- Speaker #0
Cette force qui se déploie. Cette force qui se déploie. Cette force qui se déploie. Je m'appelle Camille Geoffroy et j'avais envie de partager avec toi la parole libre et spontanée de personnes qui m'inspirent. Dans cette interview, tu vas rencontrer Abdel. Abdel, c'est un champion de tennis. vraiment un vrai champion, qui a été numéro 2 marocain, qui a joué des Coupes Davis, des Coupes d'Afrique. C'est une force qui se déploie, mais c'est aussi une trajectoire très impressionnante, qui l'a mené des bidonvilles d'Al Jadida jusqu'à la gestion d'un club de tennis à Royan. Dans ce projet, je me suis rendue compte que les personnes que j'interrogeais, c'était pas des gens qui s'étaient enfermés dans leur succès, dans leur tour d'ivoire, ma vie, mon œuvre, mais des gens qui étaient aussi complètement tournés vers l'autre. Et je crois que c'est ça qui m'intéresse. Et lui, il le fait vraiment avec sa pédagogie. Je l'ai vu enseigner à des enfants de 4-5 ans, à des femmes de 75 ans, et il y met la même intention, le même engagement. Abdel, c'est un destin, c'est un homme fort, déterminé. Au-delà d'être un grand champion, c'est aussi un excellent pédagogue, quelqu'un de passionnant.
- Speaker #1
Ma vie, elle a commencé avec une bougie à la maison. On avait une bougie pour allumer à la maison. Et puis, on n'avait pas d'eau. Donc, il fallait prendre deux bidons pour aller chercher de l'eau très loin. parce que mon père, il avait un petit travail, mais de rien du tout. C'est un marchand de biens à la campagne. Donc, il était payé par du blé, par le maïs, enfin les poules, les œufs. Et il gagnait pas assez d'argent. C'est pour ça qu'il m'emmenait ramasser les balles. Et puis moi, je ramasse toute la journée, pieds nus. Et j'arrive à faire... un euro d'aujourd'hui. Et je donne à mes parents pour acheter de l'huile, du sucre, des petits trucs basiques. Tu sais, quand tu es petit et tu vis dans un quartier où il y avait la misère, même si j'avais 5 ans, j'avais l'impression que j'avais 14 ans.
- Speaker #0
Oui, tu te sentais grand.
- Speaker #1
J'étais plus costaud. Parce que la misère, elle t'apprend beaucoup, beaucoup de choses.
- Speaker #0
Et puis tu avais des responsabilités, tout petit tu avais déjà des responsabilités.
- Speaker #1
Ben justement parce que si mon mère à l'âge de 5 ans doit ramasser les balles, c'est pour aider ma famille.
- Speaker #0
On te voit jouer, c'est ça ?
- Speaker #1
Non, j'ai commencé petit, comme j'étais ramasseur de balles, et puis je vois les mecs qui jouent, il y en a qui jouent bien, il y en a qui jouent pas bien. Des fois tu ramasses les balles pour les profs. et tu vois les profs comment ils apprennent à des gens comment jouer, j'avais l'idée de fabriquer une petite raquette en bois. Et je prenais une balle, j'enlève la peau de la balle, il ne reste que le plastique. Et avec ça, je vais jouer avec le mur tout seul. Et je fais ce que j'ai attendu par rapport aux profs, comment. Et puis à un moment, un monsieur qui s'appelle François Mainiti, un jour, Il m'avait joué avec le mur, je ne sais pas ce qu'il a pris, il a été acheter une raquette pour moi. Il m'a dit, voilà, tu enlèves la raquette en bois, voilà une raquette neuf pour toi. Et le jour où tu vas gagner le mur, tu seras un champion. François, il m'a changé toute ma vie parce que François, il m'a amené chez lui pour ramasser les balles. En fin de compte, il avait une machine de balles. Et puis, il me demande de venir pour remplir la machine. Et lui, il s'entraîne, moi j'ai rempli la machine. Et lui, quand il finit, il me paye. Et puis, j'ai dit bon, au revoir François. Il me dit non, tiens ma raquette, remplis la machine et tu t'entraînes sur ce que j'ai fait. Et j'étais très très content. Je peux vous dire quelque chose ? Je pense que vous allez me poser la question. J'ai fait du tennis et j'ai joué jusqu'au numéro 2 marocain. J'ai joué plusieurs Coupes Davis, j'ai joué les championnats d'Afrique, j'ai joué les Jeux Méditerranéens. Il y avait cette envie. Ce que je voulais, c'est de sortir de la pauvreté. J'ai fait tout ça pour sortir de la pauvreté. Moi, j'ai dit, on a tous un destin. Et mon destin, il était pas mal. Parce qu'en fin de compte, je ne veux pas dire l'âge quand est-ce que j'ai quitté mes parents, parce que je ne veux pas des enfants qui font la même chose que moi. J'avais l'occasion de partir à Casablanca pour faire un tournoi, et il y a un monsieur qui s'appelle M. Benani qui m'a repéré. Et là, il m'a proposé de venir à Casablanca pour m'entraîner. J'étais nourri, logé, tout. Puis mon destin m'a poussé pour aller à Casablanca sans le dire à mes parents. Je suis arrivé numéro 2 marocain et j'étais toujours en finale, gagner le tournoi, finale, gagner le tournoi. Donc le club avait décidé de nous renvoyer en France pendant l'été, trois mois d'été, pour progresser encore plus. Donc ils m'ont donné un billet Open. Et à l'époque, c'était en francs. Ils m'ont donné 3 000 francs pour trois mois. Et ils m'ont dit, c'est trop facile. Si tu gagnes de l'argent, tu gagnes des tournois, donc tu vas à l'hôtel, tu fais ce que tu veux. Sinon, tu as des vestiaires. Eh ben, j'ai galéré pendant quatre ans. à dormir dans les vestiaires. Les autres années, j'ai progressé un petit peu. J'ai acheté une tente pour dormir. Ils m'ont dit, quand tu vois un beau gazon, tu le prends. Dès que je vois un gazon qui est propre et tout ça, je mets ma tente et je dormais. Et puis, des années passent. C'est là où je commence à progresser, que je suis devenu moins de 30 en France quand même. J'avais perfégié des premières séries aussi. Et un jour... Il y avait un circuit qui s'appelle circuit ATP, Malboro. Et donc il y avait Montauban, Cherbourg, Saint-Malo, et le master c'était à Pau. Et donc il y avait 16 qui sont qualifiés pour le master. Et moi j'étais parmi les 16. Alors j'arrive à Pau, il y avait un président qui s'appelle M. Mandiara, président de club. Il m'a amené un contrat. Il m'a dit, il ne manque que la signature. Et comme j'ai dit tout à l'heure, moi je ne sais pas lire ni écrire. Donc j'ai dit, d'accord, je reviens. J'ai appelé un Marocain qui fait l'entretien des cours. Je dis, allez, tu veux venir boire un petit coup avec moi ? Il m'a dit, d'accord, je finis mon cours et j'arrive. Et puis il arrive, je dis, qu'est-ce que tu veux boire ? Il me dit ça, je dis, tu peux me lire le contrat s'il te plaît ? Donc je vois le contrat, maison, billet d'avion. Contrat, ce que je voulais, et 5000 francs par match, gagné ou perdu. Puis j'ai dit à Ali, t'as un stylo ? Il me dit, qu'est-ce que tu vas faire ? Je lui ai dit, je signe. Il me dit, mais tu es salarié de la préfecture quand même. Tu ne vas pas laisser le Maroc, tu as un beau salaire à la préfecture, tu ne fais rien et tout ça. J'ai dit, donne-moi un stylo, je quitte le Maroc avec son salaire. Et j'ai signé sept ans à Pau en tant que joueur de l'équipe pour le championnat de France. Et donc, j'ai joué la première année, la deuxième année, puis je retourne au Maroc. Et là, je fais un tournoi. ATP, que ça s'appelle Trophée Hassan 2. C'était à Marrakech. J'ai joué premier tour, j'ai gagné. J'ai joué deuxième tour, je crois que j'ai fait un perf de numéro 145 mondial. Et puis tout d'un coup, je tombe sur Pecci. Vector Pecci, c'est un mec qui a fait finaliste à Roland-Garros quand même. Et donc on joue et puis il y avait un petit problème, un petit problème d'arbitrage. Et puis il y avait un monsieur qui s'appelle Didier Simonnet qui était juge arbitre international. À l'époque, il habite à Royan. Il est venu me voir et il me dit « qu'est-ce qu'il y a ? » Je lui dis « c'est pas moi que je t'ai appelé, va voir avec Vector Pecci » . Et puis le problème est réglé, on a continué. J'ai perdu 7-5 au troisième set. Et puis Didier Simonnet il me dit « c'était un beau match, etc. » Il me dit « écoute, on a un circuit qui s'appelle le circuit Open. » Le master, il est à Royon. Si ça t'interresse, je dis, écoute, je vais voir, si je suis en France, pourquoi pas ? Et ça tombait bien, c'était le circuit Open à ce moment. Moi, j'étais en France. Donc, j'ai fait le circuit, puis j'étais qualifié parmi les 16. Et j'ai perdu en finale avec Kouchna, Fabrice, je crois. Kouchna, il était numéro 10 français. Les gens, ils m'ont trouvé que j'étais sympa, et puis Didier Simonnet, il a dit, c'est celui-là qu'il nous faut pour l'équipe de Royan. Il m'a parlé, moi j'ai dit non, je suis bien à Peau, et c'est vrai, j'étais très très bien à Peau. Et là Didier Simonnet prend l'avion, il part au Maroc, il va voir la vice-présidente de la Fédération Marocain, pour l'amener chez moi, pour me pousser, pour que je quitte Peau... pour venir à Royan. Et là, comme j'avais un petit peu de pression, j'ai appelé Pau pour leur dire que j'ai trouvé un club qui m'a donné un peu plus que vous. Mais je suis venu avec le même prix que Pau. Je suis parti. Des années passées, il y a un jour, je joue la Coupe Davis. J'appelle mon père. J'ai dit, qu'est-ce que tu as à faire ? Parce qu'on n'a pas d'électricité, on n'a pas de télé. J'ai dit, tu vas dans un café. Prends un café. Il me dit, pourquoi tu me dis ça ? Je dis, parce que tu regardes la télé, tu vas voir ton fils quand même. Et là, il est parti. Il a pris la place devant. Dès quelqu'un qui rentre, il dit, t'as vu qui c'est qui joue ? C'est mon fils. Et ça, c'est... J'étais très, très fier que mon père, il a vu que son gars, il n'a pas cru à moi. Et puis, il est fier de moi après. Je n'ai jamais... C'est normal, parce que l'âge où je suis parti, tous les parents, ils s'inquiètent pour leur fils. Parce que ce n'est pas un âge où on peut quitter nos parents.
- Speaker #0
Moi, je t'ai observé travailler, que ce soit avec des enfants ou des adultes, tu as cette qualité de regarder. avec précision le jeu de chacun, à l'améliorer. Et on a l'impression que tu ne te lasses pas, justement, d'observer l'autre, de le regarder vraiment dans tout ce qu'il est. Et que ça, tu peux le faire encore pendant des heures.
- Speaker #1
Aujourd'hui, voilà, je réponds à ta question. Si j'ai plus de plaisir à donner des cours, c'est le seul plaisir qui me reste, c'est de donner des cours.
- Speaker #0
T'adores ça.
- Speaker #1
J'adore. Et là, le pire, c'est que quand j'arrive... pas, ce n'est pas l'élève qui n'est pas content. C'est moi. Donc, il fallait que je trouve la solution pour que ça marche. Parce que je suis là pour que ça marche.
- Speaker #0
Et en plus, ça t'a permis de faire des choses très différentes parce qu'on a évoqué le tennis et puis ce destin déjà magnifique du ramasseur de balles au numéro 2 marocain et puis aujourd'hui de gérer ce club. Mais il y a aussi la restauration. C'était aussi des... Des opportunités ?
- Speaker #1
Oui, parce que quand j'ai quitté mes parents et je suis venu à Casablanca, j'ai joué pour la Coupe Gallia aussi. Et puis à un moment, j'avais besoin d'un petit peu d'argent. Et donc, le club où je suis venu, il y avait un restaurant, il y avait un gros club, et je suis parti voir le chef. de restaurant et j'ai dit moi j'aimerais bien faire la plonge chez toi et puis il me dit je suis en train de travailler tout à l'heure je veux boire un café puis on discutera et puis le chef il dit mais un garçon comme ça qui est il a l'espoir et il joue dans l'équipe gallia et puis il veut venir faire la planche chez moi et puis il m'a convoqué, il me dit, ben oui, tu commences demain, mais tu ne vas pas faire la planche. Je dis, oui, je fais quoi ? Il me dit, je vais te montrer. Il m'a mis à côté de lui, je commençais à préparer les salades vertes, des petits trucs, et puis j'aimais des salades. Et c'est là où j'ai pris ce goût de la cuisine. Avant que je fasse le restaurant, il y avait tous les profs de la Charente-Maritime qui m'ont attaqué parce que je n'avais pas mon diplôme. Donc je avais pas le droit de donner des cours. Je dis pas qu'ils n'avaient pas raison, eux aussi. Parce qu'ici en France, tout ce qu'on fait, si tu n'as pas de diplôme, tu ne peux pas faire. Mais ils m'ont rendu services en fin de compte. Parce que ce que j'ai gagné au restaurant, je n'ai jamais gagné au tennis. Et donc, j'avais décidé de faire un restaurant. Et pour vous parler encore de le destin, un jour, j'étais en train de faire un cours à quatre femmes. Et puis, il y en a une qui me dit, Abdel, il paraît que vous cherchez un restaurant. J'ai dit oui. Elle me dit, quand on finit le cours, vous me suivez. Puis, je suivais. On a été voir le restaurant à Pontaillac.
- Speaker #0
À deux pas de la mer.
- Speaker #1
À deux pas de la mer. Et puis j'ai dit demain on va chez le notaire pour signer. Et j'ai signé un bail de 3 6 9. Et en fin de compte, le restaurant devrait ouvrir le 2 95. Et je n'ai pas ouvert le restaurant le 2, j'ai ouvert que le 3 parce que j'avais déjà une réservation de 100 personnes le premier jour. 14 ans de restaurant, j'ai pas regretté une seconde. Franchement, je suis très très fier de moi. Et aujourd'hui, je suis à Royan, j'ai une maison, j'ai une voiture, j'ai une fille, j'ai deux petites filles. Qu'est-ce que tu veux demander de plus ? On parlait de destin tout à l'heure. Si je n'avais pas pris une décision très très jeune de partir à Casablanca, toute ma famille restant pauvre. et moi avec. Aujourd'hui, je ne dis pas que ma famille y vivre dans le luxe, mais elle peut pas mourir de faim. Ils ont tous un petit truc. J'ai beaucoup de temps. J'ai deux mois par an où je n'ai pas de temps. C'est l'été, parce que j'ai beaucoup beaucoup de passages ici au club. Et donc je m'occupe des entretiens du club, les terrains, les réservations. J'ai trois profs qui travaillent avec moi, donc il fallait que je fasse chaque prof son programme. Il faut équilibrer les groupes des enfants pour que ce soit homogène. Ça demande beaucoup, beaucoup de temps. le temps sur les 2 mois. Mais après, non, je fais mon footing, je fais mon VTT, je prends le temps d'apprécier la vie.
- Speaker #0
Parce que là, tu dis, comme petit mantra, chose que tu te rappelles, tu te dis, rappelle-toi d'où je viens. Exactement ! Rappelle-toi d'où je viens. Et qu'est-ce que tu auras envie de dire, toi qui es aussi dans la transmission, à la jeunesse ? Qu'est-ce que tu aurais envie de transmettre comme message ?
- Speaker #1
Moi, j'ai dit, chaque enfant, s'il a envie d'arriver, il peut arriver. Même s'il y a les montagnes devant lui, il peut le faire. Peut-être que la vie aujourd'hui est un peu plus dure que à l'époque où j'étais, mais... Il y a encore des possibilités parce que quand tu as envie d'arriver, tu arrives. C'est sûr et certain.
- Speaker #0
Merci d'avoir écouté ce podcast. Ces entretiens font partie d'un projet global qui s'appelle « Cette force qui se déploie » , exposition sonore dont vous pourrez trouver plus d'informations sur notre site www.lavieestailleurs.com