Speaker #0Proposée par la SACEM, voici Parcours croisé. Rencontres, histoires et témoignages autour de la création. Jocelyne Béroard est l'invité de Parcours croisé pour partager ses expériences, ses questionnements. Un entretien réalisé par la journaliste Hortense Voll dans l'auditorium de la SACEM, accompagnée d'un des plus grands pianistes caribéens, Mario Canonge. Jocelyne Béroard est chanteuse, parolière, performeuse, c'est le pilier féminin du groupe Kassav depuis plus de 40 ans. C'est une vie dansée, collée serrée et à guichet fermé avec des musiciens visionnaires. Jocelyne Béroard, c'est la première chanteuse antillaise à avoir obtenu un disque d'or. C'est une citoyenne du monde, décorée de la Légion d'honneur, de l'ordre des arts et des lettres. C'est une artiste qui a dû mener de nombreuses batailles pour réussir à s'imposer comme ça. et c'est ce que nous allons voir aussi ensemble lors de cette masterclass. Pendant que le public s'installait, il écoutait cet album qui vient tout juste de sortir, Ausha votre live au Folies Bergé. Ça veut dire Ausha C'est un enlèvement. C'est un peu comme charroyer, ça vient d'ailleurs du mot charroyer, c'est-à-dire transporter quelque chose, etc. En général, quand un bonhomme a envie d'amener une jeune dame regarder la lune, il va lui dire la charroi On va charroyer ensemble alors ce soir Moi, mon charroi, c'est-à-dire que j'amène tous les gens qui viennent m'écouter dans mon monde qui est multiple.
Je me disais que le plus simple, ce serait de commencer par le commencement. Et votre enfance en Martinique, non loin de Fort-de-France, dans la commune de Ausha, dans un quartier, petit paradis. À quoi ça ressemblait, Jocelyne, votre petit paradis dans les années 60 Le petit paradis, c'est dans les hauteurs de Fort-de-France. Il y faisait très bon, il y avait plein de petites maisons, tous les gens se connaissaient. Donc quand j'étais petite, c'était un peu ça. Et en face de chez nous, il y avait même Un espace où il n'y avait pas encore de maison, où le béton n'avait pas encore gagné du terrain. Donc on voyait des vaches, on cueillait des fruits. C'était vraiment un petit paradis, c'était vraiment ça. Et je m'amusais à dire aux gens, je suis née un 12 septembre du signe de la Vierge. J'ai vécu au petit paradis. Je suis née sur la route des religieuses d'abord, voilà, j'ai vécu au petit paradis. Si on dit que je ne suis pas bien, on ment. Votre papa était chirurgien dentiste, Jocelyne, votre maman professeur d'anglais, et vous dites qu'avec vos cinq frères et sœurs, vous avez reçu une éducation bourgeoise. Qu'est-ce que ça veut dire recevoir une éducation bourgeoise en Martinique à cette époque C'était les bonnes manières, c'est-à-dire que chez nous on avait le livre des bonnes manières, on tient la... porte, on descend avant ou après la dame, etc. Il y avait tout ça dedans et donc il fallait connaître, tenir sa fourchette à la main gauche, le couteau à la droite, etc. C'était ça. C'était avoir les bonnes manières. Pourquoi Parce que bon, tout le monde sait, tout le monde connaît. l'histoire des Antilles, qui est une histoire qui est issue de plein de douleurs de l'esclavage. Les gens n'étaient pas considérés, ils n'étaient pas considérés comme des êtres humains. Et donc, au moment de l'abolition de l'esclavage, évidemment, tout le monde rêvait de devenir un humain. Et le seul exemple qu'ils avaient, c'était l'exemple qui venait d'ailleurs. On essayait de faire en sorte d'arriver au niveau, non seulement avec l'éducation, évidemment, apprendre à l'école, etc. Même, c'est-à-dire le respect de soi, le respect de l'autre, etc. Le respect des bonnes manières, etc. Et la langue, évidemment, la langue française, évidemment. Le créole, c'était la langue de la vulgarité, de la rue. C'était interdit chez vous En fait, le créole a été créé au moment de l'esclavage. Les esclaves qui arrivaient chez nous ne venaient pas d'un seul pays. Ils venaient de coins divers, avec des langues diverses. Donc, ils ne se comprenaient pas entre eux. Et ça permettait de pouvoir mieux les dominer, puisqu'ils ne pouvaient pas s'entendre entre eux, puisqu'ils ne parlaient pas la même langue. Il y avait tous ces gens-là qui parlaient des langues différentes. Et puis, il y avait aussi le maîtres d'esclaves qui donnaient des ordres et qui devaient être entendus, en tout cas. Donc il y a eu une langue qui s'est créée avec l'apport de toutes ces langues-là, avec une langue majoritaire, bien sûr, avec une base évidemment française, mais mélangée un peu anglaise et aussi africaine. C'était une langue qui était utilisée par tous les esclaves et par les maîtres d'esclaves. Et donc au moment de l'abolition de l'esclavage, il ne fallait surtout pas parler cette langue-là, mais parler un bon français parce qu'on changeait de statut. C'était un peu ça dans la tête des gens, ce qui est un petit peu normal parce que quand vous avez été considéré comme rien du tout et que brusquement, vous avez la chance de devenir quelqu'un, évidemment, il n'y avait pas trop le choix. Donc, cette langue-là... représentait justement la langue de celui qui n'est pas éduqué. Or c'est une langue qui s'est enrichie année après année et qui quand on la redécouvre est magnifique et peut être extrêmement poétique parce qu'elle parle de nous et en fait notre imaginaire est beaucoup plus créole que français. C'est vrai qu'on a appris la langue française à l'école, on la connaît, on a lu Ronsard, Lamartiné, Victor Hugo etc etc mais le créole Quand vous dites quelque chose, une phrase, dans certaines tournures, vous pouvez dire à quelle heure de la journée ça se passe, l'histoire se passe. Vous pouvez dire presque les odeurs qu'il y avait à ce moment-là. Vous pouvez raconter des tas de choses simplement avec 4, 5 mots. Voilà. Et tout. Donc automatiquement, on a décidé de se réapproprier cette langue-là. De toute façon, ce n'est pas nous qui avons décidé de faire ça. Déjà, les gens, au fur et à mesure, commençaient déjà à redonner de l'importance à cette langue-là. Et quand on a appris à la découvrir et qu'aujourd'hui on la développe, c'est-à-dire qu'il y a aujourd'hui une grammaire, il y a aussi une graphie auxquelles vous êtes très attachée. On va y revenir, Jancelyne, parce que vous avez largement contribué à valoriser le créole dans le monde entier et à faire entendre cette langue et sa poésie. On va y revenir, mais là, on est toujours au petit paradis. Côté musique, votre île est dominée par l'industrie du divertissement français. Et en même temps, elle est nourrie par toutes les cultures de la Caraïbe et des deux Amériques. Et pourtant, pour revenir à votre éducation, la seule musique que vous avez le droit d'apprendre à l'époque, c'est la musique classique. Et votre premier instrument, ça va être le piano. Exactement. À l'époque, qu'est-ce que vous chantez Parce que vous dites que si vous aviez eu trois vies, vous auriez aimé être chanteuse d'opéra. Qu'est-ce que vous chantiez à cette époque-là, pendant votre enfance, votre adolescence Ce qui m'a plu, c'est que je chantais. Accompagnée par mon frère au piano, c'était plutôt la musique traditionnelle de chez nous, les beagins, mazurkas, valses, etc. Ma mère jouait aussi un petit peu de piano. Et c'était pour nous d'ailleurs de temps en temps un privilège de venir s'asseoir sans faire de bruit parce que dès qu'il y avait trop de monde, elle arrêtait. Mais on s'asseyait, on l'écoutait jouer religieusement et elle jouait vraiment très bien. Mais elle jouait les chansons du pays, les valses, les beagins, etc. Et là, on ouvrait le créole. Voilà, exactement. Et par contre, il n'y avait pas de professeurs chez nous, c'est aujourd'hui qu'on peut apprendre à jouer au tambour etc. Si on voulait apprendre le tambour déjà il fallait aller à la campagne parce que bon il n'était pas encore aussi présent en ville qu'aujourd'hui mais il n'y avait pas véritablement de professeurs, il y avait des gens qui transmettaient à leurs enfants, à leurs neveux, qui voulaient quoi, mais dans les campagnes. En ville on pouvait apprendre uniquement la musique classique, guitare classique, violon classique, piano classique, c'était ça. Il n'y avait pas beaucoup d'écoles de musique non plus, on devait en avoir une ou deux à peine. Et c'est à cette époque que vous composez votre première chanson, excuse-moi parce que je ne parle pas créole, Ausha Balaouble. Ah, Ausha Balaouble. C'était sur la marchande de Balaouble. Le balaou, c'est un poisson, un poisson de chez nous, un peu long, voilà. Et quand elles arrivaient de la ville, elles portaient des paniers, mais extrêmement lourds. Elles arrivaient à pied et il fallait monter pour arriver au petit paradis, parce qu'évidemment, c'est en haut, plus près du ciel, n'est-ce pas elles arrivaient avec ce panier extrêmement lourd et elles hurlaient dans la rue. On les entendait de très loin. Belle et au bain Et tout le monde savait, tout le monde préparait sa bassine, son couille pour aller acheter le poisson quand elle passait devant la maison et tout. Je les admirais parce que je disais, c'est pas possible qu'elles puissent faire une telle marche, en fait, depuis Fort-de-France, monter jusque-là, avoir toute l'énergie et puis envoyer la voix comme ça. J'ai écrit une chanson. C'était en créole que vous avez écrit C'était en créole. C'était ma première chanson. Mon premier. texte et ma première composition. Le quotidien de votre île. Parliez du tambour à l'instant et du fait qu'il n'y avait pas d'école de musique. Vous avez appris le piano, je crois, avec votre tante. Au sujet du tambour, j'aimerais qu'on écoute un morceau d'Henri Guédon, son tambour là. Et vous allez nous expliquer à presque à représenter ce titre pour vous, quel choc ça a été de l'entendre pour la première fois. Maman de douze casongers, tous petits moins payés en main, ça. Maman de douze casongers, tous ces casouillers payés moins. Patac, patac, patac, cipouac. Alors, Justine, il faut nous expliquer quel choc ça a été pour vous de découvrir le texte de ce morceau. Je trouvais qu'il me ressemblait, parce qu'il était dans une famille où on lui a appris à jouer le violon, mais il a découvert le son du tambour. Et moi, au fur et à mesure, je commençais à m'intéresser justement au son du tambour. En fait, on pouvait entendre le tambour quand même, mais c'était dans les avec les groupes folkloriques. Donc c'était beaucoup plus pour le tourisme, c'était pas le vrai son de la campagne où on sent que la personne raconte quelque chose, ou qu'elle critique. Et quand lui il chante ça, ça veut dire qu'il est à peu près dans le même genre de famille que moi, c'est-à-dire qu'il faut sortir du côté trop nègre pour pouvoir être considéré. Je comprends la démarche de mes parents, je ne suis pas en train de les critiquer, je dis c'était Un chemin obligé au lendemain de cette histoire-là. Et donc je trouvais qu'il avait le même parcours que moi. Et ça m'a énormément plu cette chanson-là. Mais je la braillais parce que c'était moi aussi. Alors Henri Guédon, vous l'avez dit, il a été formé au violon classique enfant. Et puis après il a déclaré qu'il voulait apprendre le tambour. Et vous le disiez, c'était révolutionnaire.
Vous, votre quête, Jocelyne, va commencer à quand Puisque une fois votre bac D en poche, vous allez vous envoler pour la France hexagonale. Pour des études en pharmacie, vous vous retrouvez pour la première fois toute seule loin du clan familial. Et ça c'est pas rien parce qu'on a parlé de vos cinq frères et sœurs, mais vous avez aussi de nombreux cousins avec qui vous avez grandi. Et à ce moment-là, vous dites que vous en avez profité pour redessiner votre planisphère culturel. Qu'est-ce que vous entendez par là Quand on arrive en France, on rencontre des gens qui viennent du monde entier. Donc en fait, même si j'avais pu voyager un petit peu avec mes parents, parce qu'on était partis quand j'avais 12 ans, on est venus en France. Ma mère était prof, donc elle était fonctionnaire, donc elle avait droit à un voyage vers la France et tout. Donc elle avait amené ses enfants là-bas. Et on allait de temps en temps aussi dans les îles anglaises, etc. Mais on n'allait pas plus loin. Pour moi, j'avais envie de connaître l'Afrique, parce que la seule image de l'Afrique que j'avais, c'était celle qu'on m'avait donnée, c'est-à-dire les gens dans des pirogues en train de piler le mille, etc. Et l'Afrique, vous la découvrez sur le campus universitaire Je la découvre sur le campus, c'est-à-dire que je rencontre énormément d'étudiants africains, mais je rencontre aussi des gens d'Asie. Une de mes meilleures amies était cambodgienne, l'autre était indienne. Ça m'a permis de rencontrer des tas de gens et de mieux connaître leur musique, leur façon de manger, etc. Pour moi, c'était génial. Je m'enrichissais. Le monde entier m'a toujours intéressée. C'était génial de pouvoir vivre avec tous ces gens différents qui venaient. C'était une belle expérience, en tout cas. Vous vous jouez au monde et en même temps, face à ces rencontres, vous vous achirmez en tant que martiniquaise. Et puis vous rencontrez, ça c'est intéressant, je trouve, un autre musicien martiniquais, chanteur et flûtiste, Eugène Mona. C'est lié à cette ouverture au monde et au fait que vous découvriez le tambour. Et à ce moment-là, quand vous rencontrez Eugène Mona, qui est lui-même martiniquais, vous vous rendez compte que chez les Guadoupéens, le tambour n'est pas du tout votre île cousine, voisine. Le tambour, lui, n'est pas du tout banni et qu'il est dans toutes les couches de la société, il anime toutes les couches de la société. C'est vrai que toutes les fois où j'ai été à la Guadeloupe, dans n'importe quelle famille, dans les familles qu'elles soient bourgeoises ou bien moins huppées, on pouvait avoir un mariage, un baptême, il y avait toujours un moment où le tambour pouvait résonner. Alors qu'en Martinique, non, c'était considéré comme un truc de révolutionnaire ou bien des trucs de je ne sais pas quoi, mais enfin bon, le tambour n'était pas en tout cas bien vu. et accepté à la Martinique. Il était resté plutôt à la campagne. Mais Eugène Mona justement a commencé à faire des albums. C'est amusant parce que dernièrement, il y a deux ou trois ans, j'ai eu à aller à la Maison du Bel-et et j'ai rencontré des vieux, des très vieux. Et pour eux, Eugène Mona faisait de la variété. Il ne faisait pas vraiment du Bel-et parce qu'il avait mélangé justement avec d'autres choses. C'est ça qui a fait qu'il ait pu avoir le succès qu'il a eu par la suite. Mais, je veux dire, ses compositions étaient très spéciales et, je veux dire, beaucoup de gens le vénèrent. Et c'était quelqu'un que j'admirais. J'ai eu l'occasion, quand j'étais à Paris, justement, d'aller le voir deux fois jouer dans une salle à Paris. Et c'était fasciné par sa façon, sa tenue sur scène, son côté. Je veux dire, on avait l'impression qu'il était presque possédé par un moment, quoi. Je veux dire, tellement il était dans sa musique, il la vivait entièrement, quoi. Donc, c'était pour moi une révélation, quoi, et tout. Et au fur et à mesure, Quand je commençais à rentrer dans le milieu artistique, j'ai eu l'occasion de le recevoir chez moi avec ces musiciens parce que quelquefois, je recevais, je faisais des petits repas et les gens venaient. Quand vous découvrez l'Afrique, vous découvrez le monde des tambours, vous découvrez aussi le compas haïtien qui régnait pourtant maître à la Martinique, mais comme vous n'aviez pas le droit de sortir, on n'a pas précisé que vous aviez une grande vie avec une éducation bourgeoise et aussi très stricte. Votre papa veillait de près. Il veillait sérieusement sur ses filles. Il disait d'ailleurs, comme mes deux frères qui sont les aînés, ils sont jumeaux, il avait dit, j'avais réglé le nom. Avec les deux frères jumeaux, il a pris le temps de faire ses quatre filles. Bon, après, quand je suis partie, les autres ont été un peu plus libres que moi. En fait, j'ai plein d'anecdotes complètement cinglées. Quand j'étais petite, chez la voisine, il y avait une surprise party. J'ai été, mon père m'a envoyée à 4h de l'après-midi, alors que le truc commençait à 20h. Donc évidemment, je suis là, j'ai réveillé les gens parce qu'ils étaient en train de se reposer. C'est bien, ils ont toute la nuit une soirée et moi j'arrive à 4h, donc ils sont obligés de s'occuper de moi. Et à 8h, il vient me chercher quand tout le monde arrive. Et le soir, comme c'est le voisin, j'entends toute la musique, mais j'y suis pas, c'était ça. Mais bon, je dessinais, je savais m'évader autrement, ça m'a énervée quelques fois, mais bon. C'est à Caen, en tout cas, Jocelyn que la musique va prendre de plus en plus de place dans votre vie. Vous allez commencer à chanter avec vos amis musiciens dans le campus universitaire. Vous achetez votre première guitare avec votre premier salaire. Bon, par contre, les études de pharmacie, c'est pas ça. Et vous allez convaincre votre papa, le fameux, d'arrêter les études de pharmacie pour faire les beaux-arts à Paris. Votre frère Michel vous introduit dans le domaine musical, puisqu'à l'époque, il joue dans les clubs et les pianobars. Et à ce moment-là, vous allez interpréter un répertoire qui vous plaît et qui vous a toujours influencé, la biguine, la boxanova, le jazz. Et vous expliquez qu'en fait, dès que le public français comprenait que vous étiez antillaise et martiniquaise et non pas américaine, tout de suite, l'accueil était beaucoup moins. La titule était différente, oui. C'était comme ça parce que bon en fait je crois que les américains à Paris en fait avaient pignon sur rue. J'avais une amie, elle ne savait même pas chanter, elle a décidé d'aller chanter, elle a été embauchée tout de suite et on l'applaudissait très fortement alors qu'elle ne savait pas chanter. C'est tout mais elle était américaine donc il y avait un côté machin, c'était comme ça à l'époque dans les années 70 par là. Et moi je chantais donc dans un piano bar qui s'appelait Les Bouchons à Paris. Et c'était André Rosine qui gérait en fait le Piano Bar. Et j'ai chanté trois mois là-bas. Et tous les soirs, je chantais Sunny side of the street etc. Et tout le monde Ouais Et je disais Bonsoir Je m'appelle Jocelyne et je viens de la Martinique. Et bien c'était fini. Et les compliments qui m'ont été faits pendant toute cette période-là, c'était surtout les étrangers, les Américains eux-mêmes, parce qu'ils trouvaient que j'avais une façon différente de chanter le jazz. et les brésiliens puisque je faisais aussi des gros standards brésiliens etc. C'était pas facile parce que c'est une mentalité. Vous savez les gens ils aiment bien, puis les américaines elles font plein de cinéma donc quand elles chantent en fait elles n'ont pas peur. Nous on a une espèce de retenue qui fait que bon on chante proprement, mais on va pas faire du grand cinéma alors que elles elles ont l'habitude de le faire. Évidemment ça plaît beaucoup plus au public mais bon je veux dire c'était C'est Antilles qui veut passer pour une américaine, mais je le disais. Mais la plupart des artistes de chez nous se faisaient justement passer pour des américains et certains ont eu un grand succès en chantant en anglais, et notamment les Gibson avec lesquels j'ai chanté. Ils s'appelaient Martinique Express au départ et ça a été changé en Gibson Brothers et ils se sont mis à chanter en anglais et ils ont eu un énorme succès parce qu'ils chantaient en anglais, parce qu'ils se faisaient passer pour des américains. Et j'ai eu des copines aussi, il y avait des groupes plein de groupes ici où il y avait des Antillaises et elles parlaient comme ça chaque fois qu'elles arrivaient quelque part pour qu'on les prenne pour des Américaines parce que quand on savait qu'elles étaient Antillaises, ça ne marchait pas. Avant les Gibson Brothers, vous avez accompagné David Martial qui a été le premier avec lequel vous vous êtes produit sur scène comme choriste professionnel. Cette couleur-là, vous ne correspondez pas trop à la couleur doudouiste, comme vous dites. En fait, les chanteurs que j'aimais étaient des chanteurs à texte. J'aimais chanter Brel, Barbara, Edith Piaf. Et puis quand on partait ailleurs, c'était Mariam Makeba, c'était Sarah Vaughan, c'était Célia Cruz, etc. Donc c'était soit une super voix, soit des textes qui me touchaient, etc. Et très tôt, comme à l'école j'avais appris et l'anglais et l'espagnol, je comprenais, en tout cas j'essayais de comprendre ce que je chantais. Je ne chantais pas des trucs sans savoir ce que je raconte. Et donc quand il y avait vraiment un beau texte, moi c'était ça qui m'intéressait. Quand on faisait des trucs à la Célimène, c'était gay, c'était tout ce qu'on veut, mais c'était pas vraiment mon truc. Mais j'ai appris en fait à me tenir en scène avec lui parce qu'il était vraiment professionnel, donc je respectais, même si sa musique ne me touchait pas vraiment, mais je respectais le travail que je faisais avec lui parce que j'ai beaucoup appris avec lui. On parlait de votre appartement dans le 15e, vous avez d'abord vécu avec vos cousines et qui a accueilli toute la diaspora noire. C'est vrai qu'à ce moment-là, vous, vous étiez, c'était des années de construction identitaire aussi pour vous. Vous avez pris conscience de votre africanité une fois que vous étiez à Paris. Et je parlais de cet appartement parce qu'il a reçu quand même le compositeur américain Randy Weston, les membres du groupe de reggae anglais Steel Pulse, l'artiste américain Peter Tosh. Vous avez eu du très beau monde chez vous, Jocelyne. Et justement vous avez accompagné aussi, vous avez vécu l'explosion du reggae, vous avez vous-même passé quelques mois en Jamaïque aux côtés de Lee Perry et du groupe Third World en 1980 à ce moment-là et c'est une année importante puisque vous allez collaborer avec les Gibson Brothers, vous l'avez dit, vous allez participer au cœur du deuxième album de Kassav avec le morceau Soleil, ça sera votre première collaboration avec le groupe. Et puis, vous avez travaillé avec Manoudi Bongo, Zachary Richard ou encore Bernard Lavillier, qui est en fait le premier artiste, le premier groupe sans aucun autre artiste, musicien ou antillais ou africain avec lequel vous avez travaillé. Et dit comme ça, en fait, on a le sentiment que les collaborations se sont enchaînées et que les choses se sont faites de manière plutôt simple. Mais vous, vous avez vécu ça comment, Jocelyne, à l'époque. À chaque fois, c'était un enrichissement. Même quand je faisais des choeurs, j'ai travaillé avec Daniel Vanguard. Daniel Vanguard, c'est lui qui a fait les Gibson, c'est lui qui a fait la compagnie créole et Ottawa. Pour les choses les plus connues, la rigueur, je l'ai apprise là. J'ai appris à travailler, non pas à faire le job, mais à réellement travailler, à devenir professionnelle. A chaque fois, une nouvelle expérience, et puis ça me permettait de voir comment celui-là... comment il compose, comment il joue. On apprend, tout simplement. Je n'avais pas d'idée précise. Question à venir, je savais que je voulais chanter, j'avais envie de composer des chansons, mais je n'étais pas encore prête à le faire. Donc, je regardais comment faisaient les autres et j'apprenais avec eux. C'était ça, un enrichissement. C'était la pâte gonflée. Nous arrivons à l'année 1982, Jocelyne, où vous remportez la finale du concours de la chanson d'Outre-mer, ici à Paris, Sal Playel. en interprétant le concerto pour la fleur et l'oiseau qui a été composé par le pianiste martiniquais Marius Kultier. Si mon Dieu était tout le moins frais, moi, j'aurais pu changer mon petit oiseau. Je vais le matin de l'église, moi, j'aurais pu voir tout à l'entour. Voilà. C'était une composition de Marius et évidemment, ce n'était pas compliqué de gagner ce concours parce qu'en fait, tout le monde n'avait présenté que des balades. Et je passais en dernier avec cette chanson qui était légèrement rythmée, qui est en fait ce qu'on appelle chez nous un quadrille. C'est le côté C'est un quadrille. Ça a enchanté le public et c'était facile, plutôt facile de gagner ce concours.
Il faut savoir que c'est Jocelyne qui a cousu à la main la robe qu'elle portait ce soir-là. et que par la suite, vous allez vous-même designer tous vos costumes de Casab. Depuis l'époque de Caen, je me suis mise Enfin, je cousais même avant en Martinique parce que j'aimais pas ce que ma mère m'achetait. Je n'aimais pas ce qu'il y avait en magasin, donc je préférais acheter des tissus et créer mes vêtements moi-même. Donc quand je suis arrivée à Caen, évidemment, je n'avais plus la machine à coup de ma mère. Donc j'ai commencé à faire des vêtements uniquement à la main. Voilà, elle a mis deux, trois paillettes là. Et voilà, donc j'avais fait un vêtement. Et comme évidemment, c'était une espèce de gold, c'est ce qu'on appelle chez nous une robe trois trous. Un et puis deux pour les bras. Donc, je dis pour la rendre intéressante et puis avec une petite touche du pays, j'avais mis un madras à la taille. Comme on dit chez nous, m'en marrerais moins. C'est-à-dire que je me suis préparée au combat. Vous avez interprété récemment cette chanson, le concerto pour la fleur et l'oiseau avec Mario Canonge au piano. C'était, je crois, l'année dernière et je vous invite à aller voir cette vidéo parce que vous verrez tout le chemin parcouru entre 1982 et 2022. L'attitude, la voix. Voilà l'ampleur que vous avez gagnée au fil de ces années.
Mario Canonge est ici ce soir et s'il veut bien, j'aimerais qu'il nous rejoigne. Vous venez maintenant, puis après vous reviendrez plus tard, mais je voulais profiter de votre présence parce qu'au moment de ce prix 1982, vous-même, vous êtes en France hexagonale, vous êtes à Paris et vous apprêtez à cofonder une formation qui vous a fait connaître Un groupe de jazz fusion qui s'appelle Ultramarine. Est-ce que vous connaissiez déjà Jocelyne à l'époque 82, 83 Figurez-vous que, je ne sais pas si tu le sais Jocelyne, ma famille connaissait très bien la famille de Jocelyne. Je me souviens même que tes parents étaient venus chez ma grand-mère où j'habitais. J'habitais dans un quartier qui s'appelle Sainte-Thérèse, qui n'était pas dans le petit paradis, mais qui était en bas. Et c'est un endroit où il y avait un très vieux piano, c'est d'ailleurs ce piano que j'ai commencé à jouer. Et mes parents connaissaient tes parents, parce que mes parents sont des gens peut-être même plus âgés que tes parents. Ma mère m'a eu très tard, elle est partie l'année dernière à l'âge de 101 ans. Jocelyne, je l'ai connue en 1983. Je faisais partie d'un concert exceptionnel qui avait lieu à Cannes pour le cinéma. Le chef d'orchestre s'appelait Georges Rabolle, qui était un pianiste classique d'origine antillaise, qui avait monté un big band avec des musiciens qui venaient. de toute la diaspora, mais qu'elle soit antillaise, réunionnaise, de Madagascar, etc. Il y avait tout un mélange cubain. Et j'étais le pianiste, tout jeune pianiste de cette formation. Et Jocelyne avait chanté un morceau, je me souviens. Je pense que c'est Soleil Donc c'était en 1983, je crois. J'avais 3 ans. Et c'est Jocelyne qui ouvrira presque 10 ans plus tard votre deuxième album avec le titre Non, Monsieur Et entre-temps... Votre premier album est sorti en 1981, il s'appelle Retour au Source En tout cas c'est le premier album sous votre nom Est-ce que vous nous accepteriez de nous raconter Mario Canonge Les difficultés auxquelles vous avez été confronté à cette époque-là En tant que musicien entier pour sortir votre premier album Oui, en fait à cette époque-là j'étais dans une maison de disques Qui s'occupait du groupe Ultramarine Et également d'un autre groupe qui s'appelle Sakiyo J'ai eu des compositions qui ont très bien marché dans ces albums, que ce soit dans Ultramarine ou dans le groupe Sakio. En fait, les tubes, c'est moi qui les avais écrits. J'avais proposé aux gens qui s'occupaient des artistes d'enregistrer un album. J'avais des compositions que je voulais enregistrer. Et donc, je les ai invités à nous écouter jouer. Je jouais avec d'autres musiciens qui sont... des musiciens connus aussi sur la scène antillaise et même ailleurs, les frères Fanfan. Ils sont donc venus, mais ça ne nous a pas du tout intéressés. Et donc j'ai été un peu piqué au vif. Je me suis dit, bon, puisque j'avais gagné un petit peu d'argent de la SACEM sur les compositions d'avant, je me lance dans ma propre production. Et donc j'ai pris un risque parce que je n'y connaissais rien du tout. J'ai tout fait, j'ai tout fait, j'ai payé les studios, j'ai payé... tous mes copains musiciens, j'ai toujours payé tout le monde, je me suis débrouillé j'ai fait quelques erreurs aussi, j'ai dû perdre de l'argent dans des chambres, mais enfin, toujours est-il que j'ai enregistré ce premier album et à ma grande surprise, parce que je me disais que si je vendais à cette époque-là 3000 albums, je rentrais à peu près dans mes frais, et ça a marché bien plus que ça il y avait une distribution aux Antilles il y a des gens qui m'appelaient et qui me gueulaient dessus, il n'y a plus d'album qu'est-ce qu'on fait Donc il fallait que j'appelle l'usine, catastrophe, etc. J'ai été obligé de monter une société, une SARL, etc. Donc j'ai produit quelques albums. Je sais maintenant comment ça marche. Bon, maintenant j'ai levé le pied parce que je préfère travailler mon instrument, surtout que les albums se vendent un peu moins, pour ne pas dire beaucoup moins. Mais cette situation, ça te dit quelque chose aussi d'une époque, parce qu'on ne s'en rend peut-être pas compte, où on a oublié que Kassa, au début aussi, a tout fait tout seul. Et que même Pierre-Edouard Décimus, en 1985, a quitté le groupe pour pouvoir s'occuper de tout ce qui est du management, des relations presse, de la production. Vous étiez seule. On était seule. C'est vrai que les premiers albums, il y a eu plusieurs productions, si on peut appeler ça production. Et les autres, en fait, on avait On a eu Georges Debs qui était en fait un disquaire. Il vendait des disques. Donc il nous disait combien ça coûte, on donnait l'argent. Et on allait en studio, on faisait toutes nos affaires tout seul. Mais il n'avait pas de structure. Comment Mais il était passionné. Il était passionné. Il aimait d'ailleurs. Il a produit beaucoup, beaucoup d'artistes de chez nous. On avait du mal en fait à toucher notre argent sur la vente de disques. Parce qu'il avait toujours un prétexte, il disait que comme les artistes avaient besoin de production, d'un producteur, il n'était pas véritablement... Son truc s'appelait GD Production quand même, mais ce n'était pas un producteur. Il donnait l'argent pour faire les disques et puis il les vendait chez lui. Et après, il avait réinvesti dans d'autres disques, donc il ne pouvait pas vous payer. Donc, heureusement qu'il y avait l'assassin. C'était l'argent de l'assassin qui, à plusieurs reprises, a sauvé un peu Kassav. Après des tournées un peu chaotiques, les droits d'auteur que vous touchez ont servi à payer les artistes. Exactement. Mais malgré tout, on le respecte beaucoup parce qu'il nous a permis justement de travailler dans de bonnes conditions, même s'il ne nous a pas donné notre argent. On a pu aller au bout de nos rêves jusqu'à ce qu'on ait eu envie de monter une marche en plus. Parce qu'à un moment, il fallait arrêter quand même. Il fallait qu'on commence à gagner un peu d'argent quand même. Parce que même quand on devait faire des clips, tout ça, ils payaient le clip. Mais on faisait tout tout seul. On cherchait les sponsors, on cherchait les lieux. Tout, tout, tout, tout, tout, tout seul.
Mario, puisque là, on a parlé en 83, vous vous fondez Ultramarine. Vous rencontrez Jocelyne pour la première fois. En tout cas, vous collaborez avec Jocelyne pour la première fois sur scène. Et puis Jocelyne intègre officiellement. Kassav, qui a été fondée quelques années plus tôt, en 1979, par Pierre-Edouard et Georges Desimus, et Jacob Desvarieux, et qui est en train d'inonder le monde avec sa façon inédite de réinterpréter le patrimoine antillais, qui sera bientôt baptisé Zouk, mais ce n'est pas encore le cas à ses débuts. C'était quoi l'idée fondatrice de Kassav Il y a plein de choses qui ont motivé cette envie d'avoir quelque chose de complètement différent. D'abord... On était dominés par toutes les autres musiques chez nous. Il y avait la musique haïtienne qui était extrêmement forte, qu'on aime toujours, qui vraiment dominait. Et puis tous les autres groupes, salsa, etc., qui venaient, quelquefois ils avaient droit à des scènes et compagnie, ils jouaient en scène. Nos groupes faisaient de la musique pour du bal. Et c'est une des raisons pour lesquelles, quand moi je suis partie faire des études, même si j'avais envie de chanter, c'était même pas dans mes rêves. Parce qu'en fait, c'était pas un métier pour femmes. Parce que les musiciens chez nous jouaient essentiellement dans des salles de bal. Il y avait quelques-uns comme Marius qui donnaient des cours, d'ailleurs. Il donnait des cours pour pouvoir survivre, qui jouaient occasionnellement une fois comme ça. Je me demande même s'il était payé quand il jouait dans des pianos, dans des restaurants. Il vendait des pianos. D'ailleurs, une petite parenthèse, c'est vrai que chez nous, il y a énormément de pianistes. Il y a une tradition de pianistes. Mais Marius n'y est pas étranger quelque part parce qu'il a vendu beaucoup de pianos lorsqu'il est revenu du Canada. Il a monté un business de vente de piano et il a inondé la Martinique de piano. Donc en fait, c'était impensable de faire de la musique. Et nos musiques, quand Kassav est arrivé, il fallait tout changer. Ils ont tout étudié, ils ont passé un an à parler. Il y avait Georges Jacob, Pierre-Edouard et quelques autres personnes à côté. Mais c'était surtout Jacob et Pierre-Edouard qui discutaient sur l'état des lieux. les enregistrements, quelques fois les gens enregistraient, tout le monde jouait en même temps. C'est au fur et à mesure qu'il y a eu des studios avec les différentes vies, mais en général c'était directement en stéréo, one take. Et c'était bon, quelques fois même on entend le musicien dire, arrête, c'est fini. Ça swingait, mais ce n'était pas propre. Donc il fallait qu'on amène quelque chose d'audible. On disait qu'il fallait que quelqu'un dise, je n'aime pas, mais qu'il ne dise pas, ce n'est pas bon. Donc il fallait tout changer, tout revoir, jusqu'au nom du groupe. Parce que Pierre-Edouard Desimus avait un groupe qui s'appelait les Vikings. C'était exotique chez nous. Le truc, c'est que quand il jouait pour des touristes, et que les touristes demandaient le nom du groupe, et qu'ils disaient Vikings, neuf fois sur dix, la personne se mettait à rire parce qu'il n'avait rien d'un Viking. Donc il a eu envie quand même de changer la donne et de trouver un nom qui nous ressemble. Kassav a été choisi pour ça. musicalement ils se sont mis à écouter tout ce qui se passait et ils se sont dit il faut qu'on parte de quelque chose et il y avait beaucoup de groupes qui jouaient bon Malavoie faisait Big In, Majorka Vass on aimait, on adore Malavoie jusqu'à ce jour mais c'était de la musique traditionnelle qu'on connaissait et c'était pas là qu'on voulait aller d'autres groupes jouaient des musiques mais c'était des musiques hybrides qui partaient en fait d'un héritage extérieur pour revenir chez nous et on voulait une musique qui nous ressemble, qui soit propre, bien jouée, etc et qui inode éventuellement le monde entier. Et puis qui parle aussi des Antillais. Qui parle aussi aux gens de chez nous. Parce qu'il y avait toute une philosophie. C'était le texte. Le texte devait être positif. C'est-à-dire qu'on ne tire pas les gens vers le bas. Il fallait qu'on sublime la langue. Donc c'était un réel travail. Moi, j'ai commencé à ce moment-là à acheter des dictionnaires de créole. Je me suis fait mon dictionnaire de rimes créole. Et puis revisiter toutes les paroles qu'on ait pu entendre en créole. où il y avait des images qui étaient fortes, etc. Quand je dis tracas tejalas volé domi moins les tracas avaient volé mon sommeil, c'était un peu ça. Ce sont des images, c'est ce type d'images-là qu'on a dans le créole de chez nous. Par exemple, pour dire je vais dormir il y a des gens qui disent ma poinçon meille ce n'est pas juste, en créole c'est son meille prend en moins parce qu'en fait, on est là tranquille et brusque. parce que moi on n'est plus là. Donc c'est le sommeil qui est venu te voler. C'est la façon de composer les phrases en créole, c'était ça. Donc il fallait réapprendre tout ça. Au niveau des arrangements, ils ont tout, comme on dit, décatillé. C'est-à-dire qu'ils ont enlevé chaque machin pour savoir où ira-t-elle ou telle chose. Il ne faut pas qu'un son gêne un autre. C'est-à-dire le travail normal d'un compositeur, etc. Chose qui ne se faisait pas chez moi. Chez nous, on apprenait tout seul à jouer de la musique. si on n'avait pas de professeur de piano classique, etc. Mais on apprenait tout seul en général. Tous les trombonistes, ils ont appris tout seul. Je ne vous raconte pas quelquefois ce que vous pouvez entendre. Mais ils avaient de la bonne volonté. Ils réussissaient à jouer et à faire swinguer le morceau. Parce qu'on a eu affaire à d'excellents musiciens, des lecteurs qui peuvent jouer en place et compagnie, mais qui n'ont pas le swing qu'il faut pour réellement machin. Donc quelquefois, quand il y avait des partitions, ils étaient obligés de chanter le morceau pour qu'ils puissent mettre le... Le truc, le mousasage, comme on dit chez nous, qui amène la personne, qui te fait comprendre quelle est l'émotion qu'il y a là, tu vois, c'est ça. Et donc, c'était tout ce travail de fond qui a été fait. Et vraiment, le démarrage de Kassaf, ce n'était pas un démarrage, on va faire en groupe, on va faire des morceaux et puis on va vendre des disques, ce n'est pas ça. C'était vraiment l'envie de tout prendre à zéro. Et donc ils ont commencé avec, puisqu'ils étaient tous guadeloupéens, ils ont commencé avec le Ausha guadeloupéen. Je vous invite à écouter Love and Cadence, le premier album de Kassav qui est sorti en 1979.
Et voilà ce titre éponyne qui est un hommage au maître tambourinaire guadeloupéen Tivello. Oui, vous parliez de la démarche identitaire de Kassav et de l'importance du créole. Il y a quelque chose que j'ai compris en préparant notre rencontre, Jocelyne, c'est que, grâce à vous, Et à vos textes et aux chansons que vous avez composées, l'intime est rentrée dans le créole. En fait, avant vous, avant vos textes et avant Kassav, on ne savait pas dire je t'aime en créole, en chanson. Si, quand même, il y avait des gens qui le faisaient, mais c'était plus dans la chanson traditionnelle, ils étaient rares. Il y avait M. Jonathan, par exemple. qui faisait de très belles chansons douces, des valses, etc., des chansons d'amour en créole. Mais en général, c'est vrai que la plupart des chansons, les slow, par exemple, qui parlaient d'amour, parce qu'en général, les autres morceaux ne parlaient pas vraiment d'amour, c'était plutôt en train de dénigrer la femme ou l'homme, mais quand il s'agissait d'amour, c'était chanté en français, généralement. Et il y a des écrivains qui sont venus nous remercier en disant Enfin On chante l'amour en créole. Et c'est vrai qu'on a un peu ouvert le chemin à ça. Comment vous expliquez qu'aujourd'hui encore, on a une vision tronquée, en France hexagonale en tout cas, encore de Kassav C'est très simple. La France, c'est 65 millions d'habitants. Les Antilles, c'est, dans mon île, 350 000 maintenant. On ne fait pas le poids. C'est David-Cante-Goliath. Donc c'est à nous, si tu veux, de faire le truc. Au fur et à mesure, il y a des efforts de fait. Mais ça reste toujours dans un truc, on retrouve toujours les mêmes choses. C'est-à-dire que comme si, si tu veux, ce n'était pas une histoire qui pouvait être intéressante, moi je pense que toutes les histoires sont intéressantes. Moi, si ça m'amuse de connaître l'histoire de la Corée, je ne vois pas pourquoi la France n'est pas intéressée par l'histoire de la Martinique ou de la Guadeloupe. Donc c'est à chacun, en fait, de faire la démarche et de se dire, tiens, il y a quelque chose qui se passe par là, mais pourquoi ça se passe par là essayer de comprendre le pourquoi. En général, on disait, vous ne comprenez pas trop, à chaque fois que vous parlez, il faut toujours parler de l'esclavage, ou des machins comme ça. Il y avait toujours un tas de préjugés, des choses, machins, où en fait, on n'a pas le droit de citer, comme si on était le citoyen qui n'était pas attendu, ou quelque chose comme ça. En tout cas, quand on arrive ici, moi j'ai toujours cru que j'étais française, quand j'étais petite. J'avais mon petit drapeau le 14 juillet dans la ville de Fort-de-France. Et quand je suis arrivée en France, j'étais plus française. Ça a été très vite. Je ne me suis plus sentie française. On me faisait sentir que je ne l'étais pas, c'est tout. Je n'avais pas forcé les gens à m'accepter ni quoi que ce soit. Alors j'ai un passeport français, oui ça tu ne peux pas te battre contre ça, je suis née avec. Je ne l'ai pas acheté, on ne m'a pas demandé, je suis née avec. Il y a un sérieux problème, je pense que si nous nous avons appris les affluents de la Seine, de la Loire, d'Agaron, etc. à droite et à gauche. Je veux dire, on n'a jamais appris où se trouvait la Martinique, à tel point que mon cousin, dans les années 70, quand il était à Montpellier, on lui a demandé combien d'heures de train à 8000 kilomètres pour arriver chez toi. Parce que, bon, la personne ne savait pas que c'était une île qui se trouvait à tel endroit sur la mapmonde, c'est tout. Bon, elle n'a pas cherché, elle pouvait chercher. Mais, je veux dire, il n'y a pas eu une politique, si tu veux, de D'ailleurs, tout à l'heure, on a parlé des dom-toms. Je refuse ça. Je refuse, je ne suis pas Dom-Tom. Dom-Tom, c'est un truc qui appartient à la France, c'est un truc politique, c'est machin. Moi, je suis de la Martinique et j'ai quelque chose à raconter en tant que martiniquaise. Et je ne crois pas que je vienne faire la guerre à qui que ce soit. Je viens juste dire, me voilà. Et voilà ce que j'ai à vous offrir. C'est tout. Et ça, je pense que chaque personne qui a du talent ou qui a envie de rencontrer l'autre, en fait, moi, ça me plaît de rencontrer l'autre, de savoir d'où il vient, ce qu'il fait, quelles sont ses traditions, etc. Et pourquoi je n'aurais pas l'occasion de dire à l'autre, mais voilà moi qui je suis. Par contre, on vous a déjà mis sous une bannière de La musique, c'est Kassab, c'est le soleil On voit ça sur tous les machins. Nuit, torride avec Kassab, ces machins, c'est la chaleur. C'est vrai que la musique de Kassab, elle est festive, elle est énergique. Elle a été faite de cette façon-là pour pouvoir justement capter, attirer les gens. Donc quand tu machines, quand tu truques, la musique, elle est bien, tu finis par écouter les paroles. Alors évidemment c'est incroyable, tout le monde ne comprend pas. À une époque j'ai mis quelques traductions rapides de textes qui méritaient peut-être d'être un peu mieux écrites. Donc dans le livre je mets souvent des petits bouts de paroles pour qu'on voit un petit peu ce qu'on raconte. Mais c'est vrai que quand vous disiez qu'il y avait une portée politique, au début on a parlé un peu de l'histoire, Balade à Bellebois, etc. Il y avait des chansons traditionnelles qui avaient été reprises aussi à notre manière. Et au fur et à mesure, les textes ne devaient vraiment pas n'y être injurieux. ni être médisant, ni être incité à la violence, mais plutôt à la réflexion, et puis à la compréhension de l'autre. Parce qu'en fait, le truc, pourquoi on est dans un tel bordel aujourd'hui, c'est parce que personne n'a envie d'entendre l'autre, et que tout le monde sait tout, tu vois, et que tout le monde a une solution à tout, tu vois, mais c'est surtout quand ils sont cachés derrière leur écran d'ordinateur. Donc, aujourd'hui, c'est vraiment terrible, la communication avec les gens, alors que... Moi, j'ai toujours appris, en tout cas dans ma famille, on avait l'habitude de parler entre nous, d'échanger, de discuter. On n'était pas d'accord, mais on discutait. Quelquefois, le ton montait, mais on discutait. Et bon, quand on arrive là, c'est le soleil et puis c'est tout. Tu vois, c'est la plage d'ailleurs. Beaucoup de gens, c'est ça, comme s'il ne doit pas pleuvoir aux Antilles. Par contre, les endroits où il ne pleut pas, les gens font des prières pour que la pluie tombe parce que c'est quand même nécessaire. Mais il ne faut pas qu'il pleuve. Il ne doit faire que beau, etc. On doit être gentil, boire des ponches, rire très fort. C'est l'image, c'est la craquature. Et c'est assez insupportable parce qu'en fait, on traverse tout ça. Et quand même, quand on a eu à signer avec Sony Musique par derrière, c'était aussi, on avait malgré tout du mal alors qu'on était Cassav, il fallait que Cassav fasse toutes les télés et tout, et on les a toutes faites. On était rarement interviewés, rarement. Comme si on n'était pas capable de tenir un micro et de dire, de composer une phrase correcte, tout simplement. Je fais un petit retour en arrière pour parler d'une année importante pour vous et pour Kassav. Jocelyne, c'est l'année 1985. Avant de faire le premier Zénith, sans l'aide d'aucun média d'ailleurs, vous allez remplir ce Zénith, vous faites votre première tournée en Côte d'Ivoire avec Kassav, qui est le début d'une longue et belle histoire d'amour avec le continent africain. Alpha Blondie, dans un documentaire qui est consacré à Kassav, dit d'ailleurs que Kassav n'est pas français, Kassav fait une musique africaine et l'Afrique a épousé Kassav. Vous avez joué de part et d'autre du continent et notamment en Angola où vous remplissez des stades. En Angola où il y a le seul musée du zouk aujourd'hui dans le monde. Premier Zénith de Kassav aussi en 85 et premier gros succès. Je voulais qu'on s'y arrête parce que justement ce texte, il a été entendu, son message par les femmes des Antilles. Mauvais jou. Peut-être qu'on va l'écouter pour rappeler des bons souvenirs.