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OMG : décodons les biotech

#3 - L'arbre qui cache les biotech

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40min |06/10/2025|

151

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Description

Des arbres qui poussent plus vite, qui gèrent mieux la photosynthèse pour capter plus de carbone, c'est la promesse de certaines start-ups comme Living Carbone. Des chercheurs décryptent pour nous la complexité d'un tel projet et ses risques environnementaux, mais également les dérives de la finance carbone. Derrière ces arbres du futur, l'industrie papetière n'est jamais bien loin.


💬 Entretiens :

📋 Sources :



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Living Carbon est une société d'intérêt public dont la mission est d'équilibrer de manière responsable le cycle du carbone de la planète en utilisant le pouvoir inhérent des plantes.

  • Speaker #1

    Ce que vous venez d'entendre, c'est une pub d'une nouvelle start-up états-unienne, Living Carbon. Elle a été cofondée par Maddy Hall, ancienne responsable à OpenAI, qui a mis au point ChatGPT. Leur projet ? Créer des arbres génétiquement modifiés pour booster la photosynthèse et leur... capacité à stocker du carbone. Ces arbres sont vendus comme une aide à la lutte contre le dérèglement climatique. Cette entreprise entend monnayer ses puits de carbone via les crédits carbone. Dans ce troisième épisode de OMG Décodons les biotech, nous allons nous intéresser donc aux arbres génétiquement modifiés destinés à la lutte contre le changement climatique. Comment fonctionnent-ils ? En quoi sont-ils des super puits de carbone ? Pour éviter les pires impacts du changement climatique, la concentration en dioxyde de carbone, CO2, devrait être à 350 parties par million ppm. Aujourd'hui, nous sommes déjà à 423 ppm. Pour atteindre la neutralité carbone et freiner le dérèglement climatique, deux pistes coexistent. réduire nos émissions de gaz à effet de serre et modifier les écosystèmes pour qu'ils absorbent plus de CO2. Interrogé par Radio France en 2024, François Gemeney, membre du GIEC, groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, nous apprend une nouvelle inquiétante. Les puits de carbone naturels C'est-à-dire l'ensemble des écosystèmes, les sols, les forêts, les océans, qui stockent du carbone sur le temps long, ne fonctionnent plus aussi bien qu'autrefois. Nous avons fait lire ces propos.

  • Speaker #0

    En 2023, ces puits de carbone n'ont quasiment rien absorbé, autour de 2 milliards de tonnes de CO2, alors qu'ils en avaient absorbé plus de 9 milliards en 2022.

  • Speaker #1

    Des multinationales ou des start-up fourmillent de solutions technologiques pour améliorer l'absorption du gaz carbonique. Le secteur des biotechnologies n'est pas en reste. Plantes qui gèrent mieux l'azote ou arbres à croissance rapide, par exemple. Et c'est une histoire qui remonte au tout début de l'idée de créer un marché carbone. En 1995, les Nations Unies se sont réunies pour des négociations internationales afin de baisser les émissions de gaz à effet de serre. Cette rencontre a donné naissance au protocole de Kyoto. C'est la première étape de la finance carbone. Pour comprendre ce qu'on appelle la finance carbone, nous avons interrogé Philippe Delacote, chercheur à l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement, l'IDRAE.

  • Speaker #2

    Le protocole de Kyoto a mis en place les mécanismes de développement propre. Ces mécanismes, c'était un petit peu les ancêtres de la compensation carbone. Et au sein de ces mécanismes, l'idée c'était que les entreprises des pays industrialisés financent des projets de réduction d'émissions dans les pays du Sud. Donc l'idée derrière ça, c'était d'amener des financements des pays du Nord vers les pays du Sud.

  • Speaker #1

    Petit à petit est née l'idée de créer un marché du carbone. Et l'outil qui a été proposé est le crédit carbone volontaire.

  • Speaker #2

    Les crédits carbone volontaires, qu'est-ce que c'est ? Ce sont des mécanismes de finance qui permettent d'apporter là aussi des financements dans les secteurs qui ont besoin de financement pour assurer leur transition. Imaginons un projet qui vise à réduire la déforestation dans une région d'Amazonie. Le porteur de projet. peut demander à un certificateur privé, par exemple Vera, de certifier les baisses d'émissions liées à la baisse de la déforestation. En contrepartie, si Vera estime que le projet a bien permis de réduire la déforestation et donc de réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle va octroyer à ce projet des crédits carbone. Ensuite, ces crédits carbone vont pouvoir être vendus à des entreprises qui veulent intégrer ces crédits dans leur stratégie climatique.

  • Speaker #1

    Le marché mondial du crédit carbone a été évalué à 1,7 milliard de dollars en 2024 et devrait augmenter de 25% entre 2025 et 2034, d'après GM Insight. Et les entreprises se sont emparées de cette opportunité. Ainsi, en 2003, lors d'une des premières conférences des partis, ou COP, les multinationales ont réussi à inclure les OGM dans ces fameux mécanismes de développement propre. Christophe Noisette, journaliste qui travaillait déjà pour InfoGM, nous raconte.

  • Speaker #2

    Le 12 décembre 2003, lors de la réunion du protocole de Kyoto qui s'est tenue à Milan en Italie, a été adoptée en plénière l'idée que les arbres génétiquement modifiés pour mieux stocker le carbone puissent être reconnus officiellement comme des pits de carbone et ainsi être éligibles au crédit carbone. Il a simplement été demandé que les pays qui autorisent des arbres génétiquement modifiés s'engagent à en évaluer les risques.

  • Speaker #1

    En 2012, une première modification génétique a été éligible au crédit carbone. Il s'agit de la technologie NU, pour Nitrogen Use Efficiency, ou efficacité de l'utilisation de l'azote. Mise au point par Arcadia Bioscience, ce procédé est censé créer des plantes transgéniques qui permettraient d'épandre moins d'engrais azotés. Or, les engrais industriels émettent du protoxyde d'azote, un puissant gaz à effet de serre. Arcadia Biosciences a signé des accords de licence avec des grandes entreprises semencières comme Monsanto, Dupont ou Villemaurin. Cette technologie est-elle efficace ? Impossible de le savoir. Aucune donnée objective n'a été publiée. Un certificateur de Crédit Carbone nous dit avoir abandonné une première méthode nue, faute d'utilisation. Une deuxième méthodologie plus large, qui comprend des nues mais aussi des pratiques améliorées de gestion des engrais, a été utilisée par 35 projets. mais impossible de savoir si ces projets concernent ou pas l'utilisation de semences nues. L'absence de transparence est un problème récurrent dans la finance carbone. Un autre grand secteur de la compensation carbone, ce sont les arbres. De nombreux projets de reforestation sous des formes plus ou moins industrielles ont été éligibles à des crédits carbone. Et des entreprises de biotech promettent de modifier génétiquement des arbres pour qu'ils stockent plus rapidement du carbone. Cette idée n'est pas nouvelle. Dès 1993, Toyota a effectué des essais en champ d'arbres transgéniques dans le but d'absorber plus de carbone. Le WWF écrivait en 1999 que les scientifiques de Toyota avaient bien observé une augmentation du stockage du carbone, mais également une augmentation de la consommation d'eau qu'ils ont jugée inacceptable. Nous reviendrons sur ce phénomène biologique un peu plus loin dans cet épisode. Toyota croit pourtant encore à cette idée et investit aujourd'hui dans Living Carbon. Plus récemment, ce sont des peupliers transgéniques de Living Carbon qui ont fait la une des médias.

  • Speaker #0

    Living Carbon rend possible de nouveaux projets de carbone forestier en fournissant un produit biologiquement supérieur qui capture une quantité de carbone prévisible et vérifiable plus élevée que les arbres contrôlés. Nous créons des projets de boisement, de reboisement et de revégétalisation pour les propriétaires fonciers tout en répondant à la demande de compensation carbone de haute qualité et à moins de recours.

  • Speaker #1

    Afin d'augmenter la capacité de l'arbre à stocker du carbone, cette entreprise entend améliorer la photosynthèse des arbres en réduisant leur photorespiration. Mais avant d'analyser ces arbres, prenons un peu de distance avec l'équation arbre égal puits de carbone. Cyril Dutech, chercheur à l'INRAE en biologie évolutive et en pathologie forestière, modère en effet cette évidence.

  • Speaker #3

    La question de planter des arbres pour stocker du carbone paraît une solution de bon sens à première vue, mais qu'en fait, quand on regarde dans les détails, ces plantations posent un certain nombre de questions et on les pose en général pas vraiment. Comment on plante est effectivement une question parce qu'assez souvent ces plantations, ce sont des plantations de type industriel, donc il y a souvent un gros travail du sol. Et on sait aujourd'hui que le sol est aussi un élément important pour les écosystèmes terrestres de stockage du carbone. Et quand on travaille ce sol, on peut amener à finalement relarguer du CO2 d'une façon importante.

  • Speaker #1

    Là encore, avant d'entrer dans le détail, nous avons parlé à Annick Bossu, professeure en sciences de la vie et de la Terre à la retraite, qui suit de près la problématique des biotechnologies depuis 30 ans, notamment en tant qu'administratrice d'InfoGM. Elle tient à replacer cette expérience dans le temps long de l'évolution.

  • Speaker #4

    Il faut savoir que la photosynthèse, c'est une des fonctions qui est apparue le plus tôt dans l'histoire de la Terre. Il y a plus de 3 milliards d'années qu'est apparue la photosynthèse. De cette photosynthèse dépend tout le développement de la vie ultérieure.

  • Speaker #1

    En gros, ce qu'elle nous dit, c'est que jouer sur une telle fonction est loin d'être anodin et qu'il serait bon de prendre quelques précautions. Alors, Living Carbon veut améliorer la phytorespiration. Mais de quoi s'agit-il précisément ?

  • Speaker #4

    La photosynthèse, c'est la capacité qu'ont les plantes chlorophylliennes de fabriquer de la matière. organique, par exemple, des feuilles, des branches, des fleurs, enfin toutes les parties de la plante, donc de fabriquer des molécules organiques, qui sont en fait des molécules qui contiennent du carbone, à partir du gaz carbonique de l'air. C'est ça donc qui, dans la photosynthèse, permet de soustraire du gaz carbonique à l'atmosphère. Cependant, en même temps que les plantes font leur photosynthèse, elles utilisent ces matières organiques qu'elles ont fabriquées pour respirer. C'est là que Living Carbon voudrait réduire cette photorespiration pour que le rendement de la photosynthèse globale soit plus important. Oui, alors effectivement, quand on fait une analyse mécaniste, on se dit... La photorespiration limite la photosynthèse.

  • Speaker #1

    Jouer sur ces mécanismes est assez complexe. Living Carbon précise avoir initialement inséré 41 transgènes issus d'organismes divers, des citrouilles, des algues et même des bactéries. La photorespiration est-elle juste une limite ? Un gâchis comme Living Carbon la présente parfois ? Il semblerait que non. Annick Bossu évoque certaines fonctions connues et importantes de la photorespiration.

  • Speaker #4

    Apparemment, la photorespiration est préjudiciable à la photosynthèse. Cependant, si elle a été conservée au cours de l'évolution, c'est bien qu'elle a sa raison d'être. Et en effet, certaines études ont, par exemple, suggéré que la photorespiration puisse être indispensable à la fixation de l'azote des nitrates du sol, c'est-à-dire à la synthèse de certains acides aminés. Alors, ces acides aminés interviennent dans... la lutte des plantes contre les pathogènes. Si donc ces acides aminés ne sont pas synthétisés, les plantes auront une moindre résistance aux maladies. Un autre inconvénient à supprimer la photorespiration, c'est qu'en fait, celle-ci protège les plantes lorsque l'éclairement est trop fort. Et ça, ça arrive souvent. Et un éclairement trop fort, qu'est-ce que ça fait ? Mais ça fait que... les réactions de photosynthèse s'emballent. Et dans ces cas-là, ça risque de produire non pas de l'oxygène, mais de l'eau oxygénée. Et l'eau oxygénée pour les cellules, pour tout le vivant, elle est toxique.

  • Speaker #1

    Au cours de son enquête, Annick Bossu a validé le souci évoqué précédemment avec les essais en champ de Toyota.

  • Speaker #4

    La photosynthèse consomme beaucoup d'eau, et particulièrement le peuplier qui est un arbre très gourmand en eau. Et du coup... Ici, quand on augmente la photosynthèse, on augmente aussi la quantité d'eau puisée dans le sol.

  • Speaker #1

    Elle évoque notamment plusieurs études. La première, publiée dans Tree Physiology, souligne que les arbres à croissance rapide, en particulier dans des plantations monospécifiques, une seule espèce d'arbre, ont tendance à utiliser plus d'eau que les espèces à croissance plus lente. Cette consommation accrue est attribuée à leur taux de transpiration plus élevé. et à leurs besoins en nutriments pour soutenir une croissance accélérée. La seconde étude, publiée dans Annals of Forest Science, met en évidence que les espèces à croissance rapide ont souvent une efficacité d'utilisation de l'eau plus faible et donc une consommation d'eau plus élevée par unité de biomasse produite. Plus généralement, un certain nombre de risques environnementaux liés aux arbres génétiquement modifiés sont similaires à ceux des plantes génétiquement modifiées, mais de façon amplifiée. C'est ce que nous raconte Anne Peterman, directrice exécutive de Justice Ecology Project, une ONG étatsunienne et coordinatrice de la campagne Stop GE Trees.

  • Speaker #0

    Il existe certains recoupements, certaines similitudes entre les problèmes liés aux cultures génétiquement modifiées et ceux liés aux arbres génétiquement modifiés. Mais il y a aussi de nombreux problèmes supplémentaires lorsqu'on parle d'arbres génétiquement modifiés, car ils sont très différents des plantes cultivées. Par exemple, les arbres peuvent vivre dans un écosystème sauvage interconnecté avec de nombreuses autres espèces d'arbres, de plantes de sous-bois. d'insectes, de reptiles, d'oiseaux, de champignons, etc. Tout ce qui se trouve dans une forêt. Et ils peuvent vivre pendant 200 ans ou plus. Donc le problème posé par des arbres ayant toutes ces relations complexes et une longue durée de vie dans l'environnement est assez différent de celui des plantes cultivées annuelles.

  • Speaker #1

    Prenons un exemple simple. Le pollen du colza peut se disséminer sur une trentaine de kilomètres. Le pollen d'un arbre, lui, peut se diffuser jusqu'à 600 km. Les risques de contamination sont donc grandement accrus. Cyril Dutech de l'INRAE nous dit encore par rapport aux peupliers OGM.

  • Speaker #3

    La diffusion du transgène dans les populations naturelles de peupliers est vraiment très problématique parce qu'on ne sait pas du tout, dans des conditions naturelles, avec toutes les interactions que ça a, ce que ça peut donner. Et les peupliers s'hybrident très facilement. Il y a beaucoup d'espèces de peupliers en Amérique du Nord. Et ce sont en plus des espèces extrêmement importantes pour les ripis silves, très sensibles. qui sont déjà des écosystèmes extrêmement fragilisés par les activités anthropiques aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Le dernier point de vigilance, c'est la toxicité potentielle du pollen produit par ces arbres pour les insectes. Living Carbon n'a présenté aucune étude qui permet d'exclure ce risque sur les insectes. Les études menées sur d'autres peupliers OGM testés en Europe n'ont montré aucune toxicité particulière, mais pour Cyril Dutech, ces tests ne sont pas concluants.

  • Speaker #3

    Moi j'ai été frappé pour les quelques articles que j'ai lus d'évaluation. C'est des tests qui sont faits assez rapidement et c'est les fameux tests de toxicité assez généraux qui sont déjà remis en cause plus largement, qui sont souvent liés à des tests de toxicité aiguë, c'est-à-dire qu'on regarde si l'insecte meurt. rapidement ou pas. Mais en fait, on sait qu'aujourd'hui, la toxicité d'une molécule, c'est beaucoup plus compliqué que ça et que ça peut conduire par exemple à des modifications de comportement qu'on ne voit pas nécessairement et qui ont des répercussions assez fortes.

  • Speaker #1

    Et au-delà des insectes, est-ce que le pollen de ces peupliers transgéniques pourrait être toxique pour les humains ? D'après nos recherches, il n'existe à ce jour aucune étude publiée qui évalue la capacité allergène des peupliers OGM développés par les vignes carbone. La question qui se pose au-delà des risques environnementaux et sanitaires est celle de la fragilité de ces arbres. En effet, pour que ces arbres soient des alliés durables dans la lutte contre le changement climatique, ils doivent avoir une certaine résilience pour ne pas relâcher aussitôt le carbone stocké. Or, une étude publiée dans Nature Communications révèle que les arbres à croissance rapide, comme le sont nativement les peupliers, ont une durée de vie plus courte. Cette relation inverse entre croissance rapide et longévité a été observée pour plus de 110 espèces sous divers climats. En moyenne, une augmentation de 50% de la croissance précoce réduit la durée de vie de l'arbre de 23%. Cette dynamique suggère que les arbres génétiquement modifiés, pour croître encore plus vite, pourraient mourir encore plus jeunes et donc libérer rapidement le carbone stocké. Cyril Dutech, que vous venez d'entendre, apporte d'autres éléments qui montrent que ces arbres génétiquement modifiés sont plus fragiles.

  • Speaker #3

    Quand on modifie l'expression d'un gène, soit dans sa quantité, soit dans sa qualité, on peut se retrouver, du fait de l'interaction des chaînes métaboliques dans un organisme, à finalement bouger d'autres fonctions. On a des cas aussi, quand on modifie la croissance d'un organisme en le faisant pousser plus rapidement, on peut arriver à diminuer ses capacités de résistance à des sécheresses ou des ravageurs diverses.

  • Speaker #1

    Ils donnent un exemple avec un essai en Europe de peupliers transgéniques.

  • Speaker #3

    Ils avaient modifié la régulation des gènes pour produire moins de lignines. de façon à rendre les peupliers plus intéressants pour l'industrie papetière. En fait, leurs essais montraient que ces peupliers poussaient moins, parce que la zone qu'ils avaient dérégulée pour la production de lignine avait des conséquences sur la formation des vaisseaux de sève élaborée. Ils étaient moins bien formés et du coup, l'arbre semblait probablement dysfonctionner.

  • Speaker #1

    Un autre phénomène biologique qu'il faut avoir en tête est celui du compromis évolutif. En gros, et pour faire simple... Tout être vivant a une certaine quantité de ressources disponibles. Il va être obligé de choisir d'investir ces ressources dans une fonction ou une autre.

  • Speaker #3

    Si on pousse un organisme à croître très rapidement et qu'on ne lui fournit pas les quantités de ressources nécessaires, que ce soit l'eau, les intrants, voire la lumière, il va y avoir un compromis et la fonction qui est favorisée sera réalisée. Au détriment d'autres fonctions, par exemple de la production de métabolites secondaires, qui sont souvent très utiles à résister à des ravageurs par exemple.

  • Speaker #1

    Ajoutons une dernière fragilité, qui concerne de nombreuses plantations industrielles, OGM ou non. C'est la capacité de résistance aux maladies et ravageurs. Living Carbon a utilisé un clone sélectionné par l'INRA pour sa facilité à être modifié.

  • Speaker #3

    Le problème, c'est que quand on... Et ça, c'est connu des plantations monospécifiques. C'est qu'on a affaire à des plantations qui sont finalement qu'un seul individu et pour lesquelles il est plus facile pour un agent pathogène, notamment, ou voire un insecte, de s'adapter puisqu'en fait, il n'est pas confronté. à une diversité spécifique et une diversité génétique. En fait, ça conduit à des épidémies extrêmement violentes et extrêmement rapides et souvent à la destruction rapide des plantations.

  • Speaker #1

    Ce phénomène a été observé notamment par l'Inrae de Nancy dans les années 80 avec un clone de peuplier qui avait été sélectionné pour sa résistance à une maladie, la rouille du peuplier. Ce clone a été très apprécié et donc cultivé largement. Or, le parasite a trouvé une façon de contourner la résistance sélectionnée et comme ces plantations étaient très proches génétiquement, elles ont été rapidement décimées. Ok, donc il y a de sérieux doutes sur l'intérêt de plantations d'arbres OGM pour stocker du carbone du fait notamment de leur plus grande fragilité. Pourtant, les peupliers génétiquement modifiés de Living Carbon sont déjà cultivés. Les premiers essais en champ ont eu lieu en 2021 dans l'Oregon et en 2023 en Géorgie. Elle a levé 36 millions de dollars en promettant 4 à 5 millions de peupliers d'ici 2024, sans préciser s'ils seront génétiquement modifiés ou non. Or actuellement, d'après les informations disponibles, la start-up n'a planté que 170 000 arbres, dont 8 900 génétiquement modifiés. Living Carbon précise sur son site qu'elle a également commencé à planter ses arbres auprès de propriétaires fonciers privés en Pennsylvanie, Géorgie et Californie. Elle fournit les arbres gratuitement et prend en charge les frais de plantation. Mais en échange, elle conservera les droits sur les crédits de carbone générés par ces plantations. Les propriétaires recevront des paiements annuels. Actuellement, d'après nos recherches, les premières plantations de peupliers transgéniques de Living Carbon n'ont pas encore permis de garantir officiellement des crédits carbone certifiés et commercialisés. Ils proposent seulement des pré-ventes. Concrètement, au lieu de vendre uniquement des crédits déjà générés, Living Carbon demande aux entreprises de s'engager à acheter des crédits futurs en payant une partie du montant à l'avance. Cela permet... à Living Carbon d'avoir des fonds immédiats pour financer ses propres projets. Le problème avec ces préventes est qu'on est dans l'incapacité à estimer si ces arbres stockeront réellement du carbone et combien. Anne Peterman nous explique pourquoi il est actuellement impossible de répondre à cette question.

  • Speaker #0

    Le problème, c'est qu'il n'y a aucun moyen de savoir comment ces peupliers se comporteront une fois qu'ils seront dans les écosystèmes sauvages ou adjacents aux écosystèmes sauvages. La preuve de concept, c'est-à-dire la preuve que ces arbres fonctionnent réellement, n'existe pas vraiment. Ils ne l'ont fait que dans des serres. Ils ne savent donc pas ce qui se passera lorsqu'ils les introduiront dans la nature.

  • Speaker #1

    Autrement dit, le passage du laboratoire contrôlé à la nature où de nombreux paramètres ne sont pas modélisables pourrait décevoir les espoirs de Living Carbon. Mais revenons-en au crédit carbone. Cette entreprise, comme nous l'avons déjà dit, joue sur plusieurs tableaux. Actuellement, Living Carbon mène un projet de reboisement dans l'Ohio sur 24 hectares et il est clairement mentionné qu'aucun arbre génétiquement modifié ne sera planté. Ce projet lui rapporte déjà concrètement des crédits carbone certifiés par Vera. En avril 2025, Microsoft s'est engagé à acheter 1,4 million de tonnes de crédits carbone à Living Carbon pour un projet de reforestation. menée sur un peu plus de 10 000 hectares de terre minière dans la région des Appalaches. Ces crédits carbone sont, eux, certifiés par Isométrique. Nous estimons que sur cette surface, entre 15 et 20 millions d'arbres devront être plantés. De quel type d'arbre s'agit-il ? Impossible de le savoir. En tout cas, Isométrique n'a pas exclu explicitement les arbres OGM de sa méthodologie. L'information est d'autant plus difficile à obtenir que les agences états-uniennes ont considéré que ces peupliers transgéniques pouvaient être plantés sans autorisation. Et aucune obligation de tenir un registre public n'est exigée. On vient de parler de isométrique et de verra. Mais qui sont ces organismes ? A quoi servent-ils ? Pour comprendre cela, redonnons la parole au chercheur de l'INRAE, Philippe Delacote.

  • Speaker #2

    Un point important, c'est le rôle du certificateur. Les certificateurs, par exemple, Vera, c'est le plus connu. Une entreprise comme Vera, elle propose tout un ensemble de méthodologies. C'est-à-dire qu'un porteur de projet qui veut, par exemple, mener un projet de reforestation, il va aller regarder dans le catalogue des méthodologies proposées par Vera. Et ensuite, il va monter un dossier en essayant de suivre cette méthodologie pour montrer, en effet, que le projet a permis soit de réduire les émissions, soit d'augmenter la capture du carbone de l'atmosphère.

  • Speaker #1

    Mais il existe plusieurs certificateurs et tous n'ont pas les mêmes exigences. Philippe Delacote évoque le label français bas carbone.

  • Speaker #2

    La méthodologie du label bas carbone est relativement exigeante en termes d'éviter justement les monocultures et d'avoir des plantations qui sont suffisamment diversifiées. On peut imaginer que pour certains autres certificateurs, les méthodologies sont un petit peu moins regardantes sur la diversité des arbres qui vont être plantés. Et ça, ça peut faire courir le risque de planter des forêts de type monospécifique et donc avec assez peu d'intérêt en termes de biodiversité. On peut plutôt parler de champs d'arbres plutôt que de forêts.

  • Speaker #1

    Et un des problèmes, c'est que les entreprises de certification ont besoin d'attirer des clients.

  • Speaker #2

    Finalement, plus vous allez avoir des méthodologies qui vont être exigeantes, plus elles vont être difficiles à suivre et donc moins les porteurs de projets risquent d'y adhérer.

  • Speaker #1

    Les exigences des certificateurs sont-elles donc tirées vers le bas ? Et à l'autre bout de la chaîne, les entreprises qui achètent ces crédits carbone pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Regarde-t-elle la qualité des méthodologies ?

  • Speaker #2

    Généralement, les crédits carbone sont achetés à moins de 10 dollars la tonne, ce qui est vraiment des prix très faibles. Et donc, on peut se poser la question, est-ce que les entreprises qui achètent des crédits carbone, elles vont aller vers du moins 10 ans, donc elles vont essayer d'aller acheter des crédits au coût le plus bas possible ? sans forcément être très intéressé par la qualité réelle de ces crédits.

  • Speaker #1

    Nous ne savons pas comment Living Carbon a calculé le carbone stocké dans 16 arbres. En effet, pour cela, il faudrait en théorie que les arbres vivent leur vie entière. Or, les essais menés sont récents, comme nous l'avons vu précédemment. Au-delà de cet exemple précis, Philippe Delacote estime que c'est l'ensemble de l'évaluation de l'efficacité du marché carbone qui laisse à désirer. Il insiste sur la surévaluation des projets et évoque des études qui remettent en cause l'efficacité réelle des projets REDD+, pour réduire la déforestation. Les projets REDD+, sont des crédits carbone plus spécifiquement dédiés aux projets forestiers.

  • Speaker #2

    Les méthodologies qui sont souvent appliquées, c'est celle-ci, c'est de regarder l'évolution du couvert forestier dans la zone qui est traitée par un projet REDD+, et puis de la comparer avec une zone contrôle, c'est-à-dire une zone qui présente... des caractéristiques similaires à la zone de traitement, mais qui, elle, n'est pas traitée. Et souvent, quand on compare les résultats de ces résultats académiques avec l'octroi effectif de crédit carbone par les certificateurs, on trouve une différence qui est relativement importante. Très souvent, les crédits carbone liés à la déforestation évitée surévaluent fortement la déforestation évitée réelle. Il y a beaucoup d'études qui montrent qu'il y a une surallocation de crédit par rapport aux réductions réelles d'émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, le papier le plus connu, c'est un article de West et de ses co-auteurs en 2023 dans Science. Et cet article a montré que, selon eux, 90% des crédits ne sont pas liés à des réductions d'émissions effectives. Dit autrement, un crédit carbone ne correspond pas nécessairement à une tonne de carbone qui n'aura pas été émise dans l'atmosphère.

  • Speaker #1

    Il est très difficile de mener des études indépendantes pour évaluer le réel impact de ces projets et des crédits carbone qui leur sont liés. du fait d'une réelle opacité sur ce marché.

  • Speaker #2

    Il n'y a pas de registre, par exemple, global qui permette de tracer complètement le parcours d'un crédit carbone, de sa création jusqu'à l'entreprise qui va l'utiliser avec la répartition de la valeur.

  • Speaker #1

    Résumons. Non seulement les mécanismes de compensation carbone ne sont pas toujours efficaces pour lutter contre le changement climatique, Mais en plus, ils peuvent être utilisés pour financer des arbres OGM dont on ne connaît ni l'efficacité, ni la pérennité, ni les conséquences sur les écosystèmes naturels. En enquêtant, nous découvrons que ces crédits carbone financent aussi des entreprises qui veulent promouvoir les arbres génétiquement modifiés pour la filière papier et bois. Ça se passe au Brésil, où l'entreprise Susano cultive de vastes monocultures d'eucalyptus, parfois sur d'anciennes forêts.

  • Speaker #0

    Pour le moment, il s'agit d'eucalyptus conventionnels. Pourtant, dès 2012, Futuragine, une filiale de Susano, a mené des essais en champ avec des eucalyptus transgéniques modifiés pour tolérer du round-up et produire plus de bois. Et la filiale a reçu en avril 2015 une autorisation de les cultiver. Or, Susano a réussi à obtenir des crédits carbone pour ses monocultures d'eucalyptus. Anne Peterman, de Justice Ecology Projects, nous raconte.

  • Speaker #1

    Dans le cas de Suzano Timber Company au Brésil, ils collectent des fonds grâce au crédit carbone pour étendre leurs plantations d'eucalyptus. Ils sont donc en train de développer des plantations d'eucalyptus tolérantes aux herbicides et résistantes aux insectes. Parallèlement, ils étendent leurs plantations existantes, sans OGM, et utilisent des crédits carbone pour cela. À l'avenir, lorsqu'ils seront prêts, ils auront les permis pour les arbres génétiquement modifiés. mais ils affirment ne pas encore les planter. Mais ils pourraient le faire et obtenir des crédits carbone pour ces mêmes raisons, leur croissance rapide et leur stockage de carbone.

  • Speaker #2

    Or,

  • Speaker #1

    que se passe-t-il ? Ce que nous avons constaté lors de notre délégation au Brésil en 2023, c'est qu'ils détruisent les forêts indigènes existantes, notamment la forêt du Cerrado, au profit de l'agrandissement de ces plantations d'Acaiolictus. Nous avons donc cette biodiversité très riche en carbone, de riches forêts indigènes appelées strados,

  • Speaker #2

    et ils les détruisent,

  • Speaker #1

    éliminant tout le carbone des arbres, perturbant le sol, libérant tout ce carbone, et en installant ensuite ces plantations d'arbres à courte durée de vie qui nécessitent d'énormes quantités d'eau, d'herbicides, d'engrais, etc. Et tout cela est très négatif pour le climat, bien sûr. Mais ils peuvent obtenir un financement carbone pour cela, car ils disent que ce sont des arbres à croissance rapide.

  • Speaker #0

    Et dans ce cas, Étant donné que la finalité est de produire de la pâte à papier, le stockage du carbone va être de très courte durée. Cyril Dutech, de l'INRAE, évoque aussi ce risque.

  • Speaker #3

    Ces arbres OGM, on trouve l'argument de dire oui, vous voyez, ça va nous permettre de fixer du carbone, mais au fond, on peut se dire surtout que ça va favoriser un type de sylviculture très productiviste, pour produire du bois rapidement.

  • Speaker #0

    C'est clairement une dérive de la finance carbone que Philippe Delacote de l'INREI nous explique.

  • Speaker #4

    Dans le monde des crédits carbone, en théorie, pour recevoir un crédit carbone, il faut prouver que le projet n'aurait pas pu être mis en œuvre sans l'octroi de crédit carbone. Donc dans le cas de plantations de bois monospécifiques qui ont une destination ensuite d'être utilisées dans l'industrie, que ce soit de l'ameublement, de la papeterie ou autre. il est en théorie nécessaire de montrer que ces modèles n'auraient pas été rentables sans le recours au crédit carbone. Donc en théorie, la règle d'additionnalité est celle-ci. On peut imaginer que dans un certain nombre de cas, ces plantations spécifiques auraient été rentables même sans la finance carbone. Quand on va acheter des crédits carbone qui sont issus de projets forestiers, que ce soit des projets de déforestation évité ou des projets de replantation, on a ce qu'on appelle un risque de non-permanence. Les arbres, à un moment, sont susceptibles d'être exploités ou de mourir. Ils sont exposés aussi à beaucoup d'aléas. Ça peut être des tempêtes, ça peut être des feux de forêt. Il y a un grand nombre de risques qui menacent la permanence du carbone qui est séquestré par les projets forestiers.

  • Speaker #0

    Et rappelons-nous que Cyril Dutech, notamment, nous parlait de la plus grande fragilité des arbres OGM à croissance rapide.

  • Speaker #4

    Ça ne veut pas dire que ce n'est pas intéressant. Par exemple, un projet de replantation qui permet de stocker du carbone pendant plusieurs décennies, même si cette séquestration ne se fait pas pour toujours, ça a quand même un intérêt sous l'angle climatique. Et ce, encore plus si derrière, une autre forêt est replantée qui va reséquestrer à nouveau le crédit carbone qui aurait été planté. Mais néanmoins, c'est clairement quelque chose à avoir en tête que sur un grand nombre de projets liés au crédit carbone, et je pense en particulier au crédit forestier, il y a un problème de non-permanence qui est assez compliqué à prendre en compte.

  • Speaker #0

    Les arbres OGM sont pour le moment peu développés, que ce soit pour en faire des puits de carbone, de la pâte à papier ou des agrocarburants. Mais cela pourrait changer. On assiste depuis quelques années à un intense lobbying des entreprises de biotech au sein du FSC. Le Forest Stewardship Council, le plus grand label de la production de bois dit durable du monde. Anne Peterman, qui fait campagne depuis des années contre les arbres OGM, nous raconte ce qu'il se passe au FSC depuis quelques années.

  • Speaker #1

    L'interdiction par le Forest Stewardship Council des arbres génétiquement modifiés sous son label de certification, ou des produits issus d'arbres génétiquement modifiés, a constitué un obstacle majeur au développement commercial des arbres génétiquement modifiés par des entreprises comme Susano, qui sont certifiées FSC. C'est vraiment l'un des moyens les plus importants pour empêcher la certification des arbres génétiquement modifiés. Mais Susano et certains chercheurs ont essayé, il y a quelques années, de convaincre le FSC d'ouvrir une brèche dans l'interdiction des arbres génétiquement modifiés en faisant ce qu'ils ont appelé une recherche. En gros, il s'agissait de faire des recherches sur les armes génétiquement modifiées pour voir s'il était possible de le faire en toute sécurité et de manière durable. Nous avons répondu par une campagne et beaucoup de gens ont écrit des lettres à l'FSC. Le conseil du FSC n'a pas donné suite à cette demande. De sorte qu'à l'heure actuelle, l'interdiction du FSC est toujours là et intacte,

  • Speaker #2

    comme avant.

  • Speaker #0

    Ce que nous dit Anne Peterman est une réalité. Les pros-OGM s'activent dans les couloirs du FSC. En 2022, le FSC a proposé, je cite, un « processus d'apprentissage » sur la question des arbres OGM. Or, pour le mettre en place, le FSC a constitué un panel d'experts à la neutralité toute relative. Nous ne listerons pas toutes les personnes en situation de conflit d'intérêt, mais citons par exemple Jason Delborn qui a travaillé à l'acceptabilité sociale des OGM destinée à la conservation du châtaignier américain avec un châtaignier génétiquement modifié. ou encore Keith Roberts-Heise, chercheur en Australie dans une organisation relativement favorable aux biotechnologies qui étudie les moustiques génétiquement modifiés. Comme l'a précisé Anne Peterman, la campagne internationale a porté ses fruits. Fin mars 2023, le conseil d'administration du FSC annonce qu'il met fin à ce processus d'apprentissage. Il explique que ce processus décrié risque de diviser les membres du FSC et peut porter préjudice à la mission. et à la réputation de ce label. Mais le FSC travaille déjà avec Susano en certifiant certaines de ses plantations. En 2009, le FSC précisait qu'il souhaitait, je cite, « s'associer uniquement à des organisations qui ne sont pas directement ou indirectement impliquées dans les activités inacceptables comme l'introduction d'organismes génétiquement modifiés » . Mais en 2015, Le FSC déclarait que tant que les plantations Susano certifiées FSC n'incluaient pas d'OGM, cela ne leur posait pas de problème que Susano ait réalisé des essais en champ avec des arbres OGM.

  • Speaker #1

    L'une des nouvelles orientations que prend l'industrie des arbres génétiquement modifiés pour tenter de contourner les réglementations, y compris potentiellement le FSC, consiste à utiliser ce qu'on appelle l'édition génétique au lieu de la transgénèse. Et dire que l'édition génétique, qui consiste à retirer des gènes ou à les déplacer dans un génome sans introduire d'ADN étranger provenant d'une espèce différente, n'est pas la même chose que le génie génétique et devrait être exclu des réglementations sur le génie génétique.

  • Speaker #0

    Ce qui rappelle très bien ce qui se passe en Europe. Dans l'Union européenne, un texte déréglementant les plantes et arbres GM est en cours de négociation. Les arguments de la Commission européenne pour lancer ce chantier législatif étaient l'adaptation de la réglementation à ces nouvelles techniques génétiques et bien sûr, l'adaptation au changement climatique. Dans ce nouvel épisode, on comprend donc qu'on peut avoir de sérieux doutes sur la capacité des arbres à croissance rapide à constituer des puits de carbone efficaces. Et même s'ils arrivaient à créer des superbes arbres capteurs de carbone et à régler les problèmes des marchés du crédit carbone pour éviter la monoculture, etc. Philippe Delacote nous rappelle un fait intéressant.

  • Speaker #4

    La quantité de carbone qui peut être échangée sur les marchés, ça représente en tous les cas une assez faible part des émissions totales au niveau de la planète. C'est-à-dire que même si on arrive à avoir des mécanismes de crédit carbone qui seraient très efficaces et très robustes, ce serait juste... un élément de solution parmi beaucoup d'autres interventions à mettre en œuvre.

  • Speaker #0

    Les OGM pour sauver le climat n'est donc pas une idée isolée. Elle se situe dans une vision démiurgique du monde. Nous aurions aussi pu vous parler de la géoingénierie, un ensemble de technologies récentes et vertigineuses qui consiste tout simplement à modifier le climat à grande échelle. Il s'agit par exemple de capturer du carbone de l'air pour l'injecter dans la roche, de lancer du soufre dans l'atmosphère pour refroidir la température terrestre, ou encore de répandre du fer dans l'océan pour doper le phytoplankton. Mais avant de prétendre améliorer la nature, on pourrait déjà commencer par valoriser des pratiques paysannes et agroécologiques qui permettent aux sols de stocker naturellement et efficacement le carbone, et cela sans brevet, sans marché financier. Vous venez d'entendre OMG, Décodons les biotech, le podcast du média indépendant InfoGM. Ce podcast a été réalisé par Charlotte Cocard et Christophe Noisette, avec le soutien technique de Plink et en particulier Pierre-Henri Samion et Rémi Sanaka. La musique originale a été réalisée par Julien Fauconnier de Studio Time. Merci à toute l'équipe d'InfoGM et en particulier à Hélène Torgeman, Antoine Vépierre et Sylvain Willig. Nous tenons à remercier les bailleurs qui nous ont permis de réaliser ce podcast, les fondations Ecotone, Olga et Nature & Découverte et le ministère de la Culture. Pour un savoir plus sur les OGM et les biotechnologies, retrouvez toutes nos infos sur infogm.org.

Description

Des arbres qui poussent plus vite, qui gèrent mieux la photosynthèse pour capter plus de carbone, c'est la promesse de certaines start-ups comme Living Carbone. Des chercheurs décryptent pour nous la complexité d'un tel projet et ses risques environnementaux, mais également les dérives de la finance carbone. Derrière ces arbres du futur, l'industrie papetière n'est jamais bien loin.


💬 Entretiens :

📋 Sources :



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Living Carbon est une société d'intérêt public dont la mission est d'équilibrer de manière responsable le cycle du carbone de la planète en utilisant le pouvoir inhérent des plantes.

  • Speaker #1

    Ce que vous venez d'entendre, c'est une pub d'une nouvelle start-up états-unienne, Living Carbon. Elle a été cofondée par Maddy Hall, ancienne responsable à OpenAI, qui a mis au point ChatGPT. Leur projet ? Créer des arbres génétiquement modifiés pour booster la photosynthèse et leur... capacité à stocker du carbone. Ces arbres sont vendus comme une aide à la lutte contre le dérèglement climatique. Cette entreprise entend monnayer ses puits de carbone via les crédits carbone. Dans ce troisième épisode de OMG Décodons les biotech, nous allons nous intéresser donc aux arbres génétiquement modifiés destinés à la lutte contre le changement climatique. Comment fonctionnent-ils ? En quoi sont-ils des super puits de carbone ? Pour éviter les pires impacts du changement climatique, la concentration en dioxyde de carbone, CO2, devrait être à 350 parties par million ppm. Aujourd'hui, nous sommes déjà à 423 ppm. Pour atteindre la neutralité carbone et freiner le dérèglement climatique, deux pistes coexistent. réduire nos émissions de gaz à effet de serre et modifier les écosystèmes pour qu'ils absorbent plus de CO2. Interrogé par Radio France en 2024, François Gemeney, membre du GIEC, groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, nous apprend une nouvelle inquiétante. Les puits de carbone naturels C'est-à-dire l'ensemble des écosystèmes, les sols, les forêts, les océans, qui stockent du carbone sur le temps long, ne fonctionnent plus aussi bien qu'autrefois. Nous avons fait lire ces propos.

  • Speaker #0

    En 2023, ces puits de carbone n'ont quasiment rien absorbé, autour de 2 milliards de tonnes de CO2, alors qu'ils en avaient absorbé plus de 9 milliards en 2022.

  • Speaker #1

    Des multinationales ou des start-up fourmillent de solutions technologiques pour améliorer l'absorption du gaz carbonique. Le secteur des biotechnologies n'est pas en reste. Plantes qui gèrent mieux l'azote ou arbres à croissance rapide, par exemple. Et c'est une histoire qui remonte au tout début de l'idée de créer un marché carbone. En 1995, les Nations Unies se sont réunies pour des négociations internationales afin de baisser les émissions de gaz à effet de serre. Cette rencontre a donné naissance au protocole de Kyoto. C'est la première étape de la finance carbone. Pour comprendre ce qu'on appelle la finance carbone, nous avons interrogé Philippe Delacote, chercheur à l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement, l'IDRAE.

  • Speaker #2

    Le protocole de Kyoto a mis en place les mécanismes de développement propre. Ces mécanismes, c'était un petit peu les ancêtres de la compensation carbone. Et au sein de ces mécanismes, l'idée c'était que les entreprises des pays industrialisés financent des projets de réduction d'émissions dans les pays du Sud. Donc l'idée derrière ça, c'était d'amener des financements des pays du Nord vers les pays du Sud.

  • Speaker #1

    Petit à petit est née l'idée de créer un marché du carbone. Et l'outil qui a été proposé est le crédit carbone volontaire.

  • Speaker #2

    Les crédits carbone volontaires, qu'est-ce que c'est ? Ce sont des mécanismes de finance qui permettent d'apporter là aussi des financements dans les secteurs qui ont besoin de financement pour assurer leur transition. Imaginons un projet qui vise à réduire la déforestation dans une région d'Amazonie. Le porteur de projet. peut demander à un certificateur privé, par exemple Vera, de certifier les baisses d'émissions liées à la baisse de la déforestation. En contrepartie, si Vera estime que le projet a bien permis de réduire la déforestation et donc de réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle va octroyer à ce projet des crédits carbone. Ensuite, ces crédits carbone vont pouvoir être vendus à des entreprises qui veulent intégrer ces crédits dans leur stratégie climatique.

  • Speaker #1

    Le marché mondial du crédit carbone a été évalué à 1,7 milliard de dollars en 2024 et devrait augmenter de 25% entre 2025 et 2034, d'après GM Insight. Et les entreprises se sont emparées de cette opportunité. Ainsi, en 2003, lors d'une des premières conférences des partis, ou COP, les multinationales ont réussi à inclure les OGM dans ces fameux mécanismes de développement propre. Christophe Noisette, journaliste qui travaillait déjà pour InfoGM, nous raconte.

  • Speaker #2

    Le 12 décembre 2003, lors de la réunion du protocole de Kyoto qui s'est tenue à Milan en Italie, a été adoptée en plénière l'idée que les arbres génétiquement modifiés pour mieux stocker le carbone puissent être reconnus officiellement comme des pits de carbone et ainsi être éligibles au crédit carbone. Il a simplement été demandé que les pays qui autorisent des arbres génétiquement modifiés s'engagent à en évaluer les risques.

  • Speaker #1

    En 2012, une première modification génétique a été éligible au crédit carbone. Il s'agit de la technologie NU, pour Nitrogen Use Efficiency, ou efficacité de l'utilisation de l'azote. Mise au point par Arcadia Bioscience, ce procédé est censé créer des plantes transgéniques qui permettraient d'épandre moins d'engrais azotés. Or, les engrais industriels émettent du protoxyde d'azote, un puissant gaz à effet de serre. Arcadia Biosciences a signé des accords de licence avec des grandes entreprises semencières comme Monsanto, Dupont ou Villemaurin. Cette technologie est-elle efficace ? Impossible de le savoir. Aucune donnée objective n'a été publiée. Un certificateur de Crédit Carbone nous dit avoir abandonné une première méthode nue, faute d'utilisation. Une deuxième méthodologie plus large, qui comprend des nues mais aussi des pratiques améliorées de gestion des engrais, a été utilisée par 35 projets. mais impossible de savoir si ces projets concernent ou pas l'utilisation de semences nues. L'absence de transparence est un problème récurrent dans la finance carbone. Un autre grand secteur de la compensation carbone, ce sont les arbres. De nombreux projets de reforestation sous des formes plus ou moins industrielles ont été éligibles à des crédits carbone. Et des entreprises de biotech promettent de modifier génétiquement des arbres pour qu'ils stockent plus rapidement du carbone. Cette idée n'est pas nouvelle. Dès 1993, Toyota a effectué des essais en champ d'arbres transgéniques dans le but d'absorber plus de carbone. Le WWF écrivait en 1999 que les scientifiques de Toyota avaient bien observé une augmentation du stockage du carbone, mais également une augmentation de la consommation d'eau qu'ils ont jugée inacceptable. Nous reviendrons sur ce phénomène biologique un peu plus loin dans cet épisode. Toyota croit pourtant encore à cette idée et investit aujourd'hui dans Living Carbon. Plus récemment, ce sont des peupliers transgéniques de Living Carbon qui ont fait la une des médias.

  • Speaker #0

    Living Carbon rend possible de nouveaux projets de carbone forestier en fournissant un produit biologiquement supérieur qui capture une quantité de carbone prévisible et vérifiable plus élevée que les arbres contrôlés. Nous créons des projets de boisement, de reboisement et de revégétalisation pour les propriétaires fonciers tout en répondant à la demande de compensation carbone de haute qualité et à moins de recours.

  • Speaker #1

    Afin d'augmenter la capacité de l'arbre à stocker du carbone, cette entreprise entend améliorer la photosynthèse des arbres en réduisant leur photorespiration. Mais avant d'analyser ces arbres, prenons un peu de distance avec l'équation arbre égal puits de carbone. Cyril Dutech, chercheur à l'INRAE en biologie évolutive et en pathologie forestière, modère en effet cette évidence.

  • Speaker #3

    La question de planter des arbres pour stocker du carbone paraît une solution de bon sens à première vue, mais qu'en fait, quand on regarde dans les détails, ces plantations posent un certain nombre de questions et on les pose en général pas vraiment. Comment on plante est effectivement une question parce qu'assez souvent ces plantations, ce sont des plantations de type industriel, donc il y a souvent un gros travail du sol. Et on sait aujourd'hui que le sol est aussi un élément important pour les écosystèmes terrestres de stockage du carbone. Et quand on travaille ce sol, on peut amener à finalement relarguer du CO2 d'une façon importante.

  • Speaker #1

    Là encore, avant d'entrer dans le détail, nous avons parlé à Annick Bossu, professeure en sciences de la vie et de la Terre à la retraite, qui suit de près la problématique des biotechnologies depuis 30 ans, notamment en tant qu'administratrice d'InfoGM. Elle tient à replacer cette expérience dans le temps long de l'évolution.

  • Speaker #4

    Il faut savoir que la photosynthèse, c'est une des fonctions qui est apparue le plus tôt dans l'histoire de la Terre. Il y a plus de 3 milliards d'années qu'est apparue la photosynthèse. De cette photosynthèse dépend tout le développement de la vie ultérieure.

  • Speaker #1

    En gros, ce qu'elle nous dit, c'est que jouer sur une telle fonction est loin d'être anodin et qu'il serait bon de prendre quelques précautions. Alors, Living Carbon veut améliorer la phytorespiration. Mais de quoi s'agit-il précisément ?

  • Speaker #4

    La photosynthèse, c'est la capacité qu'ont les plantes chlorophylliennes de fabriquer de la matière. organique, par exemple, des feuilles, des branches, des fleurs, enfin toutes les parties de la plante, donc de fabriquer des molécules organiques, qui sont en fait des molécules qui contiennent du carbone, à partir du gaz carbonique de l'air. C'est ça donc qui, dans la photosynthèse, permet de soustraire du gaz carbonique à l'atmosphère. Cependant, en même temps que les plantes font leur photosynthèse, elles utilisent ces matières organiques qu'elles ont fabriquées pour respirer. C'est là que Living Carbon voudrait réduire cette photorespiration pour que le rendement de la photosynthèse globale soit plus important. Oui, alors effectivement, quand on fait une analyse mécaniste, on se dit... La photorespiration limite la photosynthèse.

  • Speaker #1

    Jouer sur ces mécanismes est assez complexe. Living Carbon précise avoir initialement inséré 41 transgènes issus d'organismes divers, des citrouilles, des algues et même des bactéries. La photorespiration est-elle juste une limite ? Un gâchis comme Living Carbon la présente parfois ? Il semblerait que non. Annick Bossu évoque certaines fonctions connues et importantes de la photorespiration.

  • Speaker #4

    Apparemment, la photorespiration est préjudiciable à la photosynthèse. Cependant, si elle a été conservée au cours de l'évolution, c'est bien qu'elle a sa raison d'être. Et en effet, certaines études ont, par exemple, suggéré que la photorespiration puisse être indispensable à la fixation de l'azote des nitrates du sol, c'est-à-dire à la synthèse de certains acides aminés. Alors, ces acides aminés interviennent dans... la lutte des plantes contre les pathogènes. Si donc ces acides aminés ne sont pas synthétisés, les plantes auront une moindre résistance aux maladies. Un autre inconvénient à supprimer la photorespiration, c'est qu'en fait, celle-ci protège les plantes lorsque l'éclairement est trop fort. Et ça, ça arrive souvent. Et un éclairement trop fort, qu'est-ce que ça fait ? Mais ça fait que... les réactions de photosynthèse s'emballent. Et dans ces cas-là, ça risque de produire non pas de l'oxygène, mais de l'eau oxygénée. Et l'eau oxygénée pour les cellules, pour tout le vivant, elle est toxique.

  • Speaker #1

    Au cours de son enquête, Annick Bossu a validé le souci évoqué précédemment avec les essais en champ de Toyota.

  • Speaker #4

    La photosynthèse consomme beaucoup d'eau, et particulièrement le peuplier qui est un arbre très gourmand en eau. Et du coup... Ici, quand on augmente la photosynthèse, on augmente aussi la quantité d'eau puisée dans le sol.

  • Speaker #1

    Elle évoque notamment plusieurs études. La première, publiée dans Tree Physiology, souligne que les arbres à croissance rapide, en particulier dans des plantations monospécifiques, une seule espèce d'arbre, ont tendance à utiliser plus d'eau que les espèces à croissance plus lente. Cette consommation accrue est attribuée à leur taux de transpiration plus élevé. et à leurs besoins en nutriments pour soutenir une croissance accélérée. La seconde étude, publiée dans Annals of Forest Science, met en évidence que les espèces à croissance rapide ont souvent une efficacité d'utilisation de l'eau plus faible et donc une consommation d'eau plus élevée par unité de biomasse produite. Plus généralement, un certain nombre de risques environnementaux liés aux arbres génétiquement modifiés sont similaires à ceux des plantes génétiquement modifiées, mais de façon amplifiée. C'est ce que nous raconte Anne Peterman, directrice exécutive de Justice Ecology Project, une ONG étatsunienne et coordinatrice de la campagne Stop GE Trees.

  • Speaker #0

    Il existe certains recoupements, certaines similitudes entre les problèmes liés aux cultures génétiquement modifiées et ceux liés aux arbres génétiquement modifiés. Mais il y a aussi de nombreux problèmes supplémentaires lorsqu'on parle d'arbres génétiquement modifiés, car ils sont très différents des plantes cultivées. Par exemple, les arbres peuvent vivre dans un écosystème sauvage interconnecté avec de nombreuses autres espèces d'arbres, de plantes de sous-bois. d'insectes, de reptiles, d'oiseaux, de champignons, etc. Tout ce qui se trouve dans une forêt. Et ils peuvent vivre pendant 200 ans ou plus. Donc le problème posé par des arbres ayant toutes ces relations complexes et une longue durée de vie dans l'environnement est assez différent de celui des plantes cultivées annuelles.

  • Speaker #1

    Prenons un exemple simple. Le pollen du colza peut se disséminer sur une trentaine de kilomètres. Le pollen d'un arbre, lui, peut se diffuser jusqu'à 600 km. Les risques de contamination sont donc grandement accrus. Cyril Dutech de l'INRAE nous dit encore par rapport aux peupliers OGM.

  • Speaker #3

    La diffusion du transgène dans les populations naturelles de peupliers est vraiment très problématique parce qu'on ne sait pas du tout, dans des conditions naturelles, avec toutes les interactions que ça a, ce que ça peut donner. Et les peupliers s'hybrident très facilement. Il y a beaucoup d'espèces de peupliers en Amérique du Nord. Et ce sont en plus des espèces extrêmement importantes pour les ripis silves, très sensibles. qui sont déjà des écosystèmes extrêmement fragilisés par les activités anthropiques aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Le dernier point de vigilance, c'est la toxicité potentielle du pollen produit par ces arbres pour les insectes. Living Carbon n'a présenté aucune étude qui permet d'exclure ce risque sur les insectes. Les études menées sur d'autres peupliers OGM testés en Europe n'ont montré aucune toxicité particulière, mais pour Cyril Dutech, ces tests ne sont pas concluants.

  • Speaker #3

    Moi j'ai été frappé pour les quelques articles que j'ai lus d'évaluation. C'est des tests qui sont faits assez rapidement et c'est les fameux tests de toxicité assez généraux qui sont déjà remis en cause plus largement, qui sont souvent liés à des tests de toxicité aiguë, c'est-à-dire qu'on regarde si l'insecte meurt. rapidement ou pas. Mais en fait, on sait qu'aujourd'hui, la toxicité d'une molécule, c'est beaucoup plus compliqué que ça et que ça peut conduire par exemple à des modifications de comportement qu'on ne voit pas nécessairement et qui ont des répercussions assez fortes.

  • Speaker #1

    Et au-delà des insectes, est-ce que le pollen de ces peupliers transgéniques pourrait être toxique pour les humains ? D'après nos recherches, il n'existe à ce jour aucune étude publiée qui évalue la capacité allergène des peupliers OGM développés par les vignes carbone. La question qui se pose au-delà des risques environnementaux et sanitaires est celle de la fragilité de ces arbres. En effet, pour que ces arbres soient des alliés durables dans la lutte contre le changement climatique, ils doivent avoir une certaine résilience pour ne pas relâcher aussitôt le carbone stocké. Or, une étude publiée dans Nature Communications révèle que les arbres à croissance rapide, comme le sont nativement les peupliers, ont une durée de vie plus courte. Cette relation inverse entre croissance rapide et longévité a été observée pour plus de 110 espèces sous divers climats. En moyenne, une augmentation de 50% de la croissance précoce réduit la durée de vie de l'arbre de 23%. Cette dynamique suggère que les arbres génétiquement modifiés, pour croître encore plus vite, pourraient mourir encore plus jeunes et donc libérer rapidement le carbone stocké. Cyril Dutech, que vous venez d'entendre, apporte d'autres éléments qui montrent que ces arbres génétiquement modifiés sont plus fragiles.

  • Speaker #3

    Quand on modifie l'expression d'un gène, soit dans sa quantité, soit dans sa qualité, on peut se retrouver, du fait de l'interaction des chaînes métaboliques dans un organisme, à finalement bouger d'autres fonctions. On a des cas aussi, quand on modifie la croissance d'un organisme en le faisant pousser plus rapidement, on peut arriver à diminuer ses capacités de résistance à des sécheresses ou des ravageurs diverses.

  • Speaker #1

    Ils donnent un exemple avec un essai en Europe de peupliers transgéniques.

  • Speaker #3

    Ils avaient modifié la régulation des gènes pour produire moins de lignines. de façon à rendre les peupliers plus intéressants pour l'industrie papetière. En fait, leurs essais montraient que ces peupliers poussaient moins, parce que la zone qu'ils avaient dérégulée pour la production de lignine avait des conséquences sur la formation des vaisseaux de sève élaborée. Ils étaient moins bien formés et du coup, l'arbre semblait probablement dysfonctionner.

  • Speaker #1

    Un autre phénomène biologique qu'il faut avoir en tête est celui du compromis évolutif. En gros, et pour faire simple... Tout être vivant a une certaine quantité de ressources disponibles. Il va être obligé de choisir d'investir ces ressources dans une fonction ou une autre.

  • Speaker #3

    Si on pousse un organisme à croître très rapidement et qu'on ne lui fournit pas les quantités de ressources nécessaires, que ce soit l'eau, les intrants, voire la lumière, il va y avoir un compromis et la fonction qui est favorisée sera réalisée. Au détriment d'autres fonctions, par exemple de la production de métabolites secondaires, qui sont souvent très utiles à résister à des ravageurs par exemple.

  • Speaker #1

    Ajoutons une dernière fragilité, qui concerne de nombreuses plantations industrielles, OGM ou non. C'est la capacité de résistance aux maladies et ravageurs. Living Carbon a utilisé un clone sélectionné par l'INRA pour sa facilité à être modifié.

  • Speaker #3

    Le problème, c'est que quand on... Et ça, c'est connu des plantations monospécifiques. C'est qu'on a affaire à des plantations qui sont finalement qu'un seul individu et pour lesquelles il est plus facile pour un agent pathogène, notamment, ou voire un insecte, de s'adapter puisqu'en fait, il n'est pas confronté. à une diversité spécifique et une diversité génétique. En fait, ça conduit à des épidémies extrêmement violentes et extrêmement rapides et souvent à la destruction rapide des plantations.

  • Speaker #1

    Ce phénomène a été observé notamment par l'Inrae de Nancy dans les années 80 avec un clone de peuplier qui avait été sélectionné pour sa résistance à une maladie, la rouille du peuplier. Ce clone a été très apprécié et donc cultivé largement. Or, le parasite a trouvé une façon de contourner la résistance sélectionnée et comme ces plantations étaient très proches génétiquement, elles ont été rapidement décimées. Ok, donc il y a de sérieux doutes sur l'intérêt de plantations d'arbres OGM pour stocker du carbone du fait notamment de leur plus grande fragilité. Pourtant, les peupliers génétiquement modifiés de Living Carbon sont déjà cultivés. Les premiers essais en champ ont eu lieu en 2021 dans l'Oregon et en 2023 en Géorgie. Elle a levé 36 millions de dollars en promettant 4 à 5 millions de peupliers d'ici 2024, sans préciser s'ils seront génétiquement modifiés ou non. Or actuellement, d'après les informations disponibles, la start-up n'a planté que 170 000 arbres, dont 8 900 génétiquement modifiés. Living Carbon précise sur son site qu'elle a également commencé à planter ses arbres auprès de propriétaires fonciers privés en Pennsylvanie, Géorgie et Californie. Elle fournit les arbres gratuitement et prend en charge les frais de plantation. Mais en échange, elle conservera les droits sur les crédits de carbone générés par ces plantations. Les propriétaires recevront des paiements annuels. Actuellement, d'après nos recherches, les premières plantations de peupliers transgéniques de Living Carbon n'ont pas encore permis de garantir officiellement des crédits carbone certifiés et commercialisés. Ils proposent seulement des pré-ventes. Concrètement, au lieu de vendre uniquement des crédits déjà générés, Living Carbon demande aux entreprises de s'engager à acheter des crédits futurs en payant une partie du montant à l'avance. Cela permet... à Living Carbon d'avoir des fonds immédiats pour financer ses propres projets. Le problème avec ces préventes est qu'on est dans l'incapacité à estimer si ces arbres stockeront réellement du carbone et combien. Anne Peterman nous explique pourquoi il est actuellement impossible de répondre à cette question.

  • Speaker #0

    Le problème, c'est qu'il n'y a aucun moyen de savoir comment ces peupliers se comporteront une fois qu'ils seront dans les écosystèmes sauvages ou adjacents aux écosystèmes sauvages. La preuve de concept, c'est-à-dire la preuve que ces arbres fonctionnent réellement, n'existe pas vraiment. Ils ne l'ont fait que dans des serres. Ils ne savent donc pas ce qui se passera lorsqu'ils les introduiront dans la nature.

  • Speaker #1

    Autrement dit, le passage du laboratoire contrôlé à la nature où de nombreux paramètres ne sont pas modélisables pourrait décevoir les espoirs de Living Carbon. Mais revenons-en au crédit carbone. Cette entreprise, comme nous l'avons déjà dit, joue sur plusieurs tableaux. Actuellement, Living Carbon mène un projet de reboisement dans l'Ohio sur 24 hectares et il est clairement mentionné qu'aucun arbre génétiquement modifié ne sera planté. Ce projet lui rapporte déjà concrètement des crédits carbone certifiés par Vera. En avril 2025, Microsoft s'est engagé à acheter 1,4 million de tonnes de crédits carbone à Living Carbon pour un projet de reforestation. menée sur un peu plus de 10 000 hectares de terre minière dans la région des Appalaches. Ces crédits carbone sont, eux, certifiés par Isométrique. Nous estimons que sur cette surface, entre 15 et 20 millions d'arbres devront être plantés. De quel type d'arbre s'agit-il ? Impossible de le savoir. En tout cas, Isométrique n'a pas exclu explicitement les arbres OGM de sa méthodologie. L'information est d'autant plus difficile à obtenir que les agences états-uniennes ont considéré que ces peupliers transgéniques pouvaient être plantés sans autorisation. Et aucune obligation de tenir un registre public n'est exigée. On vient de parler de isométrique et de verra. Mais qui sont ces organismes ? A quoi servent-ils ? Pour comprendre cela, redonnons la parole au chercheur de l'INRAE, Philippe Delacote.

  • Speaker #2

    Un point important, c'est le rôle du certificateur. Les certificateurs, par exemple, Vera, c'est le plus connu. Une entreprise comme Vera, elle propose tout un ensemble de méthodologies. C'est-à-dire qu'un porteur de projet qui veut, par exemple, mener un projet de reforestation, il va aller regarder dans le catalogue des méthodologies proposées par Vera. Et ensuite, il va monter un dossier en essayant de suivre cette méthodologie pour montrer, en effet, que le projet a permis soit de réduire les émissions, soit d'augmenter la capture du carbone de l'atmosphère.

  • Speaker #1

    Mais il existe plusieurs certificateurs et tous n'ont pas les mêmes exigences. Philippe Delacote évoque le label français bas carbone.

  • Speaker #2

    La méthodologie du label bas carbone est relativement exigeante en termes d'éviter justement les monocultures et d'avoir des plantations qui sont suffisamment diversifiées. On peut imaginer que pour certains autres certificateurs, les méthodologies sont un petit peu moins regardantes sur la diversité des arbres qui vont être plantés. Et ça, ça peut faire courir le risque de planter des forêts de type monospécifique et donc avec assez peu d'intérêt en termes de biodiversité. On peut plutôt parler de champs d'arbres plutôt que de forêts.

  • Speaker #1

    Et un des problèmes, c'est que les entreprises de certification ont besoin d'attirer des clients.

  • Speaker #2

    Finalement, plus vous allez avoir des méthodologies qui vont être exigeantes, plus elles vont être difficiles à suivre et donc moins les porteurs de projets risquent d'y adhérer.

  • Speaker #1

    Les exigences des certificateurs sont-elles donc tirées vers le bas ? Et à l'autre bout de la chaîne, les entreprises qui achètent ces crédits carbone pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Regarde-t-elle la qualité des méthodologies ?

  • Speaker #2

    Généralement, les crédits carbone sont achetés à moins de 10 dollars la tonne, ce qui est vraiment des prix très faibles. Et donc, on peut se poser la question, est-ce que les entreprises qui achètent des crédits carbone, elles vont aller vers du moins 10 ans, donc elles vont essayer d'aller acheter des crédits au coût le plus bas possible ? sans forcément être très intéressé par la qualité réelle de ces crédits.

  • Speaker #1

    Nous ne savons pas comment Living Carbon a calculé le carbone stocké dans 16 arbres. En effet, pour cela, il faudrait en théorie que les arbres vivent leur vie entière. Or, les essais menés sont récents, comme nous l'avons vu précédemment. Au-delà de cet exemple précis, Philippe Delacote estime que c'est l'ensemble de l'évaluation de l'efficacité du marché carbone qui laisse à désirer. Il insiste sur la surévaluation des projets et évoque des études qui remettent en cause l'efficacité réelle des projets REDD+, pour réduire la déforestation. Les projets REDD+, sont des crédits carbone plus spécifiquement dédiés aux projets forestiers.

  • Speaker #2

    Les méthodologies qui sont souvent appliquées, c'est celle-ci, c'est de regarder l'évolution du couvert forestier dans la zone qui est traitée par un projet REDD+, et puis de la comparer avec une zone contrôle, c'est-à-dire une zone qui présente... des caractéristiques similaires à la zone de traitement, mais qui, elle, n'est pas traitée. Et souvent, quand on compare les résultats de ces résultats académiques avec l'octroi effectif de crédit carbone par les certificateurs, on trouve une différence qui est relativement importante. Très souvent, les crédits carbone liés à la déforestation évitée surévaluent fortement la déforestation évitée réelle. Il y a beaucoup d'études qui montrent qu'il y a une surallocation de crédit par rapport aux réductions réelles d'émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, le papier le plus connu, c'est un article de West et de ses co-auteurs en 2023 dans Science. Et cet article a montré que, selon eux, 90% des crédits ne sont pas liés à des réductions d'émissions effectives. Dit autrement, un crédit carbone ne correspond pas nécessairement à une tonne de carbone qui n'aura pas été émise dans l'atmosphère.

  • Speaker #1

    Il est très difficile de mener des études indépendantes pour évaluer le réel impact de ces projets et des crédits carbone qui leur sont liés. du fait d'une réelle opacité sur ce marché.

  • Speaker #2

    Il n'y a pas de registre, par exemple, global qui permette de tracer complètement le parcours d'un crédit carbone, de sa création jusqu'à l'entreprise qui va l'utiliser avec la répartition de la valeur.

  • Speaker #1

    Résumons. Non seulement les mécanismes de compensation carbone ne sont pas toujours efficaces pour lutter contre le changement climatique, Mais en plus, ils peuvent être utilisés pour financer des arbres OGM dont on ne connaît ni l'efficacité, ni la pérennité, ni les conséquences sur les écosystèmes naturels. En enquêtant, nous découvrons que ces crédits carbone financent aussi des entreprises qui veulent promouvoir les arbres génétiquement modifiés pour la filière papier et bois. Ça se passe au Brésil, où l'entreprise Susano cultive de vastes monocultures d'eucalyptus, parfois sur d'anciennes forêts.

  • Speaker #0

    Pour le moment, il s'agit d'eucalyptus conventionnels. Pourtant, dès 2012, Futuragine, une filiale de Susano, a mené des essais en champ avec des eucalyptus transgéniques modifiés pour tolérer du round-up et produire plus de bois. Et la filiale a reçu en avril 2015 une autorisation de les cultiver. Or, Susano a réussi à obtenir des crédits carbone pour ses monocultures d'eucalyptus. Anne Peterman, de Justice Ecology Projects, nous raconte.

  • Speaker #1

    Dans le cas de Suzano Timber Company au Brésil, ils collectent des fonds grâce au crédit carbone pour étendre leurs plantations d'eucalyptus. Ils sont donc en train de développer des plantations d'eucalyptus tolérantes aux herbicides et résistantes aux insectes. Parallèlement, ils étendent leurs plantations existantes, sans OGM, et utilisent des crédits carbone pour cela. À l'avenir, lorsqu'ils seront prêts, ils auront les permis pour les arbres génétiquement modifiés. mais ils affirment ne pas encore les planter. Mais ils pourraient le faire et obtenir des crédits carbone pour ces mêmes raisons, leur croissance rapide et leur stockage de carbone.

  • Speaker #2

    Or,

  • Speaker #1

    que se passe-t-il ? Ce que nous avons constaté lors de notre délégation au Brésil en 2023, c'est qu'ils détruisent les forêts indigènes existantes, notamment la forêt du Cerrado, au profit de l'agrandissement de ces plantations d'Acaiolictus. Nous avons donc cette biodiversité très riche en carbone, de riches forêts indigènes appelées strados,

  • Speaker #2

    et ils les détruisent,

  • Speaker #1

    éliminant tout le carbone des arbres, perturbant le sol, libérant tout ce carbone, et en installant ensuite ces plantations d'arbres à courte durée de vie qui nécessitent d'énormes quantités d'eau, d'herbicides, d'engrais, etc. Et tout cela est très négatif pour le climat, bien sûr. Mais ils peuvent obtenir un financement carbone pour cela, car ils disent que ce sont des arbres à croissance rapide.

  • Speaker #0

    Et dans ce cas, Étant donné que la finalité est de produire de la pâte à papier, le stockage du carbone va être de très courte durée. Cyril Dutech, de l'INRAE, évoque aussi ce risque.

  • Speaker #3

    Ces arbres OGM, on trouve l'argument de dire oui, vous voyez, ça va nous permettre de fixer du carbone, mais au fond, on peut se dire surtout que ça va favoriser un type de sylviculture très productiviste, pour produire du bois rapidement.

  • Speaker #0

    C'est clairement une dérive de la finance carbone que Philippe Delacote de l'INREI nous explique.

  • Speaker #4

    Dans le monde des crédits carbone, en théorie, pour recevoir un crédit carbone, il faut prouver que le projet n'aurait pas pu être mis en œuvre sans l'octroi de crédit carbone. Donc dans le cas de plantations de bois monospécifiques qui ont une destination ensuite d'être utilisées dans l'industrie, que ce soit de l'ameublement, de la papeterie ou autre. il est en théorie nécessaire de montrer que ces modèles n'auraient pas été rentables sans le recours au crédit carbone. Donc en théorie, la règle d'additionnalité est celle-ci. On peut imaginer que dans un certain nombre de cas, ces plantations spécifiques auraient été rentables même sans la finance carbone. Quand on va acheter des crédits carbone qui sont issus de projets forestiers, que ce soit des projets de déforestation évité ou des projets de replantation, on a ce qu'on appelle un risque de non-permanence. Les arbres, à un moment, sont susceptibles d'être exploités ou de mourir. Ils sont exposés aussi à beaucoup d'aléas. Ça peut être des tempêtes, ça peut être des feux de forêt. Il y a un grand nombre de risques qui menacent la permanence du carbone qui est séquestré par les projets forestiers.

  • Speaker #0

    Et rappelons-nous que Cyril Dutech, notamment, nous parlait de la plus grande fragilité des arbres OGM à croissance rapide.

  • Speaker #4

    Ça ne veut pas dire que ce n'est pas intéressant. Par exemple, un projet de replantation qui permet de stocker du carbone pendant plusieurs décennies, même si cette séquestration ne se fait pas pour toujours, ça a quand même un intérêt sous l'angle climatique. Et ce, encore plus si derrière, une autre forêt est replantée qui va reséquestrer à nouveau le crédit carbone qui aurait été planté. Mais néanmoins, c'est clairement quelque chose à avoir en tête que sur un grand nombre de projets liés au crédit carbone, et je pense en particulier au crédit forestier, il y a un problème de non-permanence qui est assez compliqué à prendre en compte.

  • Speaker #0

    Les arbres OGM sont pour le moment peu développés, que ce soit pour en faire des puits de carbone, de la pâte à papier ou des agrocarburants. Mais cela pourrait changer. On assiste depuis quelques années à un intense lobbying des entreprises de biotech au sein du FSC. Le Forest Stewardship Council, le plus grand label de la production de bois dit durable du monde. Anne Peterman, qui fait campagne depuis des années contre les arbres OGM, nous raconte ce qu'il se passe au FSC depuis quelques années.

  • Speaker #1

    L'interdiction par le Forest Stewardship Council des arbres génétiquement modifiés sous son label de certification, ou des produits issus d'arbres génétiquement modifiés, a constitué un obstacle majeur au développement commercial des arbres génétiquement modifiés par des entreprises comme Susano, qui sont certifiées FSC. C'est vraiment l'un des moyens les plus importants pour empêcher la certification des arbres génétiquement modifiés. Mais Susano et certains chercheurs ont essayé, il y a quelques années, de convaincre le FSC d'ouvrir une brèche dans l'interdiction des arbres génétiquement modifiés en faisant ce qu'ils ont appelé une recherche. En gros, il s'agissait de faire des recherches sur les armes génétiquement modifiées pour voir s'il était possible de le faire en toute sécurité et de manière durable. Nous avons répondu par une campagne et beaucoup de gens ont écrit des lettres à l'FSC. Le conseil du FSC n'a pas donné suite à cette demande. De sorte qu'à l'heure actuelle, l'interdiction du FSC est toujours là et intacte,

  • Speaker #2

    comme avant.

  • Speaker #0

    Ce que nous dit Anne Peterman est une réalité. Les pros-OGM s'activent dans les couloirs du FSC. En 2022, le FSC a proposé, je cite, un « processus d'apprentissage » sur la question des arbres OGM. Or, pour le mettre en place, le FSC a constitué un panel d'experts à la neutralité toute relative. Nous ne listerons pas toutes les personnes en situation de conflit d'intérêt, mais citons par exemple Jason Delborn qui a travaillé à l'acceptabilité sociale des OGM destinée à la conservation du châtaignier américain avec un châtaignier génétiquement modifié. ou encore Keith Roberts-Heise, chercheur en Australie dans une organisation relativement favorable aux biotechnologies qui étudie les moustiques génétiquement modifiés. Comme l'a précisé Anne Peterman, la campagne internationale a porté ses fruits. Fin mars 2023, le conseil d'administration du FSC annonce qu'il met fin à ce processus d'apprentissage. Il explique que ce processus décrié risque de diviser les membres du FSC et peut porter préjudice à la mission. et à la réputation de ce label. Mais le FSC travaille déjà avec Susano en certifiant certaines de ses plantations. En 2009, le FSC précisait qu'il souhaitait, je cite, « s'associer uniquement à des organisations qui ne sont pas directement ou indirectement impliquées dans les activités inacceptables comme l'introduction d'organismes génétiquement modifiés » . Mais en 2015, Le FSC déclarait que tant que les plantations Susano certifiées FSC n'incluaient pas d'OGM, cela ne leur posait pas de problème que Susano ait réalisé des essais en champ avec des arbres OGM.

  • Speaker #1

    L'une des nouvelles orientations que prend l'industrie des arbres génétiquement modifiés pour tenter de contourner les réglementations, y compris potentiellement le FSC, consiste à utiliser ce qu'on appelle l'édition génétique au lieu de la transgénèse. Et dire que l'édition génétique, qui consiste à retirer des gènes ou à les déplacer dans un génome sans introduire d'ADN étranger provenant d'une espèce différente, n'est pas la même chose que le génie génétique et devrait être exclu des réglementations sur le génie génétique.

  • Speaker #0

    Ce qui rappelle très bien ce qui se passe en Europe. Dans l'Union européenne, un texte déréglementant les plantes et arbres GM est en cours de négociation. Les arguments de la Commission européenne pour lancer ce chantier législatif étaient l'adaptation de la réglementation à ces nouvelles techniques génétiques et bien sûr, l'adaptation au changement climatique. Dans ce nouvel épisode, on comprend donc qu'on peut avoir de sérieux doutes sur la capacité des arbres à croissance rapide à constituer des puits de carbone efficaces. Et même s'ils arrivaient à créer des superbes arbres capteurs de carbone et à régler les problèmes des marchés du crédit carbone pour éviter la monoculture, etc. Philippe Delacote nous rappelle un fait intéressant.

  • Speaker #4

    La quantité de carbone qui peut être échangée sur les marchés, ça représente en tous les cas une assez faible part des émissions totales au niveau de la planète. C'est-à-dire que même si on arrive à avoir des mécanismes de crédit carbone qui seraient très efficaces et très robustes, ce serait juste... un élément de solution parmi beaucoup d'autres interventions à mettre en œuvre.

  • Speaker #0

    Les OGM pour sauver le climat n'est donc pas une idée isolée. Elle se situe dans une vision démiurgique du monde. Nous aurions aussi pu vous parler de la géoingénierie, un ensemble de technologies récentes et vertigineuses qui consiste tout simplement à modifier le climat à grande échelle. Il s'agit par exemple de capturer du carbone de l'air pour l'injecter dans la roche, de lancer du soufre dans l'atmosphère pour refroidir la température terrestre, ou encore de répandre du fer dans l'océan pour doper le phytoplankton. Mais avant de prétendre améliorer la nature, on pourrait déjà commencer par valoriser des pratiques paysannes et agroécologiques qui permettent aux sols de stocker naturellement et efficacement le carbone, et cela sans brevet, sans marché financier. Vous venez d'entendre OMG, Décodons les biotech, le podcast du média indépendant InfoGM. Ce podcast a été réalisé par Charlotte Cocard et Christophe Noisette, avec le soutien technique de Plink et en particulier Pierre-Henri Samion et Rémi Sanaka. La musique originale a été réalisée par Julien Fauconnier de Studio Time. Merci à toute l'équipe d'InfoGM et en particulier à Hélène Torgeman, Antoine Vépierre et Sylvain Willig. Nous tenons à remercier les bailleurs qui nous ont permis de réaliser ce podcast, les fondations Ecotone, Olga et Nature & Découverte et le ministère de la Culture. Pour un savoir plus sur les OGM et les biotechnologies, retrouvez toutes nos infos sur infogm.org.

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Description

Des arbres qui poussent plus vite, qui gèrent mieux la photosynthèse pour capter plus de carbone, c'est la promesse de certaines start-ups comme Living Carbone. Des chercheurs décryptent pour nous la complexité d'un tel projet et ses risques environnementaux, mais également les dérives de la finance carbone. Derrière ces arbres du futur, l'industrie papetière n'est jamais bien loin.


💬 Entretiens :

📋 Sources :



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Living Carbon est une société d'intérêt public dont la mission est d'équilibrer de manière responsable le cycle du carbone de la planète en utilisant le pouvoir inhérent des plantes.

  • Speaker #1

    Ce que vous venez d'entendre, c'est une pub d'une nouvelle start-up états-unienne, Living Carbon. Elle a été cofondée par Maddy Hall, ancienne responsable à OpenAI, qui a mis au point ChatGPT. Leur projet ? Créer des arbres génétiquement modifiés pour booster la photosynthèse et leur... capacité à stocker du carbone. Ces arbres sont vendus comme une aide à la lutte contre le dérèglement climatique. Cette entreprise entend monnayer ses puits de carbone via les crédits carbone. Dans ce troisième épisode de OMG Décodons les biotech, nous allons nous intéresser donc aux arbres génétiquement modifiés destinés à la lutte contre le changement climatique. Comment fonctionnent-ils ? En quoi sont-ils des super puits de carbone ? Pour éviter les pires impacts du changement climatique, la concentration en dioxyde de carbone, CO2, devrait être à 350 parties par million ppm. Aujourd'hui, nous sommes déjà à 423 ppm. Pour atteindre la neutralité carbone et freiner le dérèglement climatique, deux pistes coexistent. réduire nos émissions de gaz à effet de serre et modifier les écosystèmes pour qu'ils absorbent plus de CO2. Interrogé par Radio France en 2024, François Gemeney, membre du GIEC, groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, nous apprend une nouvelle inquiétante. Les puits de carbone naturels C'est-à-dire l'ensemble des écosystèmes, les sols, les forêts, les océans, qui stockent du carbone sur le temps long, ne fonctionnent plus aussi bien qu'autrefois. Nous avons fait lire ces propos.

  • Speaker #0

    En 2023, ces puits de carbone n'ont quasiment rien absorbé, autour de 2 milliards de tonnes de CO2, alors qu'ils en avaient absorbé plus de 9 milliards en 2022.

  • Speaker #1

    Des multinationales ou des start-up fourmillent de solutions technologiques pour améliorer l'absorption du gaz carbonique. Le secteur des biotechnologies n'est pas en reste. Plantes qui gèrent mieux l'azote ou arbres à croissance rapide, par exemple. Et c'est une histoire qui remonte au tout début de l'idée de créer un marché carbone. En 1995, les Nations Unies se sont réunies pour des négociations internationales afin de baisser les émissions de gaz à effet de serre. Cette rencontre a donné naissance au protocole de Kyoto. C'est la première étape de la finance carbone. Pour comprendre ce qu'on appelle la finance carbone, nous avons interrogé Philippe Delacote, chercheur à l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement, l'IDRAE.

  • Speaker #2

    Le protocole de Kyoto a mis en place les mécanismes de développement propre. Ces mécanismes, c'était un petit peu les ancêtres de la compensation carbone. Et au sein de ces mécanismes, l'idée c'était que les entreprises des pays industrialisés financent des projets de réduction d'émissions dans les pays du Sud. Donc l'idée derrière ça, c'était d'amener des financements des pays du Nord vers les pays du Sud.

  • Speaker #1

    Petit à petit est née l'idée de créer un marché du carbone. Et l'outil qui a été proposé est le crédit carbone volontaire.

  • Speaker #2

    Les crédits carbone volontaires, qu'est-ce que c'est ? Ce sont des mécanismes de finance qui permettent d'apporter là aussi des financements dans les secteurs qui ont besoin de financement pour assurer leur transition. Imaginons un projet qui vise à réduire la déforestation dans une région d'Amazonie. Le porteur de projet. peut demander à un certificateur privé, par exemple Vera, de certifier les baisses d'émissions liées à la baisse de la déforestation. En contrepartie, si Vera estime que le projet a bien permis de réduire la déforestation et donc de réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle va octroyer à ce projet des crédits carbone. Ensuite, ces crédits carbone vont pouvoir être vendus à des entreprises qui veulent intégrer ces crédits dans leur stratégie climatique.

  • Speaker #1

    Le marché mondial du crédit carbone a été évalué à 1,7 milliard de dollars en 2024 et devrait augmenter de 25% entre 2025 et 2034, d'après GM Insight. Et les entreprises se sont emparées de cette opportunité. Ainsi, en 2003, lors d'une des premières conférences des partis, ou COP, les multinationales ont réussi à inclure les OGM dans ces fameux mécanismes de développement propre. Christophe Noisette, journaliste qui travaillait déjà pour InfoGM, nous raconte.

  • Speaker #2

    Le 12 décembre 2003, lors de la réunion du protocole de Kyoto qui s'est tenue à Milan en Italie, a été adoptée en plénière l'idée que les arbres génétiquement modifiés pour mieux stocker le carbone puissent être reconnus officiellement comme des pits de carbone et ainsi être éligibles au crédit carbone. Il a simplement été demandé que les pays qui autorisent des arbres génétiquement modifiés s'engagent à en évaluer les risques.

  • Speaker #1

    En 2012, une première modification génétique a été éligible au crédit carbone. Il s'agit de la technologie NU, pour Nitrogen Use Efficiency, ou efficacité de l'utilisation de l'azote. Mise au point par Arcadia Bioscience, ce procédé est censé créer des plantes transgéniques qui permettraient d'épandre moins d'engrais azotés. Or, les engrais industriels émettent du protoxyde d'azote, un puissant gaz à effet de serre. Arcadia Biosciences a signé des accords de licence avec des grandes entreprises semencières comme Monsanto, Dupont ou Villemaurin. Cette technologie est-elle efficace ? Impossible de le savoir. Aucune donnée objective n'a été publiée. Un certificateur de Crédit Carbone nous dit avoir abandonné une première méthode nue, faute d'utilisation. Une deuxième méthodologie plus large, qui comprend des nues mais aussi des pratiques améliorées de gestion des engrais, a été utilisée par 35 projets. mais impossible de savoir si ces projets concernent ou pas l'utilisation de semences nues. L'absence de transparence est un problème récurrent dans la finance carbone. Un autre grand secteur de la compensation carbone, ce sont les arbres. De nombreux projets de reforestation sous des formes plus ou moins industrielles ont été éligibles à des crédits carbone. Et des entreprises de biotech promettent de modifier génétiquement des arbres pour qu'ils stockent plus rapidement du carbone. Cette idée n'est pas nouvelle. Dès 1993, Toyota a effectué des essais en champ d'arbres transgéniques dans le but d'absorber plus de carbone. Le WWF écrivait en 1999 que les scientifiques de Toyota avaient bien observé une augmentation du stockage du carbone, mais également une augmentation de la consommation d'eau qu'ils ont jugée inacceptable. Nous reviendrons sur ce phénomène biologique un peu plus loin dans cet épisode. Toyota croit pourtant encore à cette idée et investit aujourd'hui dans Living Carbon. Plus récemment, ce sont des peupliers transgéniques de Living Carbon qui ont fait la une des médias.

  • Speaker #0

    Living Carbon rend possible de nouveaux projets de carbone forestier en fournissant un produit biologiquement supérieur qui capture une quantité de carbone prévisible et vérifiable plus élevée que les arbres contrôlés. Nous créons des projets de boisement, de reboisement et de revégétalisation pour les propriétaires fonciers tout en répondant à la demande de compensation carbone de haute qualité et à moins de recours.

  • Speaker #1

    Afin d'augmenter la capacité de l'arbre à stocker du carbone, cette entreprise entend améliorer la photosynthèse des arbres en réduisant leur photorespiration. Mais avant d'analyser ces arbres, prenons un peu de distance avec l'équation arbre égal puits de carbone. Cyril Dutech, chercheur à l'INRAE en biologie évolutive et en pathologie forestière, modère en effet cette évidence.

  • Speaker #3

    La question de planter des arbres pour stocker du carbone paraît une solution de bon sens à première vue, mais qu'en fait, quand on regarde dans les détails, ces plantations posent un certain nombre de questions et on les pose en général pas vraiment. Comment on plante est effectivement une question parce qu'assez souvent ces plantations, ce sont des plantations de type industriel, donc il y a souvent un gros travail du sol. Et on sait aujourd'hui que le sol est aussi un élément important pour les écosystèmes terrestres de stockage du carbone. Et quand on travaille ce sol, on peut amener à finalement relarguer du CO2 d'une façon importante.

  • Speaker #1

    Là encore, avant d'entrer dans le détail, nous avons parlé à Annick Bossu, professeure en sciences de la vie et de la Terre à la retraite, qui suit de près la problématique des biotechnologies depuis 30 ans, notamment en tant qu'administratrice d'InfoGM. Elle tient à replacer cette expérience dans le temps long de l'évolution.

  • Speaker #4

    Il faut savoir que la photosynthèse, c'est une des fonctions qui est apparue le plus tôt dans l'histoire de la Terre. Il y a plus de 3 milliards d'années qu'est apparue la photosynthèse. De cette photosynthèse dépend tout le développement de la vie ultérieure.

  • Speaker #1

    En gros, ce qu'elle nous dit, c'est que jouer sur une telle fonction est loin d'être anodin et qu'il serait bon de prendre quelques précautions. Alors, Living Carbon veut améliorer la phytorespiration. Mais de quoi s'agit-il précisément ?

  • Speaker #4

    La photosynthèse, c'est la capacité qu'ont les plantes chlorophylliennes de fabriquer de la matière. organique, par exemple, des feuilles, des branches, des fleurs, enfin toutes les parties de la plante, donc de fabriquer des molécules organiques, qui sont en fait des molécules qui contiennent du carbone, à partir du gaz carbonique de l'air. C'est ça donc qui, dans la photosynthèse, permet de soustraire du gaz carbonique à l'atmosphère. Cependant, en même temps que les plantes font leur photosynthèse, elles utilisent ces matières organiques qu'elles ont fabriquées pour respirer. C'est là que Living Carbon voudrait réduire cette photorespiration pour que le rendement de la photosynthèse globale soit plus important. Oui, alors effectivement, quand on fait une analyse mécaniste, on se dit... La photorespiration limite la photosynthèse.

  • Speaker #1

    Jouer sur ces mécanismes est assez complexe. Living Carbon précise avoir initialement inséré 41 transgènes issus d'organismes divers, des citrouilles, des algues et même des bactéries. La photorespiration est-elle juste une limite ? Un gâchis comme Living Carbon la présente parfois ? Il semblerait que non. Annick Bossu évoque certaines fonctions connues et importantes de la photorespiration.

  • Speaker #4

    Apparemment, la photorespiration est préjudiciable à la photosynthèse. Cependant, si elle a été conservée au cours de l'évolution, c'est bien qu'elle a sa raison d'être. Et en effet, certaines études ont, par exemple, suggéré que la photorespiration puisse être indispensable à la fixation de l'azote des nitrates du sol, c'est-à-dire à la synthèse de certains acides aminés. Alors, ces acides aminés interviennent dans... la lutte des plantes contre les pathogènes. Si donc ces acides aminés ne sont pas synthétisés, les plantes auront une moindre résistance aux maladies. Un autre inconvénient à supprimer la photorespiration, c'est qu'en fait, celle-ci protège les plantes lorsque l'éclairement est trop fort. Et ça, ça arrive souvent. Et un éclairement trop fort, qu'est-ce que ça fait ? Mais ça fait que... les réactions de photosynthèse s'emballent. Et dans ces cas-là, ça risque de produire non pas de l'oxygène, mais de l'eau oxygénée. Et l'eau oxygénée pour les cellules, pour tout le vivant, elle est toxique.

  • Speaker #1

    Au cours de son enquête, Annick Bossu a validé le souci évoqué précédemment avec les essais en champ de Toyota.

  • Speaker #4

    La photosynthèse consomme beaucoup d'eau, et particulièrement le peuplier qui est un arbre très gourmand en eau. Et du coup... Ici, quand on augmente la photosynthèse, on augmente aussi la quantité d'eau puisée dans le sol.

  • Speaker #1

    Elle évoque notamment plusieurs études. La première, publiée dans Tree Physiology, souligne que les arbres à croissance rapide, en particulier dans des plantations monospécifiques, une seule espèce d'arbre, ont tendance à utiliser plus d'eau que les espèces à croissance plus lente. Cette consommation accrue est attribuée à leur taux de transpiration plus élevé. et à leurs besoins en nutriments pour soutenir une croissance accélérée. La seconde étude, publiée dans Annals of Forest Science, met en évidence que les espèces à croissance rapide ont souvent une efficacité d'utilisation de l'eau plus faible et donc une consommation d'eau plus élevée par unité de biomasse produite. Plus généralement, un certain nombre de risques environnementaux liés aux arbres génétiquement modifiés sont similaires à ceux des plantes génétiquement modifiées, mais de façon amplifiée. C'est ce que nous raconte Anne Peterman, directrice exécutive de Justice Ecology Project, une ONG étatsunienne et coordinatrice de la campagne Stop GE Trees.

  • Speaker #0

    Il existe certains recoupements, certaines similitudes entre les problèmes liés aux cultures génétiquement modifiées et ceux liés aux arbres génétiquement modifiés. Mais il y a aussi de nombreux problèmes supplémentaires lorsqu'on parle d'arbres génétiquement modifiés, car ils sont très différents des plantes cultivées. Par exemple, les arbres peuvent vivre dans un écosystème sauvage interconnecté avec de nombreuses autres espèces d'arbres, de plantes de sous-bois. d'insectes, de reptiles, d'oiseaux, de champignons, etc. Tout ce qui se trouve dans une forêt. Et ils peuvent vivre pendant 200 ans ou plus. Donc le problème posé par des arbres ayant toutes ces relations complexes et une longue durée de vie dans l'environnement est assez différent de celui des plantes cultivées annuelles.

  • Speaker #1

    Prenons un exemple simple. Le pollen du colza peut se disséminer sur une trentaine de kilomètres. Le pollen d'un arbre, lui, peut se diffuser jusqu'à 600 km. Les risques de contamination sont donc grandement accrus. Cyril Dutech de l'INRAE nous dit encore par rapport aux peupliers OGM.

  • Speaker #3

    La diffusion du transgène dans les populations naturelles de peupliers est vraiment très problématique parce qu'on ne sait pas du tout, dans des conditions naturelles, avec toutes les interactions que ça a, ce que ça peut donner. Et les peupliers s'hybrident très facilement. Il y a beaucoup d'espèces de peupliers en Amérique du Nord. Et ce sont en plus des espèces extrêmement importantes pour les ripis silves, très sensibles. qui sont déjà des écosystèmes extrêmement fragilisés par les activités anthropiques aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Le dernier point de vigilance, c'est la toxicité potentielle du pollen produit par ces arbres pour les insectes. Living Carbon n'a présenté aucune étude qui permet d'exclure ce risque sur les insectes. Les études menées sur d'autres peupliers OGM testés en Europe n'ont montré aucune toxicité particulière, mais pour Cyril Dutech, ces tests ne sont pas concluants.

  • Speaker #3

    Moi j'ai été frappé pour les quelques articles que j'ai lus d'évaluation. C'est des tests qui sont faits assez rapidement et c'est les fameux tests de toxicité assez généraux qui sont déjà remis en cause plus largement, qui sont souvent liés à des tests de toxicité aiguë, c'est-à-dire qu'on regarde si l'insecte meurt. rapidement ou pas. Mais en fait, on sait qu'aujourd'hui, la toxicité d'une molécule, c'est beaucoup plus compliqué que ça et que ça peut conduire par exemple à des modifications de comportement qu'on ne voit pas nécessairement et qui ont des répercussions assez fortes.

  • Speaker #1

    Et au-delà des insectes, est-ce que le pollen de ces peupliers transgéniques pourrait être toxique pour les humains ? D'après nos recherches, il n'existe à ce jour aucune étude publiée qui évalue la capacité allergène des peupliers OGM développés par les vignes carbone. La question qui se pose au-delà des risques environnementaux et sanitaires est celle de la fragilité de ces arbres. En effet, pour que ces arbres soient des alliés durables dans la lutte contre le changement climatique, ils doivent avoir une certaine résilience pour ne pas relâcher aussitôt le carbone stocké. Or, une étude publiée dans Nature Communications révèle que les arbres à croissance rapide, comme le sont nativement les peupliers, ont une durée de vie plus courte. Cette relation inverse entre croissance rapide et longévité a été observée pour plus de 110 espèces sous divers climats. En moyenne, une augmentation de 50% de la croissance précoce réduit la durée de vie de l'arbre de 23%. Cette dynamique suggère que les arbres génétiquement modifiés, pour croître encore plus vite, pourraient mourir encore plus jeunes et donc libérer rapidement le carbone stocké. Cyril Dutech, que vous venez d'entendre, apporte d'autres éléments qui montrent que ces arbres génétiquement modifiés sont plus fragiles.

  • Speaker #3

    Quand on modifie l'expression d'un gène, soit dans sa quantité, soit dans sa qualité, on peut se retrouver, du fait de l'interaction des chaînes métaboliques dans un organisme, à finalement bouger d'autres fonctions. On a des cas aussi, quand on modifie la croissance d'un organisme en le faisant pousser plus rapidement, on peut arriver à diminuer ses capacités de résistance à des sécheresses ou des ravageurs diverses.

  • Speaker #1

    Ils donnent un exemple avec un essai en Europe de peupliers transgéniques.

  • Speaker #3

    Ils avaient modifié la régulation des gènes pour produire moins de lignines. de façon à rendre les peupliers plus intéressants pour l'industrie papetière. En fait, leurs essais montraient que ces peupliers poussaient moins, parce que la zone qu'ils avaient dérégulée pour la production de lignine avait des conséquences sur la formation des vaisseaux de sève élaborée. Ils étaient moins bien formés et du coup, l'arbre semblait probablement dysfonctionner.

  • Speaker #1

    Un autre phénomène biologique qu'il faut avoir en tête est celui du compromis évolutif. En gros, et pour faire simple... Tout être vivant a une certaine quantité de ressources disponibles. Il va être obligé de choisir d'investir ces ressources dans une fonction ou une autre.

  • Speaker #3

    Si on pousse un organisme à croître très rapidement et qu'on ne lui fournit pas les quantités de ressources nécessaires, que ce soit l'eau, les intrants, voire la lumière, il va y avoir un compromis et la fonction qui est favorisée sera réalisée. Au détriment d'autres fonctions, par exemple de la production de métabolites secondaires, qui sont souvent très utiles à résister à des ravageurs par exemple.

  • Speaker #1

    Ajoutons une dernière fragilité, qui concerne de nombreuses plantations industrielles, OGM ou non. C'est la capacité de résistance aux maladies et ravageurs. Living Carbon a utilisé un clone sélectionné par l'INRA pour sa facilité à être modifié.

  • Speaker #3

    Le problème, c'est que quand on... Et ça, c'est connu des plantations monospécifiques. C'est qu'on a affaire à des plantations qui sont finalement qu'un seul individu et pour lesquelles il est plus facile pour un agent pathogène, notamment, ou voire un insecte, de s'adapter puisqu'en fait, il n'est pas confronté. à une diversité spécifique et une diversité génétique. En fait, ça conduit à des épidémies extrêmement violentes et extrêmement rapides et souvent à la destruction rapide des plantations.

  • Speaker #1

    Ce phénomène a été observé notamment par l'Inrae de Nancy dans les années 80 avec un clone de peuplier qui avait été sélectionné pour sa résistance à une maladie, la rouille du peuplier. Ce clone a été très apprécié et donc cultivé largement. Or, le parasite a trouvé une façon de contourner la résistance sélectionnée et comme ces plantations étaient très proches génétiquement, elles ont été rapidement décimées. Ok, donc il y a de sérieux doutes sur l'intérêt de plantations d'arbres OGM pour stocker du carbone du fait notamment de leur plus grande fragilité. Pourtant, les peupliers génétiquement modifiés de Living Carbon sont déjà cultivés. Les premiers essais en champ ont eu lieu en 2021 dans l'Oregon et en 2023 en Géorgie. Elle a levé 36 millions de dollars en promettant 4 à 5 millions de peupliers d'ici 2024, sans préciser s'ils seront génétiquement modifiés ou non. Or actuellement, d'après les informations disponibles, la start-up n'a planté que 170 000 arbres, dont 8 900 génétiquement modifiés. Living Carbon précise sur son site qu'elle a également commencé à planter ses arbres auprès de propriétaires fonciers privés en Pennsylvanie, Géorgie et Californie. Elle fournit les arbres gratuitement et prend en charge les frais de plantation. Mais en échange, elle conservera les droits sur les crédits de carbone générés par ces plantations. Les propriétaires recevront des paiements annuels. Actuellement, d'après nos recherches, les premières plantations de peupliers transgéniques de Living Carbon n'ont pas encore permis de garantir officiellement des crédits carbone certifiés et commercialisés. Ils proposent seulement des pré-ventes. Concrètement, au lieu de vendre uniquement des crédits déjà générés, Living Carbon demande aux entreprises de s'engager à acheter des crédits futurs en payant une partie du montant à l'avance. Cela permet... à Living Carbon d'avoir des fonds immédiats pour financer ses propres projets. Le problème avec ces préventes est qu'on est dans l'incapacité à estimer si ces arbres stockeront réellement du carbone et combien. Anne Peterman nous explique pourquoi il est actuellement impossible de répondre à cette question.

  • Speaker #0

    Le problème, c'est qu'il n'y a aucun moyen de savoir comment ces peupliers se comporteront une fois qu'ils seront dans les écosystèmes sauvages ou adjacents aux écosystèmes sauvages. La preuve de concept, c'est-à-dire la preuve que ces arbres fonctionnent réellement, n'existe pas vraiment. Ils ne l'ont fait que dans des serres. Ils ne savent donc pas ce qui se passera lorsqu'ils les introduiront dans la nature.

  • Speaker #1

    Autrement dit, le passage du laboratoire contrôlé à la nature où de nombreux paramètres ne sont pas modélisables pourrait décevoir les espoirs de Living Carbon. Mais revenons-en au crédit carbone. Cette entreprise, comme nous l'avons déjà dit, joue sur plusieurs tableaux. Actuellement, Living Carbon mène un projet de reboisement dans l'Ohio sur 24 hectares et il est clairement mentionné qu'aucun arbre génétiquement modifié ne sera planté. Ce projet lui rapporte déjà concrètement des crédits carbone certifiés par Vera. En avril 2025, Microsoft s'est engagé à acheter 1,4 million de tonnes de crédits carbone à Living Carbon pour un projet de reforestation. menée sur un peu plus de 10 000 hectares de terre minière dans la région des Appalaches. Ces crédits carbone sont, eux, certifiés par Isométrique. Nous estimons que sur cette surface, entre 15 et 20 millions d'arbres devront être plantés. De quel type d'arbre s'agit-il ? Impossible de le savoir. En tout cas, Isométrique n'a pas exclu explicitement les arbres OGM de sa méthodologie. L'information est d'autant plus difficile à obtenir que les agences états-uniennes ont considéré que ces peupliers transgéniques pouvaient être plantés sans autorisation. Et aucune obligation de tenir un registre public n'est exigée. On vient de parler de isométrique et de verra. Mais qui sont ces organismes ? A quoi servent-ils ? Pour comprendre cela, redonnons la parole au chercheur de l'INRAE, Philippe Delacote.

  • Speaker #2

    Un point important, c'est le rôle du certificateur. Les certificateurs, par exemple, Vera, c'est le plus connu. Une entreprise comme Vera, elle propose tout un ensemble de méthodologies. C'est-à-dire qu'un porteur de projet qui veut, par exemple, mener un projet de reforestation, il va aller regarder dans le catalogue des méthodologies proposées par Vera. Et ensuite, il va monter un dossier en essayant de suivre cette méthodologie pour montrer, en effet, que le projet a permis soit de réduire les émissions, soit d'augmenter la capture du carbone de l'atmosphère.

  • Speaker #1

    Mais il existe plusieurs certificateurs et tous n'ont pas les mêmes exigences. Philippe Delacote évoque le label français bas carbone.

  • Speaker #2

    La méthodologie du label bas carbone est relativement exigeante en termes d'éviter justement les monocultures et d'avoir des plantations qui sont suffisamment diversifiées. On peut imaginer que pour certains autres certificateurs, les méthodologies sont un petit peu moins regardantes sur la diversité des arbres qui vont être plantés. Et ça, ça peut faire courir le risque de planter des forêts de type monospécifique et donc avec assez peu d'intérêt en termes de biodiversité. On peut plutôt parler de champs d'arbres plutôt que de forêts.

  • Speaker #1

    Et un des problèmes, c'est que les entreprises de certification ont besoin d'attirer des clients.

  • Speaker #2

    Finalement, plus vous allez avoir des méthodologies qui vont être exigeantes, plus elles vont être difficiles à suivre et donc moins les porteurs de projets risquent d'y adhérer.

  • Speaker #1

    Les exigences des certificateurs sont-elles donc tirées vers le bas ? Et à l'autre bout de la chaîne, les entreprises qui achètent ces crédits carbone pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Regarde-t-elle la qualité des méthodologies ?

  • Speaker #2

    Généralement, les crédits carbone sont achetés à moins de 10 dollars la tonne, ce qui est vraiment des prix très faibles. Et donc, on peut se poser la question, est-ce que les entreprises qui achètent des crédits carbone, elles vont aller vers du moins 10 ans, donc elles vont essayer d'aller acheter des crédits au coût le plus bas possible ? sans forcément être très intéressé par la qualité réelle de ces crédits.

  • Speaker #1

    Nous ne savons pas comment Living Carbon a calculé le carbone stocké dans 16 arbres. En effet, pour cela, il faudrait en théorie que les arbres vivent leur vie entière. Or, les essais menés sont récents, comme nous l'avons vu précédemment. Au-delà de cet exemple précis, Philippe Delacote estime que c'est l'ensemble de l'évaluation de l'efficacité du marché carbone qui laisse à désirer. Il insiste sur la surévaluation des projets et évoque des études qui remettent en cause l'efficacité réelle des projets REDD+, pour réduire la déforestation. Les projets REDD+, sont des crédits carbone plus spécifiquement dédiés aux projets forestiers.

  • Speaker #2

    Les méthodologies qui sont souvent appliquées, c'est celle-ci, c'est de regarder l'évolution du couvert forestier dans la zone qui est traitée par un projet REDD+, et puis de la comparer avec une zone contrôle, c'est-à-dire une zone qui présente... des caractéristiques similaires à la zone de traitement, mais qui, elle, n'est pas traitée. Et souvent, quand on compare les résultats de ces résultats académiques avec l'octroi effectif de crédit carbone par les certificateurs, on trouve une différence qui est relativement importante. Très souvent, les crédits carbone liés à la déforestation évitée surévaluent fortement la déforestation évitée réelle. Il y a beaucoup d'études qui montrent qu'il y a une surallocation de crédit par rapport aux réductions réelles d'émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, le papier le plus connu, c'est un article de West et de ses co-auteurs en 2023 dans Science. Et cet article a montré que, selon eux, 90% des crédits ne sont pas liés à des réductions d'émissions effectives. Dit autrement, un crédit carbone ne correspond pas nécessairement à une tonne de carbone qui n'aura pas été émise dans l'atmosphère.

  • Speaker #1

    Il est très difficile de mener des études indépendantes pour évaluer le réel impact de ces projets et des crédits carbone qui leur sont liés. du fait d'une réelle opacité sur ce marché.

  • Speaker #2

    Il n'y a pas de registre, par exemple, global qui permette de tracer complètement le parcours d'un crédit carbone, de sa création jusqu'à l'entreprise qui va l'utiliser avec la répartition de la valeur.

  • Speaker #1

    Résumons. Non seulement les mécanismes de compensation carbone ne sont pas toujours efficaces pour lutter contre le changement climatique, Mais en plus, ils peuvent être utilisés pour financer des arbres OGM dont on ne connaît ni l'efficacité, ni la pérennité, ni les conséquences sur les écosystèmes naturels. En enquêtant, nous découvrons que ces crédits carbone financent aussi des entreprises qui veulent promouvoir les arbres génétiquement modifiés pour la filière papier et bois. Ça se passe au Brésil, où l'entreprise Susano cultive de vastes monocultures d'eucalyptus, parfois sur d'anciennes forêts.

  • Speaker #0

    Pour le moment, il s'agit d'eucalyptus conventionnels. Pourtant, dès 2012, Futuragine, une filiale de Susano, a mené des essais en champ avec des eucalyptus transgéniques modifiés pour tolérer du round-up et produire plus de bois. Et la filiale a reçu en avril 2015 une autorisation de les cultiver. Or, Susano a réussi à obtenir des crédits carbone pour ses monocultures d'eucalyptus. Anne Peterman, de Justice Ecology Projects, nous raconte.

  • Speaker #1

    Dans le cas de Suzano Timber Company au Brésil, ils collectent des fonds grâce au crédit carbone pour étendre leurs plantations d'eucalyptus. Ils sont donc en train de développer des plantations d'eucalyptus tolérantes aux herbicides et résistantes aux insectes. Parallèlement, ils étendent leurs plantations existantes, sans OGM, et utilisent des crédits carbone pour cela. À l'avenir, lorsqu'ils seront prêts, ils auront les permis pour les arbres génétiquement modifiés. mais ils affirment ne pas encore les planter. Mais ils pourraient le faire et obtenir des crédits carbone pour ces mêmes raisons, leur croissance rapide et leur stockage de carbone.

  • Speaker #2

    Or,

  • Speaker #1

    que se passe-t-il ? Ce que nous avons constaté lors de notre délégation au Brésil en 2023, c'est qu'ils détruisent les forêts indigènes existantes, notamment la forêt du Cerrado, au profit de l'agrandissement de ces plantations d'Acaiolictus. Nous avons donc cette biodiversité très riche en carbone, de riches forêts indigènes appelées strados,

  • Speaker #2

    et ils les détruisent,

  • Speaker #1

    éliminant tout le carbone des arbres, perturbant le sol, libérant tout ce carbone, et en installant ensuite ces plantations d'arbres à courte durée de vie qui nécessitent d'énormes quantités d'eau, d'herbicides, d'engrais, etc. Et tout cela est très négatif pour le climat, bien sûr. Mais ils peuvent obtenir un financement carbone pour cela, car ils disent que ce sont des arbres à croissance rapide.

  • Speaker #0

    Et dans ce cas, Étant donné que la finalité est de produire de la pâte à papier, le stockage du carbone va être de très courte durée. Cyril Dutech, de l'INRAE, évoque aussi ce risque.

  • Speaker #3

    Ces arbres OGM, on trouve l'argument de dire oui, vous voyez, ça va nous permettre de fixer du carbone, mais au fond, on peut se dire surtout que ça va favoriser un type de sylviculture très productiviste, pour produire du bois rapidement.

  • Speaker #0

    C'est clairement une dérive de la finance carbone que Philippe Delacote de l'INREI nous explique.

  • Speaker #4

    Dans le monde des crédits carbone, en théorie, pour recevoir un crédit carbone, il faut prouver que le projet n'aurait pas pu être mis en œuvre sans l'octroi de crédit carbone. Donc dans le cas de plantations de bois monospécifiques qui ont une destination ensuite d'être utilisées dans l'industrie, que ce soit de l'ameublement, de la papeterie ou autre. il est en théorie nécessaire de montrer que ces modèles n'auraient pas été rentables sans le recours au crédit carbone. Donc en théorie, la règle d'additionnalité est celle-ci. On peut imaginer que dans un certain nombre de cas, ces plantations spécifiques auraient été rentables même sans la finance carbone. Quand on va acheter des crédits carbone qui sont issus de projets forestiers, que ce soit des projets de déforestation évité ou des projets de replantation, on a ce qu'on appelle un risque de non-permanence. Les arbres, à un moment, sont susceptibles d'être exploités ou de mourir. Ils sont exposés aussi à beaucoup d'aléas. Ça peut être des tempêtes, ça peut être des feux de forêt. Il y a un grand nombre de risques qui menacent la permanence du carbone qui est séquestré par les projets forestiers.

  • Speaker #0

    Et rappelons-nous que Cyril Dutech, notamment, nous parlait de la plus grande fragilité des arbres OGM à croissance rapide.

  • Speaker #4

    Ça ne veut pas dire que ce n'est pas intéressant. Par exemple, un projet de replantation qui permet de stocker du carbone pendant plusieurs décennies, même si cette séquestration ne se fait pas pour toujours, ça a quand même un intérêt sous l'angle climatique. Et ce, encore plus si derrière, une autre forêt est replantée qui va reséquestrer à nouveau le crédit carbone qui aurait été planté. Mais néanmoins, c'est clairement quelque chose à avoir en tête que sur un grand nombre de projets liés au crédit carbone, et je pense en particulier au crédit forestier, il y a un problème de non-permanence qui est assez compliqué à prendre en compte.

  • Speaker #0

    Les arbres OGM sont pour le moment peu développés, que ce soit pour en faire des puits de carbone, de la pâte à papier ou des agrocarburants. Mais cela pourrait changer. On assiste depuis quelques années à un intense lobbying des entreprises de biotech au sein du FSC. Le Forest Stewardship Council, le plus grand label de la production de bois dit durable du monde. Anne Peterman, qui fait campagne depuis des années contre les arbres OGM, nous raconte ce qu'il se passe au FSC depuis quelques années.

  • Speaker #1

    L'interdiction par le Forest Stewardship Council des arbres génétiquement modifiés sous son label de certification, ou des produits issus d'arbres génétiquement modifiés, a constitué un obstacle majeur au développement commercial des arbres génétiquement modifiés par des entreprises comme Susano, qui sont certifiées FSC. C'est vraiment l'un des moyens les plus importants pour empêcher la certification des arbres génétiquement modifiés. Mais Susano et certains chercheurs ont essayé, il y a quelques années, de convaincre le FSC d'ouvrir une brèche dans l'interdiction des arbres génétiquement modifiés en faisant ce qu'ils ont appelé une recherche. En gros, il s'agissait de faire des recherches sur les armes génétiquement modifiées pour voir s'il était possible de le faire en toute sécurité et de manière durable. Nous avons répondu par une campagne et beaucoup de gens ont écrit des lettres à l'FSC. Le conseil du FSC n'a pas donné suite à cette demande. De sorte qu'à l'heure actuelle, l'interdiction du FSC est toujours là et intacte,

  • Speaker #2

    comme avant.

  • Speaker #0

    Ce que nous dit Anne Peterman est une réalité. Les pros-OGM s'activent dans les couloirs du FSC. En 2022, le FSC a proposé, je cite, un « processus d'apprentissage » sur la question des arbres OGM. Or, pour le mettre en place, le FSC a constitué un panel d'experts à la neutralité toute relative. Nous ne listerons pas toutes les personnes en situation de conflit d'intérêt, mais citons par exemple Jason Delborn qui a travaillé à l'acceptabilité sociale des OGM destinée à la conservation du châtaignier américain avec un châtaignier génétiquement modifié. ou encore Keith Roberts-Heise, chercheur en Australie dans une organisation relativement favorable aux biotechnologies qui étudie les moustiques génétiquement modifiés. Comme l'a précisé Anne Peterman, la campagne internationale a porté ses fruits. Fin mars 2023, le conseil d'administration du FSC annonce qu'il met fin à ce processus d'apprentissage. Il explique que ce processus décrié risque de diviser les membres du FSC et peut porter préjudice à la mission. et à la réputation de ce label. Mais le FSC travaille déjà avec Susano en certifiant certaines de ses plantations. En 2009, le FSC précisait qu'il souhaitait, je cite, « s'associer uniquement à des organisations qui ne sont pas directement ou indirectement impliquées dans les activités inacceptables comme l'introduction d'organismes génétiquement modifiés » . Mais en 2015, Le FSC déclarait que tant que les plantations Susano certifiées FSC n'incluaient pas d'OGM, cela ne leur posait pas de problème que Susano ait réalisé des essais en champ avec des arbres OGM.

  • Speaker #1

    L'une des nouvelles orientations que prend l'industrie des arbres génétiquement modifiés pour tenter de contourner les réglementations, y compris potentiellement le FSC, consiste à utiliser ce qu'on appelle l'édition génétique au lieu de la transgénèse. Et dire que l'édition génétique, qui consiste à retirer des gènes ou à les déplacer dans un génome sans introduire d'ADN étranger provenant d'une espèce différente, n'est pas la même chose que le génie génétique et devrait être exclu des réglementations sur le génie génétique.

  • Speaker #0

    Ce qui rappelle très bien ce qui se passe en Europe. Dans l'Union européenne, un texte déréglementant les plantes et arbres GM est en cours de négociation. Les arguments de la Commission européenne pour lancer ce chantier législatif étaient l'adaptation de la réglementation à ces nouvelles techniques génétiques et bien sûr, l'adaptation au changement climatique. Dans ce nouvel épisode, on comprend donc qu'on peut avoir de sérieux doutes sur la capacité des arbres à croissance rapide à constituer des puits de carbone efficaces. Et même s'ils arrivaient à créer des superbes arbres capteurs de carbone et à régler les problèmes des marchés du crédit carbone pour éviter la monoculture, etc. Philippe Delacote nous rappelle un fait intéressant.

  • Speaker #4

    La quantité de carbone qui peut être échangée sur les marchés, ça représente en tous les cas une assez faible part des émissions totales au niveau de la planète. C'est-à-dire que même si on arrive à avoir des mécanismes de crédit carbone qui seraient très efficaces et très robustes, ce serait juste... un élément de solution parmi beaucoup d'autres interventions à mettre en œuvre.

  • Speaker #0

    Les OGM pour sauver le climat n'est donc pas une idée isolée. Elle se situe dans une vision démiurgique du monde. Nous aurions aussi pu vous parler de la géoingénierie, un ensemble de technologies récentes et vertigineuses qui consiste tout simplement à modifier le climat à grande échelle. Il s'agit par exemple de capturer du carbone de l'air pour l'injecter dans la roche, de lancer du soufre dans l'atmosphère pour refroidir la température terrestre, ou encore de répandre du fer dans l'océan pour doper le phytoplankton. Mais avant de prétendre améliorer la nature, on pourrait déjà commencer par valoriser des pratiques paysannes et agroécologiques qui permettent aux sols de stocker naturellement et efficacement le carbone, et cela sans brevet, sans marché financier. Vous venez d'entendre OMG, Décodons les biotech, le podcast du média indépendant InfoGM. Ce podcast a été réalisé par Charlotte Cocard et Christophe Noisette, avec le soutien technique de Plink et en particulier Pierre-Henri Samion et Rémi Sanaka. La musique originale a été réalisée par Julien Fauconnier de Studio Time. Merci à toute l'équipe d'InfoGM et en particulier à Hélène Torgeman, Antoine Vépierre et Sylvain Willig. Nous tenons à remercier les bailleurs qui nous ont permis de réaliser ce podcast, les fondations Ecotone, Olga et Nature & Découverte et le ministère de la Culture. Pour un savoir plus sur les OGM et les biotechnologies, retrouvez toutes nos infos sur infogm.org.

Description

Des arbres qui poussent plus vite, qui gèrent mieux la photosynthèse pour capter plus de carbone, c'est la promesse de certaines start-ups comme Living Carbone. Des chercheurs décryptent pour nous la complexité d'un tel projet et ses risques environnementaux, mais également les dérives de la finance carbone. Derrière ces arbres du futur, l'industrie papetière n'est jamais bien loin.


💬 Entretiens :

📋 Sources :



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Living Carbon est une société d'intérêt public dont la mission est d'équilibrer de manière responsable le cycle du carbone de la planète en utilisant le pouvoir inhérent des plantes.

  • Speaker #1

    Ce que vous venez d'entendre, c'est une pub d'une nouvelle start-up états-unienne, Living Carbon. Elle a été cofondée par Maddy Hall, ancienne responsable à OpenAI, qui a mis au point ChatGPT. Leur projet ? Créer des arbres génétiquement modifiés pour booster la photosynthèse et leur... capacité à stocker du carbone. Ces arbres sont vendus comme une aide à la lutte contre le dérèglement climatique. Cette entreprise entend monnayer ses puits de carbone via les crédits carbone. Dans ce troisième épisode de OMG Décodons les biotech, nous allons nous intéresser donc aux arbres génétiquement modifiés destinés à la lutte contre le changement climatique. Comment fonctionnent-ils ? En quoi sont-ils des super puits de carbone ? Pour éviter les pires impacts du changement climatique, la concentration en dioxyde de carbone, CO2, devrait être à 350 parties par million ppm. Aujourd'hui, nous sommes déjà à 423 ppm. Pour atteindre la neutralité carbone et freiner le dérèglement climatique, deux pistes coexistent. réduire nos émissions de gaz à effet de serre et modifier les écosystèmes pour qu'ils absorbent plus de CO2. Interrogé par Radio France en 2024, François Gemeney, membre du GIEC, groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, nous apprend une nouvelle inquiétante. Les puits de carbone naturels C'est-à-dire l'ensemble des écosystèmes, les sols, les forêts, les océans, qui stockent du carbone sur le temps long, ne fonctionnent plus aussi bien qu'autrefois. Nous avons fait lire ces propos.

  • Speaker #0

    En 2023, ces puits de carbone n'ont quasiment rien absorbé, autour de 2 milliards de tonnes de CO2, alors qu'ils en avaient absorbé plus de 9 milliards en 2022.

  • Speaker #1

    Des multinationales ou des start-up fourmillent de solutions technologiques pour améliorer l'absorption du gaz carbonique. Le secteur des biotechnologies n'est pas en reste. Plantes qui gèrent mieux l'azote ou arbres à croissance rapide, par exemple. Et c'est une histoire qui remonte au tout début de l'idée de créer un marché carbone. En 1995, les Nations Unies se sont réunies pour des négociations internationales afin de baisser les émissions de gaz à effet de serre. Cette rencontre a donné naissance au protocole de Kyoto. C'est la première étape de la finance carbone. Pour comprendre ce qu'on appelle la finance carbone, nous avons interrogé Philippe Delacote, chercheur à l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement, l'IDRAE.

  • Speaker #2

    Le protocole de Kyoto a mis en place les mécanismes de développement propre. Ces mécanismes, c'était un petit peu les ancêtres de la compensation carbone. Et au sein de ces mécanismes, l'idée c'était que les entreprises des pays industrialisés financent des projets de réduction d'émissions dans les pays du Sud. Donc l'idée derrière ça, c'était d'amener des financements des pays du Nord vers les pays du Sud.

  • Speaker #1

    Petit à petit est née l'idée de créer un marché du carbone. Et l'outil qui a été proposé est le crédit carbone volontaire.

  • Speaker #2

    Les crédits carbone volontaires, qu'est-ce que c'est ? Ce sont des mécanismes de finance qui permettent d'apporter là aussi des financements dans les secteurs qui ont besoin de financement pour assurer leur transition. Imaginons un projet qui vise à réduire la déforestation dans une région d'Amazonie. Le porteur de projet. peut demander à un certificateur privé, par exemple Vera, de certifier les baisses d'émissions liées à la baisse de la déforestation. En contrepartie, si Vera estime que le projet a bien permis de réduire la déforestation et donc de réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle va octroyer à ce projet des crédits carbone. Ensuite, ces crédits carbone vont pouvoir être vendus à des entreprises qui veulent intégrer ces crédits dans leur stratégie climatique.

  • Speaker #1

    Le marché mondial du crédit carbone a été évalué à 1,7 milliard de dollars en 2024 et devrait augmenter de 25% entre 2025 et 2034, d'après GM Insight. Et les entreprises se sont emparées de cette opportunité. Ainsi, en 2003, lors d'une des premières conférences des partis, ou COP, les multinationales ont réussi à inclure les OGM dans ces fameux mécanismes de développement propre. Christophe Noisette, journaliste qui travaillait déjà pour InfoGM, nous raconte.

  • Speaker #2

    Le 12 décembre 2003, lors de la réunion du protocole de Kyoto qui s'est tenue à Milan en Italie, a été adoptée en plénière l'idée que les arbres génétiquement modifiés pour mieux stocker le carbone puissent être reconnus officiellement comme des pits de carbone et ainsi être éligibles au crédit carbone. Il a simplement été demandé que les pays qui autorisent des arbres génétiquement modifiés s'engagent à en évaluer les risques.

  • Speaker #1

    En 2012, une première modification génétique a été éligible au crédit carbone. Il s'agit de la technologie NU, pour Nitrogen Use Efficiency, ou efficacité de l'utilisation de l'azote. Mise au point par Arcadia Bioscience, ce procédé est censé créer des plantes transgéniques qui permettraient d'épandre moins d'engrais azotés. Or, les engrais industriels émettent du protoxyde d'azote, un puissant gaz à effet de serre. Arcadia Biosciences a signé des accords de licence avec des grandes entreprises semencières comme Monsanto, Dupont ou Villemaurin. Cette technologie est-elle efficace ? Impossible de le savoir. Aucune donnée objective n'a été publiée. Un certificateur de Crédit Carbone nous dit avoir abandonné une première méthode nue, faute d'utilisation. Une deuxième méthodologie plus large, qui comprend des nues mais aussi des pratiques améliorées de gestion des engrais, a été utilisée par 35 projets. mais impossible de savoir si ces projets concernent ou pas l'utilisation de semences nues. L'absence de transparence est un problème récurrent dans la finance carbone. Un autre grand secteur de la compensation carbone, ce sont les arbres. De nombreux projets de reforestation sous des formes plus ou moins industrielles ont été éligibles à des crédits carbone. Et des entreprises de biotech promettent de modifier génétiquement des arbres pour qu'ils stockent plus rapidement du carbone. Cette idée n'est pas nouvelle. Dès 1993, Toyota a effectué des essais en champ d'arbres transgéniques dans le but d'absorber plus de carbone. Le WWF écrivait en 1999 que les scientifiques de Toyota avaient bien observé une augmentation du stockage du carbone, mais également une augmentation de la consommation d'eau qu'ils ont jugée inacceptable. Nous reviendrons sur ce phénomène biologique un peu plus loin dans cet épisode. Toyota croit pourtant encore à cette idée et investit aujourd'hui dans Living Carbon. Plus récemment, ce sont des peupliers transgéniques de Living Carbon qui ont fait la une des médias.

  • Speaker #0

    Living Carbon rend possible de nouveaux projets de carbone forestier en fournissant un produit biologiquement supérieur qui capture une quantité de carbone prévisible et vérifiable plus élevée que les arbres contrôlés. Nous créons des projets de boisement, de reboisement et de revégétalisation pour les propriétaires fonciers tout en répondant à la demande de compensation carbone de haute qualité et à moins de recours.

  • Speaker #1

    Afin d'augmenter la capacité de l'arbre à stocker du carbone, cette entreprise entend améliorer la photosynthèse des arbres en réduisant leur photorespiration. Mais avant d'analyser ces arbres, prenons un peu de distance avec l'équation arbre égal puits de carbone. Cyril Dutech, chercheur à l'INRAE en biologie évolutive et en pathologie forestière, modère en effet cette évidence.

  • Speaker #3

    La question de planter des arbres pour stocker du carbone paraît une solution de bon sens à première vue, mais qu'en fait, quand on regarde dans les détails, ces plantations posent un certain nombre de questions et on les pose en général pas vraiment. Comment on plante est effectivement une question parce qu'assez souvent ces plantations, ce sont des plantations de type industriel, donc il y a souvent un gros travail du sol. Et on sait aujourd'hui que le sol est aussi un élément important pour les écosystèmes terrestres de stockage du carbone. Et quand on travaille ce sol, on peut amener à finalement relarguer du CO2 d'une façon importante.

  • Speaker #1

    Là encore, avant d'entrer dans le détail, nous avons parlé à Annick Bossu, professeure en sciences de la vie et de la Terre à la retraite, qui suit de près la problématique des biotechnologies depuis 30 ans, notamment en tant qu'administratrice d'InfoGM. Elle tient à replacer cette expérience dans le temps long de l'évolution.

  • Speaker #4

    Il faut savoir que la photosynthèse, c'est une des fonctions qui est apparue le plus tôt dans l'histoire de la Terre. Il y a plus de 3 milliards d'années qu'est apparue la photosynthèse. De cette photosynthèse dépend tout le développement de la vie ultérieure.

  • Speaker #1

    En gros, ce qu'elle nous dit, c'est que jouer sur une telle fonction est loin d'être anodin et qu'il serait bon de prendre quelques précautions. Alors, Living Carbon veut améliorer la phytorespiration. Mais de quoi s'agit-il précisément ?

  • Speaker #4

    La photosynthèse, c'est la capacité qu'ont les plantes chlorophylliennes de fabriquer de la matière. organique, par exemple, des feuilles, des branches, des fleurs, enfin toutes les parties de la plante, donc de fabriquer des molécules organiques, qui sont en fait des molécules qui contiennent du carbone, à partir du gaz carbonique de l'air. C'est ça donc qui, dans la photosynthèse, permet de soustraire du gaz carbonique à l'atmosphère. Cependant, en même temps que les plantes font leur photosynthèse, elles utilisent ces matières organiques qu'elles ont fabriquées pour respirer. C'est là que Living Carbon voudrait réduire cette photorespiration pour que le rendement de la photosynthèse globale soit plus important. Oui, alors effectivement, quand on fait une analyse mécaniste, on se dit... La photorespiration limite la photosynthèse.

  • Speaker #1

    Jouer sur ces mécanismes est assez complexe. Living Carbon précise avoir initialement inséré 41 transgènes issus d'organismes divers, des citrouilles, des algues et même des bactéries. La photorespiration est-elle juste une limite ? Un gâchis comme Living Carbon la présente parfois ? Il semblerait que non. Annick Bossu évoque certaines fonctions connues et importantes de la photorespiration.

  • Speaker #4

    Apparemment, la photorespiration est préjudiciable à la photosynthèse. Cependant, si elle a été conservée au cours de l'évolution, c'est bien qu'elle a sa raison d'être. Et en effet, certaines études ont, par exemple, suggéré que la photorespiration puisse être indispensable à la fixation de l'azote des nitrates du sol, c'est-à-dire à la synthèse de certains acides aminés. Alors, ces acides aminés interviennent dans... la lutte des plantes contre les pathogènes. Si donc ces acides aminés ne sont pas synthétisés, les plantes auront une moindre résistance aux maladies. Un autre inconvénient à supprimer la photorespiration, c'est qu'en fait, celle-ci protège les plantes lorsque l'éclairement est trop fort. Et ça, ça arrive souvent. Et un éclairement trop fort, qu'est-ce que ça fait ? Mais ça fait que... les réactions de photosynthèse s'emballent. Et dans ces cas-là, ça risque de produire non pas de l'oxygène, mais de l'eau oxygénée. Et l'eau oxygénée pour les cellules, pour tout le vivant, elle est toxique.

  • Speaker #1

    Au cours de son enquête, Annick Bossu a validé le souci évoqué précédemment avec les essais en champ de Toyota.

  • Speaker #4

    La photosynthèse consomme beaucoup d'eau, et particulièrement le peuplier qui est un arbre très gourmand en eau. Et du coup... Ici, quand on augmente la photosynthèse, on augmente aussi la quantité d'eau puisée dans le sol.

  • Speaker #1

    Elle évoque notamment plusieurs études. La première, publiée dans Tree Physiology, souligne que les arbres à croissance rapide, en particulier dans des plantations monospécifiques, une seule espèce d'arbre, ont tendance à utiliser plus d'eau que les espèces à croissance plus lente. Cette consommation accrue est attribuée à leur taux de transpiration plus élevé. et à leurs besoins en nutriments pour soutenir une croissance accélérée. La seconde étude, publiée dans Annals of Forest Science, met en évidence que les espèces à croissance rapide ont souvent une efficacité d'utilisation de l'eau plus faible et donc une consommation d'eau plus élevée par unité de biomasse produite. Plus généralement, un certain nombre de risques environnementaux liés aux arbres génétiquement modifiés sont similaires à ceux des plantes génétiquement modifiées, mais de façon amplifiée. C'est ce que nous raconte Anne Peterman, directrice exécutive de Justice Ecology Project, une ONG étatsunienne et coordinatrice de la campagne Stop GE Trees.

  • Speaker #0

    Il existe certains recoupements, certaines similitudes entre les problèmes liés aux cultures génétiquement modifiées et ceux liés aux arbres génétiquement modifiés. Mais il y a aussi de nombreux problèmes supplémentaires lorsqu'on parle d'arbres génétiquement modifiés, car ils sont très différents des plantes cultivées. Par exemple, les arbres peuvent vivre dans un écosystème sauvage interconnecté avec de nombreuses autres espèces d'arbres, de plantes de sous-bois. d'insectes, de reptiles, d'oiseaux, de champignons, etc. Tout ce qui se trouve dans une forêt. Et ils peuvent vivre pendant 200 ans ou plus. Donc le problème posé par des arbres ayant toutes ces relations complexes et une longue durée de vie dans l'environnement est assez différent de celui des plantes cultivées annuelles.

  • Speaker #1

    Prenons un exemple simple. Le pollen du colza peut se disséminer sur une trentaine de kilomètres. Le pollen d'un arbre, lui, peut se diffuser jusqu'à 600 km. Les risques de contamination sont donc grandement accrus. Cyril Dutech de l'INRAE nous dit encore par rapport aux peupliers OGM.

  • Speaker #3

    La diffusion du transgène dans les populations naturelles de peupliers est vraiment très problématique parce qu'on ne sait pas du tout, dans des conditions naturelles, avec toutes les interactions que ça a, ce que ça peut donner. Et les peupliers s'hybrident très facilement. Il y a beaucoup d'espèces de peupliers en Amérique du Nord. Et ce sont en plus des espèces extrêmement importantes pour les ripis silves, très sensibles. qui sont déjà des écosystèmes extrêmement fragilisés par les activités anthropiques aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Le dernier point de vigilance, c'est la toxicité potentielle du pollen produit par ces arbres pour les insectes. Living Carbon n'a présenté aucune étude qui permet d'exclure ce risque sur les insectes. Les études menées sur d'autres peupliers OGM testés en Europe n'ont montré aucune toxicité particulière, mais pour Cyril Dutech, ces tests ne sont pas concluants.

  • Speaker #3

    Moi j'ai été frappé pour les quelques articles que j'ai lus d'évaluation. C'est des tests qui sont faits assez rapidement et c'est les fameux tests de toxicité assez généraux qui sont déjà remis en cause plus largement, qui sont souvent liés à des tests de toxicité aiguë, c'est-à-dire qu'on regarde si l'insecte meurt. rapidement ou pas. Mais en fait, on sait qu'aujourd'hui, la toxicité d'une molécule, c'est beaucoup plus compliqué que ça et que ça peut conduire par exemple à des modifications de comportement qu'on ne voit pas nécessairement et qui ont des répercussions assez fortes.

  • Speaker #1

    Et au-delà des insectes, est-ce que le pollen de ces peupliers transgéniques pourrait être toxique pour les humains ? D'après nos recherches, il n'existe à ce jour aucune étude publiée qui évalue la capacité allergène des peupliers OGM développés par les vignes carbone. La question qui se pose au-delà des risques environnementaux et sanitaires est celle de la fragilité de ces arbres. En effet, pour que ces arbres soient des alliés durables dans la lutte contre le changement climatique, ils doivent avoir une certaine résilience pour ne pas relâcher aussitôt le carbone stocké. Or, une étude publiée dans Nature Communications révèle que les arbres à croissance rapide, comme le sont nativement les peupliers, ont une durée de vie plus courte. Cette relation inverse entre croissance rapide et longévité a été observée pour plus de 110 espèces sous divers climats. En moyenne, une augmentation de 50% de la croissance précoce réduit la durée de vie de l'arbre de 23%. Cette dynamique suggère que les arbres génétiquement modifiés, pour croître encore plus vite, pourraient mourir encore plus jeunes et donc libérer rapidement le carbone stocké. Cyril Dutech, que vous venez d'entendre, apporte d'autres éléments qui montrent que ces arbres génétiquement modifiés sont plus fragiles.

  • Speaker #3

    Quand on modifie l'expression d'un gène, soit dans sa quantité, soit dans sa qualité, on peut se retrouver, du fait de l'interaction des chaînes métaboliques dans un organisme, à finalement bouger d'autres fonctions. On a des cas aussi, quand on modifie la croissance d'un organisme en le faisant pousser plus rapidement, on peut arriver à diminuer ses capacités de résistance à des sécheresses ou des ravageurs diverses.

  • Speaker #1

    Ils donnent un exemple avec un essai en Europe de peupliers transgéniques.

  • Speaker #3

    Ils avaient modifié la régulation des gènes pour produire moins de lignines. de façon à rendre les peupliers plus intéressants pour l'industrie papetière. En fait, leurs essais montraient que ces peupliers poussaient moins, parce que la zone qu'ils avaient dérégulée pour la production de lignine avait des conséquences sur la formation des vaisseaux de sève élaborée. Ils étaient moins bien formés et du coup, l'arbre semblait probablement dysfonctionner.

  • Speaker #1

    Un autre phénomène biologique qu'il faut avoir en tête est celui du compromis évolutif. En gros, et pour faire simple... Tout être vivant a une certaine quantité de ressources disponibles. Il va être obligé de choisir d'investir ces ressources dans une fonction ou une autre.

  • Speaker #3

    Si on pousse un organisme à croître très rapidement et qu'on ne lui fournit pas les quantités de ressources nécessaires, que ce soit l'eau, les intrants, voire la lumière, il va y avoir un compromis et la fonction qui est favorisée sera réalisée. Au détriment d'autres fonctions, par exemple de la production de métabolites secondaires, qui sont souvent très utiles à résister à des ravageurs par exemple.

  • Speaker #1

    Ajoutons une dernière fragilité, qui concerne de nombreuses plantations industrielles, OGM ou non. C'est la capacité de résistance aux maladies et ravageurs. Living Carbon a utilisé un clone sélectionné par l'INRA pour sa facilité à être modifié.

  • Speaker #3

    Le problème, c'est que quand on... Et ça, c'est connu des plantations monospécifiques. C'est qu'on a affaire à des plantations qui sont finalement qu'un seul individu et pour lesquelles il est plus facile pour un agent pathogène, notamment, ou voire un insecte, de s'adapter puisqu'en fait, il n'est pas confronté. à une diversité spécifique et une diversité génétique. En fait, ça conduit à des épidémies extrêmement violentes et extrêmement rapides et souvent à la destruction rapide des plantations.

  • Speaker #1

    Ce phénomène a été observé notamment par l'Inrae de Nancy dans les années 80 avec un clone de peuplier qui avait été sélectionné pour sa résistance à une maladie, la rouille du peuplier. Ce clone a été très apprécié et donc cultivé largement. Or, le parasite a trouvé une façon de contourner la résistance sélectionnée et comme ces plantations étaient très proches génétiquement, elles ont été rapidement décimées. Ok, donc il y a de sérieux doutes sur l'intérêt de plantations d'arbres OGM pour stocker du carbone du fait notamment de leur plus grande fragilité. Pourtant, les peupliers génétiquement modifiés de Living Carbon sont déjà cultivés. Les premiers essais en champ ont eu lieu en 2021 dans l'Oregon et en 2023 en Géorgie. Elle a levé 36 millions de dollars en promettant 4 à 5 millions de peupliers d'ici 2024, sans préciser s'ils seront génétiquement modifiés ou non. Or actuellement, d'après les informations disponibles, la start-up n'a planté que 170 000 arbres, dont 8 900 génétiquement modifiés. Living Carbon précise sur son site qu'elle a également commencé à planter ses arbres auprès de propriétaires fonciers privés en Pennsylvanie, Géorgie et Californie. Elle fournit les arbres gratuitement et prend en charge les frais de plantation. Mais en échange, elle conservera les droits sur les crédits de carbone générés par ces plantations. Les propriétaires recevront des paiements annuels. Actuellement, d'après nos recherches, les premières plantations de peupliers transgéniques de Living Carbon n'ont pas encore permis de garantir officiellement des crédits carbone certifiés et commercialisés. Ils proposent seulement des pré-ventes. Concrètement, au lieu de vendre uniquement des crédits déjà générés, Living Carbon demande aux entreprises de s'engager à acheter des crédits futurs en payant une partie du montant à l'avance. Cela permet... à Living Carbon d'avoir des fonds immédiats pour financer ses propres projets. Le problème avec ces préventes est qu'on est dans l'incapacité à estimer si ces arbres stockeront réellement du carbone et combien. Anne Peterman nous explique pourquoi il est actuellement impossible de répondre à cette question.

  • Speaker #0

    Le problème, c'est qu'il n'y a aucun moyen de savoir comment ces peupliers se comporteront une fois qu'ils seront dans les écosystèmes sauvages ou adjacents aux écosystèmes sauvages. La preuve de concept, c'est-à-dire la preuve que ces arbres fonctionnent réellement, n'existe pas vraiment. Ils ne l'ont fait que dans des serres. Ils ne savent donc pas ce qui se passera lorsqu'ils les introduiront dans la nature.

  • Speaker #1

    Autrement dit, le passage du laboratoire contrôlé à la nature où de nombreux paramètres ne sont pas modélisables pourrait décevoir les espoirs de Living Carbon. Mais revenons-en au crédit carbone. Cette entreprise, comme nous l'avons déjà dit, joue sur plusieurs tableaux. Actuellement, Living Carbon mène un projet de reboisement dans l'Ohio sur 24 hectares et il est clairement mentionné qu'aucun arbre génétiquement modifié ne sera planté. Ce projet lui rapporte déjà concrètement des crédits carbone certifiés par Vera. En avril 2025, Microsoft s'est engagé à acheter 1,4 million de tonnes de crédits carbone à Living Carbon pour un projet de reforestation. menée sur un peu plus de 10 000 hectares de terre minière dans la région des Appalaches. Ces crédits carbone sont, eux, certifiés par Isométrique. Nous estimons que sur cette surface, entre 15 et 20 millions d'arbres devront être plantés. De quel type d'arbre s'agit-il ? Impossible de le savoir. En tout cas, Isométrique n'a pas exclu explicitement les arbres OGM de sa méthodologie. L'information est d'autant plus difficile à obtenir que les agences états-uniennes ont considéré que ces peupliers transgéniques pouvaient être plantés sans autorisation. Et aucune obligation de tenir un registre public n'est exigée. On vient de parler de isométrique et de verra. Mais qui sont ces organismes ? A quoi servent-ils ? Pour comprendre cela, redonnons la parole au chercheur de l'INRAE, Philippe Delacote.

  • Speaker #2

    Un point important, c'est le rôle du certificateur. Les certificateurs, par exemple, Vera, c'est le plus connu. Une entreprise comme Vera, elle propose tout un ensemble de méthodologies. C'est-à-dire qu'un porteur de projet qui veut, par exemple, mener un projet de reforestation, il va aller regarder dans le catalogue des méthodologies proposées par Vera. Et ensuite, il va monter un dossier en essayant de suivre cette méthodologie pour montrer, en effet, que le projet a permis soit de réduire les émissions, soit d'augmenter la capture du carbone de l'atmosphère.

  • Speaker #1

    Mais il existe plusieurs certificateurs et tous n'ont pas les mêmes exigences. Philippe Delacote évoque le label français bas carbone.

  • Speaker #2

    La méthodologie du label bas carbone est relativement exigeante en termes d'éviter justement les monocultures et d'avoir des plantations qui sont suffisamment diversifiées. On peut imaginer que pour certains autres certificateurs, les méthodologies sont un petit peu moins regardantes sur la diversité des arbres qui vont être plantés. Et ça, ça peut faire courir le risque de planter des forêts de type monospécifique et donc avec assez peu d'intérêt en termes de biodiversité. On peut plutôt parler de champs d'arbres plutôt que de forêts.

  • Speaker #1

    Et un des problèmes, c'est que les entreprises de certification ont besoin d'attirer des clients.

  • Speaker #2

    Finalement, plus vous allez avoir des méthodologies qui vont être exigeantes, plus elles vont être difficiles à suivre et donc moins les porteurs de projets risquent d'y adhérer.

  • Speaker #1

    Les exigences des certificateurs sont-elles donc tirées vers le bas ? Et à l'autre bout de la chaîne, les entreprises qui achètent ces crédits carbone pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Regarde-t-elle la qualité des méthodologies ?

  • Speaker #2

    Généralement, les crédits carbone sont achetés à moins de 10 dollars la tonne, ce qui est vraiment des prix très faibles. Et donc, on peut se poser la question, est-ce que les entreprises qui achètent des crédits carbone, elles vont aller vers du moins 10 ans, donc elles vont essayer d'aller acheter des crédits au coût le plus bas possible ? sans forcément être très intéressé par la qualité réelle de ces crédits.

  • Speaker #1

    Nous ne savons pas comment Living Carbon a calculé le carbone stocké dans 16 arbres. En effet, pour cela, il faudrait en théorie que les arbres vivent leur vie entière. Or, les essais menés sont récents, comme nous l'avons vu précédemment. Au-delà de cet exemple précis, Philippe Delacote estime que c'est l'ensemble de l'évaluation de l'efficacité du marché carbone qui laisse à désirer. Il insiste sur la surévaluation des projets et évoque des études qui remettent en cause l'efficacité réelle des projets REDD+, pour réduire la déforestation. Les projets REDD+, sont des crédits carbone plus spécifiquement dédiés aux projets forestiers.

  • Speaker #2

    Les méthodologies qui sont souvent appliquées, c'est celle-ci, c'est de regarder l'évolution du couvert forestier dans la zone qui est traitée par un projet REDD+, et puis de la comparer avec une zone contrôle, c'est-à-dire une zone qui présente... des caractéristiques similaires à la zone de traitement, mais qui, elle, n'est pas traitée. Et souvent, quand on compare les résultats de ces résultats académiques avec l'octroi effectif de crédit carbone par les certificateurs, on trouve une différence qui est relativement importante. Très souvent, les crédits carbone liés à la déforestation évitée surévaluent fortement la déforestation évitée réelle. Il y a beaucoup d'études qui montrent qu'il y a une surallocation de crédit par rapport aux réductions réelles d'émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, le papier le plus connu, c'est un article de West et de ses co-auteurs en 2023 dans Science. Et cet article a montré que, selon eux, 90% des crédits ne sont pas liés à des réductions d'émissions effectives. Dit autrement, un crédit carbone ne correspond pas nécessairement à une tonne de carbone qui n'aura pas été émise dans l'atmosphère.

  • Speaker #1

    Il est très difficile de mener des études indépendantes pour évaluer le réel impact de ces projets et des crédits carbone qui leur sont liés. du fait d'une réelle opacité sur ce marché.

  • Speaker #2

    Il n'y a pas de registre, par exemple, global qui permette de tracer complètement le parcours d'un crédit carbone, de sa création jusqu'à l'entreprise qui va l'utiliser avec la répartition de la valeur.

  • Speaker #1

    Résumons. Non seulement les mécanismes de compensation carbone ne sont pas toujours efficaces pour lutter contre le changement climatique, Mais en plus, ils peuvent être utilisés pour financer des arbres OGM dont on ne connaît ni l'efficacité, ni la pérennité, ni les conséquences sur les écosystèmes naturels. En enquêtant, nous découvrons que ces crédits carbone financent aussi des entreprises qui veulent promouvoir les arbres génétiquement modifiés pour la filière papier et bois. Ça se passe au Brésil, où l'entreprise Susano cultive de vastes monocultures d'eucalyptus, parfois sur d'anciennes forêts.

  • Speaker #0

    Pour le moment, il s'agit d'eucalyptus conventionnels. Pourtant, dès 2012, Futuragine, une filiale de Susano, a mené des essais en champ avec des eucalyptus transgéniques modifiés pour tolérer du round-up et produire plus de bois. Et la filiale a reçu en avril 2015 une autorisation de les cultiver. Or, Susano a réussi à obtenir des crédits carbone pour ses monocultures d'eucalyptus. Anne Peterman, de Justice Ecology Projects, nous raconte.

  • Speaker #1

    Dans le cas de Suzano Timber Company au Brésil, ils collectent des fonds grâce au crédit carbone pour étendre leurs plantations d'eucalyptus. Ils sont donc en train de développer des plantations d'eucalyptus tolérantes aux herbicides et résistantes aux insectes. Parallèlement, ils étendent leurs plantations existantes, sans OGM, et utilisent des crédits carbone pour cela. À l'avenir, lorsqu'ils seront prêts, ils auront les permis pour les arbres génétiquement modifiés. mais ils affirment ne pas encore les planter. Mais ils pourraient le faire et obtenir des crédits carbone pour ces mêmes raisons, leur croissance rapide et leur stockage de carbone.

  • Speaker #2

    Or,

  • Speaker #1

    que se passe-t-il ? Ce que nous avons constaté lors de notre délégation au Brésil en 2023, c'est qu'ils détruisent les forêts indigènes existantes, notamment la forêt du Cerrado, au profit de l'agrandissement de ces plantations d'Acaiolictus. Nous avons donc cette biodiversité très riche en carbone, de riches forêts indigènes appelées strados,

  • Speaker #2

    et ils les détruisent,

  • Speaker #1

    éliminant tout le carbone des arbres, perturbant le sol, libérant tout ce carbone, et en installant ensuite ces plantations d'arbres à courte durée de vie qui nécessitent d'énormes quantités d'eau, d'herbicides, d'engrais, etc. Et tout cela est très négatif pour le climat, bien sûr. Mais ils peuvent obtenir un financement carbone pour cela, car ils disent que ce sont des arbres à croissance rapide.

  • Speaker #0

    Et dans ce cas, Étant donné que la finalité est de produire de la pâte à papier, le stockage du carbone va être de très courte durée. Cyril Dutech, de l'INRAE, évoque aussi ce risque.

  • Speaker #3

    Ces arbres OGM, on trouve l'argument de dire oui, vous voyez, ça va nous permettre de fixer du carbone, mais au fond, on peut se dire surtout que ça va favoriser un type de sylviculture très productiviste, pour produire du bois rapidement.

  • Speaker #0

    C'est clairement une dérive de la finance carbone que Philippe Delacote de l'INREI nous explique.

  • Speaker #4

    Dans le monde des crédits carbone, en théorie, pour recevoir un crédit carbone, il faut prouver que le projet n'aurait pas pu être mis en œuvre sans l'octroi de crédit carbone. Donc dans le cas de plantations de bois monospécifiques qui ont une destination ensuite d'être utilisées dans l'industrie, que ce soit de l'ameublement, de la papeterie ou autre. il est en théorie nécessaire de montrer que ces modèles n'auraient pas été rentables sans le recours au crédit carbone. Donc en théorie, la règle d'additionnalité est celle-ci. On peut imaginer que dans un certain nombre de cas, ces plantations spécifiques auraient été rentables même sans la finance carbone. Quand on va acheter des crédits carbone qui sont issus de projets forestiers, que ce soit des projets de déforestation évité ou des projets de replantation, on a ce qu'on appelle un risque de non-permanence. Les arbres, à un moment, sont susceptibles d'être exploités ou de mourir. Ils sont exposés aussi à beaucoup d'aléas. Ça peut être des tempêtes, ça peut être des feux de forêt. Il y a un grand nombre de risques qui menacent la permanence du carbone qui est séquestré par les projets forestiers.

  • Speaker #0

    Et rappelons-nous que Cyril Dutech, notamment, nous parlait de la plus grande fragilité des arbres OGM à croissance rapide.

  • Speaker #4

    Ça ne veut pas dire que ce n'est pas intéressant. Par exemple, un projet de replantation qui permet de stocker du carbone pendant plusieurs décennies, même si cette séquestration ne se fait pas pour toujours, ça a quand même un intérêt sous l'angle climatique. Et ce, encore plus si derrière, une autre forêt est replantée qui va reséquestrer à nouveau le crédit carbone qui aurait été planté. Mais néanmoins, c'est clairement quelque chose à avoir en tête que sur un grand nombre de projets liés au crédit carbone, et je pense en particulier au crédit forestier, il y a un problème de non-permanence qui est assez compliqué à prendre en compte.

  • Speaker #0

    Les arbres OGM sont pour le moment peu développés, que ce soit pour en faire des puits de carbone, de la pâte à papier ou des agrocarburants. Mais cela pourrait changer. On assiste depuis quelques années à un intense lobbying des entreprises de biotech au sein du FSC. Le Forest Stewardship Council, le plus grand label de la production de bois dit durable du monde. Anne Peterman, qui fait campagne depuis des années contre les arbres OGM, nous raconte ce qu'il se passe au FSC depuis quelques années.

  • Speaker #1

    L'interdiction par le Forest Stewardship Council des arbres génétiquement modifiés sous son label de certification, ou des produits issus d'arbres génétiquement modifiés, a constitué un obstacle majeur au développement commercial des arbres génétiquement modifiés par des entreprises comme Susano, qui sont certifiées FSC. C'est vraiment l'un des moyens les plus importants pour empêcher la certification des arbres génétiquement modifiés. Mais Susano et certains chercheurs ont essayé, il y a quelques années, de convaincre le FSC d'ouvrir une brèche dans l'interdiction des arbres génétiquement modifiés en faisant ce qu'ils ont appelé une recherche. En gros, il s'agissait de faire des recherches sur les armes génétiquement modifiées pour voir s'il était possible de le faire en toute sécurité et de manière durable. Nous avons répondu par une campagne et beaucoup de gens ont écrit des lettres à l'FSC. Le conseil du FSC n'a pas donné suite à cette demande. De sorte qu'à l'heure actuelle, l'interdiction du FSC est toujours là et intacte,

  • Speaker #2

    comme avant.

  • Speaker #0

    Ce que nous dit Anne Peterman est une réalité. Les pros-OGM s'activent dans les couloirs du FSC. En 2022, le FSC a proposé, je cite, un « processus d'apprentissage » sur la question des arbres OGM. Or, pour le mettre en place, le FSC a constitué un panel d'experts à la neutralité toute relative. Nous ne listerons pas toutes les personnes en situation de conflit d'intérêt, mais citons par exemple Jason Delborn qui a travaillé à l'acceptabilité sociale des OGM destinée à la conservation du châtaignier américain avec un châtaignier génétiquement modifié. ou encore Keith Roberts-Heise, chercheur en Australie dans une organisation relativement favorable aux biotechnologies qui étudie les moustiques génétiquement modifiés. Comme l'a précisé Anne Peterman, la campagne internationale a porté ses fruits. Fin mars 2023, le conseil d'administration du FSC annonce qu'il met fin à ce processus d'apprentissage. Il explique que ce processus décrié risque de diviser les membres du FSC et peut porter préjudice à la mission. et à la réputation de ce label. Mais le FSC travaille déjà avec Susano en certifiant certaines de ses plantations. En 2009, le FSC précisait qu'il souhaitait, je cite, « s'associer uniquement à des organisations qui ne sont pas directement ou indirectement impliquées dans les activités inacceptables comme l'introduction d'organismes génétiquement modifiés » . Mais en 2015, Le FSC déclarait que tant que les plantations Susano certifiées FSC n'incluaient pas d'OGM, cela ne leur posait pas de problème que Susano ait réalisé des essais en champ avec des arbres OGM.

  • Speaker #1

    L'une des nouvelles orientations que prend l'industrie des arbres génétiquement modifiés pour tenter de contourner les réglementations, y compris potentiellement le FSC, consiste à utiliser ce qu'on appelle l'édition génétique au lieu de la transgénèse. Et dire que l'édition génétique, qui consiste à retirer des gènes ou à les déplacer dans un génome sans introduire d'ADN étranger provenant d'une espèce différente, n'est pas la même chose que le génie génétique et devrait être exclu des réglementations sur le génie génétique.

  • Speaker #0

    Ce qui rappelle très bien ce qui se passe en Europe. Dans l'Union européenne, un texte déréglementant les plantes et arbres GM est en cours de négociation. Les arguments de la Commission européenne pour lancer ce chantier législatif étaient l'adaptation de la réglementation à ces nouvelles techniques génétiques et bien sûr, l'adaptation au changement climatique. Dans ce nouvel épisode, on comprend donc qu'on peut avoir de sérieux doutes sur la capacité des arbres à croissance rapide à constituer des puits de carbone efficaces. Et même s'ils arrivaient à créer des superbes arbres capteurs de carbone et à régler les problèmes des marchés du crédit carbone pour éviter la monoculture, etc. Philippe Delacote nous rappelle un fait intéressant.

  • Speaker #4

    La quantité de carbone qui peut être échangée sur les marchés, ça représente en tous les cas une assez faible part des émissions totales au niveau de la planète. C'est-à-dire que même si on arrive à avoir des mécanismes de crédit carbone qui seraient très efficaces et très robustes, ce serait juste... un élément de solution parmi beaucoup d'autres interventions à mettre en œuvre.

  • Speaker #0

    Les OGM pour sauver le climat n'est donc pas une idée isolée. Elle se situe dans une vision démiurgique du monde. Nous aurions aussi pu vous parler de la géoingénierie, un ensemble de technologies récentes et vertigineuses qui consiste tout simplement à modifier le climat à grande échelle. Il s'agit par exemple de capturer du carbone de l'air pour l'injecter dans la roche, de lancer du soufre dans l'atmosphère pour refroidir la température terrestre, ou encore de répandre du fer dans l'océan pour doper le phytoplankton. Mais avant de prétendre améliorer la nature, on pourrait déjà commencer par valoriser des pratiques paysannes et agroécologiques qui permettent aux sols de stocker naturellement et efficacement le carbone, et cela sans brevet, sans marché financier. Vous venez d'entendre OMG, Décodons les biotech, le podcast du média indépendant InfoGM. Ce podcast a été réalisé par Charlotte Cocard et Christophe Noisette, avec le soutien technique de Plink et en particulier Pierre-Henri Samion et Rémi Sanaka. La musique originale a été réalisée par Julien Fauconnier de Studio Time. Merci à toute l'équipe d'InfoGM et en particulier à Hélène Torgeman, Antoine Vépierre et Sylvain Willig. Nous tenons à remercier les bailleurs qui nous ont permis de réaliser ce podcast, les fondations Ecotone, Olga et Nature & Découverte et le ministère de la Culture. Pour un savoir plus sur les OGM et les biotechnologies, retrouvez toutes nos infos sur infogm.org.

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