Speaker #0Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans Pédago, le podcast qui vous accompagne dans la formation. Je suis Benjamin Gagneux, designer pédagogique spécialisé dans la création d'expériences de formation engageantes et impactantes. Ensemble, je vous propose de découvrir les méthodologies et les outils pour vous permettre de développer concrètement votre pratique en tant que professionnel de la formation. Vous le savez, nous n'avons jamais fini d'apprendre, alors Pédago, c'est parti !
Aujourd'hui dans Pédago, je vous propose un retour aux sources. Un voyage dans la Grèce antique pour comprendre comment trois géants de la pensée, Socrate, Platon et Aristote, ont posé les fondations de ce qu'on appelle aujourd'hui la pédagogie. Nous parlerons de maïotique, de réminiscence et d'éducation par l'action. Mais surtout, nous verrons comment ces idées, vieilles de plus de 2000 ans, peuvent nourrir nos pratiques pédagogiques d'aujourd'hui.
Commençons par Socrate. Socrate, c'est d'abord une voix. Il n'écrit rien, il marche, il parle, il questionne. Il fait de la rue de la cité un lieu de réflexion collective. Mais attention, Socrate ne livre pas de vérité toute faite. Non, lui, ce qu'il cherche, c'est la vérité, mais avec vous. Et pour cela, il utilise une méthode aussi puissante que subtile, la maïotique. Alors la maïotique, qu'est-ce que c'est ? Ça vient du grec ancien maïotiké, qui veut dire l'art de l'accouchement. Et justement, Socrate dit lui-même qu'il a hérité cet art de sa mère Phénarète, qui aurait été sage-femme. Je dis « aurait été » puisque la véracité historique de cette anecdote n'est pas prouvée et qu'il pourrait s'agir d'un procédé de Socrate pour renforcer son propos. Bref. Mais lui, au lieu d'aider les femmes à accoucher de leur enfant, il aide l'esprit de ses interlocuteurs à accoucher de leurs idées. Autrement dit, la magnétique est une méthode de questionnement qui vise à faire émerger les connaissances que l'on porte déjà en soi en guidant la réflexion plutôt qu'en transmettant un savoir. Par exemple, plutôt que d'expliquer ce qu'il courage, il poserait des questions comme « un pompier est-il courageux ? » Ou peut-on être courageux sans avoir peur ? Jusqu'à ce que la personne clarifie elle-même ce qu'elle pense vraiment du courage. Socrate considère que chacun porte déjà en lui le savoir, mais qu'il faut l'aider à l'extraire. Comme une sage-femme qui ne crée pas la vie, mais accompagne sa venue au monde, Socrate, lui, ne transmet pas des savoirs, il fait émerger la pensée par le dialogue. « Ce que je sais, c'est que je ne sais rien. » Cette célèbre maxime attribuée à Socrate par son disciple Platon, est la base de ce que l'on appelle l'ironie socratique, le procédé par lequel Socrate feint de ne rien savoir en se plaçant dans la posture de l'ignorant. Et c'est le début d'un processus en plusieurs étapes. L'énoncé d'une opinion par l'interlocuteur, s'en suit une série de questions de Socrate qui montrent que cette définition ne tient pas, la prise de conscience que on ne sait pas vraiment ce que l'on croyait savoir, et enfin, parfois, l'émergence d'un savoir plus solide, plus réfléchi. C'est un processus presque socratique de déconstruction-reconstruction. Alors oui, parfois, Socrate pouvait être un peu... agaçant. Mais en réalité, ce qu'il cherche, c'est réveiller les consciences. Il invite à penser par soi-même, à ne pas se contenter d'idées toutes faites, à exercer ce que l'on appellerait aujourd'hui la pensée critique. Et dans notre métier de formateur et de formatrice, c'est un véritable trésor. Parce que questionner plutôt qu'expliquer, c'est souvent beaucoup plus puissant. Parce que mettre les apprenants en position de chercher, De douter, de construire leur savoir, c'est là que naît un apprentissage profond et durable. Le questionnement est une méthode intéressante pour faire participer les élèves, mais attention, si l'enseignant guide trop fortement, ce n'est plus vraiment l'élève qui raisonne. Il suit simplement le chemin tracé par le formateur, sans faire de véritables découvertes par lui-même. Cela dit, lorsqu'il est bien structuré, un questionnement qui mène à une forme de découverte, comme dans la maïotique, reste très pertinent. Des recherches montrent d'ailleurs que les élèves apprennent mieux et retiennent davantage lorsqu'ils sont guidés par des questions plutôt que lorsqu'ils écoutent un cours magistral.
Passons à Platon, disciple de Socrate, qui va reprendre ses bases et les prolonger avec une vision plus philosophique et métaphysique de l'éducation. Contrairement aux sophistes de l'époque, qui pensent que tout savoir est relatif, Platon croit que la vérité existe et qu'elle se situe dans un monde idéal, au-delà du monde sensible, le monde des idées. Cette vérité est indissociable du bien et du beau. C'est pourquoi, chez Platon, apprendre n'est pas comprendre. C'est aussi devenir meilleur moralement et développer un jugement juste. Dans son œuvre La République, Platon imagine un système élitiste basé sur une éducation rigoureuse et hiérarchisée. Il y propose que seuls les esprits les plus éclairés accèdent aux fonctions de gouvernement, ce sont les fameux philosophes rois. Pour Platon, l'apprentissage n'est pas seulement une affaire de transmission, c'est un cheminement de l'âme. Il estime que l'âme humaine a déjà contemplé les vérités éternelles avant de s'incarner dans un corps et que le rôle de l'éducation et d'aider cette âme à se souvenir. Ce processus, la reconnaissance, il l'appelle la réminiscence. L'enseignement, chez Platon, est donc un moyen d'élever l'âme vers le monde des idées. Un monde parfait, immuable, que seule la raison et le savoir permettent d'atteindre. Et ce n'est pas tout. Il insiste aussi sur la structure du dialogue, la dialectique, pour progresser dans la pensée. Chez lui, le débat n'est pas une confrontation, c'est un moyen de faire émerger la vérité. Platon, en somme, c'est celui qui inscrit la pédagogie dans une quête existentielle. Apprendre, c'est devenir meilleur, plus juste, plus éclair.
Et pour finir, parlons d'Aristote. Philosophe rigoureux, empiriste avant l'heure et surtout, penseur d'une véritable politique de l'éducation. Car oui, pour Aristote, l'éducation ne relève pas seulement de la famille ou des maîtres privés, comme c'était courant à son époque. Non, il affirme que l'éducation est une responsabilité de la cité. Elle doit être organisée, pensée, institutionnalisée par l'État. Il fonde d'ailleurs sa propre école à Athènes, le lycée. Une école où il dispense deux types d'enseignements. Le matin, des cours dits. ésotérique réservé aux disciples avancés, l'après-midi des cours exotériques ouverts à tous les citoyens. Une vraie volonté de diffuser le savoir tout en maintenant un niveau d'exigence pour ceux qui veulent approfondir. Ce qui est fascinant chez Aristote, c'est qu'il distingue deux grandes formes d'éducation. L'éducation par la raison, qui passe par l'enseignement, l'analyse et la logique, et l'éducation par l'habitude, qu'on pourrait rapprocher aujourd'hui de ce qu'on appelle la pédagogie active. Et attention ! Quand Aristote parle d'éducation par l'habitude, il ne parle pas d'un simple dressage répétitif. Il veut dire que c'est en pratiquant qu'on apprend réellement. Dans l'éthique à Nicomac, il donne un exemple limpide. C'est en construisant qu'on devient constructeur, en jouant de la cithare que l'on devient cithariste. Et il ajoute, c'est en pratiquant les actions justes que nous devenons justes, les actions modérées que nous devenons modérées, et les actions courageuses que nous devenons courageux. En résumé, c'est en faisant que l'on devient. Et dans notre pratique de la formation, ce que nous dit Aristote est fondamental. Les apprenants ne sont pas là pour écouter passivement, mais pour agir, expérimenter, s'exercer, se confronter à la réalité. C'est cette action qui rend l'apprentissage vivant, transformateur, durable. Et Aristote va même plus loin. Cette action, si elle est bien menée, est source de plaisir. Mais il reste lucide. Il reconnaît aussi que l'effort, voire la contrainte, fait partie du processus éducatif, notamment pour les plus jeunes. Il n'est pas dans l'illusion d'un apprentissage 100% ludique, et nous le verrons dans un prochain épisode, avoir recours à la gamification n'est pas une garantie absolue de la réussite d'une formation. Il est resté un éducateur assez exigeant, voire autoritaire.
Et pour comparer Platon et Aristote en une image, on pourrait évoquer la fresque de Raphaël, l'école d'Athènes. Platon y est représenté avec le doigt pointé vers le ciel, symbole du monde des idées. Aristote, lui, tend la main vers le sol, symbole de l'observation, de l'expérience, de la réalité concrète. C'est là qu'il inscrit l'éducation, dans le réel, dans la pratique, dans l'équilibre entre raison et action.
Alors, que retenir de cette immersion dans la pensée éducative antique ? Avec Socrate, nous découvrons l'art du questionnement. Ne pas imposer un savoir, mais faire émerger les idées par le dialogue. Dans vos formations, il s'agira d'intégrer plus de questionnements ouverts. Et si, par exemple, au lieu de répondre à une question posée par un apprenant, vous relanciez par un « Qu'en penses-tu ? » Ou encore, peux-tu l'expliquer autrement ? Avec Platon, l'éducation devient un chemin vers le vrai, le bien et le beau. Dans la formation, cela revient à donner du sens à vos contenus. Nous l'avons vu dans le premier épisode sur l'andragogie, donner du sens est un des principes fondateurs pour former des adultes. Ne vous contentez pas d'enseigner le « quoi » , faites aussi réfléchir à pourquoi c'est important et comment cela rend l'apprenant meilleur. Et avec Aristote, c'est par l'habitude, par l'action que l'on apprend. Dans vos formations, privilégier les activités expérientielles. Mise en situation, jeu de rôle, atelier, études de cas. C'est en pratiquant que l'on devient compétent, et pas seulement en écoutant. Enfin, gardons une idée essentielle d'Aristote. Former, c'est agir sur la réalité. Et si nous, formateurs et formatrices d'aujourd'hui, étions les héritiers et les héritières de cette pensée ? Si notre mission n'était pas seulement de transmettre, mais bien d'élever, d'éveiller, et de former des citoyens et des citoyennes éclairés. Je vous laisse philosopher là-dessus.
Merci d'avoir écouté Pédago. J'espère que cet épisode vous a plu. Si c'est le cas, pour me soutenir, vous pouvez me laisser 5 étoiles sur votre plateforme de podcast préférée. Et pour m'aider à faire connaître le podcast, n'hésitez pas à le partager où vous voulez sur vos réseaux sociaux ou en parler autour de vous. Pensez également à vous abonner pour ne louper aucun épisode sans oublier de me laisser un commentaire pour me faire part de vos retours ou d'un thème que vous souhaiteriez que j'aborde dans Pédago pour vous accompagner dans la formation. Je vous dis à bientôt pour un prochain épisode.