Speaker #1Deuxième jour, à bord de la canopée. A l'est, en direction des rails du train, le soleil vient juste de se lever. J'étais un peu anxieux au début de la nuit, à l'idée de tomber et de me retrouver pendu à ma ligne de rêve. Mais globalement, le sommeil fut bon. Et je m'apprête à prendre mon premier petit déjeuner de l'aventure. Mercredi, premier petit déjeuner perché. Je suis assis en tailleur sur le trampoline, 15 mètres au-dessus du sol, et j'agrippe ma tasse pleine d'un thé bien chaud. Dans ma popote, j'ai versé ma première ration de muesli de l'aventure. Une sur sept. J'ai prévu chacun de mes repas à l'avance, et je les ai numérotés, pour monter juste ce qu'il faut. Ainsi, j'ai autour de moi... trois géricanes de 5 litres d'eau, quatre sacs étanches accrochés via des mousquetons. Et ils contiennent l'ensemble de mes provisions pour vivre en autonomie durant 7 jours sans redescendre. J'ai comme le sentiment d'être une toute petite bête au milieu d'un grand cirque. Les spectateurs sont des oiseaux qui se déplacent à toute allure dans les interstices du ciel. Et tournent au, si tel, mésange, piver, le grand bestiaire. Finalement, je ne sais pas trop si c'est moi qui regarde la nature, ou si c'est elle qui m'observe. Depuis maintenant une bonne demi-heure, des oiseaux sont en train de manger au-dessus de moi dans la canopée. Ils sautent de branche en branche et ils secouent les feuilles. C'est un oiseau qui vient de m'envoyer une branche. Toutes sortes de choses nous tombent sur la tête. Et mon carnet de bord est constellé de tâches. Les stigmates du mouvement vertical des chiures d'oiseaux, des mousses, des morceaux d'écorces, et surtout des chenilles. J'en retrouve même en passant ma main dans mes cheveux. D'ailleurs, juste au-dessus, l'une d'elles est pendue à un fil de soie. Elle est verte, vert fluo, et elle se tortille précautionneusement pour remonter le long de son fil. Je vais la suivre, histoire de voir vers quoi elle s'élève. Parfois j'ai l'impression d'être très lent dans cette ascension. Je dois faire une remontée sur corde qui nécessite pas mal d'énergie. J'enroule mon pied au-dessus de la corde. autour de la corde, je pousse, je remonte le prussique asymétrique que j'ai sur la main droite, une sorte de nœud autobloquant, et petit à petit je remonte la corde de cette manière. Et à côté de moi, la petite chenille de couleur verte remonte le long de son fil. Elle contracte le haut de son corps, remonte le bas. Contracte le haut de son corps, remonte le bas. Contracte le haut, remonte le bas. Je la vois se plier dans tous les sens. C'est à se demander si elle arrivera jusqu'en haut, ou si un oiseau viendra la gober sec dans son bec. Depuis une demi-heure, au même rythme que la chenille, je remonte ma corne. Micromouvement. Et autour, les étourneaux sont de plus en plus nombreux. plumes pétrole marron noir avec des petits points blancs style léopard leur bec est jaune très fin mouvement de tête saccadé à gauche, à droite brusque et rapide entrecoupé de pouces ils farcissent leur bec de victuaille puis ils décollent pour le moment la chenille est un aime Moi aussi. Ma corde, ma ligne de vie, semble bien fixée là-haut, sur le chêne, et ici, autour de ma taille. J'ai tout le loisir de me projeter dans la réalité de cette chenille. Ma vie ici est très similaire à la sienne. Un animal, des besoins primaires à assouvir, et des allers-retours sur une corde. Mercredi 20 avril, après-midi. Le soleil tourne autour du chêne. Et moi, je suis toujours suspendu au bout de ma corde. Je tourne sur moi-même, à mi-hauteur entre le trampoline et la chaise à mac, toujours dans la posture de la chenille. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, j'ai perdu sa trace. Elle a dû continuer à monter, puis... Je sais pas. Ainsi j'ai commencé à observer autour de moi. D'abord des feuilles, des mousses, des lichens. Puis les oiseaux, les insectes. Ça grouille. En préparant cette expérience, ma première projection fut de m'imaginer seul, coupé du monde, sans téléphone et sans personne. Mais quelle violence de penser que je serais seul. Je crois que c'est tout le contraire. Tout existe sans l'être humain. Je n'ai jamais été aussi nombreux. Avant de remonter dans le hamac, dans lequel je suis en train d'écrire, la nuit tombant, je me suis cuisiné du riz avec une petite sauce forestière. Bah, ça a complètement cramé dans le fond de ma gamelle. 45 minutes de grattage pour avoir le fond de la popote. Par contre, j'ai retrouvé la trace de la chenille verte. Juste avant de me glisser dans le duvet, j'ai déroulé une feuille toute proche, recroquevillée sur elle-même, avec une sorte de substance blanche à l'intérieur. Et dedans, la chenille. Elle a donc dû passer sa journée à faire une ascension, puis elle est venue s'enrouler au chaud pour entamer sa métamorphose. Je suis moi-même dans un gros duvet vert, bien dodu, entouré d'un tarpe de couleur vert. Décidément, mon existence perchée est bien similaire à celle de cette chenille. À suivre.