- Speaker #0
Cette force qui se déploie. Cette force qui se déploie. Cette force qui se déploie. Je m'appelle Camille Geoffroy et j'avais envie de partager avec toi la parole libre et spontanée de personne qui m'inspire. Lucien. Comment je pourrais te présenter Lucien Lucien, il a une présence. Si tu poses la question est-ce que tu connais Lucien c'est quelqu'un qu'on repère, qu'on remarque. Et en même temps, c'est quelqu'un qui ne dit pas grand-chose, qui observe beaucoup. Au moment où je l'interroge, je ne connais rien de lui, de sa vie, de son parcours, de son cheminement. Mais j'ai l'impression de le connaître très bien parce que je danse avec lui depuis dix ans. De la danse contact, de la danse d'impro, donc on connaît les corps, l'écoute, la créativité. Et je vais adorer ce que je vais entendre. C'est-à-dire un chemin vraiment à la fois très fluide et très sinueux. Et pour moi, c'est vraiment ça aussi, la force qui se déploie. Eh bien, Lucien, c'est un chemin tranquille qui va t'emmener des années 60-70 à aujourd'hui.
- Speaker #1
La danse, pour moi, ça me permet aussi de me retrouver, en rencontrant les autres sur des chemins de corps, de danse, là où s'harmonise vraiment la nature, la culture, la création, le partage. Je suis né au Maroc, je suis resté jusqu'à l'âge de 10 ans. Et après, j'ai été à Bordeaux. J'ai fait ma scolarité à Bordeaux. Pas très longtemps, puisqu'en fin de quatrième, j'ai tout laissé tomber. J'avais soif, je ne sais pas, d'autres choses, de vie. Je voulais aller à l'usine. Je voulais voir, découvrir le monde du travail. J'ai commencé pour une usine de béton, fabriquer des parpaings, mais ça, c'était l'été. Quand j'étais trop jeune, je ne pouvais pas non plus. C'est là que j'ai pu m'acheter mon premier vélo, ce travail d'été. Et après j'ai fait des apprentissages puisque c'était obligatoire. J'avais 13 ans. Et j'ai fait un apprentissage, j'en ai fait plusieurs. Mais sans jamais réussir à me fixer. J'étais plombier, zingueur, fumiste à l'époque, ça s'appelait. J'ai fait tôlier, peintre, puis après j'ai commencé à travailler. J'étais charbonnier, je portais les sacs de charbon que je livrais chez les gens. J'aimais bien ça, j'aimais bien notamment porter le charbon. En l'occurrence, c'était en bas, les caves à Bordeaux, il y a beaucoup de caves, avec des soupirail qui s'ouvraient sur la rue, sur le trottoir, et on faisait tomber les boulets de charbon. dans la cave. C'était l'époque aussi qu'on appelle les trente glorieuses, donc il y avait vraiment du boulot. Tu pouvais passer d'un boulot à l'autre. Ce qui me permettait de voyager, de m'arrêter de travailler, après avoir travaillé, puis j'avais tous mes permis aussi. Donc comme chauffeur-livreur, j'ai beaucoup travaillé comme chauffeur-livreur. J'ai fait l'international avec des gros camions, des semi-remorques. Après, j'ai arrêté avec un copain, on voyageait pas mal, on a été comme ça. On est parti en Turquie, un beau jour, on est allé en Turquie. On partait, c'était une époque où c'était fou. Faire ce qu'on voulait, ce dont on rêvait. Comme ça, on est parti. Et puis, si on n'avait pas de moyens financiers, on s'arrêtait, on travaillait. C'est là que j'ai fait la plonge dans un collège américain en Suisse. J'attendais un peu d'argent, mais on repartait, on reprenait la route. Avec une deux chevaux, à l'époque. On savait bricoler, parce qu'on avait besoin d'une vieille dodoche. J'étais éducateur spécialisé, après j'ai passé un brevet d'état sport adapté, qui permettait d'enseigner les activités physiques et sportives à des personnes en situation de handicap mental, et physique également. Et là, je me suis vraiment épanoui. C'était vraiment très fort ces rencontres avec ces personnes-là. Bien sûr, je n'avais pas la disponibilité, le temps de suivre des activités, notamment hebdomadaires. C'est aussi un travail où je travaillais, je bossais les week-ends, pendant les vacances, bien sûr, parce que souvent il y avait des personnes handicapées qui, elles, travaillaient la semaine, mais étaient dispo le week-end, donc on en profitait bien sûr pour pratiquer les activités. Mais donc en 2007... Quand j'étais à la retraite, à partir de 2007, j'ai vraiment eu la chance. C'est vraiment une deuxième vie pour moi. Une renaissance, dans la mesure où avant... je pratiquais moult stages de théâtre, de danse dans toute la France, voire à l'étranger. Mais j'étais beaucoup moins disponible, bien sûr. J'étais au Festival d'Avignon et par hasard, j'ai rencontré Anne Journeau qui dansait là-bas. Elle m'a dit, tiens, je vais prendre un pot avec Marion Bati. Si tu veux venir avec moi, je dis pourquoi pas. Et donc là, j'ai rencontré Marion, qui était à l'époque la directrice des éclats chorégraphiques de La Rochelle. Et tout de go, comme ça, je ne sais pas pourquoi, j'ai dit à Marion, tu ne chercherais pas des fois des bénévoles pour ton association à La Rochelle ? Mais si, au contraire, pourquoi ? Je dis parce que moi, je suis dispo et quand tu veux, je fais bien. Nous avons pris rendez-vous avec Marion. Ça a été à le départ une aventure avec les éclats chorégraphiques. Les éclats chorégraphiques recevaient des compagnies professionnelles en résidence. Il y avait un festival aussi tous les ans, dans tout le Poitou-Charentes. Et donc, j'accompagnais les compagnies. Je recevais souvent aussi des danseurs chez moi. Je préparais souvent aussi les repas pour tout le monde. Je faisais le taxi. Pendant les festivals, j'accompagnais Marion sur tous les lieux où il y avait des spectacles. C'était dans tout le Poitou-Charentes. Ça, j'adorais parce que je voyais les compagnies répéter juste avant le spectacle, justement avec eux. Et après, on dînait ensemble. C'était une vie vraiment rêvée, quoi. Vraiment rêvée pour moi. Et puis là, j'ai eu la chance aussi, grâce à ce bénévolat, de rencontrer effectivement d'autres personnes du spectacle. J'ai rencontré... J'accompagnais Anne Journeau sur un de ses spectacles pour enfants qui s'appelait Dans les lumières du vent où je faisais la régie, la lumière, les échauffements. C'était un très beau spectacle. Et là, il y avait une fille qui faisait la scénographie et qui m'a dit que Françoise Guillaumond, le théâtre de la Baleine Cargo à La Rochelle, cherchait des comédiens. J'ai dit banco. J'ai rencontré Françoise et elle m'a dit oui, on a discuté, j'ai fait quelques essais. des impros, on a fait quelques résidences ensemble. Et donc, j'ai joué dans un spectacle qui s'appelait le cimetière itinérant des canapés. Là aussi, c'était incroyable. Pour moi, c'était une fête continuelle de pouvoir jouer. En plus, au début, j'étais vraiment très étonné. Elle m'a dit, il faut que tu me donnes tes coordonnées bancaires parce que tu vas avoir des cachets. En plus, je vais être payé pour jouer et faire ce dont je rêve depuis des années. Pour revenir à la danse et à Marion Bati, aux éclats, j'ai aussi rencontré quand même des compagnies professionnelles, dont une de La Rochelle qui s'appelait ToufiK Oi. Et j'ai dansé. J'ai dansé dans cette compagnie. Pour moi, c'était là aussi... Je planais, quoi. On a dansé au CCN à La Rochelle, à Paris, à Chapelle Saint-Vincent, aux éclats. C'était vraiment très, très fort. Et donc ça continue, heureusement, parce que j'interviens beaucoup avec la compagnie Equinoxe.
- Speaker #0
Et oui, tu danses.
- Speaker #1
Je danse, bien sûr avec Equinoxe, je voudrais noter aussi que ça a été des expériences incroyables avec le dispositif d'un certain amateur répertoire, l'Institut National de la Danse, qui nous a permis de reprendre des œuvres de chorégraphes connues, qui étaient au répertoire du CND, de les monter et après de les présenter. Il y a eu notamment les tournesols. pièce de Dominique Petit, que nous avons reprise et que nous avons jouée où ? à Chaillot, s'il vous plaît. Et voilà Lucien qui va danser à Chaillot. Pour moi, la danse, vraiment, c'est comme un paysage à butiner. Je dirais un paysage de l'homme. Danser, c'est vraiment choisir le corps et le mouvement comme champ de relation. Alors chant, on peut l'écrire avec un T ou avec un P. avec le monde comme un instrument de savoir en devenir, d'expression, bien sûr, et d'émotions à partager. Parce que moi, quelque soit le spectacle, je me dis waouh. Si je suis pas touché, si je ne suis pas ému, voilà, j'ai un peu de mal. Pour moi, c'est très important, d'émotions à partager. La danse est aussi un univers poétique, qui ouvre des chemins de liberté et qui traverse en grande fragilité toutes les étapes de la création. 2, expire, expire, 3, 4,
- Speaker #2
tout le monde regarde devant, 5,
- Speaker #1
Il y aussi le monde du sport, alors ça pour moi c'est très important, je crois qu'il faut que je l'évoque. Donc j'étais éducateur aussi sportif. Par ailleurs, dans mes loisirs, j'arrivais quand même à libérer un peu de temps pour faire aussi du sport. J'ai fait rugby, dans des équipes, du foot, du tennis. Et pour moi, ça a toujours été quand même une valeur très importante. Tiens, voilà Mélo qui vient. Coucou Mélo C'est la chatte. Je lui passe. Elle va manger sa gourandise. Et donc, le lien pour moi, ce qui n'a pas été facile, c'est faire ce lien entre le sport et l'artistique. Parce qu'aussi bien le monde artistique que le monde sportif sont très intolérants l'un envers l'autre. C'est-à-dire que... Quand je jouais au rugby, je leur disais Non, je ne pourrais pas venir le dimanche pour jouer parce que j'ai un spectacle. Mais ça ne va pas, tu es un PD, excusez-moi l'expression. Je savais qu'à l'époque, j'avais aussi des cheveux très longs, une queue de cheval assez abondante. Mais je m'en prenais, je me faisais vraiment casser partout. Et le monde de l'artistique Et le monde de l'artistique. Je leur disais Non, là, je vais avoir des difficultés. Je ne pourrais peut-être pas être présent parce que j'ai un match qui est important. C'est quoi Mais c'est des bofs, tout sportif. Ils nous emmerdent, ça va pas. Qu'est-ce que tu veux en fréquenter, ça. Voilà, j'ai toujours navigué entre ces deux valeurs-là. Et ça m'a toujours poursuivi. Et ça me poursuit toujours, parce que là, je suis toujours très intéressé par le sport, bien sûr. J'en fais beaucoup moins. si ce n'est nonobstant le VTT, mais toujours ces valeurs-là, et c'est toujours très drôle. Je me souviens des repas, notamment, c'était au foot où on parlait, et puis moi j'ai évoqué la danse, j'ai dit moi je danse Je leur ai expliqué un peu quoi ça comportait, c'était la surprise générale, mais à mon étonnement, il y a quand même eu un respect et une écoute, ils n'ont pas commencé à rire, à se moquer, à être ironiques, c'était très drôle. Un copain m'a dit qui assistatait à ces scènes là, ben tu es qu'en même courageux d'avoir évoquer la danse avec eux. Je pense qu'on devrait, on le fait peut-être, mais vraiment communiquer comme les arbres et leur système racinaire. C'est-à-dire que sous la terre, les arbres communiquent, s'informent, s'aident. Il y en a un qui est malade.
- Speaker #2
Ils se regroupent.
- Speaker #1
Je trouve ça assez fabuleux. Je me dis que peut-être que nous aussi, avec nos racines, puisqu'on a nos parents, nos grands-parents et arrières grands-parents qui ont des siècles d'histoire qui nous construisent aujourd'hui. Ce système racinaire. J'ai passé 4-5 ans à marcher pieds nus été comme hiver. Et c'était quoi la sensation ? Je ne sais pas. À l'époque, je n'étais pas trop dans le domaine du ressenti ou de la pleine conscience. Mais voilà. J'adorais bien sûr, pieds nus, ressentir les températures, le sol, les parfums. Ce n'était pas toujours facile. J'allais travailler aussi, il faut savoir que en 82, 83, j'allais pieds nus, c'était possible d'aller travailler pieds nus. Donc j'étais éduque. Est-ce que tu crois qu'aujourd'hui on se dirait de mettre tes chaussures ? Complètement, complètement. Ça a été des années incroyables, toutes les années. Mais après mai 68, ça a été la communauté que j'ai un peu évoquée tout à l'heure. C'était en plein centre de Bordeaux, on faisait des conférences, il y avait des peintres, des artistes qui venaient. On passait des nuits à sérigraphier des affiches et à les coller. Donc à l'époque, bien sûr, comme vous pouvez l'imaginer, c'était le Larzac. C'était la guerre au Vietnam, c'était l'assassinat au Chili, bien sûr, avec l'assassinat d'Allende et la torture de Pablo Neruda. L'énergie nucléaire, les centrales. Mais c'était tout le temps un mouvement non-violent. C'est-à-dire qu'on se faisait arrêter, bien sûr, à chaque manif. On faisait souvent des sittings, là où il ne fallait pas. On se faisait embarquer au commissariat. Mais bon, après, ils nous relâchaien. On a toujours prêché, moi aussi, pour la non-violence. Le respect, on retrouve toujours. La tolérance, au vu de ce qui se passe dans le monde. d'une intolérance qui est pratiquement à son comble, et ça aussi qui me fait vraiment mal, qui m'attriste. Je trouve qu'il serait temps de clamer au effort la nécessité de la liberté justement d'expression. Il devient urgent à dire à travers l'acte artistique, et la danse bien sûr notamment, que l'humanité au sens le plus noble du terme doit rester au cœur de toutes nos préoccupations, et que nous défendons ces valeurs. Quand je danse ou quand je joue au théâtre, ces valeurs qui sont à ce jour, à mon sens et à mes yeux, battues en brèche, c'est-à-dire l'écoute, la conscience, le respect, la tolérance, l'accueil, la solidarité. Je trouve qu'il serait temps et important de clamer la liberté des corps, la liberté des êtres, la liberté des désirs, la liberté d'être. Tout simplement. Je relis des livres, bon, dernièrement Mandela, bien sûr, qui est vraiment, pour moi, un peu l'homme de ma vie. Mandela, Gandhi, Luther King qui ont beaucoup lutté à l'époque par rapport à ça. Et ça me permet de... comme un fleuve après une tempête... Les eaux se calment, redescendent, me recentrer un peu. Puis il y a aussi Muriel, qui est quand est ma compagne depuis 40 ans, qui aussi, essuie un peu les coups de vent, parce que sans elle, je crois que je n'aurais jamais pu réaliser tous ces rêves comme ça, aujourd'hui.
- Speaker #0
Qu'est-ce qu'on peut te souhaiter ?
- Speaker #1
De continuer, je crois, comme aujourd'hui. Continuer à danser, à rêver, à réaliser certains rêves, à voyager, à rencontrer, à aimer. L'amour, au sens vraiment le plus noble du terme, le plus... pour toute l'humanité, quoi. L'amour.
- Speaker #0
Merci d'avoir écouté ce podcast. Ces entretiens font partie d'un projet global qui s'appelle Cette force qui se déploie exposition sonore dont vous pourrez trouver plus d'informations sur notre site www.lavieestailleurs.com