- Inf'OGM
Bonjour et bienvenue dans le premier épisode de OMG Décodons les biotech, le podcast de l'association Inf'OGM.
Et si on refaisait vivre le mammouth l'aîneu pour sauver la planète ?
Non, ce n'est pas le pitch du prochain film de Steven Spielberg, mais un projet bel et bien réel porté par l'entreprise Colossale Bioscience. Il est vendu aux investisseurs comme une technologie qui pourra aider à lutter contre le changement climatique. Quand j'ai appris ça, je me suis tout de suite dit que c'était trop beau pour être vrai et qu'il y avait certainement anguille sous roche.
Est-on vraiment capable aujourd'hui de refaire vivre un mammouth, un véritable mammouth ? Et en quoi ce mammifère disparu il y a plus de 4000 ans permettra-t-il de lutter contre le changement climatique ? Et enfin, qui sont ces investisseurs ? et quels sont leurs réels intérêts ? C'est ce que nous allons découvrir ensemble dans cet épisode du podcast OMG, décodons les biotech.
Le mammouth est un animal emblématique de la préhistoire et il bénéficie d'une sorte d'aura, notamment par sa taille et sa prestance. Il est le symbole d'une nature pure, vierge et fantasmagorique. Forcément, le projet de le faire revivre ne peut qu'enthousiasmer petits et grands. Et si on ajoute à cela que le mammouth laineux est présenté comme un allié de poids dans la lutte contre le dérèglement climatique, on a tous les ingrédients pour susciter l'adhésion à une aventure excitante.
Quel lien entre mammouth et climat me direz-vous ? Eh bien, le mammouth vivait principalement en Sibérie. La Sibérie est en partie recouverte par un sol gelé sur plusieurs dizaines de mètres d'épaisseur. C'est ce qu'on appelle le permafrost ou pergélisol. Or, ce dernier fond avec l'augmentation des températures terrestres. Cela libère d'importantes quantités de gaz à effet de serre. L'idée est donc de refroidir l'écosystème sibérien. Pour comprendre ce phénomène et quel rôle pourraient avoir ces mammouths 2.0, nous avons interrogé Hervé Bocherens. professeur de biogéologie à l'université de Thuringe en Allemagne, spécialiste de cet animal disparu. Disons-le, ce chercheur n'est pas impliqué dans ce projet. Il en suit les avancées. Sa position, nous le verrons à plusieurs reprises, oscille entre enthousiasme pour les développements technologiques, mais également des doutes et craintes concernant la faisabilité du projet, voire sa raison d'être.
- Hervé BOCHERENS
Actuellement, le projet et la publicité du projet est axée sur le possible... sur le réchauffement climatique. La fonte du permafrost est actuellement une grosse menace sur le climat parce que ça va provoquer un effet de cercle vicieux qui va, plus le permafrost fond, plus il libère du méthane et du gaz carbonique et donc ça va encore plus se réchauffer, ça va encore aller plus vite. Il semble que par certains modèles écologiques, on peut modifier cette cascade d'effets en limitant la fonte du permafrost, en changeant la couleur du sol.
- Inf'OGM
Pour les promoteurs du projet, cet éléphant génétiquement modifié aux allures de mammouth est censé jouer sur deux axes. Premièrement, sa présence pourrait permettre de remplacer les forêts sombres par des graminées aux couleurs plus claires, et donc d'améliorer le pouvoir réfléchissant de la toundra. On parle d'albédo. Plus une surface est proche du blanc, plus son albédo est élevé, et donc absorbe moins les rayons solaires, elle se réchauffe moins. Deuxièmement, cette nouvelle espèce artificielle serait également capable d'enlever la neige qui isole le sol du froid, et cela à grande échelle.
- Hervé BOCHERENS
Donc actuellement, c'est soit de la forêt qui est vert foncé avec les arbres, ou alors c'est la neige. Mais la neige va isoler l'hiver le permafrost et donc le permafrost va rester en gros à 0 degré. Alors que si on enlève la neige, l'air ambiant est à moins 30 degrés, donc ça va permettre au permafrost de rester plus froid. Mais comment est-ce qu'on va enlever la neige à l'échelle de toute la zone occupée par le permafrost ? Ce ne sont pas les gens qui vont le faire, mais des mammouths pourraient le faire. Et ils l'ont probablement fait dans le passé. Donc, c'est de modifier les conditions d'équilibre climatique dans ces régions et de permettre d'éclaircir la forêt, donc d'empêcher les arbres de pousser partout, de compacter la neige, donc de limiter cet isolement thermique et donc de permettre aux permafrosts de rester gelés plus longtemps, de rester plus stables et d'éviter ce relâchement de gaz à effet de serre qui accélérerait le réchauffement climatique. Mais bon, c'est une théorie controversée parce qu'il peut y avoir aussi des effets secondaires qu'on ne maîtrise pas vraiment.
- Inf'OGM
Ok, ça c'est la théorie. Une théorie qui plus est controversée, comme le souligne Hervé Beaucheron. Le climat, à l'instar du vivant, est complexe et chaque intervention humaine peut en même temps améliorer un élément et en perturber d'autres. Mais avons-nous des preuves concrètes, empiriques ou scientifiques, de ces effets positifs sur l'effet de serre ?
- Hervé BOCHERENS
Il y a déjà des données intéressantes qui sont acquises dans une région qui s'appelle Pleistocène Park, en Sibérie. C'est un groupe de chercheurs russes qui introduisent des herbivores, pas le mammouth, mais du cheval, du bœuf musqué, du bison, dans des régions de toundra. et ils voient les changements. Et les changements, ils sont clairs. La toundra se transforme en prairie herbacée avec des caractères qui ressemblent à ceux de la savane. Et la température du permafrost est plus froide dans ces régions que dans les régions adjacentes qui n'ont pas l'action des herbivores. Donc, il y a un effet. Mais le problème, c'est est-ce que cet effet va être suffisant ? En tout cas, ça irait dans la bonne direction, mais avec une intensité qui est encore assez inconnue.
- Inf'OGM
Ce que décrit Hervé Bocherens, c'est l'expérience menée depuis les années 80 par Sergeï Zimov et son fils Nikita. Dans un article publié en 2012 dans Quaternary Science Reviews, Sergeï Zimov annonce que dans son parc, la température hivernale de la surface du sol sur ce site est de 15 à 20 degrés plus froide que pour les prairies sans pâturage. Ce travail est corroboré par celui des chercheurs de l'Institut finlandais de météorologie. Ils ont rassemblé les informations sur une période de 16 ans. Ils ont observé qu'en Laponie, les taux de végétation diminuent lorsque le pâturage des rennes croît. En effet, l'alimentation et la marche des rennes réduisent la végétation. Mais alors, si des espèces vivantes aujourd'hui peuvent faire ce travail, pourquoi chercher à faire revivre des mammouths ?
- Hervé BOCHERENS
On pourrait penser que si des herbivores qui existent déjà sont capables de provoquer cet effet, on n'a peut-être pas besoin du mammouth. Mais pour avoir un effet suffisamment important et basé sur le fait que, dans le passé, les mammouths étaient une espèce clé pour cet écosystème de la steppe à mammouths, il semble quand même intéressant de pouvoir intégrer un composant tel que le mammouth ou quelque chose qui fonctionne comme le mammouth pour obtenir un résultat à l'échelle espérée.
- Inf'OGM
Ce que je comprends, c'est que l'idée d'introduire des mammifères a un impact sur le changement climatique. Tenter de faire revivre le mammouth et de le réintroduire. n'est pas en soi un projet absurde. Il y a une certaine logique. Ok, soit. Une certaine logique qu'on pourrait qualifier de mécanique, sans doute un peu simpliste. Mais surtout, ce mammouth 2.0 n'est pas encore né. Où en est-on ? Comment Colossal Bioscience va s'y prendre pour ressusciter le mastodonte ?
- Hervé BOCHERENS
Pour faire revivre le mammouth, il y a deux recettes. Le clonage et les modifications génétiques d'une espèce proche de l'espèce éteinte. Le clonage ne peut pas s'adapter au mammouth. parce que les cellules que l'on peut obtenir des carcasses les mieux conservées sont déjà dégradées et donc ne conviennent pas pour le clonage. On peut utiliser des cellules d'éléphant d'Asie, l'espèce la plus proche du mammouth, pour changer des gènes qui sont responsables pour les caractères spécifiques de l'adaptation au froid du mammouth, comme ceux qui commandent la fourrure ou les cellules graisseuses qui sont sous la peau. Et donc on n'obtient pas à la fin un mammouth, un vrai mammouth. on obtient un éléphant génétiquement modifié, mais qui aura des caractères qui permettront à ces individus d'occuper la niche écologique du mammouth, qui est l'espèce éteinte. Il y a environ 400 000 gènes qui sont impliqués. Donc ça va demander beaucoup de travail, mais avec les moyens bioinformatiques, maintenant on est capable de tout faire de façon synthétique, de programmer de l'ADN avec les séquences qui correspondent aux gènes du mammouth. et de mettre en place un génome artificiel, mais cohérent avec celui du mammouth. Et ce ne sera pas des molécules tirées d'un mammouth fossile, ce sera des molécules synthétiques. Et on espère que quand on mettra l'ADN de mammouth en place dans une cellule d'éléphant, la cellule d'éléphant va être capable de faire fonctionner cet ADN comme il l'aurait fait sur un mammouth. Il y a aussi des effets épigénétiques, c'est-à-dire que le même ADN peut s'exprimer ou ne pas s'exprimer selon les conditions. et donc tout ça c'est un peu l'inconnu.
- Inf'OGM
Très bien. Ce que je comprends en dialoguant avec Hervé Beaucheron, c'est tout d'abord qu'on ne vise pas à faire revivre un mammouth, mais plutôt à modifier génétiquement un éléphant pour qu'il ait quelques caractéristiques d'un mammouth. Il nous dit que le projet avance, que certaines connaissances s'affinent, que le séquençage du génome du mammouth a été réalisé. Hervé Beaucheron évoque également la création chez l'éléphant de cellules souches pluripotentes induites. dite cellule-souche IPS, étape indispensable à la création d'un embryon. En mars 2024, l'entreprise Colossal Bioscience a en effet publié un projet d'article sur la mise au point de cellules IPS. Mais cet article n'a pas été encore validé par d'autres scientifiques et certains sont sceptiques. Ils attendent des preuves qui démontrent que ces lignées de cellules souches IPS se développent de manière stable et peuvent réellement être transformées en différents types de tissus. Mais il reste un certain nombre d'inconnus au niveau génétique. Hervé Beaucheron dit qu'il espère et reconnaît que l'ADN synthétique peut ou pas s'exprimer correctement. En effet, la génétique n'est pas un simple jeu de Lego, et à chaque étape d'un processus de modification génétique, des effets non intentionnels peuvent apparaître. Cela est dû à des méconnaissances, comme par exemple celle des séquences régulatrices. 80% d'un génome est encore qualifié d'ADN poubelle, mais on s'aperçoit petit à petit qu'il joue un rôle fondamental dans l'expression des gènes. Cette première phase technique est donc loin d'être acquise. Mais imaginons tout de même, pour l'exercice théorique, que les manipulations génétiques soient faisables. La prochaine question est de savoir quel animal pourra mettre au monde cet hybride.
- Hervé BOCHERENS
Il manque encore des choses, c'est clair, et des choses très importantes. Par exemple, pour faire un embryon et un fœtus et un bébé éléphant mammouth, le premier projet, c'était de prendre une mère porteuse éléphant. Mais comme l'éléphant d'Asie est quand même une espèce aussi menacée, on ne veut pas rendre encore plus menacée une espèce pour essayer de résurrecter une autre. Donc l'idée maintenant, c'est de faire un utérus artificiel qui n'existe pas pour l'instant.
- Inf'OGM
Les limites de ce projet ne sont pas que biologiques, nous dit-il encore. Elles sont aussi d'ordre social et environnemental.
- Hervé BOCHERENS
On sait que tous les éléphants aujourd'hui, et on a des preuves que les espèces éteintes étaient dans le même cas, sont des animaux extrêmement sociaux qui vivent en groupe. Les jeunes ont besoin de faire un apprentissage de plusieurs années pour s'intégrer dans le groupe, pour trouver leurs ressources pour survivre. Et là, dans le cas présent, qui va expliquer aux bébés mammouths nouveaux ce qu'ils doivent faire, comment ils doivent se nourrir, etc. Donc là aussi, il y a un gros défi qu'il va falloir relever. Un autre problème qui va se poser, c'est que pour la digestion de plantes qui ne sont pas les plantes que mangent les éléphants d'Asie, il va falloir un microbiome digestif adapté. Et dans la nature, les éléphants, les bébés éléphants, ils mangent dans les crottes, dans la bouse des éléphants adultes pour récupérer ces microbes. Mais là, est-ce qu'on va... On va pouvoir récupérer les microbes, peut-être, parce qu'il y a de la bouche fossile de mammouth, donc on va peut-être pouvoir sélectionner le microbiome. Mais bon, tout ça, c'est des points d'interrogation. La toundra sibérienne est différente de l'environnement dans lequel vivait le mammouth. Actuellement, c'est un milieu très peu productif, dont la végétation principale, c'est des mousses, des lichens, quelques buissons, et ce n'est pas avec ça que le mammouth va pouvoir survivre.
- Inf'OGM
Malgré tous les obstacles rencontrés ou annoncés, l'entreprise promet de le faire vivre ce mammouth d'ici 2028. Et on comprend bien que ce calendrier n'est pas tenable. Il faut déjà le temps de mettre au point un utérus artificiel. Ce qui n'est pas pour demain selon Victoria Herridge, paléontologue au Musée d'Histoire Naturelle de Londres, qui a répondu à nos questions par écrit.
- Victoria Herridge
Les utérus artificiels font appel à une technologie qui nécessitera sans doute encore une dizaine d'années pour être au point. Actuellement, un utérus artificiel ne permet la gestation de fœtus d'agneau qu'à partir du point de viabilité, équivalent à 22-24 semaines chez l'homme. Or, d'après les études sur le développement des éléphants, ce point de viabilité pourrait être de 167 jours chez ce mammifère, ce qui implique au moins 24 semaines de gestation via une mère porteuse. Je ne vois pas comment le recours aux mères porteuses pourrait être évité dans le délai de 4 à 6 ans indiqués. Or, la question des mères porteuses pose de nombreuses questions. Si on laissait la mère mener sa grossesse à terme, il y aurait le fardeau d'un an et demi de grossesse supplémentaire, plus le risque d'accouchement, qui n'est pas négligeable chez les éléphants en captivité. Les césariennes chez les éléphants ont un taux de mortalité de 100% pour l'éléphanteau et la mère, et sont donc à éviter.
- Inf'OGM
Concrètement, et Victoria Herridge insiste là-dessus, l'utérus artificiel étant encore bien trop éloigné, si tant est qu'il soit réalisable un jour, le recours aux mères porteuses est donc la seule option vaguement envisageable. Or, comme il faudrait des centaines de milliers d'individus pour avoir un effet sur la végétation de la toundra, il faudra beaucoup de temps et énormément de mères éléphantes de substitution pour y parvenir. Et si l'éléphant mammouth naît en 2028, ce qui est plus qu'improbable, il ne sera en âge de se reproduire que 14 ans plus tard. Hervé Beaucheron le reconnaît également.
- Hervé BOCHERENS
Pour avoir un troupeau de mammouths opérationnels, il va falloir pas mal de temps, 10, 15, 50 ans.
- Inf'OGM
À ce niveau de l'enquête, on s'aperçoit déjà que de nombreuses inconnues, méconnaissances, difficultés sont encore à résoudre. Les chercheurs interrogés sont aussi globalement sceptiques sur la capacité de Colossal Bioscience à tenir des délais qui permettent de baisser les émissions de gaz à effet de serre à temps pour limiter le réchauffement climatique. Cet éléphant génétiquement modifié ne semble décidément pas une option très pertinente dans la lutte contre le changement climatique. Avant de comprendre ce qui se cache derrière ce projet, en étudiant qui le finance, Nous nous sommes tout de même posé la question de savoir si introduire un troupeau d'éléphants génétiquement modifiés pourrait avoir un impact négatif sur l'écosystème. Hervé Beauchrand nous explique que certains cas de réintroduction d'espèces dans leur environnement, comme le loup à Yellowstone aux Etats-Unis ou des tortues dans certaines îles, ont permis à l'écosystème de se rééquilibrer. Cependant, il reste là encore prudent.
- Hervé BOCHERENS
La réintroduction d'espèces, c'est un exercice potentiellement dangereux. On a vu dans l'histoire tout un tas d'exemples où ça s'est mal passé et où l'écosystème s'est écroulé en fait.
- Inf'OGM
De même, Jacques Tassin, écologue au CIRAD, nous précisait par e-mail.
- Jacques TASSIN
Les introductions de grands herbivores dans l'histoire récente montrent qu'elles ne sont jamais sans incidence sur les écosystèmes. Le moment actuel n'est sans doute pas le plus opportun pour courir le risque de cette réintroduction. À un moment où... où tous les écosystèmes mondiaux sont déjà en cours de recomposition et ont beaucoup à faire pour se réajuster au nouveau contexte climatique.
- Inf'OGM
Donc même s'il voyait le jour, ce projet est risqué pour les écosystèmes. Il est d'ailleurs décrié aussi par les ONG environnementales, à l'instar de France Nature Environnement. Nous avons interrogé Dominique Py, en charge de la biodiversité sauvage dans cette association. Pour elle, la sixième extinction de masse est causée par l'humain, et il faudrait d'abord agir pour éviter que les espèces ne disparaissent.
- Dominique PY
Mais ce qu'on peut se constater aussi et surtout, c'est que dans le même temps que ce projet a été créé et avance, on manque cruellement de financement pour sauvegarder la biodiversité. Donc il y a quelque part un paradoxe, c'est-à-dire qu'on laisse disparaître des espèces, dont en particulier l'éléphant d'Asie, qui va être utilisé pour ce projet, puisque ça serait un hybride de mammouth et d'éléphant. Cet éléphant d'Asie, il est actuellement menacé, il est sur la liste rouge de l'UICN, donc c'est un mammifère qui est considéré comme en voie d'extinction. On manque de financement pour le sauver, mais que ça nous détourne. Des priorités qui seraient plutôt de sauvegarder des espèces qui sont encore présentes actuellement sur la planète et qui sont gravement menacées.
- Inf'OGM
Dominique Py, elle aussi, sur les délais de ce projet et l'urgence d'agir, et sur les moyens d'agir.
- Dominique PY
Le projet de recréation, réintroduction des mammouths, ça prendrait, dans le meilleur des cas, et si ça marche, plusieurs années, voire plusieurs décennies. Or, en ce qui concerne le climat, nous n'avons pas le temps. C'est dans les années qui viennent qu'il est important de réduire drastiquement nos émissions. Et donc, on ne peut pas faire reposer nos espoirs sur ce type de projet. Il serait bien sûr largement préférable de commencer par éviter de nuire, par réduire nos émissions, par réduire notre impact sur la biodiversité, de freiner la sixième extinction qui est en cours. Parce que là, on pourrait trouver assez facilement, si on en avait la volonté, des moyens de le faire. Alors que vouloir s'aventurer à réparer, à contrôler des choses, c'est toujours quelque chose qui est extrêmement hasardeux, qu'on ne maîtrise pas et dont on ne connaît pas les conséquences.
- Inf'OGM
Ce projet, pour Dominique Py et France Nature Environnement, à quelque chose qui en soi lui donne une aura et participe de l'idée que l'être humain est tout puissant. C'est un projet ambitieux sur le plan technologique, mais il est aussi prétentieux.
- Dominique PY
Il ne faut pas s'imaginer qu'on va pouvoir, par la magie de la science et de la technologie, revenir à cette nature antérieure. Derrière ces projets de déextinction, il y a quelque part un fantasme de toute puissance. L'idée que l'humain va être capable de recréer quelque chose qui a disparu. C'est aussi un fantasme de contrôle, l'idée qu'on va... contrôler la machine climatique. Alors tout ça, c'est quand même une vision extrêmement réductrice, extrêmement mécaniste de la planète, des systèmes physiques, des systèmes biologiques. En réalité, on ne contrôle rien de tout cela. On agit dessus, certes, mais on ne connaît pas la moitié du quart des conséquences de nos actes. Donc il faudrait plutôt admettre qu'on ne sait pas tout.
- Inf'OGM
Nous avons donc un projet qui n'est techniquement pas au point et qui le sera peut-être jamais, et encore moins à temps pour lutter contre le réchauffement climatique. Un projet qui nécessite beaucoup d'argent et aux conséquences potentiellement néfastes pour l'environnement. Un projet qui détourne l'argent de la lutte contre la sixième extinction des espèces.
Alors pourquoi ? Quelle est la vraie raison de ce projet ? Qui le porte ? Qui le finance ?
Ce projet a été porté initialement par une ONG, Revive and Restore, qui est, je cite, « une organisation de conservation de la faune et de la flore sauvage » qui promeut l'intégration des biotechnologies dans les pratiques de conservation standard. Revive & Restore est membre de l'Union internationale pour la conservation de la nature, l'UICN.
Rappelons qu'en 2019, un groupe d'experts de l'UICN avait publié un rapport qui faisait clairement la promotion du forçage génétique. Le forçage génétique est une technique de modification du génome très controversée qui permettrait de diffuser une modification à l'ensemble d'une descendance. Plusieurs membres de Revive & Restore avaient contribué à ce rapport aux côtés de Luc Alphi, le fondateur d'Oxitech, qui vend des moustiques génétiquement modifiées stériles. Et sur son site internet, l'ONG Revive & Restore promeut le forçage génétique pour éradiquer des espèces invasives comme certains rongeurs dans certaines îles qu'elle considère comme une menace à la biodiversité. Oui, vous avez bien entendu. Cette ONG veut à la fois réintroduire des espèces, éteintes ou en voie de disparition, et en éradiquer d'autres. N'est-ce pas paradoxal ? Elle s'intéresse à d'autres biotechnologies, puisqu'elle annonce aussi sur son site collaborer étroitement avec l'entreprise ViaGenPet & Equine, une entreprise qui propose le clonage des animaux que nous aimons. Bref, cette ONG a des visées politiques. Elle milite pour une utilisation moins contrainte des outils de modification génétique et du forçage génétique. Mais en 2021, cette ONG annonçait sur son site que le moment était venu de passer le relais à Colossal Bioscience pour les projets de dé-extinction. Or, passer d'une ONG à une entreprise privée n'est pas anodin.
Et à la tête de cette start-up, on retrouve George Church, qui avait initié le travail scientifique dès le début de ce projet de mammouth laineux. Arrêtons-nous un instant sur ce personnage, pour comprendre le monde intellectuel et économique de ce projet.
George Church est un personnage aux multiples facettes. Il travaille sur l'ADN depuis les années 70. Il a participé au séquençage du génome humain et a rapidement investi le champ de la biologie de synthèse. Il participe au conseil d'administration de plusieurs instituts de recherche. Par exemple, il est le directeur du National Institute of Health Center for Excellence in Genomic Science qui étudie les meilleures méthodes permettant d'intervenir à des fins thérapeutiques sur le génome humain. C'est également un homme d'affaires qui a fondé plus d'une vingtaine de start-up de biotechnologie dans des domaines très variés, thérapie génique, oncologie, xénogreffe, agrocarburant, etc. Il se plaît à affirmer, au cours de ses conférences, être en plein conflit d'intérêts et projette alors une image où apparaissent de très nombreux logos d'institutions publiques comme celui de l'Agence états-unienne pour les projets de recherche avancée de la défense, DARPA, la NASA, d'universités comme le Broad Institute, d'entreprises privées comme Google, le laboratoire Merck, Caribou Bioscience, etc. Il possède près d'une centaine de brevets. Enfin, c'est un chantre du transhumanisme qui alimente le rêve de l'homme augmenté, l'homme éternel. Sur les photos, il se met en scène comme une icône qui s'apparente à l'image qu'on pourrait se faire de Dieu avec sa taille de géant, sa longue barbe blanche. Dans son ouvrage Regenesis, où... comment la biologie synthétique va réinventer la nature et nous-mêmes, George Church présente un futur où le génie génétique aurait amélioré la santé humaine et animale, accru notre intelligence, notre mémoire et allongé notre vie. George Church n'hésite pas à afficher publiquement qu'il est favorable à une forme de génisme, qu'il souhaite construire artificiellement des parties de génomes humains. Et il accepte l'idée qu'au final, à force de modifier génétiquement l'humain, les individus qui naîtront seront très différents physiquement et neurologiquement de l'être humain tel qu'on le connaît actuellement. Il envisage donc non seulement un homme augmenté, mais également un autre homme. Il en,courage donc l'idée que des systèmes artificiels, des robots, puissent entrer en symbiose avec les humains génétiquement modifiés. Dans une conférence donnée en 2010, il envisage clairement l'union de la robotique autonome et de la biologie synthétique pour assurer la survie des êtres humains, y compris éventuellement sur d'autres planètes, comme nous l'avons précédemment entendu. Donc, Colossal Bioscience, l'entreprise qui porte ce projet mammouth, est dirigée par un scientifique flirtant avec le transhumanisme, George Church. Mais qui finance ce projet ? George Church s'est associé à Ben Lam, un serial entrepreneur texan des technologies, jeux vidéo, call centers, intelligence artificielle. Ben Lam voit dans la biologie synthétique la nouvelle frontière qui permettra aux vivants d'être programmés aussi facilement qu'un code informatique. Rodé au lever de fonds, il a convaincu plusieurs capitales risqueurs réputés d'investir dans Colossal Bioscience. Le dernier tour de table, terminé en janvier 2025, a rapporté 200 millions de dollars, ce qui porte le financement total de l'entreprise à 435 millions de dollars. et sa valorisation à 10,2 milliards de dollars. Des personnalités comme Thomas Tull, l'ex-PDG de la société de production de Jurassic World, ou Paris Hilton ont également participé et servent d'ambassadeur de ce projet auprès du grand public. Parmi ces investisseurs, nous avons été surpris de découvrir la CIA. À travers son entreprise de capital risque In-Q-Tel, le 20 septembre 2022, deux responsables de In-Q-Tel précisaient : "d'un point de vue stratégique, c'est moins une question de mammouth que de capacité". Capacité, entendez les possibles développements technologiques de ce projet.
D'ailleurs, rappelez-vous, nous avons évoqué au début de ce documentaire la création de cellules souches d'éléphants par l'équipe de Colossal Bioscience. Ces cellules souches, génétiquement modifiées et reprogrammées, première étape pour tenter de créer cet animal hybride, peuvent avoir un but autre. L'article scientifique de Colossal Bioscience dont nous parlions plus tôt affirme : "Les éléphants ont des capacités biologiques très intéressantes. Ils sont très intelligents et souffrent rarement de cancer. Étant donné leur taille énorme, les éléphants devraient être atteints de cancer à un taux beaucoup plus élevé qu'ils ne le sont. La manière dont les éléphants résolvent ce paradoxe n'a toujours pas été résolue. La création de cellules souches d'éléphants pourrait apporter un éclairage sur la résolution de ce problème, étant donné le chevauchement de nombreux réseaux de gènes fondamentaux impliqués dans les cellules souches et les cellules cancéreuses".
Et écoutons aussi directement George Church. Ce court extrait d'une de ses présentations, « Reversing human aging, inverser le vieillissement humain » , est très éclairant.
- Georges CHURCH
Je voudrais terminer en mettant les choses en perspective. Nous n'essayons pas de dépenser de l'argent, nous essayons d'en économiser. La façon dont nous séquençons ces échantillons anciens pour trouver des idées de gènes qui pourraient rendre ces éléphants plus résistants au froid. Les méthodes de séquençage des mammouths, par exemple, font partie d'un effort plus large pour séquencer votre ADN et nous avons réduit ce prix de 10 millions de fois.
- Inf'OGM
Et Ben Lam énonce tout simplement que Colossal Bioscience entend développer et monétiser des logiciels d'édition multiplexe du génome, des enzymes permettant de faire plusieurs modifications en même temps, mais aussi reprogrammer des cellules souches et créer des utérus artificiels. Ce que nous disent George Church ou la CIA est qu'ils ne croient pas vraiment au but affiché de la lutte contre le dérèglement climatique, mais qu'ils vont, grâce à ce projet, développer des biotechnologies qui pourront servir à d'autres fins. Hervé Beauchamp le reconnaît également.
- Hervé BOCHERENS
C'est un peu comme envoyer des astronautes sur la Lune il y a 50 ans. C'était une opération de prestige, ça n'a pas abouti à des colonies humaines sur la Lune, etc. Mais on voit toutes les retombées techniques, technologiques qui nous affaillent dans la vie quotidienne. L'intérêt financier de soutenir ce projet, qui coûte quand même très très cher, à court terme, c'est toutes les retombées biotechnologiques. Parce que ça, ça peut être mis au point avec beaucoup de publicité, dans un contexte très compétitif, mais qui permet aussi de résoudre un certain nombre de problèmes et d'apporter des nouvelles techniques qui seront ensuite mises en place pour des vaccins, pour des traitements, etc. Et ça, ça va rapporter beaucoup d'argent, beaucoup plus que ce qui a été investi. Il y a 5 ans, 4 ans, la société Colossal Biosciences a été fondée avec 15 millions de dollars. Maintenant, elle est cotée en bourse à 1,5 milliard de dollars. Donc, on voit l'explosion financière potentielle de ce projet et donc c'est ça qui attire les financiers.
- Inf'OGM
Ce qu'il faut savoir, c'est que Colossal Biosciences a d'autres projets de déextinction dans sa besace avec tous les animaux les plus « friendly » possibles. Le tigre de Tasmanie, le dodo. D'autres chercheurs rêvent de faire des coraux artificiels. Le cas de ce mammouth, enfin l'éléphant génétiquement modifié censé ressembler à un mammouth, ne nous montre-t-il pas que ces projets visent surtout à faire accepter le financement de recherches coûteuses et hasardeuses pour des biotechnologies qui serviront en fait d'autres objectifs que la biodiversité ? Peut-être pour la santé, peut-être transhumanistes, peut-être militaires ? Cette enquête met clairement en évidence que les financeurs de l'affaire ne peuvent pas être en mesure de faire face à la crise. peuvent ignorer le caractère extrêmement aléatoire de l'objectif écolo. Elle montre qu'il faut creuser les enjeux qui se cachent derrière chaque biotechnologie. La réalité est rarement aussi simple que les promesses affichées.
Vous venez d'entendre OMG, Décodons les biotech, le podcast du média indépendant InfoGM. Ce podcast a été réalisé par Charlotte Cocard et Christophe Noisette, avec le soutien technique de Plink, et en particulier Pierre-Henri Samion et Rémi Sanaka.
La musique originale a été réalisée par Julien Fauconnier de Studio Time.
Merci à toute l'équipe d'InfoGM et en particulier à Hélène Tordjman, Antoine Vépierre et Sylvain Willig.
Nous tenons à remercier les bailleurs qui nous ont permis de réaliser ce podcast, les fondations Ecotone, Olga et Nature et Découverte et le ministère de la Culture. Pour en savoir plus sur les OGM et les biotechnologies, retrouvez toutes nos infos sur infogm.org.