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Quae Vox : paroles de sciences

UNE ÉCOLOGIE DE L'ALIMENTATION - Pourquoi une approche écologique de l'alimentation ?

UNE ÉCOLOGIE DE L'ALIMENTATION - Pourquoi une approche écologique de l'alimentation ?

19min |18/02/2025
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Description

Les éditions Quae vous présentent Une écologie de l’alimentation, ouvrage de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Walser, lu par Sara Bourre. Dans cette série d’épisodes, on s’interroge sur la place d’une alimentation durable dans nos sociétés. Ce chapitre s'intitule "Pourquoi une approche écologique de l'alimentation ?".


Quae Vox : paroles de sciences, un podcast des éditions Quae.

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Transcription

  • Speaker #0

    Les éditions Quae vous présentent une écologie de l'alimentation, ouvrage de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Valser, lu par Sarah Bourre. Dans cette série d'épisodes, on s'interroge sur la place d'une alimentation durable dans nos sociétés.

  • Speaker #1

    Chapitre 8 Pourquoi une approche écologique de l'alimentation ? de Marie Walser, Nicolas Bricasse et Damien Connaret, où l'on remonte aux origines de l'écologie comme discipline scientifique puis comme mouvement politique et où sont exposés deux arguments justifiant l'adoption de l'écologie comme grille de lecture pour penser l'alimentation au regard de ses enjeux de durabilité, en tant que science carrefour de l'étude des relations et pour sa dimension politique. Cet ouvrage propose d'appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité à l'aune d'une écologie de l'alimentation. Le choix d'une telle dénomination pour incarner son propos constitue un défi, tant l'écologie renferme d'imaginaires et d'attentes parfois déçues. De même, l'usage du mot français polysémique alimentation participe à ce défi. En ce qu'il suggère, sans la décrire explicitement, toute la complexité du fait alimentaire. Aussi, il est question dans ce chapitre d'expliciter par étapes le fondement de ce choix. Écologie, écologique, écologisme. Qu'entend-on exactement par approche écologique ? Le qualificatif écologique peut se référer à tout ce qui respecte l'environnement. Dans les sociétés industrialisées, on peut... parle notamment de pratiques écologiques pour désigner les comportements qui cherchent à limiter leur impact environnemental. Le compostage des déchets alimentaires par exemple ou l'agriculture biologique tentent ainsi à être présentés comme des alternatives, souvent qualifiées de durables, à des pratiques dommageables pour l'environnement. Compte tenu des dégâts environnementaux liés au fonctionnement des systèmes alimentaires industrialisés, la transition de ces derniers vers un fonctionnement... plus écologique représente une priorité absolue. Ce constat s'inscrit dans une première lecture de ce qu'est une approche écologique de l'alimentation. Toutefois, nous n'entendons pas ici seulement écologique au sens d'une démarche respectueuse de l'environnement. Nous utilisons le terme écologique dans son sens premier, c'est-à-dire ce qui est relatif à l'écologie. Le terme écologie a été défini pour la première fois en 1866. par le biologiste allemand Ernst Haeckel. Ce néologisme, formé à partir du grec oikos, la maison, et logos, la connaissance, désigne l'étude des relations entre les organismes vivants entre eux et avec leur milieu. L'invention de ce terme intervient peu de temps après la publication de l'Origine des espèces de Charles Darwin, dont la théorie de l'évolution par sélection naturelle invite à considérer le vivant comme un vaste système dynamique et transformatif, et non plus comme un ensemble d'espèces indépendantes et immuables. Pour autant, l'écologie comme discipline scientifique ne s'institutionnalisera que 25 ans plus tard, dans les années 1890. Ce nouveau domaine de connaissances s'ancre dans les sciences biologiques et a la particularité d'apparaître dès ses débuts comme une discipline carrefour. Elle est le fruit d'une interaction complexe entre diverses disciplines comme la biogéographie, l'histoire naturelle et la physiologie. Ses pionniers, tels que le naturaliste français Georges-Louis Leclerc de Buffon ou le géographe et explorateur allemand Alexandre de Humboldt, en ont posé les grands principes en cherchant à identifier, à partir de leurs observations, l'interaction des forces de la nature, le caractère imprévisible des phénomènes écologiques constituera une difficulté majeure pour l'écologie scientifique. Car le recours aux critères conventionnels de la science, qui cherchent à faire émerger la régularité de la structure ou du modèle permettant l'explication, la prédiction ou la mathématisation, convient peu pour appréhender ce qui échappe aux représentations usuelles de l'ordre dans les écosystèmes complexes. En effet, bien que les processus écologiques suivent les lois de la physique, le vivant se ménage une part d'autonomie. qui empêche de le circonscrire dans un jeu de lois prédictives. Les systèmes du vivant sont donc à la fois contraints et autonomes, ce qui les rend singuliers. Certes, la distinction de différents niveaux d'organisation population, espèce, communauté, écosystème permet aux scientifiques d'ordonner le vivant et de distinguer plusieurs sujets de recherche. Mais leur objet d'étude reste constitué d'un entre-là foisonnant de trajectoires individuelles, populationnelles, etc. qui lui confèrent une dimension dynamique. Celle-ci repose sur la variabilité spatiale et temporelle d'un vivant en co-évolution. permanente avec son milieu et les autres formes de vie. En étudiant des ensembles de systèmes écologiques emboîtés, l'écologie constitue un paradigme ayant inspiré plusieurs disciplines scientifiques, dont la nutrition, pour développer des modèles conceptuels. Dès ses débuts, et dans une longue tradition intellectuelle d'attention et de rapports sensibles à la nature, l'écologie questionne la place de l'espèce humaine dans le vivant. Ainsi, plutôt que de se limiter à l'étude des milieux dits vierges évoquant l'Éden originelle et perdue de la tradition chrétienne occidentale, les écologues s'intéressent à l'impact des activités humaines sur l'environnement. Au XIXe et au début du XXe siècle déjà, et en plusieurs endroits de la planète, des précurseurs tels que John Muir, Jean-Baptiste Charcot ou Albert Howard mettent en garde contre les effets de la destruction de la nature au nom du profit ou de la guerre. George Perkins Marsh considérait en 1864 que les ravages commis par l'être humain subvertissent les relations et détruisent l'équilibre que la nature avait établi entre ses créations organisées et inorganiques. Après la Seconde Guerre mondiale et à mesure que les pays occidentaux entrent dans une société de consommation et développent une force de destruction et d'exploitation inédite, Les effets des activités humaines sur l'environnement font l'objet d'inquiétudes et de questionnements croissants. Dès 1962, dans son ouvrage Silent Spring, qui fera date dans les milieux écologistes, Rachel Carson alerte sur l'impact des pesticides sur l'ensemble du monde vivant, le sol, les cours d'eau, mais aussi les plantes et les animaux, jusqu'à l'être humain dans son ADN. Au cours de la même décennie, Alors que les premiers clichés de la Terre pris depuis la Lune viennent souligner la fragilité de l'habitabilité de la planète, émergent les premiers mouvements politiques écologistes, tels que Friends of the Earth aux États-Unis en 1969. Ils attirent l'attention sur le caractère global des problèmes écologiques et plaident pour une protection, voire une sauvegarde, de la diversité du vivant grâce à l'instauration d'un projet de société reposant sur un rapport rapport renouvelé entre humains et non-humains. Mais il faudra attendre le début des années 1970 pour que les consciences politiques et citoyennes s'éveillent largement face à la crise écologique qui se profile. En 1972, le rapport Les limites à la croissance ou rapport Meadows, commandité par le Club de Rome, annonce l'effondrement du système planétaire sous l'effet de la pression exercée sur les ressources naturelles. par les activités humaines. Après des décennies de développement d'une identité académique, l'écologie scientifique est placée sous le feu des projecteurs et, à l'aube du XXIe siècle, apporte sa contribution à la recherche de solutions aux problèmes globaux. Pour ce faire, des expertises internationales se mettent en place, telles que le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, GIEC, créé en 1988, ou la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques, IPBES, créée en 2012. L'idée s'impose, selon laquelle il est nécessaire et urgent, de remettre en question les modes de vie d'une partie de l'humanité pour éviter une crise écologique. À cet égard, la sociale écologie propose de relier crise écologique et crise des inégalités sociales. Par exemple, Plus la création de richesses d'un pays est accaparée par un petit nombre, plus le reste de la population aura besoin de compenser cet accaparement par un surcroît de développement économique potentiellement destructeur du point de vue environnemental. Des dégradations environnementales qui ont un impact social différentiel en fonction des revenus, créant ainsi un retour des inégalités environnementales. Les mouvements écologistes, qu'ils soient militants, politiques ou sociaux, ont longtemps constitué le principal moteur d'un changement qui peine encore à se généraliser. Il est à noter que l'écologie politique connaît aussi des divisions. Renvoyant à différents ancrages philosophiques ou idéologiques, elle est parcourue de controverses animées par la confrontation de systèmes de valeurs parfois contradictoires. C'est le cas sur les sujets de la conservation de la biodiversité, du développement durable ou de la résilience. Une approche unificatrice pourrait être celle de la co-viabilité, qui postule une coexistence durable des systèmes écologiques et sociaux. Cette notion constitue l'une des pièces structurantes de l'écologie scientifique comme de l'écologie politique. Appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité. Cette perspective historique révèle que l'écologie offre une grille de lecture pertinente pour appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité, et ce, pour au moins deux raisons. Premièrement, en tant que science carrefour des relations, l'écologie présente une dimension intégrative, c'est-à-dire qu'elle tend à développer une lecture globale des phénomènes qu'elle étudie. Elle s'intéresse aux liens qui unissent les différentes composantes de ces phénomènes. et aux dynamiques qui résultent de leur interaction. Une telle approche appelle à l'articulation de points de vue complémentaires. En effet, l'étude segmentée des différentes composantes d'un phénomène est nécessaire pour produire une connaissance fine de chacune d'entre elles. Mais se cantonner à une telle approche constitue non seulement une limite pour appréhender la complexité d'un phénomène, mais aussi un risque, celui de le réduire à l'une de ses dimensions. C'est ce qu'illustre la parabole de l'éléphant et des savants aveugles dans la doctrine jainiste de l'Anekantavada, réalité relative, dans laquelle six savants indiens essaient de savoir ce qu'est un éléphant en l'étudiant chacun sous un certain angle. Alors que l'un étudie la trompe, un autre s'intéresse aux oreilles, un troisième analyse les défenses, un quatrième le flanc, un cinquième la queue, etc. Finalement, les savants interprètent tous l'éléphant à partir de leur propre idée. points de vue, nécessairement relatifs, et n'arrivent jamais à se mettre d'accord sur ce qu'est vraiment un éléphant. Une approche intégrée ne nie pas la conflictualité qui peut exister entre des positions parfois antagonistes, mais elle fournit au contraire un espace d'explication permettant de rendre visibles les conflits et les propriétés émergentes produites par l'interaction. L'alimentation est précisément un sujet multidimensionnel qui peut être interprété selon plusieurs points de vue. Et historiquement, les disciplines étudiant l'alimentation se sont chacune structurées autour d'une dimension privilégiée. Par exemple, la nutrition s'intéresse surtout à l'alimentation dans sa dimension biologique. La psychologie et les neurosciences en analysent la dimension hédonique. La sociologie investit sa dimension sociale. L'anthropologie interroge le rôle de la culture. L'économie analyse l'alimentation en tant que bien de consommation. d'échanges et de création de valeurs, l'agronomie étudie le système de production agricole d'un point de vue technique, etc. Ce morcellement épistémologique s'ancre dans l'histoire des sciences. À la suite des Lumières, le XXe siècle est irrigué par une vision positiviste de la connaissance que seuls les faits révélés par l'expérience, et donc la spécialisation disciplinaire, peuvent éclairer. En conséquence, l'alimentation s'expose à un risque d'éparpillement des savoirs, particulièrement dommageable à l'heure où la crise sociale et écologique appelle à répondre aux enjeux de durabilité au travers d'une approche globale, capable d'appréhender les interconnexions pour en tirer parti. Ainsi, une écologie de l'alimentation se traduit en pratique par un décloisonnement des savoirs sur l'alimentation, opéré dans le cadre d'un dialogue interdisciplinaire pour appréhender globalement les enjeux de durabilité qui parcourent le fonctionnement des systèmes alimentaires. Cette articulation des points de vue sur l'alimentation s'inscrit dans une approche holistique capable de reconnaître les différentes dimensions de l'alimentation sans préjuger a priori d'une quelconque hiérarchie, de faire le lien entre elles et de révéler les dynamiques engendrées par leurs interactions. Cette approche a pour objectif d'éviter un écueil Celui de chercher à répondre aux enjeux qui se posent en matière d'alimentation en excluant certaines dimensions de l'analyse. Penser la santé sans penser le plaisir ou la culture, penser l'environnement et le social sans penser l'économie, etc. Le risque est de ne pas objectiver les antagonismes et émergences qui jalonnent les chemins de la durabilité, qui tantôt contraignent et tantôt favorisent les changements. Deuxièmement, en plaçant la question des liens qui parcourent le vivant au... au cœur de son propos. L'écologie présente une dimension éthique. Elle appelle à changer nos rapports dans le monde et à nous repenser, nous, parmi les autres, c'est-à-dire parmi d'autres êtres humains, d'autres formes de vie. d'autres générations avant nous et après nous. En filigrane, l'écologie prône un sentiment enthousiasmant de faire partie du vivant, duquel découle une responsabilité vis-à-vis du maintien, aujourd'hui et demain, des conditions d'existence décentes des autres humains et non-humains. Dans cette perspective écologique, la non-durabilité résulte d'une détérioration des liens sociaux-écologiques qui ne permettent plus le maintien de bonnes conditions d'existence au sein de la maison commune, oikos. Dès lors, penser la durabilité, et notamment en matière d'alimentation, revient à repenser nos interactions au sein des systèmes socio-écologiques, et ce à l'aune de principes tels que la diversité, la résilience, les symbioses, les stocks, les cycles, les flux non tendus ou les liens sensibles. Autant de notions qui contredisent les conceptions rationalistes, réductionnistes, productivistes et individualistes de l'existence dans nombre de sociétés contemporaines. En l'occurrence, un système alimentaire industrialisé, intensif, concentré et homogène, est loin de viser en premier lieu à un rôle nourricier pérenne et fonctionne au prix d'externalité sociale et environnementale considérable, bien qu'il soit conscient de sa vulnérabilité. Les acteurs dominants de ce système comptent sur le progrès technologique porté par l'avènement de la biologie synthétique, des nanotechnologies et du numérique pour le faire durer en dehors du tissu des relations du vivant et de ses dynamiques. Ainsi, une écologie de l'alimentation se traduit en pratique par un engagement politique pour que les systèmes alimentaires contribuent à l'avènement d'une co-viabilité socio-écologique présente et future, plaider ou expérimenter sont autant de voies ouvertes par ceux qui s'inscrivent dans un nouveau rapport au monde, qu'ils soient associatifs, privés, collectivités territoriales, politiques, etc. Il s'agit pour les acteurs qui veulent s'engager dans la transformation des systèmes alimentaires de prendre conscience et de dépasser les imprévisibilités, les verrouillages techniques et les résistances politiques qui contraignent le changement. Conclusion Cette proposition d'une écologie de l'alimentation vise ainsi à partager une nouvelle grille de lecture pour penser l'alimentation. C'est un plaidoyer scientifique pour la mise en lien de ces différentes dimensions et pour l'engagement dans la transformation des systèmes alimentaires. Une écologie de l'alimentation vise à nourrir la réflexion des chercheurs et des étudiants, mais peut aussi inspirer les acteurs du système alimentaire ou un grand public averti et curieux des enjeux d'alimentation durable. Elle ne cherche pas à définir un cadre normatif ou de prescription sur les bonnes pratiques de l'alimentation durable. Il nous semble justement que l'alimentation nécessite d'être pensée en contexte pour tirer parti au mieux de la situation considérée. Une écologie de l'alimentation s'apparente plutôt à une école de pensée qui reflète un regard porté sur la complexité de l'alimentation et de ses enjeux contemporains, celui de la chaire UNESCO Alimentation du Monde, mûrie au cours des dix années de dialogue entre sciences et sociétés sur l'alimentation durable. Les deux chapitres suivants détailleront respectivement les deux propositions qui sous-tendent une écologie de l'alimentation, décloisonner les savoirs sur l'alimentation et s'engager politiquement pour la transformation des systèmes alimentaires. Les conséquences pratiques de ces deux propositions seront présentées dans les parties. 4 et 5. Les auteurs remercient Mathilde Coudray, Vincent De Victor et Jacques Tassin pour leur relecture de ce chapitre et leur proposition d'amélioration.

  • Speaker #0

    Vous venez d'écouter un extrait de Une écologie de l'alimentation, publié aux éditions Quae en 2021, de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Walser, lu par Sarah Bourre. Retrouvez ce titre et nos ouvrages au format papier et numérique sur www.quae.com

Description

Les éditions Quae vous présentent Une écologie de l’alimentation, ouvrage de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Walser, lu par Sara Bourre. Dans cette série d’épisodes, on s’interroge sur la place d’une alimentation durable dans nos sociétés. Ce chapitre s'intitule "Pourquoi une approche écologique de l'alimentation ?".


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    Les éditions Quae vous présentent une écologie de l'alimentation, ouvrage de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Valser, lu par Sarah Bourre. Dans cette série d'épisodes, on s'interroge sur la place d'une alimentation durable dans nos sociétés.

  • Speaker #1

    Chapitre 8 Pourquoi une approche écologique de l'alimentation ? de Marie Walser, Nicolas Bricasse et Damien Connaret, où l'on remonte aux origines de l'écologie comme discipline scientifique puis comme mouvement politique et où sont exposés deux arguments justifiant l'adoption de l'écologie comme grille de lecture pour penser l'alimentation au regard de ses enjeux de durabilité, en tant que science carrefour de l'étude des relations et pour sa dimension politique. Cet ouvrage propose d'appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité à l'aune d'une écologie de l'alimentation. Le choix d'une telle dénomination pour incarner son propos constitue un défi, tant l'écologie renferme d'imaginaires et d'attentes parfois déçues. De même, l'usage du mot français polysémique alimentation participe à ce défi. En ce qu'il suggère, sans la décrire explicitement, toute la complexité du fait alimentaire. Aussi, il est question dans ce chapitre d'expliciter par étapes le fondement de ce choix. Écologie, écologique, écologisme. Qu'entend-on exactement par approche écologique ? Le qualificatif écologique peut se référer à tout ce qui respecte l'environnement. Dans les sociétés industrialisées, on peut... parle notamment de pratiques écologiques pour désigner les comportements qui cherchent à limiter leur impact environnemental. Le compostage des déchets alimentaires par exemple ou l'agriculture biologique tentent ainsi à être présentés comme des alternatives, souvent qualifiées de durables, à des pratiques dommageables pour l'environnement. Compte tenu des dégâts environnementaux liés au fonctionnement des systèmes alimentaires industrialisés, la transition de ces derniers vers un fonctionnement... plus écologique représente une priorité absolue. Ce constat s'inscrit dans une première lecture de ce qu'est une approche écologique de l'alimentation. Toutefois, nous n'entendons pas ici seulement écologique au sens d'une démarche respectueuse de l'environnement. Nous utilisons le terme écologique dans son sens premier, c'est-à-dire ce qui est relatif à l'écologie. Le terme écologie a été défini pour la première fois en 1866. par le biologiste allemand Ernst Haeckel. Ce néologisme, formé à partir du grec oikos, la maison, et logos, la connaissance, désigne l'étude des relations entre les organismes vivants entre eux et avec leur milieu. L'invention de ce terme intervient peu de temps après la publication de l'Origine des espèces de Charles Darwin, dont la théorie de l'évolution par sélection naturelle invite à considérer le vivant comme un vaste système dynamique et transformatif, et non plus comme un ensemble d'espèces indépendantes et immuables. Pour autant, l'écologie comme discipline scientifique ne s'institutionnalisera que 25 ans plus tard, dans les années 1890. Ce nouveau domaine de connaissances s'ancre dans les sciences biologiques et a la particularité d'apparaître dès ses débuts comme une discipline carrefour. Elle est le fruit d'une interaction complexe entre diverses disciplines comme la biogéographie, l'histoire naturelle et la physiologie. Ses pionniers, tels que le naturaliste français Georges-Louis Leclerc de Buffon ou le géographe et explorateur allemand Alexandre de Humboldt, en ont posé les grands principes en cherchant à identifier, à partir de leurs observations, l'interaction des forces de la nature, le caractère imprévisible des phénomènes écologiques constituera une difficulté majeure pour l'écologie scientifique. Car le recours aux critères conventionnels de la science, qui cherchent à faire émerger la régularité de la structure ou du modèle permettant l'explication, la prédiction ou la mathématisation, convient peu pour appréhender ce qui échappe aux représentations usuelles de l'ordre dans les écosystèmes complexes. En effet, bien que les processus écologiques suivent les lois de la physique, le vivant se ménage une part d'autonomie. qui empêche de le circonscrire dans un jeu de lois prédictives. Les systèmes du vivant sont donc à la fois contraints et autonomes, ce qui les rend singuliers. Certes, la distinction de différents niveaux d'organisation population, espèce, communauté, écosystème permet aux scientifiques d'ordonner le vivant et de distinguer plusieurs sujets de recherche. Mais leur objet d'étude reste constitué d'un entre-là foisonnant de trajectoires individuelles, populationnelles, etc. qui lui confèrent une dimension dynamique. Celle-ci repose sur la variabilité spatiale et temporelle d'un vivant en co-évolution. permanente avec son milieu et les autres formes de vie. En étudiant des ensembles de systèmes écologiques emboîtés, l'écologie constitue un paradigme ayant inspiré plusieurs disciplines scientifiques, dont la nutrition, pour développer des modèles conceptuels. Dès ses débuts, et dans une longue tradition intellectuelle d'attention et de rapports sensibles à la nature, l'écologie questionne la place de l'espèce humaine dans le vivant. Ainsi, plutôt que de se limiter à l'étude des milieux dits vierges évoquant l'Éden originelle et perdue de la tradition chrétienne occidentale, les écologues s'intéressent à l'impact des activités humaines sur l'environnement. Au XIXe et au début du XXe siècle déjà, et en plusieurs endroits de la planète, des précurseurs tels que John Muir, Jean-Baptiste Charcot ou Albert Howard mettent en garde contre les effets de la destruction de la nature au nom du profit ou de la guerre. George Perkins Marsh considérait en 1864 que les ravages commis par l'être humain subvertissent les relations et détruisent l'équilibre que la nature avait établi entre ses créations organisées et inorganiques. Après la Seconde Guerre mondiale et à mesure que les pays occidentaux entrent dans une société de consommation et développent une force de destruction et d'exploitation inédite, Les effets des activités humaines sur l'environnement font l'objet d'inquiétudes et de questionnements croissants. Dès 1962, dans son ouvrage Silent Spring, qui fera date dans les milieux écologistes, Rachel Carson alerte sur l'impact des pesticides sur l'ensemble du monde vivant, le sol, les cours d'eau, mais aussi les plantes et les animaux, jusqu'à l'être humain dans son ADN. Au cours de la même décennie, Alors que les premiers clichés de la Terre pris depuis la Lune viennent souligner la fragilité de l'habitabilité de la planète, émergent les premiers mouvements politiques écologistes, tels que Friends of the Earth aux États-Unis en 1969. Ils attirent l'attention sur le caractère global des problèmes écologiques et plaident pour une protection, voire une sauvegarde, de la diversité du vivant grâce à l'instauration d'un projet de société reposant sur un rapport rapport renouvelé entre humains et non-humains. Mais il faudra attendre le début des années 1970 pour que les consciences politiques et citoyennes s'éveillent largement face à la crise écologique qui se profile. En 1972, le rapport Les limites à la croissance ou rapport Meadows, commandité par le Club de Rome, annonce l'effondrement du système planétaire sous l'effet de la pression exercée sur les ressources naturelles. par les activités humaines. Après des décennies de développement d'une identité académique, l'écologie scientifique est placée sous le feu des projecteurs et, à l'aube du XXIe siècle, apporte sa contribution à la recherche de solutions aux problèmes globaux. Pour ce faire, des expertises internationales se mettent en place, telles que le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, GIEC, créé en 1988, ou la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques, IPBES, créée en 2012. L'idée s'impose, selon laquelle il est nécessaire et urgent, de remettre en question les modes de vie d'une partie de l'humanité pour éviter une crise écologique. À cet égard, la sociale écologie propose de relier crise écologique et crise des inégalités sociales. Par exemple, Plus la création de richesses d'un pays est accaparée par un petit nombre, plus le reste de la population aura besoin de compenser cet accaparement par un surcroît de développement économique potentiellement destructeur du point de vue environnemental. Des dégradations environnementales qui ont un impact social différentiel en fonction des revenus, créant ainsi un retour des inégalités environnementales. Les mouvements écologistes, qu'ils soient militants, politiques ou sociaux, ont longtemps constitué le principal moteur d'un changement qui peine encore à se généraliser. Il est à noter que l'écologie politique connaît aussi des divisions. Renvoyant à différents ancrages philosophiques ou idéologiques, elle est parcourue de controverses animées par la confrontation de systèmes de valeurs parfois contradictoires. C'est le cas sur les sujets de la conservation de la biodiversité, du développement durable ou de la résilience. Une approche unificatrice pourrait être celle de la co-viabilité, qui postule une coexistence durable des systèmes écologiques et sociaux. Cette notion constitue l'une des pièces structurantes de l'écologie scientifique comme de l'écologie politique. Appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité. Cette perspective historique révèle que l'écologie offre une grille de lecture pertinente pour appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité, et ce, pour au moins deux raisons. Premièrement, en tant que science carrefour des relations, l'écologie présente une dimension intégrative, c'est-à-dire qu'elle tend à développer une lecture globale des phénomènes qu'elle étudie. Elle s'intéresse aux liens qui unissent les différentes composantes de ces phénomènes. et aux dynamiques qui résultent de leur interaction. Une telle approche appelle à l'articulation de points de vue complémentaires. En effet, l'étude segmentée des différentes composantes d'un phénomène est nécessaire pour produire une connaissance fine de chacune d'entre elles. Mais se cantonner à une telle approche constitue non seulement une limite pour appréhender la complexité d'un phénomène, mais aussi un risque, celui de le réduire à l'une de ses dimensions. C'est ce qu'illustre la parabole de l'éléphant et des savants aveugles dans la doctrine jainiste de l'Anekantavada, réalité relative, dans laquelle six savants indiens essaient de savoir ce qu'est un éléphant en l'étudiant chacun sous un certain angle. Alors que l'un étudie la trompe, un autre s'intéresse aux oreilles, un troisième analyse les défenses, un quatrième le flanc, un cinquième la queue, etc. Finalement, les savants interprètent tous l'éléphant à partir de leur propre idée. points de vue, nécessairement relatifs, et n'arrivent jamais à se mettre d'accord sur ce qu'est vraiment un éléphant. Une approche intégrée ne nie pas la conflictualité qui peut exister entre des positions parfois antagonistes, mais elle fournit au contraire un espace d'explication permettant de rendre visibles les conflits et les propriétés émergentes produites par l'interaction. L'alimentation est précisément un sujet multidimensionnel qui peut être interprété selon plusieurs points de vue. Et historiquement, les disciplines étudiant l'alimentation se sont chacune structurées autour d'une dimension privilégiée. Par exemple, la nutrition s'intéresse surtout à l'alimentation dans sa dimension biologique. La psychologie et les neurosciences en analysent la dimension hédonique. La sociologie investit sa dimension sociale. L'anthropologie interroge le rôle de la culture. L'économie analyse l'alimentation en tant que bien de consommation. d'échanges et de création de valeurs, l'agronomie étudie le système de production agricole d'un point de vue technique, etc. Ce morcellement épistémologique s'ancre dans l'histoire des sciences. À la suite des Lumières, le XXe siècle est irrigué par une vision positiviste de la connaissance que seuls les faits révélés par l'expérience, et donc la spécialisation disciplinaire, peuvent éclairer. En conséquence, l'alimentation s'expose à un risque d'éparpillement des savoirs, particulièrement dommageable à l'heure où la crise sociale et écologique appelle à répondre aux enjeux de durabilité au travers d'une approche globale, capable d'appréhender les interconnexions pour en tirer parti. Ainsi, une écologie de l'alimentation se traduit en pratique par un décloisonnement des savoirs sur l'alimentation, opéré dans le cadre d'un dialogue interdisciplinaire pour appréhender globalement les enjeux de durabilité qui parcourent le fonctionnement des systèmes alimentaires. Cette articulation des points de vue sur l'alimentation s'inscrit dans une approche holistique capable de reconnaître les différentes dimensions de l'alimentation sans préjuger a priori d'une quelconque hiérarchie, de faire le lien entre elles et de révéler les dynamiques engendrées par leurs interactions. Cette approche a pour objectif d'éviter un écueil Celui de chercher à répondre aux enjeux qui se posent en matière d'alimentation en excluant certaines dimensions de l'analyse. Penser la santé sans penser le plaisir ou la culture, penser l'environnement et le social sans penser l'économie, etc. Le risque est de ne pas objectiver les antagonismes et émergences qui jalonnent les chemins de la durabilité, qui tantôt contraignent et tantôt favorisent les changements. Deuxièmement, en plaçant la question des liens qui parcourent le vivant au... au cœur de son propos. L'écologie présente une dimension éthique. Elle appelle à changer nos rapports dans le monde et à nous repenser, nous, parmi les autres, c'est-à-dire parmi d'autres êtres humains, d'autres formes de vie. d'autres générations avant nous et après nous. En filigrane, l'écologie prône un sentiment enthousiasmant de faire partie du vivant, duquel découle une responsabilité vis-à-vis du maintien, aujourd'hui et demain, des conditions d'existence décentes des autres humains et non-humains. Dans cette perspective écologique, la non-durabilité résulte d'une détérioration des liens sociaux-écologiques qui ne permettent plus le maintien de bonnes conditions d'existence au sein de la maison commune, oikos. Dès lors, penser la durabilité, et notamment en matière d'alimentation, revient à repenser nos interactions au sein des systèmes socio-écologiques, et ce à l'aune de principes tels que la diversité, la résilience, les symbioses, les stocks, les cycles, les flux non tendus ou les liens sensibles. Autant de notions qui contredisent les conceptions rationalistes, réductionnistes, productivistes et individualistes de l'existence dans nombre de sociétés contemporaines. En l'occurrence, un système alimentaire industrialisé, intensif, concentré et homogène, est loin de viser en premier lieu à un rôle nourricier pérenne et fonctionne au prix d'externalité sociale et environnementale considérable, bien qu'il soit conscient de sa vulnérabilité. Les acteurs dominants de ce système comptent sur le progrès technologique porté par l'avènement de la biologie synthétique, des nanotechnologies et du numérique pour le faire durer en dehors du tissu des relations du vivant et de ses dynamiques. Ainsi, une écologie de l'alimentation se traduit en pratique par un engagement politique pour que les systèmes alimentaires contribuent à l'avènement d'une co-viabilité socio-écologique présente et future, plaider ou expérimenter sont autant de voies ouvertes par ceux qui s'inscrivent dans un nouveau rapport au monde, qu'ils soient associatifs, privés, collectivités territoriales, politiques, etc. Il s'agit pour les acteurs qui veulent s'engager dans la transformation des systèmes alimentaires de prendre conscience et de dépasser les imprévisibilités, les verrouillages techniques et les résistances politiques qui contraignent le changement. Conclusion Cette proposition d'une écologie de l'alimentation vise ainsi à partager une nouvelle grille de lecture pour penser l'alimentation. C'est un plaidoyer scientifique pour la mise en lien de ces différentes dimensions et pour l'engagement dans la transformation des systèmes alimentaires. Une écologie de l'alimentation vise à nourrir la réflexion des chercheurs et des étudiants, mais peut aussi inspirer les acteurs du système alimentaire ou un grand public averti et curieux des enjeux d'alimentation durable. Elle ne cherche pas à définir un cadre normatif ou de prescription sur les bonnes pratiques de l'alimentation durable. Il nous semble justement que l'alimentation nécessite d'être pensée en contexte pour tirer parti au mieux de la situation considérée. Une écologie de l'alimentation s'apparente plutôt à une école de pensée qui reflète un regard porté sur la complexité de l'alimentation et de ses enjeux contemporains, celui de la chaire UNESCO Alimentation du Monde, mûrie au cours des dix années de dialogue entre sciences et sociétés sur l'alimentation durable. Les deux chapitres suivants détailleront respectivement les deux propositions qui sous-tendent une écologie de l'alimentation, décloisonner les savoirs sur l'alimentation et s'engager politiquement pour la transformation des systèmes alimentaires. Les conséquences pratiques de ces deux propositions seront présentées dans les parties. 4 et 5. Les auteurs remercient Mathilde Coudray, Vincent De Victor et Jacques Tassin pour leur relecture de ce chapitre et leur proposition d'amélioration.

  • Speaker #0

    Vous venez d'écouter un extrait de Une écologie de l'alimentation, publié aux éditions Quae en 2021, de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Walser, lu par Sarah Bourre. Retrouvez ce titre et nos ouvrages au format papier et numérique sur www.quae.com

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Description

Les éditions Quae vous présentent Une écologie de l’alimentation, ouvrage de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Walser, lu par Sara Bourre. Dans cette série d’épisodes, on s’interroge sur la place d’une alimentation durable dans nos sociétés. Ce chapitre s'intitule "Pourquoi une approche écologique de l'alimentation ?".


Quae Vox : paroles de sciences, un podcast des éditions Quae.

👉 Retrouvez nos ouvrages sur quae.com et quae-open.com, et suivez nos actualités sur Instagram, Facebook et LinkedIn.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Les éditions Quae vous présentent une écologie de l'alimentation, ouvrage de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Valser, lu par Sarah Bourre. Dans cette série d'épisodes, on s'interroge sur la place d'une alimentation durable dans nos sociétés.

  • Speaker #1

    Chapitre 8 Pourquoi une approche écologique de l'alimentation ? de Marie Walser, Nicolas Bricasse et Damien Connaret, où l'on remonte aux origines de l'écologie comme discipline scientifique puis comme mouvement politique et où sont exposés deux arguments justifiant l'adoption de l'écologie comme grille de lecture pour penser l'alimentation au regard de ses enjeux de durabilité, en tant que science carrefour de l'étude des relations et pour sa dimension politique. Cet ouvrage propose d'appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité à l'aune d'une écologie de l'alimentation. Le choix d'une telle dénomination pour incarner son propos constitue un défi, tant l'écologie renferme d'imaginaires et d'attentes parfois déçues. De même, l'usage du mot français polysémique alimentation participe à ce défi. En ce qu'il suggère, sans la décrire explicitement, toute la complexité du fait alimentaire. Aussi, il est question dans ce chapitre d'expliciter par étapes le fondement de ce choix. Écologie, écologique, écologisme. Qu'entend-on exactement par approche écologique ? Le qualificatif écologique peut se référer à tout ce qui respecte l'environnement. Dans les sociétés industrialisées, on peut... parle notamment de pratiques écologiques pour désigner les comportements qui cherchent à limiter leur impact environnemental. Le compostage des déchets alimentaires par exemple ou l'agriculture biologique tentent ainsi à être présentés comme des alternatives, souvent qualifiées de durables, à des pratiques dommageables pour l'environnement. Compte tenu des dégâts environnementaux liés au fonctionnement des systèmes alimentaires industrialisés, la transition de ces derniers vers un fonctionnement... plus écologique représente une priorité absolue. Ce constat s'inscrit dans une première lecture de ce qu'est une approche écologique de l'alimentation. Toutefois, nous n'entendons pas ici seulement écologique au sens d'une démarche respectueuse de l'environnement. Nous utilisons le terme écologique dans son sens premier, c'est-à-dire ce qui est relatif à l'écologie. Le terme écologie a été défini pour la première fois en 1866. par le biologiste allemand Ernst Haeckel. Ce néologisme, formé à partir du grec oikos, la maison, et logos, la connaissance, désigne l'étude des relations entre les organismes vivants entre eux et avec leur milieu. L'invention de ce terme intervient peu de temps après la publication de l'Origine des espèces de Charles Darwin, dont la théorie de l'évolution par sélection naturelle invite à considérer le vivant comme un vaste système dynamique et transformatif, et non plus comme un ensemble d'espèces indépendantes et immuables. Pour autant, l'écologie comme discipline scientifique ne s'institutionnalisera que 25 ans plus tard, dans les années 1890. Ce nouveau domaine de connaissances s'ancre dans les sciences biologiques et a la particularité d'apparaître dès ses débuts comme une discipline carrefour. Elle est le fruit d'une interaction complexe entre diverses disciplines comme la biogéographie, l'histoire naturelle et la physiologie. Ses pionniers, tels que le naturaliste français Georges-Louis Leclerc de Buffon ou le géographe et explorateur allemand Alexandre de Humboldt, en ont posé les grands principes en cherchant à identifier, à partir de leurs observations, l'interaction des forces de la nature, le caractère imprévisible des phénomènes écologiques constituera une difficulté majeure pour l'écologie scientifique. Car le recours aux critères conventionnels de la science, qui cherchent à faire émerger la régularité de la structure ou du modèle permettant l'explication, la prédiction ou la mathématisation, convient peu pour appréhender ce qui échappe aux représentations usuelles de l'ordre dans les écosystèmes complexes. En effet, bien que les processus écologiques suivent les lois de la physique, le vivant se ménage une part d'autonomie. qui empêche de le circonscrire dans un jeu de lois prédictives. Les systèmes du vivant sont donc à la fois contraints et autonomes, ce qui les rend singuliers. Certes, la distinction de différents niveaux d'organisation population, espèce, communauté, écosystème permet aux scientifiques d'ordonner le vivant et de distinguer plusieurs sujets de recherche. Mais leur objet d'étude reste constitué d'un entre-là foisonnant de trajectoires individuelles, populationnelles, etc. qui lui confèrent une dimension dynamique. Celle-ci repose sur la variabilité spatiale et temporelle d'un vivant en co-évolution. permanente avec son milieu et les autres formes de vie. En étudiant des ensembles de systèmes écologiques emboîtés, l'écologie constitue un paradigme ayant inspiré plusieurs disciplines scientifiques, dont la nutrition, pour développer des modèles conceptuels. Dès ses débuts, et dans une longue tradition intellectuelle d'attention et de rapports sensibles à la nature, l'écologie questionne la place de l'espèce humaine dans le vivant. Ainsi, plutôt que de se limiter à l'étude des milieux dits vierges évoquant l'Éden originelle et perdue de la tradition chrétienne occidentale, les écologues s'intéressent à l'impact des activités humaines sur l'environnement. Au XIXe et au début du XXe siècle déjà, et en plusieurs endroits de la planète, des précurseurs tels que John Muir, Jean-Baptiste Charcot ou Albert Howard mettent en garde contre les effets de la destruction de la nature au nom du profit ou de la guerre. George Perkins Marsh considérait en 1864 que les ravages commis par l'être humain subvertissent les relations et détruisent l'équilibre que la nature avait établi entre ses créations organisées et inorganiques. Après la Seconde Guerre mondiale et à mesure que les pays occidentaux entrent dans une société de consommation et développent une force de destruction et d'exploitation inédite, Les effets des activités humaines sur l'environnement font l'objet d'inquiétudes et de questionnements croissants. Dès 1962, dans son ouvrage Silent Spring, qui fera date dans les milieux écologistes, Rachel Carson alerte sur l'impact des pesticides sur l'ensemble du monde vivant, le sol, les cours d'eau, mais aussi les plantes et les animaux, jusqu'à l'être humain dans son ADN. Au cours de la même décennie, Alors que les premiers clichés de la Terre pris depuis la Lune viennent souligner la fragilité de l'habitabilité de la planète, émergent les premiers mouvements politiques écologistes, tels que Friends of the Earth aux États-Unis en 1969. Ils attirent l'attention sur le caractère global des problèmes écologiques et plaident pour une protection, voire une sauvegarde, de la diversité du vivant grâce à l'instauration d'un projet de société reposant sur un rapport rapport renouvelé entre humains et non-humains. Mais il faudra attendre le début des années 1970 pour que les consciences politiques et citoyennes s'éveillent largement face à la crise écologique qui se profile. En 1972, le rapport Les limites à la croissance ou rapport Meadows, commandité par le Club de Rome, annonce l'effondrement du système planétaire sous l'effet de la pression exercée sur les ressources naturelles. par les activités humaines. Après des décennies de développement d'une identité académique, l'écologie scientifique est placée sous le feu des projecteurs et, à l'aube du XXIe siècle, apporte sa contribution à la recherche de solutions aux problèmes globaux. Pour ce faire, des expertises internationales se mettent en place, telles que le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, GIEC, créé en 1988, ou la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques, IPBES, créée en 2012. L'idée s'impose, selon laquelle il est nécessaire et urgent, de remettre en question les modes de vie d'une partie de l'humanité pour éviter une crise écologique. À cet égard, la sociale écologie propose de relier crise écologique et crise des inégalités sociales. Par exemple, Plus la création de richesses d'un pays est accaparée par un petit nombre, plus le reste de la population aura besoin de compenser cet accaparement par un surcroît de développement économique potentiellement destructeur du point de vue environnemental. Des dégradations environnementales qui ont un impact social différentiel en fonction des revenus, créant ainsi un retour des inégalités environnementales. Les mouvements écologistes, qu'ils soient militants, politiques ou sociaux, ont longtemps constitué le principal moteur d'un changement qui peine encore à se généraliser. Il est à noter que l'écologie politique connaît aussi des divisions. Renvoyant à différents ancrages philosophiques ou idéologiques, elle est parcourue de controverses animées par la confrontation de systèmes de valeurs parfois contradictoires. C'est le cas sur les sujets de la conservation de la biodiversité, du développement durable ou de la résilience. Une approche unificatrice pourrait être celle de la co-viabilité, qui postule une coexistence durable des systèmes écologiques et sociaux. Cette notion constitue l'une des pièces structurantes de l'écologie scientifique comme de l'écologie politique. Appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité. Cette perspective historique révèle que l'écologie offre une grille de lecture pertinente pour appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité, et ce, pour au moins deux raisons. Premièrement, en tant que science carrefour des relations, l'écologie présente une dimension intégrative, c'est-à-dire qu'elle tend à développer une lecture globale des phénomènes qu'elle étudie. Elle s'intéresse aux liens qui unissent les différentes composantes de ces phénomènes. et aux dynamiques qui résultent de leur interaction. Une telle approche appelle à l'articulation de points de vue complémentaires. En effet, l'étude segmentée des différentes composantes d'un phénomène est nécessaire pour produire une connaissance fine de chacune d'entre elles. Mais se cantonner à une telle approche constitue non seulement une limite pour appréhender la complexité d'un phénomène, mais aussi un risque, celui de le réduire à l'une de ses dimensions. C'est ce qu'illustre la parabole de l'éléphant et des savants aveugles dans la doctrine jainiste de l'Anekantavada, réalité relative, dans laquelle six savants indiens essaient de savoir ce qu'est un éléphant en l'étudiant chacun sous un certain angle. Alors que l'un étudie la trompe, un autre s'intéresse aux oreilles, un troisième analyse les défenses, un quatrième le flanc, un cinquième la queue, etc. Finalement, les savants interprètent tous l'éléphant à partir de leur propre idée. points de vue, nécessairement relatifs, et n'arrivent jamais à se mettre d'accord sur ce qu'est vraiment un éléphant. Une approche intégrée ne nie pas la conflictualité qui peut exister entre des positions parfois antagonistes, mais elle fournit au contraire un espace d'explication permettant de rendre visibles les conflits et les propriétés émergentes produites par l'interaction. L'alimentation est précisément un sujet multidimensionnel qui peut être interprété selon plusieurs points de vue. Et historiquement, les disciplines étudiant l'alimentation se sont chacune structurées autour d'une dimension privilégiée. Par exemple, la nutrition s'intéresse surtout à l'alimentation dans sa dimension biologique. La psychologie et les neurosciences en analysent la dimension hédonique. La sociologie investit sa dimension sociale. L'anthropologie interroge le rôle de la culture. L'économie analyse l'alimentation en tant que bien de consommation. d'échanges et de création de valeurs, l'agronomie étudie le système de production agricole d'un point de vue technique, etc. Ce morcellement épistémologique s'ancre dans l'histoire des sciences. À la suite des Lumières, le XXe siècle est irrigué par une vision positiviste de la connaissance que seuls les faits révélés par l'expérience, et donc la spécialisation disciplinaire, peuvent éclairer. En conséquence, l'alimentation s'expose à un risque d'éparpillement des savoirs, particulièrement dommageable à l'heure où la crise sociale et écologique appelle à répondre aux enjeux de durabilité au travers d'une approche globale, capable d'appréhender les interconnexions pour en tirer parti. Ainsi, une écologie de l'alimentation se traduit en pratique par un décloisonnement des savoirs sur l'alimentation, opéré dans le cadre d'un dialogue interdisciplinaire pour appréhender globalement les enjeux de durabilité qui parcourent le fonctionnement des systèmes alimentaires. Cette articulation des points de vue sur l'alimentation s'inscrit dans une approche holistique capable de reconnaître les différentes dimensions de l'alimentation sans préjuger a priori d'une quelconque hiérarchie, de faire le lien entre elles et de révéler les dynamiques engendrées par leurs interactions. Cette approche a pour objectif d'éviter un écueil Celui de chercher à répondre aux enjeux qui se posent en matière d'alimentation en excluant certaines dimensions de l'analyse. Penser la santé sans penser le plaisir ou la culture, penser l'environnement et le social sans penser l'économie, etc. Le risque est de ne pas objectiver les antagonismes et émergences qui jalonnent les chemins de la durabilité, qui tantôt contraignent et tantôt favorisent les changements. Deuxièmement, en plaçant la question des liens qui parcourent le vivant au... au cœur de son propos. L'écologie présente une dimension éthique. Elle appelle à changer nos rapports dans le monde et à nous repenser, nous, parmi les autres, c'est-à-dire parmi d'autres êtres humains, d'autres formes de vie. d'autres générations avant nous et après nous. En filigrane, l'écologie prône un sentiment enthousiasmant de faire partie du vivant, duquel découle une responsabilité vis-à-vis du maintien, aujourd'hui et demain, des conditions d'existence décentes des autres humains et non-humains. Dans cette perspective écologique, la non-durabilité résulte d'une détérioration des liens sociaux-écologiques qui ne permettent plus le maintien de bonnes conditions d'existence au sein de la maison commune, oikos. Dès lors, penser la durabilité, et notamment en matière d'alimentation, revient à repenser nos interactions au sein des systèmes socio-écologiques, et ce à l'aune de principes tels que la diversité, la résilience, les symbioses, les stocks, les cycles, les flux non tendus ou les liens sensibles. Autant de notions qui contredisent les conceptions rationalistes, réductionnistes, productivistes et individualistes de l'existence dans nombre de sociétés contemporaines. En l'occurrence, un système alimentaire industrialisé, intensif, concentré et homogène, est loin de viser en premier lieu à un rôle nourricier pérenne et fonctionne au prix d'externalité sociale et environnementale considérable, bien qu'il soit conscient de sa vulnérabilité. Les acteurs dominants de ce système comptent sur le progrès technologique porté par l'avènement de la biologie synthétique, des nanotechnologies et du numérique pour le faire durer en dehors du tissu des relations du vivant et de ses dynamiques. Ainsi, une écologie de l'alimentation se traduit en pratique par un engagement politique pour que les systèmes alimentaires contribuent à l'avènement d'une co-viabilité socio-écologique présente et future, plaider ou expérimenter sont autant de voies ouvertes par ceux qui s'inscrivent dans un nouveau rapport au monde, qu'ils soient associatifs, privés, collectivités territoriales, politiques, etc. Il s'agit pour les acteurs qui veulent s'engager dans la transformation des systèmes alimentaires de prendre conscience et de dépasser les imprévisibilités, les verrouillages techniques et les résistances politiques qui contraignent le changement. Conclusion Cette proposition d'une écologie de l'alimentation vise ainsi à partager une nouvelle grille de lecture pour penser l'alimentation. C'est un plaidoyer scientifique pour la mise en lien de ces différentes dimensions et pour l'engagement dans la transformation des systèmes alimentaires. Une écologie de l'alimentation vise à nourrir la réflexion des chercheurs et des étudiants, mais peut aussi inspirer les acteurs du système alimentaire ou un grand public averti et curieux des enjeux d'alimentation durable. Elle ne cherche pas à définir un cadre normatif ou de prescription sur les bonnes pratiques de l'alimentation durable. Il nous semble justement que l'alimentation nécessite d'être pensée en contexte pour tirer parti au mieux de la situation considérée. Une écologie de l'alimentation s'apparente plutôt à une école de pensée qui reflète un regard porté sur la complexité de l'alimentation et de ses enjeux contemporains, celui de la chaire UNESCO Alimentation du Monde, mûrie au cours des dix années de dialogue entre sciences et sociétés sur l'alimentation durable. Les deux chapitres suivants détailleront respectivement les deux propositions qui sous-tendent une écologie de l'alimentation, décloisonner les savoirs sur l'alimentation et s'engager politiquement pour la transformation des systèmes alimentaires. Les conséquences pratiques de ces deux propositions seront présentées dans les parties. 4 et 5. Les auteurs remercient Mathilde Coudray, Vincent De Victor et Jacques Tassin pour leur relecture de ce chapitre et leur proposition d'amélioration.

  • Speaker #0

    Vous venez d'écouter un extrait de Une écologie de l'alimentation, publié aux éditions Quae en 2021, de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Walser, lu par Sarah Bourre. Retrouvez ce titre et nos ouvrages au format papier et numérique sur www.quae.com

Description

Les éditions Quae vous présentent Une écologie de l’alimentation, ouvrage de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Walser, lu par Sara Bourre. Dans cette série d’épisodes, on s’interroge sur la place d’une alimentation durable dans nos sociétés. Ce chapitre s'intitule "Pourquoi une approche écologique de l'alimentation ?".


Quae Vox : paroles de sciences, un podcast des éditions Quae.

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    Les éditions Quae vous présentent une écologie de l'alimentation, ouvrage de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Valser, lu par Sarah Bourre. Dans cette série d'épisodes, on s'interroge sur la place d'une alimentation durable dans nos sociétés.

  • Speaker #1

    Chapitre 8 Pourquoi une approche écologique de l'alimentation ? de Marie Walser, Nicolas Bricasse et Damien Connaret, où l'on remonte aux origines de l'écologie comme discipline scientifique puis comme mouvement politique et où sont exposés deux arguments justifiant l'adoption de l'écologie comme grille de lecture pour penser l'alimentation au regard de ses enjeux de durabilité, en tant que science carrefour de l'étude des relations et pour sa dimension politique. Cet ouvrage propose d'appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité à l'aune d'une écologie de l'alimentation. Le choix d'une telle dénomination pour incarner son propos constitue un défi, tant l'écologie renferme d'imaginaires et d'attentes parfois déçues. De même, l'usage du mot français polysémique alimentation participe à ce défi. En ce qu'il suggère, sans la décrire explicitement, toute la complexité du fait alimentaire. Aussi, il est question dans ce chapitre d'expliciter par étapes le fondement de ce choix. Écologie, écologique, écologisme. Qu'entend-on exactement par approche écologique ? Le qualificatif écologique peut se référer à tout ce qui respecte l'environnement. Dans les sociétés industrialisées, on peut... parle notamment de pratiques écologiques pour désigner les comportements qui cherchent à limiter leur impact environnemental. Le compostage des déchets alimentaires par exemple ou l'agriculture biologique tentent ainsi à être présentés comme des alternatives, souvent qualifiées de durables, à des pratiques dommageables pour l'environnement. Compte tenu des dégâts environnementaux liés au fonctionnement des systèmes alimentaires industrialisés, la transition de ces derniers vers un fonctionnement... plus écologique représente une priorité absolue. Ce constat s'inscrit dans une première lecture de ce qu'est une approche écologique de l'alimentation. Toutefois, nous n'entendons pas ici seulement écologique au sens d'une démarche respectueuse de l'environnement. Nous utilisons le terme écologique dans son sens premier, c'est-à-dire ce qui est relatif à l'écologie. Le terme écologie a été défini pour la première fois en 1866. par le biologiste allemand Ernst Haeckel. Ce néologisme, formé à partir du grec oikos, la maison, et logos, la connaissance, désigne l'étude des relations entre les organismes vivants entre eux et avec leur milieu. L'invention de ce terme intervient peu de temps après la publication de l'Origine des espèces de Charles Darwin, dont la théorie de l'évolution par sélection naturelle invite à considérer le vivant comme un vaste système dynamique et transformatif, et non plus comme un ensemble d'espèces indépendantes et immuables. Pour autant, l'écologie comme discipline scientifique ne s'institutionnalisera que 25 ans plus tard, dans les années 1890. Ce nouveau domaine de connaissances s'ancre dans les sciences biologiques et a la particularité d'apparaître dès ses débuts comme une discipline carrefour. Elle est le fruit d'une interaction complexe entre diverses disciplines comme la biogéographie, l'histoire naturelle et la physiologie. Ses pionniers, tels que le naturaliste français Georges-Louis Leclerc de Buffon ou le géographe et explorateur allemand Alexandre de Humboldt, en ont posé les grands principes en cherchant à identifier, à partir de leurs observations, l'interaction des forces de la nature, le caractère imprévisible des phénomènes écologiques constituera une difficulté majeure pour l'écologie scientifique. Car le recours aux critères conventionnels de la science, qui cherchent à faire émerger la régularité de la structure ou du modèle permettant l'explication, la prédiction ou la mathématisation, convient peu pour appréhender ce qui échappe aux représentations usuelles de l'ordre dans les écosystèmes complexes. En effet, bien que les processus écologiques suivent les lois de la physique, le vivant se ménage une part d'autonomie. qui empêche de le circonscrire dans un jeu de lois prédictives. Les systèmes du vivant sont donc à la fois contraints et autonomes, ce qui les rend singuliers. Certes, la distinction de différents niveaux d'organisation population, espèce, communauté, écosystème permet aux scientifiques d'ordonner le vivant et de distinguer plusieurs sujets de recherche. Mais leur objet d'étude reste constitué d'un entre-là foisonnant de trajectoires individuelles, populationnelles, etc. qui lui confèrent une dimension dynamique. Celle-ci repose sur la variabilité spatiale et temporelle d'un vivant en co-évolution. permanente avec son milieu et les autres formes de vie. En étudiant des ensembles de systèmes écologiques emboîtés, l'écologie constitue un paradigme ayant inspiré plusieurs disciplines scientifiques, dont la nutrition, pour développer des modèles conceptuels. Dès ses débuts, et dans une longue tradition intellectuelle d'attention et de rapports sensibles à la nature, l'écologie questionne la place de l'espèce humaine dans le vivant. Ainsi, plutôt que de se limiter à l'étude des milieux dits vierges évoquant l'Éden originelle et perdue de la tradition chrétienne occidentale, les écologues s'intéressent à l'impact des activités humaines sur l'environnement. Au XIXe et au début du XXe siècle déjà, et en plusieurs endroits de la planète, des précurseurs tels que John Muir, Jean-Baptiste Charcot ou Albert Howard mettent en garde contre les effets de la destruction de la nature au nom du profit ou de la guerre. George Perkins Marsh considérait en 1864 que les ravages commis par l'être humain subvertissent les relations et détruisent l'équilibre que la nature avait établi entre ses créations organisées et inorganiques. Après la Seconde Guerre mondiale et à mesure que les pays occidentaux entrent dans une société de consommation et développent une force de destruction et d'exploitation inédite, Les effets des activités humaines sur l'environnement font l'objet d'inquiétudes et de questionnements croissants. Dès 1962, dans son ouvrage Silent Spring, qui fera date dans les milieux écologistes, Rachel Carson alerte sur l'impact des pesticides sur l'ensemble du monde vivant, le sol, les cours d'eau, mais aussi les plantes et les animaux, jusqu'à l'être humain dans son ADN. Au cours de la même décennie, Alors que les premiers clichés de la Terre pris depuis la Lune viennent souligner la fragilité de l'habitabilité de la planète, émergent les premiers mouvements politiques écologistes, tels que Friends of the Earth aux États-Unis en 1969. Ils attirent l'attention sur le caractère global des problèmes écologiques et plaident pour une protection, voire une sauvegarde, de la diversité du vivant grâce à l'instauration d'un projet de société reposant sur un rapport rapport renouvelé entre humains et non-humains. Mais il faudra attendre le début des années 1970 pour que les consciences politiques et citoyennes s'éveillent largement face à la crise écologique qui se profile. En 1972, le rapport Les limites à la croissance ou rapport Meadows, commandité par le Club de Rome, annonce l'effondrement du système planétaire sous l'effet de la pression exercée sur les ressources naturelles. par les activités humaines. Après des décennies de développement d'une identité académique, l'écologie scientifique est placée sous le feu des projecteurs et, à l'aube du XXIe siècle, apporte sa contribution à la recherche de solutions aux problèmes globaux. Pour ce faire, des expertises internationales se mettent en place, telles que le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, GIEC, créé en 1988, ou la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques, IPBES, créée en 2012. L'idée s'impose, selon laquelle il est nécessaire et urgent, de remettre en question les modes de vie d'une partie de l'humanité pour éviter une crise écologique. À cet égard, la sociale écologie propose de relier crise écologique et crise des inégalités sociales. Par exemple, Plus la création de richesses d'un pays est accaparée par un petit nombre, plus le reste de la population aura besoin de compenser cet accaparement par un surcroît de développement économique potentiellement destructeur du point de vue environnemental. Des dégradations environnementales qui ont un impact social différentiel en fonction des revenus, créant ainsi un retour des inégalités environnementales. Les mouvements écologistes, qu'ils soient militants, politiques ou sociaux, ont longtemps constitué le principal moteur d'un changement qui peine encore à se généraliser. Il est à noter que l'écologie politique connaît aussi des divisions. Renvoyant à différents ancrages philosophiques ou idéologiques, elle est parcourue de controverses animées par la confrontation de systèmes de valeurs parfois contradictoires. C'est le cas sur les sujets de la conservation de la biodiversité, du développement durable ou de la résilience. Une approche unificatrice pourrait être celle de la co-viabilité, qui postule une coexistence durable des systèmes écologiques et sociaux. Cette notion constitue l'une des pièces structurantes de l'écologie scientifique comme de l'écologie politique. Appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité. Cette perspective historique révèle que l'écologie offre une grille de lecture pertinente pour appréhender l'alimentation et ses enjeux de durabilité, et ce, pour au moins deux raisons. Premièrement, en tant que science carrefour des relations, l'écologie présente une dimension intégrative, c'est-à-dire qu'elle tend à développer une lecture globale des phénomènes qu'elle étudie. Elle s'intéresse aux liens qui unissent les différentes composantes de ces phénomènes. et aux dynamiques qui résultent de leur interaction. Une telle approche appelle à l'articulation de points de vue complémentaires. En effet, l'étude segmentée des différentes composantes d'un phénomène est nécessaire pour produire une connaissance fine de chacune d'entre elles. Mais se cantonner à une telle approche constitue non seulement une limite pour appréhender la complexité d'un phénomène, mais aussi un risque, celui de le réduire à l'une de ses dimensions. C'est ce qu'illustre la parabole de l'éléphant et des savants aveugles dans la doctrine jainiste de l'Anekantavada, réalité relative, dans laquelle six savants indiens essaient de savoir ce qu'est un éléphant en l'étudiant chacun sous un certain angle. Alors que l'un étudie la trompe, un autre s'intéresse aux oreilles, un troisième analyse les défenses, un quatrième le flanc, un cinquième la queue, etc. Finalement, les savants interprètent tous l'éléphant à partir de leur propre idée. points de vue, nécessairement relatifs, et n'arrivent jamais à se mettre d'accord sur ce qu'est vraiment un éléphant. Une approche intégrée ne nie pas la conflictualité qui peut exister entre des positions parfois antagonistes, mais elle fournit au contraire un espace d'explication permettant de rendre visibles les conflits et les propriétés émergentes produites par l'interaction. L'alimentation est précisément un sujet multidimensionnel qui peut être interprété selon plusieurs points de vue. Et historiquement, les disciplines étudiant l'alimentation se sont chacune structurées autour d'une dimension privilégiée. Par exemple, la nutrition s'intéresse surtout à l'alimentation dans sa dimension biologique. La psychologie et les neurosciences en analysent la dimension hédonique. La sociologie investit sa dimension sociale. L'anthropologie interroge le rôle de la culture. L'économie analyse l'alimentation en tant que bien de consommation. d'échanges et de création de valeurs, l'agronomie étudie le système de production agricole d'un point de vue technique, etc. Ce morcellement épistémologique s'ancre dans l'histoire des sciences. À la suite des Lumières, le XXe siècle est irrigué par une vision positiviste de la connaissance que seuls les faits révélés par l'expérience, et donc la spécialisation disciplinaire, peuvent éclairer. En conséquence, l'alimentation s'expose à un risque d'éparpillement des savoirs, particulièrement dommageable à l'heure où la crise sociale et écologique appelle à répondre aux enjeux de durabilité au travers d'une approche globale, capable d'appréhender les interconnexions pour en tirer parti. Ainsi, une écologie de l'alimentation se traduit en pratique par un décloisonnement des savoirs sur l'alimentation, opéré dans le cadre d'un dialogue interdisciplinaire pour appréhender globalement les enjeux de durabilité qui parcourent le fonctionnement des systèmes alimentaires. Cette articulation des points de vue sur l'alimentation s'inscrit dans une approche holistique capable de reconnaître les différentes dimensions de l'alimentation sans préjuger a priori d'une quelconque hiérarchie, de faire le lien entre elles et de révéler les dynamiques engendrées par leurs interactions. Cette approche a pour objectif d'éviter un écueil Celui de chercher à répondre aux enjeux qui se posent en matière d'alimentation en excluant certaines dimensions de l'analyse. Penser la santé sans penser le plaisir ou la culture, penser l'environnement et le social sans penser l'économie, etc. Le risque est de ne pas objectiver les antagonismes et émergences qui jalonnent les chemins de la durabilité, qui tantôt contraignent et tantôt favorisent les changements. Deuxièmement, en plaçant la question des liens qui parcourent le vivant au... au cœur de son propos. L'écologie présente une dimension éthique. Elle appelle à changer nos rapports dans le monde et à nous repenser, nous, parmi les autres, c'est-à-dire parmi d'autres êtres humains, d'autres formes de vie. d'autres générations avant nous et après nous. En filigrane, l'écologie prône un sentiment enthousiasmant de faire partie du vivant, duquel découle une responsabilité vis-à-vis du maintien, aujourd'hui et demain, des conditions d'existence décentes des autres humains et non-humains. Dans cette perspective écologique, la non-durabilité résulte d'une détérioration des liens sociaux-écologiques qui ne permettent plus le maintien de bonnes conditions d'existence au sein de la maison commune, oikos. Dès lors, penser la durabilité, et notamment en matière d'alimentation, revient à repenser nos interactions au sein des systèmes socio-écologiques, et ce à l'aune de principes tels que la diversité, la résilience, les symbioses, les stocks, les cycles, les flux non tendus ou les liens sensibles. Autant de notions qui contredisent les conceptions rationalistes, réductionnistes, productivistes et individualistes de l'existence dans nombre de sociétés contemporaines. En l'occurrence, un système alimentaire industrialisé, intensif, concentré et homogène, est loin de viser en premier lieu à un rôle nourricier pérenne et fonctionne au prix d'externalité sociale et environnementale considérable, bien qu'il soit conscient de sa vulnérabilité. Les acteurs dominants de ce système comptent sur le progrès technologique porté par l'avènement de la biologie synthétique, des nanotechnologies et du numérique pour le faire durer en dehors du tissu des relations du vivant et de ses dynamiques. Ainsi, une écologie de l'alimentation se traduit en pratique par un engagement politique pour que les systèmes alimentaires contribuent à l'avènement d'une co-viabilité socio-écologique présente et future, plaider ou expérimenter sont autant de voies ouvertes par ceux qui s'inscrivent dans un nouveau rapport au monde, qu'ils soient associatifs, privés, collectivités territoriales, politiques, etc. Il s'agit pour les acteurs qui veulent s'engager dans la transformation des systèmes alimentaires de prendre conscience et de dépasser les imprévisibilités, les verrouillages techniques et les résistances politiques qui contraignent le changement. Conclusion Cette proposition d'une écologie de l'alimentation vise ainsi à partager une nouvelle grille de lecture pour penser l'alimentation. C'est un plaidoyer scientifique pour la mise en lien de ces différentes dimensions et pour l'engagement dans la transformation des systèmes alimentaires. Une écologie de l'alimentation vise à nourrir la réflexion des chercheurs et des étudiants, mais peut aussi inspirer les acteurs du système alimentaire ou un grand public averti et curieux des enjeux d'alimentation durable. Elle ne cherche pas à définir un cadre normatif ou de prescription sur les bonnes pratiques de l'alimentation durable. Il nous semble justement que l'alimentation nécessite d'être pensée en contexte pour tirer parti au mieux de la situation considérée. Une écologie de l'alimentation s'apparente plutôt à une école de pensée qui reflète un regard porté sur la complexité de l'alimentation et de ses enjeux contemporains, celui de la chaire UNESCO Alimentation du Monde, mûrie au cours des dix années de dialogue entre sciences et sociétés sur l'alimentation durable. Les deux chapitres suivants détailleront respectivement les deux propositions qui sous-tendent une écologie de l'alimentation, décloisonner les savoirs sur l'alimentation et s'engager politiquement pour la transformation des systèmes alimentaires. Les conséquences pratiques de ces deux propositions seront présentées dans les parties. 4 et 5. Les auteurs remercient Mathilde Coudray, Vincent De Victor et Jacques Tassin pour leur relecture de ce chapitre et leur proposition d'amélioration.

  • Speaker #0

    Vous venez d'écouter un extrait de Une écologie de l'alimentation, publié aux éditions Quae en 2021, de Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Walser, lu par Sarah Bourre. Retrouvez ce titre et nos ouvrages au format papier et numérique sur www.quae.com

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