, pas des salles, mais des espaces interactifs, dotés de tables, avec agilité d'assemblage, qui favorisent en fait cette émulation, l'innovation, à la fois en groupe, en sous-groupe, etc. Donc ça, c'est vraiment important de penser ces espaces-là. Et on va peut-être davantage travailler en mode projet demain. C'est important de les penser aujourd'hui.
Et enfin, et pas des moindres, l'axe complexité versus simplicité. En effet, plus l'interaction est sensible, plus il est préférable de la mener en présentiel dans une configuration de proximité. Par exemple, un recadrage. Je parle de cet exemple, ça fait beaucoup rire, surtout les RH. Oui, les espaces, des espaces restreints, au calme, sont indispensables. Et d'ailleurs, j'ai une petite anecdote là-dessus. Un jour, j'étais avec un client, un gros acteur du CAC 40, et notamment une RH qui me dit « Non, non, mais nous, nos espaces, ils ne doivent pas être ouverts. Moi, je suis RH, j'ai des moments importants, donc je suis dans un espace fermé et confidentiel. » Et la DG avait dit « Non, non, il n'y a aucun espace fermé, tout le monde est en espace ouvert et on va travailler autrement. » Bref, in fine, elle a eu gain de cause, la RH. Et en fait, elle s'est retrouvée toute seule dans son bocal. Tout le monde regardait ce qui se passait dans ce bocal, puisqu'il n'avait qu'un espace fermé, c'était le sien. Et en fait, on s'est aperçu qu'après, le recadrage ou les choses, en tout cas les discussions un peu compliquées, se faisaient dans un espace plutôt, on va dire, un espace accueillant, avec de la verdure, un peu convivial. Et ça se passait beaucoup plus facilement. Et ils étaient du coup plus relax, je dirais, pour aborder des sujets peut-être un peu prégnants et importants.
- Salomé
C'est marrant, cet exemple, je te coupe une seconde, c'est marrant cet exemple de RH dont tu parles, parce que mercredi, j'ai visité un projet dans lequel, au contraire, alors, ils ont mis tous les managers dans des bureaux individuels, sur les plateaux, et en fait, la RH est la seule qui a par contre dit, non, moi, hors de question, je veux mon bureau au milieu de mes équipes. Donc, voilà. Très différent selon les organisations et pourtant, c'est aussi un très gros groupe.
- Carole
Oui, et alors du coup, quand on se dit en effet le leader designer, pour revenir à notre leader designer, chaque leader avec son équipe peut poser la base de leur fonctionnement commun en créant, par exemple, une charte de travail flexible où il va formaliser, en commun accord avec son équipe, les temps et organiser davantage le travail ou la semaine.
- Salomé
Là, tu m'as formulé le constat. Justement, aujourd'hui, pour toi, est-ce que vous avez réussi à répondre à cette question, en tout cas, de quelles sont les aptitudes clés du leader designer pour manager aujourd'hui ?
- Carole
Oui, on a réfléchi avec Laure et on s'est dit qu'au cœur de cette flexibilité, le rôle du leader est davantage de co-créer, de fédérer, de libérer le potentiel de son équipe. Ce leader, il évolue par nécessité ou par opportunité en fonction des situations données. Il est plutôt résilient. Et puis, évidemment, il s'adapte en faisant confiance à ses compétences, à la fois interpersonnelles, culturelles, émotionnelles et sociales, mais aussi, évidemment, à ses aptitudes singulières qui sont liées à son histoire et à son parcours. Si on devait définir, entre guillemets, c'est un peu réducteur, mais voilà, leader designer, c'est un manager protéiforme en évolution permanente.
- Salomé
Je te remercie pour cette belle explication. Alors, je trouve ça vraiment particulièrement intéressant parce que j'écoute énormément d'interventions, notamment de directeurs immobiliers de grandes entreprises. Tu vois, encore hier, L'Oréal et Alstom. Et effectivement, les directions générales, le management, etc. ne sont pas toujours tous en accord sur le télétravail, le travail hybride, etc. voire même sont contre. Il y a quelques temps, Amazon a obligé ses salariés maintenant à revenir cinq jours par semaine en entreprise. Donc, c'est des questions qui se posent beaucoup. Et tu vois, je pense que c'est important qu'on se rende bien compte que le discours que tu as là, finalement, répond à ces deux enjeux. L'enjeu pour les directeurs immobiliers du design, du space planning, etc., qui eux les concernent très fortement, mais aussi sur ce volet RH, de ce que doivent faire les managers. Et en fait, finalement, que le télétravail n'est pas seulement une question d'individus, mais finalement vraiment une question d'équipe et que c'est à chaque manager d'organiser son équipe et d'organiser les bons temps aux bons endroits pour assurer de la flexibilité aux collaborateurs et en même temps s'assurer que son équipe fonctionne et fonctionne correctement, puisque finalement tu vois par exemple quand j'écoutais l'Oréal, il disait que le télétravail ne favorisait pas l'échange et donc l'innovation et que c'était ça qui, eux, leur posait problème. Donc je te remercie pour cette belle explication encore une fois. Pour toute cette vision-là, comment est-ce que vous l'avez construite ? Est-ce qu'il y a eu un processus de recherche en particulier ?
- Carole
Alors oui, chez Projective, on est vraiment dans une approche de test and learn. Donc on a créé un lab, alors pas qu'un lab RH, mais un lab plutôt où on travaille sur, à la fois on réfléchit on va dire sur les pratiques managériales et autres pour gagner en efficacité. Et puis, ça peut être aussi du lab, comme on a l'habitude de le voir, Fab Lab, création d'objets ou autre. Alors, il y avait plusieurs objectifs quand on a créé ce lab, cette communauté. J'aime bien parler de communauté. Alors, le lab aussi, pardon, j'y reviens, fait intervenir l'écosystème. On n'est pas que Projective entre Projective, on fait participer l'écosystème à nos réflexions. Mais les objectifs sont avant tout d'ancrer et de tester des méthodes, évidemment, qui nous ressemblent chez Projective, de renforcer le collectif, apprendre des uns et des autres et évidemment encourager l'entraide, ce qui est aujourd'hui quelque chose que j'affectionne particulièrement, l'entraide. Je trouve qu'il y a de moins en moins d'entraide. Donc voilà, c'est important, cette valeur-là notamment est importante chez Projective. Et évidemment, ce Lab sert aussi à engager et responsabiliser tous les collaborateurs aux réflexions internes. Et ça, c'est important. Donc, on a évidemment travaillé sur le leader designer avec Laure. Et puis, en interne aussi, on a repensé la notion de feedback. Le feedback, ce n'est pas que le feedback de fin d'année, mais c'est aussi la culture du feedback. Comment on intègre en interne cette culture du feedback ? On a à peu près six mois de réflexion autour de cela. On a changé plein de choses. Et on a, hormis la culture du feedback, repensé aussi notre modèle d'entretien annuel avec un feedback plutôt 360 et des feedbacks projets. Donc, ça a été un peu expérimental. Ça n'était pas toujours bien compris, mais ça a été assez intéressant, surtout le feedback projet, je trouve que surtout dans nos métiers où on travaille beaucoup en mode projet, on a des projets qui durent 4, 6 mois, 1 an, c'est assez intéressant. Et puis dernièrement, on a travaillé sur la réunion, parce qu'on a beau être une petite boîte dite agile, mais on commence à faire de la réunionnite aiguë. Donc on s'est dit, "comment expérimenter d'autres formes de réunion ?". Donc, on s'est beaucoup interrogé sur les pratiques d'autres entreprises. Et puis, nous, on a testé des choses pour voir un petit peu ce qui était, en tout cas, efficient et efficace chez nous.
- Salomé
Est-ce que vous avez trouvé une solution ? Parce que c'est quand même un problème qui touche toutes les organisations, je pense, des plus petites aux plus grosses.
- Carole
Oui, on a plusieurs réponses qu'on a essayé de rendre en tout cas adaptables, mais qui est quand même propre à Projective. Donc on a 4-5 formats de réunions, et pas que de la réunion dans un espace fermé, c'est aussi de la réunion potentiellement à l'extérieur. Mais je t'en dirai plus dans un prochain podcast.
- Salomé
C'est vrai que vous avez en tout cas ici une variété d'espaces qui vous permet de le faire et ça c'est vraiment chouette. Toujours sur la question du processus de recherche, est-ce qu'il y a eu des mentors, en tout cas des gens qui ont influencé ta vision sur tout ça ?
- Carole
Alors, je n'ai pas de mentor spécifiquement, mais plutôt des sources d'inspiration qui seraient plutôt à chercher du côté des sportifs de haut niveau. Personnellement, je trouve qu'il y a de nombreux parallèles adressés entre les valeurs et l'approche que sont celles des sportifs et le monde, évidemment, de l'entreprise en termes de management et de leadership, tels que le courage, la discipline, la résilience, le sens du collectif, l'excellence. Ce sont vraiment des valeurs que j'affectionne particulièrement. Et il y a peut-être une autre source d'inspiration, c'est quand j'ai entendu la première fois le terme d'entreprise apprenante. Je me suis dit qu'il fallait à tout prix tester ça chez Projective. Et ce concept d'entreprise apprenante, je l'avais entendu la première fois, en tout cas par Peter Singer. qui a écrit pas mal là-dessus. Et c'est vrai que, évidemment, on se les réapproprie. Mais je trouve que c'est un concept assez intéressant de se dire que le collectif est tous responsable de l'évolution de l'entreprise. Donc, voilà, on apprend des autres. Et en tout cas, on transmet. C'est ça qui est important.
- Salomé
Donc là, tu nous as parlé de tes sources d'inspiration. Est-ce qu'en plus de ces sources-là, il y a un moment décisif dans ta carrière qui t'a fait réaliser l'importance du design dans le leadership ?
- Carole
Alors oui, tout à fait. En y réfléchissant, il y a un voyage inspirant qu'on avait fait avec le collectif Projective à Amsterdam il y a environ huit ans. Je venais d'intégrer les équipes de projectives et on a visité le LEFF, c'est le Future Center du ministère des Travaux Publics et des Infrastructures Hollandaises. C'est un centre des futurs. Il y a peu de centres de futur existaient à l'époque, mais celui-ci, le principe, c'est un environnement facilité qui permet à des organisations de se débarrasser des vieux schémas mentaux ou des modes de fonctionnement qui sont dépassés, je dirais, à la fois de considérer les problématiques à partir de différents points de vue et surtout, je dirais, d'agir rapidement, efficacement. Et c'est vrai que ça a été vraiment un électrochoc quand j'ai visité ce lieu parce que ce lieu associe à la fois l'animation de l'intelligence collective et des aménagements créés autour des besoins émotionnels, relationnels et cognitifs. Donc, c'était assez incroyable. La personne qui nous a visité le lieu nous a parlé d'une citation d'Einstein qui disait « Il n'est pas possible de résoudre un problème avec les modes de pensée qui l'ont engendré. » Et c'est vrai que là, je me suis dit « Tiens, l'espace, ce n'est pas anodin. On peut vraiment le réfléchir autrement. Et créer des espaces, c'est intéressant de voir l'usage potentiel derrière. Et qu'est-ce que ça amène, en tout cas, on va dire, schéma cognitif, qu'est-ce que ça amène à faire. Donc, c'est puissant, je dirais.
- Salomé
Je te remercie vraiment pour tout ça, de prendre le temps, d'expliquer autant, d'aller autant au fond de ta pensée. J'aimerais qu'on termine cette interview par trois questions signatures du podcast. Tout d'abord, y a-t-il une maxime, un mantra ou une phrase qui t'accompagne au quotidien, qui t'inspire ?
- Carole
Alors, peut-être pas au quotidien, mais en tout cas... Oui, j'ai plutôt des phrases fortes comme ça, des mantras, comme tu dis. En fait, toute petite, j'ai vécu, je ne vais pas raconter ma vie, mais à La Réunion, Afrique du Sud, etc., au temps de l'apartheid. Et j'ai Nelson Mandela, que j'admire profondément, et qui avait des choses qu'il a dites qui ont eu un impact sur moi, qui sont « Cela semble toujours impossible jusqu'à ce qu'on le fasse". Alors ça, j'ai expérimenté, c'est vrai. "Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès". Et "Ce qui compte, ce ne sont pas les individus, mais le collectif". Bon, évidemment, sans surprise, tout tourne autour de la force du collectif. Mais c'est vraiment, je trouve, en tout cas pour moi, ça fait sens. Et ça répond vraiment, en tout cas à ma conviction forte que l'intelligence collective, le collectif, la force du collectif, toutes ces choses importantes.
- Salomé
J'ai l'impression que tu as eu mille vies, Carole. Beaucoup de voyages, même de changements.
- Carole
Je suis pas toute jeune, tu sais !
- Salomé
Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire. Je ne me serais pas permise. J'entends que tu as fait beaucoup de choses aussi dans ta carrière. Est-ce qu'il y a une chose inattendue que tu as faite, peut-être à un moment décisif ou un moment fort en tout cas ?
- Carole
Je crois que la chose la plus importante, en tout cas, qui m'a fait changer de vie, je dirais. C'est ce que je vous ai raconté au préalable. C'est changer de voie à 40 ans. Tout le monde m'a dit que j'étais complètement dingue de partir de chez HSBC, de quitter ce job très, très confortable. Mais j'avais vraiment besoin de redonner du sens à ma vie. Alors, ça fait un peu... Mais très clairement, redonner du sens, me réinventer, me challenger. Voilà, je trouve que la quarantaine, tu es encore loin de ces 40 ans, mais je trouve que la quarantaine requestionne pas mal de choses. Et se redonner des challenges et changer de vie, si en tout cas, si on a l'occasion de le faire, il faut le faire.
- Salomé
Oui, tu vois, c'est très actuel et même très jeune comme façon de penser, puisque c'est aujourd'hui ce qu'on dit de la génération Z, en fait, finalement, qu'aujourd'hui, elle est à la recherche de sens dans ce qu'elle fait et pas seulement faire un 8h-18h et puis rentrer chez soi le soir. Donc, tu vois, c'est très actuel. Une dernière question. Qu'est-ce que tu aimerais entendre sur ce podcast ?
- Carole
Alors, il y a plein de gens que j'aimerais entendre, mais il y a peut-être Simon Sinek, la raison d'être, le why, on va parler de sens, ça résonne, que j'aimerais entendre. Il y a une citation que j'adore, c'est « les gens ne sont pas inspirés par ce que vous faites, ce qui les inspire, c'est pourquoi vous le faites » . Donc, à toi en charge de contacter Simon Sinek.
- Salomé
Alors, je ne le connais pas. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu qui c'est, ce qu'il fait ?
- Carole
Alors, c'est un Américain déjà. Et il a écrit beaucoup de choses, mais notamment tout ce qui est... Il y a des formations autour du « why » , la raison d'être. Trouver la raison d'être de l'entreprise, sa nouvelle vie, etc. Et puis là, il a créé un livre qui s'appelle d'ailleurs le Why, je crois. Où il réfléchit sur toutes ces questions du Why, du How, du What. Pourquoi on fait les choses ? Quel sens on donne aux choses ? Et l'impact que ça peut avoir. Et je trouve que c'est très, très inspirant. Et d'ailleurs, je parlais hier avec une personne de l'écosystème qui est aussi coach. Et on se disait qu'on avait fait d'ailleurs une formation autour de la raison d'être et que ça avait vraiment du sens, surtout aujourd'hui, quand les entreprises se repensent, de se re-questionner là-dessus. Parce que la raison d'être, je dirais avant Covid, c'est pas que le Covid a bousculé beaucoup les choses, mais quand même, nous ont fait peut-être accélérer. C'est assez intéressant de se reposer la question de la raison d'être. Pourquoi on fait ça et dans quel sens on va ? Surtout ces grosses boîtes. Et surtout, comme tu disais, les jeunes qui arrivent ont besoin de trouver du sens. Donc, il faut que la raison d'être de la société, de l'entreprise en tout cas, résonne et donne une motivation supplémentaire.
- Salomé
Et tu l'as découvert comment ? En faisant cette vision sur le leader designer ?
- Carole
Non, Simon Sinek, c'est plutôt quand j'ai fait mon coaching individuel. J'ai regardé un peu les personnes qui avaient réfléchi à ce genre, notamment trouver du sens et autres. Mais pas que, je ne veux pas trop le réduire à ça, parce qu'il a écrit beaucoup d'autres choses sur l'intelligence collective, le collectif, etc. Mais en tout cas, moi, c'est là-dessus que ça m'interpelle et qui m'a beaucoup inspirée.
- Salomé
D'accord. Je te remercie beaucoup, Carole. On arrive à la fin de cette interview. Je suis vraiment ravie que tu aies accepté d'être interviewée, de faire partie des toutes premières. Tu savais que ce n'était pas anodin pour moi, donc je te remercie vraiment beaucoup. Et puis je suis ravie d'avoir fait cette interview avec toi. Tu m'as moi-même bien détendue.
- Carole
Merci beaucoup Salomé. A bientôt. Au plaisir.
- Salomé
Allez, c'est la fin de cet épisode. Je remercie encore une fois Carole qui a accepté de répondre à toutes mes questions, d'autant plus qu'elle savait que je n'étais pas encore rodée à l'exercice du podcast. J'espère que sa vision vous a inspiré. Je vous remercie mille fois de nous avoir écoutés jusqu'au bout. Si vous voulez me poser des questions, me faire vos retours ou me proposer de nouveaux invités, je vous attends sur LinkedIn. Enfin, je remercie chaleureusement Bouygues Construction qui soutient le podcast et sans qui il n'existerait pas. J'espère que cet épisode vous a plu. N'hésitez pas à me laisser des étoiles et des commentaires, sur Spotify et Apple Podcast, ça m'aide beaucoup. On se retrouve dans 15 jours pour un nouvel épisode de Officieux, le podcast qui vous livre les confidences de ceux qui font l'immobilier d'entreprise.