Transcription

• Speaker #0

  Percher.

• Speaker #1

  Premier jour de l'expérience.

• Speaker #0

  7 jours et 7 nuits à 25 mètres de haut.

• Speaker #1

  Je souhaite comprendre ce qu'est la condition végétale, m'extraire du monde des humains, vivre avec ce chêne.

• Speaker #0

  Renaud Moinet mène une expérience dans un chêne centenaire pour comprendre le monde des plantes.

• Speaker #1

  Mais qu'est-ce que...

• Speaker #0

  Perfait, épisode 3, les vieux lichens.

• Speaker #1

  Début de journée, jeudi 21 avril. Mécanique bien huilée. Je m'extirpe de mon duvet, puis je change de corde. Ma ligne de vie remplace ma ligne de rêve. Puis je descends de quelques mètres, j'attrape ma brosse à dents. Alaine fraîche, qui se quotidiennement via un brossage matinal, perché. Puis, expulsion du dentifrice. Il chute. Un plongeon de près de 25 mètres à la verticale. Jouissif. Puis, petit déjeuner vite avalé. Wesley, Tizane, Clémentine. J'ai tout de même pris le temps de l'éplucher. Tenté par le fait d'en dévorer une seconde, je me retiens. Côté fruits, la ration journalière est une pomme plus une clémentine ou trois clémentines, pas plus. Bon allez, suite à ces considérations alimentaires, je me bouge. Surtout que c'est pas les grandes chaleurs ce matin. Direction la cime de l'arbre, bien au-dessus de mon hamac. Canopée Je suis tout en haut de l'arbre, assis sur une grosse branche charpentière. Ici, toutes les branches avancent dans la même direction. Sud-sud-ouest. C'est marrant, elle semble agripper l'air qui nous entoure. C'est comme si elle formait un bloc qui maintient l'arbre dans sa position. J'ai la sensation d'être en contact plus étroit avec l'arbre, d'être plus à même de saisir son expérience du monde. Je continue. Watch out ! C'est un peu mouvant là-haut. Troisième jour à hauteur de canopée. Ici le feuillage est extrêmement dense. J'ai le nez dans des poches d'air qui aménagent les feuilles. Je ne sais pas trop comment le définir mais... J'ai le sentiment que cet endroit est différent du reste de l'arbre. A ma droite, sur l'écorce pointant vers le sud, les colonies de l'Ikène. Elles sont absentes vers son nord. Ces petits mondes de couleurs jaunes, gris, verts... au ton très clair et aux fructifications en forme de paraboles sont posées sur l'architecture plus sombre de ce chêne. Et entre toutes ces couleurs, une toute petite fourmi. Constat banal si on en oublie qu'elle se trouve à plus de 25 mètres au-dessus du sol, bien loin de sa fourmilière. Pourquoi est-elle montée jusque-là ? Que vient-elle faire ? Partageons-nous les mêmes raisons inconscientes de rester ici et d'attendre longuement, comme ces lichens sur cette branche. Après tout, peut-être que les morts ne vont pas au ciel, mais qu'ils s'arrêtent avant. L'ascension serait trop longue. Peut-être qu'il se hisse jusqu'à la canopée et se transforme en lichen. Ce serait une sublime représentation de l'âge. Une vie en altitude, reculée, à regarder les saisons qui poussent. Chili con carne liophilisé, plutôt bon. A vrai dire, dans un tel dénuement, tout devient délicieux. Même le riz blanc accentué par le goût de la popote devient digne des plus grands restaurants. Goûtez, avalez, pliez. J'ai mangé très rapidement sur le trampoline, puis je suis immédiatement remonté me percher. La canopée exerce un réel pouvoir d'attraction sur moi. Je ne sais pas comment je vais occuper mon après-midi. Je crois que je vais m'assoupir. Je suis sur la canopée, j'étais assis depuis un long moment sur une sorte de trépied formé par trois branches et les fesses ankylosées, je me suis relevé. Et sans faire exprès, j'ai brisé une petite branche de 20, peut-être 30 centimètres. Elle est toute sèche. Mais à l'endroit où elle s'est craquée sur l'arbre, se dégage une odeur. C'est un mélange de bois, d'humus, comme une odeur de liège. C'est un vrai régal. Je vais renifler cette branche tout du long. Ça fait une bonne heure que je m'enivre du parfum de ce chêne. A la base des branches, sur les lichens, sous l'écorce, maintenant son nez doit, un vrai régal. Mais à chaque fois que je pense à redescendre, je suis happé par ce parfum de liège. Je reste là, immobile. Je fais comme cet arbre, j'attends, je me laisse caresser par le soleil, par le vent. Plus vouloir bouger, c'est le lierre qui finira par me grimper dessus. Puis les mousses me pousseraient sur le crâne, les vikens sur la peau. Peut-être le chêne qui est en train de m'en sorceler. Je suis actuellement dans mon hamac. Je viens juste de remonter. Ça souffle un peu plus qu'à l'accoutumée et de gros nuages gris se sont accumulés au sud-ouest. J'espère que le temps va se maintenir et que je ne vais pas passer une sale nuit. Je croise les doigts. Je continue à plonger plus profondément dans l'expérience. Je prends mes habitudes, mon rythme s'adoucit. Et je fais le strict minimum en matière de mouvement. Ça fait un bien fou d'avoir la tête un peu vidée. Toutes mes pensées sédimentent, elles viennent s'incruster dans mon moi. Finalement, c'est peut-être ça qui me relie le plus à cet arbre.

• Speaker #0

  Percher, une création de Ronan Moinet, produite par Bruyver. S'il vous a plu, n'hésitez pas à partager ce podcast. Et rendez-vous pour l'épisode 4. Considération météo