Speaker #1Alors on est en Éthiopie, dans la vallée de Lomo. C'est le profil d'une jeune fille qui vient de la tribu des Murcis. Il fait plutôt chaud à ce moment-là, mais pourtant il est très tôt. Elle est de profil et au moment où j'ai pris cette photo, des tis ont retenti et une personne est morte en fait. Donc on s'est mis à courir très vite, on n'a pas compris et en fait... Juste à côté, dans la hutte, d'ailleurs, on peut voir cette maison derrière elle. C'était ici qu'une personne a perdu la vie. Et en fait, j'ai voulu symboliser ça avec des sortes d'explosions en superposition qui sont finalement des fleurs qui sont trempées dans de l'argile que les jeunes femmes mettent sur leur corps comme des avis. Et je trouvais intéressant de manifester cette émotion. à travers quelque chose de poétique et en même temps quelque chose qui symbolise aussi leur culture. Donc cette photo, elle est importante pour moi parce qu'elle catalyse toutes ces émotions que j'ai vécues sur l'instant et en même temps, elle raconte aussi le quotidien dans cette tribu. Je m'appelle Claudia Rovida, je suis photographe, réalisatrice de documentaires. Je suis née à Cannes et j'ai grandi dans une famille où il y avait des violences, des violences domestiques. Et ça a été le point de départ d'une réflexion personnelle sur l'envie d'aller d'exprimer mes émotions. Je cherchais un médium qui pouvait un petit peu... créer ce que j'avais en moi et l'exprimer d'une manière ou d'une autre. Et c'est vrai que la photographie est arrivée très vite puisque mon père collectionne des appareils photos, des Leca. Et donc j'ai grandi avec mon père qui m'expliquait comment les manipuler, les remonter, comment ça fonctionnait. On a beaucoup voyagé aussi, ce qui m'a aussi permis d'emporter ces appareils photos, de commencer mes premières photos de voyage. On faisait des trekking au bout du monde. Je détestais marcher et c'est vrai que finalement, mon appareil photo était un peu comme un ami en fait, où on visualisait, on découvrait un petit peu le monde ensemble et ça a été aussi ma manière d'exprimer ces émotions à ce moment-là. Après, moi j'ai fait des études de publicité. Enfin, je voulais faire absolument des études d'art et c'est vrai que mes parents m'ont dit que c'est quand même mieux de faire quelque chose en attendant avant de faire... des études un peu plus poussées. Ma mère voulait absolument que je fasse des études au préalable. Et donc, j'ai fait de la pub. Je suis allée jusqu'à mon master en direction artistique. Et après, j'ai fait une école de photo, mais je suis restée clairement six mois. C'était difficile parce que je repartais dans un cursus sur trois ans. C'était un producteur à l'époque qui m'avait dit qu'il fallait absolument que je fasse une école de photo si je voulais être photographe. Je ne savais pas vraiment si je voulais être vraiment photographe, mais je voulais quand même faire des photos et essayer d'avoir une approche technique aussi, puisque je savais utiliser ces appareils, je le faisais un peu de manière spontanée, mais il me fallait quand même un bagage. Et c'est vrai que cette école, elle m'a permis d'apprendre à faire des tirages, à partir un peu dans des notions d'utilisation de la chambre noire et aussi de ces appareils photos, les chambres. des prises de vue en studio, il y avait des thématiques qui étaient hyper intéressantes mais après six mois je me suis sentie un peu en décalage avec les étudiants parce qu'ils sortaient d'école, moi j'avais déjà mon master et du coup j'ai fini mon année à Tokyo. Trois jours après avoir quitté cette école, j'ai dit à ma mère que j'ai pris un biais et je suis partie finir mon année à Tokyo où j'ai fait pas mal de projets photographiques, j'ai rencontré beaucoup de... de personnes qui m'ont aidée, j'ai fait un peu de mode Donc voilà un petit peu mon parcours professionnel. Et ensuite, j'ai travaillé dans des agences de pub. Ça m'arrive de travailler en tant que freelance pour des agences où je suis spécialisée dans la beauté et dans le luxe. Du coup, mes influences, c'est plutôt principalement dans la peinture et dans la littérature. J'ai moins de... de références plutôt d'images, en tout cas de photographies. Mais ce qui m'intéresse dans la peinture, par exemple, c'est le fauvisme, ces mouvements et ces couleurs. Pareil pour l'expressionnisme, j'aime bien la démarche d'y mettre un peu ces émotions à travers des couleurs. Donc ça, ça m'a beaucoup intéressée de pousser dans ces références iconographiques de peinture et la littérature, parce que... J'ai grandi en lisant des tonnes de livres et je pense que c'était un moyen pour moi de m'évader avant d'avoir la capacité de voyager. C'était ma manière à moi de créer mon monde intérieur. Et aussi, c'est vrai qu'aujourd'hui, je suis plus orientée vers des ethnologues, des références comme Jean-Baptiste Aizé, qui était parti d'ailleurs dans la tribu des Murcis et qui a été un document... En tout cas, un de ces livres a été un document inestimable pour réaliser mon projet dans la tribu des Murci, pour mon projet « Woman of Fire » . Ça a été aussi une manière d'apprendre leur langage et comprendre que finalement, leur manière de communiquer était à travers les couleurs. Donc ces livres sont hyper importants pour moi. Et c'est ce que je fais encore aujourd'hui, c'est avant de partir dans une tribu, je pars. dans des bibliothèques ethnologiques. Et en tout cas, je documente. Enfin, il y a un gros travail de documentation qui sont liés à ces artistes et à ces auteurs. La base de mon travail, c'est de raconter la résilience. Ce qui m'intéresse, je pense, par mon histoire, c'est d'être confrontée à des résiliences. Mais il m'a fallu, je pense, dix ans pour comprendre un petit peu ma démarche. Il m'a fallu beaucoup de voyages et aussi un travail thérapeutique de MDR qui m'a permis de comprendre et d'être apte à le raconter, par exemple, aujourd'hui. que ma démarche est vraiment liée à mon histoire personnelle. Et donc, ma volonté, c'était d'aller raconter l'essence humaine et la résilience au bout du monde. Et ce que j'aime, c'est aussi l'immersion dans des lieux qui sont presque chaotiques, qui ressemblent à l'enfer presque, et de voir aussi de la poésie. Et donc voilà, je pense que j'en avais besoin. C'était une volonté viscérale d'aller à la rencontre de ces personnes. Donc je décrirais mon travail un petit peu comme ça. Je vois mes séries photos avec un fil rouge. Et en fait, ce fil rouge, c'est une forme de réparation pour moi. Et à chaque fois, je vais choisir des thématiques qui vont avoir un sens par rapport à mon vécu. Bien évidemment, je m'intéresse énormément aux problématiques des communautés. en premier, bien évidemment, aller chercher ces histoires, mais aussi essayer d'avoir un lien personnel, parce que je n'y avais pas forcément de ces tribus. Donc j'essaye de m'approprier quelque chose, ou en tout cas d'avoir des émotions pour pouvoir au mieux les raconter. Et étant ultra sensible, forcément, des histoires peuvent résonner en moi et créer presque un miroir. Donc pour moi, c'est une réparation, parce que je me réponds, Je me répare en étant au contact de ces gens, mais aussi je me répare en racontant leur histoire après, dans tout mon processus de tirage. C'est important pour moi aussi d'exprimer ces émotions, ce que j'ai vécu, et de les catalyser, de les extérioriser dans cette forme-là d'œuvre photographique. Mon processus, il est totalement... argentique et organique. Il est presque unique parce que chaque photo a un peu son effet que je crée en chambre noire. Il n'est pas réplicable. Ça commence par des prises de vue sur place, de portraits et aussi de close-up organiques. Et ensuite je vais travailler soit avec des superpositions de négatifs que je fais en chambre noire, pas forcément à la prise de vue mais... en labo et ensuite je vais créer des dégradés de couleurs pour que ces superpositions puissent se fondre parfaitement et avoir des teintes. Et chaque teinte a forcément une volonté de ma part qui raconte à la fois soit mes émotions sur le terrain soit ce que je ressens après coup. Donc ça va être un long processus en chambre noire après mes voyages. où ça peut s'étirer entre 6 mois à 1 an de tirage. Pour mon projet Woman of Fire, j'ai mis à peu près 1 an pour finir ma série parce qu'il y a beaucoup de tests, d'expérimentations en chambre. Je vais utiliser des utensils lumineux pour créer ces dégradés de couleurs, pour avoir ces effets, ces patterns de superposition. Retrouver un peu de texture aussi parce que dans mes photos, il y a beaucoup de texture. Je vais travailler avec des close-ups de peau. de fleurs, il y a beaucoup d'éléments organiques. Et composer toutes ces couleurs et ces superpositions, ça prend du temps parce qu'il y a beaucoup de tests. Et donc parfois je danse un peu dans le noir, c'est-à-dire qu'avec mes mains, je vais, avec mes outils, essayer de faire une chorégraphie pour que ces couleurs puissent bien se fondre. Et donc parfois je me le répète jusqu'à ce que j'arrive à avoir la bonne photo. Il m'a fallu dix ans pour trouver mon esthétique. Les superpositions, les couleurs, ces effets un peu chauds ne sont pas venus comme ça. Il a fallu que je comprenne ma démarche. Et c'est vrai que mon voyage en Éthiopie a été un peu le point de départ d'une esthétique qui aujourd'hui me suit et qui, je pense, va rester pendant longtemps, même si je l'explore encore, parce que cette technique, elle est encore... Après j'adapte un petit peu en fonction des sujets, des projets, je ne vais pas forcément répliquer à chaque fois la même manière de faire. J'étais partie en fait en Inde il y a trois ans et en rentrant d'Inde je me suis dit tiens je vais superposer des négatifs. Et je trouvais que c'était hyper cool mais ça ne fonctionnait pas parce que ça n'a pas été pris au même endroit, il y a des problèmes de lumière, enfin bref il y avait plein de choses. Et en fait ça faisait longtemps que je travaillais sur ce projet en Éthiopie. qui s'appelle Woman of Fire. Et en fait, trois semaines après avoir travaillé en labo, je me suis dit, OK, il y a un truc, il faut que je prépare ça sur place. Et donc, trois semaines après, j'ai réussi à partir en Éthiopie pour mon projet Woman of Fire. Et du coup, j'ai pu visualiser un peu comment je voyais dans la post-production, ce que j'allais créer ensuite. Ça m'a permis de préparer un peu sur le terrain. C'est presque un voyage pour moi d'être en chambre noire. parce qu'il y a vraiment ce côté où on n'a plus de lumière, on n'a plus de temps, il n'y a plus ce truc-là. Donc c'est un moyen aussi pour moi de voyager et de retranscrire toutes ces émotions. Donc je ne prépare pas forcément ces couleurs. Je peux les visualiser, me dire, tiens, ça, ça ira bien sur des portraits, ce type de prise de vue. Mais c'est vrai que tout est un peu recréé ensuite et je me laisse aussi beaucoup de temps pour un petit peu digérer ces émotions. et pouvoir reprendre au fur et à mesure, image par image, toutes ces histoires. Mon projet Women of Fire a été réalisé en 2022, en Éthiopie, dans la tribu des Murcis. Mon projet s'est créé, disons que j'ai travaillé à peu près pendant un an avant de pouvoir partir, pour trouver les bonnes équipes, les bons locaux. Il y avait aussi pas mal de problématiques de guerre, d'affrontements, de soucis aussi sur le terrain. C'est des tribus qui sont quand même très reculées, on n'a pas forcément de réseau, et elles sont en guerre entre d'autres tribus. Donc on peut arriver à un moment un peu problématique. Tous les hommes de la tribu possèdent une kalachnikov. Et donc voilà, il y a eu des moments qui étaient compliqués. J'ai dû changer plusieurs fois mon billet pour pouvoir partir au bon moment. Mais bon, il n'y a jamais de bon moment, puisque quand je me suis rendue sur place, c'était une fête locale et les hommes étaient tous un peu presque en trance. tirer dessus quand on est arrivé avec mon fixeur. Ils ont tiré sur la voiture. On a eu vachement peur. Donc, ce projet... Je voulais évoquer la féminité et je voulais évoquer les violences. C'était un moyen pour moi peut-être de commencer un peu à parler de mon histoire, même si je suis hyper pudique sur mon vécu, mais j'avais envie de me confronter à des femmes qui subissent des violences au sein de leur communauté, qui endossent un rôle. Celles de maires, celles de chefs de famille finalement, celles qui vont aller récolter, vendre, enfin bref. Elles endossent un rôle assez important et finalement dans la communauté, elles ne sont pas vues comme des guerrières, comme des femmes puissantes. Et donc du coup, je voulais évoquer ce sujet-là. Donc voilà, c'est vrai qu'au sein de la communauté, en arrivant, il y avait tout plein de problématiques et on ne pouvait pas finalement faire les photos que je voulais. Il a fallu du temps pour que le chef du village accepte que je reste dans la tribu. Ça tirait de partout. Donc voilà, il y avait plein de... Je pouvais faire des photos que de 6h à midi quand les hommes dormaient parce que sinon, les mecs, ils buvaient. Donc c'était un peu compliqué. Puis ils ont tous des armes et ils tirent tous de partout. S'il y a un problème, ça tire. Donc c'est vrai que pendant cet espace-là de temps, j'avais toute la liberté de pouvoir être avec ces femmes. Au départ, bien évidemment, quand on arrive, on n'est jamais trop attendu ou apprécié. Donc il faut aussi passer pas mal de temps pour montrer à ces femmes que finalement, je suis là pour elles, de leur expliquer aussi ma démarche. Et c'est vrai qu'à ce moment-là, je ne savais pas que je parlais de moi. C'est vraiment en rentrant que je me suis rendue compte que cette histoire que j'avais choisie, elle était finalement le miroir de mon histoire. Mais en fait, j'ai vu sur leur corps, leur dos était rempli de cicatrices très grosses. J'ai compris qu'il se passait quelque chose. Je l'avais lu, bien évidemment. Je savais qu'il y avait des rituels où ces femmes, en fait, comme preuve de soumission, elles doivent se faire battre par les hommes. et donc certaines... se font taper par des énormes, ils appellent ça les sticks, c'est des énormes bâtons bambous, et elles se font frapper par ces hommes, et certaines deviennent un peu, sont en transe en fait. Il y en a certaines qui succombent à ces violences, et d'autres qui portent encore ces marques en fait, c'est un signe de soumission. Donc elles doivent faire ça, je pense qu'il y a... Je le sais d'ailleurs, il y a plusieurs communautés en Afrique qui ont ce type d'utilisation parce que c'est important, c'est l'homme qui décide et les femmes, finalement, ça les rend plus dociles. Et donc, en voyant ça, en voyant toutes ces marques, je comprenais qu'à ce moment-là, c'était clairement, j'avais une sorte de communication avec elles et j'ai ressenti une sorte de lien hyper fort. On a évoqué des choses personnelles de mon histoire, mais de toute manière, je pense que c'est difficile de parler de soi. À ce moment-là, moi, j'étais plus sur leurs histoires, sur elles. Enfin, j'étais hyper complètement aspirée. Et c'est vrai qu'en rentrant et en faisant tout ce voyage en chambre noire, effectivement, moi, j'ai commencé à mettre un petit peu un lien dans tout ça, à mettre des mots et à comprendre que cette histoire... me ressemblaient. En fait, en me rendant compte de l'histoire de ces tribus, leur base de langage était autour de la couleur. La robe de leur bétail a une couleur, donc ils peuvent voir du rose alors que bien évidemment un bœuf ou une vache n'est pas rose. Mais c'est leur base de langage et c'est comme ça qu'ils voient le monde et c'est aussi une manière pour eux d'imaginer... En fait, ils ont une forme de poésie. Et leur langage est tout autour des couleurs. Ils vont parler de... En tout cas, moi, je communiquais avec des mots, évoquais des couleurs. Et ces couleurs, pour eux, ils les comprenaient. Donc, en ajoutant d'autres couleurs, on pouvait presque avoir une communication ensemble. Donc, voilà, ils ont ces couleurs. Et c'est vrai que c'est une forme aussi d'hommage que j'ai voulu leur rendre. Ces couleurs ont un sens. Il y a des femmes qui ont des colliers avec différentes couleurs. Pour eux, les couleurs, c'est des émotions. Ils n'ont pas l'écriture, donc pour eux, avoir des couleurs sur eux, c'est une manière de manifester leur prénom et de montrer aussi leur lien dans la communauté. Qui ils sont à l'heure d'aujourd'hui ? Ils ont tout plein de prénoms en fonction des gens et ces prénoms, c'est des couleurs. Ils ont tatoué sur leur visage leur vache préférée. C'est un tatouage qui évoque la couleur. Ils ont une manière poétique de voir la vie à travers les couleurs. Par exemple, sur le portrait d'une femme, il y a des motifs qui sont superposés, qui sont en fait les motifs qui sont répliqués sur les vaches. Donc ils statouent ces motifs et ils le dessinent avec de l'argile sur le corps. Et chaque femme en fait a tout plein de colliers. Alors je n'ai jamais compris où venaient ces perles, clairement, à mon avis, de très loin. Et en fait, elles ont des superpositions de couleurs. Elles ont une dizaine de colliers jaunes, blancs, bleus, rouges. Et en fait, c'est un peu des superpositions d'émotions. C'est une manière pour elles de rajouter une forme d'expression qui permet aux autres de les comprendre. Ils ont aussi un art oral. Ils vont parler dans leur communauté, s'exprimer et tout ça toujours à travers les couleurs. C'est assez fantastique, presque poétique. Et ils ont cet art éphémère aussi de se dessiner avec des fleurs, de l'argile, des sortes de vêtements finalement qu'elles n'ont pas, puisqu'elles sont quasiment nues, avec cette argile. Donc il y a vraiment une beauté dans cette tribu. Et finalement aussi une sorte de chaos total avec ces hommes, ces armes. Ces femmes, quand elles se marient, on leur donne des kalachnikovs. Enfin bref, il y a une sorte de... d'existence complètement opposée entre cette poésie magnifique de leur langage, qui vient d'extrêmement loin finalement, parce que ça a toujours été là, et cet environnement extrêmement hostile. Moi, mon immersion, elle est hyper importante de rester quand même sur le terrain, dans toutes les... Enfin, en tout cas, si c'est possible. En l'occurrence, je n'avais pas le choix de dormir sur place. C'est vrai que quand on est arrivés, on s'est fait tirer dessus. Par chance, on n'a rien eu. Mais donc, on était obligés, comme ces hommes étaient quand même très alcoolisés, on n'avait pas le choix que de dormir dans leur prison. Alors, quand je dis... prison, c'est des sortes de maisons qu'ils ont créées avec de la boue et qui est complètement enfermée. Donc la personne qui est en prison ne peut plus voir la lumière et ils sont complètement bloqués dans un espace hyper petit et qui est surveillée par des sortes de d'hommes de sécurité et donc je n'avais pas le choix de dormir dans ce périmètre-là pour pouvoir assurer ma protection le temps que le chef du village puisse dire à ses hommes. Alors on parle de 2000 personnes quand même dans la tribu qui sont étalées dans un très très grand périmètre. Et c'est vrai que c'est difficile de les contenir quand ils sont alcoolisés. Donc il a fallu un petit peu de temps pour assurer ma sécurité. Et même sur place, je n'étais pas en sécurité. J'ai dû finalement partir beaucoup plus tôt parce que des problématiques entre tribus arrivaient et on pouvait être dans un mauvais endroit au mauvais moment. Comme ma première image où je te racontais qu'une personne s'est fait abattre vraiment très très proche de moi, à deux mètres, même pas. C'est vrai qu'après avoir fait ce projet Women of Fire, je me suis dit qu'il fallait que je fasse quand même une suite qui ait ensuite cette valeur de ce lien. Parce que j'ai adoré mon introspection et ce travail qui faisait le lien avec mon histoire. Mais j'avais envie de contrebalancer ce projet sur les femmes et de faire un projet sur les hommes. C'était une nécessité de vivre. Cette fois-ci, au sein d'une communauté d'hommes qui vivaient aussi d'autres violences. Et donc du coup, je suis partie en Ouganda et j'ai trouvé l'histoire de jeunes hommes qui travaillaient dans des mines de sel. Ils vivent dans des lots très pollués parce que pour accélérer la saumure, donc cette récolte de sel, ils vont mettre tout plein de produits toxiques, d'ammoniaque par exemple. Et avec cette chaleur, voilà, ils vivent dedans, ils plongent sous l'eau et finalement, ils ont des problèmes de fertilité. corps, ils doivent le protéger avec des plastiques, notamment leur partie intime, pour protéger de ce sel qui brûle leur corps. Certains deviennent aveugles. Donc voilà, j'avais une volonté de parler finalement de blessures, mais cette fois-ci invisibles. Et cette série, finalement, elle est plus dans la nuance par rapport à Woman of Fire, qui avait plus de couleurs, plus de superpositions. Ici, j'ai plus travaillé autour du matin et du soir, d'où le titre « From Dusk Till Dawn » . En fait, ce qui m'a plu et ce qui est un peu l'opposé de « Woman of Fire » , c'était que ces hommes, même hyper jeunes, voire à 5 ans, ces petits garçons, vont prendre le relais sur leurs sœurs qui sont plus âgées et interdire finalement d'aller dans l'eau et de mettre leur bas du corps. pour qu'elles puissent ne pas avoir de problématiques, parce qu'il y en a certaines qui perdent leur utérus, il y a plein de problématiques. Bien évidemment, malheureusement, leur espérance de vie est quand même très courte. Et donc voilà, ces hommes vont prendre le relais. Ça ne se dit pas, mais finalement, ils le font de manière hyper naturelle. Et j'ai trouvé ça très beau. Je voulais parler de groupe Women of Fire, c'était la sororité, cette sororité qu'elles ont entre elles. et que moi j'ai ressenti que j'ai vécu aussi. Et ici, c'était ce groupe d'hommes, ce lien hyper fort, un peu d'entraide en fait. Et je trouvais que c'était une belle suite à mon parcours de compréhension de mon histoire, de moi, mais aussi du monde et de la résilience. Le voyage, pour moi, c'était une obligation. Quand j'ai pu voyager, mon premier voyage, c'était en Mongolie, et il a fallu que je parte le plus loin possible pour essayer de me connecter à d'autres personnes et d'aller à la recherche de ma famille idéale. J'avais besoin d'être dans une communauté, d'être acceptée par un groupe. Et c'est pour ça qu'à chaque fois, je cherche des communautés ou des tribus, parce que j'ai besoin de faire partie de ce groupe. Ce que j'aime dans l'esprit de communauté, c'est que chacun a un rôle et que tout le monde surveille tout le monde, qu'il y a une sorte de protection. Et c'est vrai que quand je voyage, je suis confrontée à pas mal de dangers autour de moi. Et ce que j'aime, c'est cette protection que j'ai de la part de tout le monde. Et je pense que par mon vécu, j'ai manqué de ça et j'ai toujours cette volonté de revivre cette sensation de protection. Et je pense qu'au-delà de la photo, ce désir d'être accepté par ces tribus, ça passe par plein de moments de joie, de danse, de connexion. Moi j'adore apprendre des mots pour communiquer avec eux. C'est vraiment, je passe quelques jours avant de faire des photos. Parce que déjà il faut que je choisisse aussi les protagonistes, je ressens dans leurs regards aussi certaines histoires dont je suis sensible. Voilà, il faut que je sois en tout cas immergée, que je commence à communiquer avec chacun pour voir qui va...
Speaker #0D'un côté, finalement, représenter mes émotions et évoquer ce dont j'ai envie de révéler de cette tribu. Mais ces moments de danse, de joie, en fait, c'est mes moments préférés. Et parfois, je me souviens, mon fixeur en Ouganda, j'ai fait un autre projet en Ouganda sur les Karamajong, une tribu de guerriers, d'hommes qui tirent à l'arc pour protéger leurs bétails. finalement, mon fixeur me disait, mais attends, là, il faut reprendre, il faut faire des photos et tout ça. Et c'est vrai que je ne voulais pas, je voulais profiter de l'instant. Et c'est presque une nourriture pour mon âme. Je le ressens comme ça, c'est qu'à ce moment-là, il y a une forme de liberté. Et ce que j'aime aussi dans le voyage, c'est ce côté aussi de temporalité. J'étais au bout du monde, leur coutume est complètement différente. de téléphone, ils sont pas habillés, il n'y a pas de miroir, il n'y a rien en fait. Je suis connectée au plus proche de l'humain. Et c'est une réparation pour moi aussi parce que je pense que voilà, par mon histoire, j'ai peut-être à un moment donné perdu foi en l'humanité et donc de me connecter avec ces gens. Pur, c'est ma manière à moi de le vivre, de revoir. Oui, de réparer. Étant hypersensible, je connecte avec les histoires, je connecte avec les gens et j'ai une facilité à comprendre dans le regard la souffrance. Je crois que je la ressens hyper facilement et je pense que je le recherche. Je recherche d'être confrontée à cette souffrance. à des violences. Elle peut être vécue par des gens, mais aussi dans l'environnement, le terrain. L'année dernière, je suis partie en Inde, je vais recontinuer mon projet cette année encore, dans des lieux où la violence est omniprésente. Le danger aussi, et je recherche ça parce que je le comprends. Il y a des moments où effectivement c'est complexe, mais je ne... Je n'ai pas peur, en fait. Je n'ai pas peur et je recherche ça. Je pense que j'ai besoin de ça. Ouais, c'est ma thérapie. C'est ma thérapie. Après, oui, il y a des choses. Aujourd'hui, quand j'entends des pétards, j'entends encore les kalachnikovs et je pars en courant par réflexe, comme j'en parlais dans ma première image de Woman of Fire, où quelqu'un s'attire de partout. J'ai peur. Après, j'ai une acuité au son qui est très particulière de par mon enfance. C'est vrai que j'ai une sensibilité au son qui est très forte. Je fais de l'hyperacoustique et donc j'entends les sons de manière très, très fort. Donc, c'est vrai que je pense que... Mes traumas de mes voyages peuvent être liés à des sons, mais en même temps, c'est aussi une manière d'extérioriser et c'est ma thérapie d'aller revivre ces émotions. Et finalement, en fait, chaque image est un peu l'extériorisation de ce que je ressens. Donc je n'ai pas de traces qui restent, mais c'est plutôt des liens que j'ai avec ces gens qui peuvent être difficiles. Parce que quand je pars de la communauté, j'ai énormément de souffrance de les laisser. Je me sens coupable de finalement vivre ma vie, reprendre le cours de ma vie. Et c'est ça qui peut être le plus difficile dans mes voyages, plus que voir la violence. Parce que je la connais en fait, je la ressens. Mais ouais, je me suis sentie plusieurs fois coupable en rentrant d'Inde, de laisser ces jeunes filles qui travaillaient dans une mine de charbon. Tout le parterre est brûlant, ça brûle de partout, il y a des crevasses. J'entends des histoires que leurs copines ou que certaines filles ont des accidents. Donc il y a des moments où je me dis, il faut que je retourne les voir. Et d'ailleurs, je vais retourner les voir. Donc ça m'apaise de me dire que je retourne. J'ai fait deux projets en Inde, maintenant j'essaye de faire deux projets dans deux endroits différents des régions. J'adore l'Inde, et c'est vrai que l'Inde a été ce point de départ aussi de cette écriture, de couleurs. C'est un pays qui est complètement fou en émotions. À chaque fois que je pars là-bas, je suis complètement bluffée parce qu'on ressent, on ressent à la fois... On ressent plein de choses, quoi. Il se passe un truc dans ce pays assez dingue. Je suis allée dans une mine de charbon rencontrer des jeunes filles qui travaillent là-bas et qui dansent comme acte de résistance. Elles travaillent à partir de 8 ans. Elles vont casser le charbon et le mettre sur la tête et le remonter pour le vendre. C'est sur leur terrain, c'est là où ils ont toujours habité, mais finalement un grand industriel indien utilise cette mine et extrait des tonnes et des tonnes par jour. Et ça arrive que parfois leur maison soit dynamitée. Et donc elles doivent se délocaliser. Et le plus dur pour elles, c'est de perdre leurs copines. Et en fait, la continuité un peu de ma réparation et de mes projets artistiques... Après l'Ouganda, j'avais envie de parler d'un lien fort entre les femmes, ce lien de résilience, de groupe qui se tire vers le haut et qui survit grâce au groupe. Et je pense que là, c'était ma volonté de parler de mes voyages, que grâce à mes voyages, à ce bonheur que j'ai d'être dans une communauté, j'avais envie de témoigner aussi d'histoires de jeunes personnes, de jeunes filles. qui sont dans une sorte de lien hyper fort et elles se tirent vers le haut. Je pense que si elles étaient seules, elles ne pourraient pas survivre. Mais grâce à ce groupe de filles, cette amitié forte et cette danse aussi de libérer le corps de souffrance, parce qu'elles portent des choses hyper lourdes, ça brûle de partout, il y a du monoxyde de carbone qui sort de... Moi j'ai eu des gros problèmes de maux de tête, des vomissements et tout ça, parce que c'est un environnement hyper hostile. Donc voilà, ce groupe hyper fort qui se tire vers le haut et qui extériorise la violence à travers de la danse. Donc voilà, j'ai ce projet-là, j'ai fait un documentaire, un film, que je vais continuer à filmer. Je vais faire la suite de mon projet documentaire et finir aussi mon projet photographique. J'ai toujours été attirée par la littérature, l'écriture. Je voulais même au départ, avant d'être photographe, être écrivaine. Je n'ai pas forcément le talent, mais en tout cas, ce que j'aime, c'est récupérer des fragments d'émotions. Et là, au lieu de le manifester par des images, je le manifeste par des mots. Et c'est vrai que quand je voyage, j'ai toujours des bribes d'émotions que je note dans un carnet, sur mon téléphone. Et du coup, j'avais envie d'en faire un livre. Et là, en ce moment, je travaille sur mon livre d'Ethiopie, Woman of Fire. Et je voulais y intégrer ces fragments d'émotions que j'ai prises sur place et de les superposer à mes images. Donc c'est en phase d'écriture, de réécriture, parce que je les reprends un peu, parce que souvent je les écris et il manque quelques petites formulations. Mais oui, ce travail d'écriture est important. Il est important aussi dans la vidéo. Parce que quand j'ai découvert ce système de superposition, je trouvais qu'une photo simple ne suffisait pas à raconter l'histoire. Mon histoire, ce que je voulais raconter de la personne. Et en superposant ces négatifs, je me suis rendu compte qu'il y avait presque du mouvement. Et j'aime aussi cette manière d'exprimer... des émotions en images à travers le mouvement. Et donc, tout simplement, la réalisation de ce projet en Inde, par exemple, sur ces femmes qui dansent comme acte de résistance, était nécessaire parce que pour le comprendre et pour évoquer la danse, rien de mieux que finalement les filmer. Donc sur place, je filme et en même temps, je fais mon projet photographique. Je pense que ce qu'on a vécu ne nous définit pas, mais laisse une trace en nous. Ce qui est important, c'est de parler de ce qu'on ressent. Et on a tous ressenti quelque chose, on a tous une histoire, quelque chose. Et je pense que le conseil que je voudrais donner, c'est puiser dans son histoire, aller raconter ce qu'on ressent. C'est ça qui fait la différence avec d'autres artistes, en fait. Ne pas forcément répliquer des styles artistiques qu'on aime, mais l'exprimer en fait. Exprimer ses émotions, exprimer son ressenti, que ce soit la violence ou autre chose. Ça peut être aussi un vécu, un peu traumatisant, peu importe, on a tous quelque chose. Et c'est vrai que quand j'ai compris mon histoire, ça a tout changé. Et ça a révélé, ça m'a donné une liberté et une légèreté. Et ça m'a permis aussi d'avancer personnellement, de me comprendre, de grandir. Et l'art est pour ça, il est là pour être aussi thérapeutique et de communiquer, de le transmettre. Si on a vécu effectivement des choses, on a une sensibilité différente et on peut le comprendre à travers l'histoire des autres. Et donc c'est en ça que j'aime... Voilà, c'est... ces histoires collectives, et toujours le raconter à travers mon filtre, le filtre intime de mon histoire. Il faut s'exprimer, il faut l'exprimer, il faut raconter ce qu'on a vécu, parce que c'est important en fait. Ça rend plus léger, et je pense que ça peut aussi aider d'autres personnes. Je pense que mes voyages... Ils aident aussi les communautés, ça permet de mettre en lumière leurs problématiques, ça permet aussi de faire un écho à des gens. Effectivement, les photos que je fais sont très lointaines, on pourrait presque se sentir un peu éloigné, mais finalement, si on remet ces violences aujourd'hui chez nous, c'est les mêmes. Même si finalement leur physique est différente, les paysages sont différents, mais on vit. tous de la même manière ces émotions. Et d'ailleurs, ce que je ressens souvent dans les tribus ou les communautés, c'est que je ressens toujours les mêmes typologies de gens. Il y a toujours des gens qui vont ressembler à des gens que j'ai autour de moi, que ce soit qui ressemble à ma famille, qui peut être ma tante, ma mère, enfin bref. Je vois en fait dans les communautés toujours ces personnages et pour moi, ces émotions, elles sont universelles.