Transcription

• Speaker #0

  Percher.

• Speaker #1

  Premier jour de l'expérience.

• Speaker #0

  7 jours et 7 nuits à 25 mètres de haut.

• Speaker #1

  Je souhaite comprendre ce qu'est la condition végétale, m'extraire du monde des humains, vivre avec ce chêne.

• Speaker #0

  Renaud Moinet mène une expérience dans un chêne centenaire pour comprendre le monde des plantes.

• Speaker #1

  Mais qu'est-ce que...

• Speaker #0

  Percher, épisode 4, considération météo.

• Speaker #1

  Depuis de longues minutes, peut-être depuis une heure, je tente de me réveiller. Mais finalement, j'adopte la posture de la chenille. Je reste dans mon duvet. enroulée autour de ma toile de tente. C'est d'une certaine manière ma feuille à moi. Je n'ai pas très bien dormi cette nuit. Je me suis énormément réveillé et ça me grattait d'un peu partout. Les moustiques qui vivent en bas dans la mare... On fait une affaire personnelle de venir me vider de mon sang. Je sors doucement du coltar. Transformation en papillon peut-être. Je vais pouvoir descendre pour me faire mon petit déjeuner. Mais je dois l'avouer, ce matin, j'ai la flemme. Matinée du vendredi 22 avril, coincé dans le hamac. J'écris dans mon carnet de bord. Je viens d'avaler deux barres de céréales et une pomme. Petit déjeuner frugal. Autour, l'atmosphère est froide et pour me réchauffer les mains... Je tire sur les extrémités de ma Gore-Tex. Je me caille. Ce matin, il y a comme une ambiance de bord de mer, un marais basse. Ça pègue. Et ça sent les algues de sous-bois. Et tout ça à 25 mètres de haut. Alors, j'attends quelques rayons de soleil. Mais bon, vu la couleur du ciel, je ne suis pas sûr qu'ils arriveront. La photosynthèse est en berne. Dans ce genre de cas, lorsque je suis bloqué, perché dans le hamac à cause de la pluie, j'urine dans une bouteille à l'argent boue. Je la referme et j'ai alors tout le loisir de contempler sa couleur. Jaune, ocre, cidreux. Et puis, une fois la couleur analysée, je tire profit de la chaleur du précieux liquide. Justement, depuis mon réveil ce matin, mes doigts de pied ont froid. Ils me le font savoir. Cube de chair qui, à des glaçons, cherche à ressembler. Sachez que je ne vous laisserai guère finir votre métamorphose. Je tiens toujours à vous. Jusqu'à preuve du contraire, je ne suis pas devenu cet arbre auquel, depuis quatre jours, je reste suspendu. Il n'est pas de mon espèce de me débarrasser d'un membre en trop, d'une partie asséchée, car jamais celle-ci ne pourrait repousser. J'applique les parois de la bouteille pleine de mon urine sur mes pieds. Derrière le tarp, le ciel est d'une toute autre couleur. Ni soleil, ni tâche de bleu. C'est implacable, comme la couleur du ciel impacte le monde animal. Sur les branches autour de moi, peu de visiteurs matinaux. Les oiseaux restent dans leur nid, les insectes dans leur cocon. Tout ralenti. Même l'ARN reste dans le noyau. Si les gouttes pouvaient en faire d'eux-mêmes, nous serions tous en communion. Jour 4, après-midi, grand soleil côté ouest et deuxième pipi de la journée, cette fois-ci au grand air. Quel bonheur ! La technique est très différente de celle de ce matin. En équilibre instable sur le bord du trampoline sur lequel je viens de descendre, je me tiens perché. tels les petits anges sur les fontaines italiennes. Il s'agit de viser les fleurs au sol, 20 mètres plus bas, par un jet continu et concave de l'azote post-floraison. Après mon déjeuner pris à l'abri sous ma toile de tente, un taboulet lyophilisé cru, croquant et froid, le soleil a refait surface. L'ambiance de bord de mer a laissé place à la garrigue. Odeur de bois brûlé, insectes en contre-jour, et interstices de ciel qui soulignent le soleil. Je vis dorénavant dans un gros fruit, ocre, plein de sirop bien sucré. Je stridule. Le bruit des êtres vivants, le bruit vert, a repris de plus belle. Je peux même entendre les montées de sèvres sous l'écorce du chêne. Je perds même la notion de rythme. C'est comme s'il y avait plusieurs journées dans une journée. Dans notre société, le rythme est donné par l'alternance jour-nuit et par le matin, l'après-midi. Ces espaces-temps séparés par les moments où l'on mange, finalement. ... J'ai l'impression que pour un arbre c'est tout à fait différent. Il y a bien sûr l'alternance jour-nuit, comme pour nous les animaux, mais à l'intérieur d'une journée, les choses peuvent être tout à fait différentes. Il peut y avoir une multitude d'espaces-temps dans une journée. Si l'arbre doit faire face aux éclaircies, aux moments nuageux, et au passage de l'un à l'autre. En vivant constamment dehors au creux de ce chêne, soumis aux aléas de la météo, mon rapport au temps est en train de se transformer. Il s'accorde à celui de cet arbre. J'ai l'envie d'arrêter de bouger, de rester rallongé sur ce trampoline, et de ne rien faire. Même la notion d'ennui est en train de disparaître. Je ferme les yeux et je tends mon visage vers le soleil. Je chauffe. Je photosynthèse. Avant de monter dans le hamac, je me disais que les nuages étaient moins menaçants qu'hier. Au détail près que je ne regardais pas dans la bonne direction. A l'est, les nuages sont très gris, beaucoup plus foncés qu'hier. D'ailleurs, je suis arrivé au bon moment dans mon hamac. Je suis enfin installé. Et la pluie est en train de s'intensifier. Je me suis réveillé avec la pluie et je me couche avec la pluie. La météo a été un leitmotiv de mes réflexions aujourd'hui. Ah si, j'oubliais. En entrant dans mon cocon pour me coucher, j'ai aperçu un moustique. Je suis désolé de le dire comme ça mais... Je l'ai tué. Avec conviction. Je crois que c'est lui qui m'a piqué toute la nuit.

• Speaker #0

  Percher, une création de Ronan Moinet, produite par Bruit Vert. S'il vous a plu, n'hésitez pas à partager ce podcast. Et rendez-vous pour l'épisode 5, Perspectivisme végétal.