Speaker #0Ce qui incarnerait mon cinéma dans Chien 51, ce n'est pas une scène en particulier, ce serait peut-être un enchaînement de scènes. ou qui démarre dans la voiture avec une scène de ni oui ni non entre Gilles et Adèle. C'est une scène très intime, assez simple, qui raconte les personnages de façon assez simple et qui s'enchaîne avec une grosse scène d'action où tout d'un coup le film prend un rythme très différent de cette scène qui est posée dans une voiture, filmée en gros plan, très peu d'artifice. qui s'enchaîne avec une grosse scène d'action où tout part très rapidement et avec beaucoup de rythme et où les décors deviennent très amples et où les points de vue se succèdent. Cette idée un peu, ce mot très utilisé de roller coaster où on creuse la vague, où on met du contraste dans le rythme, parce que le rythme c'est bien quand il est soutenu, mais il doit être aussi, il doit avoir des respirations. Plus on creuse la vague, plus quand la vague monte, elle devient impressionnante. Elle prend du sens, donc c'est trouver dans le rythme ces respirations entre vraiment des scènes très intimes et tout d'un coup y coller beaucoup d'amplitude directement derrière pour avoir ces effets d'accélération tout en gardant du fond. J'adore le tournage, c'est vraiment ma partie préférée parce que c'est là où les films se font et puis c'est là où on travaille avec les acteurs qui est quand même le cœur pour moi de la mise en scène, le travail avec les acteurs. Mais c'est vrai que quand je tourne, je laisse aussi beaucoup de place au montage. C'est pour ça que je laisse les acteurs improvisés, que je tourne à plusieurs caméras, que je me permets plusieurs versions de chaque scène, parce que le montage, je connais la vérité du montage qui est complexe. Et sur des films avec une certaine amplitude, il faut pouvoir se laisser de la latitude pour aussi avoir une troisième écriture au montage, c'est vrai. Mais le tournage reste pour moi véritablement le cœur de mon métier, ce que je préfère et là où je m'exprime le plus. C'est plus de la latitude que de la liberté, parce qu'au montage on se rend compte que parfois il y a des choses qu'on a fait sur le plateau qui ne marchent pas forcément. Et quand on fait des films où il y a 140, 160 scènes, 4500 plans, c'est difficile d'anticiper ce qui pourra se produire quand finalement on assemble tous ces plans. Donc il faut se laisser de la latitude pour ne pas se retrouver piégé et devoir couper des scènes, non pas parce qu'elles ne sont pas bonnes, mais parce qu'elles ne vont pas forcément... automatiquement se marier avec la scène suivante ou la précédente. Donc il faut se laisser de la latitude pour garder de la fluidité narrative. Donc c'est plus de la latitude que de la liberté. Alors sur l'action, moins bizarrement, parce que l'action, j'essaie de garder un temps réel. Donc c'est dans l'action que je multiplie un peu le nombre de caméras de manière à pouvoir essayer de recréer le temps réel dans l'action. Donc s'il y a une course, je ne vais pas faire dix plans de la course, je préfère faire qu'une course avec cinq caméras, de manière à pouvoir garder l'espace et que les acteurs ne sentent pas le découpage et que les acteurs ne puissent pas finalement vivre complètement l'action, vivre la peur, vivre la tension. Donc j'essaye au contraire sur l'action de proposer une seule version, mais qui est couverte par plusieurs caméras, de manière à avoir la matière au montage nécessaire, au rythme. d'une scène d'action qui demande beaucoup de plans, mais bizarrement c'est sur l'action que je suis le plus scénarisé. Oui, parce que les scènes de dialogue, c'est les acteurs qui les font et j'aime leur laisser de la liberté dans l'improvisation, dans leur déplacement. Donc on va peut-être faire une scène statique sur un canapé et puis une scène qu'ils vont faire en mouvement, où le personnage va se lever, va aller à la fenêtre, va finalement parler à la fenêtre pour venir se rasseoir, ou simplement... assis en face à face. Donc là, on laisse beaucoup de place à l'improvisation, beaucoup de place à l'humain, au jeu des acteurs. Donc là, les versions peuvent être différentes les unes des autres au fur et à mesure des prises, là où l'action est quand même plus mécanisée parce qu'elle demande aussi des cascades, elle demande des techniques plus précises pour qu'elle soit réussie. Donc oui, c'est plus sur les scènes de jeu qu'on va expérimenter des choses que sur les scènes d'action qui sont quand même plus scénarisées, plus cadrées. en amont. Je m'appelle Serge Jimenez, c'est vrai que j'ai un parcours un peu particulier parce que je suis autodidacte. J'ai appris le cinéma par l'amour du cinéma parce que j'ai regardé énormément, énormément, énormément de films étant jeune et j'ai toujours voulu faire ce métier sans jamais me l'autoriser étant jeune. Donc j'ai beaucoup voyagé, j'ai travaillé dans la mode très jeune et c'est quand j'ai arrêté ce métier que je me suis lancé d'abord dans la production parce que c'est vrai que réalisateur, metteur en scène était... quelque chose que je sacralisais en fait. Pour moi, les metteurs en scène, c'était Martin Scorsese, Franz Ford Coppola, Steven Spielberg. J'adorais le cinéma américain des années 70. Et pour moi, c'était des monstres sacrés. Je ne pouvais pas une seule seconde imaginer que je pouvais faire leur métier. Donc c'était quelque chose que je sacralisais vraiment au sens littéral du terme. Et c'est donc que je me suis lancé dans la production pour accompagner des réalisateurs, des talents. Et c'est en produisant... Je me suis rendu compte que la production au sens financier, gestion du terme, n'était pas forcément ce que je préférais. Et puis j'ai pris goût au plateau, j'ai appris le plateau, j'ai appris les techniques de cinéma et je me suis rendu compte que finalement la mise en scène était d'abord ce que je voulais faire, ce qui m'intéressait le plus et que je m'en sentais capable. Donc j'ai produit et réalisé mon premier film et c'est quand j'ai mis les pieds sur le plateau la première fois, le premier jour, en tant que réalisateur que j'ai su... que c'est ça que je voulais faire et puis c'est là où j'étais le plus à l'aise. J'étais naturellement à l'aise dans cet exercice et j'ai jamais voulu faire autre chose. Donc il est certain que je suis beaucoup plus réalisateur que scénariste par exemple. J'écris mes films, je co-écris mes films parce que j'ai besoin en amont de me projeter dans la réalisation, j'ai besoin de me projeter dans ce que seront les scènes, j'ai besoin de me projeter dans la nature des personnages, dans le fond de l'histoire et des thématiques que les films traitent. Mais c'est vraiment en vue de réaliser. Je ne serais pas capable, par exemple, d'écrire pour quelqu'un d'autre. Donc je ne suis pas un scénariste pur. Je co-scénarise mes films, mais toujours avec un vrai scénariste. Et producteur, c'est un métier différent, mais quand on fait des films comme Chien 51, par exemple, on a un producteur qui nous accompagne, qui nous protège, qui est notre binôme, Hugo Célineac, un producteur de génie. Mais on est quand même proche de la production, forcément, parce que la fabrication d'un film comme ça est tellement pléthorique. Il y a tellement de choses à faire, l'entreprise est énorme, donc forcément on ne peut pas se dégager complètement de l'aspect production. Parce que dans fabrication, il y a production, il y a les enjeux financiers, il y a tout l'enjeu de l'organisation du tournage. Mais je suis réalisateur avant tout, ça c'est sûr. Je suis d'abord réalisateur, voire je ne suis que réalisateur. Je touche aux autres parties par nécessité et par engagement vis-à-vis du film que je fais. Mes premières rencontres avec le cinéma, je crois que c'était la dernière séance qui était l'émission présentée par Eddie Mitchell le mardi soir, le mercredi il n'y avait pas d'école, j'étais vraiment tout petit, et il présentait des westerns, c'était vraiment... Un soir que j'attendais toute la semaine. Donc je pense que c'est mes vrais premiers amours avec le cinéma. C'était le western de la dernière séance. Et ensuite, il y avait un vidéoclub en bas de chez moi. C'était un peu plus tard, quand j'étais ado. J'avais une télé, un magnétoscope dans ma chambre et je bouffais les films de ce vidéoclub. Je les enchaînais les uns après les autres. Et c'est là où j'ai certainement commencé ma culture cinématographique à travers ce petit vidéoclub que j'ai littéralement poncé. en regardant trois films par jour dans ma chambre, sur ma petite télé, mon magnétoscope. Alors on était surtout à l'époque sur vraiment le cinéma américain des années 70, des polars, des thrillers, des films d'horreur. J'étais surtout là-dessus. Bon, c'est pas très étonnant, on va dire. Au départ, j'adorais le cinéma. J'ai jamais arrêté d'en regarder. Quand je suis allé habiter à New York, je me rappelle, j'ai... J'avais pris un appartement et le seul truc que j'avais fait venir de Paris, à l'époque j'avais 19 ans, c'était tous mes films. Donc vraiment les films c'était obligatoire, je devais voir deux films par jour tout le temps, il fallait que je les vois, c'était vraiment mon exutoire, ma drogue. Donc ça a toujours été ça, de voir des films, de regarder des films, mais j'avais pas l'idée de... de faire du cinéma mon métier, parce que moi je viens d'une famille populaire, le cinéma n'était pas du tout, la culture en général d'ailleurs, n'était pas du tout dans mon éducation. Donc c'est venu plus tard, c'est venu avec la mode, parce que j'étais mannequin, donc j'ai eu une très jolie carrière dans la mode, et j'ai travaillé avec des très bons photographes dans le monde entier, ça m'a aussi ouvert un monde différent. La mode n'étant pas la culture, mais c'est quand même le monde de l'image, c'est aussi... rencontrer des gens très intéressants, sortir de mon petit carcan marseillais des quartiers nord et de voir le monde s'ouvrir un peu devant moi. Et donc quand j'ai arrêté la mode, j'ai tout de suite voulu me lancer dans une botte de production pour le cinéma parce que c'était ma passion, mais aussi parce que ces années de mode m'ont permis de voir le monde différemment et de ne pas penser qu'il était aussi triqué que je l'avais vécu dans ma jeunesse. La mode et le cinéma sont des milieux différents, mais la mode est un milieu aussi très glamour, avec beaucoup de défilés, les fashion week, et les boîtes de nuit, et les gens... Le parisianisme à New York, Londres, Milan... Donc forcément, on se décomplexe. Donc le monde qui nous paraissait inaccessible l'est un peu moins. Ce n'est pas le cinéma, mais ça peut y ressembler en tout cas, quand on se dit en fait... Rien n'est inaccessible finalement, ou tout est potentiellement accessible. Donc ça c'est une barrière qui est franchie et qui permet beaucoup de choses, c'est vrai. De toute façon, quand on a... J'avais 19 ans, donc j'habitais à Marseille. New York, quand on a 19 ans, ça fait rêver. Alors ça fait rêver à travers les films, mais pas seulement. Quand on a 19 ans, la première fois que j'ai atterri à New York, que j'ai... J'ai pris le taxi et que je suis arrivé dans... qu'on voit Manhattan au loin, c'est quelque chose quand même. C'est très impressionnant, c'est une ville qui va à 100 à l'heure, une mégapole comme il y en a peu, donc forcément c'était un choc. Et New York a cette particularité géographique de très vite se repérer dans la ville. Ce sont des rues qui se croisent avec des numéros. Donc on se sent très vite chez soi, surtout quand on est jeune. Donc c'est vrai que ça a été un gros changement dans ma vie, ces années à New York qui ont... et eu une influence définitive sur tout ce qui a suivi. D'abord, on est obligé de comprendre les coulisses du cinéma parce qu'en étant producteur, on est au cœur de la fabrication. Et puis, on touche un peu, enfin en tout cas, on a un œil sur tous les départements que font un film. que ce soit du côté production, financier, administratif, mais aussi du côté plateau, le rôle de chacun. On se familiarise aussi avec le plateau, parce que moi, le peu que j'ai produit, j'étais tout le temps sur le plateau, j'étais très curieux. Donc c'est vrai que quand je suis arrivé la première fois sur un plateau en tant que réalisateur, je n'avais plus du tout cette angoisse du plateau. Je le connaissais, je savais comment il fonctionnait et je connaissais le rôle de chacun. Et donc l'organigramme et cette petite fourmilière qui se met en place... Je la connaissais, elle ne m'était pas étrangère, donc ça m'a aidé, c'est sûr. Je pense qu'on est tous, on essaye toujours, et ce n'est pas quelque chose de mégalo, mais c'est plus de l'ordre de la connexion avec les personnages, on a envie de les comprendre. On a envie de les mettre en scène, on a envie de pouvoir en tirer le maximum, donc il faut qu'on ait un minimum de connivence avec eux, avec les personnages. Il faut qu'on puisse vraiment arriver à penser comme eux et être d'accord, enfin quand j'ai dit d'accord, arriver en tout cas à comprendre leurs émotions, leurs colères, ou être pas du tout d'accord avec eux, mais être pas du tout d'accord avec un personnage. C'est aussi une forme de connexion, parce qu'on sait pourquoi on n'est pas d'accord, on sait pourquoi on le déteste. Donc on arrive à mettre en scène cette détestation, mais c'est sûr qu'il faut forcément, on ne peut pas être complètement déconnecté d'un personnage et ne rien ressentir face à un personnage qu'on met en scène. Sans quoi, il nous échappe et on a un regard vain sur lui. Il faut l'aimer, le détester, en être amoureux, mais en tout cas, il faut avoir une émotion forte par rapport à lui, et la détestation en est une, la colère, être en colère. Il faut ressentir pour pouvoir faire ressentir. La Frens, c'est particulier parce que j'ai, évidemment, j'aurais toujours plus de respect pour un juge des instructions que pour un... Pas plus de respect, mais en tout cas, mes valeurs vont aller plus vers un juge des instructions qui se bat pour la justice que pour un mafieux. Mais j'avais aussi beaucoup, beaucoup d'affection pour Gaël Tansanpa parce que... Dans les codes du cinéma, en tout cas, il représente quelque chose de très... qui est le cinéma que j'aime. Et en plus, c'est quelqu'un que j'avais connu, et dont je connais bien les enfants, et que j'avais connu étant enfant, et qui représentait une époque très rock, très glamour. Et donc, c'est vrai que ces deux personnages, Zampa et le juge Michel, tout comme dans Hit, par exemple, Al Pacino et De Niro, on les aime les deux, même s'il y en a un qui est un braqueur et qui n'hésite pas. à tirer sur quelqu'un et l'autre qui est un flic, qui sacrifie sa vie et sa famille au service de la justice. On ne peut pas dire qu'il y en a un qu'on déteste et l'autre qu'on adore. On est ambivalent et c'est aussi ça la force du cinéma. C'est vrai que c'est une thématique qui m'est chère, qui revient dans tous mes films. C'est vraiment l'individu face à une machine qui le broie, ce qui peut être hiérarchique, terroriste, mafieuse, machine tout court dans Chien 51. Mais c'est vrai que je suis très sensibilisé par l'humain, par l'individu et par sa fragilité parfois face à un système qui va l'écraser et le priver. de sa vie, de sa liberté, de ses valeurs, de sa capacité à être un humain et un individu. Donc c'est vrai que le carcan est un bon mot, c'est vrai que c'est une thématique qui m'est chère et qui revient dans beaucoup de mes films précédents. C'est très important que tout le monde connaisse son métier. Moi, je suis quelqu'un de très horizontal dans le travail. J'adore l'esprit d'équipe, donc je n'aime pas la verticalité. Mais la hiérarchie, de toute façon, sur un plateau, elle est automatique. On n'a pas besoin véritablement de l'imposer parce qu'un tournage, ça va très vite. La préparation est très longue. Donc avant même d'arriver sur le tournage, chacun sait ce qu'il doit faire. Donc il y a quelque chose. qui se met en place normalement et naturellement quand ça se passe bien. Moi, je n'ai jamais connu de tournage où ça s'est mal passé. Et donc, après, il faut profiter. Et le rôle du metteur en scène est d'avoir ce recul et de donner une direction artistique à tout le monde. Mais chacun sait ce qu'il doit faire et ça, c'est très agréable. Et moi, j'adore travailler. Je suis quelqu'un de très fidèle, que ce soit avec les acteurs, mais aussi avec les techniciens. J'adore travailler avec les mêmes équipes parce que je... On se connaît, on se comprend, on n'a plus beaucoup besoin de se parler et ça devient quelque chose de très fluide, de très agréable au quotidien quand on est sur le plateau, de faire ensemble. Alors c'est une course contre la monde, c'est sûr, et c'est ça qui est le plus vertigineux quand on fait un film. J'explique souvent aux gens, c'est un des seuls métiers où quand la journée est finie, elle est finie. pour la vie, elle sera imprimée pour la vie. Donc c'est très vertigineux d'arriver le matin et de savoir que cette journée-là, les scènes qu'on va faire là, on ne pourra pas les refaire le lendemain et elles survivront à notre propre mort. Donc il y a quelque chose d'assez fou dans l'idée de se dire que tout ce qu'on fait est définitif et ne sera plus jamais corrigible. Donc ça, c'est très vertigineux et en même temps, il faut garder la candeur de notre métier qui est la création et dans la création, Il faut se lancer et faire, surtout il y a des jours où on est meilleur que d'autres, ça fait partie du jeu, et puis il y a même des jours où on pense qu'on a été très bon et au montage on se dit que c'était pas si bien, et inversement, des jours où on se dit que cette scène c'était quand même pas ouf, et puis on la voit au montage et finalement il y a des gens qui me disent que c'est la meilleure scène du film. Il n'y a pas véritablement de règles, mais c'est vrai qu'on court contre le temps sur le plateau et surtout... On a toujours au-dessus de notre tête cette idée que ce qu'on est en train de faire va être dans le marbre. Parfois il y a une prise où on a l'impression que c'est bien, mais... Faisant complètement différemment, on se rend compte que celle d'avant est bien, mais qu'avec une petite touche supplémentaire de ça, on pourrait revenir en arrière, mais en mieux. Donc il faut essayer, il faut expérimenter. Et je pense que trop de certitude n'est pas forcément, en tout cas dans ma façon de travailler, la meilleure des façons d'obtenir le meilleur résultat. Quand on fait un film avec 20 scènes, ce n'est pas pareil que quand on fait un film avec 140 scènes. Donc forcément... la capacité de se tromper est supplémentaire par ces statistiques. Mais ce n'est pas seulement pour se back-upper, c'est pour expérimenter, c'est aussi pour être surpris. Le plateau, la force du plateau, c'est du live, le plateau. Donc on peut aussi avoir imaginé pendant des mois et des mois quelque chose et être surpris par la réaction d'un acteur, par une impro, par un coup où il se met à pleurer, alors que ce n'était pas du tout prévu qu'il se mette à pleurer. Mais en fait, on n'avait jamais envisagé qu'il pouvait pleurer dans cette scène. Et c'est génial, donc on a envie de... de continuer à exploiter ce moment magique, parce qu'heureusement que le plateau propose des moments magiques, on le voit dans bien des making-of avec bien des acteurs comme Brando et d'autres, où on voit tout à coup quelque chose se faire, qui n'est pas prévu, qui sort de nulle part, qui est magique et qui va rester dans toutes les mémoires. Donc il faut laisser de la place à la magie, aux acteurs, parce que c'est quand même eux qui jouent, et tout ce qu'on a pu imaginer parfois est insuffisant par rapport à ce qu'ils arrivent à faire. Par exemple, dans Bac Nord, il y a cette toute petite scène, mais très... que moi j'adore, où ils sont dans la voiture, les trois, Karim, Gilles et François, et où Karim, c'est une totale impro, c'était pas du tout prévu, donc moi j'étais dans la voiture à côté, j'étais écouté au casque, et Karim parle de la... il vient de faire l'échographie de son gamin en 3D, et François dit en 3D avec les lunettes comme au cinéma, donc il commence à se moquer de François parce qu'il... Et cette scène est très drôle, très touchante, très constituante, je trouve, de la nature de ces trois personnages. Et ça se passe sur le plateau. C'est une prise, ils le font. Et couper, c'est top et on garde. Mais c'est pas écrit, je suis pas prévenu. Et évidemment, je prends, parce que c'est drôle, c'est simple. Et ils s'amusent à le faire et c'est eux qui créent ce moment-là. Je dis toujours à des acteurs, parfois quand ils ont leur texte, par cœur, donc ils attendent leur moment pour parler. Mais dans la vie, moi je ne sais pas, je ne connais pas ta prochaine question. Dans la vie, on répond à une question, on ne sait pas en amont quelle phrase on va dire. Donc laisser aussi la vie prendre sa place sur le plateau, c'est aussi tout simplement recréer ce qui se passe dans la vie, dans une discussion. On ne connaît pas les quatre répliques qui viennent derrière. Donc il faut aussi pouvoir laisser de l'air et de la vie. J'appellerais plus ça de la vie que du réalisme. C'est juste la vie, en fait. Et la vie, quand on la voit au cinéma, on l'aime parce qu'elle ressemble à ce qu'on vit tous les jours. Et donc on s'identifie, on y croit et on vit le film différemment. Il y a une connexion entre le personnage, l'acteur que je vais choisir et puis il y a une connexion entre l'acteur et moi. C'est-à-dire que moi je suis quelqu'un qui adore partager et donc j'ai besoin de bien me sentir avec l'acteur avec qui je vais travailler parce que j'ai besoin de confiance, j'ai besoin de fidélité, j'ai besoin de mise à nu et j'ai besoin de bienveillance. Et c'est important pour moi de travailler avec des gens qui portent un bon regard sur moi et inversement. C'est quelque chose de très important pour moi, mais évidemment... Il faut aussi et surtout que cet acteur corresponde au personnage et soit un très bon acteur. Mais ça, c'est la base d'un casting. Je ne pense pas qu'il y ait un réalisateur qui choisisse un acteur qui puisse ne pas interpréter ce personnage. Mais moi, c'est vrai qu'il y a une conception humaine dans le travail très forte et c'est très important pour moi. La sensation très étrange que j'ai eue, c'était d'être vraiment à ma place et que... Les choses m'apparaissaient évidentes, c'était évident. J'ai ressenti une évidence, comme on peut avoir avec un coup de foudre amoureux. Tout d'un coup, c'est une évidence que cette personne, c'est celle-là et pas une autre. Et quand je suis arrivé sur le plateau la première fois en tant que réalisateur, c'était évident que c'était ma place. C'était évident que je savais le faire, que j'avais envie de le faire, que tout me paraissait clair, que je me sentais heureux, que je me sentais à l'aise, léger et avec une énergie... que je ne me connaissais quasiment pas. Donc oui, c'est de l'ordre de l'évidence en fait. Comme quand on est amoureux, vraiment, c'est un peu la même chose. On n'est pas fatigué, on est heureux, on a envie de faire, on n'a pas peur, on se sent bien, vraiment. Donc ça ressemble vraiment à l'état amoureux. J'ai eu la même chose sur la French, le premier jour de la French, on était sur la corniche, on avait bloqué la corniche, qui pour un Marseillais est quand même un truc de fou. Quand le matin je me suis réveillé que les policiers m'ont escorté sur la corniche qui était bloquée pour moi, pour un Marseillais qui vient des quartiers nord, c'est quand même une sensation très particulière. Mais au premier clap, je me suis senti très à l'aise, même sur la corniche, avec toutes ces voitures des années 70, un assassinat avec une... Sur une station de service qu'on avait reconstruite, qui n'existait pas, je me suis senti à l'aise, j'étais à ma place, je prenais du plaisir, je voyais ce qu'il fallait faire, je ne saurais pas expliquer pourquoi et comment, mais j'étais dans le même état d'esprit que ceux reçus de tous. Honnêtement, je n'avais pas de pression particulière, je ne ressentais que du plaisir et de l'évidence, une fois de plus. C'est la première scène du film et je me rappelle, il n'y avait ni Gilles ni Jean dans cette scène et Jean était venu un peu... Pour voir quand même si c'était trompé ou pas dans son choix. Et je me rappelle qu'à la fin de la journée, il est venu me voir et il m'a dit « T'es en place, à demain, j'ai hâte. » Alors ça dépend vraiment des scènes. Il va y avoir des scènes où les plans sont très préparés et préconçus. Dès que c'est des... Plan de machinerie avec des travelling ou avec des grues, forcément, le mouvement de caméra est prédéfini, mais la plupart du temps, je tourne à l'épaule, à la caméra à l'épaule, c'est pour ça que je l'affectionne particulièrement, parce qu'elle a cette faculté à être mobile et surtout à répondre à n'importe quelle situation. C'est pour ça qu'elle est utilisée dans les documentaires. Donc quand les scènes de jeu, quand les acteurs bougent, quand on est à l'épaule, le chef-op, il suit un peu le ballon. si Gilles part à la fenêtre, revient, il va falloir qu'ils le suivent et qu'ils le cadrent. Parfois, il y a des fous et ce n'est pas grave, on la refait. Donc ça dépend vraiment des scènes. Il y a des scènes où la caméra suit l'acteur littéralement. Donc c'est l'acteur qui décide presque de la scénographie et la caméra qui le suit, en tout cas sur les premières prises. Et ensuite, moi, je réadapte en fonction de ce que j'ai vu. Et puis, il y a des scènes qui sont des plans séquences ou des mouvements de caméra plus précis, souvent dans les ouvertures d'actes ou de chapitres. où là, ce sont des plans plus composés, et c'est la caméra qui « lead » la scène et non pas ce qui se passe à l'intérieur de l'image. Ça fonctionne du scénario, c'est fonction de la nature des scènes et de la dynamique narrative aussi du film. Souvent, les plans de grue, les plans larges, ça ouvre un chapitre ou ça enferme un. La caméra doit avoir du sens. De toute façon, il ne faut pas faire un plan parce qu'il est beau. Enfin, moi, ce n'est pas ce que je pense. Il faut faire un plan parce qu'il est utile et utiliser une grammaire filmique pour sortir de la scène ou en tout cas de la raison pour laquelle la scène est à ce moment-là. de la meilleure des manières pour justement donner un sens narratif à la mise en scène. Donc c'est vraiment très lié à la transversalité narrative du film, mais aussi à la nature même de la scène. J'ai vu une interview de Villeneuve où il racontait ça effectivement, qui est une façon de réaliser d'ailleurs, par exemple, Gilles aurait, je pense, je parle pour lui, mais plutôt cette vision de la mise en scène de monocaméra, un plan c'est un plan, il en fait peu par jour. Moi non, moi je suis plus dans la captation du live. Donc déjà je tourne rarement à une seule caméra, c'est plutôt deux de base, voire parfois trois. Moi je m'adapte en fait plus à la scène, la caméra s'adapte aux acteurs et à la scène plus que l'inverse. Donc quand j'arrive sur le plateau, c'est là où je commence à regarder. Je suis très instinctif, donc j'ai un rapport un peu viscéral à la mise en scène. Donc je décide où mettre la caméra vraiment au dernier moment. À part sur des plans de grut, sur des plans vraiment qui sont faits pour être composés, où là, non évidemment, parce que ça convoque d'abord des moyens techniques importants. Donc il faut placer la grue, il faut poser des rails au sol. Il faut répéter. Mais dès que je suis caméra et pôle, ça vient sur le moment. Moi, la lumière, il faut que ça soit à 360. Toujours, je déteste avoir un pied de lumière dans un décor. Moi, un décor, je veux que l'acteur rentre dans un bureau. Il faut qu'il soit dans le bureau. Je ne veux pas qu'il ait l'impression d'être sur un plateau de cinéma. Je veux qu'il vive la scène comme il la vivrait dans son bureau. Et après, au fur et à mesure des prises, une répétition, une mécanique, deux mécaniques. Là, évidemment, on place les caméras et on crée la scène, mais j'aime bien la créer en l'envoyant. Après, vraiment, ça dépend des scènes aussi. Il y a des scènes où je sais que c'est une chorégraphie de plusieurs plans. Donc là, je sais, c'est un travelling, deux travelling, droite, gauche, je rentre, je ressors. C'est en musique. qu'il y a des... Il y a des moments où je ne fais pas ça, mais quand même, quand je suis dans les scènes intimes et dans les scènes de cœur de film, j'aime bien être à l'épaule et être vraiment à l'intérieur de la scène et pas à l'extérieur. Ça me fait penser à une scène, c'est aussi sur Bac Nord, où François... Et Kenza se parle, ils sont assis côte à côte et il se parle, il lui dit qu'il lui faut une tuyau, tout ça. À la base, c'était un découpage, il y avait un travelling très long, ça partait d'un plan large, etc. Et puis, je fais une prise, deux prises, je sens que ça ne va pas le faire du tout. Je prends deux caméras, je les colle aux deux et je me mets vraiment à 50 cm de Kenza. Donc, je suis en dessous des caméras, 50 cm, et je lui fais faire le texte. quasiment en perroquet, je redis-le, redis-le, redis-le, parce que j'ai senti tout de suite que ça n'allait pas marcher comme je l'avais prévu, et qu'il fallait que je sois très proche d'eux, très à l'intérieur, et donc j'ai changé tout de suite mon fusil d'épaule, et la scène est restée comme ça. J'ai fait une prise, j'ai démonté les travelling, et j'ai tout changé. J'ai changé la mise en scène de la scène en char. Première prise, j'ai senti que ça ne marcherait pas. Je l'ai vue, j'étais à la vidéo, j'avais mes deux caméras, j'avais pas eu la bonne idée, j'avais pas eu la bonne approche et c'est pas grave, il faut savoir réagir c'est comme Comme tout dans la vie, je me suis dit non, ce que j'avais en tête, ce n'est pas ça qu'il faut faire. Donc j'ai arrêté, j'ai dit on prend un quart d'heure, j'ai réfléchi, j'ai fait démonter les travelling, j'ai fait démonter les caméras, remonter les caméras à l'épaule et j'ai mis deux caméras côte à côte, vraiment collées à eux et j'ai fait toute la scène en gros plan sur eux. Je l'ai même tourné au ralenti, je me rappelle la scène, à 48 secondes pour pouvoir faire des ruptures de rythme à l'intérieur de la scène. Après, on peut se tromper, mais là, pareil, j'ai senti qu'il fallait faire comme ça, que ça allait marcher. Et on sait pourquoi on le fait, parce qu'on pense que c'est comme ça que ça va marcher, surtout que ce qu'on avait prévu n'allait pas marcher. Mais oui, il faut l'apprendre très vite. De toute façon, si on s'enterre, c'est rare quand ça ne marche pas et qu'on s'enterre, qu'on s'enterre. Moi, d'expérience, je sais que quand ça ne marche pas, trop insister. on finit par se rassurer et par se dire, ah, c'est mieux, donc ça marche. Mais non, en fait, c'est juste moins mauvais. Donc, on arrive au moment où je dis, non, mais en fait, ça ne marche toujours pas. Oui, c'est moins pire que les premières prises, mais la neuvième, elle n'est pas dingue non plus. Donc, il faut savoir se remettre en question sur le plateau, enfin, moi, je pense, et changer notre fusil d'épaule. Mes films sont relativement proches des scénarios. Je me laisse beaucoup de latitude au montage. Et en même temps, quand on regarde les films à l'arrivée, ils sont quand même assez proches des scénarios, même très proches. Donc bien sûr, de toute façon, quand j'écris, je suis déjà moi dans la réalisation. Donc parfois, je peux débattre beaucoup avec le scénariste où il me dit « mais ça, c'est ton problème » . Je dis « non, non, mais écris-le quand même comme ça, c'est important pour moi » . Si la scène reste comme ça, si je la vois pas visuellement, ça me dérange, elle me fait peur, donc j'essaie déjà de faire des raccords, de trouver un rythme à l'écriture qui est presque un pré-travail de ce que je vais faire au plateau à la mise en scène. C'est important parce que d'abord le scénario, c'est ce que toute l'équipe lit, les acteurs, les techniciens, donc ça doit être... C'est le socle du film, le scénario, c'est la base, c'est de là que tout part et ça doit être vraiment ce que tout le monde suit et respecte. Donc il faut évidemment qu'il ressemble le plus possible à ce que, à mon avis, le film sera. Au montage, on enlève des scènes, parfois il y a une scène qui est la scène 3 qui devient la scène 8. Bien sûr, si le tournage répondait exactement au scénario et le montage exactement au scénario, on monterait huit semaines, six semaines, pas trente. À part Hitchcock ou Sergio Leone qui eux, découpaient au millimètre et respectaient leur plan. et leur mise en scène au minimum, il y a quand même très peu de metteurs en scène qui vont être dans cet exercice de précision ultime, où finalement le montage n'est qu'une application stricte et sévère d'un découpage préétabli. Ce sont des écoles différentes. Michael Mann dit que si tu montes 25% de ce que tu as tourné, c'est que tu n'as pas assez tourné. Hitchcock va monter 98% de ce qu'il a tourné. Ça ne veut pas dire que... que l'un a tort et l'autre a raison. Ce sont des approches différentes, des grammaires différentes, mais tout comme les musiciens, les peintres, chacun a sa méthode. Et seul le résultat du film est roi, finalement. Bien sûr, on se pose beaucoup de questions au montage, et le piège du montage, c'est que c'est très long. Moi, quand je monte, je m'habitue au film, donc parfois je peux être un juge erroné. C'est pour ça que j'aime bien le montrer, le film, parce qu'il y a une scène que je peux ne plus aimer à force de l'avoir trop vue, et donc je peux avoir tendance à vouloir la réduire ou l'enlever, alors que la première fois que je l'ai vu, elle est super, la scène. Donc il faut aussi être prudent de ne pas s'habituer, s'anesthésier face à son propre travail. Donc c'est un exercice qui est fastidieux, mais qui est passionnant, parce qu'aussi il est très galvanisant. on voit le film en train de se faire et c'est la première fois au montage où on voit des scènes entières et même nous, réalisateurs, on a toujours ce premier rapport un peu enfantin à voir ces scènes, waouh, elles arrivent, ça y est, ça existe, ça ressemble à un film. Donc c'est très passionnant et c'est très satisfaisant et en même temps, c'est un moment où on peut aussi faire des erreurs, on peut sauver des situations compliquées, mais on peut aussi abîmer. Donc il faut être vigilant et garder, se rappeler pourquoi on a fait le film, pourquoi on l'a écrit, quels sont les enjeux, quelles sont les premières raisons des tout premiers jours. Parce qu'au montage, on est déjà là depuis deux ans, sur le film, donc il faut toujours se rappeler du pourquoi on a fait ce film et de qu'est-ce qu'on veut raconter au fond. Et que cette question, elle soit écrite sur un papier, qu'on la colle à un mur et qu'on n'oublie jamais. On le garde en tête, mais c'est vrai que souvent, quand j'ai des doutes, je reviens à ça, je me dis... Pourquoi tu as fait le film ? C'était quoi la première question ? C'était quoi la première obsession ? C'était quoi le premier rêve ? C'était quoi le truc dont tu étais sûr, auquel tu tenais vraiment ? Donc, il y a des doutes, il faut revenir à ça, aux fondamentaux, en fait.