undefined cover
undefined cover
VISION #77 — GUILLAUME BRAC | Entre fiction et documentaire cover
VISION #77 — GUILLAUME BRAC | Entre fiction et documentaire cover
Vision(s)

VISION #77 — GUILLAUME BRAC | Entre fiction et documentaire

VISION #77 — GUILLAUME BRAC | Entre fiction et documentaire

1h04 |30/03/2025
Play
undefined cover
undefined cover
VISION #77 — GUILLAUME BRAC | Entre fiction et documentaire cover
VISION #77 — GUILLAUME BRAC | Entre fiction et documentaire cover
Vision(s)

VISION #77 — GUILLAUME BRAC | Entre fiction et documentaire

VISION #77 — GUILLAUME BRAC | Entre fiction et documentaire

1h04 |30/03/2025
Play

Description

Ce sont des rencontres inattendues, des moments de grâce au cœur de l’été, des sensations de tendresse et de liberté avec des envies de retourner à l’heure de l’adolescence : tout cela, on peut le ressentir lorsque l’on regarde un film de Guillaume Brac, réalisateur des magnifiques L'île au trésor ou À l’abordage.

Et alors qu’il revient avec Ce n’est qu’un au revoir, un documentaire qui plonge dans les dernières semaines d’un internat, on est allés à sa rencontre, pour mieux évoquer son parcours mais surtout sa manière d’envisager le cinéma, entre des fictions parfois très réelles et des mises en scène de la réalité.


🤝 Partenaire


MPB, la plus grande plateforme en ligne au monde pour acheter, vendre et échanger du matériel photo et vidéo d’occasion.

Bénéficiez de 5% de réduction avec le code MPBVIDEO5 jusqu'au 30 mars 2025 !
L'offre est uniquement valable pour les nouveaux utilisateurs.


🎙 Crédits


Un podcast réalisé et écrit par Louis Lepron, produit par Noyau.studio, monté et mixé par Virgile Loiseau et mis en musique par Charlie Janiaut.


✨ Liens  


Instagram - Vision(s)  

Site - Vision(s)



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une production, un loyau studio.

  • Speaker #1

    Ce sont des rencontres inattendues, des moments de grâce au cœur de l'été, des sensations de tendresse et de liberté, avec des envies de retourner à l'heure de l'adolescence. Tout ça, on peut le ressentir lorsque l'on regarde un film de Guillaume Braque, réalisateur des magnifiques L'île au trésor ou à l'abordage. Et alors qu'il revient avec Ce n'est qu'un au revoir, un documentaire qui plonge dans les dernières semaines d'un internat, on est allé à sa rencontre. pour mieux évoquer son parcours, mais surtout sa manière d'envisager le cinéma entre des fictions parfois très réelles et des mises en scène de la réalité. Salut, c'est Louis. Vous écoutez Vision, le podcast d'Andy Ozyman. Cet épisode a été réalisé en partenariat avec MPB, la plus grande plateforme de matériel photo et vidéo d'occasion.

  • Speaker #0

    Tu me posais la question d'une scène qui serait une porte d'entrée dans mon cinéma. Une question pas facile, mais je prends une scène de mon documentaire L'île au trésor, qui est mon premier long métrage documentaire. dans lequel je raconte tout un été dans une base de loisirs de la région parisienne. Avant d'en venir à la scène, je vais peut-être juste dire qu'au début de ce tournage, je découvrais un peu le cinéma documentaire, je venais plutôt de la fiction, et j'avais l'idée un peu naïve et à mon avis fausse que faire du documentaire, c'est ne surtout pas intervenir sur le réel, ou en tout cas très peu, et un peu attendre que des miracles se produisent. Et j'ai compris au bout de... deux trois semaines et aussi à la faveur de discussions avec mon producteur Nicolas Thaumet que si je persistais dans cette approche là, il ne se passerait pas grand chose d'intéressant. Je ne m'amuserais pas beaucoup et finalement, ça créerait assez peu de liens avec les gens que je filme et le producteur notamment m'a encouragé à prendre beaucoup de liberté avec le documentaire. Il m'a dit après tout, le documentaire, c'est du cinéma et le cinéma, c'est de la mise en scène, donc le documentaire, c'est de la mise en scène aussi. Et en fait, voilà, c'est vrai que je me suis dit que la seule limite, c'est une forme d'honnêteté vis-à-vis des gens qu'on filme et de ne pas raconter n'importe quoi sur le réel. Mais si raconter quelque chose de vrai, de juste sur le réel, passe par de la mise en scène et par des situations qui peuvent être provoquées ou même rejouées, en fait, ça ne me pose en tout cas, moi, aucun problème. Et donc, j'en viens à cette scène à laquelle je pensais, qui est une scène où on voit un... un jeune homme qui travaille tous les étés dans cette base de loisirs, qui loue des pédalos et qui invite deux jeunes filles à le rejoindre après la fermeture de la base de loisirs pour sauter d'un pylône de téléski, ce qui est un peu une sorte de rituel initiatique qu'il a, une activité qu'il aime faire un peu avant la tombée de la nuit avec ses copains. Et ça, typiquement, par exemple, Ce jeune homme était vraiment un complice du film. Il s'appelle Jérémy. Il m'avait dit que c'était quelque chose qu'il avait absolument envie de me montrer et que ça puisse être dans le film. Et en fait, j'ai vu ces deux jeunes filles l'après-midi qui descendaient du pédalo. Et j'ai vu le regard qu'elles... Il faut préciser que ce Jérémy est assez séduisant. Et j'ai vu le regard qu'elles posaient sur lui, un petit peu séduite et admirative. Et donc je suis allé leur parler. Je leur ai dit, voilà, est-ce que vous avez un peu de temps devant vous Est-ce que ça vous intéresserait de participer à un film qu'on est en train de faire ici Et puis j'avais demandé aussi, d'ailleurs, j'avais eu le temps de demander à Jérémy s'il avait envie de, justement, pourquoi pas de proposer à ces jeunes filles d'aller sauter avec lui le soir du pylône. Donc en fait, j'ai fait un peu l'intermédiaire, presque, je les ai mises en relation. Et à tel point que tout le monde était tout à fait enthousiaste à cette idée. Et donc j'ai demandé aux deux jeunes filles si elles voulaient bien refaire leur arrivée sur le ponton au pédalo et que Jérémy aille cette fois-ci leur proposer lui-même cette petite excursion du soir. Et donc là, on était vraiment dans de la mise en scène pure, dans une situation qui était provoquée par moi. Mais en fait, une fois que le rendez-vous était pris, ce qui était génial, c'est que le réel est revenu très vite. Et en fait, avec mon chef opérateur Martin Ritt, après, on ne faisait plus que suivre le programme qui était décidé par Jérémy. Et en fait, on ne s'est même plus d'ailleurs autorisé à intervenir de quelque façon que ce soit. On ne leur a pas dit, est-ce que vous pourriez vous arrêter, attendre qu'on soit prêt, Roland Après, c'est devenu une scène purement documentaire que j'aime beaucoup et qui est extrêmement honnête et juste par rapport à la façon dont ce Jérémy envisageait ce lieu qui était un peu un champ des possibles, un terrain de jeu inépuisable, etc. Je pense que si j'avais attendu que ça arrive, ça ne serait sans doute jamais arrivé. Ça aurait été extrêmement pesant d'être là. à attendre miraculeusement qu'il ait envie de proposer à quelqu'un, que quelqu'un accepte, etc. Donc là, je suis intervenu. Et c'est vrai que c'est quelque chose, le fait de déclencher des situations et ensuite en quelque sorte de m'effacer, c'est quelque chose que j'ai beaucoup fait après, notamment dans le dernier film. Alors bon, il se trouve que le dernier film se passe... Il y a peut-être un peu moins de scènes d'action de ce type-là, donc ça me laissait plus la possibilité avec mon chef opérateur de décider d'un cadre au début. Et souvent ce cadre pouvait tenir toute la scène ou alors... On pouvait modifier le cadre en cours de route, mais sans interrompre le déroulement de la scène. Peut-être que parfois, ça pouvait m'arriver de les relancer dans une discussion, un point sur lequel les protagonistes étaient passés un peu vite, de leur dire attendez, est-ce que vous ne pourriez pas recreuser un petit peu ça ou peut-être de replacer légèrement l'une d'entre elles. Ou peut-être même de proposer à une troisième jeune fille d'intervenir à un moment donné dans la scène, de rejoindre la scène. ce genre de choses. Mais oui, donc oui, j'interviens. Mais jamais, par exemple, je vais leur proposer de parler de quelque chose dont elles ne m'ont pas parlé avant ou qui n'est pas quelque chose qui les concerne directement à ce moment-là. Je ne vais pas jamais imposer un sujet ou une situation qui n'aurait rien à voir avec leur vie. Je m'appelle Guillaume Braque et je réalise des films. des films de fiction, des films documentaires. Depuis 15 ans maintenant. Mon tout premier rapport à l'image, je pense que, comme la plupart des gens, l'image sur un écran, c'est un souvenir de cinéma, en l'occurrence. Je pense que mon premier souvenir de cinéma un peu marquant, je pense que c'est une séance de Pinocchio, probablement. Et je devais pas être très vieux, je devais avoir à mon avis 5 ans, quelque chose comme ça, 4-5 ans. Et j'avais été très marqué comme beaucoup d'enfants je pense par le ventre de la baleine. Après il y a eu évidemment énormément d'autres images marquantes, mais la liste serait un peu longue. Il y a plusieurs étapes, je pense qu'il y a les premiers films que j'ai vus autour de l'âge de 16 ans, les premiers films qui n'étaient en fait pas des films... d'action, de comédie, de divertissement, mais qui étaient des films qui parlaient tout simplement de rapports entre les gens, qui creusaient assez profondément des sentiments, des émotions. Là, j'ai compris. Je me souviens, j'ai vu à 16 ans un film de Bergman, Les Fraises Sauvages. Ça ne ressemblait pas du tout à ce que j'avais vu jusque-là. Je me disais, c'est fou. Je ne savais pas que le cinéma pouvait être quelque chose d'aussi intime. ou l'être d'une inconnue par exemple. J'avais rarement ressenti une émotion si forte devant un film. Mais le film, je pense qu'il m'a vraiment donné l'impression que le cinéma était quelque chose d'accessible, en tout cas que c'était quelque chose qui pouvait se faire d'une manière assez simple en fin de compte, et donc un peu plus accessible. C'est les films de Rosier notamment, d'abord, notamment du côté de Rouette, qui est ce film de vacances avec trois jeunes filles, et Bernard Menez. au milieu d'elle, dont on sent qu'il est tourné avec une équipe très restreinte et qui semble presque un peu enregistrée les journées les unes après les autres, qui m'avait très profondément touché, alors même qu'il se passait en apparence très peu de choses. Et là, c'est vrai que quand j'avais vu ce film, je m'étais dit peut-être que moi aussi je pourrais faire un film un jour. Ce qui n'était évidemment pas le cas quand je voyais à l'adolescence... Des films de Kubrick ou des films de Scorsese, ou ce genre de films. Là, le cinéma me paraissait un monde complètement lointain, inaccessible. Je n'ai pas de parents liés au cinéma. En revanche, j'ai quand même une mère qui est... Enfin, maintenant, elle est à la retraite, mais qui était prof de français, prof de lettres. et qui quand même je pense m'a transmis vraiment le goût des histoires, peut-être aussi le goût de l'écriture. Et donc enfant, en fait, et d'ailleurs je pense que mon approche du cinéma est d'abord passée par l'écrit, plus que par la technique ou l'image. Et j'ai jamais, contrairement à beaucoup de jeunes réalisateurs ou réalisatrices, j'ai jamais fait de petits films. dans le jardin avec des copains, etc. Je ne viens pas de l'image en fait. Je viens de l'écrit, mais ce qui est amusant c'est qu'en fait, assez vite, l'écrit s'est un peu effacé derrière justement la primauté de la scène, de la vie, du réel, de l'image, etc. Mais au départ, je viens de l'écrit. Il y a eu une suite peut-être d'erreurs d'orientation ou de changements d'orientation. À l'époque, j'étais un jeune homme assez timide et je n'avais pas une très grande confiance en moi, mais j'étais un très bon élève, scolairement j'étais un très bon élève. alors même que j'avais à l'évidence une sensibilité très littéraire et que ce que j'aimais vraiment c'était plutôt tout ce qui avait à voir avec la littérature, l'écriture. Et bien j'ai un peu suivi le conseil de mon père d'aller vers une classe préparatoire à HEC et de rentrer, ce qui m'a amené à rentrer à HEC. Au bout de quelques mois, je... J'avais un peu fait le tour et j'avais compris que c'était pas là que j'allais m'épanouir, que c'était pas là que j'allais trouver du sens, ce qui m'a empêché quand même d'aller jusqu'au bout. Mais à ce moment-là, essentiellement le cinéma en tête. J'ai quand même eu d'autres envies. J'étais attiré par le journalisme, le journalisme sportif, puis journaliste, puis la critique cinéma. J'hostilie un peu entre ces deux pôles-là. Ça avait toujours à voir avec l'écrit. Et puis je me suis mis à animer le ciné-club, là-bas justement à HEC, à voir énormément de films. Et puis pendant un stage, à l'occasion d'un stage dans une boîte de production, il y a un autre stagiaire qui était là avec moi, qui préparait le concours de la FEMIS. Donc moi je n'avais pas entendu parler parce que je ne connaissais pas de travail, je ne m'étais peut-être pas bien renseigné. Et puis à l'époque, Internet avait moins de place, donc je ne connaissais pas cette école. Et donc je me suis inscrit aussi à ce concours, je me suis inscrit en production, parce que je pensais que c'était là que je serais le plus utile ou le plus légitime. Et puis j'ai réussi le concours, et puis après, assez vite, dès la première année, je me suis rendu compte que quand même, j'avais du plaisir aussi à écrire des films, des petits films, des courts-métrages. et puis à les mettre en scène et que peut-être que j'avais moi aussi le droit de rêver de faire ça. Même si pour moi le cinéma a toujours été aussi un vecteur de beaucoup de stress et d'angoisse, ça n'a jamais été que du plaisir et ça m'a beaucoup soulagé un jour quand j'avais vu un cinéaste de notre temps. sur Ken Loach, et Ken Loach, on lui demandait s'il prenait du plaisir à faire des films, et puis il disait du plaisir, mais moi, pour le cinéma, c'est de l'angoisse, enfin, il y a peut-être 10% de plaisir, ça me dit, bon, ok, je ne suis pas le seul à être très angoissé, quand je fais un film, donc c'était pas que du plaisir, mais en tout cas, oui, j'avais l'impression qu'il y avait quelque chose d'assez épanouissant pour moi là-dedans, et que c'était presque une forme de besoin, de nécessité, quoi. De toute façon, c'est toujours très mystérieux pourquoi on a besoin, à un moment donné, d'exprimer, de s'exprimer. Je pense que pour plein de raisons, j'avais besoin de sortir des choses de moi et de faire des films. Alors, ce qui est amusant, c'est que finalement, d'une certaine manière, mes films ne me racontent pas directement. Enfin, en tout cas... Et puis finalement, mes films n'ont pas forcément toujours énormément de récits. C'est probablement un... une manière de regarder le monde, de regarder les gens, qui transparaît dans mes films, même si ce n'est pas raconté de manière littérale ou assez littérale des épisodes biographiques de ma vie. Je pense que ça a été une vraie chance, en fait. C'est vrai que moi j'avais 24 ans, mais il y avait autour de moi des étudiants, les plus jeunes, qui avaient 19 ans, 20 ans. Et j'en connais quelques-uns ou quelques-unes qui ont été un petit peu broyés par la pression de l'école, cette espèce de... Il y avait aussi ceux qui étaient en département réalisation et qui avaient en quelque sorte l'obligation de faire des films et qui devaient pondre des films comme ça chaque année et tous les regards étaient braqués sur eux. Et puis moi, finalement, j'avais une position un peu plus d'électron libre, un peu plus d'outsider qui était finalement peut-être plus rassurante. Mais c'est vrai que je pense qu'il fallait avoir fait des films tard et une chance. Et puis, c'était un désir tellement longtemps contenu. Et puis, j'ai eu le plaisir de faire des films. Je pense qu'il y a aussi une espèce de frustration qui s'est accumulée, qui fait qu'à un moment donné, j'ai pu... J'avais beaucoup de films à sortir. J'ai été assistant sur plusieurs courts-métrages, dès La Fémis, et puis après, les années qui ont suivi La Fémis, sur des cours essentiellement, mais j'ai fait deux longs comme assistant. Un film d'Arnaud Despallières qui s'appelle Parc et un film de Manuel Mouret qui s'appelle Un baiser s'il vous plaît C'est deux expériences assez différentes, mais dans les deux cas, je ne pense pas avoir été un très bon assistant. Je pense que j'étais très inexpérimenté. Et par ailleurs, je pense que ça m'a quand même aussi permis de comprendre ce que je recherchais sur mes tournages et peut-être ce que je voulais éviter. Ce qui n'est pas un jugement sur ces deux réalisateurs. Mais je me souviens notamment du film d'Arnaud Despallière. Je pense que je pourrais presque écrire un film là-dessus tellement c'était improbable ma position sur ce film, qui était un film très ambitieux artistiquement, qui était très sous-financé et qui a démarré tout de suite avec une très très forte tension sur le plateau. Et où en fait, faute de budget, il n'y avait pas de deuxième assistant réalisateur. Il y avait moi qui étais stagiaire et deuxième assistant. Et moi j'avais jamais mis les pieds sur un long métrage, j'avais fait que des courts métrages d'étudiants et il y avait une équipe qui avait déjà, dès les premiers jours, un peu le couteau entre les dents parce qu'il y avait des dépassements énormes de 3-4 heures toute la première semaine, temps par jour, des grosses tensions entre Arnaud Despallière et son chef opérateur, on sentait que la machine était un peu au bord de l'implosion et puis forcément dans ces cas-là, les techniciens ne pensent pas forcément beaucoup de bien du cinéaste. Moi j'entendais ça et je voyais ça et sans compter que moi je commettais plein de petites erreurs parce que je ne savais pas comment ça marchait en fait. L'organisation d'un plateau, l'organisation d'une équipe, avec les hiérarchies, je commettais plein d'impairs tout le temps. Les chaînes décisionnelles, etc. Et donc je me suis dit oui, je ne veux jamais vivre ça, je ne veux jamais faire un film où tout le monde me déteste, où il y a finalement... plein de camions de matériel, une espèce de lourdeur comme ça. Voilà. Et donc ça, ça m'a un peu vacciné. Et je me souviens que sur le film d'Emmanuel Mouret, c'était autre chose. En fait, je n'arrivais pas en fait à... Cette fois-ci, j'étais deuxième assistant. J'étais un vrai deuxième, j'étais plus stagiaire, mais je n'arrivais pas au fond à comprendre vraiment... Parce que ma mission principale au début en prépa était de chercher les décors. et notamment un décor qui était le décor principal du film, qui était un appartement. Le film se déroulait essentiellement d'appartements. Et moi, j'avais trouvé plein d'appartements que je trouvais hyper intéressants, que j'avais envie, moi, de filmer. Mais aucun ne convenait jamais au chef opérateur et à Emmanuel Mouret, parce qu'en fait, eux ne cherchaient pas un lieu qui ait une âme ou une atmosphère. Ce qui, moi, m'intéressait, eux, ils cherchaient en fait un décor de studio, un endroit qui pourrait après complètement... réaménager, rééclairer, il cherchait juste en fait une espèce de, je sais pas, presque comme un rectangle quoi, enfin voilà. Et donc, à chaque fois j'arrivais avec des propositions qui étaient sans cesse retoquées et c'était en plus un peu un moment où Emmanuel Mouret était un peu un tournant de sa carrière parce que moi je connaissais plutôt ses premiers longs métrages qui étaient tournés de manière très légère. avec des toutes petites équipes à Marseille, etc. Et puis là, il était quand même en train de basculer dans un cinéma beaucoup plus de studio, où le réel n'avait quasiment plus aucune place, en fait. Où les gens qu'on voyait dans les rues n'étaient plus des passants, mais des figurants, où tout était sous contrôle, en quelque sorte. Et ça, moi, clairement, ça me rendait malheureux. Ça ne m'intéressait pas du tout d'aller fouiller dans des fichiers de figurants professionnels et après de les recevoir, et puis de leur dire, voilà... il y aura trois tops, il faudra démarrer à ce moment-là. Ce n'était pas du tout ce qui m'excitait comme jeune aspirant réalisateur. Donc ça aussi, ça m'a appris un peu plus dans une forme d'opposition. Ça m'a fait très, très peur. Je me suis fait avoir très, très peur du cinéma comme quelque chose de professionnel ou comme quelque chose de trop sérieux. Et avec... Beaucoup d'organisation, beaucoup de gestion de l'équipe. Et c'est vrai que j'ai toujours eu une approche assez artisanale et presque encore un peu un amateur du cinéma. J'ai très peur de tout ce qui est trop professionnel. En tout cas, j'ai eu la chance, en fait, à cette époque-là, j'étais très ami. Après, on s'est éloigné un peu au fil des années, mais j'étais très proche de Stéphane Lemoustier, qui était en train de créer une société de production qui s'appelle Année Zéro, et à laquelle, du coup, j'ai participé avec lui à la création de cette société. Et ça m'a permis, en fait, pendant... après trois ans, d'être vraiment dans un artisanat et dans une fabrication un peu collective comme ça de projets de courts-métrages et de faire mes deux premiers courts-métrages, Le Naufragé et Un Monde Sans Femme, en fait comme producteur. Et donc de pouvoir faire à mon idée, à notre idée, d'une manière peut-être un peu insouciante, inconsciente et un peu naïve. Mais finalement, je pense que si j'avais dû passer par... une autre société de production, avec une forme d'autorité qui m'aurait dit c'est comme ça qu'on fait depuis le début, on fait ça comme ça sur nos autres films, il n'y a pas de raison que ce soit différent avec toi, etc. Je serais peut-être plus rentré dans un moule, et là, ça me permettait vraiment de faire les choses. Et puis, c'est quelque chose que j'ai gardé aussi, alors peut-être parfois c'est un peu agaçant pour les producteurs, mais cette tendance à me mêler de tout, en fait, dans la fabrication d'un film. Et j'ai beaucoup de mal à lâcher du début à la fin, comment dire... Évidemment, je vais faire moi-même mes repérages, etc. Mais je vais aussi aller visiter les logements dans lesquels peut-être on sera logé, l'équipe, les acteurs, les techniciens, etc. Je vais aller rencontrer la personne qui va faire les repas. Et tout ça, en fait, amène aussi quelque chose de très réel à la fabrication du film, ancre dans le lieu où on filme. Ça permet de rencontrer des gens, de découvrir des nouveaux décors. d'avoir plein d'idées. Mais c'est marrant parce que ça, après, à l'époque, je ne le savais pas. En lisant la biographie d'Eric Römer, j'ai compris que lui aussi avait un peu cette manière-là de se mêler de tout, de décider ce qu'on allait manger, etc. Lui, en plus, était assez économe. Mais c'est vrai que, par exemple, pour un film comme Un monde sans femme, ça reste un peu... On a toujours tendance à idéaliser, a posteriori, les expériences, mais ça reste quand même quelque chose de très beau avec une équipe d'une dizaine de personnes qui n'étaient pour ainsi dire que des amis, enfin des gens que vraiment je connaissais très bien. On était tous logés ensemble à l'époque encore un peu dans des chambres collectives avec des lits superposés, etc. On prenait tous nos repas au même endroit qui était le bar-restaurant où par ailleurs on tournait des scènes du film. Il y avait quelque chose de... de très humain et de très artisanal qu'on a en fabrication. Je ne supporte pas la hiérarchie, les histoires de chefs de poste, de je ne sais pas quoi, de chaîne de décision, de devoir d'abord prévenir le chef qui va ensuite transmettre à ses... Je trouve ça très bizarre. À l'époque, on avait tous le même salaire, enfin bon, c'était tout très égalitaire quoi. Bon, on était tous très mal payés aussi. D'autant que moi, j'ai un fonctionnement assez particulier, comme je suis beaucoup en proie aux doutes et que je suis assez angoissé, j'ai besoin de partager avec à peu près tout le monde, mais ça peut même être l'assistant de caméra ou le régisseur, mes interrogations, même des choix de mise en scène, etc. Ce qui est amusant, c'est que quand on débute... Je me souviens avoir entendu qu'il fallait surtout cacher ses inquiétudes et ses angoisses et rassurer l'équipe en paraissant très sûr de soi. C'est quelque chose que je n'ai jamais réussi à faire. Et je pense que finalement, ce n'est pas si grave si on est avec des gens bienveillants, avec qui il y a une belle relation. Ils peuvent accepter ça. Mais ça me rappelle d'ailleurs une anecdote concernant les frères Farrelly, dont j'aime beaucoup le travail, qui racontait que quand ils ont fait Domaine Number, ils n'avaient absolument aucune expérience du cinéma. et qu'ils ne savaient même pas comment ça se passait de travailler sur un plateau, et qui se sont dit, il y a deux options face à nous, soit on arrive devant l'équipe et on fait croire qu'on sait, et on essaye de faire, soit on réunit tout le monde et on dit, ok les gars, on n'a jamais fait un film, on ne sait pas ce que c'est que le cinéma, on ne sait pas ce que c'est qu'un tournage, est-ce que vous pouvez nous aider Et on fait ensemble. Après avoir beaucoup réfléchi, ils ont choisi la deuxième option, et ils se sont rendus compte que c'était la meilleure. Ils ont dit voilà nous on sait pas donc expliquez nous comment on fait un film, nous on débarque... Oui, cette espèce d'humilité-là. Mais alors oui, tu posais la question par rapport à Vincent McKenna. Vincent McKenna, c'était particulier parce qu'on était vraiment très proches et très amis. Donc bien sûr qu'on parlait du scénario. Pour autant, on n'a jamais écrit ensemble. Mais comme on se voyait beaucoup, on traînait beaucoup ensemble. Par exemple, ce film-là, on avait tourné avant un autre court-métrage ensemble qui s'appelle Le Naufragé. Et c'est un soir, je me souviens. On s'est dit, je ne sais même pas si c'est lui qui l'a dit ou moi en premier, on s'est dit tiens, quand même ce personnage, ce serait beau de voir comment il réagirait face à des femmes, et ce serait beau de le filmer l'été en maillot de bain plutôt que l'hiver en mitoufflé dans des vêtements qui cachent son corps, etc. Et c'est parti de ça, et on était au mois de mai, et on s'est dit bon bah ok, on fait ça cet été. J'ai écrit en... avec ma scénariste en un mois, un mois ou deux, le scénario. Puis Vincent Mackey, un soir, m'a dit, tiens, j'ai une copine comédienne dans ce bar, je reviens te la présenter, c'était l'heure qu'elle a mis. Et je me suis dit, elle est géniale, j'ai envie d'écrire pour elle. C'est des choses comme ça, c'est assez beau. Ça reste d'ailleurs sans doute, finalement, c'était mon premier film, pour ainsi dire, ça reste sans doute le plus beau tournage que j'ai vécu. Il y a eu évidemment des nuits épuisantes, des dépassements d'horaires, etc. Il y a eu plein de doutes et tout, mais quand même, oui, il y avait quelque chose de... Quand on fait un film dans un lieu qu'on aime, entouré de gens qu'on aime et qu'on admire, et où tout se mélange un peu, où tout se mélange un peu la vie, le cinéma et tout, c'est sûr que c'est super. Je pense que l'étape que je préfère c'est peut-être les repérages. J'adore les repérages. C'est le moment où plein d'idées de mise en scène viennent, où ça rebat les cartes du scénario, où les choses s'incarnent. Là, je sais par exemple que j'ai un merveilleux souvenir des repérages d'Alabordage. On a passé trois jours avec mon chef opérateur et à l'époque le directeur de production. Après, on était reparti avec mon assistant. On avait... On avait arpenté les campings en Ardèche et dans la Drôme. Je me souviens très bien du moment où on est arrivé en fin de journée dans le camping qui est devenu celui du film dans la Drôme à Dix. Et là, il y avait une espèce d'épiphanie, une espèce d'évidence que ça ne pouvait être que là. Il y avait une lumière magnifique. Tous les décors étaient exactement ceux que j'aurais pu rêver, très proches les uns des autres. Et là, d'un seul coup, le film devenait complètement concret. Donc ça, j'adore les repérages. Évidemment, j'adore la toute fin de l'écriture, le moment où on a une telle maîtrise de... D'ailleurs, ça ne m'est pas arrivé si souvent que ça, parce que finalement, mes films n'ont rarement été très écrits. Mais en tout cas, le moment où vraiment on maîtrise en quelque sorte la matière du film, et où on peut en quelques jours vraiment faire progresser beaucoup le scénario. Mais sinon, le moment que je préfère, c'est le montage. Et ça, ça s'est vraiment accentué. Avec le documentaire sur l'île au trésor, sur un pincement au cœur, ce n'est qu'un au revoir et tout. Et déjà, même avant, sur un autre documentaire que j'avais fait, le repos des braves sur des vieux cyclistes. En fait, l'écriture au montage et à quel point on peut faire énormément de mise en scène au moment du montage. Et en fait, vraiment écrire le film à ce moment-là. Et non plus justement l'écrire avec des concepts, des idées, des mots, comme on le fait au moment du scénario. Mais... Cette fois-ci, il écrit vraiment avec des plans, avec de l'image et du son. Et donc moi, en plus qui suis assez angoissé par l'écriture, là, d'un seul coup, c'est que du vivant qu'il faut sculpter et tout ça. Donc ça, le montage... Alors parfois, il y a des angoisses au montage aussi. Le montage de Snake and the Revoir a été difficile, mais par exemple, oui, si je pense au montage de L'île aux Trésors, c'était génial. De voir le film émerger progressivement, avec une première version qui faisait 6-7 heures, et puis petit à petit... de sculpter le film jusqu'à ce qu'il arrive à sa durée finale. On peut faire beaucoup de choses, surtout en documentaire, moins en fiction. Mais moins en plus que... C'est vrai qu'en tournage... Je pense que j'ai un peu de mal à avoir des idées très claires au moment du tournage. J'ai un peu quand même des principes ou des marottes de mise en scène, un rapport à certaines échelles de plan. Il y a une manière de filmer avec laquelle je me sens à l'aise, etc. Mais le tournage, pour moi, c'est aussi emmagasiner beaucoup de choses. Et c'est vrai que les... Les vraies idées de mise en scène, je trouve qu'elles viennent plutôt pour moi au montage. C'était une expérience très particulière, parce que je ne sais même pas d'ailleurs comment on y est arrivé, mais on m'avait juste appelé un peu à la dernière minute pour animer un atelier de trois semaines au conservatoire l'été. fin juin, début juillet, de cinéma. Il y avait un petit budget. Je ne savais même plus très bien quel était le cahier des charges. Mais le cahier des charges, je crois que c'était juste de tourner un peu des scènes avec les comédiens, les faire travailler devant la caméra. Et moi, j'avais accepté en disant que j'avais envie, pour moi, ça avait un intérêt si on essayait de faire un film et que ce ne soit pas juste un atelier. J'avais 16 acteurs et trois semaines. Au début, je m'étais dit je vais essayer de faire un long métrage de fiction, mais j'avais que quelques semaines pour écrire et pour préparer. Et puis faire un long métrage avec 16 acteurs, ça me paraissait très, très complexe. Et puis à un moment donné, j'ai eu la bonne idée, je pense, de me dire OK, j'ai trois semaines, je vais essayer de faire un court moyen métrage par semaine pendant trois semaines. Donc je vais diviser en trois groupes et on va enchaîner comme ça trois tournages en trois semaines. Et mon producteur, Nicolas Antomé, avec qui j'avais fait un documentaire, le Roboter Brave, juste avant, a accepté de me suivre là-dedans. Donc je pense qu'il a dû, à l'époque, rajouter un peu d'argent, lui, pour un peu payer les techniciens, etc. Enfin bon, on était quatre. Il y avait un chef op, un ingé son et un assistant et moi. Et en fait, le tournage de la première semaine s'est bien passé, mais le résultat était moins convaincant au montage. Et en revanche, les deuxièmes et troisième semaines ont produit une matière assez belle. Je n'ai pas eu conscience tout de suite, c'est vraiment au montage que je me suis rendu compte qu'en fait, il s'était passé quelque chose. Et là, pour le coup, tout le monde avait pris en charge l'écriture. Je me souviens que je demandais aux jeunes comédiens, vous ne voudriez pas écrire cette scène-là et celle-là aussi D'ailleurs, écrire, c'est un grand mot. De coup, eux, ils écrivaient un truc qui ne me convenait pas forcément, mais il y avait une idée de scène. Et en fait, au tournage, tous les dialogues étaient improvisés. Et parfois, on ne savait même pas ce qui se passait dans la scène. On savait juste que... Et les personnages à l'époque, d'ailleurs, avaient encore leur nom. On jouait un peu avec les rapports réels. Moi, je sais que la partie que je préfère, c'est la partie qui se passe à la cité universitaire. Et l'actrice principale, qui s'appelle Anne, comme le personnage... partait réellement de France. Elle était étudiante Erasmus, elle avait fait un échange en France, elle partait réellement juste après le tournage. On tournait réellement au moment du 14 juillet, il s'était malheureusement passé réellement les attentats de Nice pendant le tournage, en plein tournage. Et donc c'était très étonnant la façon dont la fiction et le réel communiquaient. C'était très très improvisé. Et c'est étonnant qu'après, finalement, il y ait eu un résultat qui tenait à peu près la route. Mais en fait, je dirais, même si j'ai beaucoup aimé l'expérience, puis j'étais aussi sans doute beaucoup moins stressé que d'habitude, parce qu'en vrai, personne n'attendait de moi qu'il y ait un film au bout. Donc, je pense que je me suis un peu plus amusé que d'habitude sur les tournages. En vrai, ce qui s'est passé aussi, c'est que ça a surtout été, je pense, l'esquisse... de deux films très importants pour moi. En fait, ça a donné l'île au trésor, parce que le fait de tourner pendant une semaine sur cette base de loisirs à Sergi Pontoise, j'avais déjà en tête depuis très longtemps, j'avais déjà un désir de documentaire là-bas, mais le fait d'y passer concrètement une semaine, à tourner tous les jours là-bas, ça a rendu beaucoup plus concret ce projet de documentaire et ça m'a permis l'été suivant de tourner l'île au trésor, qui est peut-être à ce jour le film dont je suis le plus fier, et cette expérience avec les jeunes communiens du conservatoire. a permis deux ans plus tard ou trois ans plus tard de tourner à l'abordage qui reste à ce jour mon plus grand succès. A l'évidence, les lieux pour mes films sont des personnages à part entière, et ça dès le début. Et en fait, ça a souvent été les lieux qui ont été à l'origine du désir de faire un film. En tout cas, ça a été le cas pour Le Naufragé, Un Monde Sans Femme, ça a été le cas pour Tonnerre, ça a été le cas évidemment pour L'Île aux Trésors, et ça a été le cas aussi pour Ce n'est qu'un au revoir. En fait, à chaque fois, c'est finalement faire un film dans un lieu qui est le désir premier. et d'essayer de capter quelque chose de l'âme ou de l'esprit de ce lieu. Et c'est vrai que ça ne me viendrait pas à l'esprit aussi de tricher avec un lieu, c'est-à-dire, comme on fait assez souvent, et puis après tout, ça ne me pose aucun problème sur les films des autres, mais d'aller chercher, d'éclater les décors et d'aller chercher pendant les repérages l'endroit idéal là, et puis 30 kilomètres plus loin, l'autre endroit pour telle scène, et puis ainsi de suite. Moi, j'ai besoin de... D'avoir une sorte de terrain de jeu comme ça, très cohérent et concentré, qu'on puisse après arpenter pendant le film, que ce soit en documentaire ou en fiction. C'est vraiment ce truc de terrain de jeu. Je me rappelle que j'avais eu ce sentiment-là très fort sur un film qui n'est sans doute pas mon meilleur, mais pour lequel j'ai une tendresse et sur lequel j'ai appris beaucoup de choses, qui est ce documentaire Le Repos des Braves. Je me rappelle qu'il y avait eu 24 ou 36 heures un peu... d'exaltation où les vieux cyclistes qu'on avait suivi étaient dans une sorte de centre de vacances au bord de la Méditerranée et où ils étaient un peu au repos pendant un jour ou deux et où là, d'un seul coup, après avoir été un peu en itinérance à les suivre sur la route, c'était assez épuisant. Ils étaient tous dans un périmètre de 300 mètres et on pouvait comme ça sauter d'une scène à une autre et capter un maximum de choses en très très peu de temps et juste en se promenant avec la caméra. Au fond, c'est un peu après ce qui s'est passé sur l'île au Trésor, d'avoir un périmètre très réduit, d'ouvrir les yeux et d'attraper quelque chose. Moi, je pense que les moments les plus importants, c'est les moments où j'allais passer la journée là-bas. J'étais d'ailleurs très intimidé, en fait, à ce moment-là, par le rapport aux gens. J'avais une très grande timidité à aller vers les gens. Donc, en fait, j'avais tendance plutôt à rester quelque part et puis à observer, à écouter et presque à faire un espèce de plan lumière de deux heures, je ne sais pas, près de l'entrée de la plage et à capter des bribes de discussion, des moments de jeu, de drague, de reski, etc. Et puis à observer, quoi. Ouais, à faire un peu des plans dans ma tête pendant des journées entières. Et je pense d'une certaine manière qu'on retrouve ça un peu dans la mise en scène du film, sans doute aussi, après. En tout cas, le film a plusieurs registres, mais il y a un registre un peu lumière dans le film. En tout cas, à rêver le film. Et puis au début, c'est vrai que je ressentais même une forme de... de timidité humaine, mais même aussi de timidité sociale. Socialement, ce n'était pas complètement mon monde. Je venais de Paris, en tout cas, je vivais à Paris. Il y avait des gens qui étaient, pour une grande partie d'entre eux, d'un milieu beaucoup plus modeste que le mien. J'entendais plein de langues, etc. je me posais presque une question aussi de légitimité, en fait, à aller comme ça, leur parler, les voir. Enfin, je me disais, mais qui je suis pour aller les interpeller, tout ça. Donc, j'ai mis longtemps, j'ai longtemps eu peur de ne pas réussir à faire ce film, que je n'arrive pas à combler cette distance-là sociale entre les gens et moi. Et ça s'est fait vraiment tout au long du tournage, en fait, ce chemin-là. Et je pense que la beauté du film, c'est qu'en fait, à un moment donné, c'est... Il y a quelque chose d'universel qui se produit, enfin comment dire, le film finit par capter quelque chose d'universel qui n'a plus vraiment à voir avec l'origine géographique, l'origine sociale, etc. Quelque chose en fait qui rassemble, enfin comment dire, une sorte de, à l'époque je me souviens que je parlais de dénominateur commun entre les gens, et au fond d'arriver à parler de mon enfance, de mes souvenirs d'enfance à travers d'autres gens que moi, c'était quelque chose où... Ce rapport au temps libre, au loisir, à la drague, au jeu, à la nature, à la contemplation, tout ça, finalement, est quelque chose d'universel et qui s'incarne dans des corps physiques et des corps sociaux différents, mais qui, en fait, est quelque chose d'universel. Je pense que c'est tout ce travail-là, la préparation du film et le tournage du film, ça a été ce travail-là, d'arriver à faire tomber des barrières. abolir des distances en quelque sorte. Mais ça a été passionnant et épuisant. Tous les jours, il fallait que j'aille vers les gens. C'était pas forcément ma nature, enfin même si... J'étais déjà beaucoup moins timide que quand j'étais jeune à ce moment-là, mais d'arriver à aller parler aux gens 15 fois, 20 fois, 30 fois par jour et puis leur expliquer que j'étais réalisateur, leur expliquer ma démarche qui était en fait même pas très claire dans ma tête et j'étais toujours en train de me demander quel film exactement on était en train de faire. Voilà, et de donner envie aux gens de m'aider à faire le film, de participer, de s'impliquer, c'était quelque chose d'épuisant mais... Mais il en est ressorti de matière très riche. Tous mes documentaires, on était quatre, c'est-à-dire ce qui est assez luxueux en documentaire, j'avais toujours quelqu'un à l'image, quelqu'un au son, et toujours une assistante qui était généralement quelqu'un de beaucoup plus jeune, et souvent une étudiante en cinéma. Et là, je me souviens que sur ce tournage, assez régulièrement, mon assistante Fatima, qui était un peu en électron libre sur le tournage, me parlait de quelqu'un qu'elle avait rencontré, etc. Et en fait, au début... A chaque fois, j'étais déçu parce qu'en fait, elle me ramenait un sujet, une problématique. Elle me ramenait quelque chose tout le temps de sociétal. Et ce n'était pas du tout ça, en fait, que je cherchais. Après, elle a compris et elle a trouvé des gens super pour le film, notamment les deux frères qu'on voit à la fin. Mais ce qui est très troublant, c'est en effet qu'il y a des gens, c'est très mystérieux, mais c'est des personnages et d'autres. qui sont très sympathiques, très intéressants, même peut-être très beaux, mais ce n'est pas des personnages. C'est très étonnant. Et moi, je crois qu'il y avait quand même quelque chose... En fait, je crois qu'à quelques exceptions près, j'avais besoin que les gens me fassent rire, qu'ils me fassent au moins sourire, qu'il y ait une part de comédie en eux, en tout cas qu'il y ait quelque chose d'un peu... soit d'un tout petit peu ridicule et touchant, soit d'un peu facétieux, d'un peu joueur, ou d'un peu hableur, ou d'un peu... Mais en fait, il fallait qu'il y ait quelque chose de l'ordre du jeu, de la comédie. Et dès que c'était trop sérieux, en fait, dès qu'il ne me faisait pas sourire, dès qu'il ne m'amusait pas, en fait, ça ne marchait pas. En fait, c'est un processus tellement progressif et tellement organique que j'ai pas souvenir qu'il était très douloureux pour moi. C'est-à-dire que... Alors évidemment, il y a des gens à qui je m'étais attaché sur le tournage, j'étais un peu triste pour eux, je me disais, c'est con, ça leur aurait fait plaisir d'être dans le film, et puis on avait passé un petit peu de temps ensemble. Même si quand même, la plupart des gens qui sont dans le film, finalement, c'est des gens avec qui j'ai passé... quelques heures ou un jour, deux jours, trois jours, mais jamais tellement plus parce qu'en fait c'est un lieu qui brasse tellement de monde qu'en fait... Même des scènes qui peuvent être assez longues dans le film, même des gens qu'on voit assez longtemps dans le film, finalement peut-être qu'on a tourné trois jours avec eux, ou parfois même juste deux heures avec eux. Il y en a peut-être un ou deux qui étaient un peu déçus ou un peu énervés d'avoir été coupés. Mais en fait, ce qui est complètement fascinant avec le montage, c'est qu'au fur et à mesure où la matière se réduit, au fur et à mesure où on coupe des choses, ça donne tellement de force à ce qui reste, et ça met tellement en relief d'autres scènes. Moi, je ne peux pas m'empêcher de voir le film dans sa globalité. Et c'est vrai que je pense qu'il y a des cinéastes qui ont du mal à couper et qui ont peut-être un rapport très affectif à la matière. Moi, je ne sais pas, j'ai un rapport affectif au film, en fait. Et je sens que le film est meilleur sans certaines scènes. Et même si j'avais une tendresse pour les scènes, en fait, ces scènes, je les oublie assez vite. Et après, je ne saurais même pas te dire, alors que pourtant, il y avait 200 heures de rush. Et la première... La mouture de montage durait entre 6 et 7 heures. On a coupé énormément de choses avec ma monteuse Karen. Je ne saurais même pas très bien dire quelle scène on a coupée maintenant. Je ne m'en souviens même plus. À l'abordage, c'était un processus. très particulier encore et assez intéressant. Un peu, d'ailleurs, même si c'est évidemment un film de fiction, mais il y a quelque chose de très documentaire dans la démarche, parce qu'en fait c'est un film qui m'a été commandé par le Conservatoire d'Art Dramatique, et l'idée était d'écrire pour une promotion de jeunes comédiens et comédiennes qui avaient, à l'époque, jamais fait de cinéma encore, et moi j'avais pas du tout... a priori d'histoires en tête à raconter avec eux. Donc c'était vraiment... Moi, j'étais très clair sur le fait que j'allais les rencontrer, parler avec eux de leur vie, de leur parcours, etc. Et que l'écriture allait naître de ces échanges-là. Que le désir du film allait naître de ces rencontres. Et donc les personnages ont été très nourris par les acteurs. Après, c'est moi et ma scénariste aussi. Catherine Payet, ce qu'on projette sur eux. Donc c'est un mélange de réalité et de projection. Mais les personnages sont du coup très très très ancrés. C'est comme s'ils avaient tous des racines dans le réel. J'avais aucune histoire au préalable. Par contre, après les avoir rencontrés, après avoir choisi le noyau dur avec qui j'avais travaillé, on avait quand même cherché en amont une histoire, mais on ne s'était pas du tout arrêté sur quoi que ce soit avec Catherine. On avait un peu des vagues pistes comme ça. Et après, une fois que je les ai rencontrés, assez rapidement, on est parti sur cette idée de, pas vraiment de road movie, mais en tout cas de déplacement comme ça de personnages l'été, de camping, d'un duo, d'un trio de copains, de mecs qui allaient suivre une fille, etc. On est arrivé assez vite à ça, mais c'était vraiment juste une espèce de petit schéma narratif, de petit squelette narratif. Et puis après, ça s'est nourri de beaucoup... beaucoup de travail d'improvisation avec eux. Il y a eu un atelier de trois semaines où je les ai lancés sur des situations comme ça, très basiques d'improvisation. Et puis, petit à petit, il y a des idées de scène qui ont émergé. Les personnages se sont un peu affinés. C'était tout un processus. Et c'est seulement d'ailleurs quelques jours avant le tournage qu'ils m'ont demandé de transformer leur prénom et qu'en fait, ils ne portent pas leur vrai prénom dans le film. Certains ont voulu garder leur vrai prénom, mais d'autres ont changé. Salif est devenu shérif, Asma est devenu Alma. Pour vraiment marquer la limite entre le documentaire et la fiction, et qu'ils sachent qu'ils ne sont pas eux-mêmes, mais qu'ils sont des personnages de fiction. Mais c'est vrai que d'ailleurs, c'est vraiment un peu un problème que j'ai. On a eu d'innombrables discussions là-dessus avec Vincent Macaigne. J'ai beaucoup de mal à m'affranchir d'un rapport un peu documentaire aux acteurs et au cinéma de fiction. J'ai besoin en quelque sorte d'extrapoler quelque chose que j'observe, que je sens chez le comédien ou la comédienne, et d'en tirer en quelque sorte un matériau de fiction. Mais j'ai besoin de partir de quelque chose que j'observe et que je ressens de cette personne. Et si par exemple Vincent Mackay... Oui. et un acteur qui tourne beaucoup, qui a beaucoup de succès. Il y a certains personnages que je vais avoir beaucoup de mal à l'imaginer dans la peau de certains personnages. Enfin, je vais avoir presque beaucoup de mal finalement à l'imaginer jouer autre chose qu'un acteur, parce que c'est un acteur que j'ai sous les yeux. Donc ça, c'est un vrai problème que j'ai par rapport à la fiction depuis quelques années. C'est un problème de croyance, d'arriver à m'affranchir vraiment du réel et de ce que sont les gens. Disons que là, pour le coup, quand même à l'abordage, il n'y avait pas de scénario entièrement écrit, mais il y avait quand même un séquencier précis, scène par scène, avec une grande partie des dialogues au style indirect et une autre partie des dialogues au style direct, qui pour beaucoup ont été trouvés et affinés juste avant le tournage, où j'ai refait une sorte d'atelier pendant deux semaines en plein air dans un parc. à Paris où je les réunissais et je leur faisais jouer la plupart des situations du film. Et puis j'enregistrais comme on le fait là maintenant. Et après, je notais certains dialogues que je trouvais intéressants. Ce qui fait que quand on a attaqué le tournage, il y avait des scènes qui étaient déjà très précises et d'autres qui l'étaient moins. Et en tout cas, il y avait quand même le plus souvent une marge de liberté qui était, je ne sais pas, selon les scènes, de 10, 20, 30 sur l'improvisation. Et ça dépendait d'ailleurs des comédiens. Certains étaient plus à l'aise que d'autres dans l'improvisation, certains avaient besoin de choses beaucoup plus précises. En particulier, les deux personnages principaux étaient très forts, très à l'aise là-dedans. Eric Nunchong et Salif Sissé. Les scènes entre eux, il y a beaucoup de choses qui fusent dans les dialogues, qui sont un peu improvisées sur le tournage. Je sais par exemple qu'Edouard, lui, avait besoin de choses plus précises. Anna Blagojevic, qui joue la jeune maman, avait aussi besoin de choses souvent plus précises. Parler de la mise en scène... C'est vrai que c'est un film, et ça c'est le cas sur pas mal de mes films, dans lequel il y a quand même une caméra qui est majoritairement sur pied, beaucoup de plans fixes quand même, souvent des plans qui ne sont pas très serrés, qui sont souvent des plans assez larges, souvent des plans avec deux ou trois personnages, et des plans qui peuvent durer assez longtemps. Et avec cette idée de... que la mise en scène est presque plus là pour arracher une sorte de bloc de temps et de bloc de vie, plus que pour vraiment guider le regard du spectateur sur des éléments narratifs de l'histoire. C'est presque plutôt pour plonger le spectateur dans une succession de moments. Et dans ces moments, il se passe des choses entre les personnages. Mais ce qui compte, c'est autant le moment lui-même que ce qui s'y passe. Je ne sais pas comment dire. Il y a quelque chose de l'atmosphère du lieu, de l'atmosphère de la saison, de l'atmosphère de l'horaire auquel on tourne, que l'échelle du plan, qui est souvent une échelle assez large, permet sans doute de capter. Alors ce n'est pas systématique, il y a aussi dans ce film des scènes qui sont en champ contre champ, qui sont d'ailleurs souvent des scènes qui visent justement un peu à séparer les personnages, peut-être à appuyer certains clivages qu'il peut y avoir entre les personnages, mais finalement les scènes les plus fortes du film sont des scènes où les personnages sont réunis dans le même cadre. J'ai enchaîné deux films, L'île au trésor et L'abordage, qui sont des films à 90-95% en extérieur. Très très très peu d'intérieur dans la scène de film. Et c'est vrai que Ce n'est qu'un au revoir pour le coup. Et d'ailleurs Un pincement au cœur est quand même un film intermédiaire, mais où il y a pas mal d'extérieur aussi quand même. Il y a beaucoup de scènes dans la cour et tout ça. Il y a peut-être en effet une proportion plus grande d'intérieur dans Ce n'est qu'un au revoir. Il se trouve que j'avais déjà filmé Dix, puisque j'ai tourné ce film dans la même ville qu'à l'abordage. Et d'une certaine façon, j'avais peut-être un désir beaucoup moins fort de cinéma. C'était même presque que j'évitais de refilmer un même lieu. J'avais pas eu toute l'envie de refilmer des lieux que j'avais déjà filmés dans l'abordage. Et là où pour moi le réel me touchait le plus, c'était dans les chambres. Et je me souviens que pour la première fois, ils m'ont invité... dans leur dortoir, notamment la chambre d'Aurore, Nours et Jeanne, qui est un peu le cœur pour moi du film. Je me suis dit, ok, le film, c'est ça le film. C'est ce privilège-là, en quelque sorte, d'être invité dans ces chambres, dans ces couloirs. Moi, je n'ai jamais été interne. Je n'ai jamais vraiment partagé la chambre de mes amis. Je n'ai jamais eu cette intimité-là. Et ça me touchait beaucoup, en fait. Et après... Petit à petit, j'ai aussi mis des mots et des pensées là-dessus. J'ai compris petit à petit que ces chambres et cet internat étaient aussi un peu une sorte de foyer, de refuge pour les protagonistes, que beaucoup d'entre elles avaient des grosses blessures familiales et que c'était recréer une sorte de deuxième famille. Et que le film permettait d'être au cœur de cette deuxième famille. Sachant que l'autre famille reste toujours dans le hors-champ du film. Ce qui est d'ailleurs aussi le cas dans Un pincement au cœur. Mais donc j'avais énormément de plaisir à filmer ces chambres en fait. Et d'ailleurs Alan, le chef opérateur aussi, il y avait quelque chose d'assez vivant sur les murs, les couleurs, enfin évidemment les murs qui étaient couverts d'affiches, de cartes postales, de photos, tout ça, et puis même la couleur des murs, enfin une chambre un peu rose, une autre un peu jaune, une autre un peu verte, enfin bon il y avait souvent des décors un peu ingrats visuellement mais qui… Je pense qu'ils avaient une âme aussi parce que c'est des lieux qui voient chaque année défiler une nouvelle génération de jeunes. Et c'est comme si ces chambres étaient quand même un peu habitées par... Enfin bon, je trouvais que c'était des lieux qui vibraient quand même. En fait, j'avais tourné ce premier film avec des lycéennes qui s'appellent un prince manqueur, qui lui s'était fait dans un cadre particulier d'une commande. Je m'étais retrouvé à aller faire un film dans un lieu que je ne connaissais pas, qui était Nimbomont, avec un groupe qui avait été constitué en dehors de moi, en quelque sorte. Et j'ai eu envie de prolonger ce premier film en explorant un peu à nouveau la question du lien amical. Mais cette fois-ci, j'avais envie de filmer plus à l'échelle d'un groupe. Et donc, je suis allé au lycée de Dix, parce que j'étais en train de m'installer dans la région tout près de ce lycée. C'était l'endroit le plus proche. pour moi et ça me semblait C'est sans doute le meilleur moyen d'aborder un groupe de jeunes, de passer par le lycée. Et de fil en aiguille, assez vite, j'en suis arrivé à l'idée que j'avais envie de filmer des terminales, plutôt vers la fin de l'année et plutôt interne. Ça s'est fait un peu progressivement, mais en fait, même si j'étais très bien accueilli dans le lycée, ça n'a pas été si simple parce qu'en fait, c'était assez intimidant comme demande. Et puis, il y avait aussi une question d'emploi du temps, une peur de l'engagement. C'était une année un peu sous pression. certains prenaient la vie un peu côté détente, mais il y avait quand même une certaine pression de la terminale et du bac et de parcours sup et de plein de choses. Et donc, en fait, finalement, personne n'est venu spontanément faire acte de candidature pour le film. Aucun groupe, parce que j'avais précisé que moi, je voulais filmer un groupe. Et donc, j'étais un peu sur le point de renoncer à ce projet de film, quand je suis tombé vraiment par hasard en allant faire mes courses au marché de D. sur plus ou moins ce groupe là, enfin ils étaient pas tous là, elles étaient pas toutes là, mais c'était plus ou moins ce groupe là qu'on voit dans le film, devant le lycée, qui fumait une cigarette et qui m'ont dit bah alors où est-ce que ça en est le film parce que nous on est super motivés et tout ça donc j'étais très surpris quoi parce que je me disais mais je savais pas que j'étais motivé, personne me l'a dit quoi, je me disais mais si si si si si nous ça nous intéresse beaucoup et tout on a vachement envie À ce moment-là, elles m'ont dit à peu près la même chose que ce que m'avait dit déjà Jérémy, dont je parlais tout à l'heure, le loueur de pédalos, mon îlot trésor, qui m'avait dit que ce film était important pour lui parce qu'il voulait garder une trace de sa jeunesse et qu'il voulait pouvoir montrer à ses enfants et ses petits-enfants plus tard ce qu'avait été sa jeunesse. Ce qui m'avait à l'époque beaucoup plu et touché. Et là, elles m'ont dit à peu près la même chose, qu'en fait, elles avaient envie de garder un souvenir de leurs années. dans cet internat, a dit qu'elle avait été les années les plus importantes de leur vie et que c'était pour ça qu'elle voulait faire le film. Le tournage est très concentré dans le temps. C'est-à-dire qu'en fait, moi, les documentaires que j'ai faits se sont toujours faits sur une période de temps, un bloc de temps. J'ai jamais fait de film par session, comme c'est très souvent le cas en documentaire. Moi, j'ai toujours filmé un bloc. Et donc, L'île aux Trésors, c'était un très long bloc, parce que pour le coup, ça avait duré tout l'été, même jusqu'en septembre. Là, ça a été juste... trois semaines en juin. On a commencé début juin, puis on était jusqu'au 20 et quelques... Je crois qu'on a fini le jour de l'été, on a dû finir le 20 ou le 21 juin. Et donc, en fait, il fallait, sur une période comme celle-là, bon déjà, il fallait aussi jongler avec l'ensemble du temps, les cours, les épreuves du bac et tout ça. Et puis aussi leurs activités personnelles, leurs petites virées, etc., les week-ends et tout. Donc, en fait, il fallait organiser quand même assez précisément une sorte de plan de travail. Il fallait remplir les journées, quoi. Et remplir les journées en se disant, bon, tiens, le lundi, qui est disponible le matin Ah, ok, vous trois. Bon, alors peut-être on peut faire une scène avec vous trois dans votre dortoir. Et puis, ah tiens, l'après-midi, ah, vous avez ça. Bon, peut-être on peut aller filmer votre cours. Et puis, ah, peut-être qu'après, on pourrait faire une scène avec vous deux, puisque vous êtes disponibles. Enfin... Il y avait quelque chose comme ça, presque d'organiser un peu les journées. Et à partir de là, oui, de parler un petit peu ensemble. En fait, c'était aussi beaucoup rebondir sur ce qui les traversait à ce moment-là, sur ce qu'elles étaient en train de vivre. Donc, évidemment, rebondir sur les révisions du bac, sur les résultats de Parcoursup, sur cette séparation qui se profilait. Je ne sais pas trop quoi, en fait, essayer de raconter au mieux cette période qu'elles étaient en train de vivre. Bon, sachant qu'il y a aussi des moments qui ont été vraiment pris sur le vif. Mais c'est vrai que la plupart des scènes du film sont des scènes qu'on a pris le temps, en quelque sorte, de lancer ensemble. Mais ce qui n'empêchait pas qu'à un moment donné, quelqu'un rentre dans la chambre. Soit ça foutait en l'air la scène, soit finalement, ça la relançait, ça la rendait plus intéressante. Et puis il y a des scènes qu'on a faites aussi avec la complicité des surveillantes, enfin bon, des scènes qui sont des pures mises en scène, mais qui sont en fait... Des mises en scène qui sont nécessaires pour raconter certains moments que le film ne pourrait pas raconter sans ça. Et le film ne serait pas juste si ces moments-là, où les pionnes à moitié sérieuses et à moitié rigolantes cherchent les garçons dans les piôles parce que ça arrive tous les jours, ce petit jeu un peu du chat et la souris, qui mène beaucoup dans l'île aux trésors, mais qui a là aussi ce rapport à l'autorité. C'est pas une autorité très méchante, c'est une autorité assez goguenarde. Mais il y a quand même ce rapport-là entre les adultes et les jeunes que je trouvais vraiment important de capter. Et puis ça faisait partie aussi de... C'est quand même une région particulière, la Drôme, c'est des jeunes assez particuliers. C'est des jeunes un peu, comme il se définit, ce même babos. Et d'ailleurs, c'était compliqué au tournage aussi, parce qu'ils ne sont pas habitués du tout à obéir à qui que ce soit, et encore moins à un adulte. Ma position de réalisateur, je n'étais pas vraiment en mesure de leur dicter leur conduite. Il fallait vraiment un peu jongler avec leur désir de liberté et d'indépendance. Je pense qu'il y a vraiment la question du rapport au temps qui file et aux traces qu'on garde. Enfin bon, je ne sais pas comment dire. Je pense que c'est ça un peu qui traverse tous mes films. C'est à la fois essayer de capter des moments de vie et de présent, et à la fois des moments dont on sent qu'ils sont déjà... Ils sont déjà presque terminés. Je ne sais pas comment dire. C'est exactement la discussion qu'ont deux personnages, Aurore et sa copine, où elle parle de philo, sur ce que c'est que le présent. Je pense qu'il y a quelque chose qui est lié à ma vie, à mon parcours personnel. Je pense que mon rapport au cinéma a été beaucoup conditionné. Par la question de la disparition et de la mort, j'ai perdu un frère quand j'avais 20 ans et juste avant de basculer dans le cinéma. Et donc il y a ce rapport-là, je pense, à essayer de garder un souvenir et une trace des gens et des choses et des lieux, etc. Et que le cinéma était là un peu pour ralentir un tout petit peu le flux du temps. Donc peut-être, je pense que... profondément la mélancolie, elle vient de là en fait, elle vient de cette... Et ce qui est très troublant d'ailleurs, c'est que les jeunes filles de Seneca Ne Revoir m'ont dit avant le tournage qu'elles avaient l'intuition que le film allait parler de la perte et qu'elles avaient toutes perdu quelque chose, ou qu'elles étaient toutes en train de perdre quelque chose. Et après, c'est évidemment moi ce que je viens projeter aussi sur leur présent à elles et sur leur vie à elles, qui à la fois leur appartient, mais qui en fait résonne profondément avec ma vie à moi. Et là, sur ce film-là, c'était beaucoup la question du rapport à la paternité, et avec aussi toutes les angoisses qui pouvaient être rattachées à ça. Et je pense que ce n'est pas par hasard que j'ai... Alors évidemment, c'était très important pour elle à ce moment-là aussi, mais ce n'est pas par hasard que j'ai mis en avant le rapport d'Aurore à sa mère, le rapport de Nours à son père, et aussi, même si évidemment c'était central dans sa vie, la perte de sa sœur par Diane. C'est ça aussi qui est assez fascinant dans le documentaire, c'est quand on a l'impression de faire le portrait de gens qui ne sont pas du tout comme moi, et qu'en fait, en sculptant, en agençant toute cette matière, je me retrouve à parler de choses qui touchent de très près ma vie à moi. Moi, en tout cas, je sais que mon rapport au documentaire, c'est en fait, à partir de l'autre, à travers l'autre, finalement, raconter quelque chose de moi. Mais je ne serais pas capable de raconter moi de manière frontale, je ne serais pas capable de me mettre en scène moi. Donc, finalement, c'est... Mais c'est aussi en faisant beaucoup confiance au hasard, parce qu'en fait, je n'ai évidemment pas choisi ces jeunes filles-là parce qu'elles avaient vécu ça. Je n'ai pas du tout choisi Diane parce qu'elle a perdu sa sœur. Je ne savais pas du tout qu'elle avait perdu sa sœur. Elle faisait partie du groupe et... Mais à un moment donné, la vie crée des espèces de hasards et de correspondances qui sont très troublantes.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté ce podcast. Vous pouvez d'ailleurs retrouver tous les épisodes de Vision sur les plateformes, que ce soit Spotify, Deezer ou Apple, ainsi que nos actualités sur le site vision.photo ou sur notre Instagram at vision. Et si vous avez quelques secondes pour noter et laisser votre avis, ça nous aide aussi beaucoup. Donc je vous dis à très vite pour de nouvelles rencontres.

Description

Ce sont des rencontres inattendues, des moments de grâce au cœur de l’été, des sensations de tendresse et de liberté avec des envies de retourner à l’heure de l’adolescence : tout cela, on peut le ressentir lorsque l’on regarde un film de Guillaume Brac, réalisateur des magnifiques L'île au trésor ou À l’abordage.

Et alors qu’il revient avec Ce n’est qu’un au revoir, un documentaire qui plonge dans les dernières semaines d’un internat, on est allés à sa rencontre, pour mieux évoquer son parcours mais surtout sa manière d’envisager le cinéma, entre des fictions parfois très réelles et des mises en scène de la réalité.


🤝 Partenaire


MPB, la plus grande plateforme en ligne au monde pour acheter, vendre et échanger du matériel photo et vidéo d’occasion.

Bénéficiez de 5% de réduction avec le code MPBVIDEO5 jusqu'au 30 mars 2025 !
L'offre est uniquement valable pour les nouveaux utilisateurs.


🎙 Crédits


Un podcast réalisé et écrit par Louis Lepron, produit par Noyau.studio, monté et mixé par Virgile Loiseau et mis en musique par Charlie Janiaut.


✨ Liens  


Instagram - Vision(s)  

Site - Vision(s)



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une production, un loyau studio.

  • Speaker #1

    Ce sont des rencontres inattendues, des moments de grâce au cœur de l'été, des sensations de tendresse et de liberté, avec des envies de retourner à l'heure de l'adolescence. Tout ça, on peut le ressentir lorsque l'on regarde un film de Guillaume Braque, réalisateur des magnifiques L'île au trésor ou à l'abordage. Et alors qu'il revient avec Ce n'est qu'un au revoir, un documentaire qui plonge dans les dernières semaines d'un internat, on est allé à sa rencontre. pour mieux évoquer son parcours, mais surtout sa manière d'envisager le cinéma entre des fictions parfois très réelles et des mises en scène de la réalité. Salut, c'est Louis. Vous écoutez Vision, le podcast d'Andy Ozyman. Cet épisode a été réalisé en partenariat avec MPB, la plus grande plateforme de matériel photo et vidéo d'occasion.

  • Speaker #0

    Tu me posais la question d'une scène qui serait une porte d'entrée dans mon cinéma. Une question pas facile, mais je prends une scène de mon documentaire L'île au trésor, qui est mon premier long métrage documentaire. dans lequel je raconte tout un été dans une base de loisirs de la région parisienne. Avant d'en venir à la scène, je vais peut-être juste dire qu'au début de ce tournage, je découvrais un peu le cinéma documentaire, je venais plutôt de la fiction, et j'avais l'idée un peu naïve et à mon avis fausse que faire du documentaire, c'est ne surtout pas intervenir sur le réel, ou en tout cas très peu, et un peu attendre que des miracles se produisent. Et j'ai compris au bout de... deux trois semaines et aussi à la faveur de discussions avec mon producteur Nicolas Thaumet que si je persistais dans cette approche là, il ne se passerait pas grand chose d'intéressant. Je ne m'amuserais pas beaucoup et finalement, ça créerait assez peu de liens avec les gens que je filme et le producteur notamment m'a encouragé à prendre beaucoup de liberté avec le documentaire. Il m'a dit après tout, le documentaire, c'est du cinéma et le cinéma, c'est de la mise en scène, donc le documentaire, c'est de la mise en scène aussi. Et en fait, voilà, c'est vrai que je me suis dit que la seule limite, c'est une forme d'honnêteté vis-à-vis des gens qu'on filme et de ne pas raconter n'importe quoi sur le réel. Mais si raconter quelque chose de vrai, de juste sur le réel, passe par de la mise en scène et par des situations qui peuvent être provoquées ou même rejouées, en fait, ça ne me pose en tout cas, moi, aucun problème. Et donc, j'en viens à cette scène à laquelle je pensais, qui est une scène où on voit un... un jeune homme qui travaille tous les étés dans cette base de loisirs, qui loue des pédalos et qui invite deux jeunes filles à le rejoindre après la fermeture de la base de loisirs pour sauter d'un pylône de téléski, ce qui est un peu une sorte de rituel initiatique qu'il a, une activité qu'il aime faire un peu avant la tombée de la nuit avec ses copains. Et ça, typiquement, par exemple, Ce jeune homme était vraiment un complice du film. Il s'appelle Jérémy. Il m'avait dit que c'était quelque chose qu'il avait absolument envie de me montrer et que ça puisse être dans le film. Et en fait, j'ai vu ces deux jeunes filles l'après-midi qui descendaient du pédalo. Et j'ai vu le regard qu'elles... Il faut préciser que ce Jérémy est assez séduisant. Et j'ai vu le regard qu'elles posaient sur lui, un petit peu séduite et admirative. Et donc je suis allé leur parler. Je leur ai dit, voilà, est-ce que vous avez un peu de temps devant vous Est-ce que ça vous intéresserait de participer à un film qu'on est en train de faire ici Et puis j'avais demandé aussi, d'ailleurs, j'avais eu le temps de demander à Jérémy s'il avait envie de, justement, pourquoi pas de proposer à ces jeunes filles d'aller sauter avec lui le soir du pylône. Donc en fait, j'ai fait un peu l'intermédiaire, presque, je les ai mises en relation. Et à tel point que tout le monde était tout à fait enthousiaste à cette idée. Et donc j'ai demandé aux deux jeunes filles si elles voulaient bien refaire leur arrivée sur le ponton au pédalo et que Jérémy aille cette fois-ci leur proposer lui-même cette petite excursion du soir. Et donc là, on était vraiment dans de la mise en scène pure, dans une situation qui était provoquée par moi. Mais en fait, une fois que le rendez-vous était pris, ce qui était génial, c'est que le réel est revenu très vite. Et en fait, avec mon chef opérateur Martin Ritt, après, on ne faisait plus que suivre le programme qui était décidé par Jérémy. Et en fait, on ne s'est même plus d'ailleurs autorisé à intervenir de quelque façon que ce soit. On ne leur a pas dit, est-ce que vous pourriez vous arrêter, attendre qu'on soit prêt, Roland Après, c'est devenu une scène purement documentaire que j'aime beaucoup et qui est extrêmement honnête et juste par rapport à la façon dont ce Jérémy envisageait ce lieu qui était un peu un champ des possibles, un terrain de jeu inépuisable, etc. Je pense que si j'avais attendu que ça arrive, ça ne serait sans doute jamais arrivé. Ça aurait été extrêmement pesant d'être là. à attendre miraculeusement qu'il ait envie de proposer à quelqu'un, que quelqu'un accepte, etc. Donc là, je suis intervenu. Et c'est vrai que c'est quelque chose, le fait de déclencher des situations et ensuite en quelque sorte de m'effacer, c'est quelque chose que j'ai beaucoup fait après, notamment dans le dernier film. Alors bon, il se trouve que le dernier film se passe... Il y a peut-être un peu moins de scènes d'action de ce type-là, donc ça me laissait plus la possibilité avec mon chef opérateur de décider d'un cadre au début. Et souvent ce cadre pouvait tenir toute la scène ou alors... On pouvait modifier le cadre en cours de route, mais sans interrompre le déroulement de la scène. Peut-être que parfois, ça pouvait m'arriver de les relancer dans une discussion, un point sur lequel les protagonistes étaient passés un peu vite, de leur dire attendez, est-ce que vous ne pourriez pas recreuser un petit peu ça ou peut-être de replacer légèrement l'une d'entre elles. Ou peut-être même de proposer à une troisième jeune fille d'intervenir à un moment donné dans la scène, de rejoindre la scène. ce genre de choses. Mais oui, donc oui, j'interviens. Mais jamais, par exemple, je vais leur proposer de parler de quelque chose dont elles ne m'ont pas parlé avant ou qui n'est pas quelque chose qui les concerne directement à ce moment-là. Je ne vais pas jamais imposer un sujet ou une situation qui n'aurait rien à voir avec leur vie. Je m'appelle Guillaume Braque et je réalise des films. des films de fiction, des films documentaires. Depuis 15 ans maintenant. Mon tout premier rapport à l'image, je pense que, comme la plupart des gens, l'image sur un écran, c'est un souvenir de cinéma, en l'occurrence. Je pense que mon premier souvenir de cinéma un peu marquant, je pense que c'est une séance de Pinocchio, probablement. Et je devais pas être très vieux, je devais avoir à mon avis 5 ans, quelque chose comme ça, 4-5 ans. Et j'avais été très marqué comme beaucoup d'enfants je pense par le ventre de la baleine. Après il y a eu évidemment énormément d'autres images marquantes, mais la liste serait un peu longue. Il y a plusieurs étapes, je pense qu'il y a les premiers films que j'ai vus autour de l'âge de 16 ans, les premiers films qui n'étaient en fait pas des films... d'action, de comédie, de divertissement, mais qui étaient des films qui parlaient tout simplement de rapports entre les gens, qui creusaient assez profondément des sentiments, des émotions. Là, j'ai compris. Je me souviens, j'ai vu à 16 ans un film de Bergman, Les Fraises Sauvages. Ça ne ressemblait pas du tout à ce que j'avais vu jusque-là. Je me disais, c'est fou. Je ne savais pas que le cinéma pouvait être quelque chose d'aussi intime. ou l'être d'une inconnue par exemple. J'avais rarement ressenti une émotion si forte devant un film. Mais le film, je pense qu'il m'a vraiment donné l'impression que le cinéma était quelque chose d'accessible, en tout cas que c'était quelque chose qui pouvait se faire d'une manière assez simple en fin de compte, et donc un peu plus accessible. C'est les films de Rosier notamment, d'abord, notamment du côté de Rouette, qui est ce film de vacances avec trois jeunes filles, et Bernard Menez. au milieu d'elle, dont on sent qu'il est tourné avec une équipe très restreinte et qui semble presque un peu enregistrée les journées les unes après les autres, qui m'avait très profondément touché, alors même qu'il se passait en apparence très peu de choses. Et là, c'est vrai que quand j'avais vu ce film, je m'étais dit peut-être que moi aussi je pourrais faire un film un jour. Ce qui n'était évidemment pas le cas quand je voyais à l'adolescence... Des films de Kubrick ou des films de Scorsese, ou ce genre de films. Là, le cinéma me paraissait un monde complètement lointain, inaccessible. Je n'ai pas de parents liés au cinéma. En revanche, j'ai quand même une mère qui est... Enfin, maintenant, elle est à la retraite, mais qui était prof de français, prof de lettres. et qui quand même je pense m'a transmis vraiment le goût des histoires, peut-être aussi le goût de l'écriture. Et donc enfant, en fait, et d'ailleurs je pense que mon approche du cinéma est d'abord passée par l'écrit, plus que par la technique ou l'image. Et j'ai jamais, contrairement à beaucoup de jeunes réalisateurs ou réalisatrices, j'ai jamais fait de petits films. dans le jardin avec des copains, etc. Je ne viens pas de l'image en fait. Je viens de l'écrit, mais ce qui est amusant c'est qu'en fait, assez vite, l'écrit s'est un peu effacé derrière justement la primauté de la scène, de la vie, du réel, de l'image, etc. Mais au départ, je viens de l'écrit. Il y a eu une suite peut-être d'erreurs d'orientation ou de changements d'orientation. À l'époque, j'étais un jeune homme assez timide et je n'avais pas une très grande confiance en moi, mais j'étais un très bon élève, scolairement j'étais un très bon élève. alors même que j'avais à l'évidence une sensibilité très littéraire et que ce que j'aimais vraiment c'était plutôt tout ce qui avait à voir avec la littérature, l'écriture. Et bien j'ai un peu suivi le conseil de mon père d'aller vers une classe préparatoire à HEC et de rentrer, ce qui m'a amené à rentrer à HEC. Au bout de quelques mois, je... J'avais un peu fait le tour et j'avais compris que c'était pas là que j'allais m'épanouir, que c'était pas là que j'allais trouver du sens, ce qui m'a empêché quand même d'aller jusqu'au bout. Mais à ce moment-là, essentiellement le cinéma en tête. J'ai quand même eu d'autres envies. J'étais attiré par le journalisme, le journalisme sportif, puis journaliste, puis la critique cinéma. J'hostilie un peu entre ces deux pôles-là. Ça avait toujours à voir avec l'écrit. Et puis je me suis mis à animer le ciné-club, là-bas justement à HEC, à voir énormément de films. Et puis pendant un stage, à l'occasion d'un stage dans une boîte de production, il y a un autre stagiaire qui était là avec moi, qui préparait le concours de la FEMIS. Donc moi je n'avais pas entendu parler parce que je ne connaissais pas de travail, je ne m'étais peut-être pas bien renseigné. Et puis à l'époque, Internet avait moins de place, donc je ne connaissais pas cette école. Et donc je me suis inscrit aussi à ce concours, je me suis inscrit en production, parce que je pensais que c'était là que je serais le plus utile ou le plus légitime. Et puis j'ai réussi le concours, et puis après, assez vite, dès la première année, je me suis rendu compte que quand même, j'avais du plaisir aussi à écrire des films, des petits films, des courts-métrages. et puis à les mettre en scène et que peut-être que j'avais moi aussi le droit de rêver de faire ça. Même si pour moi le cinéma a toujours été aussi un vecteur de beaucoup de stress et d'angoisse, ça n'a jamais été que du plaisir et ça m'a beaucoup soulagé un jour quand j'avais vu un cinéaste de notre temps. sur Ken Loach, et Ken Loach, on lui demandait s'il prenait du plaisir à faire des films, et puis il disait du plaisir, mais moi, pour le cinéma, c'est de l'angoisse, enfin, il y a peut-être 10% de plaisir, ça me dit, bon, ok, je ne suis pas le seul à être très angoissé, quand je fais un film, donc c'était pas que du plaisir, mais en tout cas, oui, j'avais l'impression qu'il y avait quelque chose d'assez épanouissant pour moi là-dedans, et que c'était presque une forme de besoin, de nécessité, quoi. De toute façon, c'est toujours très mystérieux pourquoi on a besoin, à un moment donné, d'exprimer, de s'exprimer. Je pense que pour plein de raisons, j'avais besoin de sortir des choses de moi et de faire des films. Alors, ce qui est amusant, c'est que finalement, d'une certaine manière, mes films ne me racontent pas directement. Enfin, en tout cas... Et puis finalement, mes films n'ont pas forcément toujours énormément de récits. C'est probablement un... une manière de regarder le monde, de regarder les gens, qui transparaît dans mes films, même si ce n'est pas raconté de manière littérale ou assez littérale des épisodes biographiques de ma vie. Je pense que ça a été une vraie chance, en fait. C'est vrai que moi j'avais 24 ans, mais il y avait autour de moi des étudiants, les plus jeunes, qui avaient 19 ans, 20 ans. Et j'en connais quelques-uns ou quelques-unes qui ont été un petit peu broyés par la pression de l'école, cette espèce de... Il y avait aussi ceux qui étaient en département réalisation et qui avaient en quelque sorte l'obligation de faire des films et qui devaient pondre des films comme ça chaque année et tous les regards étaient braqués sur eux. Et puis moi, finalement, j'avais une position un peu plus d'électron libre, un peu plus d'outsider qui était finalement peut-être plus rassurante. Mais c'est vrai que je pense qu'il fallait avoir fait des films tard et une chance. Et puis, c'était un désir tellement longtemps contenu. Et puis, j'ai eu le plaisir de faire des films. Je pense qu'il y a aussi une espèce de frustration qui s'est accumulée, qui fait qu'à un moment donné, j'ai pu... J'avais beaucoup de films à sortir. J'ai été assistant sur plusieurs courts-métrages, dès La Fémis, et puis après, les années qui ont suivi La Fémis, sur des cours essentiellement, mais j'ai fait deux longs comme assistant. Un film d'Arnaud Despallières qui s'appelle Parc et un film de Manuel Mouret qui s'appelle Un baiser s'il vous plaît C'est deux expériences assez différentes, mais dans les deux cas, je ne pense pas avoir été un très bon assistant. Je pense que j'étais très inexpérimenté. Et par ailleurs, je pense que ça m'a quand même aussi permis de comprendre ce que je recherchais sur mes tournages et peut-être ce que je voulais éviter. Ce qui n'est pas un jugement sur ces deux réalisateurs. Mais je me souviens notamment du film d'Arnaud Despallière. Je pense que je pourrais presque écrire un film là-dessus tellement c'était improbable ma position sur ce film, qui était un film très ambitieux artistiquement, qui était très sous-financé et qui a démarré tout de suite avec une très très forte tension sur le plateau. Et où en fait, faute de budget, il n'y avait pas de deuxième assistant réalisateur. Il y avait moi qui étais stagiaire et deuxième assistant. Et moi j'avais jamais mis les pieds sur un long métrage, j'avais fait que des courts métrages d'étudiants et il y avait une équipe qui avait déjà, dès les premiers jours, un peu le couteau entre les dents parce qu'il y avait des dépassements énormes de 3-4 heures toute la première semaine, temps par jour, des grosses tensions entre Arnaud Despallière et son chef opérateur, on sentait que la machine était un peu au bord de l'implosion et puis forcément dans ces cas-là, les techniciens ne pensent pas forcément beaucoup de bien du cinéaste. Moi j'entendais ça et je voyais ça et sans compter que moi je commettais plein de petites erreurs parce que je ne savais pas comment ça marchait en fait. L'organisation d'un plateau, l'organisation d'une équipe, avec les hiérarchies, je commettais plein d'impairs tout le temps. Les chaînes décisionnelles, etc. Et donc je me suis dit oui, je ne veux jamais vivre ça, je ne veux jamais faire un film où tout le monde me déteste, où il y a finalement... plein de camions de matériel, une espèce de lourdeur comme ça. Voilà. Et donc ça, ça m'a un peu vacciné. Et je me souviens que sur le film d'Emmanuel Mouret, c'était autre chose. En fait, je n'arrivais pas en fait à... Cette fois-ci, j'étais deuxième assistant. J'étais un vrai deuxième, j'étais plus stagiaire, mais je n'arrivais pas au fond à comprendre vraiment... Parce que ma mission principale au début en prépa était de chercher les décors. et notamment un décor qui était le décor principal du film, qui était un appartement. Le film se déroulait essentiellement d'appartements. Et moi, j'avais trouvé plein d'appartements que je trouvais hyper intéressants, que j'avais envie, moi, de filmer. Mais aucun ne convenait jamais au chef opérateur et à Emmanuel Mouret, parce qu'en fait, eux ne cherchaient pas un lieu qui ait une âme ou une atmosphère. Ce qui, moi, m'intéressait, eux, ils cherchaient en fait un décor de studio, un endroit qui pourrait après complètement... réaménager, rééclairer, il cherchait juste en fait une espèce de, je sais pas, presque comme un rectangle quoi, enfin voilà. Et donc, à chaque fois j'arrivais avec des propositions qui étaient sans cesse retoquées et c'était en plus un peu un moment où Emmanuel Mouret était un peu un tournant de sa carrière parce que moi je connaissais plutôt ses premiers longs métrages qui étaient tournés de manière très légère. avec des toutes petites équipes à Marseille, etc. Et puis là, il était quand même en train de basculer dans un cinéma beaucoup plus de studio, où le réel n'avait quasiment plus aucune place, en fait. Où les gens qu'on voyait dans les rues n'étaient plus des passants, mais des figurants, où tout était sous contrôle, en quelque sorte. Et ça, moi, clairement, ça me rendait malheureux. Ça ne m'intéressait pas du tout d'aller fouiller dans des fichiers de figurants professionnels et après de les recevoir, et puis de leur dire, voilà... il y aura trois tops, il faudra démarrer à ce moment-là. Ce n'était pas du tout ce qui m'excitait comme jeune aspirant réalisateur. Donc ça aussi, ça m'a appris un peu plus dans une forme d'opposition. Ça m'a fait très, très peur. Je me suis fait avoir très, très peur du cinéma comme quelque chose de professionnel ou comme quelque chose de trop sérieux. Et avec... Beaucoup d'organisation, beaucoup de gestion de l'équipe. Et c'est vrai que j'ai toujours eu une approche assez artisanale et presque encore un peu un amateur du cinéma. J'ai très peur de tout ce qui est trop professionnel. En tout cas, j'ai eu la chance, en fait, à cette époque-là, j'étais très ami. Après, on s'est éloigné un peu au fil des années, mais j'étais très proche de Stéphane Lemoustier, qui était en train de créer une société de production qui s'appelle Année Zéro, et à laquelle, du coup, j'ai participé avec lui à la création de cette société. Et ça m'a permis, en fait, pendant... après trois ans, d'être vraiment dans un artisanat et dans une fabrication un peu collective comme ça de projets de courts-métrages et de faire mes deux premiers courts-métrages, Le Naufragé et Un Monde Sans Femme, en fait comme producteur. Et donc de pouvoir faire à mon idée, à notre idée, d'une manière peut-être un peu insouciante, inconsciente et un peu naïve. Mais finalement, je pense que si j'avais dû passer par... une autre société de production, avec une forme d'autorité qui m'aurait dit c'est comme ça qu'on fait depuis le début, on fait ça comme ça sur nos autres films, il n'y a pas de raison que ce soit différent avec toi, etc. Je serais peut-être plus rentré dans un moule, et là, ça me permettait vraiment de faire les choses. Et puis, c'est quelque chose que j'ai gardé aussi, alors peut-être parfois c'est un peu agaçant pour les producteurs, mais cette tendance à me mêler de tout, en fait, dans la fabrication d'un film. Et j'ai beaucoup de mal à lâcher du début à la fin, comment dire... Évidemment, je vais faire moi-même mes repérages, etc. Mais je vais aussi aller visiter les logements dans lesquels peut-être on sera logé, l'équipe, les acteurs, les techniciens, etc. Je vais aller rencontrer la personne qui va faire les repas. Et tout ça, en fait, amène aussi quelque chose de très réel à la fabrication du film, ancre dans le lieu où on filme. Ça permet de rencontrer des gens, de découvrir des nouveaux décors. d'avoir plein d'idées. Mais c'est marrant parce que ça, après, à l'époque, je ne le savais pas. En lisant la biographie d'Eric Römer, j'ai compris que lui aussi avait un peu cette manière-là de se mêler de tout, de décider ce qu'on allait manger, etc. Lui, en plus, était assez économe. Mais c'est vrai que, par exemple, pour un film comme Un monde sans femme, ça reste un peu... On a toujours tendance à idéaliser, a posteriori, les expériences, mais ça reste quand même quelque chose de très beau avec une équipe d'une dizaine de personnes qui n'étaient pour ainsi dire que des amis, enfin des gens que vraiment je connaissais très bien. On était tous logés ensemble à l'époque encore un peu dans des chambres collectives avec des lits superposés, etc. On prenait tous nos repas au même endroit qui était le bar-restaurant où par ailleurs on tournait des scènes du film. Il y avait quelque chose de... de très humain et de très artisanal qu'on a en fabrication. Je ne supporte pas la hiérarchie, les histoires de chefs de poste, de je ne sais pas quoi, de chaîne de décision, de devoir d'abord prévenir le chef qui va ensuite transmettre à ses... Je trouve ça très bizarre. À l'époque, on avait tous le même salaire, enfin bon, c'était tout très égalitaire quoi. Bon, on était tous très mal payés aussi. D'autant que moi, j'ai un fonctionnement assez particulier, comme je suis beaucoup en proie aux doutes et que je suis assez angoissé, j'ai besoin de partager avec à peu près tout le monde, mais ça peut même être l'assistant de caméra ou le régisseur, mes interrogations, même des choix de mise en scène, etc. Ce qui est amusant, c'est que quand on débute... Je me souviens avoir entendu qu'il fallait surtout cacher ses inquiétudes et ses angoisses et rassurer l'équipe en paraissant très sûr de soi. C'est quelque chose que je n'ai jamais réussi à faire. Et je pense que finalement, ce n'est pas si grave si on est avec des gens bienveillants, avec qui il y a une belle relation. Ils peuvent accepter ça. Mais ça me rappelle d'ailleurs une anecdote concernant les frères Farrelly, dont j'aime beaucoup le travail, qui racontait que quand ils ont fait Domaine Number, ils n'avaient absolument aucune expérience du cinéma. et qu'ils ne savaient même pas comment ça se passait de travailler sur un plateau, et qui se sont dit, il y a deux options face à nous, soit on arrive devant l'équipe et on fait croire qu'on sait, et on essaye de faire, soit on réunit tout le monde et on dit, ok les gars, on n'a jamais fait un film, on ne sait pas ce que c'est que le cinéma, on ne sait pas ce que c'est qu'un tournage, est-ce que vous pouvez nous aider Et on fait ensemble. Après avoir beaucoup réfléchi, ils ont choisi la deuxième option, et ils se sont rendus compte que c'était la meilleure. Ils ont dit voilà nous on sait pas donc expliquez nous comment on fait un film, nous on débarque... Oui, cette espèce d'humilité-là. Mais alors oui, tu posais la question par rapport à Vincent McKenna. Vincent McKenna, c'était particulier parce qu'on était vraiment très proches et très amis. Donc bien sûr qu'on parlait du scénario. Pour autant, on n'a jamais écrit ensemble. Mais comme on se voyait beaucoup, on traînait beaucoup ensemble. Par exemple, ce film-là, on avait tourné avant un autre court-métrage ensemble qui s'appelle Le Naufragé. Et c'est un soir, je me souviens. On s'est dit, je ne sais même pas si c'est lui qui l'a dit ou moi en premier, on s'est dit tiens, quand même ce personnage, ce serait beau de voir comment il réagirait face à des femmes, et ce serait beau de le filmer l'été en maillot de bain plutôt que l'hiver en mitoufflé dans des vêtements qui cachent son corps, etc. Et c'est parti de ça, et on était au mois de mai, et on s'est dit bon bah ok, on fait ça cet été. J'ai écrit en... avec ma scénariste en un mois, un mois ou deux, le scénario. Puis Vincent Mackey, un soir, m'a dit, tiens, j'ai une copine comédienne dans ce bar, je reviens te la présenter, c'était l'heure qu'elle a mis. Et je me suis dit, elle est géniale, j'ai envie d'écrire pour elle. C'est des choses comme ça, c'est assez beau. Ça reste d'ailleurs sans doute, finalement, c'était mon premier film, pour ainsi dire, ça reste sans doute le plus beau tournage que j'ai vécu. Il y a eu évidemment des nuits épuisantes, des dépassements d'horaires, etc. Il y a eu plein de doutes et tout, mais quand même, oui, il y avait quelque chose de... Quand on fait un film dans un lieu qu'on aime, entouré de gens qu'on aime et qu'on admire, et où tout se mélange un peu, où tout se mélange un peu la vie, le cinéma et tout, c'est sûr que c'est super. Je pense que l'étape que je préfère c'est peut-être les repérages. J'adore les repérages. C'est le moment où plein d'idées de mise en scène viennent, où ça rebat les cartes du scénario, où les choses s'incarnent. Là, je sais par exemple que j'ai un merveilleux souvenir des repérages d'Alabordage. On a passé trois jours avec mon chef opérateur et à l'époque le directeur de production. Après, on était reparti avec mon assistant. On avait... On avait arpenté les campings en Ardèche et dans la Drôme. Je me souviens très bien du moment où on est arrivé en fin de journée dans le camping qui est devenu celui du film dans la Drôme à Dix. Et là, il y avait une espèce d'épiphanie, une espèce d'évidence que ça ne pouvait être que là. Il y avait une lumière magnifique. Tous les décors étaient exactement ceux que j'aurais pu rêver, très proches les uns des autres. Et là, d'un seul coup, le film devenait complètement concret. Donc ça, j'adore les repérages. Évidemment, j'adore la toute fin de l'écriture, le moment où on a une telle maîtrise de... D'ailleurs, ça ne m'est pas arrivé si souvent que ça, parce que finalement, mes films n'ont rarement été très écrits. Mais en tout cas, le moment où vraiment on maîtrise en quelque sorte la matière du film, et où on peut en quelques jours vraiment faire progresser beaucoup le scénario. Mais sinon, le moment que je préfère, c'est le montage. Et ça, ça s'est vraiment accentué. Avec le documentaire sur l'île au trésor, sur un pincement au cœur, ce n'est qu'un au revoir et tout. Et déjà, même avant, sur un autre documentaire que j'avais fait, le repos des braves sur des vieux cyclistes. En fait, l'écriture au montage et à quel point on peut faire énormément de mise en scène au moment du montage. Et en fait, vraiment écrire le film à ce moment-là. Et non plus justement l'écrire avec des concepts, des idées, des mots, comme on le fait au moment du scénario. Mais... Cette fois-ci, il écrit vraiment avec des plans, avec de l'image et du son. Et donc moi, en plus qui suis assez angoissé par l'écriture, là, d'un seul coup, c'est que du vivant qu'il faut sculpter et tout ça. Donc ça, le montage... Alors parfois, il y a des angoisses au montage aussi. Le montage de Snake and the Revoir a été difficile, mais par exemple, oui, si je pense au montage de L'île aux Trésors, c'était génial. De voir le film émerger progressivement, avec une première version qui faisait 6-7 heures, et puis petit à petit... de sculpter le film jusqu'à ce qu'il arrive à sa durée finale. On peut faire beaucoup de choses, surtout en documentaire, moins en fiction. Mais moins en plus que... C'est vrai qu'en tournage... Je pense que j'ai un peu de mal à avoir des idées très claires au moment du tournage. J'ai un peu quand même des principes ou des marottes de mise en scène, un rapport à certaines échelles de plan. Il y a une manière de filmer avec laquelle je me sens à l'aise, etc. Mais le tournage, pour moi, c'est aussi emmagasiner beaucoup de choses. Et c'est vrai que les... Les vraies idées de mise en scène, je trouve qu'elles viennent plutôt pour moi au montage. C'était une expérience très particulière, parce que je ne sais même pas d'ailleurs comment on y est arrivé, mais on m'avait juste appelé un peu à la dernière minute pour animer un atelier de trois semaines au conservatoire l'été. fin juin, début juillet, de cinéma. Il y avait un petit budget. Je ne savais même plus très bien quel était le cahier des charges. Mais le cahier des charges, je crois que c'était juste de tourner un peu des scènes avec les comédiens, les faire travailler devant la caméra. Et moi, j'avais accepté en disant que j'avais envie, pour moi, ça avait un intérêt si on essayait de faire un film et que ce ne soit pas juste un atelier. J'avais 16 acteurs et trois semaines. Au début, je m'étais dit je vais essayer de faire un long métrage de fiction, mais j'avais que quelques semaines pour écrire et pour préparer. Et puis faire un long métrage avec 16 acteurs, ça me paraissait très, très complexe. Et puis à un moment donné, j'ai eu la bonne idée, je pense, de me dire OK, j'ai trois semaines, je vais essayer de faire un court moyen métrage par semaine pendant trois semaines. Donc je vais diviser en trois groupes et on va enchaîner comme ça trois tournages en trois semaines. Et mon producteur, Nicolas Antomé, avec qui j'avais fait un documentaire, le Roboter Brave, juste avant, a accepté de me suivre là-dedans. Donc je pense qu'il a dû, à l'époque, rajouter un peu d'argent, lui, pour un peu payer les techniciens, etc. Enfin bon, on était quatre. Il y avait un chef op, un ingé son et un assistant et moi. Et en fait, le tournage de la première semaine s'est bien passé, mais le résultat était moins convaincant au montage. Et en revanche, les deuxièmes et troisième semaines ont produit une matière assez belle. Je n'ai pas eu conscience tout de suite, c'est vraiment au montage que je me suis rendu compte qu'en fait, il s'était passé quelque chose. Et là, pour le coup, tout le monde avait pris en charge l'écriture. Je me souviens que je demandais aux jeunes comédiens, vous ne voudriez pas écrire cette scène-là et celle-là aussi D'ailleurs, écrire, c'est un grand mot. De coup, eux, ils écrivaient un truc qui ne me convenait pas forcément, mais il y avait une idée de scène. Et en fait, au tournage, tous les dialogues étaient improvisés. Et parfois, on ne savait même pas ce qui se passait dans la scène. On savait juste que... Et les personnages à l'époque, d'ailleurs, avaient encore leur nom. On jouait un peu avec les rapports réels. Moi, je sais que la partie que je préfère, c'est la partie qui se passe à la cité universitaire. Et l'actrice principale, qui s'appelle Anne, comme le personnage... partait réellement de France. Elle était étudiante Erasmus, elle avait fait un échange en France, elle partait réellement juste après le tournage. On tournait réellement au moment du 14 juillet, il s'était malheureusement passé réellement les attentats de Nice pendant le tournage, en plein tournage. Et donc c'était très étonnant la façon dont la fiction et le réel communiquaient. C'était très très improvisé. Et c'est étonnant qu'après, finalement, il y ait eu un résultat qui tenait à peu près la route. Mais en fait, je dirais, même si j'ai beaucoup aimé l'expérience, puis j'étais aussi sans doute beaucoup moins stressé que d'habitude, parce qu'en vrai, personne n'attendait de moi qu'il y ait un film au bout. Donc, je pense que je me suis un peu plus amusé que d'habitude sur les tournages. En vrai, ce qui s'est passé aussi, c'est que ça a surtout été, je pense, l'esquisse... de deux films très importants pour moi. En fait, ça a donné l'île au trésor, parce que le fait de tourner pendant une semaine sur cette base de loisirs à Sergi Pontoise, j'avais déjà en tête depuis très longtemps, j'avais déjà un désir de documentaire là-bas, mais le fait d'y passer concrètement une semaine, à tourner tous les jours là-bas, ça a rendu beaucoup plus concret ce projet de documentaire et ça m'a permis l'été suivant de tourner l'île au trésor, qui est peut-être à ce jour le film dont je suis le plus fier, et cette expérience avec les jeunes communiens du conservatoire. a permis deux ans plus tard ou trois ans plus tard de tourner à l'abordage qui reste à ce jour mon plus grand succès. A l'évidence, les lieux pour mes films sont des personnages à part entière, et ça dès le début. Et en fait, ça a souvent été les lieux qui ont été à l'origine du désir de faire un film. En tout cas, ça a été le cas pour Le Naufragé, Un Monde Sans Femme, ça a été le cas pour Tonnerre, ça a été le cas évidemment pour L'Île aux Trésors, et ça a été le cas aussi pour Ce n'est qu'un au revoir. En fait, à chaque fois, c'est finalement faire un film dans un lieu qui est le désir premier. et d'essayer de capter quelque chose de l'âme ou de l'esprit de ce lieu. Et c'est vrai que ça ne me viendrait pas à l'esprit aussi de tricher avec un lieu, c'est-à-dire, comme on fait assez souvent, et puis après tout, ça ne me pose aucun problème sur les films des autres, mais d'aller chercher, d'éclater les décors et d'aller chercher pendant les repérages l'endroit idéal là, et puis 30 kilomètres plus loin, l'autre endroit pour telle scène, et puis ainsi de suite. Moi, j'ai besoin de... D'avoir une sorte de terrain de jeu comme ça, très cohérent et concentré, qu'on puisse après arpenter pendant le film, que ce soit en documentaire ou en fiction. C'est vraiment ce truc de terrain de jeu. Je me rappelle que j'avais eu ce sentiment-là très fort sur un film qui n'est sans doute pas mon meilleur, mais pour lequel j'ai une tendresse et sur lequel j'ai appris beaucoup de choses, qui est ce documentaire Le Repos des Braves. Je me rappelle qu'il y avait eu 24 ou 36 heures un peu... d'exaltation où les vieux cyclistes qu'on avait suivi étaient dans une sorte de centre de vacances au bord de la Méditerranée et où ils étaient un peu au repos pendant un jour ou deux et où là, d'un seul coup, après avoir été un peu en itinérance à les suivre sur la route, c'était assez épuisant. Ils étaient tous dans un périmètre de 300 mètres et on pouvait comme ça sauter d'une scène à une autre et capter un maximum de choses en très très peu de temps et juste en se promenant avec la caméra. Au fond, c'est un peu après ce qui s'est passé sur l'île au Trésor, d'avoir un périmètre très réduit, d'ouvrir les yeux et d'attraper quelque chose. Moi, je pense que les moments les plus importants, c'est les moments où j'allais passer la journée là-bas. J'étais d'ailleurs très intimidé, en fait, à ce moment-là, par le rapport aux gens. J'avais une très grande timidité à aller vers les gens. Donc, en fait, j'avais tendance plutôt à rester quelque part et puis à observer, à écouter et presque à faire un espèce de plan lumière de deux heures, je ne sais pas, près de l'entrée de la plage et à capter des bribes de discussion, des moments de jeu, de drague, de reski, etc. Et puis à observer, quoi. Ouais, à faire un peu des plans dans ma tête pendant des journées entières. Et je pense d'une certaine manière qu'on retrouve ça un peu dans la mise en scène du film, sans doute aussi, après. En tout cas, le film a plusieurs registres, mais il y a un registre un peu lumière dans le film. En tout cas, à rêver le film. Et puis au début, c'est vrai que je ressentais même une forme de... de timidité humaine, mais même aussi de timidité sociale. Socialement, ce n'était pas complètement mon monde. Je venais de Paris, en tout cas, je vivais à Paris. Il y avait des gens qui étaient, pour une grande partie d'entre eux, d'un milieu beaucoup plus modeste que le mien. J'entendais plein de langues, etc. je me posais presque une question aussi de légitimité, en fait, à aller comme ça, leur parler, les voir. Enfin, je me disais, mais qui je suis pour aller les interpeller, tout ça. Donc, j'ai mis longtemps, j'ai longtemps eu peur de ne pas réussir à faire ce film, que je n'arrive pas à combler cette distance-là sociale entre les gens et moi. Et ça s'est fait vraiment tout au long du tournage, en fait, ce chemin-là. Et je pense que la beauté du film, c'est qu'en fait, à un moment donné, c'est... Il y a quelque chose d'universel qui se produit, enfin comment dire, le film finit par capter quelque chose d'universel qui n'a plus vraiment à voir avec l'origine géographique, l'origine sociale, etc. Quelque chose en fait qui rassemble, enfin comment dire, une sorte de, à l'époque je me souviens que je parlais de dénominateur commun entre les gens, et au fond d'arriver à parler de mon enfance, de mes souvenirs d'enfance à travers d'autres gens que moi, c'était quelque chose où... Ce rapport au temps libre, au loisir, à la drague, au jeu, à la nature, à la contemplation, tout ça, finalement, est quelque chose d'universel et qui s'incarne dans des corps physiques et des corps sociaux différents, mais qui, en fait, est quelque chose d'universel. Je pense que c'est tout ce travail-là, la préparation du film et le tournage du film, ça a été ce travail-là, d'arriver à faire tomber des barrières. abolir des distances en quelque sorte. Mais ça a été passionnant et épuisant. Tous les jours, il fallait que j'aille vers les gens. C'était pas forcément ma nature, enfin même si... J'étais déjà beaucoup moins timide que quand j'étais jeune à ce moment-là, mais d'arriver à aller parler aux gens 15 fois, 20 fois, 30 fois par jour et puis leur expliquer que j'étais réalisateur, leur expliquer ma démarche qui était en fait même pas très claire dans ma tête et j'étais toujours en train de me demander quel film exactement on était en train de faire. Voilà, et de donner envie aux gens de m'aider à faire le film, de participer, de s'impliquer, c'était quelque chose d'épuisant mais... Mais il en est ressorti de matière très riche. Tous mes documentaires, on était quatre, c'est-à-dire ce qui est assez luxueux en documentaire, j'avais toujours quelqu'un à l'image, quelqu'un au son, et toujours une assistante qui était généralement quelqu'un de beaucoup plus jeune, et souvent une étudiante en cinéma. Et là, je me souviens que sur ce tournage, assez régulièrement, mon assistante Fatima, qui était un peu en électron libre sur le tournage, me parlait de quelqu'un qu'elle avait rencontré, etc. Et en fait, au début... A chaque fois, j'étais déçu parce qu'en fait, elle me ramenait un sujet, une problématique. Elle me ramenait quelque chose tout le temps de sociétal. Et ce n'était pas du tout ça, en fait, que je cherchais. Après, elle a compris et elle a trouvé des gens super pour le film, notamment les deux frères qu'on voit à la fin. Mais ce qui est très troublant, c'est en effet qu'il y a des gens, c'est très mystérieux, mais c'est des personnages et d'autres. qui sont très sympathiques, très intéressants, même peut-être très beaux, mais ce n'est pas des personnages. C'est très étonnant. Et moi, je crois qu'il y avait quand même quelque chose... En fait, je crois qu'à quelques exceptions près, j'avais besoin que les gens me fassent rire, qu'ils me fassent au moins sourire, qu'il y ait une part de comédie en eux, en tout cas qu'il y ait quelque chose d'un peu... soit d'un tout petit peu ridicule et touchant, soit d'un peu facétieux, d'un peu joueur, ou d'un peu hableur, ou d'un peu... Mais en fait, il fallait qu'il y ait quelque chose de l'ordre du jeu, de la comédie. Et dès que c'était trop sérieux, en fait, dès qu'il ne me faisait pas sourire, dès qu'il ne m'amusait pas, en fait, ça ne marchait pas. En fait, c'est un processus tellement progressif et tellement organique que j'ai pas souvenir qu'il était très douloureux pour moi. C'est-à-dire que... Alors évidemment, il y a des gens à qui je m'étais attaché sur le tournage, j'étais un peu triste pour eux, je me disais, c'est con, ça leur aurait fait plaisir d'être dans le film, et puis on avait passé un petit peu de temps ensemble. Même si quand même, la plupart des gens qui sont dans le film, finalement, c'est des gens avec qui j'ai passé... quelques heures ou un jour, deux jours, trois jours, mais jamais tellement plus parce qu'en fait c'est un lieu qui brasse tellement de monde qu'en fait... Même des scènes qui peuvent être assez longues dans le film, même des gens qu'on voit assez longtemps dans le film, finalement peut-être qu'on a tourné trois jours avec eux, ou parfois même juste deux heures avec eux. Il y en a peut-être un ou deux qui étaient un peu déçus ou un peu énervés d'avoir été coupés. Mais en fait, ce qui est complètement fascinant avec le montage, c'est qu'au fur et à mesure où la matière se réduit, au fur et à mesure où on coupe des choses, ça donne tellement de force à ce qui reste, et ça met tellement en relief d'autres scènes. Moi, je ne peux pas m'empêcher de voir le film dans sa globalité. Et c'est vrai que je pense qu'il y a des cinéastes qui ont du mal à couper et qui ont peut-être un rapport très affectif à la matière. Moi, je ne sais pas, j'ai un rapport affectif au film, en fait. Et je sens que le film est meilleur sans certaines scènes. Et même si j'avais une tendresse pour les scènes, en fait, ces scènes, je les oublie assez vite. Et après, je ne saurais même pas te dire, alors que pourtant, il y avait 200 heures de rush. Et la première... La mouture de montage durait entre 6 et 7 heures. On a coupé énormément de choses avec ma monteuse Karen. Je ne saurais même pas très bien dire quelle scène on a coupée maintenant. Je ne m'en souviens même plus. À l'abordage, c'était un processus. très particulier encore et assez intéressant. Un peu, d'ailleurs, même si c'est évidemment un film de fiction, mais il y a quelque chose de très documentaire dans la démarche, parce qu'en fait c'est un film qui m'a été commandé par le Conservatoire d'Art Dramatique, et l'idée était d'écrire pour une promotion de jeunes comédiens et comédiennes qui avaient, à l'époque, jamais fait de cinéma encore, et moi j'avais pas du tout... a priori d'histoires en tête à raconter avec eux. Donc c'était vraiment... Moi, j'étais très clair sur le fait que j'allais les rencontrer, parler avec eux de leur vie, de leur parcours, etc. Et que l'écriture allait naître de ces échanges-là. Que le désir du film allait naître de ces rencontres. Et donc les personnages ont été très nourris par les acteurs. Après, c'est moi et ma scénariste aussi. Catherine Payet, ce qu'on projette sur eux. Donc c'est un mélange de réalité et de projection. Mais les personnages sont du coup très très très ancrés. C'est comme s'ils avaient tous des racines dans le réel. J'avais aucune histoire au préalable. Par contre, après les avoir rencontrés, après avoir choisi le noyau dur avec qui j'avais travaillé, on avait quand même cherché en amont une histoire, mais on ne s'était pas du tout arrêté sur quoi que ce soit avec Catherine. On avait un peu des vagues pistes comme ça. Et après, une fois que je les ai rencontrés, assez rapidement, on est parti sur cette idée de, pas vraiment de road movie, mais en tout cas de déplacement comme ça de personnages l'été, de camping, d'un duo, d'un trio de copains, de mecs qui allaient suivre une fille, etc. On est arrivé assez vite à ça, mais c'était vraiment juste une espèce de petit schéma narratif, de petit squelette narratif. Et puis après, ça s'est nourri de beaucoup... beaucoup de travail d'improvisation avec eux. Il y a eu un atelier de trois semaines où je les ai lancés sur des situations comme ça, très basiques d'improvisation. Et puis, petit à petit, il y a des idées de scène qui ont émergé. Les personnages se sont un peu affinés. C'était tout un processus. Et c'est seulement d'ailleurs quelques jours avant le tournage qu'ils m'ont demandé de transformer leur prénom et qu'en fait, ils ne portent pas leur vrai prénom dans le film. Certains ont voulu garder leur vrai prénom, mais d'autres ont changé. Salif est devenu shérif, Asma est devenu Alma. Pour vraiment marquer la limite entre le documentaire et la fiction, et qu'ils sachent qu'ils ne sont pas eux-mêmes, mais qu'ils sont des personnages de fiction. Mais c'est vrai que d'ailleurs, c'est vraiment un peu un problème que j'ai. On a eu d'innombrables discussions là-dessus avec Vincent Macaigne. J'ai beaucoup de mal à m'affranchir d'un rapport un peu documentaire aux acteurs et au cinéma de fiction. J'ai besoin en quelque sorte d'extrapoler quelque chose que j'observe, que je sens chez le comédien ou la comédienne, et d'en tirer en quelque sorte un matériau de fiction. Mais j'ai besoin de partir de quelque chose que j'observe et que je ressens de cette personne. Et si par exemple Vincent Mackay... Oui. et un acteur qui tourne beaucoup, qui a beaucoup de succès. Il y a certains personnages que je vais avoir beaucoup de mal à l'imaginer dans la peau de certains personnages. Enfin, je vais avoir presque beaucoup de mal finalement à l'imaginer jouer autre chose qu'un acteur, parce que c'est un acteur que j'ai sous les yeux. Donc ça, c'est un vrai problème que j'ai par rapport à la fiction depuis quelques années. C'est un problème de croyance, d'arriver à m'affranchir vraiment du réel et de ce que sont les gens. Disons que là, pour le coup, quand même à l'abordage, il n'y avait pas de scénario entièrement écrit, mais il y avait quand même un séquencier précis, scène par scène, avec une grande partie des dialogues au style indirect et une autre partie des dialogues au style direct, qui pour beaucoup ont été trouvés et affinés juste avant le tournage, où j'ai refait une sorte d'atelier pendant deux semaines en plein air dans un parc. à Paris où je les réunissais et je leur faisais jouer la plupart des situations du film. Et puis j'enregistrais comme on le fait là maintenant. Et après, je notais certains dialogues que je trouvais intéressants. Ce qui fait que quand on a attaqué le tournage, il y avait des scènes qui étaient déjà très précises et d'autres qui l'étaient moins. Et en tout cas, il y avait quand même le plus souvent une marge de liberté qui était, je ne sais pas, selon les scènes, de 10, 20, 30 sur l'improvisation. Et ça dépendait d'ailleurs des comédiens. Certains étaient plus à l'aise que d'autres dans l'improvisation, certains avaient besoin de choses beaucoup plus précises. En particulier, les deux personnages principaux étaient très forts, très à l'aise là-dedans. Eric Nunchong et Salif Sissé. Les scènes entre eux, il y a beaucoup de choses qui fusent dans les dialogues, qui sont un peu improvisées sur le tournage. Je sais par exemple qu'Edouard, lui, avait besoin de choses plus précises. Anna Blagojevic, qui joue la jeune maman, avait aussi besoin de choses souvent plus précises. Parler de la mise en scène... C'est vrai que c'est un film, et ça c'est le cas sur pas mal de mes films, dans lequel il y a quand même une caméra qui est majoritairement sur pied, beaucoup de plans fixes quand même, souvent des plans qui ne sont pas très serrés, qui sont souvent des plans assez larges, souvent des plans avec deux ou trois personnages, et des plans qui peuvent durer assez longtemps. Et avec cette idée de... que la mise en scène est presque plus là pour arracher une sorte de bloc de temps et de bloc de vie, plus que pour vraiment guider le regard du spectateur sur des éléments narratifs de l'histoire. C'est presque plutôt pour plonger le spectateur dans une succession de moments. Et dans ces moments, il se passe des choses entre les personnages. Mais ce qui compte, c'est autant le moment lui-même que ce qui s'y passe. Je ne sais pas comment dire. Il y a quelque chose de l'atmosphère du lieu, de l'atmosphère de la saison, de l'atmosphère de l'horaire auquel on tourne, que l'échelle du plan, qui est souvent une échelle assez large, permet sans doute de capter. Alors ce n'est pas systématique, il y a aussi dans ce film des scènes qui sont en champ contre champ, qui sont d'ailleurs souvent des scènes qui visent justement un peu à séparer les personnages, peut-être à appuyer certains clivages qu'il peut y avoir entre les personnages, mais finalement les scènes les plus fortes du film sont des scènes où les personnages sont réunis dans le même cadre. J'ai enchaîné deux films, L'île au trésor et L'abordage, qui sont des films à 90-95% en extérieur. Très très très peu d'intérieur dans la scène de film. Et c'est vrai que Ce n'est qu'un au revoir pour le coup. Et d'ailleurs Un pincement au cœur est quand même un film intermédiaire, mais où il y a pas mal d'extérieur aussi quand même. Il y a beaucoup de scènes dans la cour et tout ça. Il y a peut-être en effet une proportion plus grande d'intérieur dans Ce n'est qu'un au revoir. Il se trouve que j'avais déjà filmé Dix, puisque j'ai tourné ce film dans la même ville qu'à l'abordage. Et d'une certaine façon, j'avais peut-être un désir beaucoup moins fort de cinéma. C'était même presque que j'évitais de refilmer un même lieu. J'avais pas eu toute l'envie de refilmer des lieux que j'avais déjà filmés dans l'abordage. Et là où pour moi le réel me touchait le plus, c'était dans les chambres. Et je me souviens que pour la première fois, ils m'ont invité... dans leur dortoir, notamment la chambre d'Aurore, Nours et Jeanne, qui est un peu le cœur pour moi du film. Je me suis dit, ok, le film, c'est ça le film. C'est ce privilège-là, en quelque sorte, d'être invité dans ces chambres, dans ces couloirs. Moi, je n'ai jamais été interne. Je n'ai jamais vraiment partagé la chambre de mes amis. Je n'ai jamais eu cette intimité-là. Et ça me touchait beaucoup, en fait. Et après... Petit à petit, j'ai aussi mis des mots et des pensées là-dessus. J'ai compris petit à petit que ces chambres et cet internat étaient aussi un peu une sorte de foyer, de refuge pour les protagonistes, que beaucoup d'entre elles avaient des grosses blessures familiales et que c'était recréer une sorte de deuxième famille. Et que le film permettait d'être au cœur de cette deuxième famille. Sachant que l'autre famille reste toujours dans le hors-champ du film. Ce qui est d'ailleurs aussi le cas dans Un pincement au cœur. Mais donc j'avais énormément de plaisir à filmer ces chambres en fait. Et d'ailleurs Alan, le chef opérateur aussi, il y avait quelque chose d'assez vivant sur les murs, les couleurs, enfin évidemment les murs qui étaient couverts d'affiches, de cartes postales, de photos, tout ça, et puis même la couleur des murs, enfin une chambre un peu rose, une autre un peu jaune, une autre un peu verte, enfin bon il y avait souvent des décors un peu ingrats visuellement mais qui… Je pense qu'ils avaient une âme aussi parce que c'est des lieux qui voient chaque année défiler une nouvelle génération de jeunes. Et c'est comme si ces chambres étaient quand même un peu habitées par... Enfin bon, je trouvais que c'était des lieux qui vibraient quand même. En fait, j'avais tourné ce premier film avec des lycéennes qui s'appellent un prince manqueur, qui lui s'était fait dans un cadre particulier d'une commande. Je m'étais retrouvé à aller faire un film dans un lieu que je ne connaissais pas, qui était Nimbomont, avec un groupe qui avait été constitué en dehors de moi, en quelque sorte. Et j'ai eu envie de prolonger ce premier film en explorant un peu à nouveau la question du lien amical. Mais cette fois-ci, j'avais envie de filmer plus à l'échelle d'un groupe. Et donc, je suis allé au lycée de Dix, parce que j'étais en train de m'installer dans la région tout près de ce lycée. C'était l'endroit le plus proche. pour moi et ça me semblait C'est sans doute le meilleur moyen d'aborder un groupe de jeunes, de passer par le lycée. Et de fil en aiguille, assez vite, j'en suis arrivé à l'idée que j'avais envie de filmer des terminales, plutôt vers la fin de l'année et plutôt interne. Ça s'est fait un peu progressivement, mais en fait, même si j'étais très bien accueilli dans le lycée, ça n'a pas été si simple parce qu'en fait, c'était assez intimidant comme demande. Et puis, il y avait aussi une question d'emploi du temps, une peur de l'engagement. C'était une année un peu sous pression. certains prenaient la vie un peu côté détente, mais il y avait quand même une certaine pression de la terminale et du bac et de parcours sup et de plein de choses. Et donc, en fait, finalement, personne n'est venu spontanément faire acte de candidature pour le film. Aucun groupe, parce que j'avais précisé que moi, je voulais filmer un groupe. Et donc, j'étais un peu sur le point de renoncer à ce projet de film, quand je suis tombé vraiment par hasard en allant faire mes courses au marché de D. sur plus ou moins ce groupe là, enfin ils étaient pas tous là, elles étaient pas toutes là, mais c'était plus ou moins ce groupe là qu'on voit dans le film, devant le lycée, qui fumait une cigarette et qui m'ont dit bah alors où est-ce que ça en est le film parce que nous on est super motivés et tout ça donc j'étais très surpris quoi parce que je me disais mais je savais pas que j'étais motivé, personne me l'a dit quoi, je me disais mais si si si si si nous ça nous intéresse beaucoup et tout on a vachement envie À ce moment-là, elles m'ont dit à peu près la même chose que ce que m'avait dit déjà Jérémy, dont je parlais tout à l'heure, le loueur de pédalos, mon îlot trésor, qui m'avait dit que ce film était important pour lui parce qu'il voulait garder une trace de sa jeunesse et qu'il voulait pouvoir montrer à ses enfants et ses petits-enfants plus tard ce qu'avait été sa jeunesse. Ce qui m'avait à l'époque beaucoup plu et touché. Et là, elles m'ont dit à peu près la même chose, qu'en fait, elles avaient envie de garder un souvenir de leurs années. dans cet internat, a dit qu'elle avait été les années les plus importantes de leur vie et que c'était pour ça qu'elle voulait faire le film. Le tournage est très concentré dans le temps. C'est-à-dire qu'en fait, moi, les documentaires que j'ai faits se sont toujours faits sur une période de temps, un bloc de temps. J'ai jamais fait de film par session, comme c'est très souvent le cas en documentaire. Moi, j'ai toujours filmé un bloc. Et donc, L'île aux Trésors, c'était un très long bloc, parce que pour le coup, ça avait duré tout l'été, même jusqu'en septembre. Là, ça a été juste... trois semaines en juin. On a commencé début juin, puis on était jusqu'au 20 et quelques... Je crois qu'on a fini le jour de l'été, on a dû finir le 20 ou le 21 juin. Et donc, en fait, il fallait, sur une période comme celle-là, bon déjà, il fallait aussi jongler avec l'ensemble du temps, les cours, les épreuves du bac et tout ça. Et puis aussi leurs activités personnelles, leurs petites virées, etc., les week-ends et tout. Donc, en fait, il fallait organiser quand même assez précisément une sorte de plan de travail. Il fallait remplir les journées, quoi. Et remplir les journées en se disant, bon, tiens, le lundi, qui est disponible le matin Ah, ok, vous trois. Bon, alors peut-être on peut faire une scène avec vous trois dans votre dortoir. Et puis, ah tiens, l'après-midi, ah, vous avez ça. Bon, peut-être on peut aller filmer votre cours. Et puis, ah, peut-être qu'après, on pourrait faire une scène avec vous deux, puisque vous êtes disponibles. Enfin... Il y avait quelque chose comme ça, presque d'organiser un peu les journées. Et à partir de là, oui, de parler un petit peu ensemble. En fait, c'était aussi beaucoup rebondir sur ce qui les traversait à ce moment-là, sur ce qu'elles étaient en train de vivre. Donc, évidemment, rebondir sur les révisions du bac, sur les résultats de Parcoursup, sur cette séparation qui se profilait. Je ne sais pas trop quoi, en fait, essayer de raconter au mieux cette période qu'elles étaient en train de vivre. Bon, sachant qu'il y a aussi des moments qui ont été vraiment pris sur le vif. Mais c'est vrai que la plupart des scènes du film sont des scènes qu'on a pris le temps, en quelque sorte, de lancer ensemble. Mais ce qui n'empêchait pas qu'à un moment donné, quelqu'un rentre dans la chambre. Soit ça foutait en l'air la scène, soit finalement, ça la relançait, ça la rendait plus intéressante. Et puis il y a des scènes qu'on a faites aussi avec la complicité des surveillantes, enfin bon, des scènes qui sont des pures mises en scène, mais qui sont en fait... Des mises en scène qui sont nécessaires pour raconter certains moments que le film ne pourrait pas raconter sans ça. Et le film ne serait pas juste si ces moments-là, où les pionnes à moitié sérieuses et à moitié rigolantes cherchent les garçons dans les piôles parce que ça arrive tous les jours, ce petit jeu un peu du chat et la souris, qui mène beaucoup dans l'île aux trésors, mais qui a là aussi ce rapport à l'autorité. C'est pas une autorité très méchante, c'est une autorité assez goguenarde. Mais il y a quand même ce rapport-là entre les adultes et les jeunes que je trouvais vraiment important de capter. Et puis ça faisait partie aussi de... C'est quand même une région particulière, la Drôme, c'est des jeunes assez particuliers. C'est des jeunes un peu, comme il se définit, ce même babos. Et d'ailleurs, c'était compliqué au tournage aussi, parce qu'ils ne sont pas habitués du tout à obéir à qui que ce soit, et encore moins à un adulte. Ma position de réalisateur, je n'étais pas vraiment en mesure de leur dicter leur conduite. Il fallait vraiment un peu jongler avec leur désir de liberté et d'indépendance. Je pense qu'il y a vraiment la question du rapport au temps qui file et aux traces qu'on garde. Enfin bon, je ne sais pas comment dire. Je pense que c'est ça un peu qui traverse tous mes films. C'est à la fois essayer de capter des moments de vie et de présent, et à la fois des moments dont on sent qu'ils sont déjà... Ils sont déjà presque terminés. Je ne sais pas comment dire. C'est exactement la discussion qu'ont deux personnages, Aurore et sa copine, où elle parle de philo, sur ce que c'est que le présent. Je pense qu'il y a quelque chose qui est lié à ma vie, à mon parcours personnel. Je pense que mon rapport au cinéma a été beaucoup conditionné. Par la question de la disparition et de la mort, j'ai perdu un frère quand j'avais 20 ans et juste avant de basculer dans le cinéma. Et donc il y a ce rapport-là, je pense, à essayer de garder un souvenir et une trace des gens et des choses et des lieux, etc. Et que le cinéma était là un peu pour ralentir un tout petit peu le flux du temps. Donc peut-être, je pense que... profondément la mélancolie, elle vient de là en fait, elle vient de cette... Et ce qui est très troublant d'ailleurs, c'est que les jeunes filles de Seneca Ne Revoir m'ont dit avant le tournage qu'elles avaient l'intuition que le film allait parler de la perte et qu'elles avaient toutes perdu quelque chose, ou qu'elles étaient toutes en train de perdre quelque chose. Et après, c'est évidemment moi ce que je viens projeter aussi sur leur présent à elles et sur leur vie à elles, qui à la fois leur appartient, mais qui en fait résonne profondément avec ma vie à moi. Et là, sur ce film-là, c'était beaucoup la question du rapport à la paternité, et avec aussi toutes les angoisses qui pouvaient être rattachées à ça. Et je pense que ce n'est pas par hasard que j'ai... Alors évidemment, c'était très important pour elle à ce moment-là aussi, mais ce n'est pas par hasard que j'ai mis en avant le rapport d'Aurore à sa mère, le rapport de Nours à son père, et aussi, même si évidemment c'était central dans sa vie, la perte de sa sœur par Diane. C'est ça aussi qui est assez fascinant dans le documentaire, c'est quand on a l'impression de faire le portrait de gens qui ne sont pas du tout comme moi, et qu'en fait, en sculptant, en agençant toute cette matière, je me retrouve à parler de choses qui touchent de très près ma vie à moi. Moi, en tout cas, je sais que mon rapport au documentaire, c'est en fait, à partir de l'autre, à travers l'autre, finalement, raconter quelque chose de moi. Mais je ne serais pas capable de raconter moi de manière frontale, je ne serais pas capable de me mettre en scène moi. Donc, finalement, c'est... Mais c'est aussi en faisant beaucoup confiance au hasard, parce qu'en fait, je n'ai évidemment pas choisi ces jeunes filles-là parce qu'elles avaient vécu ça. Je n'ai pas du tout choisi Diane parce qu'elle a perdu sa sœur. Je ne savais pas du tout qu'elle avait perdu sa sœur. Elle faisait partie du groupe et... Mais à un moment donné, la vie crée des espèces de hasards et de correspondances qui sont très troublantes.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté ce podcast. Vous pouvez d'ailleurs retrouver tous les épisodes de Vision sur les plateformes, que ce soit Spotify, Deezer ou Apple, ainsi que nos actualités sur le site vision.photo ou sur notre Instagram at vision. Et si vous avez quelques secondes pour noter et laisser votre avis, ça nous aide aussi beaucoup. Donc je vous dis à très vite pour de nouvelles rencontres.

Share

Embed

You may also like

Description

Ce sont des rencontres inattendues, des moments de grâce au cœur de l’été, des sensations de tendresse et de liberté avec des envies de retourner à l’heure de l’adolescence : tout cela, on peut le ressentir lorsque l’on regarde un film de Guillaume Brac, réalisateur des magnifiques L'île au trésor ou À l’abordage.

Et alors qu’il revient avec Ce n’est qu’un au revoir, un documentaire qui plonge dans les dernières semaines d’un internat, on est allés à sa rencontre, pour mieux évoquer son parcours mais surtout sa manière d’envisager le cinéma, entre des fictions parfois très réelles et des mises en scène de la réalité.


🤝 Partenaire


MPB, la plus grande plateforme en ligne au monde pour acheter, vendre et échanger du matériel photo et vidéo d’occasion.

Bénéficiez de 5% de réduction avec le code MPBVIDEO5 jusqu'au 30 mars 2025 !
L'offre est uniquement valable pour les nouveaux utilisateurs.


🎙 Crédits


Un podcast réalisé et écrit par Louis Lepron, produit par Noyau.studio, monté et mixé par Virgile Loiseau et mis en musique par Charlie Janiaut.


✨ Liens  


Instagram - Vision(s)  

Site - Vision(s)



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une production, un loyau studio.

  • Speaker #1

    Ce sont des rencontres inattendues, des moments de grâce au cœur de l'été, des sensations de tendresse et de liberté, avec des envies de retourner à l'heure de l'adolescence. Tout ça, on peut le ressentir lorsque l'on regarde un film de Guillaume Braque, réalisateur des magnifiques L'île au trésor ou à l'abordage. Et alors qu'il revient avec Ce n'est qu'un au revoir, un documentaire qui plonge dans les dernières semaines d'un internat, on est allé à sa rencontre. pour mieux évoquer son parcours, mais surtout sa manière d'envisager le cinéma entre des fictions parfois très réelles et des mises en scène de la réalité. Salut, c'est Louis. Vous écoutez Vision, le podcast d'Andy Ozyman. Cet épisode a été réalisé en partenariat avec MPB, la plus grande plateforme de matériel photo et vidéo d'occasion.

  • Speaker #0

    Tu me posais la question d'une scène qui serait une porte d'entrée dans mon cinéma. Une question pas facile, mais je prends une scène de mon documentaire L'île au trésor, qui est mon premier long métrage documentaire. dans lequel je raconte tout un été dans une base de loisirs de la région parisienne. Avant d'en venir à la scène, je vais peut-être juste dire qu'au début de ce tournage, je découvrais un peu le cinéma documentaire, je venais plutôt de la fiction, et j'avais l'idée un peu naïve et à mon avis fausse que faire du documentaire, c'est ne surtout pas intervenir sur le réel, ou en tout cas très peu, et un peu attendre que des miracles se produisent. Et j'ai compris au bout de... deux trois semaines et aussi à la faveur de discussions avec mon producteur Nicolas Thaumet que si je persistais dans cette approche là, il ne se passerait pas grand chose d'intéressant. Je ne m'amuserais pas beaucoup et finalement, ça créerait assez peu de liens avec les gens que je filme et le producteur notamment m'a encouragé à prendre beaucoup de liberté avec le documentaire. Il m'a dit après tout, le documentaire, c'est du cinéma et le cinéma, c'est de la mise en scène, donc le documentaire, c'est de la mise en scène aussi. Et en fait, voilà, c'est vrai que je me suis dit que la seule limite, c'est une forme d'honnêteté vis-à-vis des gens qu'on filme et de ne pas raconter n'importe quoi sur le réel. Mais si raconter quelque chose de vrai, de juste sur le réel, passe par de la mise en scène et par des situations qui peuvent être provoquées ou même rejouées, en fait, ça ne me pose en tout cas, moi, aucun problème. Et donc, j'en viens à cette scène à laquelle je pensais, qui est une scène où on voit un... un jeune homme qui travaille tous les étés dans cette base de loisirs, qui loue des pédalos et qui invite deux jeunes filles à le rejoindre après la fermeture de la base de loisirs pour sauter d'un pylône de téléski, ce qui est un peu une sorte de rituel initiatique qu'il a, une activité qu'il aime faire un peu avant la tombée de la nuit avec ses copains. Et ça, typiquement, par exemple, Ce jeune homme était vraiment un complice du film. Il s'appelle Jérémy. Il m'avait dit que c'était quelque chose qu'il avait absolument envie de me montrer et que ça puisse être dans le film. Et en fait, j'ai vu ces deux jeunes filles l'après-midi qui descendaient du pédalo. Et j'ai vu le regard qu'elles... Il faut préciser que ce Jérémy est assez séduisant. Et j'ai vu le regard qu'elles posaient sur lui, un petit peu séduite et admirative. Et donc je suis allé leur parler. Je leur ai dit, voilà, est-ce que vous avez un peu de temps devant vous Est-ce que ça vous intéresserait de participer à un film qu'on est en train de faire ici Et puis j'avais demandé aussi, d'ailleurs, j'avais eu le temps de demander à Jérémy s'il avait envie de, justement, pourquoi pas de proposer à ces jeunes filles d'aller sauter avec lui le soir du pylône. Donc en fait, j'ai fait un peu l'intermédiaire, presque, je les ai mises en relation. Et à tel point que tout le monde était tout à fait enthousiaste à cette idée. Et donc j'ai demandé aux deux jeunes filles si elles voulaient bien refaire leur arrivée sur le ponton au pédalo et que Jérémy aille cette fois-ci leur proposer lui-même cette petite excursion du soir. Et donc là, on était vraiment dans de la mise en scène pure, dans une situation qui était provoquée par moi. Mais en fait, une fois que le rendez-vous était pris, ce qui était génial, c'est que le réel est revenu très vite. Et en fait, avec mon chef opérateur Martin Ritt, après, on ne faisait plus que suivre le programme qui était décidé par Jérémy. Et en fait, on ne s'est même plus d'ailleurs autorisé à intervenir de quelque façon que ce soit. On ne leur a pas dit, est-ce que vous pourriez vous arrêter, attendre qu'on soit prêt, Roland Après, c'est devenu une scène purement documentaire que j'aime beaucoup et qui est extrêmement honnête et juste par rapport à la façon dont ce Jérémy envisageait ce lieu qui était un peu un champ des possibles, un terrain de jeu inépuisable, etc. Je pense que si j'avais attendu que ça arrive, ça ne serait sans doute jamais arrivé. Ça aurait été extrêmement pesant d'être là. à attendre miraculeusement qu'il ait envie de proposer à quelqu'un, que quelqu'un accepte, etc. Donc là, je suis intervenu. Et c'est vrai que c'est quelque chose, le fait de déclencher des situations et ensuite en quelque sorte de m'effacer, c'est quelque chose que j'ai beaucoup fait après, notamment dans le dernier film. Alors bon, il se trouve que le dernier film se passe... Il y a peut-être un peu moins de scènes d'action de ce type-là, donc ça me laissait plus la possibilité avec mon chef opérateur de décider d'un cadre au début. Et souvent ce cadre pouvait tenir toute la scène ou alors... On pouvait modifier le cadre en cours de route, mais sans interrompre le déroulement de la scène. Peut-être que parfois, ça pouvait m'arriver de les relancer dans une discussion, un point sur lequel les protagonistes étaient passés un peu vite, de leur dire attendez, est-ce que vous ne pourriez pas recreuser un petit peu ça ou peut-être de replacer légèrement l'une d'entre elles. Ou peut-être même de proposer à une troisième jeune fille d'intervenir à un moment donné dans la scène, de rejoindre la scène. ce genre de choses. Mais oui, donc oui, j'interviens. Mais jamais, par exemple, je vais leur proposer de parler de quelque chose dont elles ne m'ont pas parlé avant ou qui n'est pas quelque chose qui les concerne directement à ce moment-là. Je ne vais pas jamais imposer un sujet ou une situation qui n'aurait rien à voir avec leur vie. Je m'appelle Guillaume Braque et je réalise des films. des films de fiction, des films documentaires. Depuis 15 ans maintenant. Mon tout premier rapport à l'image, je pense que, comme la plupart des gens, l'image sur un écran, c'est un souvenir de cinéma, en l'occurrence. Je pense que mon premier souvenir de cinéma un peu marquant, je pense que c'est une séance de Pinocchio, probablement. Et je devais pas être très vieux, je devais avoir à mon avis 5 ans, quelque chose comme ça, 4-5 ans. Et j'avais été très marqué comme beaucoup d'enfants je pense par le ventre de la baleine. Après il y a eu évidemment énormément d'autres images marquantes, mais la liste serait un peu longue. Il y a plusieurs étapes, je pense qu'il y a les premiers films que j'ai vus autour de l'âge de 16 ans, les premiers films qui n'étaient en fait pas des films... d'action, de comédie, de divertissement, mais qui étaient des films qui parlaient tout simplement de rapports entre les gens, qui creusaient assez profondément des sentiments, des émotions. Là, j'ai compris. Je me souviens, j'ai vu à 16 ans un film de Bergman, Les Fraises Sauvages. Ça ne ressemblait pas du tout à ce que j'avais vu jusque-là. Je me disais, c'est fou. Je ne savais pas que le cinéma pouvait être quelque chose d'aussi intime. ou l'être d'une inconnue par exemple. J'avais rarement ressenti une émotion si forte devant un film. Mais le film, je pense qu'il m'a vraiment donné l'impression que le cinéma était quelque chose d'accessible, en tout cas que c'était quelque chose qui pouvait se faire d'une manière assez simple en fin de compte, et donc un peu plus accessible. C'est les films de Rosier notamment, d'abord, notamment du côté de Rouette, qui est ce film de vacances avec trois jeunes filles, et Bernard Menez. au milieu d'elle, dont on sent qu'il est tourné avec une équipe très restreinte et qui semble presque un peu enregistrée les journées les unes après les autres, qui m'avait très profondément touché, alors même qu'il se passait en apparence très peu de choses. Et là, c'est vrai que quand j'avais vu ce film, je m'étais dit peut-être que moi aussi je pourrais faire un film un jour. Ce qui n'était évidemment pas le cas quand je voyais à l'adolescence... Des films de Kubrick ou des films de Scorsese, ou ce genre de films. Là, le cinéma me paraissait un monde complètement lointain, inaccessible. Je n'ai pas de parents liés au cinéma. En revanche, j'ai quand même une mère qui est... Enfin, maintenant, elle est à la retraite, mais qui était prof de français, prof de lettres. et qui quand même je pense m'a transmis vraiment le goût des histoires, peut-être aussi le goût de l'écriture. Et donc enfant, en fait, et d'ailleurs je pense que mon approche du cinéma est d'abord passée par l'écrit, plus que par la technique ou l'image. Et j'ai jamais, contrairement à beaucoup de jeunes réalisateurs ou réalisatrices, j'ai jamais fait de petits films. dans le jardin avec des copains, etc. Je ne viens pas de l'image en fait. Je viens de l'écrit, mais ce qui est amusant c'est qu'en fait, assez vite, l'écrit s'est un peu effacé derrière justement la primauté de la scène, de la vie, du réel, de l'image, etc. Mais au départ, je viens de l'écrit. Il y a eu une suite peut-être d'erreurs d'orientation ou de changements d'orientation. À l'époque, j'étais un jeune homme assez timide et je n'avais pas une très grande confiance en moi, mais j'étais un très bon élève, scolairement j'étais un très bon élève. alors même que j'avais à l'évidence une sensibilité très littéraire et que ce que j'aimais vraiment c'était plutôt tout ce qui avait à voir avec la littérature, l'écriture. Et bien j'ai un peu suivi le conseil de mon père d'aller vers une classe préparatoire à HEC et de rentrer, ce qui m'a amené à rentrer à HEC. Au bout de quelques mois, je... J'avais un peu fait le tour et j'avais compris que c'était pas là que j'allais m'épanouir, que c'était pas là que j'allais trouver du sens, ce qui m'a empêché quand même d'aller jusqu'au bout. Mais à ce moment-là, essentiellement le cinéma en tête. J'ai quand même eu d'autres envies. J'étais attiré par le journalisme, le journalisme sportif, puis journaliste, puis la critique cinéma. J'hostilie un peu entre ces deux pôles-là. Ça avait toujours à voir avec l'écrit. Et puis je me suis mis à animer le ciné-club, là-bas justement à HEC, à voir énormément de films. Et puis pendant un stage, à l'occasion d'un stage dans une boîte de production, il y a un autre stagiaire qui était là avec moi, qui préparait le concours de la FEMIS. Donc moi je n'avais pas entendu parler parce que je ne connaissais pas de travail, je ne m'étais peut-être pas bien renseigné. Et puis à l'époque, Internet avait moins de place, donc je ne connaissais pas cette école. Et donc je me suis inscrit aussi à ce concours, je me suis inscrit en production, parce que je pensais que c'était là que je serais le plus utile ou le plus légitime. Et puis j'ai réussi le concours, et puis après, assez vite, dès la première année, je me suis rendu compte que quand même, j'avais du plaisir aussi à écrire des films, des petits films, des courts-métrages. et puis à les mettre en scène et que peut-être que j'avais moi aussi le droit de rêver de faire ça. Même si pour moi le cinéma a toujours été aussi un vecteur de beaucoup de stress et d'angoisse, ça n'a jamais été que du plaisir et ça m'a beaucoup soulagé un jour quand j'avais vu un cinéaste de notre temps. sur Ken Loach, et Ken Loach, on lui demandait s'il prenait du plaisir à faire des films, et puis il disait du plaisir, mais moi, pour le cinéma, c'est de l'angoisse, enfin, il y a peut-être 10% de plaisir, ça me dit, bon, ok, je ne suis pas le seul à être très angoissé, quand je fais un film, donc c'était pas que du plaisir, mais en tout cas, oui, j'avais l'impression qu'il y avait quelque chose d'assez épanouissant pour moi là-dedans, et que c'était presque une forme de besoin, de nécessité, quoi. De toute façon, c'est toujours très mystérieux pourquoi on a besoin, à un moment donné, d'exprimer, de s'exprimer. Je pense que pour plein de raisons, j'avais besoin de sortir des choses de moi et de faire des films. Alors, ce qui est amusant, c'est que finalement, d'une certaine manière, mes films ne me racontent pas directement. Enfin, en tout cas... Et puis finalement, mes films n'ont pas forcément toujours énormément de récits. C'est probablement un... une manière de regarder le monde, de regarder les gens, qui transparaît dans mes films, même si ce n'est pas raconté de manière littérale ou assez littérale des épisodes biographiques de ma vie. Je pense que ça a été une vraie chance, en fait. C'est vrai que moi j'avais 24 ans, mais il y avait autour de moi des étudiants, les plus jeunes, qui avaient 19 ans, 20 ans. Et j'en connais quelques-uns ou quelques-unes qui ont été un petit peu broyés par la pression de l'école, cette espèce de... Il y avait aussi ceux qui étaient en département réalisation et qui avaient en quelque sorte l'obligation de faire des films et qui devaient pondre des films comme ça chaque année et tous les regards étaient braqués sur eux. Et puis moi, finalement, j'avais une position un peu plus d'électron libre, un peu plus d'outsider qui était finalement peut-être plus rassurante. Mais c'est vrai que je pense qu'il fallait avoir fait des films tard et une chance. Et puis, c'était un désir tellement longtemps contenu. Et puis, j'ai eu le plaisir de faire des films. Je pense qu'il y a aussi une espèce de frustration qui s'est accumulée, qui fait qu'à un moment donné, j'ai pu... J'avais beaucoup de films à sortir. J'ai été assistant sur plusieurs courts-métrages, dès La Fémis, et puis après, les années qui ont suivi La Fémis, sur des cours essentiellement, mais j'ai fait deux longs comme assistant. Un film d'Arnaud Despallières qui s'appelle Parc et un film de Manuel Mouret qui s'appelle Un baiser s'il vous plaît C'est deux expériences assez différentes, mais dans les deux cas, je ne pense pas avoir été un très bon assistant. Je pense que j'étais très inexpérimenté. Et par ailleurs, je pense que ça m'a quand même aussi permis de comprendre ce que je recherchais sur mes tournages et peut-être ce que je voulais éviter. Ce qui n'est pas un jugement sur ces deux réalisateurs. Mais je me souviens notamment du film d'Arnaud Despallière. Je pense que je pourrais presque écrire un film là-dessus tellement c'était improbable ma position sur ce film, qui était un film très ambitieux artistiquement, qui était très sous-financé et qui a démarré tout de suite avec une très très forte tension sur le plateau. Et où en fait, faute de budget, il n'y avait pas de deuxième assistant réalisateur. Il y avait moi qui étais stagiaire et deuxième assistant. Et moi j'avais jamais mis les pieds sur un long métrage, j'avais fait que des courts métrages d'étudiants et il y avait une équipe qui avait déjà, dès les premiers jours, un peu le couteau entre les dents parce qu'il y avait des dépassements énormes de 3-4 heures toute la première semaine, temps par jour, des grosses tensions entre Arnaud Despallière et son chef opérateur, on sentait que la machine était un peu au bord de l'implosion et puis forcément dans ces cas-là, les techniciens ne pensent pas forcément beaucoup de bien du cinéaste. Moi j'entendais ça et je voyais ça et sans compter que moi je commettais plein de petites erreurs parce que je ne savais pas comment ça marchait en fait. L'organisation d'un plateau, l'organisation d'une équipe, avec les hiérarchies, je commettais plein d'impairs tout le temps. Les chaînes décisionnelles, etc. Et donc je me suis dit oui, je ne veux jamais vivre ça, je ne veux jamais faire un film où tout le monde me déteste, où il y a finalement... plein de camions de matériel, une espèce de lourdeur comme ça. Voilà. Et donc ça, ça m'a un peu vacciné. Et je me souviens que sur le film d'Emmanuel Mouret, c'était autre chose. En fait, je n'arrivais pas en fait à... Cette fois-ci, j'étais deuxième assistant. J'étais un vrai deuxième, j'étais plus stagiaire, mais je n'arrivais pas au fond à comprendre vraiment... Parce que ma mission principale au début en prépa était de chercher les décors. et notamment un décor qui était le décor principal du film, qui était un appartement. Le film se déroulait essentiellement d'appartements. Et moi, j'avais trouvé plein d'appartements que je trouvais hyper intéressants, que j'avais envie, moi, de filmer. Mais aucun ne convenait jamais au chef opérateur et à Emmanuel Mouret, parce qu'en fait, eux ne cherchaient pas un lieu qui ait une âme ou une atmosphère. Ce qui, moi, m'intéressait, eux, ils cherchaient en fait un décor de studio, un endroit qui pourrait après complètement... réaménager, rééclairer, il cherchait juste en fait une espèce de, je sais pas, presque comme un rectangle quoi, enfin voilà. Et donc, à chaque fois j'arrivais avec des propositions qui étaient sans cesse retoquées et c'était en plus un peu un moment où Emmanuel Mouret était un peu un tournant de sa carrière parce que moi je connaissais plutôt ses premiers longs métrages qui étaient tournés de manière très légère. avec des toutes petites équipes à Marseille, etc. Et puis là, il était quand même en train de basculer dans un cinéma beaucoup plus de studio, où le réel n'avait quasiment plus aucune place, en fait. Où les gens qu'on voyait dans les rues n'étaient plus des passants, mais des figurants, où tout était sous contrôle, en quelque sorte. Et ça, moi, clairement, ça me rendait malheureux. Ça ne m'intéressait pas du tout d'aller fouiller dans des fichiers de figurants professionnels et après de les recevoir, et puis de leur dire, voilà... il y aura trois tops, il faudra démarrer à ce moment-là. Ce n'était pas du tout ce qui m'excitait comme jeune aspirant réalisateur. Donc ça aussi, ça m'a appris un peu plus dans une forme d'opposition. Ça m'a fait très, très peur. Je me suis fait avoir très, très peur du cinéma comme quelque chose de professionnel ou comme quelque chose de trop sérieux. Et avec... Beaucoup d'organisation, beaucoup de gestion de l'équipe. Et c'est vrai que j'ai toujours eu une approche assez artisanale et presque encore un peu un amateur du cinéma. J'ai très peur de tout ce qui est trop professionnel. En tout cas, j'ai eu la chance, en fait, à cette époque-là, j'étais très ami. Après, on s'est éloigné un peu au fil des années, mais j'étais très proche de Stéphane Lemoustier, qui était en train de créer une société de production qui s'appelle Année Zéro, et à laquelle, du coup, j'ai participé avec lui à la création de cette société. Et ça m'a permis, en fait, pendant... après trois ans, d'être vraiment dans un artisanat et dans une fabrication un peu collective comme ça de projets de courts-métrages et de faire mes deux premiers courts-métrages, Le Naufragé et Un Monde Sans Femme, en fait comme producteur. Et donc de pouvoir faire à mon idée, à notre idée, d'une manière peut-être un peu insouciante, inconsciente et un peu naïve. Mais finalement, je pense que si j'avais dû passer par... une autre société de production, avec une forme d'autorité qui m'aurait dit c'est comme ça qu'on fait depuis le début, on fait ça comme ça sur nos autres films, il n'y a pas de raison que ce soit différent avec toi, etc. Je serais peut-être plus rentré dans un moule, et là, ça me permettait vraiment de faire les choses. Et puis, c'est quelque chose que j'ai gardé aussi, alors peut-être parfois c'est un peu agaçant pour les producteurs, mais cette tendance à me mêler de tout, en fait, dans la fabrication d'un film. Et j'ai beaucoup de mal à lâcher du début à la fin, comment dire... Évidemment, je vais faire moi-même mes repérages, etc. Mais je vais aussi aller visiter les logements dans lesquels peut-être on sera logé, l'équipe, les acteurs, les techniciens, etc. Je vais aller rencontrer la personne qui va faire les repas. Et tout ça, en fait, amène aussi quelque chose de très réel à la fabrication du film, ancre dans le lieu où on filme. Ça permet de rencontrer des gens, de découvrir des nouveaux décors. d'avoir plein d'idées. Mais c'est marrant parce que ça, après, à l'époque, je ne le savais pas. En lisant la biographie d'Eric Römer, j'ai compris que lui aussi avait un peu cette manière-là de se mêler de tout, de décider ce qu'on allait manger, etc. Lui, en plus, était assez économe. Mais c'est vrai que, par exemple, pour un film comme Un monde sans femme, ça reste un peu... On a toujours tendance à idéaliser, a posteriori, les expériences, mais ça reste quand même quelque chose de très beau avec une équipe d'une dizaine de personnes qui n'étaient pour ainsi dire que des amis, enfin des gens que vraiment je connaissais très bien. On était tous logés ensemble à l'époque encore un peu dans des chambres collectives avec des lits superposés, etc. On prenait tous nos repas au même endroit qui était le bar-restaurant où par ailleurs on tournait des scènes du film. Il y avait quelque chose de... de très humain et de très artisanal qu'on a en fabrication. Je ne supporte pas la hiérarchie, les histoires de chefs de poste, de je ne sais pas quoi, de chaîne de décision, de devoir d'abord prévenir le chef qui va ensuite transmettre à ses... Je trouve ça très bizarre. À l'époque, on avait tous le même salaire, enfin bon, c'était tout très égalitaire quoi. Bon, on était tous très mal payés aussi. D'autant que moi, j'ai un fonctionnement assez particulier, comme je suis beaucoup en proie aux doutes et que je suis assez angoissé, j'ai besoin de partager avec à peu près tout le monde, mais ça peut même être l'assistant de caméra ou le régisseur, mes interrogations, même des choix de mise en scène, etc. Ce qui est amusant, c'est que quand on débute... Je me souviens avoir entendu qu'il fallait surtout cacher ses inquiétudes et ses angoisses et rassurer l'équipe en paraissant très sûr de soi. C'est quelque chose que je n'ai jamais réussi à faire. Et je pense que finalement, ce n'est pas si grave si on est avec des gens bienveillants, avec qui il y a une belle relation. Ils peuvent accepter ça. Mais ça me rappelle d'ailleurs une anecdote concernant les frères Farrelly, dont j'aime beaucoup le travail, qui racontait que quand ils ont fait Domaine Number, ils n'avaient absolument aucune expérience du cinéma. et qu'ils ne savaient même pas comment ça se passait de travailler sur un plateau, et qui se sont dit, il y a deux options face à nous, soit on arrive devant l'équipe et on fait croire qu'on sait, et on essaye de faire, soit on réunit tout le monde et on dit, ok les gars, on n'a jamais fait un film, on ne sait pas ce que c'est que le cinéma, on ne sait pas ce que c'est qu'un tournage, est-ce que vous pouvez nous aider Et on fait ensemble. Après avoir beaucoup réfléchi, ils ont choisi la deuxième option, et ils se sont rendus compte que c'était la meilleure. Ils ont dit voilà nous on sait pas donc expliquez nous comment on fait un film, nous on débarque... Oui, cette espèce d'humilité-là. Mais alors oui, tu posais la question par rapport à Vincent McKenna. Vincent McKenna, c'était particulier parce qu'on était vraiment très proches et très amis. Donc bien sûr qu'on parlait du scénario. Pour autant, on n'a jamais écrit ensemble. Mais comme on se voyait beaucoup, on traînait beaucoup ensemble. Par exemple, ce film-là, on avait tourné avant un autre court-métrage ensemble qui s'appelle Le Naufragé. Et c'est un soir, je me souviens. On s'est dit, je ne sais même pas si c'est lui qui l'a dit ou moi en premier, on s'est dit tiens, quand même ce personnage, ce serait beau de voir comment il réagirait face à des femmes, et ce serait beau de le filmer l'été en maillot de bain plutôt que l'hiver en mitoufflé dans des vêtements qui cachent son corps, etc. Et c'est parti de ça, et on était au mois de mai, et on s'est dit bon bah ok, on fait ça cet été. J'ai écrit en... avec ma scénariste en un mois, un mois ou deux, le scénario. Puis Vincent Mackey, un soir, m'a dit, tiens, j'ai une copine comédienne dans ce bar, je reviens te la présenter, c'était l'heure qu'elle a mis. Et je me suis dit, elle est géniale, j'ai envie d'écrire pour elle. C'est des choses comme ça, c'est assez beau. Ça reste d'ailleurs sans doute, finalement, c'était mon premier film, pour ainsi dire, ça reste sans doute le plus beau tournage que j'ai vécu. Il y a eu évidemment des nuits épuisantes, des dépassements d'horaires, etc. Il y a eu plein de doutes et tout, mais quand même, oui, il y avait quelque chose de... Quand on fait un film dans un lieu qu'on aime, entouré de gens qu'on aime et qu'on admire, et où tout se mélange un peu, où tout se mélange un peu la vie, le cinéma et tout, c'est sûr que c'est super. Je pense que l'étape que je préfère c'est peut-être les repérages. J'adore les repérages. C'est le moment où plein d'idées de mise en scène viennent, où ça rebat les cartes du scénario, où les choses s'incarnent. Là, je sais par exemple que j'ai un merveilleux souvenir des repérages d'Alabordage. On a passé trois jours avec mon chef opérateur et à l'époque le directeur de production. Après, on était reparti avec mon assistant. On avait... On avait arpenté les campings en Ardèche et dans la Drôme. Je me souviens très bien du moment où on est arrivé en fin de journée dans le camping qui est devenu celui du film dans la Drôme à Dix. Et là, il y avait une espèce d'épiphanie, une espèce d'évidence que ça ne pouvait être que là. Il y avait une lumière magnifique. Tous les décors étaient exactement ceux que j'aurais pu rêver, très proches les uns des autres. Et là, d'un seul coup, le film devenait complètement concret. Donc ça, j'adore les repérages. Évidemment, j'adore la toute fin de l'écriture, le moment où on a une telle maîtrise de... D'ailleurs, ça ne m'est pas arrivé si souvent que ça, parce que finalement, mes films n'ont rarement été très écrits. Mais en tout cas, le moment où vraiment on maîtrise en quelque sorte la matière du film, et où on peut en quelques jours vraiment faire progresser beaucoup le scénario. Mais sinon, le moment que je préfère, c'est le montage. Et ça, ça s'est vraiment accentué. Avec le documentaire sur l'île au trésor, sur un pincement au cœur, ce n'est qu'un au revoir et tout. Et déjà, même avant, sur un autre documentaire que j'avais fait, le repos des braves sur des vieux cyclistes. En fait, l'écriture au montage et à quel point on peut faire énormément de mise en scène au moment du montage. Et en fait, vraiment écrire le film à ce moment-là. Et non plus justement l'écrire avec des concepts, des idées, des mots, comme on le fait au moment du scénario. Mais... Cette fois-ci, il écrit vraiment avec des plans, avec de l'image et du son. Et donc moi, en plus qui suis assez angoissé par l'écriture, là, d'un seul coup, c'est que du vivant qu'il faut sculpter et tout ça. Donc ça, le montage... Alors parfois, il y a des angoisses au montage aussi. Le montage de Snake and the Revoir a été difficile, mais par exemple, oui, si je pense au montage de L'île aux Trésors, c'était génial. De voir le film émerger progressivement, avec une première version qui faisait 6-7 heures, et puis petit à petit... de sculpter le film jusqu'à ce qu'il arrive à sa durée finale. On peut faire beaucoup de choses, surtout en documentaire, moins en fiction. Mais moins en plus que... C'est vrai qu'en tournage... Je pense que j'ai un peu de mal à avoir des idées très claires au moment du tournage. J'ai un peu quand même des principes ou des marottes de mise en scène, un rapport à certaines échelles de plan. Il y a une manière de filmer avec laquelle je me sens à l'aise, etc. Mais le tournage, pour moi, c'est aussi emmagasiner beaucoup de choses. Et c'est vrai que les... Les vraies idées de mise en scène, je trouve qu'elles viennent plutôt pour moi au montage. C'était une expérience très particulière, parce que je ne sais même pas d'ailleurs comment on y est arrivé, mais on m'avait juste appelé un peu à la dernière minute pour animer un atelier de trois semaines au conservatoire l'été. fin juin, début juillet, de cinéma. Il y avait un petit budget. Je ne savais même plus très bien quel était le cahier des charges. Mais le cahier des charges, je crois que c'était juste de tourner un peu des scènes avec les comédiens, les faire travailler devant la caméra. Et moi, j'avais accepté en disant que j'avais envie, pour moi, ça avait un intérêt si on essayait de faire un film et que ce ne soit pas juste un atelier. J'avais 16 acteurs et trois semaines. Au début, je m'étais dit je vais essayer de faire un long métrage de fiction, mais j'avais que quelques semaines pour écrire et pour préparer. Et puis faire un long métrage avec 16 acteurs, ça me paraissait très, très complexe. Et puis à un moment donné, j'ai eu la bonne idée, je pense, de me dire OK, j'ai trois semaines, je vais essayer de faire un court moyen métrage par semaine pendant trois semaines. Donc je vais diviser en trois groupes et on va enchaîner comme ça trois tournages en trois semaines. Et mon producteur, Nicolas Antomé, avec qui j'avais fait un documentaire, le Roboter Brave, juste avant, a accepté de me suivre là-dedans. Donc je pense qu'il a dû, à l'époque, rajouter un peu d'argent, lui, pour un peu payer les techniciens, etc. Enfin bon, on était quatre. Il y avait un chef op, un ingé son et un assistant et moi. Et en fait, le tournage de la première semaine s'est bien passé, mais le résultat était moins convaincant au montage. Et en revanche, les deuxièmes et troisième semaines ont produit une matière assez belle. Je n'ai pas eu conscience tout de suite, c'est vraiment au montage que je me suis rendu compte qu'en fait, il s'était passé quelque chose. Et là, pour le coup, tout le monde avait pris en charge l'écriture. Je me souviens que je demandais aux jeunes comédiens, vous ne voudriez pas écrire cette scène-là et celle-là aussi D'ailleurs, écrire, c'est un grand mot. De coup, eux, ils écrivaient un truc qui ne me convenait pas forcément, mais il y avait une idée de scène. Et en fait, au tournage, tous les dialogues étaient improvisés. Et parfois, on ne savait même pas ce qui se passait dans la scène. On savait juste que... Et les personnages à l'époque, d'ailleurs, avaient encore leur nom. On jouait un peu avec les rapports réels. Moi, je sais que la partie que je préfère, c'est la partie qui se passe à la cité universitaire. Et l'actrice principale, qui s'appelle Anne, comme le personnage... partait réellement de France. Elle était étudiante Erasmus, elle avait fait un échange en France, elle partait réellement juste après le tournage. On tournait réellement au moment du 14 juillet, il s'était malheureusement passé réellement les attentats de Nice pendant le tournage, en plein tournage. Et donc c'était très étonnant la façon dont la fiction et le réel communiquaient. C'était très très improvisé. Et c'est étonnant qu'après, finalement, il y ait eu un résultat qui tenait à peu près la route. Mais en fait, je dirais, même si j'ai beaucoup aimé l'expérience, puis j'étais aussi sans doute beaucoup moins stressé que d'habitude, parce qu'en vrai, personne n'attendait de moi qu'il y ait un film au bout. Donc, je pense que je me suis un peu plus amusé que d'habitude sur les tournages. En vrai, ce qui s'est passé aussi, c'est que ça a surtout été, je pense, l'esquisse... de deux films très importants pour moi. En fait, ça a donné l'île au trésor, parce que le fait de tourner pendant une semaine sur cette base de loisirs à Sergi Pontoise, j'avais déjà en tête depuis très longtemps, j'avais déjà un désir de documentaire là-bas, mais le fait d'y passer concrètement une semaine, à tourner tous les jours là-bas, ça a rendu beaucoup plus concret ce projet de documentaire et ça m'a permis l'été suivant de tourner l'île au trésor, qui est peut-être à ce jour le film dont je suis le plus fier, et cette expérience avec les jeunes communiens du conservatoire. a permis deux ans plus tard ou trois ans plus tard de tourner à l'abordage qui reste à ce jour mon plus grand succès. A l'évidence, les lieux pour mes films sont des personnages à part entière, et ça dès le début. Et en fait, ça a souvent été les lieux qui ont été à l'origine du désir de faire un film. En tout cas, ça a été le cas pour Le Naufragé, Un Monde Sans Femme, ça a été le cas pour Tonnerre, ça a été le cas évidemment pour L'Île aux Trésors, et ça a été le cas aussi pour Ce n'est qu'un au revoir. En fait, à chaque fois, c'est finalement faire un film dans un lieu qui est le désir premier. et d'essayer de capter quelque chose de l'âme ou de l'esprit de ce lieu. Et c'est vrai que ça ne me viendrait pas à l'esprit aussi de tricher avec un lieu, c'est-à-dire, comme on fait assez souvent, et puis après tout, ça ne me pose aucun problème sur les films des autres, mais d'aller chercher, d'éclater les décors et d'aller chercher pendant les repérages l'endroit idéal là, et puis 30 kilomètres plus loin, l'autre endroit pour telle scène, et puis ainsi de suite. Moi, j'ai besoin de... D'avoir une sorte de terrain de jeu comme ça, très cohérent et concentré, qu'on puisse après arpenter pendant le film, que ce soit en documentaire ou en fiction. C'est vraiment ce truc de terrain de jeu. Je me rappelle que j'avais eu ce sentiment-là très fort sur un film qui n'est sans doute pas mon meilleur, mais pour lequel j'ai une tendresse et sur lequel j'ai appris beaucoup de choses, qui est ce documentaire Le Repos des Braves. Je me rappelle qu'il y avait eu 24 ou 36 heures un peu... d'exaltation où les vieux cyclistes qu'on avait suivi étaient dans une sorte de centre de vacances au bord de la Méditerranée et où ils étaient un peu au repos pendant un jour ou deux et où là, d'un seul coup, après avoir été un peu en itinérance à les suivre sur la route, c'était assez épuisant. Ils étaient tous dans un périmètre de 300 mètres et on pouvait comme ça sauter d'une scène à une autre et capter un maximum de choses en très très peu de temps et juste en se promenant avec la caméra. Au fond, c'est un peu après ce qui s'est passé sur l'île au Trésor, d'avoir un périmètre très réduit, d'ouvrir les yeux et d'attraper quelque chose. Moi, je pense que les moments les plus importants, c'est les moments où j'allais passer la journée là-bas. J'étais d'ailleurs très intimidé, en fait, à ce moment-là, par le rapport aux gens. J'avais une très grande timidité à aller vers les gens. Donc, en fait, j'avais tendance plutôt à rester quelque part et puis à observer, à écouter et presque à faire un espèce de plan lumière de deux heures, je ne sais pas, près de l'entrée de la plage et à capter des bribes de discussion, des moments de jeu, de drague, de reski, etc. Et puis à observer, quoi. Ouais, à faire un peu des plans dans ma tête pendant des journées entières. Et je pense d'une certaine manière qu'on retrouve ça un peu dans la mise en scène du film, sans doute aussi, après. En tout cas, le film a plusieurs registres, mais il y a un registre un peu lumière dans le film. En tout cas, à rêver le film. Et puis au début, c'est vrai que je ressentais même une forme de... de timidité humaine, mais même aussi de timidité sociale. Socialement, ce n'était pas complètement mon monde. Je venais de Paris, en tout cas, je vivais à Paris. Il y avait des gens qui étaient, pour une grande partie d'entre eux, d'un milieu beaucoup plus modeste que le mien. J'entendais plein de langues, etc. je me posais presque une question aussi de légitimité, en fait, à aller comme ça, leur parler, les voir. Enfin, je me disais, mais qui je suis pour aller les interpeller, tout ça. Donc, j'ai mis longtemps, j'ai longtemps eu peur de ne pas réussir à faire ce film, que je n'arrive pas à combler cette distance-là sociale entre les gens et moi. Et ça s'est fait vraiment tout au long du tournage, en fait, ce chemin-là. Et je pense que la beauté du film, c'est qu'en fait, à un moment donné, c'est... Il y a quelque chose d'universel qui se produit, enfin comment dire, le film finit par capter quelque chose d'universel qui n'a plus vraiment à voir avec l'origine géographique, l'origine sociale, etc. Quelque chose en fait qui rassemble, enfin comment dire, une sorte de, à l'époque je me souviens que je parlais de dénominateur commun entre les gens, et au fond d'arriver à parler de mon enfance, de mes souvenirs d'enfance à travers d'autres gens que moi, c'était quelque chose où... Ce rapport au temps libre, au loisir, à la drague, au jeu, à la nature, à la contemplation, tout ça, finalement, est quelque chose d'universel et qui s'incarne dans des corps physiques et des corps sociaux différents, mais qui, en fait, est quelque chose d'universel. Je pense que c'est tout ce travail-là, la préparation du film et le tournage du film, ça a été ce travail-là, d'arriver à faire tomber des barrières. abolir des distances en quelque sorte. Mais ça a été passionnant et épuisant. Tous les jours, il fallait que j'aille vers les gens. C'était pas forcément ma nature, enfin même si... J'étais déjà beaucoup moins timide que quand j'étais jeune à ce moment-là, mais d'arriver à aller parler aux gens 15 fois, 20 fois, 30 fois par jour et puis leur expliquer que j'étais réalisateur, leur expliquer ma démarche qui était en fait même pas très claire dans ma tête et j'étais toujours en train de me demander quel film exactement on était en train de faire. Voilà, et de donner envie aux gens de m'aider à faire le film, de participer, de s'impliquer, c'était quelque chose d'épuisant mais... Mais il en est ressorti de matière très riche. Tous mes documentaires, on était quatre, c'est-à-dire ce qui est assez luxueux en documentaire, j'avais toujours quelqu'un à l'image, quelqu'un au son, et toujours une assistante qui était généralement quelqu'un de beaucoup plus jeune, et souvent une étudiante en cinéma. Et là, je me souviens que sur ce tournage, assez régulièrement, mon assistante Fatima, qui était un peu en électron libre sur le tournage, me parlait de quelqu'un qu'elle avait rencontré, etc. Et en fait, au début... A chaque fois, j'étais déçu parce qu'en fait, elle me ramenait un sujet, une problématique. Elle me ramenait quelque chose tout le temps de sociétal. Et ce n'était pas du tout ça, en fait, que je cherchais. Après, elle a compris et elle a trouvé des gens super pour le film, notamment les deux frères qu'on voit à la fin. Mais ce qui est très troublant, c'est en effet qu'il y a des gens, c'est très mystérieux, mais c'est des personnages et d'autres. qui sont très sympathiques, très intéressants, même peut-être très beaux, mais ce n'est pas des personnages. C'est très étonnant. Et moi, je crois qu'il y avait quand même quelque chose... En fait, je crois qu'à quelques exceptions près, j'avais besoin que les gens me fassent rire, qu'ils me fassent au moins sourire, qu'il y ait une part de comédie en eux, en tout cas qu'il y ait quelque chose d'un peu... soit d'un tout petit peu ridicule et touchant, soit d'un peu facétieux, d'un peu joueur, ou d'un peu hableur, ou d'un peu... Mais en fait, il fallait qu'il y ait quelque chose de l'ordre du jeu, de la comédie. Et dès que c'était trop sérieux, en fait, dès qu'il ne me faisait pas sourire, dès qu'il ne m'amusait pas, en fait, ça ne marchait pas. En fait, c'est un processus tellement progressif et tellement organique que j'ai pas souvenir qu'il était très douloureux pour moi. C'est-à-dire que... Alors évidemment, il y a des gens à qui je m'étais attaché sur le tournage, j'étais un peu triste pour eux, je me disais, c'est con, ça leur aurait fait plaisir d'être dans le film, et puis on avait passé un petit peu de temps ensemble. Même si quand même, la plupart des gens qui sont dans le film, finalement, c'est des gens avec qui j'ai passé... quelques heures ou un jour, deux jours, trois jours, mais jamais tellement plus parce qu'en fait c'est un lieu qui brasse tellement de monde qu'en fait... Même des scènes qui peuvent être assez longues dans le film, même des gens qu'on voit assez longtemps dans le film, finalement peut-être qu'on a tourné trois jours avec eux, ou parfois même juste deux heures avec eux. Il y en a peut-être un ou deux qui étaient un peu déçus ou un peu énervés d'avoir été coupés. Mais en fait, ce qui est complètement fascinant avec le montage, c'est qu'au fur et à mesure où la matière se réduit, au fur et à mesure où on coupe des choses, ça donne tellement de force à ce qui reste, et ça met tellement en relief d'autres scènes. Moi, je ne peux pas m'empêcher de voir le film dans sa globalité. Et c'est vrai que je pense qu'il y a des cinéastes qui ont du mal à couper et qui ont peut-être un rapport très affectif à la matière. Moi, je ne sais pas, j'ai un rapport affectif au film, en fait. Et je sens que le film est meilleur sans certaines scènes. Et même si j'avais une tendresse pour les scènes, en fait, ces scènes, je les oublie assez vite. Et après, je ne saurais même pas te dire, alors que pourtant, il y avait 200 heures de rush. Et la première... La mouture de montage durait entre 6 et 7 heures. On a coupé énormément de choses avec ma monteuse Karen. Je ne saurais même pas très bien dire quelle scène on a coupée maintenant. Je ne m'en souviens même plus. À l'abordage, c'était un processus. très particulier encore et assez intéressant. Un peu, d'ailleurs, même si c'est évidemment un film de fiction, mais il y a quelque chose de très documentaire dans la démarche, parce qu'en fait c'est un film qui m'a été commandé par le Conservatoire d'Art Dramatique, et l'idée était d'écrire pour une promotion de jeunes comédiens et comédiennes qui avaient, à l'époque, jamais fait de cinéma encore, et moi j'avais pas du tout... a priori d'histoires en tête à raconter avec eux. Donc c'était vraiment... Moi, j'étais très clair sur le fait que j'allais les rencontrer, parler avec eux de leur vie, de leur parcours, etc. Et que l'écriture allait naître de ces échanges-là. Que le désir du film allait naître de ces rencontres. Et donc les personnages ont été très nourris par les acteurs. Après, c'est moi et ma scénariste aussi. Catherine Payet, ce qu'on projette sur eux. Donc c'est un mélange de réalité et de projection. Mais les personnages sont du coup très très très ancrés. C'est comme s'ils avaient tous des racines dans le réel. J'avais aucune histoire au préalable. Par contre, après les avoir rencontrés, après avoir choisi le noyau dur avec qui j'avais travaillé, on avait quand même cherché en amont une histoire, mais on ne s'était pas du tout arrêté sur quoi que ce soit avec Catherine. On avait un peu des vagues pistes comme ça. Et après, une fois que je les ai rencontrés, assez rapidement, on est parti sur cette idée de, pas vraiment de road movie, mais en tout cas de déplacement comme ça de personnages l'été, de camping, d'un duo, d'un trio de copains, de mecs qui allaient suivre une fille, etc. On est arrivé assez vite à ça, mais c'était vraiment juste une espèce de petit schéma narratif, de petit squelette narratif. Et puis après, ça s'est nourri de beaucoup... beaucoup de travail d'improvisation avec eux. Il y a eu un atelier de trois semaines où je les ai lancés sur des situations comme ça, très basiques d'improvisation. Et puis, petit à petit, il y a des idées de scène qui ont émergé. Les personnages se sont un peu affinés. C'était tout un processus. Et c'est seulement d'ailleurs quelques jours avant le tournage qu'ils m'ont demandé de transformer leur prénom et qu'en fait, ils ne portent pas leur vrai prénom dans le film. Certains ont voulu garder leur vrai prénom, mais d'autres ont changé. Salif est devenu shérif, Asma est devenu Alma. Pour vraiment marquer la limite entre le documentaire et la fiction, et qu'ils sachent qu'ils ne sont pas eux-mêmes, mais qu'ils sont des personnages de fiction. Mais c'est vrai que d'ailleurs, c'est vraiment un peu un problème que j'ai. On a eu d'innombrables discussions là-dessus avec Vincent Macaigne. J'ai beaucoup de mal à m'affranchir d'un rapport un peu documentaire aux acteurs et au cinéma de fiction. J'ai besoin en quelque sorte d'extrapoler quelque chose que j'observe, que je sens chez le comédien ou la comédienne, et d'en tirer en quelque sorte un matériau de fiction. Mais j'ai besoin de partir de quelque chose que j'observe et que je ressens de cette personne. Et si par exemple Vincent Mackay... Oui. et un acteur qui tourne beaucoup, qui a beaucoup de succès. Il y a certains personnages que je vais avoir beaucoup de mal à l'imaginer dans la peau de certains personnages. Enfin, je vais avoir presque beaucoup de mal finalement à l'imaginer jouer autre chose qu'un acteur, parce que c'est un acteur que j'ai sous les yeux. Donc ça, c'est un vrai problème que j'ai par rapport à la fiction depuis quelques années. C'est un problème de croyance, d'arriver à m'affranchir vraiment du réel et de ce que sont les gens. Disons que là, pour le coup, quand même à l'abordage, il n'y avait pas de scénario entièrement écrit, mais il y avait quand même un séquencier précis, scène par scène, avec une grande partie des dialogues au style indirect et une autre partie des dialogues au style direct, qui pour beaucoup ont été trouvés et affinés juste avant le tournage, où j'ai refait une sorte d'atelier pendant deux semaines en plein air dans un parc. à Paris où je les réunissais et je leur faisais jouer la plupart des situations du film. Et puis j'enregistrais comme on le fait là maintenant. Et après, je notais certains dialogues que je trouvais intéressants. Ce qui fait que quand on a attaqué le tournage, il y avait des scènes qui étaient déjà très précises et d'autres qui l'étaient moins. Et en tout cas, il y avait quand même le plus souvent une marge de liberté qui était, je ne sais pas, selon les scènes, de 10, 20, 30 sur l'improvisation. Et ça dépendait d'ailleurs des comédiens. Certains étaient plus à l'aise que d'autres dans l'improvisation, certains avaient besoin de choses beaucoup plus précises. En particulier, les deux personnages principaux étaient très forts, très à l'aise là-dedans. Eric Nunchong et Salif Sissé. Les scènes entre eux, il y a beaucoup de choses qui fusent dans les dialogues, qui sont un peu improvisées sur le tournage. Je sais par exemple qu'Edouard, lui, avait besoin de choses plus précises. Anna Blagojevic, qui joue la jeune maman, avait aussi besoin de choses souvent plus précises. Parler de la mise en scène... C'est vrai que c'est un film, et ça c'est le cas sur pas mal de mes films, dans lequel il y a quand même une caméra qui est majoritairement sur pied, beaucoup de plans fixes quand même, souvent des plans qui ne sont pas très serrés, qui sont souvent des plans assez larges, souvent des plans avec deux ou trois personnages, et des plans qui peuvent durer assez longtemps. Et avec cette idée de... que la mise en scène est presque plus là pour arracher une sorte de bloc de temps et de bloc de vie, plus que pour vraiment guider le regard du spectateur sur des éléments narratifs de l'histoire. C'est presque plutôt pour plonger le spectateur dans une succession de moments. Et dans ces moments, il se passe des choses entre les personnages. Mais ce qui compte, c'est autant le moment lui-même que ce qui s'y passe. Je ne sais pas comment dire. Il y a quelque chose de l'atmosphère du lieu, de l'atmosphère de la saison, de l'atmosphère de l'horaire auquel on tourne, que l'échelle du plan, qui est souvent une échelle assez large, permet sans doute de capter. Alors ce n'est pas systématique, il y a aussi dans ce film des scènes qui sont en champ contre champ, qui sont d'ailleurs souvent des scènes qui visent justement un peu à séparer les personnages, peut-être à appuyer certains clivages qu'il peut y avoir entre les personnages, mais finalement les scènes les plus fortes du film sont des scènes où les personnages sont réunis dans le même cadre. J'ai enchaîné deux films, L'île au trésor et L'abordage, qui sont des films à 90-95% en extérieur. Très très très peu d'intérieur dans la scène de film. Et c'est vrai que Ce n'est qu'un au revoir pour le coup. Et d'ailleurs Un pincement au cœur est quand même un film intermédiaire, mais où il y a pas mal d'extérieur aussi quand même. Il y a beaucoup de scènes dans la cour et tout ça. Il y a peut-être en effet une proportion plus grande d'intérieur dans Ce n'est qu'un au revoir. Il se trouve que j'avais déjà filmé Dix, puisque j'ai tourné ce film dans la même ville qu'à l'abordage. Et d'une certaine façon, j'avais peut-être un désir beaucoup moins fort de cinéma. C'était même presque que j'évitais de refilmer un même lieu. J'avais pas eu toute l'envie de refilmer des lieux que j'avais déjà filmés dans l'abordage. Et là où pour moi le réel me touchait le plus, c'était dans les chambres. Et je me souviens que pour la première fois, ils m'ont invité... dans leur dortoir, notamment la chambre d'Aurore, Nours et Jeanne, qui est un peu le cœur pour moi du film. Je me suis dit, ok, le film, c'est ça le film. C'est ce privilège-là, en quelque sorte, d'être invité dans ces chambres, dans ces couloirs. Moi, je n'ai jamais été interne. Je n'ai jamais vraiment partagé la chambre de mes amis. Je n'ai jamais eu cette intimité-là. Et ça me touchait beaucoup, en fait. Et après... Petit à petit, j'ai aussi mis des mots et des pensées là-dessus. J'ai compris petit à petit que ces chambres et cet internat étaient aussi un peu une sorte de foyer, de refuge pour les protagonistes, que beaucoup d'entre elles avaient des grosses blessures familiales et que c'était recréer une sorte de deuxième famille. Et que le film permettait d'être au cœur de cette deuxième famille. Sachant que l'autre famille reste toujours dans le hors-champ du film. Ce qui est d'ailleurs aussi le cas dans Un pincement au cœur. Mais donc j'avais énormément de plaisir à filmer ces chambres en fait. Et d'ailleurs Alan, le chef opérateur aussi, il y avait quelque chose d'assez vivant sur les murs, les couleurs, enfin évidemment les murs qui étaient couverts d'affiches, de cartes postales, de photos, tout ça, et puis même la couleur des murs, enfin une chambre un peu rose, une autre un peu jaune, une autre un peu verte, enfin bon il y avait souvent des décors un peu ingrats visuellement mais qui… Je pense qu'ils avaient une âme aussi parce que c'est des lieux qui voient chaque année défiler une nouvelle génération de jeunes. Et c'est comme si ces chambres étaient quand même un peu habitées par... Enfin bon, je trouvais que c'était des lieux qui vibraient quand même. En fait, j'avais tourné ce premier film avec des lycéennes qui s'appellent un prince manqueur, qui lui s'était fait dans un cadre particulier d'une commande. Je m'étais retrouvé à aller faire un film dans un lieu que je ne connaissais pas, qui était Nimbomont, avec un groupe qui avait été constitué en dehors de moi, en quelque sorte. Et j'ai eu envie de prolonger ce premier film en explorant un peu à nouveau la question du lien amical. Mais cette fois-ci, j'avais envie de filmer plus à l'échelle d'un groupe. Et donc, je suis allé au lycée de Dix, parce que j'étais en train de m'installer dans la région tout près de ce lycée. C'était l'endroit le plus proche. pour moi et ça me semblait C'est sans doute le meilleur moyen d'aborder un groupe de jeunes, de passer par le lycée. Et de fil en aiguille, assez vite, j'en suis arrivé à l'idée que j'avais envie de filmer des terminales, plutôt vers la fin de l'année et plutôt interne. Ça s'est fait un peu progressivement, mais en fait, même si j'étais très bien accueilli dans le lycée, ça n'a pas été si simple parce qu'en fait, c'était assez intimidant comme demande. Et puis, il y avait aussi une question d'emploi du temps, une peur de l'engagement. C'était une année un peu sous pression. certains prenaient la vie un peu côté détente, mais il y avait quand même une certaine pression de la terminale et du bac et de parcours sup et de plein de choses. Et donc, en fait, finalement, personne n'est venu spontanément faire acte de candidature pour le film. Aucun groupe, parce que j'avais précisé que moi, je voulais filmer un groupe. Et donc, j'étais un peu sur le point de renoncer à ce projet de film, quand je suis tombé vraiment par hasard en allant faire mes courses au marché de D. sur plus ou moins ce groupe là, enfin ils étaient pas tous là, elles étaient pas toutes là, mais c'était plus ou moins ce groupe là qu'on voit dans le film, devant le lycée, qui fumait une cigarette et qui m'ont dit bah alors où est-ce que ça en est le film parce que nous on est super motivés et tout ça donc j'étais très surpris quoi parce que je me disais mais je savais pas que j'étais motivé, personne me l'a dit quoi, je me disais mais si si si si si nous ça nous intéresse beaucoup et tout on a vachement envie À ce moment-là, elles m'ont dit à peu près la même chose que ce que m'avait dit déjà Jérémy, dont je parlais tout à l'heure, le loueur de pédalos, mon îlot trésor, qui m'avait dit que ce film était important pour lui parce qu'il voulait garder une trace de sa jeunesse et qu'il voulait pouvoir montrer à ses enfants et ses petits-enfants plus tard ce qu'avait été sa jeunesse. Ce qui m'avait à l'époque beaucoup plu et touché. Et là, elles m'ont dit à peu près la même chose, qu'en fait, elles avaient envie de garder un souvenir de leurs années. dans cet internat, a dit qu'elle avait été les années les plus importantes de leur vie et que c'était pour ça qu'elle voulait faire le film. Le tournage est très concentré dans le temps. C'est-à-dire qu'en fait, moi, les documentaires que j'ai faits se sont toujours faits sur une période de temps, un bloc de temps. J'ai jamais fait de film par session, comme c'est très souvent le cas en documentaire. Moi, j'ai toujours filmé un bloc. Et donc, L'île aux Trésors, c'était un très long bloc, parce que pour le coup, ça avait duré tout l'été, même jusqu'en septembre. Là, ça a été juste... trois semaines en juin. On a commencé début juin, puis on était jusqu'au 20 et quelques... Je crois qu'on a fini le jour de l'été, on a dû finir le 20 ou le 21 juin. Et donc, en fait, il fallait, sur une période comme celle-là, bon déjà, il fallait aussi jongler avec l'ensemble du temps, les cours, les épreuves du bac et tout ça. Et puis aussi leurs activités personnelles, leurs petites virées, etc., les week-ends et tout. Donc, en fait, il fallait organiser quand même assez précisément une sorte de plan de travail. Il fallait remplir les journées, quoi. Et remplir les journées en se disant, bon, tiens, le lundi, qui est disponible le matin Ah, ok, vous trois. Bon, alors peut-être on peut faire une scène avec vous trois dans votre dortoir. Et puis, ah tiens, l'après-midi, ah, vous avez ça. Bon, peut-être on peut aller filmer votre cours. Et puis, ah, peut-être qu'après, on pourrait faire une scène avec vous deux, puisque vous êtes disponibles. Enfin... Il y avait quelque chose comme ça, presque d'organiser un peu les journées. Et à partir de là, oui, de parler un petit peu ensemble. En fait, c'était aussi beaucoup rebondir sur ce qui les traversait à ce moment-là, sur ce qu'elles étaient en train de vivre. Donc, évidemment, rebondir sur les révisions du bac, sur les résultats de Parcoursup, sur cette séparation qui se profilait. Je ne sais pas trop quoi, en fait, essayer de raconter au mieux cette période qu'elles étaient en train de vivre. Bon, sachant qu'il y a aussi des moments qui ont été vraiment pris sur le vif. Mais c'est vrai que la plupart des scènes du film sont des scènes qu'on a pris le temps, en quelque sorte, de lancer ensemble. Mais ce qui n'empêchait pas qu'à un moment donné, quelqu'un rentre dans la chambre. Soit ça foutait en l'air la scène, soit finalement, ça la relançait, ça la rendait plus intéressante. Et puis il y a des scènes qu'on a faites aussi avec la complicité des surveillantes, enfin bon, des scènes qui sont des pures mises en scène, mais qui sont en fait... Des mises en scène qui sont nécessaires pour raconter certains moments que le film ne pourrait pas raconter sans ça. Et le film ne serait pas juste si ces moments-là, où les pionnes à moitié sérieuses et à moitié rigolantes cherchent les garçons dans les piôles parce que ça arrive tous les jours, ce petit jeu un peu du chat et la souris, qui mène beaucoup dans l'île aux trésors, mais qui a là aussi ce rapport à l'autorité. C'est pas une autorité très méchante, c'est une autorité assez goguenarde. Mais il y a quand même ce rapport-là entre les adultes et les jeunes que je trouvais vraiment important de capter. Et puis ça faisait partie aussi de... C'est quand même une région particulière, la Drôme, c'est des jeunes assez particuliers. C'est des jeunes un peu, comme il se définit, ce même babos. Et d'ailleurs, c'était compliqué au tournage aussi, parce qu'ils ne sont pas habitués du tout à obéir à qui que ce soit, et encore moins à un adulte. Ma position de réalisateur, je n'étais pas vraiment en mesure de leur dicter leur conduite. Il fallait vraiment un peu jongler avec leur désir de liberté et d'indépendance. Je pense qu'il y a vraiment la question du rapport au temps qui file et aux traces qu'on garde. Enfin bon, je ne sais pas comment dire. Je pense que c'est ça un peu qui traverse tous mes films. C'est à la fois essayer de capter des moments de vie et de présent, et à la fois des moments dont on sent qu'ils sont déjà... Ils sont déjà presque terminés. Je ne sais pas comment dire. C'est exactement la discussion qu'ont deux personnages, Aurore et sa copine, où elle parle de philo, sur ce que c'est que le présent. Je pense qu'il y a quelque chose qui est lié à ma vie, à mon parcours personnel. Je pense que mon rapport au cinéma a été beaucoup conditionné. Par la question de la disparition et de la mort, j'ai perdu un frère quand j'avais 20 ans et juste avant de basculer dans le cinéma. Et donc il y a ce rapport-là, je pense, à essayer de garder un souvenir et une trace des gens et des choses et des lieux, etc. Et que le cinéma était là un peu pour ralentir un tout petit peu le flux du temps. Donc peut-être, je pense que... profondément la mélancolie, elle vient de là en fait, elle vient de cette... Et ce qui est très troublant d'ailleurs, c'est que les jeunes filles de Seneca Ne Revoir m'ont dit avant le tournage qu'elles avaient l'intuition que le film allait parler de la perte et qu'elles avaient toutes perdu quelque chose, ou qu'elles étaient toutes en train de perdre quelque chose. Et après, c'est évidemment moi ce que je viens projeter aussi sur leur présent à elles et sur leur vie à elles, qui à la fois leur appartient, mais qui en fait résonne profondément avec ma vie à moi. Et là, sur ce film-là, c'était beaucoup la question du rapport à la paternité, et avec aussi toutes les angoisses qui pouvaient être rattachées à ça. Et je pense que ce n'est pas par hasard que j'ai... Alors évidemment, c'était très important pour elle à ce moment-là aussi, mais ce n'est pas par hasard que j'ai mis en avant le rapport d'Aurore à sa mère, le rapport de Nours à son père, et aussi, même si évidemment c'était central dans sa vie, la perte de sa sœur par Diane. C'est ça aussi qui est assez fascinant dans le documentaire, c'est quand on a l'impression de faire le portrait de gens qui ne sont pas du tout comme moi, et qu'en fait, en sculptant, en agençant toute cette matière, je me retrouve à parler de choses qui touchent de très près ma vie à moi. Moi, en tout cas, je sais que mon rapport au documentaire, c'est en fait, à partir de l'autre, à travers l'autre, finalement, raconter quelque chose de moi. Mais je ne serais pas capable de raconter moi de manière frontale, je ne serais pas capable de me mettre en scène moi. Donc, finalement, c'est... Mais c'est aussi en faisant beaucoup confiance au hasard, parce qu'en fait, je n'ai évidemment pas choisi ces jeunes filles-là parce qu'elles avaient vécu ça. Je n'ai pas du tout choisi Diane parce qu'elle a perdu sa sœur. Je ne savais pas du tout qu'elle avait perdu sa sœur. Elle faisait partie du groupe et... Mais à un moment donné, la vie crée des espèces de hasards et de correspondances qui sont très troublantes.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté ce podcast. Vous pouvez d'ailleurs retrouver tous les épisodes de Vision sur les plateformes, que ce soit Spotify, Deezer ou Apple, ainsi que nos actualités sur le site vision.photo ou sur notre Instagram at vision. Et si vous avez quelques secondes pour noter et laisser votre avis, ça nous aide aussi beaucoup. Donc je vous dis à très vite pour de nouvelles rencontres.

Description

Ce sont des rencontres inattendues, des moments de grâce au cœur de l’été, des sensations de tendresse et de liberté avec des envies de retourner à l’heure de l’adolescence : tout cela, on peut le ressentir lorsque l’on regarde un film de Guillaume Brac, réalisateur des magnifiques L'île au trésor ou À l’abordage.

Et alors qu’il revient avec Ce n’est qu’un au revoir, un documentaire qui plonge dans les dernières semaines d’un internat, on est allés à sa rencontre, pour mieux évoquer son parcours mais surtout sa manière d’envisager le cinéma, entre des fictions parfois très réelles et des mises en scène de la réalité.


🤝 Partenaire


MPB, la plus grande plateforme en ligne au monde pour acheter, vendre et échanger du matériel photo et vidéo d’occasion.

Bénéficiez de 5% de réduction avec le code MPBVIDEO5 jusqu'au 30 mars 2025 !
L'offre est uniquement valable pour les nouveaux utilisateurs.


🎙 Crédits


Un podcast réalisé et écrit par Louis Lepron, produit par Noyau.studio, monté et mixé par Virgile Loiseau et mis en musique par Charlie Janiaut.


✨ Liens  


Instagram - Vision(s)  

Site - Vision(s)



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Une production, un loyau studio.

  • Speaker #1

    Ce sont des rencontres inattendues, des moments de grâce au cœur de l'été, des sensations de tendresse et de liberté, avec des envies de retourner à l'heure de l'adolescence. Tout ça, on peut le ressentir lorsque l'on regarde un film de Guillaume Braque, réalisateur des magnifiques L'île au trésor ou à l'abordage. Et alors qu'il revient avec Ce n'est qu'un au revoir, un documentaire qui plonge dans les dernières semaines d'un internat, on est allé à sa rencontre. pour mieux évoquer son parcours, mais surtout sa manière d'envisager le cinéma entre des fictions parfois très réelles et des mises en scène de la réalité. Salut, c'est Louis. Vous écoutez Vision, le podcast d'Andy Ozyman. Cet épisode a été réalisé en partenariat avec MPB, la plus grande plateforme de matériel photo et vidéo d'occasion.

  • Speaker #0

    Tu me posais la question d'une scène qui serait une porte d'entrée dans mon cinéma. Une question pas facile, mais je prends une scène de mon documentaire L'île au trésor, qui est mon premier long métrage documentaire. dans lequel je raconte tout un été dans une base de loisirs de la région parisienne. Avant d'en venir à la scène, je vais peut-être juste dire qu'au début de ce tournage, je découvrais un peu le cinéma documentaire, je venais plutôt de la fiction, et j'avais l'idée un peu naïve et à mon avis fausse que faire du documentaire, c'est ne surtout pas intervenir sur le réel, ou en tout cas très peu, et un peu attendre que des miracles se produisent. Et j'ai compris au bout de... deux trois semaines et aussi à la faveur de discussions avec mon producteur Nicolas Thaumet que si je persistais dans cette approche là, il ne se passerait pas grand chose d'intéressant. Je ne m'amuserais pas beaucoup et finalement, ça créerait assez peu de liens avec les gens que je filme et le producteur notamment m'a encouragé à prendre beaucoup de liberté avec le documentaire. Il m'a dit après tout, le documentaire, c'est du cinéma et le cinéma, c'est de la mise en scène, donc le documentaire, c'est de la mise en scène aussi. Et en fait, voilà, c'est vrai que je me suis dit que la seule limite, c'est une forme d'honnêteté vis-à-vis des gens qu'on filme et de ne pas raconter n'importe quoi sur le réel. Mais si raconter quelque chose de vrai, de juste sur le réel, passe par de la mise en scène et par des situations qui peuvent être provoquées ou même rejouées, en fait, ça ne me pose en tout cas, moi, aucun problème. Et donc, j'en viens à cette scène à laquelle je pensais, qui est une scène où on voit un... un jeune homme qui travaille tous les étés dans cette base de loisirs, qui loue des pédalos et qui invite deux jeunes filles à le rejoindre après la fermeture de la base de loisirs pour sauter d'un pylône de téléski, ce qui est un peu une sorte de rituel initiatique qu'il a, une activité qu'il aime faire un peu avant la tombée de la nuit avec ses copains. Et ça, typiquement, par exemple, Ce jeune homme était vraiment un complice du film. Il s'appelle Jérémy. Il m'avait dit que c'était quelque chose qu'il avait absolument envie de me montrer et que ça puisse être dans le film. Et en fait, j'ai vu ces deux jeunes filles l'après-midi qui descendaient du pédalo. Et j'ai vu le regard qu'elles... Il faut préciser que ce Jérémy est assez séduisant. Et j'ai vu le regard qu'elles posaient sur lui, un petit peu séduite et admirative. Et donc je suis allé leur parler. Je leur ai dit, voilà, est-ce que vous avez un peu de temps devant vous Est-ce que ça vous intéresserait de participer à un film qu'on est en train de faire ici Et puis j'avais demandé aussi, d'ailleurs, j'avais eu le temps de demander à Jérémy s'il avait envie de, justement, pourquoi pas de proposer à ces jeunes filles d'aller sauter avec lui le soir du pylône. Donc en fait, j'ai fait un peu l'intermédiaire, presque, je les ai mises en relation. Et à tel point que tout le monde était tout à fait enthousiaste à cette idée. Et donc j'ai demandé aux deux jeunes filles si elles voulaient bien refaire leur arrivée sur le ponton au pédalo et que Jérémy aille cette fois-ci leur proposer lui-même cette petite excursion du soir. Et donc là, on était vraiment dans de la mise en scène pure, dans une situation qui était provoquée par moi. Mais en fait, une fois que le rendez-vous était pris, ce qui était génial, c'est que le réel est revenu très vite. Et en fait, avec mon chef opérateur Martin Ritt, après, on ne faisait plus que suivre le programme qui était décidé par Jérémy. Et en fait, on ne s'est même plus d'ailleurs autorisé à intervenir de quelque façon que ce soit. On ne leur a pas dit, est-ce que vous pourriez vous arrêter, attendre qu'on soit prêt, Roland Après, c'est devenu une scène purement documentaire que j'aime beaucoup et qui est extrêmement honnête et juste par rapport à la façon dont ce Jérémy envisageait ce lieu qui était un peu un champ des possibles, un terrain de jeu inépuisable, etc. Je pense que si j'avais attendu que ça arrive, ça ne serait sans doute jamais arrivé. Ça aurait été extrêmement pesant d'être là. à attendre miraculeusement qu'il ait envie de proposer à quelqu'un, que quelqu'un accepte, etc. Donc là, je suis intervenu. Et c'est vrai que c'est quelque chose, le fait de déclencher des situations et ensuite en quelque sorte de m'effacer, c'est quelque chose que j'ai beaucoup fait après, notamment dans le dernier film. Alors bon, il se trouve que le dernier film se passe... Il y a peut-être un peu moins de scènes d'action de ce type-là, donc ça me laissait plus la possibilité avec mon chef opérateur de décider d'un cadre au début. Et souvent ce cadre pouvait tenir toute la scène ou alors... On pouvait modifier le cadre en cours de route, mais sans interrompre le déroulement de la scène. Peut-être que parfois, ça pouvait m'arriver de les relancer dans une discussion, un point sur lequel les protagonistes étaient passés un peu vite, de leur dire attendez, est-ce que vous ne pourriez pas recreuser un petit peu ça ou peut-être de replacer légèrement l'une d'entre elles. Ou peut-être même de proposer à une troisième jeune fille d'intervenir à un moment donné dans la scène, de rejoindre la scène. ce genre de choses. Mais oui, donc oui, j'interviens. Mais jamais, par exemple, je vais leur proposer de parler de quelque chose dont elles ne m'ont pas parlé avant ou qui n'est pas quelque chose qui les concerne directement à ce moment-là. Je ne vais pas jamais imposer un sujet ou une situation qui n'aurait rien à voir avec leur vie. Je m'appelle Guillaume Braque et je réalise des films. des films de fiction, des films documentaires. Depuis 15 ans maintenant. Mon tout premier rapport à l'image, je pense que, comme la plupart des gens, l'image sur un écran, c'est un souvenir de cinéma, en l'occurrence. Je pense que mon premier souvenir de cinéma un peu marquant, je pense que c'est une séance de Pinocchio, probablement. Et je devais pas être très vieux, je devais avoir à mon avis 5 ans, quelque chose comme ça, 4-5 ans. Et j'avais été très marqué comme beaucoup d'enfants je pense par le ventre de la baleine. Après il y a eu évidemment énormément d'autres images marquantes, mais la liste serait un peu longue. Il y a plusieurs étapes, je pense qu'il y a les premiers films que j'ai vus autour de l'âge de 16 ans, les premiers films qui n'étaient en fait pas des films... d'action, de comédie, de divertissement, mais qui étaient des films qui parlaient tout simplement de rapports entre les gens, qui creusaient assez profondément des sentiments, des émotions. Là, j'ai compris. Je me souviens, j'ai vu à 16 ans un film de Bergman, Les Fraises Sauvages. Ça ne ressemblait pas du tout à ce que j'avais vu jusque-là. Je me disais, c'est fou. Je ne savais pas que le cinéma pouvait être quelque chose d'aussi intime. ou l'être d'une inconnue par exemple. J'avais rarement ressenti une émotion si forte devant un film. Mais le film, je pense qu'il m'a vraiment donné l'impression que le cinéma était quelque chose d'accessible, en tout cas que c'était quelque chose qui pouvait se faire d'une manière assez simple en fin de compte, et donc un peu plus accessible. C'est les films de Rosier notamment, d'abord, notamment du côté de Rouette, qui est ce film de vacances avec trois jeunes filles, et Bernard Menez. au milieu d'elle, dont on sent qu'il est tourné avec une équipe très restreinte et qui semble presque un peu enregistrée les journées les unes après les autres, qui m'avait très profondément touché, alors même qu'il se passait en apparence très peu de choses. Et là, c'est vrai que quand j'avais vu ce film, je m'étais dit peut-être que moi aussi je pourrais faire un film un jour. Ce qui n'était évidemment pas le cas quand je voyais à l'adolescence... Des films de Kubrick ou des films de Scorsese, ou ce genre de films. Là, le cinéma me paraissait un monde complètement lointain, inaccessible. Je n'ai pas de parents liés au cinéma. En revanche, j'ai quand même une mère qui est... Enfin, maintenant, elle est à la retraite, mais qui était prof de français, prof de lettres. et qui quand même je pense m'a transmis vraiment le goût des histoires, peut-être aussi le goût de l'écriture. Et donc enfant, en fait, et d'ailleurs je pense que mon approche du cinéma est d'abord passée par l'écrit, plus que par la technique ou l'image. Et j'ai jamais, contrairement à beaucoup de jeunes réalisateurs ou réalisatrices, j'ai jamais fait de petits films. dans le jardin avec des copains, etc. Je ne viens pas de l'image en fait. Je viens de l'écrit, mais ce qui est amusant c'est qu'en fait, assez vite, l'écrit s'est un peu effacé derrière justement la primauté de la scène, de la vie, du réel, de l'image, etc. Mais au départ, je viens de l'écrit. Il y a eu une suite peut-être d'erreurs d'orientation ou de changements d'orientation. À l'époque, j'étais un jeune homme assez timide et je n'avais pas une très grande confiance en moi, mais j'étais un très bon élève, scolairement j'étais un très bon élève. alors même que j'avais à l'évidence une sensibilité très littéraire et que ce que j'aimais vraiment c'était plutôt tout ce qui avait à voir avec la littérature, l'écriture. Et bien j'ai un peu suivi le conseil de mon père d'aller vers une classe préparatoire à HEC et de rentrer, ce qui m'a amené à rentrer à HEC. Au bout de quelques mois, je... J'avais un peu fait le tour et j'avais compris que c'était pas là que j'allais m'épanouir, que c'était pas là que j'allais trouver du sens, ce qui m'a empêché quand même d'aller jusqu'au bout. Mais à ce moment-là, essentiellement le cinéma en tête. J'ai quand même eu d'autres envies. J'étais attiré par le journalisme, le journalisme sportif, puis journaliste, puis la critique cinéma. J'hostilie un peu entre ces deux pôles-là. Ça avait toujours à voir avec l'écrit. Et puis je me suis mis à animer le ciné-club, là-bas justement à HEC, à voir énormément de films. Et puis pendant un stage, à l'occasion d'un stage dans une boîte de production, il y a un autre stagiaire qui était là avec moi, qui préparait le concours de la FEMIS. Donc moi je n'avais pas entendu parler parce que je ne connaissais pas de travail, je ne m'étais peut-être pas bien renseigné. Et puis à l'époque, Internet avait moins de place, donc je ne connaissais pas cette école. Et donc je me suis inscrit aussi à ce concours, je me suis inscrit en production, parce que je pensais que c'était là que je serais le plus utile ou le plus légitime. Et puis j'ai réussi le concours, et puis après, assez vite, dès la première année, je me suis rendu compte que quand même, j'avais du plaisir aussi à écrire des films, des petits films, des courts-métrages. et puis à les mettre en scène et que peut-être que j'avais moi aussi le droit de rêver de faire ça. Même si pour moi le cinéma a toujours été aussi un vecteur de beaucoup de stress et d'angoisse, ça n'a jamais été que du plaisir et ça m'a beaucoup soulagé un jour quand j'avais vu un cinéaste de notre temps. sur Ken Loach, et Ken Loach, on lui demandait s'il prenait du plaisir à faire des films, et puis il disait du plaisir, mais moi, pour le cinéma, c'est de l'angoisse, enfin, il y a peut-être 10% de plaisir, ça me dit, bon, ok, je ne suis pas le seul à être très angoissé, quand je fais un film, donc c'était pas que du plaisir, mais en tout cas, oui, j'avais l'impression qu'il y avait quelque chose d'assez épanouissant pour moi là-dedans, et que c'était presque une forme de besoin, de nécessité, quoi. De toute façon, c'est toujours très mystérieux pourquoi on a besoin, à un moment donné, d'exprimer, de s'exprimer. Je pense que pour plein de raisons, j'avais besoin de sortir des choses de moi et de faire des films. Alors, ce qui est amusant, c'est que finalement, d'une certaine manière, mes films ne me racontent pas directement. Enfin, en tout cas... Et puis finalement, mes films n'ont pas forcément toujours énormément de récits. C'est probablement un... une manière de regarder le monde, de regarder les gens, qui transparaît dans mes films, même si ce n'est pas raconté de manière littérale ou assez littérale des épisodes biographiques de ma vie. Je pense que ça a été une vraie chance, en fait. C'est vrai que moi j'avais 24 ans, mais il y avait autour de moi des étudiants, les plus jeunes, qui avaient 19 ans, 20 ans. Et j'en connais quelques-uns ou quelques-unes qui ont été un petit peu broyés par la pression de l'école, cette espèce de... Il y avait aussi ceux qui étaient en département réalisation et qui avaient en quelque sorte l'obligation de faire des films et qui devaient pondre des films comme ça chaque année et tous les regards étaient braqués sur eux. Et puis moi, finalement, j'avais une position un peu plus d'électron libre, un peu plus d'outsider qui était finalement peut-être plus rassurante. Mais c'est vrai que je pense qu'il fallait avoir fait des films tard et une chance. Et puis, c'était un désir tellement longtemps contenu. Et puis, j'ai eu le plaisir de faire des films. Je pense qu'il y a aussi une espèce de frustration qui s'est accumulée, qui fait qu'à un moment donné, j'ai pu... J'avais beaucoup de films à sortir. J'ai été assistant sur plusieurs courts-métrages, dès La Fémis, et puis après, les années qui ont suivi La Fémis, sur des cours essentiellement, mais j'ai fait deux longs comme assistant. Un film d'Arnaud Despallières qui s'appelle Parc et un film de Manuel Mouret qui s'appelle Un baiser s'il vous plaît C'est deux expériences assez différentes, mais dans les deux cas, je ne pense pas avoir été un très bon assistant. Je pense que j'étais très inexpérimenté. Et par ailleurs, je pense que ça m'a quand même aussi permis de comprendre ce que je recherchais sur mes tournages et peut-être ce que je voulais éviter. Ce qui n'est pas un jugement sur ces deux réalisateurs. Mais je me souviens notamment du film d'Arnaud Despallière. Je pense que je pourrais presque écrire un film là-dessus tellement c'était improbable ma position sur ce film, qui était un film très ambitieux artistiquement, qui était très sous-financé et qui a démarré tout de suite avec une très très forte tension sur le plateau. Et où en fait, faute de budget, il n'y avait pas de deuxième assistant réalisateur. Il y avait moi qui étais stagiaire et deuxième assistant. Et moi j'avais jamais mis les pieds sur un long métrage, j'avais fait que des courts métrages d'étudiants et il y avait une équipe qui avait déjà, dès les premiers jours, un peu le couteau entre les dents parce qu'il y avait des dépassements énormes de 3-4 heures toute la première semaine, temps par jour, des grosses tensions entre Arnaud Despallière et son chef opérateur, on sentait que la machine était un peu au bord de l'implosion et puis forcément dans ces cas-là, les techniciens ne pensent pas forcément beaucoup de bien du cinéaste. Moi j'entendais ça et je voyais ça et sans compter que moi je commettais plein de petites erreurs parce que je ne savais pas comment ça marchait en fait. L'organisation d'un plateau, l'organisation d'une équipe, avec les hiérarchies, je commettais plein d'impairs tout le temps. Les chaînes décisionnelles, etc. Et donc je me suis dit oui, je ne veux jamais vivre ça, je ne veux jamais faire un film où tout le monde me déteste, où il y a finalement... plein de camions de matériel, une espèce de lourdeur comme ça. Voilà. Et donc ça, ça m'a un peu vacciné. Et je me souviens que sur le film d'Emmanuel Mouret, c'était autre chose. En fait, je n'arrivais pas en fait à... Cette fois-ci, j'étais deuxième assistant. J'étais un vrai deuxième, j'étais plus stagiaire, mais je n'arrivais pas au fond à comprendre vraiment... Parce que ma mission principale au début en prépa était de chercher les décors. et notamment un décor qui était le décor principal du film, qui était un appartement. Le film se déroulait essentiellement d'appartements. Et moi, j'avais trouvé plein d'appartements que je trouvais hyper intéressants, que j'avais envie, moi, de filmer. Mais aucun ne convenait jamais au chef opérateur et à Emmanuel Mouret, parce qu'en fait, eux ne cherchaient pas un lieu qui ait une âme ou une atmosphère. Ce qui, moi, m'intéressait, eux, ils cherchaient en fait un décor de studio, un endroit qui pourrait après complètement... réaménager, rééclairer, il cherchait juste en fait une espèce de, je sais pas, presque comme un rectangle quoi, enfin voilà. Et donc, à chaque fois j'arrivais avec des propositions qui étaient sans cesse retoquées et c'était en plus un peu un moment où Emmanuel Mouret était un peu un tournant de sa carrière parce que moi je connaissais plutôt ses premiers longs métrages qui étaient tournés de manière très légère. avec des toutes petites équipes à Marseille, etc. Et puis là, il était quand même en train de basculer dans un cinéma beaucoup plus de studio, où le réel n'avait quasiment plus aucune place, en fait. Où les gens qu'on voyait dans les rues n'étaient plus des passants, mais des figurants, où tout était sous contrôle, en quelque sorte. Et ça, moi, clairement, ça me rendait malheureux. Ça ne m'intéressait pas du tout d'aller fouiller dans des fichiers de figurants professionnels et après de les recevoir, et puis de leur dire, voilà... il y aura trois tops, il faudra démarrer à ce moment-là. Ce n'était pas du tout ce qui m'excitait comme jeune aspirant réalisateur. Donc ça aussi, ça m'a appris un peu plus dans une forme d'opposition. Ça m'a fait très, très peur. Je me suis fait avoir très, très peur du cinéma comme quelque chose de professionnel ou comme quelque chose de trop sérieux. Et avec... Beaucoup d'organisation, beaucoup de gestion de l'équipe. Et c'est vrai que j'ai toujours eu une approche assez artisanale et presque encore un peu un amateur du cinéma. J'ai très peur de tout ce qui est trop professionnel. En tout cas, j'ai eu la chance, en fait, à cette époque-là, j'étais très ami. Après, on s'est éloigné un peu au fil des années, mais j'étais très proche de Stéphane Lemoustier, qui était en train de créer une société de production qui s'appelle Année Zéro, et à laquelle, du coup, j'ai participé avec lui à la création de cette société. Et ça m'a permis, en fait, pendant... après trois ans, d'être vraiment dans un artisanat et dans une fabrication un peu collective comme ça de projets de courts-métrages et de faire mes deux premiers courts-métrages, Le Naufragé et Un Monde Sans Femme, en fait comme producteur. Et donc de pouvoir faire à mon idée, à notre idée, d'une manière peut-être un peu insouciante, inconsciente et un peu naïve. Mais finalement, je pense que si j'avais dû passer par... une autre société de production, avec une forme d'autorité qui m'aurait dit c'est comme ça qu'on fait depuis le début, on fait ça comme ça sur nos autres films, il n'y a pas de raison que ce soit différent avec toi, etc. Je serais peut-être plus rentré dans un moule, et là, ça me permettait vraiment de faire les choses. Et puis, c'est quelque chose que j'ai gardé aussi, alors peut-être parfois c'est un peu agaçant pour les producteurs, mais cette tendance à me mêler de tout, en fait, dans la fabrication d'un film. Et j'ai beaucoup de mal à lâcher du début à la fin, comment dire... Évidemment, je vais faire moi-même mes repérages, etc. Mais je vais aussi aller visiter les logements dans lesquels peut-être on sera logé, l'équipe, les acteurs, les techniciens, etc. Je vais aller rencontrer la personne qui va faire les repas. Et tout ça, en fait, amène aussi quelque chose de très réel à la fabrication du film, ancre dans le lieu où on filme. Ça permet de rencontrer des gens, de découvrir des nouveaux décors. d'avoir plein d'idées. Mais c'est marrant parce que ça, après, à l'époque, je ne le savais pas. En lisant la biographie d'Eric Römer, j'ai compris que lui aussi avait un peu cette manière-là de se mêler de tout, de décider ce qu'on allait manger, etc. Lui, en plus, était assez économe. Mais c'est vrai que, par exemple, pour un film comme Un monde sans femme, ça reste un peu... On a toujours tendance à idéaliser, a posteriori, les expériences, mais ça reste quand même quelque chose de très beau avec une équipe d'une dizaine de personnes qui n'étaient pour ainsi dire que des amis, enfin des gens que vraiment je connaissais très bien. On était tous logés ensemble à l'époque encore un peu dans des chambres collectives avec des lits superposés, etc. On prenait tous nos repas au même endroit qui était le bar-restaurant où par ailleurs on tournait des scènes du film. Il y avait quelque chose de... de très humain et de très artisanal qu'on a en fabrication. Je ne supporte pas la hiérarchie, les histoires de chefs de poste, de je ne sais pas quoi, de chaîne de décision, de devoir d'abord prévenir le chef qui va ensuite transmettre à ses... Je trouve ça très bizarre. À l'époque, on avait tous le même salaire, enfin bon, c'était tout très égalitaire quoi. Bon, on était tous très mal payés aussi. D'autant que moi, j'ai un fonctionnement assez particulier, comme je suis beaucoup en proie aux doutes et que je suis assez angoissé, j'ai besoin de partager avec à peu près tout le monde, mais ça peut même être l'assistant de caméra ou le régisseur, mes interrogations, même des choix de mise en scène, etc. Ce qui est amusant, c'est que quand on débute... Je me souviens avoir entendu qu'il fallait surtout cacher ses inquiétudes et ses angoisses et rassurer l'équipe en paraissant très sûr de soi. C'est quelque chose que je n'ai jamais réussi à faire. Et je pense que finalement, ce n'est pas si grave si on est avec des gens bienveillants, avec qui il y a une belle relation. Ils peuvent accepter ça. Mais ça me rappelle d'ailleurs une anecdote concernant les frères Farrelly, dont j'aime beaucoup le travail, qui racontait que quand ils ont fait Domaine Number, ils n'avaient absolument aucune expérience du cinéma. et qu'ils ne savaient même pas comment ça se passait de travailler sur un plateau, et qui se sont dit, il y a deux options face à nous, soit on arrive devant l'équipe et on fait croire qu'on sait, et on essaye de faire, soit on réunit tout le monde et on dit, ok les gars, on n'a jamais fait un film, on ne sait pas ce que c'est que le cinéma, on ne sait pas ce que c'est qu'un tournage, est-ce que vous pouvez nous aider Et on fait ensemble. Après avoir beaucoup réfléchi, ils ont choisi la deuxième option, et ils se sont rendus compte que c'était la meilleure. Ils ont dit voilà nous on sait pas donc expliquez nous comment on fait un film, nous on débarque... Oui, cette espèce d'humilité-là. Mais alors oui, tu posais la question par rapport à Vincent McKenna. Vincent McKenna, c'était particulier parce qu'on était vraiment très proches et très amis. Donc bien sûr qu'on parlait du scénario. Pour autant, on n'a jamais écrit ensemble. Mais comme on se voyait beaucoup, on traînait beaucoup ensemble. Par exemple, ce film-là, on avait tourné avant un autre court-métrage ensemble qui s'appelle Le Naufragé. Et c'est un soir, je me souviens. On s'est dit, je ne sais même pas si c'est lui qui l'a dit ou moi en premier, on s'est dit tiens, quand même ce personnage, ce serait beau de voir comment il réagirait face à des femmes, et ce serait beau de le filmer l'été en maillot de bain plutôt que l'hiver en mitoufflé dans des vêtements qui cachent son corps, etc. Et c'est parti de ça, et on était au mois de mai, et on s'est dit bon bah ok, on fait ça cet été. J'ai écrit en... avec ma scénariste en un mois, un mois ou deux, le scénario. Puis Vincent Mackey, un soir, m'a dit, tiens, j'ai une copine comédienne dans ce bar, je reviens te la présenter, c'était l'heure qu'elle a mis. Et je me suis dit, elle est géniale, j'ai envie d'écrire pour elle. C'est des choses comme ça, c'est assez beau. Ça reste d'ailleurs sans doute, finalement, c'était mon premier film, pour ainsi dire, ça reste sans doute le plus beau tournage que j'ai vécu. Il y a eu évidemment des nuits épuisantes, des dépassements d'horaires, etc. Il y a eu plein de doutes et tout, mais quand même, oui, il y avait quelque chose de... Quand on fait un film dans un lieu qu'on aime, entouré de gens qu'on aime et qu'on admire, et où tout se mélange un peu, où tout se mélange un peu la vie, le cinéma et tout, c'est sûr que c'est super. Je pense que l'étape que je préfère c'est peut-être les repérages. J'adore les repérages. C'est le moment où plein d'idées de mise en scène viennent, où ça rebat les cartes du scénario, où les choses s'incarnent. Là, je sais par exemple que j'ai un merveilleux souvenir des repérages d'Alabordage. On a passé trois jours avec mon chef opérateur et à l'époque le directeur de production. Après, on était reparti avec mon assistant. On avait... On avait arpenté les campings en Ardèche et dans la Drôme. Je me souviens très bien du moment où on est arrivé en fin de journée dans le camping qui est devenu celui du film dans la Drôme à Dix. Et là, il y avait une espèce d'épiphanie, une espèce d'évidence que ça ne pouvait être que là. Il y avait une lumière magnifique. Tous les décors étaient exactement ceux que j'aurais pu rêver, très proches les uns des autres. Et là, d'un seul coup, le film devenait complètement concret. Donc ça, j'adore les repérages. Évidemment, j'adore la toute fin de l'écriture, le moment où on a une telle maîtrise de... D'ailleurs, ça ne m'est pas arrivé si souvent que ça, parce que finalement, mes films n'ont rarement été très écrits. Mais en tout cas, le moment où vraiment on maîtrise en quelque sorte la matière du film, et où on peut en quelques jours vraiment faire progresser beaucoup le scénario. Mais sinon, le moment que je préfère, c'est le montage. Et ça, ça s'est vraiment accentué. Avec le documentaire sur l'île au trésor, sur un pincement au cœur, ce n'est qu'un au revoir et tout. Et déjà, même avant, sur un autre documentaire que j'avais fait, le repos des braves sur des vieux cyclistes. En fait, l'écriture au montage et à quel point on peut faire énormément de mise en scène au moment du montage. Et en fait, vraiment écrire le film à ce moment-là. Et non plus justement l'écrire avec des concepts, des idées, des mots, comme on le fait au moment du scénario. Mais... Cette fois-ci, il écrit vraiment avec des plans, avec de l'image et du son. Et donc moi, en plus qui suis assez angoissé par l'écriture, là, d'un seul coup, c'est que du vivant qu'il faut sculpter et tout ça. Donc ça, le montage... Alors parfois, il y a des angoisses au montage aussi. Le montage de Snake and the Revoir a été difficile, mais par exemple, oui, si je pense au montage de L'île aux Trésors, c'était génial. De voir le film émerger progressivement, avec une première version qui faisait 6-7 heures, et puis petit à petit... de sculpter le film jusqu'à ce qu'il arrive à sa durée finale. On peut faire beaucoup de choses, surtout en documentaire, moins en fiction. Mais moins en plus que... C'est vrai qu'en tournage... Je pense que j'ai un peu de mal à avoir des idées très claires au moment du tournage. J'ai un peu quand même des principes ou des marottes de mise en scène, un rapport à certaines échelles de plan. Il y a une manière de filmer avec laquelle je me sens à l'aise, etc. Mais le tournage, pour moi, c'est aussi emmagasiner beaucoup de choses. Et c'est vrai que les... Les vraies idées de mise en scène, je trouve qu'elles viennent plutôt pour moi au montage. C'était une expérience très particulière, parce que je ne sais même pas d'ailleurs comment on y est arrivé, mais on m'avait juste appelé un peu à la dernière minute pour animer un atelier de trois semaines au conservatoire l'été. fin juin, début juillet, de cinéma. Il y avait un petit budget. Je ne savais même plus très bien quel était le cahier des charges. Mais le cahier des charges, je crois que c'était juste de tourner un peu des scènes avec les comédiens, les faire travailler devant la caméra. Et moi, j'avais accepté en disant que j'avais envie, pour moi, ça avait un intérêt si on essayait de faire un film et que ce ne soit pas juste un atelier. J'avais 16 acteurs et trois semaines. Au début, je m'étais dit je vais essayer de faire un long métrage de fiction, mais j'avais que quelques semaines pour écrire et pour préparer. Et puis faire un long métrage avec 16 acteurs, ça me paraissait très, très complexe. Et puis à un moment donné, j'ai eu la bonne idée, je pense, de me dire OK, j'ai trois semaines, je vais essayer de faire un court moyen métrage par semaine pendant trois semaines. Donc je vais diviser en trois groupes et on va enchaîner comme ça trois tournages en trois semaines. Et mon producteur, Nicolas Antomé, avec qui j'avais fait un documentaire, le Roboter Brave, juste avant, a accepté de me suivre là-dedans. Donc je pense qu'il a dû, à l'époque, rajouter un peu d'argent, lui, pour un peu payer les techniciens, etc. Enfin bon, on était quatre. Il y avait un chef op, un ingé son et un assistant et moi. Et en fait, le tournage de la première semaine s'est bien passé, mais le résultat était moins convaincant au montage. Et en revanche, les deuxièmes et troisième semaines ont produit une matière assez belle. Je n'ai pas eu conscience tout de suite, c'est vraiment au montage que je me suis rendu compte qu'en fait, il s'était passé quelque chose. Et là, pour le coup, tout le monde avait pris en charge l'écriture. Je me souviens que je demandais aux jeunes comédiens, vous ne voudriez pas écrire cette scène-là et celle-là aussi D'ailleurs, écrire, c'est un grand mot. De coup, eux, ils écrivaient un truc qui ne me convenait pas forcément, mais il y avait une idée de scène. Et en fait, au tournage, tous les dialogues étaient improvisés. Et parfois, on ne savait même pas ce qui se passait dans la scène. On savait juste que... Et les personnages à l'époque, d'ailleurs, avaient encore leur nom. On jouait un peu avec les rapports réels. Moi, je sais que la partie que je préfère, c'est la partie qui se passe à la cité universitaire. Et l'actrice principale, qui s'appelle Anne, comme le personnage... partait réellement de France. Elle était étudiante Erasmus, elle avait fait un échange en France, elle partait réellement juste après le tournage. On tournait réellement au moment du 14 juillet, il s'était malheureusement passé réellement les attentats de Nice pendant le tournage, en plein tournage. Et donc c'était très étonnant la façon dont la fiction et le réel communiquaient. C'était très très improvisé. Et c'est étonnant qu'après, finalement, il y ait eu un résultat qui tenait à peu près la route. Mais en fait, je dirais, même si j'ai beaucoup aimé l'expérience, puis j'étais aussi sans doute beaucoup moins stressé que d'habitude, parce qu'en vrai, personne n'attendait de moi qu'il y ait un film au bout. Donc, je pense que je me suis un peu plus amusé que d'habitude sur les tournages. En vrai, ce qui s'est passé aussi, c'est que ça a surtout été, je pense, l'esquisse... de deux films très importants pour moi. En fait, ça a donné l'île au trésor, parce que le fait de tourner pendant une semaine sur cette base de loisirs à Sergi Pontoise, j'avais déjà en tête depuis très longtemps, j'avais déjà un désir de documentaire là-bas, mais le fait d'y passer concrètement une semaine, à tourner tous les jours là-bas, ça a rendu beaucoup plus concret ce projet de documentaire et ça m'a permis l'été suivant de tourner l'île au trésor, qui est peut-être à ce jour le film dont je suis le plus fier, et cette expérience avec les jeunes communiens du conservatoire. a permis deux ans plus tard ou trois ans plus tard de tourner à l'abordage qui reste à ce jour mon plus grand succès. A l'évidence, les lieux pour mes films sont des personnages à part entière, et ça dès le début. Et en fait, ça a souvent été les lieux qui ont été à l'origine du désir de faire un film. En tout cas, ça a été le cas pour Le Naufragé, Un Monde Sans Femme, ça a été le cas pour Tonnerre, ça a été le cas évidemment pour L'Île aux Trésors, et ça a été le cas aussi pour Ce n'est qu'un au revoir. En fait, à chaque fois, c'est finalement faire un film dans un lieu qui est le désir premier. et d'essayer de capter quelque chose de l'âme ou de l'esprit de ce lieu. Et c'est vrai que ça ne me viendrait pas à l'esprit aussi de tricher avec un lieu, c'est-à-dire, comme on fait assez souvent, et puis après tout, ça ne me pose aucun problème sur les films des autres, mais d'aller chercher, d'éclater les décors et d'aller chercher pendant les repérages l'endroit idéal là, et puis 30 kilomètres plus loin, l'autre endroit pour telle scène, et puis ainsi de suite. Moi, j'ai besoin de... D'avoir une sorte de terrain de jeu comme ça, très cohérent et concentré, qu'on puisse après arpenter pendant le film, que ce soit en documentaire ou en fiction. C'est vraiment ce truc de terrain de jeu. Je me rappelle que j'avais eu ce sentiment-là très fort sur un film qui n'est sans doute pas mon meilleur, mais pour lequel j'ai une tendresse et sur lequel j'ai appris beaucoup de choses, qui est ce documentaire Le Repos des Braves. Je me rappelle qu'il y avait eu 24 ou 36 heures un peu... d'exaltation où les vieux cyclistes qu'on avait suivi étaient dans une sorte de centre de vacances au bord de la Méditerranée et où ils étaient un peu au repos pendant un jour ou deux et où là, d'un seul coup, après avoir été un peu en itinérance à les suivre sur la route, c'était assez épuisant. Ils étaient tous dans un périmètre de 300 mètres et on pouvait comme ça sauter d'une scène à une autre et capter un maximum de choses en très très peu de temps et juste en se promenant avec la caméra. Au fond, c'est un peu après ce qui s'est passé sur l'île au Trésor, d'avoir un périmètre très réduit, d'ouvrir les yeux et d'attraper quelque chose. Moi, je pense que les moments les plus importants, c'est les moments où j'allais passer la journée là-bas. J'étais d'ailleurs très intimidé, en fait, à ce moment-là, par le rapport aux gens. J'avais une très grande timidité à aller vers les gens. Donc, en fait, j'avais tendance plutôt à rester quelque part et puis à observer, à écouter et presque à faire un espèce de plan lumière de deux heures, je ne sais pas, près de l'entrée de la plage et à capter des bribes de discussion, des moments de jeu, de drague, de reski, etc. Et puis à observer, quoi. Ouais, à faire un peu des plans dans ma tête pendant des journées entières. Et je pense d'une certaine manière qu'on retrouve ça un peu dans la mise en scène du film, sans doute aussi, après. En tout cas, le film a plusieurs registres, mais il y a un registre un peu lumière dans le film. En tout cas, à rêver le film. Et puis au début, c'est vrai que je ressentais même une forme de... de timidité humaine, mais même aussi de timidité sociale. Socialement, ce n'était pas complètement mon monde. Je venais de Paris, en tout cas, je vivais à Paris. Il y avait des gens qui étaient, pour une grande partie d'entre eux, d'un milieu beaucoup plus modeste que le mien. J'entendais plein de langues, etc. je me posais presque une question aussi de légitimité, en fait, à aller comme ça, leur parler, les voir. Enfin, je me disais, mais qui je suis pour aller les interpeller, tout ça. Donc, j'ai mis longtemps, j'ai longtemps eu peur de ne pas réussir à faire ce film, que je n'arrive pas à combler cette distance-là sociale entre les gens et moi. Et ça s'est fait vraiment tout au long du tournage, en fait, ce chemin-là. Et je pense que la beauté du film, c'est qu'en fait, à un moment donné, c'est... Il y a quelque chose d'universel qui se produit, enfin comment dire, le film finit par capter quelque chose d'universel qui n'a plus vraiment à voir avec l'origine géographique, l'origine sociale, etc. Quelque chose en fait qui rassemble, enfin comment dire, une sorte de, à l'époque je me souviens que je parlais de dénominateur commun entre les gens, et au fond d'arriver à parler de mon enfance, de mes souvenirs d'enfance à travers d'autres gens que moi, c'était quelque chose où... Ce rapport au temps libre, au loisir, à la drague, au jeu, à la nature, à la contemplation, tout ça, finalement, est quelque chose d'universel et qui s'incarne dans des corps physiques et des corps sociaux différents, mais qui, en fait, est quelque chose d'universel. Je pense que c'est tout ce travail-là, la préparation du film et le tournage du film, ça a été ce travail-là, d'arriver à faire tomber des barrières. abolir des distances en quelque sorte. Mais ça a été passionnant et épuisant. Tous les jours, il fallait que j'aille vers les gens. C'était pas forcément ma nature, enfin même si... J'étais déjà beaucoup moins timide que quand j'étais jeune à ce moment-là, mais d'arriver à aller parler aux gens 15 fois, 20 fois, 30 fois par jour et puis leur expliquer que j'étais réalisateur, leur expliquer ma démarche qui était en fait même pas très claire dans ma tête et j'étais toujours en train de me demander quel film exactement on était en train de faire. Voilà, et de donner envie aux gens de m'aider à faire le film, de participer, de s'impliquer, c'était quelque chose d'épuisant mais... Mais il en est ressorti de matière très riche. Tous mes documentaires, on était quatre, c'est-à-dire ce qui est assez luxueux en documentaire, j'avais toujours quelqu'un à l'image, quelqu'un au son, et toujours une assistante qui était généralement quelqu'un de beaucoup plus jeune, et souvent une étudiante en cinéma. Et là, je me souviens que sur ce tournage, assez régulièrement, mon assistante Fatima, qui était un peu en électron libre sur le tournage, me parlait de quelqu'un qu'elle avait rencontré, etc. Et en fait, au début... A chaque fois, j'étais déçu parce qu'en fait, elle me ramenait un sujet, une problématique. Elle me ramenait quelque chose tout le temps de sociétal. Et ce n'était pas du tout ça, en fait, que je cherchais. Après, elle a compris et elle a trouvé des gens super pour le film, notamment les deux frères qu'on voit à la fin. Mais ce qui est très troublant, c'est en effet qu'il y a des gens, c'est très mystérieux, mais c'est des personnages et d'autres. qui sont très sympathiques, très intéressants, même peut-être très beaux, mais ce n'est pas des personnages. C'est très étonnant. Et moi, je crois qu'il y avait quand même quelque chose... En fait, je crois qu'à quelques exceptions près, j'avais besoin que les gens me fassent rire, qu'ils me fassent au moins sourire, qu'il y ait une part de comédie en eux, en tout cas qu'il y ait quelque chose d'un peu... soit d'un tout petit peu ridicule et touchant, soit d'un peu facétieux, d'un peu joueur, ou d'un peu hableur, ou d'un peu... Mais en fait, il fallait qu'il y ait quelque chose de l'ordre du jeu, de la comédie. Et dès que c'était trop sérieux, en fait, dès qu'il ne me faisait pas sourire, dès qu'il ne m'amusait pas, en fait, ça ne marchait pas. En fait, c'est un processus tellement progressif et tellement organique que j'ai pas souvenir qu'il était très douloureux pour moi. C'est-à-dire que... Alors évidemment, il y a des gens à qui je m'étais attaché sur le tournage, j'étais un peu triste pour eux, je me disais, c'est con, ça leur aurait fait plaisir d'être dans le film, et puis on avait passé un petit peu de temps ensemble. Même si quand même, la plupart des gens qui sont dans le film, finalement, c'est des gens avec qui j'ai passé... quelques heures ou un jour, deux jours, trois jours, mais jamais tellement plus parce qu'en fait c'est un lieu qui brasse tellement de monde qu'en fait... Même des scènes qui peuvent être assez longues dans le film, même des gens qu'on voit assez longtemps dans le film, finalement peut-être qu'on a tourné trois jours avec eux, ou parfois même juste deux heures avec eux. Il y en a peut-être un ou deux qui étaient un peu déçus ou un peu énervés d'avoir été coupés. Mais en fait, ce qui est complètement fascinant avec le montage, c'est qu'au fur et à mesure où la matière se réduit, au fur et à mesure où on coupe des choses, ça donne tellement de force à ce qui reste, et ça met tellement en relief d'autres scènes. Moi, je ne peux pas m'empêcher de voir le film dans sa globalité. Et c'est vrai que je pense qu'il y a des cinéastes qui ont du mal à couper et qui ont peut-être un rapport très affectif à la matière. Moi, je ne sais pas, j'ai un rapport affectif au film, en fait. Et je sens que le film est meilleur sans certaines scènes. Et même si j'avais une tendresse pour les scènes, en fait, ces scènes, je les oublie assez vite. Et après, je ne saurais même pas te dire, alors que pourtant, il y avait 200 heures de rush. Et la première... La mouture de montage durait entre 6 et 7 heures. On a coupé énormément de choses avec ma monteuse Karen. Je ne saurais même pas très bien dire quelle scène on a coupée maintenant. Je ne m'en souviens même plus. À l'abordage, c'était un processus. très particulier encore et assez intéressant. Un peu, d'ailleurs, même si c'est évidemment un film de fiction, mais il y a quelque chose de très documentaire dans la démarche, parce qu'en fait c'est un film qui m'a été commandé par le Conservatoire d'Art Dramatique, et l'idée était d'écrire pour une promotion de jeunes comédiens et comédiennes qui avaient, à l'époque, jamais fait de cinéma encore, et moi j'avais pas du tout... a priori d'histoires en tête à raconter avec eux. Donc c'était vraiment... Moi, j'étais très clair sur le fait que j'allais les rencontrer, parler avec eux de leur vie, de leur parcours, etc. Et que l'écriture allait naître de ces échanges-là. Que le désir du film allait naître de ces rencontres. Et donc les personnages ont été très nourris par les acteurs. Après, c'est moi et ma scénariste aussi. Catherine Payet, ce qu'on projette sur eux. Donc c'est un mélange de réalité et de projection. Mais les personnages sont du coup très très très ancrés. C'est comme s'ils avaient tous des racines dans le réel. J'avais aucune histoire au préalable. Par contre, après les avoir rencontrés, après avoir choisi le noyau dur avec qui j'avais travaillé, on avait quand même cherché en amont une histoire, mais on ne s'était pas du tout arrêté sur quoi que ce soit avec Catherine. On avait un peu des vagues pistes comme ça. Et après, une fois que je les ai rencontrés, assez rapidement, on est parti sur cette idée de, pas vraiment de road movie, mais en tout cas de déplacement comme ça de personnages l'été, de camping, d'un duo, d'un trio de copains, de mecs qui allaient suivre une fille, etc. On est arrivé assez vite à ça, mais c'était vraiment juste une espèce de petit schéma narratif, de petit squelette narratif. Et puis après, ça s'est nourri de beaucoup... beaucoup de travail d'improvisation avec eux. Il y a eu un atelier de trois semaines où je les ai lancés sur des situations comme ça, très basiques d'improvisation. Et puis, petit à petit, il y a des idées de scène qui ont émergé. Les personnages se sont un peu affinés. C'était tout un processus. Et c'est seulement d'ailleurs quelques jours avant le tournage qu'ils m'ont demandé de transformer leur prénom et qu'en fait, ils ne portent pas leur vrai prénom dans le film. Certains ont voulu garder leur vrai prénom, mais d'autres ont changé. Salif est devenu shérif, Asma est devenu Alma. Pour vraiment marquer la limite entre le documentaire et la fiction, et qu'ils sachent qu'ils ne sont pas eux-mêmes, mais qu'ils sont des personnages de fiction. Mais c'est vrai que d'ailleurs, c'est vraiment un peu un problème que j'ai. On a eu d'innombrables discussions là-dessus avec Vincent Macaigne. J'ai beaucoup de mal à m'affranchir d'un rapport un peu documentaire aux acteurs et au cinéma de fiction. J'ai besoin en quelque sorte d'extrapoler quelque chose que j'observe, que je sens chez le comédien ou la comédienne, et d'en tirer en quelque sorte un matériau de fiction. Mais j'ai besoin de partir de quelque chose que j'observe et que je ressens de cette personne. Et si par exemple Vincent Mackay... Oui. et un acteur qui tourne beaucoup, qui a beaucoup de succès. Il y a certains personnages que je vais avoir beaucoup de mal à l'imaginer dans la peau de certains personnages. Enfin, je vais avoir presque beaucoup de mal finalement à l'imaginer jouer autre chose qu'un acteur, parce que c'est un acteur que j'ai sous les yeux. Donc ça, c'est un vrai problème que j'ai par rapport à la fiction depuis quelques années. C'est un problème de croyance, d'arriver à m'affranchir vraiment du réel et de ce que sont les gens. Disons que là, pour le coup, quand même à l'abordage, il n'y avait pas de scénario entièrement écrit, mais il y avait quand même un séquencier précis, scène par scène, avec une grande partie des dialogues au style indirect et une autre partie des dialogues au style direct, qui pour beaucoup ont été trouvés et affinés juste avant le tournage, où j'ai refait une sorte d'atelier pendant deux semaines en plein air dans un parc. à Paris où je les réunissais et je leur faisais jouer la plupart des situations du film. Et puis j'enregistrais comme on le fait là maintenant. Et après, je notais certains dialogues que je trouvais intéressants. Ce qui fait que quand on a attaqué le tournage, il y avait des scènes qui étaient déjà très précises et d'autres qui l'étaient moins. Et en tout cas, il y avait quand même le plus souvent une marge de liberté qui était, je ne sais pas, selon les scènes, de 10, 20, 30 sur l'improvisation. Et ça dépendait d'ailleurs des comédiens. Certains étaient plus à l'aise que d'autres dans l'improvisation, certains avaient besoin de choses beaucoup plus précises. En particulier, les deux personnages principaux étaient très forts, très à l'aise là-dedans. Eric Nunchong et Salif Sissé. Les scènes entre eux, il y a beaucoup de choses qui fusent dans les dialogues, qui sont un peu improvisées sur le tournage. Je sais par exemple qu'Edouard, lui, avait besoin de choses plus précises. Anna Blagojevic, qui joue la jeune maman, avait aussi besoin de choses souvent plus précises. Parler de la mise en scène... C'est vrai que c'est un film, et ça c'est le cas sur pas mal de mes films, dans lequel il y a quand même une caméra qui est majoritairement sur pied, beaucoup de plans fixes quand même, souvent des plans qui ne sont pas très serrés, qui sont souvent des plans assez larges, souvent des plans avec deux ou trois personnages, et des plans qui peuvent durer assez longtemps. Et avec cette idée de... que la mise en scène est presque plus là pour arracher une sorte de bloc de temps et de bloc de vie, plus que pour vraiment guider le regard du spectateur sur des éléments narratifs de l'histoire. C'est presque plutôt pour plonger le spectateur dans une succession de moments. Et dans ces moments, il se passe des choses entre les personnages. Mais ce qui compte, c'est autant le moment lui-même que ce qui s'y passe. Je ne sais pas comment dire. Il y a quelque chose de l'atmosphère du lieu, de l'atmosphère de la saison, de l'atmosphère de l'horaire auquel on tourne, que l'échelle du plan, qui est souvent une échelle assez large, permet sans doute de capter. Alors ce n'est pas systématique, il y a aussi dans ce film des scènes qui sont en champ contre champ, qui sont d'ailleurs souvent des scènes qui visent justement un peu à séparer les personnages, peut-être à appuyer certains clivages qu'il peut y avoir entre les personnages, mais finalement les scènes les plus fortes du film sont des scènes où les personnages sont réunis dans le même cadre. J'ai enchaîné deux films, L'île au trésor et L'abordage, qui sont des films à 90-95% en extérieur. Très très très peu d'intérieur dans la scène de film. Et c'est vrai que Ce n'est qu'un au revoir pour le coup. Et d'ailleurs Un pincement au cœur est quand même un film intermédiaire, mais où il y a pas mal d'extérieur aussi quand même. Il y a beaucoup de scènes dans la cour et tout ça. Il y a peut-être en effet une proportion plus grande d'intérieur dans Ce n'est qu'un au revoir. Il se trouve que j'avais déjà filmé Dix, puisque j'ai tourné ce film dans la même ville qu'à l'abordage. Et d'une certaine façon, j'avais peut-être un désir beaucoup moins fort de cinéma. C'était même presque que j'évitais de refilmer un même lieu. J'avais pas eu toute l'envie de refilmer des lieux que j'avais déjà filmés dans l'abordage. Et là où pour moi le réel me touchait le plus, c'était dans les chambres. Et je me souviens que pour la première fois, ils m'ont invité... dans leur dortoir, notamment la chambre d'Aurore, Nours et Jeanne, qui est un peu le cœur pour moi du film. Je me suis dit, ok, le film, c'est ça le film. C'est ce privilège-là, en quelque sorte, d'être invité dans ces chambres, dans ces couloirs. Moi, je n'ai jamais été interne. Je n'ai jamais vraiment partagé la chambre de mes amis. Je n'ai jamais eu cette intimité-là. Et ça me touchait beaucoup, en fait. Et après... Petit à petit, j'ai aussi mis des mots et des pensées là-dessus. J'ai compris petit à petit que ces chambres et cet internat étaient aussi un peu une sorte de foyer, de refuge pour les protagonistes, que beaucoup d'entre elles avaient des grosses blessures familiales et que c'était recréer une sorte de deuxième famille. Et que le film permettait d'être au cœur de cette deuxième famille. Sachant que l'autre famille reste toujours dans le hors-champ du film. Ce qui est d'ailleurs aussi le cas dans Un pincement au cœur. Mais donc j'avais énormément de plaisir à filmer ces chambres en fait. Et d'ailleurs Alan, le chef opérateur aussi, il y avait quelque chose d'assez vivant sur les murs, les couleurs, enfin évidemment les murs qui étaient couverts d'affiches, de cartes postales, de photos, tout ça, et puis même la couleur des murs, enfin une chambre un peu rose, une autre un peu jaune, une autre un peu verte, enfin bon il y avait souvent des décors un peu ingrats visuellement mais qui… Je pense qu'ils avaient une âme aussi parce que c'est des lieux qui voient chaque année défiler une nouvelle génération de jeunes. Et c'est comme si ces chambres étaient quand même un peu habitées par... Enfin bon, je trouvais que c'était des lieux qui vibraient quand même. En fait, j'avais tourné ce premier film avec des lycéennes qui s'appellent un prince manqueur, qui lui s'était fait dans un cadre particulier d'une commande. Je m'étais retrouvé à aller faire un film dans un lieu que je ne connaissais pas, qui était Nimbomont, avec un groupe qui avait été constitué en dehors de moi, en quelque sorte. Et j'ai eu envie de prolonger ce premier film en explorant un peu à nouveau la question du lien amical. Mais cette fois-ci, j'avais envie de filmer plus à l'échelle d'un groupe. Et donc, je suis allé au lycée de Dix, parce que j'étais en train de m'installer dans la région tout près de ce lycée. C'était l'endroit le plus proche. pour moi et ça me semblait C'est sans doute le meilleur moyen d'aborder un groupe de jeunes, de passer par le lycée. Et de fil en aiguille, assez vite, j'en suis arrivé à l'idée que j'avais envie de filmer des terminales, plutôt vers la fin de l'année et plutôt interne. Ça s'est fait un peu progressivement, mais en fait, même si j'étais très bien accueilli dans le lycée, ça n'a pas été si simple parce qu'en fait, c'était assez intimidant comme demande. Et puis, il y avait aussi une question d'emploi du temps, une peur de l'engagement. C'était une année un peu sous pression. certains prenaient la vie un peu côté détente, mais il y avait quand même une certaine pression de la terminale et du bac et de parcours sup et de plein de choses. Et donc, en fait, finalement, personne n'est venu spontanément faire acte de candidature pour le film. Aucun groupe, parce que j'avais précisé que moi, je voulais filmer un groupe. Et donc, j'étais un peu sur le point de renoncer à ce projet de film, quand je suis tombé vraiment par hasard en allant faire mes courses au marché de D. sur plus ou moins ce groupe là, enfin ils étaient pas tous là, elles étaient pas toutes là, mais c'était plus ou moins ce groupe là qu'on voit dans le film, devant le lycée, qui fumait une cigarette et qui m'ont dit bah alors où est-ce que ça en est le film parce que nous on est super motivés et tout ça donc j'étais très surpris quoi parce que je me disais mais je savais pas que j'étais motivé, personne me l'a dit quoi, je me disais mais si si si si si nous ça nous intéresse beaucoup et tout on a vachement envie À ce moment-là, elles m'ont dit à peu près la même chose que ce que m'avait dit déjà Jérémy, dont je parlais tout à l'heure, le loueur de pédalos, mon îlot trésor, qui m'avait dit que ce film était important pour lui parce qu'il voulait garder une trace de sa jeunesse et qu'il voulait pouvoir montrer à ses enfants et ses petits-enfants plus tard ce qu'avait été sa jeunesse. Ce qui m'avait à l'époque beaucoup plu et touché. Et là, elles m'ont dit à peu près la même chose, qu'en fait, elles avaient envie de garder un souvenir de leurs années. dans cet internat, a dit qu'elle avait été les années les plus importantes de leur vie et que c'était pour ça qu'elle voulait faire le film. Le tournage est très concentré dans le temps. C'est-à-dire qu'en fait, moi, les documentaires que j'ai faits se sont toujours faits sur une période de temps, un bloc de temps. J'ai jamais fait de film par session, comme c'est très souvent le cas en documentaire. Moi, j'ai toujours filmé un bloc. Et donc, L'île aux Trésors, c'était un très long bloc, parce que pour le coup, ça avait duré tout l'été, même jusqu'en septembre. Là, ça a été juste... trois semaines en juin. On a commencé début juin, puis on était jusqu'au 20 et quelques... Je crois qu'on a fini le jour de l'été, on a dû finir le 20 ou le 21 juin. Et donc, en fait, il fallait, sur une période comme celle-là, bon déjà, il fallait aussi jongler avec l'ensemble du temps, les cours, les épreuves du bac et tout ça. Et puis aussi leurs activités personnelles, leurs petites virées, etc., les week-ends et tout. Donc, en fait, il fallait organiser quand même assez précisément une sorte de plan de travail. Il fallait remplir les journées, quoi. Et remplir les journées en se disant, bon, tiens, le lundi, qui est disponible le matin Ah, ok, vous trois. Bon, alors peut-être on peut faire une scène avec vous trois dans votre dortoir. Et puis, ah tiens, l'après-midi, ah, vous avez ça. Bon, peut-être on peut aller filmer votre cours. Et puis, ah, peut-être qu'après, on pourrait faire une scène avec vous deux, puisque vous êtes disponibles. Enfin... Il y avait quelque chose comme ça, presque d'organiser un peu les journées. Et à partir de là, oui, de parler un petit peu ensemble. En fait, c'était aussi beaucoup rebondir sur ce qui les traversait à ce moment-là, sur ce qu'elles étaient en train de vivre. Donc, évidemment, rebondir sur les révisions du bac, sur les résultats de Parcoursup, sur cette séparation qui se profilait. Je ne sais pas trop quoi, en fait, essayer de raconter au mieux cette période qu'elles étaient en train de vivre. Bon, sachant qu'il y a aussi des moments qui ont été vraiment pris sur le vif. Mais c'est vrai que la plupart des scènes du film sont des scènes qu'on a pris le temps, en quelque sorte, de lancer ensemble. Mais ce qui n'empêchait pas qu'à un moment donné, quelqu'un rentre dans la chambre. Soit ça foutait en l'air la scène, soit finalement, ça la relançait, ça la rendait plus intéressante. Et puis il y a des scènes qu'on a faites aussi avec la complicité des surveillantes, enfin bon, des scènes qui sont des pures mises en scène, mais qui sont en fait... Des mises en scène qui sont nécessaires pour raconter certains moments que le film ne pourrait pas raconter sans ça. Et le film ne serait pas juste si ces moments-là, où les pionnes à moitié sérieuses et à moitié rigolantes cherchent les garçons dans les piôles parce que ça arrive tous les jours, ce petit jeu un peu du chat et la souris, qui mène beaucoup dans l'île aux trésors, mais qui a là aussi ce rapport à l'autorité. C'est pas une autorité très méchante, c'est une autorité assez goguenarde. Mais il y a quand même ce rapport-là entre les adultes et les jeunes que je trouvais vraiment important de capter. Et puis ça faisait partie aussi de... C'est quand même une région particulière, la Drôme, c'est des jeunes assez particuliers. C'est des jeunes un peu, comme il se définit, ce même babos. Et d'ailleurs, c'était compliqué au tournage aussi, parce qu'ils ne sont pas habitués du tout à obéir à qui que ce soit, et encore moins à un adulte. Ma position de réalisateur, je n'étais pas vraiment en mesure de leur dicter leur conduite. Il fallait vraiment un peu jongler avec leur désir de liberté et d'indépendance. Je pense qu'il y a vraiment la question du rapport au temps qui file et aux traces qu'on garde. Enfin bon, je ne sais pas comment dire. Je pense que c'est ça un peu qui traverse tous mes films. C'est à la fois essayer de capter des moments de vie et de présent, et à la fois des moments dont on sent qu'ils sont déjà... Ils sont déjà presque terminés. Je ne sais pas comment dire. C'est exactement la discussion qu'ont deux personnages, Aurore et sa copine, où elle parle de philo, sur ce que c'est que le présent. Je pense qu'il y a quelque chose qui est lié à ma vie, à mon parcours personnel. Je pense que mon rapport au cinéma a été beaucoup conditionné. Par la question de la disparition et de la mort, j'ai perdu un frère quand j'avais 20 ans et juste avant de basculer dans le cinéma. Et donc il y a ce rapport-là, je pense, à essayer de garder un souvenir et une trace des gens et des choses et des lieux, etc. Et que le cinéma était là un peu pour ralentir un tout petit peu le flux du temps. Donc peut-être, je pense que... profondément la mélancolie, elle vient de là en fait, elle vient de cette... Et ce qui est très troublant d'ailleurs, c'est que les jeunes filles de Seneca Ne Revoir m'ont dit avant le tournage qu'elles avaient l'intuition que le film allait parler de la perte et qu'elles avaient toutes perdu quelque chose, ou qu'elles étaient toutes en train de perdre quelque chose. Et après, c'est évidemment moi ce que je viens projeter aussi sur leur présent à elles et sur leur vie à elles, qui à la fois leur appartient, mais qui en fait résonne profondément avec ma vie à moi. Et là, sur ce film-là, c'était beaucoup la question du rapport à la paternité, et avec aussi toutes les angoisses qui pouvaient être rattachées à ça. Et je pense que ce n'est pas par hasard que j'ai... Alors évidemment, c'était très important pour elle à ce moment-là aussi, mais ce n'est pas par hasard que j'ai mis en avant le rapport d'Aurore à sa mère, le rapport de Nours à son père, et aussi, même si évidemment c'était central dans sa vie, la perte de sa sœur par Diane. C'est ça aussi qui est assez fascinant dans le documentaire, c'est quand on a l'impression de faire le portrait de gens qui ne sont pas du tout comme moi, et qu'en fait, en sculptant, en agençant toute cette matière, je me retrouve à parler de choses qui touchent de très près ma vie à moi. Moi, en tout cas, je sais que mon rapport au documentaire, c'est en fait, à partir de l'autre, à travers l'autre, finalement, raconter quelque chose de moi. Mais je ne serais pas capable de raconter moi de manière frontale, je ne serais pas capable de me mettre en scène moi. Donc, finalement, c'est... Mais c'est aussi en faisant beaucoup confiance au hasard, parce qu'en fait, je n'ai évidemment pas choisi ces jeunes filles-là parce qu'elles avaient vécu ça. Je n'ai pas du tout choisi Diane parce qu'elle a perdu sa sœur. Je ne savais pas du tout qu'elle avait perdu sa sœur. Elle faisait partie du groupe et... Mais à un moment donné, la vie crée des espèces de hasards et de correspondances qui sont très troublantes.

  • Speaker #1

    Merci d'avoir écouté ce podcast. Vous pouvez d'ailleurs retrouver tous les épisodes de Vision sur les plateformes, que ce soit Spotify, Deezer ou Apple, ainsi que nos actualités sur le site vision.photo ou sur notre Instagram at vision. Et si vous avez quelques secondes pour noter et laisser votre avis, ça nous aide aussi beaucoup. Donc je vous dis à très vite pour de nouvelles rencontres.

Share

Embed

You may also like