Speaker #0Je m'appelle Catherine Reynars, je suis gastro-entérologue au CHU de Liège. Je suis professeure associée et chargée de cours associée dans l'équipe du professeur Louis. Son maladie inflammatoire chronique intestinale depuis quasiment une vingtaine d'années, donc déjà depuis le début de ma spécialisation, c'est mon orientation quasiment à 100%. Mes patients sont essentiellement des patients avec maladies de Crohn, maladies celiaques et rectocolites ulcéro-hémorragiques. Je reste impliquée dans la recherche, qui au départ était plutôt de la recherche fondamentale. Et puis maintenant, je fais plutôt de la recherche transitionnelle et également de la recherche clinique. Je suis impliquée dans différentes sociétés savantes, à savoir le BIRD en Belgique et le JETED en France. Un patient doit venir nous consulter, je pense, dès que les symptômes sont soit extrêmement intenses, Donc avec des diarrhées très intenses, avalidantes, des crampes vraiment très fortes. Et puis quand il y a également une altération de l'état général, c'est-à-dire une perte de poids, une difficulté à s'alimenter. Donc ça, il faut vraiment consulter de façon assez rapide. Et puis je pense également que le patient doit venir consulter un gastro-entérologue quand les symptômes sont peut-être plus modérés que des diarrhées plus modérées, 3, 4, 5 fois par jour, des douleurs moins fortes, mais qui néanmoins s'éternisent au fil du temps, se chronifient, durent depuis plusieurs mois. Idéalement, c'est quand même bien de toujours aller trouver son médecin généraliste pour ce type de plaide, pour déjà faire un premier bilan de débroussaillage, essayer déjà différents traitements symptomatiques. Et si l'approche avec le médecin généraliste ne convient pas, le patient doit alors venir nous consulter de façon à ce qu'on puisse aller plus en avant dans les examens et tenter de poser un diagnostic. Les deux maladies inflammatoires dont on parle, c'est la rectocolite ulcéro-hémorragique ou colite ulcéreuse comme ils disent en France et la maladie de Crohn. Dans la rectocolite, les symptômes sont assez francs et il y a relativement peu d'errance diagnostique. Le diagnostic est généralement posé en l'espace de quelques mois parce que le patient va systématiquement présenter des diarrhées sanglantes. Et quand on a des diarrhées sanglantes, on est inquiet et on consulte extrêmement rapidement. pas tellement de douleurs dans la rectocolite ulcéro-hémorragique, des douleurs avant d'aller à la toilette, mais ce ne sont pas les douleurs qui sont en avant-plan. Et alors le gros problème de ces patients, c'est qu'ils ont vraiment des urgences, ils doivent se précipiter aux toilettes, ils ont parfois des accidents, et ça c'est quelque chose qui est très invalidant. La maladie de Crohn, les symptômes sont parfois moins francs. Ce sont des patients qui ont généralement des diarrhées, mais qui peuvent être des diarrhées très importantes, jusque 10 fois par jour, ou plus modérées, 3, 4, 5 fois par jour, qui vont moins attirer l'attention. C'est la même chose pour les douleurs. Les douleurs peuvent être plus modérées, plus intenses, plus fluctuantes. Et donc c'est vrai que dans la maladie de Crohn, le tableau est parfois moins évocateur d'emblée et on a parfois vraiment une errance thérapeutique comme on a pu le voir dans l'histoire de Véronique par exemple où parfois ça met plusieurs mois, plusieurs années pour qu'un diagnostic puisse être posé. Il y a des symptômes digestifs mais il y a aussi des symptômes qu'on appelle extra-digestifs et la fatigue est un vrai problème chez nos patients avec maladie de Crohn et avec rectocolite. C'est quelque chose que les patients nous rapportent. Je pense ici notamment au cas de Sébastien qui nous décrit cette fatigue intense qui l'empêche d'aller travailler de façon normale, qui le stresse parce qu'il a l'impression qu'à cause de cette fatigue intense, il ne peut plus assumer sa vie professionnelle, sa vie familiale. C'est vrai que c'est démontré que bien sûr, si la maladie est active, le patient est fatigué dans 80% des cas, mais même quand la maladie est bien contrôlée, le patient peut garder de la fatigue dans 30 à 50% des cas. C'est un symptôme qui est extrêmement difficile à traiter. Bien entendu, il faut corriger les carences, bien entendu, il faut vérifier que la maladie n'est pas active, mais quand tous ces paramètres sont au vert, le patient peut rester fatigué. Nous, au CHU de Liège, on a mis en place un trajet pour accompagner les patients avec un coaching fatigue dont les patients sont extrêmement satisfaits. Pour poser un diagnostic de maladie inflammatoire intestinale, il n'y a pas un examen qui va vous donner vraiment le diagnostic de façon formelle. Le diagnostic d'une maladie inflammatoire intestinale se pose par une association de symptômes typiques, par une association d'examens tout à fait suggestifs de la maladie. Ça signifie que le patient va avoir une prise de sang, une analyse de sel pour rechercher l'inflammation, mais ce qui va véritablement nous permettre de poser ce diagnostic, c'est l'endoscopie. Donc il faut que le patient passe une colonoscopie, on va bien regarder le colon, on va bien regarder le petit intestin. Dans la maladie de Crohn, la gastroscopie est importante également. On va faire des petits prélèvements pour une analyse au microscope et ces éléments vont en général nous permettre de poser un diagnostic parce qu'on va voir des lésions, on va voir de la rougeur, on va voir des ulcères qui... en association avec les symptômes présentés par le patient, sont compatibles avec une maladie inflammatoire de l'intestin. L'annonce de ce diagnostic n'est pas toujours facile parce que c'est vraiment un coup de massue et c'est quelque chose qui va changer leur vie pour toujours. Dans un premier temps, les patients sont parfois soulagés, c'est vrai, parce qu'on a enfin mis un mot sur ce qui pose problème. Ça a dû être le cas de Véronique et d'Émilie qui se sont sûrement sentis très soulagés qu'on puisse enfin poser un diagnostic et du coup se sentir compris par rapport... aux plates qu'elles évoquaient depuis des années. Mais c'est vrai que les patients sont également parfois un peu perdus parce qu'ils ne savent pas tout à fait de quoi on parle. Donc il faut prendre du temps pour expliquer aux patients ce qu'est la maladie, ce que ça va impliquer, quels sont les traitements qu'on va tenter de mettre en place. Et c'est vrai que c'est un coup de massue parce qu'on peut se rendre compte que ça va avoir pas mal d'applications dans la vie sociale, professionnelle. Et je pense par exemple à Ibrahim, qui est un patient qui travaille dans l'armée. Donc c'est un patient qui a beaucoup de déplacements, qui est sur des bateaux, qui a un métier avec une activité physique majeure. Il est certain qu'un patient comme Ibrahim, quand on lui annonce ce type de diagnostic, il est dans l'incertitude et dans la peur. Il se dit, mais comment vais-je pouvoir combiner ça avec ma vie professionnelle ? Donc oui, ce sont des diagnostics difficiles à annoncer et les patients se rendent assez rapidement compte des implications majeures que ça peut avoir sur leur quotidien. Dans les différents récits qu'on a entendus, on se rend compte que les patients... au moment du diagnostic, se retrouvent avec un traitement par cortisone. Donc c'est vrai que parfois au moment du diagnostic, le temps d'une part qu'on fasse un petit peu l'état des lieux de la situation, qu'on comprenne un petit peu mieux la maladie, on passe par la case cortisone pour un peu éteindre l'incendie, le temps de trouver une solution plus appropriée. L'autre raison pour laquelle on propose de la cortisone immédiatement, c'est également pour des questions de critères de remboursement. On ne peut pas accéder à certains types de traitements si on n'est pas... passer par la case cortisone pendant une période de 2 à 3 mois. Ça, c'est pour le diagnostic. Maintenant, les objectifs que nous poursuivons, c'est que le patient soit bien, soit en rémission, mais sans cortisone, parce que la cortisone est un traitement qui fait beaucoup de dégâts sur le long terme. Moi, je dis toujours aux patients qu'en plus de ça, c'est un cache-miseur, parce que ça ne va pas faire cicatriser l'intestin en profondeur. Et donc, dans le suivi, il faut vraiment éviter au maximum les cures répétées de cortisone chez nos patients. Si le patient a besoin de faire des cures de cortisone de façon répétée, même... une fois par an, sait que la maladie n'est pas bien contrôlée et qu'il faut changer le traitement de fond. Pour la prise en charge thérapeutique des patients, malheureusement on ne dispose pas d'un algorithme préétabli, ce serait trop facile. Donc c'est vrai qu'on a des canevas, on a différentes pistes de traitement, puis on est également bloqué par les conditions de remboursement qui nous sont imposées. Mais c'est vrai qu'en général on essaye vraiment de proposer le traitement le plus adapté d'une part à la pathologie du patient. mais également au profil du patient, puisqu'on a des patients qui sont plus fragiles, on a des patients moins fragiles, on a des patients qui voyagent, on a des patients qui sont plus sédentaires, on a des patients chez qui il faut agir vite parce que les symptômes sont excessivement invalidants, des patients chez qui on a un petit peu plus de latence parce que les symptômes sont moins invalidants. Et donc tous ces éléments vont être pris en compte pour faire un traitement sur mesure pour nos patients et tenter de choisir ce qui leur conviendra le mieux à tout point de vue. En gros, tous les traitements disponibles fonctionnent, mais il existe dans 10 à 15% des cas ce qu'on appelle des non-répondeurs primaires, donc un patient qui ne répondra pas au traitement qu'on lui propose. Et donc dans ces cas-là, heureusement, nous avons d'autres options thérapeutiques à proposer, jusqu'à in fine trouver le traitement adéquat pour le patient. Ou alors on peut avoir un patient qui est très très bien avec un traitement, et puis qui au fil du temps va perdre la réponse à ce traitement, ça c'est quelque chose qu'on peut également observer. C'est ce qu'on appelle une perte de réponse secondaire. Dans ce cas-là, on peut retrouver une réponse en augmentant le traitement. C'est peut-être la première chose à faire. Sinon, heureusement, au jour d'aujourd'hui, nous avons toute une série de lignes de traitement qui nous permettent de proposer d'autres options aux patients si ça ne va pas avec la molécule qu'ils prennent au moment où ça ne va pas. Les objectifs que nous poursuivons pour le moment sont beaucoup plus ambitieux que par le passé. Donc c'est vrai que par le passé, si le patient avait une amélioration de ses symptômes, en gros l'objectif était atteint. Maintenant on est beaucoup plus ambitieux. On est beaucoup plus ambitieux parce que d'une part on a les moyens de l'être, puisqu'on dispose de beaucoup plus de traitements intéressants et efficaces. Et d'autre part on sait que si on va plus loin que les symptômes, si on arrive à cicatriser l'intestin, le patient aura un devenir qui est bien meilleur, avec beaucoup moins de complications, avec beaucoup moins de chirurgie, d'hospitalisation. Donc ça, c'est un objectif qui est tout à fait important et on va même encore plus loin. Comme on dit, on va soigner nos patients au-delà du tube digestif, l'objectif étant que le patient retrouve vraiment une qualité de vie excellente et puisse revivre tout à fait normalement avec sa maladie. Il est évident que c'est un objectif qui est possible à partir du moment où le patient est pris en charge de façon adéquate assez rapidement. Une patiente comme Véronique, qui a été victime d'une errance thérapeutique assez longue, j'ai envie de dire que l'inflammation a déjà fait beaucoup de dégâts et peut-être que chez cette patiente, on n'arrivera pas à faire cicatriser complètement l'intestin. Donc chez certains patients compliqués ou chez certains patients avec des maladies assez anciennes, faire cicatriser les lésions les plus sévères est quelque chose qui est déjà excessivement satisfaisant. Mais chez des patients plus jeunes diagnostiqués précocement, on sait qu'il est tout à fait possible d'obtenir une cicatrisation de l'intestin. et celle-ci est associée à un meilleur devenir du patient, de sa qualité de vie et beaucoup moins de complications dans le futur. En Belgique, nous avons vraiment beaucoup de chance parce qu'il existe de très nombreux centres spécialisés dans les maladies inflammatoires intestinales. En fait, les patients ne le savent peut-être pas toujours, mais la Belgique est un des pays qui contribue le plus à la recherche scientifique et à faire progresser. les connaissances dans le milieu des maladies inflammatoires. Et donc j'ai envie de dire que tous les centres universitaires, que ce soit en région flamande, en région bruxelloise ou en Wallonie, sont capables de traiter de façon très pointue et très précise les patients avec des maladies inflammatoires. Et donc dans des cas plus compliqués ou même d'entrée de jeu dès le diagnostic, ces patients peuvent être suivis dans un centre spécialisé. Je peux tout à fait comprendre que c'est difficile psychologiquement de venir voir le docteur régulièrement, de faire des examens qui touchent vraiment à l'intimité. De donner des échantillons de sel, nous ça nous paraît banal, mais pour les patients ça ne l'est pas. Et on peut comprendre qu'un patient comme Ibrahim, par exemple, ait eu envie de tout arrêter, de tout stopper, parce que ce suivi était relativement lourd à ses yeux. Mais il est vraiment important de garder un suivi avec son gastro-entérologue, de faire de façon régulière des analyses de sel qui vont permettre de détecter l'inflammation avant que le patient ne soit symptomatique, et de façon pas forcément très fréquente mais régulière, d'aller vérifier par des examens. comme une échographie, comme une colonoscopie, que l'intestin se porte bien. C'est vrai qu'il y a les visites chez le gastro-entérologue, il y a la prise de médicaments bien sûr, mais le patient à côté de ça peut aussi tenter de mettre en place des choses de son côté. Ce qu'il peut déjà mettre en place, c'est une alimentation saine et équilibrée. Ça peut paraître un peu bateau comme conseil, mais c'est clairement démontré que si on a une alimentation saine méditerranéenne, où on consomme relativement peu d'aliments ultra transformés, c'est tout à fait bénéfique pour le tube digestif. On parlait de la fatigue, je pense que c'est aussi très important que le patient puisse écouter son corps et puisse trouver des aménagements au niveau de leur vie professionnelle, au niveau de leur vie personnelle, pour arriver à combiner cette fatigue dans leur quotidien. Et donc ça, je pense que ce sont déjà toute une série de choses que les patients peuvent tenter de mettre en place. Ce qui est très important également dans la prise en charge de nos patients à tas de maladies inflammatoires intestinales, c'est la relation médecin-patient. C'est quelque chose qui n'est pas toujours simple parce que ce sont des maladies qui touchent à l'intimité, ce sont des maladies extrêmement invalidantes au quotidien. Et on a pu voir par exemple dans le cas d'Ibrahim qui avait une rupture par rapport à sa prise en charge médicale liée à une mauvaise relation, à une mauvaise communication. Et donc je crois qu'en tant que médecin, c'est important d'être à l'écoute de nos patients, d'essayer de ne pas les aborder de façon trop frontale. S'il y a des discordances entre nos objectifs personnels et les objectifs du patient, je pense qu'il faut faire preuve de patience, il faut expliquer aux patients les enjeux, mais il faut aussi savoir les écouter et tenir compte de leurs remarques, de leurs suggestions, et les rendre véritablement actifs et impliqués dans leur prise en charge. Ce sont des maladies qui sont excessivement invalidantes socialement, et ça je pense que l'entourage ne s'en rend pas toujours compte, et même les médecins parfois ne s'en rendent pas toujours compte. Donc je pense par exemple à Émilie, qui a une rectocolite. Ce sont des personnes qui se plaignent de selles excessivement urgentes, qui ne savent pas toujours retenir ces selles, et donc ils peuvent se retrouver dans des situations où ils sont à l'extérieur et il leur faut trouver des toilettes de toute urgence, sinon ils ont un accident. Et donc malheureusement, ces patients finissent par se replier sur eux-mêmes, ne sortent plus de chez eux, n'ont plus aucune vie sociale. Et moi, j'ai une de mes patientes qui m'a dit, mon souhait le plus cher, c'est de pouvoir aller refaire les courses au supermarché. Donc je trouve que c'est quelque chose de très interpellant. Et donc évidemment, avec la prise en charge thérapeutique, Une fois que la maladie sera sous contrôle, le patient va pouvoir revivre le plus normalement possible, voire complètement normalement, et il pourra retrouver une vie sociale. Le problème, c'est que ce type de situation, et c'est le cas d'Emilie ou c'est le cas de Véronique, qui n'ose plus partir en vacances, ça laisse des séquelles psychologiques tout à fait majeures. Ce sont des patients qui sont marqués au fer rouge pour toute leur vie et qui vont garder des appréhensions par rapport au fait de sortir et d'avoir une vie sociale parce qu'ils ont eu de très mauvaises expériences par le passé. Ce qui est réjouissant aujourd'hui, c'est qu'on a des objectifs de plus en plus ambitieux pour la prise en charge de nos patients. On ne se contente plus uniquement de traiter les symptômes, on essaye véritablement de cicatriser l'intestin. Et alors on essaye également de traiter le patient en tant que tel, au-delà de sa maladie intestinale. Donc on essaye véritablement que le patient retrouve une vie normale, retrouve une qualité de vie excellente. Et donc ça, ce sont véritablement nos objectifs aujourd'hui. Et donc ça, je m'en réjouis véritablement.