Speaker #0Salut à vous, et bienvenue à tous les autres. L'autre jour, nous parlions de mémoire. Je n'ai aucune mémoire. En revanche, j'ai un peu de patience. Et c'est sans doute pour cela que l'autre jour, c'était à mon tour, c'est ce qu'ils ont dit en tout cas, c'était à mon tour d'être à l'accueil de la réunion des amnésiques anonymes. Il ne s'est pas passé grand-chose pendant un bon moment. Et puis tout d'un coup, un type qui avait l'air normal s'approche de moi, déplie un papier et en me regardant dans les yeux, il me dit « Cui, cui ! » Pas trop su quoi lui répondre sur le coup. Il a compris que j'étais embarrassé, alors il m'a dit Merci. C'est bien le mot de passe pour la réunion de ce soir. Moi, j'ai dit, quelle réunion ? Lui, mais la réunion des amnésiques anonymes, enfin. Moi, j'ai dit, et alors ? Lui, et alors ? Je viens de vous donner le mot de passe. Il est écrit là. Il me montre son papier. Je regarde le papier et là, vous me croirez si vous voulez, mais il y avait écrit « Cui-cui » sur le papier. Et le pire, c'est que c'était pareil sur le dos de ma main, là où j'écris les choses pour ne pas les oublier. Cui-cui. Ah oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, c'est ça, bien sûr, c'est ça. Allez-y, vous pouvez entrer, monsieur. Cinq minutes plus tard, un autre gars s'approche. Vous avez le mot de passe ? Je lui dis. Plaît-il ? Je répète. Avez-vous le mot de passe ? Et lui me dit, mais. J'espère bien que ça n'est pas une maison de passe. Et là, le gars s'échauffe. Je le calme. Malentendu, malentendu. Mot, mot de passe. Je ne dis pas maison, mot de passe. Je lui dis. Monsieur, me dit-il, pourquoi m'insultez-vous ? Alors, j'ai regardé sur le dos de ma main. Et je lui dis calmement, « Monsieur, c'est un malentendu. Les malentendants anonymes, c'est de l'autre côté. » Et je lui montre. « Ici, c'est les amnésiques. » Et je lui fais un signe. « Plaît-il ? » dit-il. « Les sourds, c'est là-bas. » Et je lui montre la direction. Il est parti. Ah, non, ils ne sont pas faciles, ces gens-là, quand même. Oh, et puis encore un autre, tout de suite derrière. Mais celui-là, très, très poli. C'est ici, les alcooliques anonymes ? Non, je réponds. Mais vous voyez les deux portes, là devant vous ? Un peu plus loin, légèrement sur la gauche. Oui, oui, je vois, me dit-il. Et bien c'est au milieu, c'est pas compliqué, vous pouvez pas vous tromper. Deux minutes plus tard, un gars qui est un peu dans l'ombre, un peu recroquevillé, dit « C'est ici qu'on parle de moi sans me nommer ? » Ah, je l'avais senti venir celui-là. « Si vous cherchez les égocentriques anonymes, » il répond « je... » Je ne crois pas qu'il y ait de réunion ce soir. Mais sur la droite, là-bas, vous pouvez toujours aller chez les timides anonymes. Ils devraient vous laisser le temps de vous expliquer. Là, il dit, vous êtes sûr que ce n'est pas un piège ? Ah, ça y est, j'ai compris. J'ai compris. Monsieur, les paranoïaques anonymes, c'est de l'autre côté. Vous traversez, et puis c'est pile à gauche. Vous allez tomber dessus, vous allez trouver votre bonheur.
Speaker #0Tout de suite derrière, il y en a encore un autre qui s'approche, il soulève son chapeau, il répondit. « Monsieur le Président, me dit-il, moi, vous cherchez ? » « Oui. » « Monsieur le Président, je suis très honoré, et je suis sûr que l'honneur est réciproque. » Est-ce bien ici qu'a lieu la réunion des présidents anonymes ? Je viens pour présenter ma candidature à la présidence de l'association. Je suis moi-même président de l'association départementale des collectionneurs d'étiquettes de Livaro. C'est dire si j'ai de bonnes raisons de devenir votre président. « Monsieur le Président, lui ai-je répondu du tac au tac, car j'ai pas de mémoire, mais j'ai de la répartie, un petit peu en tout cas. Monsieur le Président, donc, si vous croyez que nous sommes ici assez coulants pour accepter la candidature du premier président venu, vous nous prenez vraiment pour des camemberts. Allez, passez votre chemin. Ouste, circulez, c'est pas pour vous ici. » Il est parti. Au bout d'un moment, personne ne venait. Donc je suis rentré. Un homme, dont le visage me disait vaguement quelque chose, était en train de se lever pour prendre la parole. Je me suis assis et je l'ai écouté. « En tant que président de l'association, dit-il, en tout cas c'est ce qui est écrit sur mon papier, en tant que président de l'association, donc, Je vais vous lire le compte-rendu de la réunion du mois dernier. « Était présent U, V, W, X, Y, Z et quelques autres. « Vous êtes sûr que j'étais là ? » dit un homme assis au premier rang. « Ah, j'en suis sûr. Moi, je ne m'en souviens pas, mais c'est marqué sur mon papier. » A la fin du compte-rendu, le président a sorti un autre papier de sa poche. Il a lu les résolutions à l'ordre du jour de notre réunion. Premièrement, a-t-il dit, notre principal combat du moment, finaliser la pétition qui appelle au remplacement de l'expression « soldat inconnu » par l'expression beaucoup plus juste et beaucoup plus inclusive de soldats non reconnus. Eh oui, c'est très important. Deuxième résolution, dit-il. Obtenir de l'État que les journées dites « journée du souvenir » soient officiellement des jours chômés et payés pour les amnésiques. Journée du souvenir. Et puis quoi encore ? Enfin, troisième et dernière résolution, et ça, c'est très important. L'association demande une grosse, une très très grosse subvention du ministère, puisque nous nous sentons ostracisés, voire dénoncés, dès lors qu'il est question d'un travail de mémoire. Là, il y a eu un grand silence approbateur. Et à la fin, il a dit, je soumets au vote ces trois résolutions. Et là, il y en a un qui dit, vous pouvez répéter les résolutions. Et lui, il a dit, quelle résolution ? Et là, il y en a un autre qui dit, je ne sais pas. Conclusion, moins on a de mémoire et plus longues sont les conversations. Et c'est ainsi que le caramel devint fou.