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#15 Team Building : quand le fun devient absurde – avec Thomas Simon cover
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Psyboulot

#15 Team Building : quand le fun devient absurde – avec Thomas Simon

#15 Team Building : quand le fun devient absurde – avec Thomas Simon

28min |01/06/2025
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#15 Team Building : quand le fun devient absurde – avec Thomas Simon

#15 Team Building : quand le fun devient absurde – avec Thomas Simon

28min |01/06/2025
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Description

Pourquoi les entreprises s’acharnent-elles à organiser des sessions de team building ?

Pour créer du lien ? Renforcer la cohésion ? Améliorer la marque employeur ?


Dans cet épisode de Psyboulot, Thomas Simon, enseignant-chercheur à Montpellier Business School, partage les résultats d’une étude menée auprès de jeunes diplômés sur leur expérience du team building.


Et le constat est sans appel : malaise, absurdité, infantilisation. Le fun ne se décrète pas. Et la cohésion ne se pilote pas depuis un fichier Excel.


Un épisode essentiel pour tous ceux qui veulent repenser le travail d’équipe, sortir des dogmes managériaux, et remettre du sens (et du bon sens) dans les collectifs.


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur Psyboulot, le podcast qui éclaire les coulisses du boulot. Je suis Marie-Claire Valentini, dirigeante EDRH. Je partage avec vous et mes invités mes interrogations et réflexions sur le monde professionnel. C'est après avoir étudié la psycho que j'ai eu envie de créer Psyboulot, un podcast qui décrypte les comportements humains et les dynamiques en entreprise. Ici, pas de pensée magique, pas de recette unique. Je vous donne rendez-vous à chaque épisode pour un nouveau défi du monde du travail. Hello, aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir à mon micro Thomas Simon. Bonjour Thomas.

  • Speaker #1

    Bonjour et merci de m'accueillir.

  • Speaker #0

    Je vous propose de commencer en vous présentant.

  • Speaker #1

    Alors, moi du coup je suis Thomas Simon, je suis professeur de ressources humaines à MBS School of Business sur le campus de Montpellier depuis trois ans. Avant cela, j'ai eu un double cursus académique, à la fois en management et en sciences de gestion, puisque je suis diplômé de deux masters en gestion et de deux masters en sciences humaines, un en philosophie et un en lettres modernes. Et pendant mes années d'études, j'ai travaillé sur différents sujets, que ce soit l'ennui en réunion, le suicide ou encore la prostitution. Et j'ai conclu ce parcours par une thèse en sciences de gestion à ESCP Business School à Paris pendant quatre ans. Et le thème, c'était quoi ? C'était de se questionner sur la façon dont les jeunes diplômés font face aux situations absurdes en entreprise. Parmi les sources de situations absurdes en entreprise, le team building s'est naturellement imposé comme un thème de choix.

  • Speaker #0

    Super. Alors, vous avez publié d'ailleurs une étude avec Xavier Philippe, faite à partir de 35 entretiens avec des jeunes diplômés, justement sur leur vécu du team building. Et moi, j'avais envie de vous demander, qu'est-ce qui vous a donné envie de creuser ce sujet qui m'a beaucoup intéressé à titre personnel ?

  • Speaker #1

    Alors, deux raisons principales. Il y avait tout d'abord un effet de mode. Le team building, c'est un sujet dont la presse est friande. C'est aussi un... un dispositif qui est plébiscité par les entreprises pour se donner une image fun, dynamique. Et d'ailleurs, la pop culture n'hésite pas à créer des épisodes parodiques sur l'absurdité de ces sessions. Je pense ici à Caméra Café, au Palma Show, qui ont développé des petits numéros autour des sessions de team building pour en dénoncer les errances et les absurdités. Il y avait donc un intérêt spécifique à creuser ce sujet d'un point de vue scientifique. D'autant plus que les études qu'on a consultées avec mon collègue Xavier Philippe, Elles se sont penchées sur les liens entre team building d'un côté et performance de l'autre, sans jamais démontrer de façon concrète que le team building améliore la performance des équipes. Il y avait donc une opportunité pour creuser ce sujet en donnant la parole aux participants à qui on impose le team building sans jamais réellement leur demander leur avis.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, est-ce que vous pouvez peut-être nous redire d'où vient le terme team building ?

  • Speaker #1

    Oui, alors il nous vient, comme la plupart des pratiques managériennes, il nous vient des États-Unis. Il nous vient des États-Unis dans les années 80. C'est donc un anglicisme. Et donc, littéralement, ça signifie construction d'équipe. Donc, on imagine qu'avec le team building, ça va être la mise en place de dispositifs par le management pour améliorer les liens, tisser des liens avec les salariés et donc construire une équipe à partir de cela.

  • Speaker #0

    Alors, le team building, c'est censé renforcer les liens, améliorer l'ambiance, booster la performance. Pourquoi ça reste aussi présent dans les entreprises malgré des critiques croissantes ?

  • Speaker #1

    Alors, je vois deux raisons principales à cet engouement des entreprises pour le team building malgré les critiques. Tout d'abord, il y a un enjeu de marque employeur avec des entreprises qui mènent une lutte sans merci pour attirer, retenir les jeunes générations en se donnant une image fun et décontractée. Les entreprises, elles sont convaincues que c'est le fun qui va permettre d'attirer les jeunes talents et que le team building, c'est un outil parfaitement adapté pour cela. dans le même esprit qu'installer un baby-foot, organiser des tournois de fond sur la pause de midi. Et on verra que ce n'est pas si simple que ça, parce que les indépendants ne sont pas nécessairement réceptifs à tous ces stratagèmes manageriaux qui imposent et mettent en scène le fun au travail. Deuxième raison, selon moi, pour ce plébiscite, malgré des critiques croissantes, c'est que le team building, c'est une solution relativement facile à mettre en place. On paye une agence d'événementiel, ou on fait venir un coach qui va nous fournir un événement clé en main. Donc même si le T-building, ça a un coût, Cela reste toujours moins cher et surtout moins consommateur de matières grises que de repenser de fond en comble ce qui ne fonctionne pas dans le quotidien de travail. C'est donc une solution de facilité, une sorte d'écran de fumée, pour ne pas se questionner sur ce qui ne tourne pas rond dans les pratiques de travail. Manque d'autonomie, procédures toujours plus contraignantes, objectifs impossibles à atteindre. Bref, on met en place des dispositifs qui sont par nature temporaires et donc illusoires, ce qui va détourner des vrais problèmes sans les traiter par la suite.

  • Speaker #0

    100% d'accord. Alors justement, je voudrais qu'on s'attarde à ce que disent vraiment les jeunes diplômés et qu'on revienne peut-être sur les résultats de terrain. Qu'est-ce qu'ils disent les jeunes diplômés que vous avez interrogés ? Qu'est-ce qu'ils vous ont livré comme témoignage et qu'est-ce qui vous a marqué ?

  • Speaker #1

    Alors de prime abord, il y avait une sorte de consensus autour d'une team building. Il y avait un constat général d'absurdité et d'inutilité. Ça, nos jeunes diplômés nous ont partagé des anecdotes assez croustillantes, sauf de malaise. Comme le fait de coller des gommettes sur une affiche, de se lancer une pelote de laine, de monter sur un Segway avec son manager. Et donc, au cours des entretiens, on a eu le droit à l'éventail de toutes les pratiques ridicules qui fleurissent dans ces sessions de cohésion d'équipe.

  • Speaker #0

    Coller des gommettes, je n'y ai jamais cru vraiment, c'est vrai ça ?

  • Speaker #1

    C'est vrai, il y a des jeunes diplômés qui nous ont fait part, deux parmi ceux que nous avons interrogés, qui nous ont parlé soit par des gommettes, soit des affichettes, soit la création de petits post-it avec des cœurs, etc. mais donc effectivement des activités qu'on retrouvait plutôt aux jardins d'enfants. Et donc je me souviens aussi d'une jeune diplômée qui avait insisté sur le gaspillage d'argent pour des choses qui, pour elle, semblent ne pas en valoir la peine.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Oui, donc il y a beaucoup de jeunes qui évoquent un sentiment d'absurdité, de ridicule, voire de malaise. Pourquoi ce sentiment y revient aussi souvent ? Vous parlez d'ailleurs d'un décalage entre une injonction, vous l'avez dit en introduction, et la réalité du travail. Comment ça se traduit tout ça, concrètement ?

  • Speaker #1

    Alors, on a un sentiment d'absurdité et de ridicule qui revient autant parmi les jeunes diplômés parce qu'en fait, on leur a tout simplement donné la parole. Dans toutes les études qu'on a consultées avec mon collègue Xavier Philippe, qui nous parle de team building, la parole des participants, elle est mise de côté. On la met sous le tapis. On ne veut pas trop en entendre parler. Et finalement, on va évoquer la performance dans ses recherches, la cohésion d'équipe avec un point de vue surpomblant de manière complètement désincarnée. Et quand on interroge le vécu subjectif... comme nous l'avons fait, la parole, elle se libère. Les participants, ils nous partagent des anecdotes croustillantes, ils nous partagent des moments d'errance qu'ils ont vécu, et donc c'est pour ça qu'on a ce sentiment d'absurdité, de ridicule qui revient comme une sorte de leitmotiv. Vous parliez aussi, c'est intéressant, de ce terme d'injonction au fun et ce décalage qu'il peut y avoir avec la réalité du travail. Alors le problème des sessions de team building, c'est qu'en fait, on va imposer aux collaborateurs de s'amuser pendant une période donnée lors d'un événement qui est voulu pilotée par le management. C'est ce qu'on a appelé avec mon collègue l'injonction au fun. Et cette injonction, elle entre un peu en tension directe avec l'exigence de sérieux au sein du monde professionnel. Au travail, on se doit d'exécuter certaines tâches en respectant des procédures et des canaux hiérarchiques. En somme, le team building vient brouiller l'écart de cette dichotomie en injectant de l'amusement au cœur du monde professionnel. Et plus concrètement, le fun qui va être imposé lors des sessions de team building se retrouve en décalage profond. avec le caractère un peu sclérosé du quotidien de travail. Amusez-vous le temps d'un team building, mais lundi, ce sera des retours derrière les écrans, et puis sans les quotidiens et les paillettes.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, il y a une phrase qui m'a marquée. La cohésion naît parfois de la gêne partagée. Qu'est-ce que ça dit, ça, de notre rapport collectif au travail aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Alors, cette phrase, elle est intéressante parce qu'elle met en lumière un paradoxe saisissant. Le succès du team building, c'est-à-dire créer de la cohésion d'équipe, résulte de son échec à faire passer un bon moment aux équipes. Donc finalement, si cohésion il y a, elle naît en fait d'une situation grotesque qui va advenir. Il y aurait une sorte de connivence qui va se créer entre les participants par une gêne commune et partagée. C'est ce que nous rappelait d'ailleurs une des jeunes diplômés qu'on a interrogé avec mon collègue, je la cite, on nous faisait faire des jeux sur les ordinateurs ensemble, mais c'était ridicule, et du coup ça créait des liens entre les gens parce qu'on se rendait tous compte que c'était ridicule. Et finalement, la construction du collectif de travail, ce qu'il faut comprendre, c'est que ça ne se fait pas par simple décret. Malheureusement, les liens entre des individus ne se tissent pas automatiquement parce que les organisations l'ont décrété pour un team building ou alors il faut en passer par une sorte de gêne partagé pour que des liens surgissent, ce qui n'était pas le but initial de ces sessions.

  • Speaker #0

    Mais ça crée du lien quand même autour de l'absurde. Exactement.

  • Speaker #1

    L'absurde est le ciment qui lie tout le monde.

  • Speaker #0

    Exactement. Parlons un petit peu du team building comme un théâtre social. Pourquoi vous dites que ces sessions prolongent le théâtre du quotidien plutôt que de le suspendre ?

  • Speaker #1

    Alors, ce n'est pas nous directement qui avons utilisé la métaphore théâtrale. Ce sont vraiment des jeunes diplômés eux-mêmes qui nous ont parlé de rôle, de costume, de mise en scène, etc. pour rendre compte de la façon dont ils vivaient à la fois les rapports humains au travail, mais aussi pendant les sessions de team building. Ce qui est intéressant, c'est que les sessions de team building n'étaient pas un aparté, comme on veut nous le faire croire. mais était une continuité du travail quotidien. Malgré le fait que les temps de cohésion sont présentés comme des moments d'amusement hors de la routine, ça reste des moments qui sont liés au travail, puisqu'on ne s'amuse pas avec des amis ou d'autres personnes extérieures à l'entreprise, mais bien avec ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques. Et si on porte un masque dans ses interactions quotidiennes au travail, ses moments de cohésion n'échappent pas à la règle.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, est-ce qu'on peut encore parler de moments authentiques quand les participants disent devoir jouer un rôle ou porter un masque ? C'est impossible.

  • Speaker #1

    Très compliqué de parler d'authenticité dans les sessions de team building quand on sait que vous allez être jugé, évalué, analysé par vos collègues et surtout par vos supérieurs. Gare à celui qui va trop prendre ses aises, il risquerait d'en faire les frais à la prochaine réunion. en tête-à-tête avec le manager. Il risque de lui empêcher un comportement inadapté dans un contexte qui était lié à son travail. Il y a donc une dimension assez sournoise dans ces temps de cohésion, car on va demander aux salariés de s'amuser, de faire tomber certaines barrières, et d'être eux-mêmes, un peu venez comme vous êtes, mais c'est pour mieux voir qui sera le premier à déraper, à faire du mauvais esprit, ou à ne pas jouer le jeu qui est imposé par la IRH.

  • Speaker #0

    Vous parlez de contrôle néonormatif, en quoi le seul devient-il une nouvelle forme ? de régulation comportementale.

  • Speaker #1

    Alors c'est intéressant ce terme-là de contrôle néonormatif parce qu'il y a l'idée que le fun, effectivement, serait un outil pour piloter les comportements dans les organisations et donc ça deviendrait une sorte de forme de régulation comportementale. C'est surtout ce fun, il devient forme de régulation lorsqu'il est pensé, piloté, imposé par la hiérarchie, comme c'est le cas dans les sessions de team building. Votre manager pense alors à votre place et c'est ce qui est bon pour vous. et en l'occurrence pour votre équipe, et vous demande de vous amuser afin de créer un collectif de travail. Et cette notion de contrôle néonormatif, elle rejoint des notions relativement connexes qu'on connaît dans les entreprises, comme le poste de Chief Happiness Officer. On va vous contrôler de façon néonormative avec ce diktat du bonheur. C'est aussi ce qu'on retrouve avec la notion d'apicratie qui est développée par Edgar Cabanas et Eva Illouz, qui nous parle de cette injonction au bonheur dans les entreprises. Donc en fait, on sait ce qui est bon pour vous. et on va vous l'imposer. Et si vous n'êtes pas de la partie, vous serez ostracisés.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, le team building promet du collectif, mais j'ai l'impression que parfois, il produit surtout l'inverse. Est-ce qu'on n'est pas sur une forme de paradoxe là quand même ?

  • Speaker #1

    Alors pour moi, le team building, c'est vraiment un outil managéal qui est pétri de paradoxes. S'il prie du collectif, c'est dans la gêne partagée. Il coûte cher, il est largement décrié, il n'a jamais prouvé son efficacité. Et pourtant, il continue d'être publicité par les entreprises. Pour toutes ces raisons, pour moi, le team building, c'est un paradoxe ambulant.

  • Speaker #0

    Ok. Pourquoi d'ailleurs c'est si important ? Parce que je pense que l'intention est toujours bonne, mais pourquoi c'est important de ne pas confondre travail d'équipe et socialisation ? C'est quoi la différence en fait ? Est-ce que ce n'est pas ça le problème ? Est-ce que ce n'est pas ça le problème de départ en fait ? Il n'y a pas une confusion sur tous ces sujets-là ?

  • Speaker #1

    Tout à fait. Je pense qu'il y a vraiment une confusion. On brouille un peu les cartes avec ces différentes notions. Et il est important de ne pas les confondre, travail d'équipe et socialisation, ce n'est pas exactement la même chose. Pourquoi ? Parce que c'est deux dynamiques différentes. Le travail d'équipe, c'est quoi ? C'est quelque chose qui vise à un objectif commun. Il y a une tâche, il y a un projet, on va mettre en commun des compétences, des individualités pour se fédérer autour d'un projet commun. Et donc ce travail d'équipe, il va être structuré et orienté vers des résultats objectifs. La socialisation, quant à elle... elle a pour but de créer, de renforcer des liens personnels, souvent de manière informelle. Et donc, ça va reposer plus sur des échanges spontanés et donc centré sur les individus. Donc, c'est important de ne pas confondre ces deux notions-là et de penser que l'une peut faire sans l'autre, etc. Je pense que c'est vraiment important de bien les distinguer et de ne pas penser que le team building va agir directement sur la question du travail d'équipe. Elle agit plutôt sur la socialisation, mais comme on l'a dit, il y a l'idée quand même du côté informel de tout cela. Et le problème, c'est que le team building, il n'est pas du tout informel. Il est cadré, piloté, managé. Voilà, exactement. Donc, le problème, il réside là-dedans.

  • Speaker #0

    Si on doit envisager des pistes pour réinventer un peu la cohésion au travail, ces mêmes jeunes que vous avez interrogés, ils ont des idées dans l'étude. Ils disent que ça peut marcher, mais avec certaines conditions. Finalement, quelles seraient ces conditions ? pour qu'on puisse donner des pistes de réflexion aux entreprises, aux managers, aux directions RH ?

  • Speaker #1

    Alors effectivement, tous les jeunes diplômés que nous avons interrogés, ils n'ont pas rejeté en bloc les sessions de courrier, pour dire il faut qu'on arrête tout, c'est terminé.

  • Speaker #0

    Oui, c'est la modalité.

  • Speaker #1

    Voilà, ça n'a strictement aucune utilité. Non, c'était un partage, il y avait un élément un peu plus nuancé dans leurs analyses, et pour eux, déjà c'était un moyen utile pour rapprocher des collaborateurs, parce que parfois, spécialement ou hiérarchiquement, un peu séparés. On a des entreprises où on ne se voit pas souvent. C'est vrai que le team building, c'est un temps qui permet aux équipes de se rencontrer et d'avoir des échanges. qui serait plus difficile à avoir hors de ce dispositif. Et puis, c'est aussi un très bon moyen pour rompre avec la routine des journées de travail. Mais pour que cela fonctionne, en fait, il y avait plusieurs conditions. Moins d'activités puériles, moins d'encadrement managerial et surtout, moins d'effets cosmétiques quand il y a vraiment des problèmes de fond au cœur des organisations.

  • Speaker #0

    Oui, la dimension puérile, elle pose un problème quand même.

  • Speaker #1

    Effectivement, la dimension puérile, elle pose un problème. On l'a vu tout à l'heure avec des exemples d'activités. Il y a l'idée que... Vous allez retourner un peu au jardin d'enfants, à la crèche, vous amusez avec vos copains. Et donc ça, le fait que ça soit imposé et piloté par la hiérarchie, et que vous devez en plus vous en amuser, c'est vrai qu'il y a un enjeu et un décalage avec le quotidien de travail. On ne comprend pas du tout l'intérêt de tout ça.

  • Speaker #0

    Moi, je crois que c'était des légendes, ces histoires de l'égo et tout. Franchement, j'y croyais à peine. Je me disais que non, ce n'est pas vrai, ça n'existe pas.

  • Speaker #1

    Non, c'est la réalité du terrain. Voilà. Après, ça peut prendre d'autres formes, mais on entendait tout à l'heure l'exemple d'une jeune diplômée qui nous parlait de jeux sur ordinateur, etc. Donc, il y a vraiment cette dimension pseudo-ludique qui ressort et qui fait apparaître un peu, parfois, la vacuité de ces sessions-là sans vraiment fondement théorique, qui reste un petit peu des coquilles vides et des moments un peu vides de sens pour ceux qui y participent.

  • Speaker #0

    Et alors, quelle serait, selon vous, la recette d'un vrai moment de partage ?

  • Speaker #1

    Là, je me base à nouveau sur ce que nous ont proposé les jeunes diplômés, puisqu'ils avaient quand même des idées, comme vous l'aviez bien souligné. Pour moi, il y a deux valeurs cardinales qui sont essentielles. C'est un, la spontanéité. Deux, le volontariat. Ils souhaitent finalement la mise en place d'événements relativement simples, authentiques, initiés par les employés eux-mêmes. Finalement, rien ne sert de dépenser des milliers d'essence, d'aller chercher midi à 14h pour organiser une session qui fait sens selon eux.

  • Speaker #0

    Ou presque de leur confier un budget. On pourrait presque se dire une entreprise... donne une enveloppe et puis finalement, c'est le collectif et les salariés qui s'emparent du sujet pour faire ce qu'ils ont envie de faire et éviter ces moments d'infantilisation dans ces team building. Vous insistez d'ailleurs sur la formelle, le spontané et une logique ascendante. On y a un petit peu répondu, mais à quoi ça pourrait ressembler concrètement un vrai moment de partage ?

  • Speaker #1

    comme on l'a évoqué, c'est la question spontanée et la question du volontariat. Ce seraient des événements basés sur le volontariat qui partiraient de la base des employés. C'est-à-dire que ce sont des événements un petit peu bottom-up. Et ce serait par exemple, concrètement, des salariés qui proposent un moment de détente après une semaine qui a été difficile, un peu dense. Ce serait, on va boire un verre, on partage un impuritif, on peut aller faire un karaoké, mais toujours de façon informelle, décontractée, sans objectif derrière d'accroître à tout prix la performance des équipes. C'est surtout ça qui est important, de se dire qu'il n'y a pas d'objectif fixé pour ce temps-là. C'est vraiment un moment informel d'échange, de découverte de certains membres d'équipes éloignés et autres, mais vraiment dans une logique pour elle-même en fait. C'est vraiment un événement pour lui-même et pas avec un objectif caché derrière de se dire que lundi matin, ça ira mieux quand on se reverra à la réunion d'équipe.

  • Speaker #0

    Très clair. D'ailleurs, il y a un exemple marquant dans l'étude. avec une chef de patrouille de France. Qu'est-ce que cette expérience, elle révèle de ce qui peut vraiment fonctionner ?

  • Speaker #1

    Alors effectivement, un des jeunes diplômés qu'on a interrogé nous a fait part d'une expérience de team building réussie qui, selon lui, a très bien fonctionné. Il y en avait. Et il s'agissait d'un retour d'expérience d'une chef de la patrouille de France, donc dans le domaine aérien, qui était intervenue sur l'importance de la cohésion et de la coordination. Et on le voit que c'est hyper important, cette coordination, cette cohésion entre tous les pilotes lorsqu'on fait un show aérien, par exemple. Là, on n'a pas le droit, tout est millimétré, on n'a pas le droit d'être en désynchronisation avec ses collègues. Alors, ce qui s'est joué là, qu'est-ce qui, pour nous, a fonctionné dans ce team building ? C'est déjà la qualité de l'intervention proposée et puis le sérieux de l'interlocuteur. Il ne s'agit pas d'un énième coach qui propose ses recettes miracles, un peu éculées sur le fonctionnement des équipes. On a, avec la Patrouille de France, on a du concret, on a de l'expérience et on a de l'excellence. On pourrait penser à organiser des événements un peu similaires. Alors, à nouveau, soit avec d'autres membres de la Patrouille de France, on ne pourra peut-être pas les solliciter, pour du multi-building.

  • Speaker #0

    C'était quoi d'ailleurs ? C'était quoi leur team building ? Ça consistait en quoi exactement ?

  • Speaker #1

    Alors, c'était vraiment un retour d'expérience, vraiment une logique un peu de conférence, de partage d'expérience, avec des interventions aussi d'autres personnes tournées en vidéo, etc. pour vraiment montrer comment ça fonctionne de l'intérieur. Donc, il y avait aussi une dimension culturelle, de pure culture générale, de comprendre comment fonctionne... et comment est-ce qu'on s'entraîne ensemble pour proposer un choix aérien millimétré. Donc il y avait vraiment une dimension pertinente. des qualités pour les participants. Ils n'ont pas trouvé ça puéril ni ridicule.

  • Speaker #0

    Oui, et puis lié au travail, à la qualité du travail, ça a un sens de cette fois-ci que ce soit l'employeur qui s'en empare.

  • Speaker #1

    Exactement, tout à fait. Donc on pourrait penser à des événements similaires, avec des grands sportifs qui jouent en équipe, par exemple. On pourrait penser à des musiciens dans un orchestre. On pourrait penser à des chefs culinaires qui travaillent avec des brigades et qui vont proposer dans un restaurant des plats gastronomiques. Donc finalement, les interlocuteurs pertinents et crédibles ne manquent pas. pour organiser des événements un peu plus structurés qui viendraient du management.

  • Speaker #0

    Ok, super. Donc, ce que je vois un peu comme conclusion ou comme enseignement de cette étude, c'est qu'il faudrait peut-être arrêter de forcer le fun.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça c'est impératif, que ce fun soit imposé par le management avec l'idée que derrière, les entreprises seront plus performantes grâce à cela. Déjà, il n'y a aucune étude qui nous l'a prouvé. Et on voit que quand on donne la parole aux participants, Ils sont complètement désemparés par ce management du fun. Donc, complètement.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas le sujet.

  • Speaker #1

    Et puis, plus le fun va être managé et encadré, plus il devient suspect. On se demande, c'est quoi l'idée derrière la tête ? Qu'est-ce qu'ils ont comme volonté derrière de nous faire faire ? C'est quoi l'objectif ? Parce qu'on se dit que dans la tête d'un manager, rien n'est gratuit. Il y a toujours une idée derrière la tête. Ce n'est pas de l'amusement pur. On se dit que derrière ça, il va falloir qu'on soit performant sur telle ou telle chose ou qu'on arrête de chamailler. parce qu'ils ont mis ça en place.

  • Speaker #0

    Oui, ça peut être contre-productif. Alors souvent quand même, les team building, alors peut-être pas que, mais souvent c'est les directions RH qui sont censées s'en emparer, à qui on demande de faire ce travail-là. Donc quel regard critique un DRH pourrait-il ou devrait-il porter sur le team building tel qu'il est pratiqué, puisque une fois de plus, cette tâche revient en direction aux 100 zones, alors qu'elle devrait même presque revenir finalement en ligne managériale. Le bon sens voudrait que ça vienne de deux.

  • Speaker #1

    Alors, j'aime beaucoup cette idée de regard critique. Je pense que c'est essentiel. On le souligne d'ailleurs à de nombreuses reprises avec mon collègue Xavier Philippe. C'est essentiel de porter un regard critique sur toutes ces modes managériales qu'on suit, bon an, mal an, pour se dire qu'il faut qu'on soit dans l'esprit du temps, dans l'air du temps, et en particulier sur le team building. Comme toutes les pratiques managériales, en fait, il y a un revers de la médaille. Et c'est ce que s'attèle à penser et analyser ce qu'on appelle en management les critical management studies, les études critiques en management. Et donc, on invite, nous, les collègues, que ce soit des collègues chercheurs, mais aussi des praticiens, donc des managers, à toujours repenser un peu les cadres, à se questionner. Et donc, finalement, les études critiques en management, elles cherchent à rompre avec le discours un peu mythique de la théorie managériale conventionnelle pour en montrer un peu les limites et puis les contradictions. Et au fond, ce travail critique en management, il revient à révéler un peu l'arrière-boutique, les conditions concrètes des opérations de gestion, l'incohérence des discours, les processus de domination qui sont à l'œuvre aussi, et puis l'absence de sensibilité éthique de certaines bonnes pratiques. Mon collègue Xavier Philippe avait été interrogé sur des pratiques encore plus fortes de team building qui questionnent l'éthique. On peut penser à des team building qui avaient été organisés où on se mettait dans la peau d'un migrant. « Vie ma vie de migrant » , ça avait été organisé.

  • Speaker #0

    Je ne l'avais pas évoqué.

  • Speaker #1

    Voilà. Aussi, il y a d'autres team buildings où il fallait fuir une ville ACG et se prendre pour un nazi.

  • Speaker #0

    Il y a ces idées-là.

  • Speaker #1

    On est plus dans le ridicule. On est vraiment dans un enjeu éthique. Ça devient totalement aberrant d'organiser ce type de pratique. Donc finalement, les études Critique & Management proposent de lever le voile, d'entrer dans les coulisses, de voir ce qui se passe vraiment dans les organisations sans se contenter des beaux discours de façade. et puis de tous les subterfuges des managers. Et d'ailleurs, en tant que professeur de ressources humaines, puisque je forme des futurs managers et peut-être des futurs DRH, chaque pratique managériale que je propose en cours, elle fait l'objet d'un débat en classe avec les étudiants. Alors là, c'est le cas du team building qu'on questionne beaucoup aujourd'hui, mais par exemple, je leur propose de questionner le CV vidéo, pratique qu'on voit parfois dans les entretiens de recrutement. C'est quoi l'intérêt de mettre en place de l'intelligence artificielle dans un processus de recrutement ? Ou encore... travailler dans un espace de coworking. C'est quoi les avantages, les inconvénients de ce genre de pratiques ? Et on arrive toujours à dialoguer, à discuter. C'est très rare qu'on arrive sur un consensus à dire « Là, on a une liste de 10 inconvénients, on n'a aucun avantage à cette pratique. » Et inversement, c'est très très rare qu'une pratique manageriale n'ait que des avantages. Donc à chaque fois qu'on met en place des pratiques, nous, on essaye de voir un petit peu, de contrebalancer tout ça et de faire réfléchir les étudiants et les futurs managers à cela. Parce que, vraiment, cultiver son esprit critique. L'esprit critique, c'est vraiment au cœur pour nous de ce que les managers doivent développer comme compétences pour le futur.

  • Speaker #0

    Et sortir des modes managériels.

  • Speaker #1

    Exactement. On pourrait même dire des dogmes. Des dogmes, oui. Voilà, un dogme, c'est une sorte de vérité qu'on ne questionne pas puisqu'il y a une liturgie et puis il y a des textes qui nous disent qu'on voit les choses telles qu'elles sont présentées.

  • Speaker #0

    Ok. J'avais préparé une question, mais on n'y a répondu. Si on devait organiser demain un team building, qu'est-ce qu'on donnerait comme conseil ? Mais je crois que vous venez d'y répondre parfaitement. On s'achemine vers la fin de cet échange passionnant. Et la promesse de ce podcast, c'est de repenser l'entreprise. Donc si je vous dis « team building Lego » ou « balade en forêt sans manager » , qu'est-ce que vous répondez Thomas ?

  • Speaker #1

    Alors au regard de tout ce qu'on vient de dire, j'opterais sans hésiter pour la balade en forêt sans manager ou la sortie culturelle basée sur le volontariat. Pourquoi ? Parce que déjà sans manager, ce n'est pas forcément au manager d'être présent, d'organiser ce type d'événement. Une balade en forêt ou une sortie culturelle, ça ne va pas coûter très cher. Donc finalement, c'est très facile à organiser. ça sera beaucoup moins coûteux et ça me semble bien plus efficace qu'un petit blending Lego où on fait venir un coach ou une agence d'événementiel qu'on a payé très très cher pour une journée où finalement la cohésion va sortir d'une gêne partagée. Je pense qu'il faut réinjecter un peu du sens dans tout ça.

  • Speaker #0

    Du bon sens quoi. Du bon sens en fait.

  • Speaker #1

    Et ne pas hésiter à demander, comme nous l'avons fait lors de notre étude avec Xavier Philippe, de demander l'avis des participants. souvent on impose ça et puis on n'en fait rien et les managers ne demandent pas vraiment de retour de la part des équipes c'est important de demander des retours aussi de ceux qui ont vécu ça d'avoir des retours de terrain qu'est-ce que vous en avez pensé, qu'est-ce qui pourrait être amélioré souvent on fait le team building et puis le lundi matin on retourne à son travail et comme si de rien n'était donc c'est important aussi que les managers aient ce travail réflexif sur eux-mêmes, sur les pratiques qu'ils imposent, mais aussi d'aller questionner les employés qui vivent ça sur le terrain. Je pense que c'est vraiment essentiel. Donc, il y a tout un travail de repenser tout ça de fond en comble, de ne pas laisser les choses telles quelles un peu sclérosées, de se dire que c'est une manière de faire. Oui,

  • Speaker #0

    ou de dupliquer des choses sans réfléchir, sans s'être approprié.

  • Speaker #1

    Exactement. Je pense que c'est vraiment essentiel de ne pas rester dans une logique de duplicata, de suivre des modes managériels, de se faire porter par les effets de mode. Et je pense que c'est vraiment essentiel de traiter ce thème-là à bras-le-corps. Et je pense que les salariés sont très réceptifs si on arrive à proposer des moments qui font sens à plusieurs en équipe.

  • Speaker #0

    Oui, et on obtiendra les choses qu'on veut et pas l'inverse.

  • Speaker #1

    Exactement. Ou alors, obtenir les choses qu'on veut, mais avec des moyens détournés et des moyens qui ne sont pas forcément louables. On l'a vu tout à l'heure sur le plan éthique. Là, c'est très problématique pour les entreprises. Et effectivement, l'idée, c'est d'avoir une sorte de cohérence. une colonne vertébrale dans tout ça et qu'on arrive à l'objectif final sans utiliser des moyens détournés.

  • Speaker #0

    Super. Merci beaucoup pour notre échange. Et puis, c'était vraiment passionnant. Et puis, à très bientôt sur Psyboulot.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    C'est la fin de cet épisode. Merci de nous avoir écoutés. Si vous souhaitez nous soutenir, pensez à vous abonner et à nous mettre 5 étoiles. Avant de vous quitter, je vous donne rendez-vous sur ma page LinkedIn ou sur le compte Instagram de Psyboulot si vous souhaitez échanger. me suggérer des invités et même venir témoigner à mon micro. À très vite sur Psyboule.

Description

Pourquoi les entreprises s’acharnent-elles à organiser des sessions de team building ?

Pour créer du lien ? Renforcer la cohésion ? Améliorer la marque employeur ?


Dans cet épisode de Psyboulot, Thomas Simon, enseignant-chercheur à Montpellier Business School, partage les résultats d’une étude menée auprès de jeunes diplômés sur leur expérience du team building.


Et le constat est sans appel : malaise, absurdité, infantilisation. Le fun ne se décrète pas. Et la cohésion ne se pilote pas depuis un fichier Excel.


Un épisode essentiel pour tous ceux qui veulent repenser le travail d’équipe, sortir des dogmes managériaux, et remettre du sens (et du bon sens) dans les collectifs.


Retrouvez moi sur Linkedin et sur Instagram



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur Psyboulot, le podcast qui éclaire les coulisses du boulot. Je suis Marie-Claire Valentini, dirigeante EDRH. Je partage avec vous et mes invités mes interrogations et réflexions sur le monde professionnel. C'est après avoir étudié la psycho que j'ai eu envie de créer Psyboulot, un podcast qui décrypte les comportements humains et les dynamiques en entreprise. Ici, pas de pensée magique, pas de recette unique. Je vous donne rendez-vous à chaque épisode pour un nouveau défi du monde du travail. Hello, aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir à mon micro Thomas Simon. Bonjour Thomas.

  • Speaker #1

    Bonjour et merci de m'accueillir.

  • Speaker #0

    Je vous propose de commencer en vous présentant.

  • Speaker #1

    Alors, moi du coup je suis Thomas Simon, je suis professeur de ressources humaines à MBS School of Business sur le campus de Montpellier depuis trois ans. Avant cela, j'ai eu un double cursus académique, à la fois en management et en sciences de gestion, puisque je suis diplômé de deux masters en gestion et de deux masters en sciences humaines, un en philosophie et un en lettres modernes. Et pendant mes années d'études, j'ai travaillé sur différents sujets, que ce soit l'ennui en réunion, le suicide ou encore la prostitution. Et j'ai conclu ce parcours par une thèse en sciences de gestion à ESCP Business School à Paris pendant quatre ans. Et le thème, c'était quoi ? C'était de se questionner sur la façon dont les jeunes diplômés font face aux situations absurdes en entreprise. Parmi les sources de situations absurdes en entreprise, le team building s'est naturellement imposé comme un thème de choix.

  • Speaker #0

    Super. Alors, vous avez publié d'ailleurs une étude avec Xavier Philippe, faite à partir de 35 entretiens avec des jeunes diplômés, justement sur leur vécu du team building. Et moi, j'avais envie de vous demander, qu'est-ce qui vous a donné envie de creuser ce sujet qui m'a beaucoup intéressé à titre personnel ?

  • Speaker #1

    Alors, deux raisons principales. Il y avait tout d'abord un effet de mode. Le team building, c'est un sujet dont la presse est friande. C'est aussi un... un dispositif qui est plébiscité par les entreprises pour se donner une image fun, dynamique. Et d'ailleurs, la pop culture n'hésite pas à créer des épisodes parodiques sur l'absurdité de ces sessions. Je pense ici à Caméra Café, au Palma Show, qui ont développé des petits numéros autour des sessions de team building pour en dénoncer les errances et les absurdités. Il y avait donc un intérêt spécifique à creuser ce sujet d'un point de vue scientifique. D'autant plus que les études qu'on a consultées avec mon collègue Xavier Philippe, Elles se sont penchées sur les liens entre team building d'un côté et performance de l'autre, sans jamais démontrer de façon concrète que le team building améliore la performance des équipes. Il y avait donc une opportunité pour creuser ce sujet en donnant la parole aux participants à qui on impose le team building sans jamais réellement leur demander leur avis.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, est-ce que vous pouvez peut-être nous redire d'où vient le terme team building ?

  • Speaker #1

    Oui, alors il nous vient, comme la plupart des pratiques managériennes, il nous vient des États-Unis. Il nous vient des États-Unis dans les années 80. C'est donc un anglicisme. Et donc, littéralement, ça signifie construction d'équipe. Donc, on imagine qu'avec le team building, ça va être la mise en place de dispositifs par le management pour améliorer les liens, tisser des liens avec les salariés et donc construire une équipe à partir de cela.

  • Speaker #0

    Alors, le team building, c'est censé renforcer les liens, améliorer l'ambiance, booster la performance. Pourquoi ça reste aussi présent dans les entreprises malgré des critiques croissantes ?

  • Speaker #1

    Alors, je vois deux raisons principales à cet engouement des entreprises pour le team building malgré les critiques. Tout d'abord, il y a un enjeu de marque employeur avec des entreprises qui mènent une lutte sans merci pour attirer, retenir les jeunes générations en se donnant une image fun et décontractée. Les entreprises, elles sont convaincues que c'est le fun qui va permettre d'attirer les jeunes talents et que le team building, c'est un outil parfaitement adapté pour cela. dans le même esprit qu'installer un baby-foot, organiser des tournois de fond sur la pause de midi. Et on verra que ce n'est pas si simple que ça, parce que les indépendants ne sont pas nécessairement réceptifs à tous ces stratagèmes manageriaux qui imposent et mettent en scène le fun au travail. Deuxième raison, selon moi, pour ce plébiscite, malgré des critiques croissantes, c'est que le team building, c'est une solution relativement facile à mettre en place. On paye une agence d'événementiel, ou on fait venir un coach qui va nous fournir un événement clé en main. Donc même si le T-building, ça a un coût, Cela reste toujours moins cher et surtout moins consommateur de matières grises que de repenser de fond en comble ce qui ne fonctionne pas dans le quotidien de travail. C'est donc une solution de facilité, une sorte d'écran de fumée, pour ne pas se questionner sur ce qui ne tourne pas rond dans les pratiques de travail. Manque d'autonomie, procédures toujours plus contraignantes, objectifs impossibles à atteindre. Bref, on met en place des dispositifs qui sont par nature temporaires et donc illusoires, ce qui va détourner des vrais problèmes sans les traiter par la suite.

  • Speaker #0

    100% d'accord. Alors justement, je voudrais qu'on s'attarde à ce que disent vraiment les jeunes diplômés et qu'on revienne peut-être sur les résultats de terrain. Qu'est-ce qu'ils disent les jeunes diplômés que vous avez interrogés ? Qu'est-ce qu'ils vous ont livré comme témoignage et qu'est-ce qui vous a marqué ?

  • Speaker #1

    Alors de prime abord, il y avait une sorte de consensus autour d'une team building. Il y avait un constat général d'absurdité et d'inutilité. Ça, nos jeunes diplômés nous ont partagé des anecdotes assez croustillantes, sauf de malaise. Comme le fait de coller des gommettes sur une affiche, de se lancer une pelote de laine, de monter sur un Segway avec son manager. Et donc, au cours des entretiens, on a eu le droit à l'éventail de toutes les pratiques ridicules qui fleurissent dans ces sessions de cohésion d'équipe.

  • Speaker #0

    Coller des gommettes, je n'y ai jamais cru vraiment, c'est vrai ça ?

  • Speaker #1

    C'est vrai, il y a des jeunes diplômés qui nous ont fait part, deux parmi ceux que nous avons interrogés, qui nous ont parlé soit par des gommettes, soit des affichettes, soit la création de petits post-it avec des cœurs, etc. mais donc effectivement des activités qu'on retrouvait plutôt aux jardins d'enfants. Et donc je me souviens aussi d'une jeune diplômée qui avait insisté sur le gaspillage d'argent pour des choses qui, pour elle, semblent ne pas en valoir la peine.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Oui, donc il y a beaucoup de jeunes qui évoquent un sentiment d'absurdité, de ridicule, voire de malaise. Pourquoi ce sentiment y revient aussi souvent ? Vous parlez d'ailleurs d'un décalage entre une injonction, vous l'avez dit en introduction, et la réalité du travail. Comment ça se traduit tout ça, concrètement ?

  • Speaker #1

    Alors, on a un sentiment d'absurdité et de ridicule qui revient autant parmi les jeunes diplômés parce qu'en fait, on leur a tout simplement donné la parole. Dans toutes les études qu'on a consultées avec mon collègue Xavier Philippe, qui nous parle de team building, la parole des participants, elle est mise de côté. On la met sous le tapis. On ne veut pas trop en entendre parler. Et finalement, on va évoquer la performance dans ses recherches, la cohésion d'équipe avec un point de vue surpomblant de manière complètement désincarnée. Et quand on interroge le vécu subjectif... comme nous l'avons fait, la parole, elle se libère. Les participants, ils nous partagent des anecdotes croustillantes, ils nous partagent des moments d'errance qu'ils ont vécu, et donc c'est pour ça qu'on a ce sentiment d'absurdité, de ridicule qui revient comme une sorte de leitmotiv. Vous parliez aussi, c'est intéressant, de ce terme d'injonction au fun et ce décalage qu'il peut y avoir avec la réalité du travail. Alors le problème des sessions de team building, c'est qu'en fait, on va imposer aux collaborateurs de s'amuser pendant une période donnée lors d'un événement qui est voulu pilotée par le management. C'est ce qu'on a appelé avec mon collègue l'injonction au fun. Et cette injonction, elle entre un peu en tension directe avec l'exigence de sérieux au sein du monde professionnel. Au travail, on se doit d'exécuter certaines tâches en respectant des procédures et des canaux hiérarchiques. En somme, le team building vient brouiller l'écart de cette dichotomie en injectant de l'amusement au cœur du monde professionnel. Et plus concrètement, le fun qui va être imposé lors des sessions de team building se retrouve en décalage profond. avec le caractère un peu sclérosé du quotidien de travail. Amusez-vous le temps d'un team building, mais lundi, ce sera des retours derrière les écrans, et puis sans les quotidiens et les paillettes.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, il y a une phrase qui m'a marquée. La cohésion naît parfois de la gêne partagée. Qu'est-ce que ça dit, ça, de notre rapport collectif au travail aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Alors, cette phrase, elle est intéressante parce qu'elle met en lumière un paradoxe saisissant. Le succès du team building, c'est-à-dire créer de la cohésion d'équipe, résulte de son échec à faire passer un bon moment aux équipes. Donc finalement, si cohésion il y a, elle naît en fait d'une situation grotesque qui va advenir. Il y aurait une sorte de connivence qui va se créer entre les participants par une gêne commune et partagée. C'est ce que nous rappelait d'ailleurs une des jeunes diplômés qu'on a interrogé avec mon collègue, je la cite, on nous faisait faire des jeux sur les ordinateurs ensemble, mais c'était ridicule, et du coup ça créait des liens entre les gens parce qu'on se rendait tous compte que c'était ridicule. Et finalement, la construction du collectif de travail, ce qu'il faut comprendre, c'est que ça ne se fait pas par simple décret. Malheureusement, les liens entre des individus ne se tissent pas automatiquement parce que les organisations l'ont décrété pour un team building ou alors il faut en passer par une sorte de gêne partagé pour que des liens surgissent, ce qui n'était pas le but initial de ces sessions.

  • Speaker #0

    Mais ça crée du lien quand même autour de l'absurde. Exactement.

  • Speaker #1

    L'absurde est le ciment qui lie tout le monde.

  • Speaker #0

    Exactement. Parlons un petit peu du team building comme un théâtre social. Pourquoi vous dites que ces sessions prolongent le théâtre du quotidien plutôt que de le suspendre ?

  • Speaker #1

    Alors, ce n'est pas nous directement qui avons utilisé la métaphore théâtrale. Ce sont vraiment des jeunes diplômés eux-mêmes qui nous ont parlé de rôle, de costume, de mise en scène, etc. pour rendre compte de la façon dont ils vivaient à la fois les rapports humains au travail, mais aussi pendant les sessions de team building. Ce qui est intéressant, c'est que les sessions de team building n'étaient pas un aparté, comme on veut nous le faire croire. mais était une continuité du travail quotidien. Malgré le fait que les temps de cohésion sont présentés comme des moments d'amusement hors de la routine, ça reste des moments qui sont liés au travail, puisqu'on ne s'amuse pas avec des amis ou d'autres personnes extérieures à l'entreprise, mais bien avec ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques. Et si on porte un masque dans ses interactions quotidiennes au travail, ses moments de cohésion n'échappent pas à la règle.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, est-ce qu'on peut encore parler de moments authentiques quand les participants disent devoir jouer un rôle ou porter un masque ? C'est impossible.

  • Speaker #1

    Très compliqué de parler d'authenticité dans les sessions de team building quand on sait que vous allez être jugé, évalué, analysé par vos collègues et surtout par vos supérieurs. Gare à celui qui va trop prendre ses aises, il risquerait d'en faire les frais à la prochaine réunion. en tête-à-tête avec le manager. Il risque de lui empêcher un comportement inadapté dans un contexte qui était lié à son travail. Il y a donc une dimension assez sournoise dans ces temps de cohésion, car on va demander aux salariés de s'amuser, de faire tomber certaines barrières, et d'être eux-mêmes, un peu venez comme vous êtes, mais c'est pour mieux voir qui sera le premier à déraper, à faire du mauvais esprit, ou à ne pas jouer le jeu qui est imposé par la IRH.

  • Speaker #0

    Vous parlez de contrôle néonormatif, en quoi le seul devient-il une nouvelle forme ? de régulation comportementale.

  • Speaker #1

    Alors c'est intéressant ce terme-là de contrôle néonormatif parce qu'il y a l'idée que le fun, effectivement, serait un outil pour piloter les comportements dans les organisations et donc ça deviendrait une sorte de forme de régulation comportementale. C'est surtout ce fun, il devient forme de régulation lorsqu'il est pensé, piloté, imposé par la hiérarchie, comme c'est le cas dans les sessions de team building. Votre manager pense alors à votre place et c'est ce qui est bon pour vous. et en l'occurrence pour votre équipe, et vous demande de vous amuser afin de créer un collectif de travail. Et cette notion de contrôle néonormatif, elle rejoint des notions relativement connexes qu'on connaît dans les entreprises, comme le poste de Chief Happiness Officer. On va vous contrôler de façon néonormative avec ce diktat du bonheur. C'est aussi ce qu'on retrouve avec la notion d'apicratie qui est développée par Edgar Cabanas et Eva Illouz, qui nous parle de cette injonction au bonheur dans les entreprises. Donc en fait, on sait ce qui est bon pour vous. et on va vous l'imposer. Et si vous n'êtes pas de la partie, vous serez ostracisés.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, le team building promet du collectif, mais j'ai l'impression que parfois, il produit surtout l'inverse. Est-ce qu'on n'est pas sur une forme de paradoxe là quand même ?

  • Speaker #1

    Alors pour moi, le team building, c'est vraiment un outil managéal qui est pétri de paradoxes. S'il prie du collectif, c'est dans la gêne partagée. Il coûte cher, il est largement décrié, il n'a jamais prouvé son efficacité. Et pourtant, il continue d'être publicité par les entreprises. Pour toutes ces raisons, pour moi, le team building, c'est un paradoxe ambulant.

  • Speaker #0

    Ok. Pourquoi d'ailleurs c'est si important ? Parce que je pense que l'intention est toujours bonne, mais pourquoi c'est important de ne pas confondre travail d'équipe et socialisation ? C'est quoi la différence en fait ? Est-ce que ce n'est pas ça le problème ? Est-ce que ce n'est pas ça le problème de départ en fait ? Il n'y a pas une confusion sur tous ces sujets-là ?

  • Speaker #1

    Tout à fait. Je pense qu'il y a vraiment une confusion. On brouille un peu les cartes avec ces différentes notions. Et il est important de ne pas les confondre, travail d'équipe et socialisation, ce n'est pas exactement la même chose. Pourquoi ? Parce que c'est deux dynamiques différentes. Le travail d'équipe, c'est quoi ? C'est quelque chose qui vise à un objectif commun. Il y a une tâche, il y a un projet, on va mettre en commun des compétences, des individualités pour se fédérer autour d'un projet commun. Et donc ce travail d'équipe, il va être structuré et orienté vers des résultats objectifs. La socialisation, quant à elle... elle a pour but de créer, de renforcer des liens personnels, souvent de manière informelle. Et donc, ça va reposer plus sur des échanges spontanés et donc centré sur les individus. Donc, c'est important de ne pas confondre ces deux notions-là et de penser que l'une peut faire sans l'autre, etc. Je pense que c'est vraiment important de bien les distinguer et de ne pas penser que le team building va agir directement sur la question du travail d'équipe. Elle agit plutôt sur la socialisation, mais comme on l'a dit, il y a l'idée quand même du côté informel de tout cela. Et le problème, c'est que le team building, il n'est pas du tout informel. Il est cadré, piloté, managé. Voilà, exactement. Donc, le problème, il réside là-dedans.

  • Speaker #0

    Si on doit envisager des pistes pour réinventer un peu la cohésion au travail, ces mêmes jeunes que vous avez interrogés, ils ont des idées dans l'étude. Ils disent que ça peut marcher, mais avec certaines conditions. Finalement, quelles seraient ces conditions ? pour qu'on puisse donner des pistes de réflexion aux entreprises, aux managers, aux directions RH ?

  • Speaker #1

    Alors effectivement, tous les jeunes diplômés que nous avons interrogés, ils n'ont pas rejeté en bloc les sessions de courrier, pour dire il faut qu'on arrête tout, c'est terminé.

  • Speaker #0

    Oui, c'est la modalité.

  • Speaker #1

    Voilà, ça n'a strictement aucune utilité. Non, c'était un partage, il y avait un élément un peu plus nuancé dans leurs analyses, et pour eux, déjà c'était un moyen utile pour rapprocher des collaborateurs, parce que parfois, spécialement ou hiérarchiquement, un peu séparés. On a des entreprises où on ne se voit pas souvent. C'est vrai que le team building, c'est un temps qui permet aux équipes de se rencontrer et d'avoir des échanges. qui serait plus difficile à avoir hors de ce dispositif. Et puis, c'est aussi un très bon moyen pour rompre avec la routine des journées de travail. Mais pour que cela fonctionne, en fait, il y avait plusieurs conditions. Moins d'activités puériles, moins d'encadrement managerial et surtout, moins d'effets cosmétiques quand il y a vraiment des problèmes de fond au cœur des organisations.

  • Speaker #0

    Oui, la dimension puérile, elle pose un problème quand même.

  • Speaker #1

    Effectivement, la dimension puérile, elle pose un problème. On l'a vu tout à l'heure avec des exemples d'activités. Il y a l'idée que... Vous allez retourner un peu au jardin d'enfants, à la crèche, vous amusez avec vos copains. Et donc ça, le fait que ça soit imposé et piloté par la hiérarchie, et que vous devez en plus vous en amuser, c'est vrai qu'il y a un enjeu et un décalage avec le quotidien de travail. On ne comprend pas du tout l'intérêt de tout ça.

  • Speaker #0

    Moi, je crois que c'était des légendes, ces histoires de l'égo et tout. Franchement, j'y croyais à peine. Je me disais que non, ce n'est pas vrai, ça n'existe pas.

  • Speaker #1

    Non, c'est la réalité du terrain. Voilà. Après, ça peut prendre d'autres formes, mais on entendait tout à l'heure l'exemple d'une jeune diplômée qui nous parlait de jeux sur ordinateur, etc. Donc, il y a vraiment cette dimension pseudo-ludique qui ressort et qui fait apparaître un peu, parfois, la vacuité de ces sessions-là sans vraiment fondement théorique, qui reste un petit peu des coquilles vides et des moments un peu vides de sens pour ceux qui y participent.

  • Speaker #0

    Et alors, quelle serait, selon vous, la recette d'un vrai moment de partage ?

  • Speaker #1

    Là, je me base à nouveau sur ce que nous ont proposé les jeunes diplômés, puisqu'ils avaient quand même des idées, comme vous l'aviez bien souligné. Pour moi, il y a deux valeurs cardinales qui sont essentielles. C'est un, la spontanéité. Deux, le volontariat. Ils souhaitent finalement la mise en place d'événements relativement simples, authentiques, initiés par les employés eux-mêmes. Finalement, rien ne sert de dépenser des milliers d'essence, d'aller chercher midi à 14h pour organiser une session qui fait sens selon eux.

  • Speaker #0

    Ou presque de leur confier un budget. On pourrait presque se dire une entreprise... donne une enveloppe et puis finalement, c'est le collectif et les salariés qui s'emparent du sujet pour faire ce qu'ils ont envie de faire et éviter ces moments d'infantilisation dans ces team building. Vous insistez d'ailleurs sur la formelle, le spontané et une logique ascendante. On y a un petit peu répondu, mais à quoi ça pourrait ressembler concrètement un vrai moment de partage ?

  • Speaker #1

    comme on l'a évoqué, c'est la question spontanée et la question du volontariat. Ce seraient des événements basés sur le volontariat qui partiraient de la base des employés. C'est-à-dire que ce sont des événements un petit peu bottom-up. Et ce serait par exemple, concrètement, des salariés qui proposent un moment de détente après une semaine qui a été difficile, un peu dense. Ce serait, on va boire un verre, on partage un impuritif, on peut aller faire un karaoké, mais toujours de façon informelle, décontractée, sans objectif derrière d'accroître à tout prix la performance des équipes. C'est surtout ça qui est important, de se dire qu'il n'y a pas d'objectif fixé pour ce temps-là. C'est vraiment un moment informel d'échange, de découverte de certains membres d'équipes éloignés et autres, mais vraiment dans une logique pour elle-même en fait. C'est vraiment un événement pour lui-même et pas avec un objectif caché derrière de se dire que lundi matin, ça ira mieux quand on se reverra à la réunion d'équipe.

  • Speaker #0

    Très clair. D'ailleurs, il y a un exemple marquant dans l'étude. avec une chef de patrouille de France. Qu'est-ce que cette expérience, elle révèle de ce qui peut vraiment fonctionner ?

  • Speaker #1

    Alors effectivement, un des jeunes diplômés qu'on a interrogé nous a fait part d'une expérience de team building réussie qui, selon lui, a très bien fonctionné. Il y en avait. Et il s'agissait d'un retour d'expérience d'une chef de la patrouille de France, donc dans le domaine aérien, qui était intervenue sur l'importance de la cohésion et de la coordination. Et on le voit que c'est hyper important, cette coordination, cette cohésion entre tous les pilotes lorsqu'on fait un show aérien, par exemple. Là, on n'a pas le droit, tout est millimétré, on n'a pas le droit d'être en désynchronisation avec ses collègues. Alors, ce qui s'est joué là, qu'est-ce qui, pour nous, a fonctionné dans ce team building ? C'est déjà la qualité de l'intervention proposée et puis le sérieux de l'interlocuteur. Il ne s'agit pas d'un énième coach qui propose ses recettes miracles, un peu éculées sur le fonctionnement des équipes. On a, avec la Patrouille de France, on a du concret, on a de l'expérience et on a de l'excellence. On pourrait penser à organiser des événements un peu similaires. Alors, à nouveau, soit avec d'autres membres de la Patrouille de France, on ne pourra peut-être pas les solliciter, pour du multi-building.

  • Speaker #0

    C'était quoi d'ailleurs ? C'était quoi leur team building ? Ça consistait en quoi exactement ?

  • Speaker #1

    Alors, c'était vraiment un retour d'expérience, vraiment une logique un peu de conférence, de partage d'expérience, avec des interventions aussi d'autres personnes tournées en vidéo, etc. pour vraiment montrer comment ça fonctionne de l'intérieur. Donc, il y avait aussi une dimension culturelle, de pure culture générale, de comprendre comment fonctionne... et comment est-ce qu'on s'entraîne ensemble pour proposer un choix aérien millimétré. Donc il y avait vraiment une dimension pertinente. des qualités pour les participants. Ils n'ont pas trouvé ça puéril ni ridicule.

  • Speaker #0

    Oui, et puis lié au travail, à la qualité du travail, ça a un sens de cette fois-ci que ce soit l'employeur qui s'en empare.

  • Speaker #1

    Exactement, tout à fait. Donc on pourrait penser à des événements similaires, avec des grands sportifs qui jouent en équipe, par exemple. On pourrait penser à des musiciens dans un orchestre. On pourrait penser à des chefs culinaires qui travaillent avec des brigades et qui vont proposer dans un restaurant des plats gastronomiques. Donc finalement, les interlocuteurs pertinents et crédibles ne manquent pas. pour organiser des événements un peu plus structurés qui viendraient du management.

  • Speaker #0

    Ok, super. Donc, ce que je vois un peu comme conclusion ou comme enseignement de cette étude, c'est qu'il faudrait peut-être arrêter de forcer le fun.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça c'est impératif, que ce fun soit imposé par le management avec l'idée que derrière, les entreprises seront plus performantes grâce à cela. Déjà, il n'y a aucune étude qui nous l'a prouvé. Et on voit que quand on donne la parole aux participants, Ils sont complètement désemparés par ce management du fun. Donc, complètement.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas le sujet.

  • Speaker #1

    Et puis, plus le fun va être managé et encadré, plus il devient suspect. On se demande, c'est quoi l'idée derrière la tête ? Qu'est-ce qu'ils ont comme volonté derrière de nous faire faire ? C'est quoi l'objectif ? Parce qu'on se dit que dans la tête d'un manager, rien n'est gratuit. Il y a toujours une idée derrière la tête. Ce n'est pas de l'amusement pur. On se dit que derrière ça, il va falloir qu'on soit performant sur telle ou telle chose ou qu'on arrête de chamailler. parce qu'ils ont mis ça en place.

  • Speaker #0

    Oui, ça peut être contre-productif. Alors souvent quand même, les team building, alors peut-être pas que, mais souvent c'est les directions RH qui sont censées s'en emparer, à qui on demande de faire ce travail-là. Donc quel regard critique un DRH pourrait-il ou devrait-il porter sur le team building tel qu'il est pratiqué, puisque une fois de plus, cette tâche revient en direction aux 100 zones, alors qu'elle devrait même presque revenir finalement en ligne managériale. Le bon sens voudrait que ça vienne de deux.

  • Speaker #1

    Alors, j'aime beaucoup cette idée de regard critique. Je pense que c'est essentiel. On le souligne d'ailleurs à de nombreuses reprises avec mon collègue Xavier Philippe. C'est essentiel de porter un regard critique sur toutes ces modes managériales qu'on suit, bon an, mal an, pour se dire qu'il faut qu'on soit dans l'esprit du temps, dans l'air du temps, et en particulier sur le team building. Comme toutes les pratiques managériales, en fait, il y a un revers de la médaille. Et c'est ce que s'attèle à penser et analyser ce qu'on appelle en management les critical management studies, les études critiques en management. Et donc, on invite, nous, les collègues, que ce soit des collègues chercheurs, mais aussi des praticiens, donc des managers, à toujours repenser un peu les cadres, à se questionner. Et donc, finalement, les études critiques en management, elles cherchent à rompre avec le discours un peu mythique de la théorie managériale conventionnelle pour en montrer un peu les limites et puis les contradictions. Et au fond, ce travail critique en management, il revient à révéler un peu l'arrière-boutique, les conditions concrètes des opérations de gestion, l'incohérence des discours, les processus de domination qui sont à l'œuvre aussi, et puis l'absence de sensibilité éthique de certaines bonnes pratiques. Mon collègue Xavier Philippe avait été interrogé sur des pratiques encore plus fortes de team building qui questionnent l'éthique. On peut penser à des team building qui avaient été organisés où on se mettait dans la peau d'un migrant. « Vie ma vie de migrant » , ça avait été organisé.

  • Speaker #0

    Je ne l'avais pas évoqué.

  • Speaker #1

    Voilà. Aussi, il y a d'autres team buildings où il fallait fuir une ville ACG et se prendre pour un nazi.

  • Speaker #0

    Il y a ces idées-là.

  • Speaker #1

    On est plus dans le ridicule. On est vraiment dans un enjeu éthique. Ça devient totalement aberrant d'organiser ce type de pratique. Donc finalement, les études Critique & Management proposent de lever le voile, d'entrer dans les coulisses, de voir ce qui se passe vraiment dans les organisations sans se contenter des beaux discours de façade. et puis de tous les subterfuges des managers. Et d'ailleurs, en tant que professeur de ressources humaines, puisque je forme des futurs managers et peut-être des futurs DRH, chaque pratique managériale que je propose en cours, elle fait l'objet d'un débat en classe avec les étudiants. Alors là, c'est le cas du team building qu'on questionne beaucoup aujourd'hui, mais par exemple, je leur propose de questionner le CV vidéo, pratique qu'on voit parfois dans les entretiens de recrutement. C'est quoi l'intérêt de mettre en place de l'intelligence artificielle dans un processus de recrutement ? Ou encore... travailler dans un espace de coworking. C'est quoi les avantages, les inconvénients de ce genre de pratiques ? Et on arrive toujours à dialoguer, à discuter. C'est très rare qu'on arrive sur un consensus à dire « Là, on a une liste de 10 inconvénients, on n'a aucun avantage à cette pratique. » Et inversement, c'est très très rare qu'une pratique manageriale n'ait que des avantages. Donc à chaque fois qu'on met en place des pratiques, nous, on essaye de voir un petit peu, de contrebalancer tout ça et de faire réfléchir les étudiants et les futurs managers à cela. Parce que, vraiment, cultiver son esprit critique. L'esprit critique, c'est vraiment au cœur pour nous de ce que les managers doivent développer comme compétences pour le futur.

  • Speaker #0

    Et sortir des modes managériels.

  • Speaker #1

    Exactement. On pourrait même dire des dogmes. Des dogmes, oui. Voilà, un dogme, c'est une sorte de vérité qu'on ne questionne pas puisqu'il y a une liturgie et puis il y a des textes qui nous disent qu'on voit les choses telles qu'elles sont présentées.

  • Speaker #0

    Ok. J'avais préparé une question, mais on n'y a répondu. Si on devait organiser demain un team building, qu'est-ce qu'on donnerait comme conseil ? Mais je crois que vous venez d'y répondre parfaitement. On s'achemine vers la fin de cet échange passionnant. Et la promesse de ce podcast, c'est de repenser l'entreprise. Donc si je vous dis « team building Lego » ou « balade en forêt sans manager » , qu'est-ce que vous répondez Thomas ?

  • Speaker #1

    Alors au regard de tout ce qu'on vient de dire, j'opterais sans hésiter pour la balade en forêt sans manager ou la sortie culturelle basée sur le volontariat. Pourquoi ? Parce que déjà sans manager, ce n'est pas forcément au manager d'être présent, d'organiser ce type d'événement. Une balade en forêt ou une sortie culturelle, ça ne va pas coûter très cher. Donc finalement, c'est très facile à organiser. ça sera beaucoup moins coûteux et ça me semble bien plus efficace qu'un petit blending Lego où on fait venir un coach ou une agence d'événementiel qu'on a payé très très cher pour une journée où finalement la cohésion va sortir d'une gêne partagée. Je pense qu'il faut réinjecter un peu du sens dans tout ça.

  • Speaker #0

    Du bon sens quoi. Du bon sens en fait.

  • Speaker #1

    Et ne pas hésiter à demander, comme nous l'avons fait lors de notre étude avec Xavier Philippe, de demander l'avis des participants. souvent on impose ça et puis on n'en fait rien et les managers ne demandent pas vraiment de retour de la part des équipes c'est important de demander des retours aussi de ceux qui ont vécu ça d'avoir des retours de terrain qu'est-ce que vous en avez pensé, qu'est-ce qui pourrait être amélioré souvent on fait le team building et puis le lundi matin on retourne à son travail et comme si de rien n'était donc c'est important aussi que les managers aient ce travail réflexif sur eux-mêmes, sur les pratiques qu'ils imposent, mais aussi d'aller questionner les employés qui vivent ça sur le terrain. Je pense que c'est vraiment essentiel. Donc, il y a tout un travail de repenser tout ça de fond en comble, de ne pas laisser les choses telles quelles un peu sclérosées, de se dire que c'est une manière de faire. Oui,

  • Speaker #0

    ou de dupliquer des choses sans réfléchir, sans s'être approprié.

  • Speaker #1

    Exactement. Je pense que c'est vraiment essentiel de ne pas rester dans une logique de duplicata, de suivre des modes managériels, de se faire porter par les effets de mode. Et je pense que c'est vraiment essentiel de traiter ce thème-là à bras-le-corps. Et je pense que les salariés sont très réceptifs si on arrive à proposer des moments qui font sens à plusieurs en équipe.

  • Speaker #0

    Oui, et on obtiendra les choses qu'on veut et pas l'inverse.

  • Speaker #1

    Exactement. Ou alors, obtenir les choses qu'on veut, mais avec des moyens détournés et des moyens qui ne sont pas forcément louables. On l'a vu tout à l'heure sur le plan éthique. Là, c'est très problématique pour les entreprises. Et effectivement, l'idée, c'est d'avoir une sorte de cohérence. une colonne vertébrale dans tout ça et qu'on arrive à l'objectif final sans utiliser des moyens détournés.

  • Speaker #0

    Super. Merci beaucoup pour notre échange. Et puis, c'était vraiment passionnant. Et puis, à très bientôt sur Psyboulot.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    C'est la fin de cet épisode. Merci de nous avoir écoutés. Si vous souhaitez nous soutenir, pensez à vous abonner et à nous mettre 5 étoiles. Avant de vous quitter, je vous donne rendez-vous sur ma page LinkedIn ou sur le compte Instagram de Psyboulot si vous souhaitez échanger. me suggérer des invités et même venir témoigner à mon micro. À très vite sur Psyboule.

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Description

Pourquoi les entreprises s’acharnent-elles à organiser des sessions de team building ?

Pour créer du lien ? Renforcer la cohésion ? Améliorer la marque employeur ?


Dans cet épisode de Psyboulot, Thomas Simon, enseignant-chercheur à Montpellier Business School, partage les résultats d’une étude menée auprès de jeunes diplômés sur leur expérience du team building.


Et le constat est sans appel : malaise, absurdité, infantilisation. Le fun ne se décrète pas. Et la cohésion ne se pilote pas depuis un fichier Excel.


Un épisode essentiel pour tous ceux qui veulent repenser le travail d’équipe, sortir des dogmes managériaux, et remettre du sens (et du bon sens) dans les collectifs.


Retrouvez moi sur Linkedin et sur Instagram



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur Psyboulot, le podcast qui éclaire les coulisses du boulot. Je suis Marie-Claire Valentini, dirigeante EDRH. Je partage avec vous et mes invités mes interrogations et réflexions sur le monde professionnel. C'est après avoir étudié la psycho que j'ai eu envie de créer Psyboulot, un podcast qui décrypte les comportements humains et les dynamiques en entreprise. Ici, pas de pensée magique, pas de recette unique. Je vous donne rendez-vous à chaque épisode pour un nouveau défi du monde du travail. Hello, aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir à mon micro Thomas Simon. Bonjour Thomas.

  • Speaker #1

    Bonjour et merci de m'accueillir.

  • Speaker #0

    Je vous propose de commencer en vous présentant.

  • Speaker #1

    Alors, moi du coup je suis Thomas Simon, je suis professeur de ressources humaines à MBS School of Business sur le campus de Montpellier depuis trois ans. Avant cela, j'ai eu un double cursus académique, à la fois en management et en sciences de gestion, puisque je suis diplômé de deux masters en gestion et de deux masters en sciences humaines, un en philosophie et un en lettres modernes. Et pendant mes années d'études, j'ai travaillé sur différents sujets, que ce soit l'ennui en réunion, le suicide ou encore la prostitution. Et j'ai conclu ce parcours par une thèse en sciences de gestion à ESCP Business School à Paris pendant quatre ans. Et le thème, c'était quoi ? C'était de se questionner sur la façon dont les jeunes diplômés font face aux situations absurdes en entreprise. Parmi les sources de situations absurdes en entreprise, le team building s'est naturellement imposé comme un thème de choix.

  • Speaker #0

    Super. Alors, vous avez publié d'ailleurs une étude avec Xavier Philippe, faite à partir de 35 entretiens avec des jeunes diplômés, justement sur leur vécu du team building. Et moi, j'avais envie de vous demander, qu'est-ce qui vous a donné envie de creuser ce sujet qui m'a beaucoup intéressé à titre personnel ?

  • Speaker #1

    Alors, deux raisons principales. Il y avait tout d'abord un effet de mode. Le team building, c'est un sujet dont la presse est friande. C'est aussi un... un dispositif qui est plébiscité par les entreprises pour se donner une image fun, dynamique. Et d'ailleurs, la pop culture n'hésite pas à créer des épisodes parodiques sur l'absurdité de ces sessions. Je pense ici à Caméra Café, au Palma Show, qui ont développé des petits numéros autour des sessions de team building pour en dénoncer les errances et les absurdités. Il y avait donc un intérêt spécifique à creuser ce sujet d'un point de vue scientifique. D'autant plus que les études qu'on a consultées avec mon collègue Xavier Philippe, Elles se sont penchées sur les liens entre team building d'un côté et performance de l'autre, sans jamais démontrer de façon concrète que le team building améliore la performance des équipes. Il y avait donc une opportunité pour creuser ce sujet en donnant la parole aux participants à qui on impose le team building sans jamais réellement leur demander leur avis.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, est-ce que vous pouvez peut-être nous redire d'où vient le terme team building ?

  • Speaker #1

    Oui, alors il nous vient, comme la plupart des pratiques managériennes, il nous vient des États-Unis. Il nous vient des États-Unis dans les années 80. C'est donc un anglicisme. Et donc, littéralement, ça signifie construction d'équipe. Donc, on imagine qu'avec le team building, ça va être la mise en place de dispositifs par le management pour améliorer les liens, tisser des liens avec les salariés et donc construire une équipe à partir de cela.

  • Speaker #0

    Alors, le team building, c'est censé renforcer les liens, améliorer l'ambiance, booster la performance. Pourquoi ça reste aussi présent dans les entreprises malgré des critiques croissantes ?

  • Speaker #1

    Alors, je vois deux raisons principales à cet engouement des entreprises pour le team building malgré les critiques. Tout d'abord, il y a un enjeu de marque employeur avec des entreprises qui mènent une lutte sans merci pour attirer, retenir les jeunes générations en se donnant une image fun et décontractée. Les entreprises, elles sont convaincues que c'est le fun qui va permettre d'attirer les jeunes talents et que le team building, c'est un outil parfaitement adapté pour cela. dans le même esprit qu'installer un baby-foot, organiser des tournois de fond sur la pause de midi. Et on verra que ce n'est pas si simple que ça, parce que les indépendants ne sont pas nécessairement réceptifs à tous ces stratagèmes manageriaux qui imposent et mettent en scène le fun au travail. Deuxième raison, selon moi, pour ce plébiscite, malgré des critiques croissantes, c'est que le team building, c'est une solution relativement facile à mettre en place. On paye une agence d'événementiel, ou on fait venir un coach qui va nous fournir un événement clé en main. Donc même si le T-building, ça a un coût, Cela reste toujours moins cher et surtout moins consommateur de matières grises que de repenser de fond en comble ce qui ne fonctionne pas dans le quotidien de travail. C'est donc une solution de facilité, une sorte d'écran de fumée, pour ne pas se questionner sur ce qui ne tourne pas rond dans les pratiques de travail. Manque d'autonomie, procédures toujours plus contraignantes, objectifs impossibles à atteindre. Bref, on met en place des dispositifs qui sont par nature temporaires et donc illusoires, ce qui va détourner des vrais problèmes sans les traiter par la suite.

  • Speaker #0

    100% d'accord. Alors justement, je voudrais qu'on s'attarde à ce que disent vraiment les jeunes diplômés et qu'on revienne peut-être sur les résultats de terrain. Qu'est-ce qu'ils disent les jeunes diplômés que vous avez interrogés ? Qu'est-ce qu'ils vous ont livré comme témoignage et qu'est-ce qui vous a marqué ?

  • Speaker #1

    Alors de prime abord, il y avait une sorte de consensus autour d'une team building. Il y avait un constat général d'absurdité et d'inutilité. Ça, nos jeunes diplômés nous ont partagé des anecdotes assez croustillantes, sauf de malaise. Comme le fait de coller des gommettes sur une affiche, de se lancer une pelote de laine, de monter sur un Segway avec son manager. Et donc, au cours des entretiens, on a eu le droit à l'éventail de toutes les pratiques ridicules qui fleurissent dans ces sessions de cohésion d'équipe.

  • Speaker #0

    Coller des gommettes, je n'y ai jamais cru vraiment, c'est vrai ça ?

  • Speaker #1

    C'est vrai, il y a des jeunes diplômés qui nous ont fait part, deux parmi ceux que nous avons interrogés, qui nous ont parlé soit par des gommettes, soit des affichettes, soit la création de petits post-it avec des cœurs, etc. mais donc effectivement des activités qu'on retrouvait plutôt aux jardins d'enfants. Et donc je me souviens aussi d'une jeune diplômée qui avait insisté sur le gaspillage d'argent pour des choses qui, pour elle, semblent ne pas en valoir la peine.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Oui, donc il y a beaucoup de jeunes qui évoquent un sentiment d'absurdité, de ridicule, voire de malaise. Pourquoi ce sentiment y revient aussi souvent ? Vous parlez d'ailleurs d'un décalage entre une injonction, vous l'avez dit en introduction, et la réalité du travail. Comment ça se traduit tout ça, concrètement ?

  • Speaker #1

    Alors, on a un sentiment d'absurdité et de ridicule qui revient autant parmi les jeunes diplômés parce qu'en fait, on leur a tout simplement donné la parole. Dans toutes les études qu'on a consultées avec mon collègue Xavier Philippe, qui nous parle de team building, la parole des participants, elle est mise de côté. On la met sous le tapis. On ne veut pas trop en entendre parler. Et finalement, on va évoquer la performance dans ses recherches, la cohésion d'équipe avec un point de vue surpomblant de manière complètement désincarnée. Et quand on interroge le vécu subjectif... comme nous l'avons fait, la parole, elle se libère. Les participants, ils nous partagent des anecdotes croustillantes, ils nous partagent des moments d'errance qu'ils ont vécu, et donc c'est pour ça qu'on a ce sentiment d'absurdité, de ridicule qui revient comme une sorte de leitmotiv. Vous parliez aussi, c'est intéressant, de ce terme d'injonction au fun et ce décalage qu'il peut y avoir avec la réalité du travail. Alors le problème des sessions de team building, c'est qu'en fait, on va imposer aux collaborateurs de s'amuser pendant une période donnée lors d'un événement qui est voulu pilotée par le management. C'est ce qu'on a appelé avec mon collègue l'injonction au fun. Et cette injonction, elle entre un peu en tension directe avec l'exigence de sérieux au sein du monde professionnel. Au travail, on se doit d'exécuter certaines tâches en respectant des procédures et des canaux hiérarchiques. En somme, le team building vient brouiller l'écart de cette dichotomie en injectant de l'amusement au cœur du monde professionnel. Et plus concrètement, le fun qui va être imposé lors des sessions de team building se retrouve en décalage profond. avec le caractère un peu sclérosé du quotidien de travail. Amusez-vous le temps d'un team building, mais lundi, ce sera des retours derrière les écrans, et puis sans les quotidiens et les paillettes.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, il y a une phrase qui m'a marquée. La cohésion naît parfois de la gêne partagée. Qu'est-ce que ça dit, ça, de notre rapport collectif au travail aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Alors, cette phrase, elle est intéressante parce qu'elle met en lumière un paradoxe saisissant. Le succès du team building, c'est-à-dire créer de la cohésion d'équipe, résulte de son échec à faire passer un bon moment aux équipes. Donc finalement, si cohésion il y a, elle naît en fait d'une situation grotesque qui va advenir. Il y aurait une sorte de connivence qui va se créer entre les participants par une gêne commune et partagée. C'est ce que nous rappelait d'ailleurs une des jeunes diplômés qu'on a interrogé avec mon collègue, je la cite, on nous faisait faire des jeux sur les ordinateurs ensemble, mais c'était ridicule, et du coup ça créait des liens entre les gens parce qu'on se rendait tous compte que c'était ridicule. Et finalement, la construction du collectif de travail, ce qu'il faut comprendre, c'est que ça ne se fait pas par simple décret. Malheureusement, les liens entre des individus ne se tissent pas automatiquement parce que les organisations l'ont décrété pour un team building ou alors il faut en passer par une sorte de gêne partagé pour que des liens surgissent, ce qui n'était pas le but initial de ces sessions.

  • Speaker #0

    Mais ça crée du lien quand même autour de l'absurde. Exactement.

  • Speaker #1

    L'absurde est le ciment qui lie tout le monde.

  • Speaker #0

    Exactement. Parlons un petit peu du team building comme un théâtre social. Pourquoi vous dites que ces sessions prolongent le théâtre du quotidien plutôt que de le suspendre ?

  • Speaker #1

    Alors, ce n'est pas nous directement qui avons utilisé la métaphore théâtrale. Ce sont vraiment des jeunes diplômés eux-mêmes qui nous ont parlé de rôle, de costume, de mise en scène, etc. pour rendre compte de la façon dont ils vivaient à la fois les rapports humains au travail, mais aussi pendant les sessions de team building. Ce qui est intéressant, c'est que les sessions de team building n'étaient pas un aparté, comme on veut nous le faire croire. mais était une continuité du travail quotidien. Malgré le fait que les temps de cohésion sont présentés comme des moments d'amusement hors de la routine, ça reste des moments qui sont liés au travail, puisqu'on ne s'amuse pas avec des amis ou d'autres personnes extérieures à l'entreprise, mais bien avec ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques. Et si on porte un masque dans ses interactions quotidiennes au travail, ses moments de cohésion n'échappent pas à la règle.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, est-ce qu'on peut encore parler de moments authentiques quand les participants disent devoir jouer un rôle ou porter un masque ? C'est impossible.

  • Speaker #1

    Très compliqué de parler d'authenticité dans les sessions de team building quand on sait que vous allez être jugé, évalué, analysé par vos collègues et surtout par vos supérieurs. Gare à celui qui va trop prendre ses aises, il risquerait d'en faire les frais à la prochaine réunion. en tête-à-tête avec le manager. Il risque de lui empêcher un comportement inadapté dans un contexte qui était lié à son travail. Il y a donc une dimension assez sournoise dans ces temps de cohésion, car on va demander aux salariés de s'amuser, de faire tomber certaines barrières, et d'être eux-mêmes, un peu venez comme vous êtes, mais c'est pour mieux voir qui sera le premier à déraper, à faire du mauvais esprit, ou à ne pas jouer le jeu qui est imposé par la IRH.

  • Speaker #0

    Vous parlez de contrôle néonormatif, en quoi le seul devient-il une nouvelle forme ? de régulation comportementale.

  • Speaker #1

    Alors c'est intéressant ce terme-là de contrôle néonormatif parce qu'il y a l'idée que le fun, effectivement, serait un outil pour piloter les comportements dans les organisations et donc ça deviendrait une sorte de forme de régulation comportementale. C'est surtout ce fun, il devient forme de régulation lorsqu'il est pensé, piloté, imposé par la hiérarchie, comme c'est le cas dans les sessions de team building. Votre manager pense alors à votre place et c'est ce qui est bon pour vous. et en l'occurrence pour votre équipe, et vous demande de vous amuser afin de créer un collectif de travail. Et cette notion de contrôle néonormatif, elle rejoint des notions relativement connexes qu'on connaît dans les entreprises, comme le poste de Chief Happiness Officer. On va vous contrôler de façon néonormative avec ce diktat du bonheur. C'est aussi ce qu'on retrouve avec la notion d'apicratie qui est développée par Edgar Cabanas et Eva Illouz, qui nous parle de cette injonction au bonheur dans les entreprises. Donc en fait, on sait ce qui est bon pour vous. et on va vous l'imposer. Et si vous n'êtes pas de la partie, vous serez ostracisés.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, le team building promet du collectif, mais j'ai l'impression que parfois, il produit surtout l'inverse. Est-ce qu'on n'est pas sur une forme de paradoxe là quand même ?

  • Speaker #1

    Alors pour moi, le team building, c'est vraiment un outil managéal qui est pétri de paradoxes. S'il prie du collectif, c'est dans la gêne partagée. Il coûte cher, il est largement décrié, il n'a jamais prouvé son efficacité. Et pourtant, il continue d'être publicité par les entreprises. Pour toutes ces raisons, pour moi, le team building, c'est un paradoxe ambulant.

  • Speaker #0

    Ok. Pourquoi d'ailleurs c'est si important ? Parce que je pense que l'intention est toujours bonne, mais pourquoi c'est important de ne pas confondre travail d'équipe et socialisation ? C'est quoi la différence en fait ? Est-ce que ce n'est pas ça le problème ? Est-ce que ce n'est pas ça le problème de départ en fait ? Il n'y a pas une confusion sur tous ces sujets-là ?

  • Speaker #1

    Tout à fait. Je pense qu'il y a vraiment une confusion. On brouille un peu les cartes avec ces différentes notions. Et il est important de ne pas les confondre, travail d'équipe et socialisation, ce n'est pas exactement la même chose. Pourquoi ? Parce que c'est deux dynamiques différentes. Le travail d'équipe, c'est quoi ? C'est quelque chose qui vise à un objectif commun. Il y a une tâche, il y a un projet, on va mettre en commun des compétences, des individualités pour se fédérer autour d'un projet commun. Et donc ce travail d'équipe, il va être structuré et orienté vers des résultats objectifs. La socialisation, quant à elle... elle a pour but de créer, de renforcer des liens personnels, souvent de manière informelle. Et donc, ça va reposer plus sur des échanges spontanés et donc centré sur les individus. Donc, c'est important de ne pas confondre ces deux notions-là et de penser que l'une peut faire sans l'autre, etc. Je pense que c'est vraiment important de bien les distinguer et de ne pas penser que le team building va agir directement sur la question du travail d'équipe. Elle agit plutôt sur la socialisation, mais comme on l'a dit, il y a l'idée quand même du côté informel de tout cela. Et le problème, c'est que le team building, il n'est pas du tout informel. Il est cadré, piloté, managé. Voilà, exactement. Donc, le problème, il réside là-dedans.

  • Speaker #0

    Si on doit envisager des pistes pour réinventer un peu la cohésion au travail, ces mêmes jeunes que vous avez interrogés, ils ont des idées dans l'étude. Ils disent que ça peut marcher, mais avec certaines conditions. Finalement, quelles seraient ces conditions ? pour qu'on puisse donner des pistes de réflexion aux entreprises, aux managers, aux directions RH ?

  • Speaker #1

    Alors effectivement, tous les jeunes diplômés que nous avons interrogés, ils n'ont pas rejeté en bloc les sessions de courrier, pour dire il faut qu'on arrête tout, c'est terminé.

  • Speaker #0

    Oui, c'est la modalité.

  • Speaker #1

    Voilà, ça n'a strictement aucune utilité. Non, c'était un partage, il y avait un élément un peu plus nuancé dans leurs analyses, et pour eux, déjà c'était un moyen utile pour rapprocher des collaborateurs, parce que parfois, spécialement ou hiérarchiquement, un peu séparés. On a des entreprises où on ne se voit pas souvent. C'est vrai que le team building, c'est un temps qui permet aux équipes de se rencontrer et d'avoir des échanges. qui serait plus difficile à avoir hors de ce dispositif. Et puis, c'est aussi un très bon moyen pour rompre avec la routine des journées de travail. Mais pour que cela fonctionne, en fait, il y avait plusieurs conditions. Moins d'activités puériles, moins d'encadrement managerial et surtout, moins d'effets cosmétiques quand il y a vraiment des problèmes de fond au cœur des organisations.

  • Speaker #0

    Oui, la dimension puérile, elle pose un problème quand même.

  • Speaker #1

    Effectivement, la dimension puérile, elle pose un problème. On l'a vu tout à l'heure avec des exemples d'activités. Il y a l'idée que... Vous allez retourner un peu au jardin d'enfants, à la crèche, vous amusez avec vos copains. Et donc ça, le fait que ça soit imposé et piloté par la hiérarchie, et que vous devez en plus vous en amuser, c'est vrai qu'il y a un enjeu et un décalage avec le quotidien de travail. On ne comprend pas du tout l'intérêt de tout ça.

  • Speaker #0

    Moi, je crois que c'était des légendes, ces histoires de l'égo et tout. Franchement, j'y croyais à peine. Je me disais que non, ce n'est pas vrai, ça n'existe pas.

  • Speaker #1

    Non, c'est la réalité du terrain. Voilà. Après, ça peut prendre d'autres formes, mais on entendait tout à l'heure l'exemple d'une jeune diplômée qui nous parlait de jeux sur ordinateur, etc. Donc, il y a vraiment cette dimension pseudo-ludique qui ressort et qui fait apparaître un peu, parfois, la vacuité de ces sessions-là sans vraiment fondement théorique, qui reste un petit peu des coquilles vides et des moments un peu vides de sens pour ceux qui y participent.

  • Speaker #0

    Et alors, quelle serait, selon vous, la recette d'un vrai moment de partage ?

  • Speaker #1

    Là, je me base à nouveau sur ce que nous ont proposé les jeunes diplômés, puisqu'ils avaient quand même des idées, comme vous l'aviez bien souligné. Pour moi, il y a deux valeurs cardinales qui sont essentielles. C'est un, la spontanéité. Deux, le volontariat. Ils souhaitent finalement la mise en place d'événements relativement simples, authentiques, initiés par les employés eux-mêmes. Finalement, rien ne sert de dépenser des milliers d'essence, d'aller chercher midi à 14h pour organiser une session qui fait sens selon eux.

  • Speaker #0

    Ou presque de leur confier un budget. On pourrait presque se dire une entreprise... donne une enveloppe et puis finalement, c'est le collectif et les salariés qui s'emparent du sujet pour faire ce qu'ils ont envie de faire et éviter ces moments d'infantilisation dans ces team building. Vous insistez d'ailleurs sur la formelle, le spontané et une logique ascendante. On y a un petit peu répondu, mais à quoi ça pourrait ressembler concrètement un vrai moment de partage ?

  • Speaker #1

    comme on l'a évoqué, c'est la question spontanée et la question du volontariat. Ce seraient des événements basés sur le volontariat qui partiraient de la base des employés. C'est-à-dire que ce sont des événements un petit peu bottom-up. Et ce serait par exemple, concrètement, des salariés qui proposent un moment de détente après une semaine qui a été difficile, un peu dense. Ce serait, on va boire un verre, on partage un impuritif, on peut aller faire un karaoké, mais toujours de façon informelle, décontractée, sans objectif derrière d'accroître à tout prix la performance des équipes. C'est surtout ça qui est important, de se dire qu'il n'y a pas d'objectif fixé pour ce temps-là. C'est vraiment un moment informel d'échange, de découverte de certains membres d'équipes éloignés et autres, mais vraiment dans une logique pour elle-même en fait. C'est vraiment un événement pour lui-même et pas avec un objectif caché derrière de se dire que lundi matin, ça ira mieux quand on se reverra à la réunion d'équipe.

  • Speaker #0

    Très clair. D'ailleurs, il y a un exemple marquant dans l'étude. avec une chef de patrouille de France. Qu'est-ce que cette expérience, elle révèle de ce qui peut vraiment fonctionner ?

  • Speaker #1

    Alors effectivement, un des jeunes diplômés qu'on a interrogé nous a fait part d'une expérience de team building réussie qui, selon lui, a très bien fonctionné. Il y en avait. Et il s'agissait d'un retour d'expérience d'une chef de la patrouille de France, donc dans le domaine aérien, qui était intervenue sur l'importance de la cohésion et de la coordination. Et on le voit que c'est hyper important, cette coordination, cette cohésion entre tous les pilotes lorsqu'on fait un show aérien, par exemple. Là, on n'a pas le droit, tout est millimétré, on n'a pas le droit d'être en désynchronisation avec ses collègues. Alors, ce qui s'est joué là, qu'est-ce qui, pour nous, a fonctionné dans ce team building ? C'est déjà la qualité de l'intervention proposée et puis le sérieux de l'interlocuteur. Il ne s'agit pas d'un énième coach qui propose ses recettes miracles, un peu éculées sur le fonctionnement des équipes. On a, avec la Patrouille de France, on a du concret, on a de l'expérience et on a de l'excellence. On pourrait penser à organiser des événements un peu similaires. Alors, à nouveau, soit avec d'autres membres de la Patrouille de France, on ne pourra peut-être pas les solliciter, pour du multi-building.

  • Speaker #0

    C'était quoi d'ailleurs ? C'était quoi leur team building ? Ça consistait en quoi exactement ?

  • Speaker #1

    Alors, c'était vraiment un retour d'expérience, vraiment une logique un peu de conférence, de partage d'expérience, avec des interventions aussi d'autres personnes tournées en vidéo, etc. pour vraiment montrer comment ça fonctionne de l'intérieur. Donc, il y avait aussi une dimension culturelle, de pure culture générale, de comprendre comment fonctionne... et comment est-ce qu'on s'entraîne ensemble pour proposer un choix aérien millimétré. Donc il y avait vraiment une dimension pertinente. des qualités pour les participants. Ils n'ont pas trouvé ça puéril ni ridicule.

  • Speaker #0

    Oui, et puis lié au travail, à la qualité du travail, ça a un sens de cette fois-ci que ce soit l'employeur qui s'en empare.

  • Speaker #1

    Exactement, tout à fait. Donc on pourrait penser à des événements similaires, avec des grands sportifs qui jouent en équipe, par exemple. On pourrait penser à des musiciens dans un orchestre. On pourrait penser à des chefs culinaires qui travaillent avec des brigades et qui vont proposer dans un restaurant des plats gastronomiques. Donc finalement, les interlocuteurs pertinents et crédibles ne manquent pas. pour organiser des événements un peu plus structurés qui viendraient du management.

  • Speaker #0

    Ok, super. Donc, ce que je vois un peu comme conclusion ou comme enseignement de cette étude, c'est qu'il faudrait peut-être arrêter de forcer le fun.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça c'est impératif, que ce fun soit imposé par le management avec l'idée que derrière, les entreprises seront plus performantes grâce à cela. Déjà, il n'y a aucune étude qui nous l'a prouvé. Et on voit que quand on donne la parole aux participants, Ils sont complètement désemparés par ce management du fun. Donc, complètement.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas le sujet.

  • Speaker #1

    Et puis, plus le fun va être managé et encadré, plus il devient suspect. On se demande, c'est quoi l'idée derrière la tête ? Qu'est-ce qu'ils ont comme volonté derrière de nous faire faire ? C'est quoi l'objectif ? Parce qu'on se dit que dans la tête d'un manager, rien n'est gratuit. Il y a toujours une idée derrière la tête. Ce n'est pas de l'amusement pur. On se dit que derrière ça, il va falloir qu'on soit performant sur telle ou telle chose ou qu'on arrête de chamailler. parce qu'ils ont mis ça en place.

  • Speaker #0

    Oui, ça peut être contre-productif. Alors souvent quand même, les team building, alors peut-être pas que, mais souvent c'est les directions RH qui sont censées s'en emparer, à qui on demande de faire ce travail-là. Donc quel regard critique un DRH pourrait-il ou devrait-il porter sur le team building tel qu'il est pratiqué, puisque une fois de plus, cette tâche revient en direction aux 100 zones, alors qu'elle devrait même presque revenir finalement en ligne managériale. Le bon sens voudrait que ça vienne de deux.

  • Speaker #1

    Alors, j'aime beaucoup cette idée de regard critique. Je pense que c'est essentiel. On le souligne d'ailleurs à de nombreuses reprises avec mon collègue Xavier Philippe. C'est essentiel de porter un regard critique sur toutes ces modes managériales qu'on suit, bon an, mal an, pour se dire qu'il faut qu'on soit dans l'esprit du temps, dans l'air du temps, et en particulier sur le team building. Comme toutes les pratiques managériales, en fait, il y a un revers de la médaille. Et c'est ce que s'attèle à penser et analyser ce qu'on appelle en management les critical management studies, les études critiques en management. Et donc, on invite, nous, les collègues, que ce soit des collègues chercheurs, mais aussi des praticiens, donc des managers, à toujours repenser un peu les cadres, à se questionner. Et donc, finalement, les études critiques en management, elles cherchent à rompre avec le discours un peu mythique de la théorie managériale conventionnelle pour en montrer un peu les limites et puis les contradictions. Et au fond, ce travail critique en management, il revient à révéler un peu l'arrière-boutique, les conditions concrètes des opérations de gestion, l'incohérence des discours, les processus de domination qui sont à l'œuvre aussi, et puis l'absence de sensibilité éthique de certaines bonnes pratiques. Mon collègue Xavier Philippe avait été interrogé sur des pratiques encore plus fortes de team building qui questionnent l'éthique. On peut penser à des team building qui avaient été organisés où on se mettait dans la peau d'un migrant. « Vie ma vie de migrant » , ça avait été organisé.

  • Speaker #0

    Je ne l'avais pas évoqué.

  • Speaker #1

    Voilà. Aussi, il y a d'autres team buildings où il fallait fuir une ville ACG et se prendre pour un nazi.

  • Speaker #0

    Il y a ces idées-là.

  • Speaker #1

    On est plus dans le ridicule. On est vraiment dans un enjeu éthique. Ça devient totalement aberrant d'organiser ce type de pratique. Donc finalement, les études Critique & Management proposent de lever le voile, d'entrer dans les coulisses, de voir ce qui se passe vraiment dans les organisations sans se contenter des beaux discours de façade. et puis de tous les subterfuges des managers. Et d'ailleurs, en tant que professeur de ressources humaines, puisque je forme des futurs managers et peut-être des futurs DRH, chaque pratique managériale que je propose en cours, elle fait l'objet d'un débat en classe avec les étudiants. Alors là, c'est le cas du team building qu'on questionne beaucoup aujourd'hui, mais par exemple, je leur propose de questionner le CV vidéo, pratique qu'on voit parfois dans les entretiens de recrutement. C'est quoi l'intérêt de mettre en place de l'intelligence artificielle dans un processus de recrutement ? Ou encore... travailler dans un espace de coworking. C'est quoi les avantages, les inconvénients de ce genre de pratiques ? Et on arrive toujours à dialoguer, à discuter. C'est très rare qu'on arrive sur un consensus à dire « Là, on a une liste de 10 inconvénients, on n'a aucun avantage à cette pratique. » Et inversement, c'est très très rare qu'une pratique manageriale n'ait que des avantages. Donc à chaque fois qu'on met en place des pratiques, nous, on essaye de voir un petit peu, de contrebalancer tout ça et de faire réfléchir les étudiants et les futurs managers à cela. Parce que, vraiment, cultiver son esprit critique. L'esprit critique, c'est vraiment au cœur pour nous de ce que les managers doivent développer comme compétences pour le futur.

  • Speaker #0

    Et sortir des modes managériels.

  • Speaker #1

    Exactement. On pourrait même dire des dogmes. Des dogmes, oui. Voilà, un dogme, c'est une sorte de vérité qu'on ne questionne pas puisqu'il y a une liturgie et puis il y a des textes qui nous disent qu'on voit les choses telles qu'elles sont présentées.

  • Speaker #0

    Ok. J'avais préparé une question, mais on n'y a répondu. Si on devait organiser demain un team building, qu'est-ce qu'on donnerait comme conseil ? Mais je crois que vous venez d'y répondre parfaitement. On s'achemine vers la fin de cet échange passionnant. Et la promesse de ce podcast, c'est de repenser l'entreprise. Donc si je vous dis « team building Lego » ou « balade en forêt sans manager » , qu'est-ce que vous répondez Thomas ?

  • Speaker #1

    Alors au regard de tout ce qu'on vient de dire, j'opterais sans hésiter pour la balade en forêt sans manager ou la sortie culturelle basée sur le volontariat. Pourquoi ? Parce que déjà sans manager, ce n'est pas forcément au manager d'être présent, d'organiser ce type d'événement. Une balade en forêt ou une sortie culturelle, ça ne va pas coûter très cher. Donc finalement, c'est très facile à organiser. ça sera beaucoup moins coûteux et ça me semble bien plus efficace qu'un petit blending Lego où on fait venir un coach ou une agence d'événementiel qu'on a payé très très cher pour une journée où finalement la cohésion va sortir d'une gêne partagée. Je pense qu'il faut réinjecter un peu du sens dans tout ça.

  • Speaker #0

    Du bon sens quoi. Du bon sens en fait.

  • Speaker #1

    Et ne pas hésiter à demander, comme nous l'avons fait lors de notre étude avec Xavier Philippe, de demander l'avis des participants. souvent on impose ça et puis on n'en fait rien et les managers ne demandent pas vraiment de retour de la part des équipes c'est important de demander des retours aussi de ceux qui ont vécu ça d'avoir des retours de terrain qu'est-ce que vous en avez pensé, qu'est-ce qui pourrait être amélioré souvent on fait le team building et puis le lundi matin on retourne à son travail et comme si de rien n'était donc c'est important aussi que les managers aient ce travail réflexif sur eux-mêmes, sur les pratiques qu'ils imposent, mais aussi d'aller questionner les employés qui vivent ça sur le terrain. Je pense que c'est vraiment essentiel. Donc, il y a tout un travail de repenser tout ça de fond en comble, de ne pas laisser les choses telles quelles un peu sclérosées, de se dire que c'est une manière de faire. Oui,

  • Speaker #0

    ou de dupliquer des choses sans réfléchir, sans s'être approprié.

  • Speaker #1

    Exactement. Je pense que c'est vraiment essentiel de ne pas rester dans une logique de duplicata, de suivre des modes managériels, de se faire porter par les effets de mode. Et je pense que c'est vraiment essentiel de traiter ce thème-là à bras-le-corps. Et je pense que les salariés sont très réceptifs si on arrive à proposer des moments qui font sens à plusieurs en équipe.

  • Speaker #0

    Oui, et on obtiendra les choses qu'on veut et pas l'inverse.

  • Speaker #1

    Exactement. Ou alors, obtenir les choses qu'on veut, mais avec des moyens détournés et des moyens qui ne sont pas forcément louables. On l'a vu tout à l'heure sur le plan éthique. Là, c'est très problématique pour les entreprises. Et effectivement, l'idée, c'est d'avoir une sorte de cohérence. une colonne vertébrale dans tout ça et qu'on arrive à l'objectif final sans utiliser des moyens détournés.

  • Speaker #0

    Super. Merci beaucoup pour notre échange. Et puis, c'était vraiment passionnant. Et puis, à très bientôt sur Psyboulot.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    C'est la fin de cet épisode. Merci de nous avoir écoutés. Si vous souhaitez nous soutenir, pensez à vous abonner et à nous mettre 5 étoiles. Avant de vous quitter, je vous donne rendez-vous sur ma page LinkedIn ou sur le compte Instagram de Psyboulot si vous souhaitez échanger. me suggérer des invités et même venir témoigner à mon micro. À très vite sur Psyboule.

Description

Pourquoi les entreprises s’acharnent-elles à organiser des sessions de team building ?

Pour créer du lien ? Renforcer la cohésion ? Améliorer la marque employeur ?


Dans cet épisode de Psyboulot, Thomas Simon, enseignant-chercheur à Montpellier Business School, partage les résultats d’une étude menée auprès de jeunes diplômés sur leur expérience du team building.


Et le constat est sans appel : malaise, absurdité, infantilisation. Le fun ne se décrète pas. Et la cohésion ne se pilote pas depuis un fichier Excel.


Un épisode essentiel pour tous ceux qui veulent repenser le travail d’équipe, sortir des dogmes managériaux, et remettre du sens (et du bon sens) dans les collectifs.


Retrouvez moi sur Linkedin et sur Instagram



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur Psyboulot, le podcast qui éclaire les coulisses du boulot. Je suis Marie-Claire Valentini, dirigeante EDRH. Je partage avec vous et mes invités mes interrogations et réflexions sur le monde professionnel. C'est après avoir étudié la psycho que j'ai eu envie de créer Psyboulot, un podcast qui décrypte les comportements humains et les dynamiques en entreprise. Ici, pas de pensée magique, pas de recette unique. Je vous donne rendez-vous à chaque épisode pour un nouveau défi du monde du travail. Hello, aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir à mon micro Thomas Simon. Bonjour Thomas.

  • Speaker #1

    Bonjour et merci de m'accueillir.

  • Speaker #0

    Je vous propose de commencer en vous présentant.

  • Speaker #1

    Alors, moi du coup je suis Thomas Simon, je suis professeur de ressources humaines à MBS School of Business sur le campus de Montpellier depuis trois ans. Avant cela, j'ai eu un double cursus académique, à la fois en management et en sciences de gestion, puisque je suis diplômé de deux masters en gestion et de deux masters en sciences humaines, un en philosophie et un en lettres modernes. Et pendant mes années d'études, j'ai travaillé sur différents sujets, que ce soit l'ennui en réunion, le suicide ou encore la prostitution. Et j'ai conclu ce parcours par une thèse en sciences de gestion à ESCP Business School à Paris pendant quatre ans. Et le thème, c'était quoi ? C'était de se questionner sur la façon dont les jeunes diplômés font face aux situations absurdes en entreprise. Parmi les sources de situations absurdes en entreprise, le team building s'est naturellement imposé comme un thème de choix.

  • Speaker #0

    Super. Alors, vous avez publié d'ailleurs une étude avec Xavier Philippe, faite à partir de 35 entretiens avec des jeunes diplômés, justement sur leur vécu du team building. Et moi, j'avais envie de vous demander, qu'est-ce qui vous a donné envie de creuser ce sujet qui m'a beaucoup intéressé à titre personnel ?

  • Speaker #1

    Alors, deux raisons principales. Il y avait tout d'abord un effet de mode. Le team building, c'est un sujet dont la presse est friande. C'est aussi un... un dispositif qui est plébiscité par les entreprises pour se donner une image fun, dynamique. Et d'ailleurs, la pop culture n'hésite pas à créer des épisodes parodiques sur l'absurdité de ces sessions. Je pense ici à Caméra Café, au Palma Show, qui ont développé des petits numéros autour des sessions de team building pour en dénoncer les errances et les absurdités. Il y avait donc un intérêt spécifique à creuser ce sujet d'un point de vue scientifique. D'autant plus que les études qu'on a consultées avec mon collègue Xavier Philippe, Elles se sont penchées sur les liens entre team building d'un côté et performance de l'autre, sans jamais démontrer de façon concrète que le team building améliore la performance des équipes. Il y avait donc une opportunité pour creuser ce sujet en donnant la parole aux participants à qui on impose le team building sans jamais réellement leur demander leur avis.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, est-ce que vous pouvez peut-être nous redire d'où vient le terme team building ?

  • Speaker #1

    Oui, alors il nous vient, comme la plupart des pratiques managériennes, il nous vient des États-Unis. Il nous vient des États-Unis dans les années 80. C'est donc un anglicisme. Et donc, littéralement, ça signifie construction d'équipe. Donc, on imagine qu'avec le team building, ça va être la mise en place de dispositifs par le management pour améliorer les liens, tisser des liens avec les salariés et donc construire une équipe à partir de cela.

  • Speaker #0

    Alors, le team building, c'est censé renforcer les liens, améliorer l'ambiance, booster la performance. Pourquoi ça reste aussi présent dans les entreprises malgré des critiques croissantes ?

  • Speaker #1

    Alors, je vois deux raisons principales à cet engouement des entreprises pour le team building malgré les critiques. Tout d'abord, il y a un enjeu de marque employeur avec des entreprises qui mènent une lutte sans merci pour attirer, retenir les jeunes générations en se donnant une image fun et décontractée. Les entreprises, elles sont convaincues que c'est le fun qui va permettre d'attirer les jeunes talents et que le team building, c'est un outil parfaitement adapté pour cela. dans le même esprit qu'installer un baby-foot, organiser des tournois de fond sur la pause de midi. Et on verra que ce n'est pas si simple que ça, parce que les indépendants ne sont pas nécessairement réceptifs à tous ces stratagèmes manageriaux qui imposent et mettent en scène le fun au travail. Deuxième raison, selon moi, pour ce plébiscite, malgré des critiques croissantes, c'est que le team building, c'est une solution relativement facile à mettre en place. On paye une agence d'événementiel, ou on fait venir un coach qui va nous fournir un événement clé en main. Donc même si le T-building, ça a un coût, Cela reste toujours moins cher et surtout moins consommateur de matières grises que de repenser de fond en comble ce qui ne fonctionne pas dans le quotidien de travail. C'est donc une solution de facilité, une sorte d'écran de fumée, pour ne pas se questionner sur ce qui ne tourne pas rond dans les pratiques de travail. Manque d'autonomie, procédures toujours plus contraignantes, objectifs impossibles à atteindre. Bref, on met en place des dispositifs qui sont par nature temporaires et donc illusoires, ce qui va détourner des vrais problèmes sans les traiter par la suite.

  • Speaker #0

    100% d'accord. Alors justement, je voudrais qu'on s'attarde à ce que disent vraiment les jeunes diplômés et qu'on revienne peut-être sur les résultats de terrain. Qu'est-ce qu'ils disent les jeunes diplômés que vous avez interrogés ? Qu'est-ce qu'ils vous ont livré comme témoignage et qu'est-ce qui vous a marqué ?

  • Speaker #1

    Alors de prime abord, il y avait une sorte de consensus autour d'une team building. Il y avait un constat général d'absurdité et d'inutilité. Ça, nos jeunes diplômés nous ont partagé des anecdotes assez croustillantes, sauf de malaise. Comme le fait de coller des gommettes sur une affiche, de se lancer une pelote de laine, de monter sur un Segway avec son manager. Et donc, au cours des entretiens, on a eu le droit à l'éventail de toutes les pratiques ridicules qui fleurissent dans ces sessions de cohésion d'équipe.

  • Speaker #0

    Coller des gommettes, je n'y ai jamais cru vraiment, c'est vrai ça ?

  • Speaker #1

    C'est vrai, il y a des jeunes diplômés qui nous ont fait part, deux parmi ceux que nous avons interrogés, qui nous ont parlé soit par des gommettes, soit des affichettes, soit la création de petits post-it avec des cœurs, etc. mais donc effectivement des activités qu'on retrouvait plutôt aux jardins d'enfants. Et donc je me souviens aussi d'une jeune diplômée qui avait insisté sur le gaspillage d'argent pour des choses qui, pour elle, semblent ne pas en valoir la peine.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Oui, donc il y a beaucoup de jeunes qui évoquent un sentiment d'absurdité, de ridicule, voire de malaise. Pourquoi ce sentiment y revient aussi souvent ? Vous parlez d'ailleurs d'un décalage entre une injonction, vous l'avez dit en introduction, et la réalité du travail. Comment ça se traduit tout ça, concrètement ?

  • Speaker #1

    Alors, on a un sentiment d'absurdité et de ridicule qui revient autant parmi les jeunes diplômés parce qu'en fait, on leur a tout simplement donné la parole. Dans toutes les études qu'on a consultées avec mon collègue Xavier Philippe, qui nous parle de team building, la parole des participants, elle est mise de côté. On la met sous le tapis. On ne veut pas trop en entendre parler. Et finalement, on va évoquer la performance dans ses recherches, la cohésion d'équipe avec un point de vue surpomblant de manière complètement désincarnée. Et quand on interroge le vécu subjectif... comme nous l'avons fait, la parole, elle se libère. Les participants, ils nous partagent des anecdotes croustillantes, ils nous partagent des moments d'errance qu'ils ont vécu, et donc c'est pour ça qu'on a ce sentiment d'absurdité, de ridicule qui revient comme une sorte de leitmotiv. Vous parliez aussi, c'est intéressant, de ce terme d'injonction au fun et ce décalage qu'il peut y avoir avec la réalité du travail. Alors le problème des sessions de team building, c'est qu'en fait, on va imposer aux collaborateurs de s'amuser pendant une période donnée lors d'un événement qui est voulu pilotée par le management. C'est ce qu'on a appelé avec mon collègue l'injonction au fun. Et cette injonction, elle entre un peu en tension directe avec l'exigence de sérieux au sein du monde professionnel. Au travail, on se doit d'exécuter certaines tâches en respectant des procédures et des canaux hiérarchiques. En somme, le team building vient brouiller l'écart de cette dichotomie en injectant de l'amusement au cœur du monde professionnel. Et plus concrètement, le fun qui va être imposé lors des sessions de team building se retrouve en décalage profond. avec le caractère un peu sclérosé du quotidien de travail. Amusez-vous le temps d'un team building, mais lundi, ce sera des retours derrière les écrans, et puis sans les quotidiens et les paillettes.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, il y a une phrase qui m'a marquée. La cohésion naît parfois de la gêne partagée. Qu'est-ce que ça dit, ça, de notre rapport collectif au travail aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Alors, cette phrase, elle est intéressante parce qu'elle met en lumière un paradoxe saisissant. Le succès du team building, c'est-à-dire créer de la cohésion d'équipe, résulte de son échec à faire passer un bon moment aux équipes. Donc finalement, si cohésion il y a, elle naît en fait d'une situation grotesque qui va advenir. Il y aurait une sorte de connivence qui va se créer entre les participants par une gêne commune et partagée. C'est ce que nous rappelait d'ailleurs une des jeunes diplômés qu'on a interrogé avec mon collègue, je la cite, on nous faisait faire des jeux sur les ordinateurs ensemble, mais c'était ridicule, et du coup ça créait des liens entre les gens parce qu'on se rendait tous compte que c'était ridicule. Et finalement, la construction du collectif de travail, ce qu'il faut comprendre, c'est que ça ne se fait pas par simple décret. Malheureusement, les liens entre des individus ne se tissent pas automatiquement parce que les organisations l'ont décrété pour un team building ou alors il faut en passer par une sorte de gêne partagé pour que des liens surgissent, ce qui n'était pas le but initial de ces sessions.

  • Speaker #0

    Mais ça crée du lien quand même autour de l'absurde. Exactement.

  • Speaker #1

    L'absurde est le ciment qui lie tout le monde.

  • Speaker #0

    Exactement. Parlons un petit peu du team building comme un théâtre social. Pourquoi vous dites que ces sessions prolongent le théâtre du quotidien plutôt que de le suspendre ?

  • Speaker #1

    Alors, ce n'est pas nous directement qui avons utilisé la métaphore théâtrale. Ce sont vraiment des jeunes diplômés eux-mêmes qui nous ont parlé de rôle, de costume, de mise en scène, etc. pour rendre compte de la façon dont ils vivaient à la fois les rapports humains au travail, mais aussi pendant les sessions de team building. Ce qui est intéressant, c'est que les sessions de team building n'étaient pas un aparté, comme on veut nous le faire croire. mais était une continuité du travail quotidien. Malgré le fait que les temps de cohésion sont présentés comme des moments d'amusement hors de la routine, ça reste des moments qui sont liés au travail, puisqu'on ne s'amuse pas avec des amis ou d'autres personnes extérieures à l'entreprise, mais bien avec ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques. Et si on porte un masque dans ses interactions quotidiennes au travail, ses moments de cohésion n'échappent pas à la règle.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, est-ce qu'on peut encore parler de moments authentiques quand les participants disent devoir jouer un rôle ou porter un masque ? C'est impossible.

  • Speaker #1

    Très compliqué de parler d'authenticité dans les sessions de team building quand on sait que vous allez être jugé, évalué, analysé par vos collègues et surtout par vos supérieurs. Gare à celui qui va trop prendre ses aises, il risquerait d'en faire les frais à la prochaine réunion. en tête-à-tête avec le manager. Il risque de lui empêcher un comportement inadapté dans un contexte qui était lié à son travail. Il y a donc une dimension assez sournoise dans ces temps de cohésion, car on va demander aux salariés de s'amuser, de faire tomber certaines barrières, et d'être eux-mêmes, un peu venez comme vous êtes, mais c'est pour mieux voir qui sera le premier à déraper, à faire du mauvais esprit, ou à ne pas jouer le jeu qui est imposé par la IRH.

  • Speaker #0

    Vous parlez de contrôle néonormatif, en quoi le seul devient-il une nouvelle forme ? de régulation comportementale.

  • Speaker #1

    Alors c'est intéressant ce terme-là de contrôle néonormatif parce qu'il y a l'idée que le fun, effectivement, serait un outil pour piloter les comportements dans les organisations et donc ça deviendrait une sorte de forme de régulation comportementale. C'est surtout ce fun, il devient forme de régulation lorsqu'il est pensé, piloté, imposé par la hiérarchie, comme c'est le cas dans les sessions de team building. Votre manager pense alors à votre place et c'est ce qui est bon pour vous. et en l'occurrence pour votre équipe, et vous demande de vous amuser afin de créer un collectif de travail. Et cette notion de contrôle néonormatif, elle rejoint des notions relativement connexes qu'on connaît dans les entreprises, comme le poste de Chief Happiness Officer. On va vous contrôler de façon néonormative avec ce diktat du bonheur. C'est aussi ce qu'on retrouve avec la notion d'apicratie qui est développée par Edgar Cabanas et Eva Illouz, qui nous parle de cette injonction au bonheur dans les entreprises. Donc en fait, on sait ce qui est bon pour vous. et on va vous l'imposer. Et si vous n'êtes pas de la partie, vous serez ostracisés.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, le team building promet du collectif, mais j'ai l'impression que parfois, il produit surtout l'inverse. Est-ce qu'on n'est pas sur une forme de paradoxe là quand même ?

  • Speaker #1

    Alors pour moi, le team building, c'est vraiment un outil managéal qui est pétri de paradoxes. S'il prie du collectif, c'est dans la gêne partagée. Il coûte cher, il est largement décrié, il n'a jamais prouvé son efficacité. Et pourtant, il continue d'être publicité par les entreprises. Pour toutes ces raisons, pour moi, le team building, c'est un paradoxe ambulant.

  • Speaker #0

    Ok. Pourquoi d'ailleurs c'est si important ? Parce que je pense que l'intention est toujours bonne, mais pourquoi c'est important de ne pas confondre travail d'équipe et socialisation ? C'est quoi la différence en fait ? Est-ce que ce n'est pas ça le problème ? Est-ce que ce n'est pas ça le problème de départ en fait ? Il n'y a pas une confusion sur tous ces sujets-là ?

  • Speaker #1

    Tout à fait. Je pense qu'il y a vraiment une confusion. On brouille un peu les cartes avec ces différentes notions. Et il est important de ne pas les confondre, travail d'équipe et socialisation, ce n'est pas exactement la même chose. Pourquoi ? Parce que c'est deux dynamiques différentes. Le travail d'équipe, c'est quoi ? C'est quelque chose qui vise à un objectif commun. Il y a une tâche, il y a un projet, on va mettre en commun des compétences, des individualités pour se fédérer autour d'un projet commun. Et donc ce travail d'équipe, il va être structuré et orienté vers des résultats objectifs. La socialisation, quant à elle... elle a pour but de créer, de renforcer des liens personnels, souvent de manière informelle. Et donc, ça va reposer plus sur des échanges spontanés et donc centré sur les individus. Donc, c'est important de ne pas confondre ces deux notions-là et de penser que l'une peut faire sans l'autre, etc. Je pense que c'est vraiment important de bien les distinguer et de ne pas penser que le team building va agir directement sur la question du travail d'équipe. Elle agit plutôt sur la socialisation, mais comme on l'a dit, il y a l'idée quand même du côté informel de tout cela. Et le problème, c'est que le team building, il n'est pas du tout informel. Il est cadré, piloté, managé. Voilà, exactement. Donc, le problème, il réside là-dedans.

  • Speaker #0

    Si on doit envisager des pistes pour réinventer un peu la cohésion au travail, ces mêmes jeunes que vous avez interrogés, ils ont des idées dans l'étude. Ils disent que ça peut marcher, mais avec certaines conditions. Finalement, quelles seraient ces conditions ? pour qu'on puisse donner des pistes de réflexion aux entreprises, aux managers, aux directions RH ?

  • Speaker #1

    Alors effectivement, tous les jeunes diplômés que nous avons interrogés, ils n'ont pas rejeté en bloc les sessions de courrier, pour dire il faut qu'on arrête tout, c'est terminé.

  • Speaker #0

    Oui, c'est la modalité.

  • Speaker #1

    Voilà, ça n'a strictement aucune utilité. Non, c'était un partage, il y avait un élément un peu plus nuancé dans leurs analyses, et pour eux, déjà c'était un moyen utile pour rapprocher des collaborateurs, parce que parfois, spécialement ou hiérarchiquement, un peu séparés. On a des entreprises où on ne se voit pas souvent. C'est vrai que le team building, c'est un temps qui permet aux équipes de se rencontrer et d'avoir des échanges. qui serait plus difficile à avoir hors de ce dispositif. Et puis, c'est aussi un très bon moyen pour rompre avec la routine des journées de travail. Mais pour que cela fonctionne, en fait, il y avait plusieurs conditions. Moins d'activités puériles, moins d'encadrement managerial et surtout, moins d'effets cosmétiques quand il y a vraiment des problèmes de fond au cœur des organisations.

  • Speaker #0

    Oui, la dimension puérile, elle pose un problème quand même.

  • Speaker #1

    Effectivement, la dimension puérile, elle pose un problème. On l'a vu tout à l'heure avec des exemples d'activités. Il y a l'idée que... Vous allez retourner un peu au jardin d'enfants, à la crèche, vous amusez avec vos copains. Et donc ça, le fait que ça soit imposé et piloté par la hiérarchie, et que vous devez en plus vous en amuser, c'est vrai qu'il y a un enjeu et un décalage avec le quotidien de travail. On ne comprend pas du tout l'intérêt de tout ça.

  • Speaker #0

    Moi, je crois que c'était des légendes, ces histoires de l'égo et tout. Franchement, j'y croyais à peine. Je me disais que non, ce n'est pas vrai, ça n'existe pas.

  • Speaker #1

    Non, c'est la réalité du terrain. Voilà. Après, ça peut prendre d'autres formes, mais on entendait tout à l'heure l'exemple d'une jeune diplômée qui nous parlait de jeux sur ordinateur, etc. Donc, il y a vraiment cette dimension pseudo-ludique qui ressort et qui fait apparaître un peu, parfois, la vacuité de ces sessions-là sans vraiment fondement théorique, qui reste un petit peu des coquilles vides et des moments un peu vides de sens pour ceux qui y participent.

  • Speaker #0

    Et alors, quelle serait, selon vous, la recette d'un vrai moment de partage ?

  • Speaker #1

    Là, je me base à nouveau sur ce que nous ont proposé les jeunes diplômés, puisqu'ils avaient quand même des idées, comme vous l'aviez bien souligné. Pour moi, il y a deux valeurs cardinales qui sont essentielles. C'est un, la spontanéité. Deux, le volontariat. Ils souhaitent finalement la mise en place d'événements relativement simples, authentiques, initiés par les employés eux-mêmes. Finalement, rien ne sert de dépenser des milliers d'essence, d'aller chercher midi à 14h pour organiser une session qui fait sens selon eux.

  • Speaker #0

    Ou presque de leur confier un budget. On pourrait presque se dire une entreprise... donne une enveloppe et puis finalement, c'est le collectif et les salariés qui s'emparent du sujet pour faire ce qu'ils ont envie de faire et éviter ces moments d'infantilisation dans ces team building. Vous insistez d'ailleurs sur la formelle, le spontané et une logique ascendante. On y a un petit peu répondu, mais à quoi ça pourrait ressembler concrètement un vrai moment de partage ?

  • Speaker #1

    comme on l'a évoqué, c'est la question spontanée et la question du volontariat. Ce seraient des événements basés sur le volontariat qui partiraient de la base des employés. C'est-à-dire que ce sont des événements un petit peu bottom-up. Et ce serait par exemple, concrètement, des salariés qui proposent un moment de détente après une semaine qui a été difficile, un peu dense. Ce serait, on va boire un verre, on partage un impuritif, on peut aller faire un karaoké, mais toujours de façon informelle, décontractée, sans objectif derrière d'accroître à tout prix la performance des équipes. C'est surtout ça qui est important, de se dire qu'il n'y a pas d'objectif fixé pour ce temps-là. C'est vraiment un moment informel d'échange, de découverte de certains membres d'équipes éloignés et autres, mais vraiment dans une logique pour elle-même en fait. C'est vraiment un événement pour lui-même et pas avec un objectif caché derrière de se dire que lundi matin, ça ira mieux quand on se reverra à la réunion d'équipe.

  • Speaker #0

    Très clair. D'ailleurs, il y a un exemple marquant dans l'étude. avec une chef de patrouille de France. Qu'est-ce que cette expérience, elle révèle de ce qui peut vraiment fonctionner ?

  • Speaker #1

    Alors effectivement, un des jeunes diplômés qu'on a interrogé nous a fait part d'une expérience de team building réussie qui, selon lui, a très bien fonctionné. Il y en avait. Et il s'agissait d'un retour d'expérience d'une chef de la patrouille de France, donc dans le domaine aérien, qui était intervenue sur l'importance de la cohésion et de la coordination. Et on le voit que c'est hyper important, cette coordination, cette cohésion entre tous les pilotes lorsqu'on fait un show aérien, par exemple. Là, on n'a pas le droit, tout est millimétré, on n'a pas le droit d'être en désynchronisation avec ses collègues. Alors, ce qui s'est joué là, qu'est-ce qui, pour nous, a fonctionné dans ce team building ? C'est déjà la qualité de l'intervention proposée et puis le sérieux de l'interlocuteur. Il ne s'agit pas d'un énième coach qui propose ses recettes miracles, un peu éculées sur le fonctionnement des équipes. On a, avec la Patrouille de France, on a du concret, on a de l'expérience et on a de l'excellence. On pourrait penser à organiser des événements un peu similaires. Alors, à nouveau, soit avec d'autres membres de la Patrouille de France, on ne pourra peut-être pas les solliciter, pour du multi-building.

  • Speaker #0

    C'était quoi d'ailleurs ? C'était quoi leur team building ? Ça consistait en quoi exactement ?

  • Speaker #1

    Alors, c'était vraiment un retour d'expérience, vraiment une logique un peu de conférence, de partage d'expérience, avec des interventions aussi d'autres personnes tournées en vidéo, etc. pour vraiment montrer comment ça fonctionne de l'intérieur. Donc, il y avait aussi une dimension culturelle, de pure culture générale, de comprendre comment fonctionne... et comment est-ce qu'on s'entraîne ensemble pour proposer un choix aérien millimétré. Donc il y avait vraiment une dimension pertinente. des qualités pour les participants. Ils n'ont pas trouvé ça puéril ni ridicule.

  • Speaker #0

    Oui, et puis lié au travail, à la qualité du travail, ça a un sens de cette fois-ci que ce soit l'employeur qui s'en empare.

  • Speaker #1

    Exactement, tout à fait. Donc on pourrait penser à des événements similaires, avec des grands sportifs qui jouent en équipe, par exemple. On pourrait penser à des musiciens dans un orchestre. On pourrait penser à des chefs culinaires qui travaillent avec des brigades et qui vont proposer dans un restaurant des plats gastronomiques. Donc finalement, les interlocuteurs pertinents et crédibles ne manquent pas. pour organiser des événements un peu plus structurés qui viendraient du management.

  • Speaker #0

    Ok, super. Donc, ce que je vois un peu comme conclusion ou comme enseignement de cette étude, c'est qu'il faudrait peut-être arrêter de forcer le fun.

  • Speaker #1

    Ah oui, ça c'est impératif, que ce fun soit imposé par le management avec l'idée que derrière, les entreprises seront plus performantes grâce à cela. Déjà, il n'y a aucune étude qui nous l'a prouvé. Et on voit que quand on donne la parole aux participants, Ils sont complètement désemparés par ce management du fun. Donc, complètement.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas le sujet.

  • Speaker #1

    Et puis, plus le fun va être managé et encadré, plus il devient suspect. On se demande, c'est quoi l'idée derrière la tête ? Qu'est-ce qu'ils ont comme volonté derrière de nous faire faire ? C'est quoi l'objectif ? Parce qu'on se dit que dans la tête d'un manager, rien n'est gratuit. Il y a toujours une idée derrière la tête. Ce n'est pas de l'amusement pur. On se dit que derrière ça, il va falloir qu'on soit performant sur telle ou telle chose ou qu'on arrête de chamailler. parce qu'ils ont mis ça en place.

  • Speaker #0

    Oui, ça peut être contre-productif. Alors souvent quand même, les team building, alors peut-être pas que, mais souvent c'est les directions RH qui sont censées s'en emparer, à qui on demande de faire ce travail-là. Donc quel regard critique un DRH pourrait-il ou devrait-il porter sur le team building tel qu'il est pratiqué, puisque une fois de plus, cette tâche revient en direction aux 100 zones, alors qu'elle devrait même presque revenir finalement en ligne managériale. Le bon sens voudrait que ça vienne de deux.

  • Speaker #1

    Alors, j'aime beaucoup cette idée de regard critique. Je pense que c'est essentiel. On le souligne d'ailleurs à de nombreuses reprises avec mon collègue Xavier Philippe. C'est essentiel de porter un regard critique sur toutes ces modes managériales qu'on suit, bon an, mal an, pour se dire qu'il faut qu'on soit dans l'esprit du temps, dans l'air du temps, et en particulier sur le team building. Comme toutes les pratiques managériales, en fait, il y a un revers de la médaille. Et c'est ce que s'attèle à penser et analyser ce qu'on appelle en management les critical management studies, les études critiques en management. Et donc, on invite, nous, les collègues, que ce soit des collègues chercheurs, mais aussi des praticiens, donc des managers, à toujours repenser un peu les cadres, à se questionner. Et donc, finalement, les études critiques en management, elles cherchent à rompre avec le discours un peu mythique de la théorie managériale conventionnelle pour en montrer un peu les limites et puis les contradictions. Et au fond, ce travail critique en management, il revient à révéler un peu l'arrière-boutique, les conditions concrètes des opérations de gestion, l'incohérence des discours, les processus de domination qui sont à l'œuvre aussi, et puis l'absence de sensibilité éthique de certaines bonnes pratiques. Mon collègue Xavier Philippe avait été interrogé sur des pratiques encore plus fortes de team building qui questionnent l'éthique. On peut penser à des team building qui avaient été organisés où on se mettait dans la peau d'un migrant. « Vie ma vie de migrant » , ça avait été organisé.

  • Speaker #0

    Je ne l'avais pas évoqué.

  • Speaker #1

    Voilà. Aussi, il y a d'autres team buildings où il fallait fuir une ville ACG et se prendre pour un nazi.

  • Speaker #0

    Il y a ces idées-là.

  • Speaker #1

    On est plus dans le ridicule. On est vraiment dans un enjeu éthique. Ça devient totalement aberrant d'organiser ce type de pratique. Donc finalement, les études Critique & Management proposent de lever le voile, d'entrer dans les coulisses, de voir ce qui se passe vraiment dans les organisations sans se contenter des beaux discours de façade. et puis de tous les subterfuges des managers. Et d'ailleurs, en tant que professeur de ressources humaines, puisque je forme des futurs managers et peut-être des futurs DRH, chaque pratique managériale que je propose en cours, elle fait l'objet d'un débat en classe avec les étudiants. Alors là, c'est le cas du team building qu'on questionne beaucoup aujourd'hui, mais par exemple, je leur propose de questionner le CV vidéo, pratique qu'on voit parfois dans les entretiens de recrutement. C'est quoi l'intérêt de mettre en place de l'intelligence artificielle dans un processus de recrutement ? Ou encore... travailler dans un espace de coworking. C'est quoi les avantages, les inconvénients de ce genre de pratiques ? Et on arrive toujours à dialoguer, à discuter. C'est très rare qu'on arrive sur un consensus à dire « Là, on a une liste de 10 inconvénients, on n'a aucun avantage à cette pratique. » Et inversement, c'est très très rare qu'une pratique manageriale n'ait que des avantages. Donc à chaque fois qu'on met en place des pratiques, nous, on essaye de voir un petit peu, de contrebalancer tout ça et de faire réfléchir les étudiants et les futurs managers à cela. Parce que, vraiment, cultiver son esprit critique. L'esprit critique, c'est vraiment au cœur pour nous de ce que les managers doivent développer comme compétences pour le futur.

  • Speaker #0

    Et sortir des modes managériels.

  • Speaker #1

    Exactement. On pourrait même dire des dogmes. Des dogmes, oui. Voilà, un dogme, c'est une sorte de vérité qu'on ne questionne pas puisqu'il y a une liturgie et puis il y a des textes qui nous disent qu'on voit les choses telles qu'elles sont présentées.

  • Speaker #0

    Ok. J'avais préparé une question, mais on n'y a répondu. Si on devait organiser demain un team building, qu'est-ce qu'on donnerait comme conseil ? Mais je crois que vous venez d'y répondre parfaitement. On s'achemine vers la fin de cet échange passionnant. Et la promesse de ce podcast, c'est de repenser l'entreprise. Donc si je vous dis « team building Lego » ou « balade en forêt sans manager » , qu'est-ce que vous répondez Thomas ?

  • Speaker #1

    Alors au regard de tout ce qu'on vient de dire, j'opterais sans hésiter pour la balade en forêt sans manager ou la sortie culturelle basée sur le volontariat. Pourquoi ? Parce que déjà sans manager, ce n'est pas forcément au manager d'être présent, d'organiser ce type d'événement. Une balade en forêt ou une sortie culturelle, ça ne va pas coûter très cher. Donc finalement, c'est très facile à organiser. ça sera beaucoup moins coûteux et ça me semble bien plus efficace qu'un petit blending Lego où on fait venir un coach ou une agence d'événementiel qu'on a payé très très cher pour une journée où finalement la cohésion va sortir d'une gêne partagée. Je pense qu'il faut réinjecter un peu du sens dans tout ça.

  • Speaker #0

    Du bon sens quoi. Du bon sens en fait.

  • Speaker #1

    Et ne pas hésiter à demander, comme nous l'avons fait lors de notre étude avec Xavier Philippe, de demander l'avis des participants. souvent on impose ça et puis on n'en fait rien et les managers ne demandent pas vraiment de retour de la part des équipes c'est important de demander des retours aussi de ceux qui ont vécu ça d'avoir des retours de terrain qu'est-ce que vous en avez pensé, qu'est-ce qui pourrait être amélioré souvent on fait le team building et puis le lundi matin on retourne à son travail et comme si de rien n'était donc c'est important aussi que les managers aient ce travail réflexif sur eux-mêmes, sur les pratiques qu'ils imposent, mais aussi d'aller questionner les employés qui vivent ça sur le terrain. Je pense que c'est vraiment essentiel. Donc, il y a tout un travail de repenser tout ça de fond en comble, de ne pas laisser les choses telles quelles un peu sclérosées, de se dire que c'est une manière de faire. Oui,

  • Speaker #0

    ou de dupliquer des choses sans réfléchir, sans s'être approprié.

  • Speaker #1

    Exactement. Je pense que c'est vraiment essentiel de ne pas rester dans une logique de duplicata, de suivre des modes managériels, de se faire porter par les effets de mode. Et je pense que c'est vraiment essentiel de traiter ce thème-là à bras-le-corps. Et je pense que les salariés sont très réceptifs si on arrive à proposer des moments qui font sens à plusieurs en équipe.

  • Speaker #0

    Oui, et on obtiendra les choses qu'on veut et pas l'inverse.

  • Speaker #1

    Exactement. Ou alors, obtenir les choses qu'on veut, mais avec des moyens détournés et des moyens qui ne sont pas forcément louables. On l'a vu tout à l'heure sur le plan éthique. Là, c'est très problématique pour les entreprises. Et effectivement, l'idée, c'est d'avoir une sorte de cohérence. une colonne vertébrale dans tout ça et qu'on arrive à l'objectif final sans utiliser des moyens détournés.

  • Speaker #0

    Super. Merci beaucoup pour notre échange. Et puis, c'était vraiment passionnant. Et puis, à très bientôt sur Psyboulot.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    C'est la fin de cet épisode. Merci de nous avoir écoutés. Si vous souhaitez nous soutenir, pensez à vous abonner et à nous mettre 5 étoiles. Avant de vous quitter, je vous donne rendez-vous sur ma page LinkedIn ou sur le compte Instagram de Psyboulot si vous souhaitez échanger. me suggérer des invités et même venir témoigner à mon micro. À très vite sur Psyboule.

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