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Raison d'être by Leaders for Health

Pr. Jacques BELGHITI - Fervent défenseur des soins pour tous !

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50min |29/05/2024
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Description

Dans cet épisode passionnant, nous avons l'honneur d'accueillir le Professeur Jacques Belghiti, une figure emblématique de la chirurgie hépatobiliaire et de la transplantation hépatique. Ancien chef de service à l'hôpital Beaujon (APHP), il est reconnu mondialement pour ses contributions significatives à la médecine et son dévouement exceptionnel aux patients.

Ses réalisations lui ont valu de nombreuses distinctions prestigieuses, dont la haute distinction de Chevalier de l'Ordre National du Mérite. Le Professeur partage avec nous son parcours inspirant, ses défis, et sa vision pour l'avenir de la chirurgie et des soins de santé.

Découvrez comment son dévouement et son approche humaniste continuent d'influencer et d'inspirer les générations futures de soignants. Abonnez-vous à notre chaîne pour recevoir les notifications de nos prochains épisodes !

Leaders for Health


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous êtes donc un produit de la légitimité par le travail ?

  • Speaker #1

    Oui, je suis très élitiste. Mais c'est quelque chose qu'on apprenait, c'est quelque chose que j'ai appris à l'école, c'est-à-dire qu'il est hors de question de laisser la bourgeoisie, au fils de truc, de prendre les rênes du pouvoir. Il faut travailler, travailler pour avoir ces promotions.

  • Speaker #0

    Bonjour, je suis Félix Mamoudi, fondateur de Leader for Health. Bienvenue dans notre podcast Raison d'être, le podcast qui réunit les leaders du monde de la santé d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Aujourd'hui, nous accueillons le professeur Jacques Belguiti, secrétaire adjoint de l'Académie de médecine et défenseur de notre système de santé publique. Bonjour Jacques.

  • Speaker #1

    Bonjour Félix.

  • Speaker #0

    Bienvenue.

  • Speaker #1

    Merci.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez commencer par nous raconter votre parcours professionnel ?

  • Speaker #1

    J'ai commencé mes études de médecine en 68. Après une scolarité extrêmement difficile, je les ai commencé avec enthousiasme, ça s'est passé très bien. Mais comme je voulais être chirurgien depuis ma petite enfance, je me suis orienté vers des stages de médecine. Parce que je concevais qu'on pouvait être un bon chirurgien à partir du moment où on avait une bonne acquisition de la médecine. Et puis ensuite, j'ai fait des stages de chirurgie, également avec enthousiasme. Et j'ai gravi tous les échelons. Avec du recul, j'ai l'impression, sans grande difficulté, mais avec des souvenirs quand même. que c'était souvent difficile dans une certaine adversité de temps en temps. Voilà, j'ai eu la chance d'être assez vite chef de service d'un très grand service de chirurgie hépatobilière et de transplantation. J'ai été chef de service plus de 20 ans à l'hôpital Beaujon, qui était un centre d'excellence. qui se caractérisait par la réunion de radiologues, de médecins, qui avaient la... La passion, oui, également la passion de la spécialité, et puis un engagement dans le service public absolument total.

  • Speaker #0

    Le plus gros tournant de votre carrière ?

  • Speaker #1

    Le plus grand tournant de ma carrière, c'est probablement l'aventure de la transplantation hépatique. La première transplantation hépatique qui a eu lieu en novembre 89, au moment de la chute du mur de Berlin. Je me souviens cette nuit-là, et donc de pouvoir accéder à une innovation technologique que j'avais préparée par des voyages à l'étranger, par des stages. Ça a été vraiment un élément important. Puis ensuite... Le développement de ma spécialité, de ma carrière à l'intérieur, à Beaujon. Le deuxième tournant, c'est probablement au moment où je prends ma retraite, d'être nommé la Haute Autorité de Santé. Et à ce moment-là, c'est le passage entre une activité qui était uniquement dirigée vers le malade, à une conception beaucoup plus de santé publique. où à ce moment-là, les soins n'étaient plus conçus individuellement, mais dans leur portée économique, dans leur portée éthique. Et ça, ça a été un apprentissage important de savoir qu'est-ce qui est bon en termes de santé publique pour la population, et pas uniquement pour un malade individuellement.

  • Speaker #0

    Vous avez l'air d'avoir un attrait particulier pour l'intérêt commun. Est-ce que c'est quelque chose qui vous a guidé pendant votre carrière ?

  • Speaker #1

    Ah oui. J'ai toujours été mu par le service public. C'est quelque chose de fondamental. D'abord, je ne pouvais pas concevoir des rapports financiers avec des malades. La notion de la bourse ou la vie ou la pression était quelque chose qui était absolument inconcevable pour moi. Je m'amuse. Une proposition à un moment donné de diriger le plus grand centre de chirurgie hépatobilière des États-Unis, au Slot Catherine à New York. J'avais fait deux, trois voyages, tout était prêt, tout était bon, et quand je me suis rendu compte un peu que ça aurait changé mes rapports aux malades, mais également mes rapports à mes collègues, c'est-à-dire qu'une des fonctions importantes était d'essayer de ramasser des fonds, d'essayer de voir, et ça c'était complètement inconcevable. Ça ne correspondait pas du tout et puis j'aurais très mal fait les choses, très certainement.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez nous expliquer la greffe hépatobilière pour les nuls ?

  • Speaker #1

    La greffe hépatobilière, c'est quelque chose d'extraordinaire parce que le foie est l'organe le plus élaboré, enfin un des organes les plus élaborés de l'organisme puisque c'est lui qui synthétise pratiquement toutes les protéines. Il a des relations, des connexions vasculaires, des connexions biliaires qui sont importantes. Ce qui fait que techniquement, la greffe, quand le foie ne fonctionne plus, alors dans l'imaginaire, on a le non-fonctionnement chronique du foie, qui était une des conséquences de l'alcool. On sait maintenant... Une des conséquences les plus importantes, c'est les hépatites virales, sur lesquelles l'alcool avait une mauvaise influence. Le deuxième élément, c'est qu'on peut avoir des insuffisances hépatiques aiguës. La seule façon, quand le foin ne marche pas, de pouvoir sauver le malade, c'est de le greffer. Et cette greffe, à un moment, ça dure longtemps, ça dure plusieurs heures, parce qu'il y a plusieurs connexions, c'est techniquement assez difficile. Et son retentissement est un retentissement majeur sur la circulation, sur le poumon, ce qui fait qu'on est obligé d'acquérir une expertise médicale importante.

  • Speaker #0

    On va revenir un peu en arrière. Est-ce que vous pouvez nous raconter dans quel environnement vous avez grandi ?

  • Speaker #1

    J'ai grandi, je suis né au Maroc, un père marocain, d'une mère française. J'ai vécu entre deux cultures. Puis ensuite, je ne sais pas si c'est une chance, dans la petite enfance, je suis parti en Afrique, au Togo, en Afrique occidentale. Je suis resté plusieurs années. Puis ensuite, je suis revenu... Alors, la conséquence, c'était... D'abord la multiplicité des cultures, la confrontation à ce que représentait le colonialisme, et puis un retour en France où j'avais une certaine richesse culturelle, mais une absence où mon éducation, la scolarité avait été très mauvaise. Et donc ce qui fait que ça a été catastrophique. Au point par exemple où mes parents m'avaient mis pensionnaire au lycée Lacanale et au bout de la première année, le préviseur avait décidé que je n'étais pas apte aux études et m'avait inscrit à un CAP de serrurier. Donc vous avez déjà peut-être vu que j'avais un attrait pour l'activité manuelle, mais bon. Ensuite, ça a été un peu difficile, jusqu'à la terminale, où après, il n'y a pas eu de problème.

  • Speaker #0

    Et comment on passe d'échec scolaire à professeur de chirurgie ?

  • Speaker #1

    Par le travail. Par le travail, parce que ça, j'ai eu... Je savais que j'avais énormément de retard, je savais... J'avais été très impressionné, effectivement. par une réflexion d'un professeur qui avait vu que comme j'étais bon en histoire géo, ça prouvait que je travaillais. Ça prouvait que je travaillais et donc à ce moment-là, je me suis dit que c'est la façon de s'en sortir, parce que le reste, c'était assez catastrophique. Et donc, voilà, je pense que j'ai énormément travaillé, j'ai toujours... C'est pas difficile pour moi, mais c'est un plaisir. C'est un plaisir d'apprendre, c'est un plaisir de travailler, c'est un plaisir... Donc voilà, je crois que c'est un élément important. Le deuxième élément, c'est dans le travail, il y a le travail théorique, il y a le travail pratique, il y a la disponibilité. Et ça, je pense que je ne serais pas arrivé... Une carrière si je n'avais pas eu cette disponibilité importante, mais c'est une disponibilité qui n'était pas pénible.

  • Speaker #0

    Est-ce que travailler pour les patients a eu particulièrement du sens pour vous ?

  • Speaker #1

    Ah bah oui, parce que... Bon d'abord, d'essayer de surmonter un certain nombre de maladies qui n'étaient pas... Alors, probablement qui n'étaient pas très bien... considéré sur lequel il n'y avait pas énormément d'investissement, qui sont les cirrhoses du foie, les maladies tumorales. C'était quelque chose d'important. Il y avait un challenge d'essayer de trouver. Et puis j'ai eu la chance quand même d'être dans une spécialité qui naissait. Ça a été une chance extraordinaire. La chirurgie hépatique se développait parce qu'elle avait besoin de technologie. Ça a été tout de suite après la chirurgie cardiaque la chirurgie la plus technologique. Et donc elle naissait, elle se développait. Et ça, ça m'a énormément aidé, cette volonté de rester dans l'innovation. Dans le service, il y avait quelque chose, quand j'étais chef de service, qui était presque écrit au fronton, aucune innovation ne doit nous échapper, c'est-à-dire qu'il faut toujours essayer de faire, et donc ça demandait une culture, savoir ce qui se faisait ailleurs, d'aller dans les congrès, de lire les revues.

  • Speaker #0

    Est-ce que le fait de ne pas pouvoir sauver tous les patients a été quelque chose de clé et d'important dans la lecture de votre spécialité ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est important, mais qu'est-ce que ça ? Bon, on sait tous qu'il y a un certain nombre de tumeurs, de tumeurs cancéreuses sur lesquelles on ne pouvait pas prendre, qu'on ne pouvait pas vaincre. Mais au fond, la question qui se posait, c'est de se dire, soit on intervenait trop tard, soit on intervenait pas au bon moment, soit on intervenait de façon un peu trop brutale. Et probablement, ce qui me paraissait important, c'était de déceler dans le développement d'une maladie le moment. où il fallait agir. Alors, si je reprends l'exemple des tumeurs malignes, l'alliance chimiothérapie-chirurgie a été quelque chose d'extraordinaire. C'est-à-dire laisser trop sous chimiothérapie, après c'est trop tard. Opérer trop tôt, c'est pas bon. Et donc justement, cette conjonction de deux traitements, un traitement médical et un traitement chirurgical, vraiment a été un moteur important. Puis le deuxième moteur, c'est la transplantation hépatique. C'est la possibilité, quand les lésions sont irréversibles, de pouvoir changer un foie.

  • Speaker #0

    Avec des ressources toujours contraintes ?

  • Speaker #1

    Alors voilà, ça je crois que c'est l'avantage qu'ont les transplanteurs. Les transplanteurs résonnent toujours en ressources limitées. Peut-être les choses changeront un jour, dans la mesure où maintenant on peut greffer, on va probablement greffer de façon un peu plus fréquente des organes d'animaux. Là on voit l'explosion actuellement. Mais pour le moment, les organes sont limités et donc... Il faut choisir, il faut choisir à qui on va greffer. Et là, on aborde des questions éthiques qui sont complexes, c'est-à-dire est-ce qu'on va greffer le plus urgent, est-ce qu'on va greffer celui avec qui ça va servir le plus longtemps possible ? Certains pays font intervenir celui qu'ils méritent, font intervenir des critères différents. Et donc ça, c'est un élément qui en permanence se pose et qui fait ressortir, voilà, typiquement, typiquement une question qui ne peut pas se résoudre par la relation purement entre médecin et malade. Le malade n'appartient pas au médecin, d'abord parce que l'organe appartient à la communauté. Et donc le médecin, à ce moment-là, ne peut pas prendre une décision seul, il ne peut prendre une décision que collectivement. La conception d'une décision collective, je crois que c'est l'élément fondamental, fondamental d'une pratique médicale. On le voit de plus en plus maintenant, que ce soit dans le domaine cancéreux, que ce soit dans le domaine de la fin de vie, la décision collective, la discussion, les échanges, est absolument fondamentale. Et probablement, une des qualités qui sera le plus, qui faudra le plus développer ou qui permettra, c'est ceux qui sont capables d'avoir ces réflexions collectives, c'est-à-dire de recueillir. tous les éléments des autres membres de la communauté médicale, mais aussi au-delà de la communauté médicale, ce qui me paraît fondamental.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui a le plus changé durant votre parcours ?

  • Speaker #1

    Premièrement, le fait que toutes les discussions, les prises en charge des malades, les décisions, soit des décisions collectives, ça a été important. La deuxième chose qui a énormément changé, c'est le fait que dans un service de chirurgie, y compris dans un service de transplantation, il y ait de plus en plus de femmes, avec indéniablement une approche différente, moins aventureuse, plus méticuleuse, plus soucieuse, pas uniquement de la maladie, mais des conditions sociales d'un malade. plus respectueuse des recommandations. Et donc ça a été un apport, surtout dans une spécialité qui se développait, qui était un peu aventureuse, ça apportait un équilibre important. Alors je dois dire que... Pour profiter de cet équilibre, il faut absolument qu'elles aient une place équivalente. Et notamment de les aider à l'exprimer. Parce que la femme est en retrait tout souvent sur la prise de parole. Dans le monde médical, elle est en retrait sur la prise de parole. Et donc, un élément important, et ça c'est quelque chose que j'avais depuis... Non. qui se faisait tout naturellement dans le service où j'étais, parce que j'avais pris l'habitude, c'était une tradition, c'est que chacun devait s'exprimer à tour de rôle, on fait un tour de table et chacun devait s'exprimer. Et finalement, ça c'est un point important. Alors ensuite, la différence a été l'introduction de la limitation de temps de travail. Alors... Pas tellement dans la génération des chirurgiens que j'ai connus jusqu'à 2014, où c'était très très faible, mais des autres, des anesthésistes, des réanimateurs. Et la conséquence que j'y voyais, c'est que du coup il y avait des ruptures dans la connaissance des malades, parce qu'à prendre des gardes, je ne sais pas si c'est toujours résolu, mais... La conséquence importante d'une rupture, c'est-à-dire que... Je me souviens d'ailleurs, le premier exemple qui me frappait, c'est que quand j'avais commencé, très vite, je faisais des visites avec les infirmières, et très souvent, une infirmière, comment vous le trouvez ce matin, comment, par rapport à hier, elle avait une... quelque chose qu'il fallait absolument écouter, quelquefois plus que l'interne. Et puis à un moment donné, ce n'était plus possible, parce que ce n'était jamais la même infirmière, parce qu'il y avait des changements. Donc du coup, il fallait chercher d'autres qualités. Mais chez les anesthésistes, par exemple, ou chez les réanimateurs, ça les a amenés à ne s'occuper finalement plus que du symptôme, plus que de la maladie générale. Je crois que ça, c'est encore un... C'est quelque chose qui, je ne sais pas encore, la transmission des connaissances de la maladie de fond, ça sera une problématique importante. Bon alors après, ce qui me gêne le plus, enfin ce qui m'ennuie maintenant, c'est la difficulté de pouvoir joindre des médecins. La difficulté de demander à un médecin de s'occuper d'un ami ou d'un malade, il est rarement disponible, il délègue, ce sont des choses auxquelles je n'étais pas habitué, qui probablement n'auront pas de conséquences. Globalement, je vais revenir sur la mortalité générale, sur la santé, mais ça a des conséquences sur la prise en charge individuelle. Je pense que c'est assez difficile, le fait qu'il faille plusieurs mois pour certains rendez-vous qui étaient impossibles. Dans le service, on ne va pas parler de mon temps, mais c'est quand même, moi je crois que c'était un point important. Parce que même, il était hors de question de laisser quelqu'un avec une tumeur du foie ou une tumeur du pancréas attendre plus de 3-4 jours. Il y avait tout le temps la possibilité de les voir, parce que ça me semblait inhumain. Quand j'avais été aux États-Unis, j'avais été aussi frappé par le fait qu'à la Mayo Clinic, vous avez un rendez-vous dans les 12 heures. Alors peut-être que la finalité n'est pas la même, mais la conséquence est qu'on ne peut pas laisser des gens s'angoisser avec une lésion. Donc ça, c'est vraiment quelque chose qui me... Qui me peine, moi, de voir des gens qu'on laisse avec une angoisse, qui n'ont pas le discours.

  • Speaker #0

    Dans un secteur où le sens, après le post-Covid, a été beaucoup questionné, qu'est-ce qui, pour vous, sont les éléments importants qui permettent à un professionnel de santé de donner du sens à son travail ?

  • Speaker #1

    Le post-Covid a été une période absolument extraordinaire, c'est-à-dire la mobilisation à un moment donné, le fait qu'il y avait moins d'obstacles, les procédures ont été bouleversées, et donc ça a été fantastique pour des médecins, des infirmières. On a vu des gens rester à l'hôpital. C'était un point important. Après, dans le post-Covid, qu'est-ce qui peut donner un sens ? Je ne sais pas si ça se décrète. Ce qui me fait peur actuellement, c'est de voir de moins en moins de gens qui s'engagent dans le soin à l'autre, la préoccupation à l'autre. Ça, c'est quelque chose qui m'impressionne. Ça m'impressionne... Si c'était un problème purement français, finalement, on se dit on va le résoudre. Mais c'est dans tous les pays du monde. Dans tous les pays du monde, il n'y a plus d'infirmières. Enfin, il n'y a pas assez d'infirmières. Il n'y a pas assez de médecins. Pour répondre aux demandes des malades. Même l'Italie, qui n'avait pas de numerus clausus, a engagé 500 médecins cubains pour prendre des gardes en Calabre. 35% des médecins en Angleterre ne sont pas nés, ils n'ont pas été tous formés en Angleterre. En Allemagne, ils n'auraient pas pu aborder, ils n'auraient pas pu supporter l'épidémie de Covid s'ils n'avaient pas eu les médecins syriens. On se demande ce qui fait qu'il n'y a plus cet attrait. C'est la première chose. Ça m'inquiète un tout petit peu, enfin ça m'inquiète, ça ne me rend pas optimiste. Je ne sais pas comment on peut le compenser. Je ne suis pas sûr que ce soit uniquement une question de revenus. Je crois qu'au contraire les revenus l'aggravent. Parce que quand les revenus sont suffisants, les gens maintenant ne travaillent plus que trois jours par semaine. Si les revenus n'étaient pas aussi importants, je pense que pour les radiologues et pour certaines spécialités, Il ne pourrait pas se cantonner de travailler trois jours par semaine, ce qui aggrave les choses. Donc ce n'est pas uniquement une question de revenus, parce que j'ai même vu qu'en Suisse, il manquait d'infirmières, alors qu'elles sont très très bien payées. Le deuxième élément qui est un élément un peu inquiétant, c'est au-delà de presque une répulsion à se consacrer à l'autre, à s'occuper de l'autre. le nettoyer, lui faire des pansements. Il y a aussi, chez un certain nombre, le refus de rentrer dans une organisation. Chez un certain nombre d'infirmières, la difficulté à accepter le rôle d'une surveillante, la difficulté pour certains médecins et infirmières à refuser de se mettre dans des plannings. Heureusement, il y a eu un coup d'arrêt à l'intérim, mais sinon, il y avait des milliers de médecins qui se dégageaient de toute l'organisation des hôpitaux pour ne faire que de l'intérim, se travailler quand ils veulent, comme ils veulent, au moment où ils veulent, sans prendre les gardes des jours qui... qu'il fallait prendre, mais uniquement selon leur désir. Et ça, ça avait une double gravité, parce que, bon, premièrement, ça n'assurait pas la continuité, mais deuxièmement, ça les détachait de la prise en charge collective. Alors, parlons pas de la qualité, là, parce que, alors là, du coup, comme on ne fait pas partie de la... Du groupe, on ne fait pas partie du service, on connaît encore moins bien les malades et on est encore plus symptomatique et donc on est moins bon.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est pour vous un leader ?

  • Speaker #1

    Alors un leader, c'est probablement quelqu'un qui arrive à montrer qu'il y a une ligne. Il y a une ligne dans un service, qu'on n'agit pas uniquement en fonction des dates, en fonction des humeurs. On sait ce qu'on veut, on la définit, on essaye de l'exprimer, c'est pas toujours facile de l'exprimer. Et ça c'est la première chose. La deuxième, c'est d'essayer de développer... On travaille bien qu'avec des gens heureux. Donc il faut... c'est pas facile. Il faut déceler ce qui rend les gens heureux. Alors je vais prendre un exemple inverse. Je vais prendre un exemple inverse. J'envoie... on envoie des abstracts pour un congrès. Et j'arrive un matin, j'attrape l'interne en lui disant Tu sais, ton abstract, il a été accepté à Houston, tu vas pouvoir le présenter. Et à ce moment-là, je vois le type devenir blanc. Blanc. Et à ce moment-là, j'ai compris qu'au fond, pour lui, c'était une angoisse terrible, et que ce n'était pas ça sa vie. Sa vie, ce n'était pas d'aller, alors que pour d'autres, pour moi, c'est la première abstraite, c'était absolument extraordinaire. Ce n'était pas ça sa vie. Et au fond... Une équipe, c'est décelé chez chacun, celui qui a envie de se mettre en avant, celui qui a envie d'exprimer, celui qui aime parler en public, et puis celui qui, surtout, ne pas l'amener à faire comme les autres. Ça, je crois que c'est un point important. La troisième chose, c'est partir du principe que toute parole doit être prise en compte, partir du principe que les autres ne sont pas des cons, c'est-à-dire qu'on est dans une attitude où il va falloir savoir telle position qui a été prise par tel autre service. Probablement, il faut comprendre pourquoi et comprendre la position des autres spécialités. Je pense que ça, ça aide. Voilà. Et puis, qu'est-ce que... Oui, qu'est-ce qu'on m'avait dit ? On sait bien, quand on vous donne un papier à relire, on sait bien que vous le relisez à fond, que vous travaillez. Et donc, du coup, c'est impossible pour nous de ne pas travailler. Donc ça, c'est un point important. C'est une chose qu'on m'a dit assez tard. Vous savez, quand il y a des papiers à corriger, Il y a le patron qui le corrige, vous me parlez de leader, le patron qui le corrige un tout petit peu, 3,4 choses, qui vérifie que son nom est dessus, et puis il y a d'autres qui travaillent à fond. Et donc, quand on travaille dessus, l'autre ne peut pas ne pas travailler.

  • Speaker #0

    Vous avez beaucoup parlé dans cet entretien du lien entre les professionnels de santé, de la capacité à donner la parole à tous. Qu'est-ce qui vous a donné cette culture et comment vous avez fait pour développer cette partie de votre management ?

  • Speaker #1

    Alors là, on va rentrer dans quelque chose… De très personnel, mais qui avait comme été dénoncé, quand je suis arrivé en France, c'était... Il faut comprendre la France, il faut comprendre le système, il faut comprendre le fonctionnement, le fonctionnement de l'administration, le fonctionnement des RH. Moi j'ai eu la chance en 1966, d'abord j'avais mon passage en Afrique, J'avais quand même une position des luttes anticoloniales, des luttes d'indépendance. J'ai vécu toutes les indépendances, ce qui pour moi était assez extraordinaire. Et puis ensuite, effectivement, j'ai eu une culture politique et j'ai donc été au Parti communiste français, qui a été un facteur d'intégration. Absolument fantastique. Ça a été pour moi la défense des gens qui avaient besoin d'être défendus. La deuxième chose, c'était une position antiraciste formidable. J'ai jamais eu le moindre... Après, il paraît que ça a changé, il y a des choses. Et puis... Une éducation, la nécessité de bien connaître les textes, de bien connaître les choses et d'écouter. Parce que ce qui, au fond, j'avais appris, c'était la responsabilité, c'est-à-dire la parole devait être suivie. d'une activité. On ne pouvait pas se permettre de lancer simplement des slogans. À partir du moment où vous devez faire une grève... Il fallait qu'elle réussisse, il fallait que vous soyez à peu près sûrs, que vous ayez une majorité de gens qui suivent la grève. Parce que si jamais ça foirait, si le mouvement foirait, vous en preniez la responsabilité, puis vous le payez. Vous le payez parce qu'après on ne peut plus remuer les gens, on ne peut plus les mobiliser. Voilà, donc il faut écouter, il faut analyser. Et puis il faut comprendre comment se fait le système. Et puis ensuite, j'ai quitté le parti quand il a eu la rupture de l'Union de la gauche, parce que j'avais toujours été dans un... dans une volonté d'union. L'union était fondamentale pour moi. Mais à partir du moment où il y a eu la rupture de l'union de la gauche, puis voilà.

  • Speaker #0

    Et ça vous a beaucoup servi dans votre carrière professionnelle et dans la manière de manager vos équipes ?

  • Speaker #1

    Moi, je crois que ça m'a servi. Ça m'a servi dans l'écoute, l'écoute des autres. Ça m'a servi dans un respect de l'administration. Ça a été... Je pense que j'ai été terriblement aidé par l'administration, j'avais bien compris. J'avais bien compris que dans un hôpital, ce n'est pas vos collègues qui vous donneront des crédits, ce n'est pas vos collègues qui vous faciliteront les choses, parce que chacun se défend, et que donc il fallait avoir le soutien de ceux qui sont responsables du fonctionnement de l'institution. Et ceux qui sont responsables du fonctionnement de l'institution, c'est l'administration. Donc c'est vrai, ça m'a beaucoup servi sur ce plan-là. Ce respect d'écoute de l'administration, qui en plus a sa logique, je me suis toujours refusé à la caricature, qu'on ne prenne rien, ils ne sont pas au truc, ce n'est pas vrai. Voilà, le refus de la caricature est un point important aussi, ça on apprend qu'en face... C'est des gens qui savent ce qu'ils font et ils ne le font pas n'importe comment. Donc il faut analyser.

  • Speaker #0

    Vous avez un parcours atypique que vous nous avez raconté. Malgré ça, vous avez réussi à atteindre le rang de professeur, qui est quelque chose de très complexe en santé. Comment vous avez fait et est-ce que vous avez eu des difficultés ? Et finalement, qu'est-ce qui vous a accompagné vers votre titre de professeur ?

  • Speaker #1

    Le rendre professeur, moi je me suis toujours, je voulais l'être. Alors j'ai jamais calculé, j'ai jamais calculé en me disant je vais aller dans tel service, comme je voyais très bien, en me disant je vais aller dans tel service parce que je sais que dans 5 à 10 ans, il y a un poste qui va se libérer, ça me permettra. Bon ça c'est le genre de choses. Qu'il ne faut pas faire. D'abord, si jamais il y a des jeunes, il ne faut pas calculer. Il ne faut pas calculer, il faut se mettre dans un endroit, il faut travailler, s'imposer. Et puis, dans les qualités, comment on choisit un professeur ? On choisit un professeur par sa capacité de travail, par ses qualités humaines, mais on le choisit aussi par la persévérance. Ça, je crois que c'est un point important. Et puis j'ai eu la chance d'avoir des gens qui m'ont aidé, qui m'ont soutenu malgré un certain nombre, malgré à ce moment-là, ce qui ne m'a pas servi, mes opinions politiques. Bon, maintenant, ça n'est plus le cas. Mais en tous les cas, en dehors de vraiment d'exceptions qu'on peut compter presque sur les doigts d'une main, Tous ceux qui se donnent les moyens d'essayer d'être professeur, y arrivent. C'est un peu terrible ce que je vais dire. Après, ils se donnent des raisons. J'en ai tellement entendu dire, alors que je savais qu'ils n'en avaient pas la capacité, qu'ils n'en avaient pas la force de travail, j'en ai tellement entendu dire Ah, mais moi je n'ai pas fait ça parce que je ne voulais pas, parce que je ne m'entendais pas bien. C'est-à-dire substituer la relation personnelle à l'incapacité professionnelle ou l'insuffisance de capacité professionnelle. Ça c'est très... et heureusement que ça existe ça. Ça permet de rassurer les gens, de se dire c'est parce que je ne m'entendais pas, parce que je ne voulais pas faire ce qu'ils me disaient, parce que ceci... On voulait laisser dire, mais ce n'est pas ça. Le fond n'est pas là.

  • Speaker #0

    Vous êtes donc un produit de la légitimité par le travail ? Oui,

  • Speaker #1

    je suis très élitiste. Très éditive, mais c'est quelque chose qu'on apprenait, c'est quelque chose que j'ai appris à l'école, c'est-à-dire qu'il est hors de question de laisser la bourgeoisie, au fils de truc, de prendre les rênes du pouvoir. Il faut travailler, travailler pour avoir... C'est pour avoir ces promotions.

  • Speaker #0

    Vous nous avez beaucoup parlé d'éléments incroyables de votre carrière. Est-ce que vous pouvez nous partager votre plus gros échec ?

  • Speaker #1

    Mon plus gros échec, ça a été la mort d'un donneur. Je me suis lancé, on était la première équipe à faire des transplantations à partir de donneurs vivants. C'est-à-dire que le foie, cet organe extraordinaire, il a la capacité de régénérer. En plus, il a des territoires anatomiques autonomes. C'est-à-dire que si on coupe, on prend une partie du foie et qu'on la met en condition de fonctionnement chez un receveur, il va fonctionner et il va grossir. Et donc la transplantation à donneurs vivants, elle a commencé chez les enfants. Pourquoi ? Parce que la mort d'un enfant en attendant un greffon, c'est insupportable. C'est quelque chose qu'on ne peut pas tolérer. Et donc on pouvait, à ce moment-là, ça a pu être fait au début des années 80, ça a été montré. Et donc, prendre une partie du foie d'une mère ou du père, souvent du père, contrairement à ce qu'on pensait, souvent du père, de le prendre, de le greffer à l'enfant. Et puis, très progressivement, on s'est dit, mais pourquoi pas le faire à des adultes ? Alors à ce moment-là, on prenait un peu plus de foi, donc on faisait courir un risque un peu supplémentaire au donneur. Et donc là, le processus de faire une grosse opération chez quelqu'un qui est parfaitement sain, même si c'est pour sauver quelqu'un d'autre, c'est un processus qui est... difficile, c'est-à-dire c'est la négation de notre métier. Parce que vous prenez quelqu'un de parfaitement sain, vous allez le rendre malade. Et puis la 147e greffe, le frère qui avait donné pour son frère, a développé en post-hépatectomie une maladie qu'on n'avait pas décelée. C'était une maladie de sanguine. Et il en est mort. Et ça, ça a été un bouleversement qui m'a amené d'ailleurs à arrêter la transplantation d'honneur vivant, à beaucoup réfléchir sur ce que ça représentait dans un pays... ou quand même il y avait d'autres... Donc là, on est dans les ressources limitées totales, c'est-à-dire le choix. Puis m'apercevoir que c'était pas... c'était probablement pas la voie qu'il fallait suivre. Alors c'est fantastique dans des pays où on ne peut pas prendre d'organes sur des gens qui viennent de décéder, pour des religions religieuses, pour des régions culturelles. Mais dans notre pays, c'est pas adapté, puis d'ailleurs c'est maintenant exceptionnel. Mais ça a été terriblement doux. Ça a été complètement bouleversé.

  • Speaker #0

    Vous avez pris la décision d'être totalement transparent sur tout ce qui s'était passé ?

  • Speaker #1

    Ah oui. J'avais bénéficié de l'expérience. Parce qu'il y a un donneur, le premier donneur qui est mort à New York. Alors aux Etats-Unis, non. Et j'avais bénéficié, j'avais regardé ce qu'il fallait faire, et donc immédiatement, quand il y a eu la mort du donneur. Alors la première chose que j'ai faite, c'est que je l'ai transféré, quand il allait très mal, dans un autre hôpital, un très grand hôpital à Bichat, puisqu'on était à Beaujon, je l'ai transféré à Bichat. parce que je pense que l'affectif faisait que... Pour bien soigner, il faut quand même avoir une certaine neutralité, une distance. Ça, c'est point important. Et donc, le confier à une autre équipe qui n'était pas impliquée dans l'aventure du donneur vivant. Et puis la deuxième chose, quand il est mort, ça a été immédiatement de faire même un communiqué de presse, une transparence, de publier le cas. Voilà, ça me paraît aussi fondamental. La transparence est un élément fondamental dans notre carrière. De publier ses résultats, donner exactement la réalité des choses, c'est aussi un devoir. C'est un devoir, c'est-à-dire on ne travaille pas que pour soi, on travaille et on doit, c'est un devoir de publier, de donner ses résultats, ne serait-ce pour le rendre à la société qui vous emploie. de le rendre à la population, et puis de le communiquer aux autres médecins, de façon à ce qu'ils puissent progresser aussi, si échec est succès.

  • Speaker #0

    On a parlé d'échec, votre plus grande fierté ?

  • Speaker #1

    Ma plus grande fierté, c'est d'avoir été professeur, d'avoir été chef de service, d'avoir été nommé la haute autorité de santé. Et puis je dois dire que je suis extrêmement fier d'être maintenant secrétaire adjoint de l'Académie de médecine. Je suis le premier chirurgien depuis 1800 à être nommé secrétaire adjoint. Donc les médecins ont pris un chirurgien. Bon, c'est vrai que je suis un peu médecin. Voilà, donc je travaille dans un cadre avec des gens... Toujours dans un grand élitisme, c'est assez exceptionnel, de toutes les spécialités. C'est absolument inouï, c'est absolument inouï de discuter avec les meilleurs hématologues, les meilleurs infectiologues, y compris même les meilleurs vétérinaires, les biologistes, au sein de l'Académie de médecine, de discuter des sujets. Et on en discute à un très haut niveau de réflexion. Et puis sans aucun corporatisme, ça c'est un point fondamental, ça tue le corporatisme.

  • Speaker #0

    Si on parle de corporatisme, ça a été un élément de difficulté pour arriver à dépasser les limites du secteur de la santé ?

  • Speaker #1

    Ah oui, pas facile de faire comprendre aux gens que la santé c'est pas le problème des médecins. La santé c'est pas le problème des médecins, c'est un problème... D'ailleurs, je n'ai jamais été partisan que ce soit un médecin qui soit ministre de la Santé. Moi, je pense que la gauche n'arrivera pas à revivre si elle ne comprend pas que la défense du service public, ce n'est pas forcément la défense des gens qui travaillent dans le service public. C'est une confusion. C'est pareil pour les médecins. La défense du... Tout mouvement dans un hôpital n'est pas sacré. C'est pas parce que telle catégorie se trouve un petit peu... n'est pas contente que ça doit être mis en avance. Ce qui compte, c'est l'hôpital au service. Hôpital ouvert jour et nuit. L'hôpital qui puisse accueillir des gens sans... Préalable financier, sans préalable. Voilà, ça me semble fondamental. Le corporatisme, c'est quelque chose d'insupportable.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que vous attendez de la nouvelle génération qui arrive, avec tous les enjeux que vous nous avez cités dans cet entretien ? Qu'est-ce qui, pour vous, est clé de garder, de sauvegarder, de développer ?

  • Speaker #1

    J'attends qu'elle me démontre qu'elle est capable. Dans ce monde où finalement on a beaucoup l'impression qu'il y a de plus en plus d'individualisme, de volonté de préserver ce que l'on appelle un équilibre, j'attends qu'elle me démontre, et je crois qu'elle y arrivera, enfin il y aura une qualité, qu'elle me démontre sa capacité à prendre en charge. les souffrances, et notamment, et continuer à développer le service public. Voilà, ça c'est vraiment... Je n'ai pas la clé, je n'ai pas la solution, je ne sais pas. Heureusement que je ne suis pas en situation de responsabilité, parce que... Mais voilà, je crois qu'il y a de toute façon, il y a plein de jeunes... fantastique, peut-être la proportion un peu moins importante, mais elle me démontrera que c'est possible.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il y a des éléments en lien avec la formation, peut-être plus particulièrement des médecins, qui doivent évoluer pour répondre à ce que vous nous dites ?

  • Speaker #1

    Ça, c'est une vraie bataille. C'est ce qu'on appelle, quelle place doit-on avoir au tutorat ? L'apprentissage, le maître apprend à l'élève. Ça, il faut que ça s'arrête. C'est pas possible. On ne peut pas rester dans la relation de formation individuelle, le compagnonnage. C'est un élément... Je pense que là, c'est vraiment... Il faut tout faire pour dépasser le compagnonnage, c'est-à-dire qu'il faut institutionnaliser l'enseignement et donc le démocratiser. C'est un point important. Là, je vois très bien la simulation, les jumeaux numériques, les éléments comme ça. Très probablement, ça va permettre de passer, ça va former, ça va faciliter la formation. Tester, tester, faciliter la formation. On va sortir de la relation individuelle. C'est-à-dire que moi je pense que c'est un bon chirurgien, donc c'est en contradiction à ce que je vous disais peut-être tout à l'heure. Moi je pense que ce sera un bon chirurgien, moi je pense que c'est un type qui est à droit, moi je pense que c'est un type qui est courageux. Là on aura probablement des moyens un peu plus objectifs. Et donc, ça, ça peut rendre optimiste.

  • Speaker #0

    Pour finir notre entretien, on sera un peu moins sérieux. Est-ce que vous avez une anecdote à nous raconter ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne sais pas si elle est sérieuse. Malheureusement, elle est trop sérieuse. Je ne peux pas raconter une blague. Non, ce qui m'a le plus impressionné, c'est un malade que j'avais transplanté et qui me raconte avec son accent. Il avait été transplanté depuis quelques mois. Il traversait pour rentrer chez lui une voie ferrée. Un train passe à toute vitesse. Il me dit Oh là là, j'ai eu peur qu'on meure tous les deux. Je lui dis Mais qu'est-ce que... Ben oui, celui qui est en moi. Et donc, je trouve que c'est un... C'est quelque chose qui m'a bouleversé, c'est-à-dire que le transplanté se sentait associé au donneur qui était en lui. Ce n'était pas le cas. Ça m'a éclairé. Ce n'est pas le cas, tous les donneurs. Il y a eu des réflexions. Il y a Jean-Luc Nancy, qui était un philosophe, qui avait fait quelque chose sur les corps. Puis il y en a eu plein, mais qui ne pensaient jamais aux donneurs. Voilà, c'est une... On a failli mourir à deux.

  • Speaker #0

    C'est quoi la suite pour Jacques Belgitti ?

  • Speaker #1

    Je suis pour un certain temps encore à l'Académie de médecine. C'est une ouverture. C'est plein de nouveaux sujets. Essayer d'être au niveau. Ce qu'il faut, c'est à un moment donné, savoir quand est-ce qu'il faut s'arrêter. Est-ce qu'il faut s'arrêter pour faire autre chose ? Pour écrire ? Pour faire que de l'histoire ? Mais je ne sais pas. Pour le moment, je continue. Je continue à lire, à écrire et voilà.

  • Speaker #0

    Merci Jacques de nous avoir partagé toute votre passion et toute votre expérience.

  • Speaker #1

    Merci.

Description

Dans cet épisode passionnant, nous avons l'honneur d'accueillir le Professeur Jacques Belghiti, une figure emblématique de la chirurgie hépatobiliaire et de la transplantation hépatique. Ancien chef de service à l'hôpital Beaujon (APHP), il est reconnu mondialement pour ses contributions significatives à la médecine et son dévouement exceptionnel aux patients.

Ses réalisations lui ont valu de nombreuses distinctions prestigieuses, dont la haute distinction de Chevalier de l'Ordre National du Mérite. Le Professeur partage avec nous son parcours inspirant, ses défis, et sa vision pour l'avenir de la chirurgie et des soins de santé.

Découvrez comment son dévouement et son approche humaniste continuent d'influencer et d'inspirer les générations futures de soignants. Abonnez-vous à notre chaîne pour recevoir les notifications de nos prochains épisodes !

Leaders for Health


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Transcription

  • Speaker #0

    Vous êtes donc un produit de la légitimité par le travail ?

  • Speaker #1

    Oui, je suis très élitiste. Mais c'est quelque chose qu'on apprenait, c'est quelque chose que j'ai appris à l'école, c'est-à-dire qu'il est hors de question de laisser la bourgeoisie, au fils de truc, de prendre les rênes du pouvoir. Il faut travailler, travailler pour avoir ces promotions.

  • Speaker #0

    Bonjour, je suis Félix Mamoudi, fondateur de Leader for Health. Bienvenue dans notre podcast Raison d'être, le podcast qui réunit les leaders du monde de la santé d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Aujourd'hui, nous accueillons le professeur Jacques Belguiti, secrétaire adjoint de l'Académie de médecine et défenseur de notre système de santé publique. Bonjour Jacques.

  • Speaker #1

    Bonjour Félix.

  • Speaker #0

    Bienvenue.

  • Speaker #1

    Merci.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez commencer par nous raconter votre parcours professionnel ?

  • Speaker #1

    J'ai commencé mes études de médecine en 68. Après une scolarité extrêmement difficile, je les ai commencé avec enthousiasme, ça s'est passé très bien. Mais comme je voulais être chirurgien depuis ma petite enfance, je me suis orienté vers des stages de médecine. Parce que je concevais qu'on pouvait être un bon chirurgien à partir du moment où on avait une bonne acquisition de la médecine. Et puis ensuite, j'ai fait des stages de chirurgie, également avec enthousiasme. Et j'ai gravi tous les échelons. Avec du recul, j'ai l'impression, sans grande difficulté, mais avec des souvenirs quand même. que c'était souvent difficile dans une certaine adversité de temps en temps. Voilà, j'ai eu la chance d'être assez vite chef de service d'un très grand service de chirurgie hépatobilière et de transplantation. J'ai été chef de service plus de 20 ans à l'hôpital Beaujon, qui était un centre d'excellence. qui se caractérisait par la réunion de radiologues, de médecins, qui avaient la... La passion, oui, également la passion de la spécialité, et puis un engagement dans le service public absolument total.

  • Speaker #0

    Le plus gros tournant de votre carrière ?

  • Speaker #1

    Le plus grand tournant de ma carrière, c'est probablement l'aventure de la transplantation hépatique. La première transplantation hépatique qui a eu lieu en novembre 89, au moment de la chute du mur de Berlin. Je me souviens cette nuit-là, et donc de pouvoir accéder à une innovation technologique que j'avais préparée par des voyages à l'étranger, par des stages. Ça a été vraiment un élément important. Puis ensuite... Le développement de ma spécialité, de ma carrière à l'intérieur, à Beaujon. Le deuxième tournant, c'est probablement au moment où je prends ma retraite, d'être nommé la Haute Autorité de Santé. Et à ce moment-là, c'est le passage entre une activité qui était uniquement dirigée vers le malade, à une conception beaucoup plus de santé publique. où à ce moment-là, les soins n'étaient plus conçus individuellement, mais dans leur portée économique, dans leur portée éthique. Et ça, ça a été un apprentissage important de savoir qu'est-ce qui est bon en termes de santé publique pour la population, et pas uniquement pour un malade individuellement.

  • Speaker #0

    Vous avez l'air d'avoir un attrait particulier pour l'intérêt commun. Est-ce que c'est quelque chose qui vous a guidé pendant votre carrière ?

  • Speaker #1

    Ah oui. J'ai toujours été mu par le service public. C'est quelque chose de fondamental. D'abord, je ne pouvais pas concevoir des rapports financiers avec des malades. La notion de la bourse ou la vie ou la pression était quelque chose qui était absolument inconcevable pour moi. Je m'amuse. Une proposition à un moment donné de diriger le plus grand centre de chirurgie hépatobilière des États-Unis, au Slot Catherine à New York. J'avais fait deux, trois voyages, tout était prêt, tout était bon, et quand je me suis rendu compte un peu que ça aurait changé mes rapports aux malades, mais également mes rapports à mes collègues, c'est-à-dire qu'une des fonctions importantes était d'essayer de ramasser des fonds, d'essayer de voir, et ça c'était complètement inconcevable. Ça ne correspondait pas du tout et puis j'aurais très mal fait les choses, très certainement.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez nous expliquer la greffe hépatobilière pour les nuls ?

  • Speaker #1

    La greffe hépatobilière, c'est quelque chose d'extraordinaire parce que le foie est l'organe le plus élaboré, enfin un des organes les plus élaborés de l'organisme puisque c'est lui qui synthétise pratiquement toutes les protéines. Il a des relations, des connexions vasculaires, des connexions biliaires qui sont importantes. Ce qui fait que techniquement, la greffe, quand le foie ne fonctionne plus, alors dans l'imaginaire, on a le non-fonctionnement chronique du foie, qui était une des conséquences de l'alcool. On sait maintenant... Une des conséquences les plus importantes, c'est les hépatites virales, sur lesquelles l'alcool avait une mauvaise influence. Le deuxième élément, c'est qu'on peut avoir des insuffisances hépatiques aiguës. La seule façon, quand le foin ne marche pas, de pouvoir sauver le malade, c'est de le greffer. Et cette greffe, à un moment, ça dure longtemps, ça dure plusieurs heures, parce qu'il y a plusieurs connexions, c'est techniquement assez difficile. Et son retentissement est un retentissement majeur sur la circulation, sur le poumon, ce qui fait qu'on est obligé d'acquérir une expertise médicale importante.

  • Speaker #0

    On va revenir un peu en arrière. Est-ce que vous pouvez nous raconter dans quel environnement vous avez grandi ?

  • Speaker #1

    J'ai grandi, je suis né au Maroc, un père marocain, d'une mère française. J'ai vécu entre deux cultures. Puis ensuite, je ne sais pas si c'est une chance, dans la petite enfance, je suis parti en Afrique, au Togo, en Afrique occidentale. Je suis resté plusieurs années. Puis ensuite, je suis revenu... Alors, la conséquence, c'était... D'abord la multiplicité des cultures, la confrontation à ce que représentait le colonialisme, et puis un retour en France où j'avais une certaine richesse culturelle, mais une absence où mon éducation, la scolarité avait été très mauvaise. Et donc ce qui fait que ça a été catastrophique. Au point par exemple où mes parents m'avaient mis pensionnaire au lycée Lacanale et au bout de la première année, le préviseur avait décidé que je n'étais pas apte aux études et m'avait inscrit à un CAP de serrurier. Donc vous avez déjà peut-être vu que j'avais un attrait pour l'activité manuelle, mais bon. Ensuite, ça a été un peu difficile, jusqu'à la terminale, où après, il n'y a pas eu de problème.

  • Speaker #0

    Et comment on passe d'échec scolaire à professeur de chirurgie ?

  • Speaker #1

    Par le travail. Par le travail, parce que ça, j'ai eu... Je savais que j'avais énormément de retard, je savais... J'avais été très impressionné, effectivement. par une réflexion d'un professeur qui avait vu que comme j'étais bon en histoire géo, ça prouvait que je travaillais. Ça prouvait que je travaillais et donc à ce moment-là, je me suis dit que c'est la façon de s'en sortir, parce que le reste, c'était assez catastrophique. Et donc, voilà, je pense que j'ai énormément travaillé, j'ai toujours... C'est pas difficile pour moi, mais c'est un plaisir. C'est un plaisir d'apprendre, c'est un plaisir de travailler, c'est un plaisir... Donc voilà, je crois que c'est un élément important. Le deuxième élément, c'est dans le travail, il y a le travail théorique, il y a le travail pratique, il y a la disponibilité. Et ça, je pense que je ne serais pas arrivé... Une carrière si je n'avais pas eu cette disponibilité importante, mais c'est une disponibilité qui n'était pas pénible.

  • Speaker #0

    Est-ce que travailler pour les patients a eu particulièrement du sens pour vous ?

  • Speaker #1

    Ah bah oui, parce que... Bon d'abord, d'essayer de surmonter un certain nombre de maladies qui n'étaient pas... Alors, probablement qui n'étaient pas très bien... considéré sur lequel il n'y avait pas énormément d'investissement, qui sont les cirrhoses du foie, les maladies tumorales. C'était quelque chose d'important. Il y avait un challenge d'essayer de trouver. Et puis j'ai eu la chance quand même d'être dans une spécialité qui naissait. Ça a été une chance extraordinaire. La chirurgie hépatique se développait parce qu'elle avait besoin de technologie. Ça a été tout de suite après la chirurgie cardiaque la chirurgie la plus technologique. Et donc elle naissait, elle se développait. Et ça, ça m'a énormément aidé, cette volonté de rester dans l'innovation. Dans le service, il y avait quelque chose, quand j'étais chef de service, qui était presque écrit au fronton, aucune innovation ne doit nous échapper, c'est-à-dire qu'il faut toujours essayer de faire, et donc ça demandait une culture, savoir ce qui se faisait ailleurs, d'aller dans les congrès, de lire les revues.

  • Speaker #0

    Est-ce que le fait de ne pas pouvoir sauver tous les patients a été quelque chose de clé et d'important dans la lecture de votre spécialité ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est important, mais qu'est-ce que ça ? Bon, on sait tous qu'il y a un certain nombre de tumeurs, de tumeurs cancéreuses sur lesquelles on ne pouvait pas prendre, qu'on ne pouvait pas vaincre. Mais au fond, la question qui se posait, c'est de se dire, soit on intervenait trop tard, soit on intervenait pas au bon moment, soit on intervenait de façon un peu trop brutale. Et probablement, ce qui me paraissait important, c'était de déceler dans le développement d'une maladie le moment. où il fallait agir. Alors, si je reprends l'exemple des tumeurs malignes, l'alliance chimiothérapie-chirurgie a été quelque chose d'extraordinaire. C'est-à-dire laisser trop sous chimiothérapie, après c'est trop tard. Opérer trop tôt, c'est pas bon. Et donc justement, cette conjonction de deux traitements, un traitement médical et un traitement chirurgical, vraiment a été un moteur important. Puis le deuxième moteur, c'est la transplantation hépatique. C'est la possibilité, quand les lésions sont irréversibles, de pouvoir changer un foie.

  • Speaker #0

    Avec des ressources toujours contraintes ?

  • Speaker #1

    Alors voilà, ça je crois que c'est l'avantage qu'ont les transplanteurs. Les transplanteurs résonnent toujours en ressources limitées. Peut-être les choses changeront un jour, dans la mesure où maintenant on peut greffer, on va probablement greffer de façon un peu plus fréquente des organes d'animaux. Là on voit l'explosion actuellement. Mais pour le moment, les organes sont limités et donc... Il faut choisir, il faut choisir à qui on va greffer. Et là, on aborde des questions éthiques qui sont complexes, c'est-à-dire est-ce qu'on va greffer le plus urgent, est-ce qu'on va greffer celui avec qui ça va servir le plus longtemps possible ? Certains pays font intervenir celui qu'ils méritent, font intervenir des critères différents. Et donc ça, c'est un élément qui en permanence se pose et qui fait ressortir, voilà, typiquement, typiquement une question qui ne peut pas se résoudre par la relation purement entre médecin et malade. Le malade n'appartient pas au médecin, d'abord parce que l'organe appartient à la communauté. Et donc le médecin, à ce moment-là, ne peut pas prendre une décision seul, il ne peut prendre une décision que collectivement. La conception d'une décision collective, je crois que c'est l'élément fondamental, fondamental d'une pratique médicale. On le voit de plus en plus maintenant, que ce soit dans le domaine cancéreux, que ce soit dans le domaine de la fin de vie, la décision collective, la discussion, les échanges, est absolument fondamentale. Et probablement, une des qualités qui sera le plus, qui faudra le plus développer ou qui permettra, c'est ceux qui sont capables d'avoir ces réflexions collectives, c'est-à-dire de recueillir. tous les éléments des autres membres de la communauté médicale, mais aussi au-delà de la communauté médicale, ce qui me paraît fondamental.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui a le plus changé durant votre parcours ?

  • Speaker #1

    Premièrement, le fait que toutes les discussions, les prises en charge des malades, les décisions, soit des décisions collectives, ça a été important. La deuxième chose qui a énormément changé, c'est le fait que dans un service de chirurgie, y compris dans un service de transplantation, il y ait de plus en plus de femmes, avec indéniablement une approche différente, moins aventureuse, plus méticuleuse, plus soucieuse, pas uniquement de la maladie, mais des conditions sociales d'un malade. plus respectueuse des recommandations. Et donc ça a été un apport, surtout dans une spécialité qui se développait, qui était un peu aventureuse, ça apportait un équilibre important. Alors je dois dire que... Pour profiter de cet équilibre, il faut absolument qu'elles aient une place équivalente. Et notamment de les aider à l'exprimer. Parce que la femme est en retrait tout souvent sur la prise de parole. Dans le monde médical, elle est en retrait sur la prise de parole. Et donc, un élément important, et ça c'est quelque chose que j'avais depuis... Non. qui se faisait tout naturellement dans le service où j'étais, parce que j'avais pris l'habitude, c'était une tradition, c'est que chacun devait s'exprimer à tour de rôle, on fait un tour de table et chacun devait s'exprimer. Et finalement, ça c'est un point important. Alors ensuite, la différence a été l'introduction de la limitation de temps de travail. Alors... Pas tellement dans la génération des chirurgiens que j'ai connus jusqu'à 2014, où c'était très très faible, mais des autres, des anesthésistes, des réanimateurs. Et la conséquence que j'y voyais, c'est que du coup il y avait des ruptures dans la connaissance des malades, parce qu'à prendre des gardes, je ne sais pas si c'est toujours résolu, mais... La conséquence importante d'une rupture, c'est-à-dire que... Je me souviens d'ailleurs, le premier exemple qui me frappait, c'est que quand j'avais commencé, très vite, je faisais des visites avec les infirmières, et très souvent, une infirmière, comment vous le trouvez ce matin, comment, par rapport à hier, elle avait une... quelque chose qu'il fallait absolument écouter, quelquefois plus que l'interne. Et puis à un moment donné, ce n'était plus possible, parce que ce n'était jamais la même infirmière, parce qu'il y avait des changements. Donc du coup, il fallait chercher d'autres qualités. Mais chez les anesthésistes, par exemple, ou chez les réanimateurs, ça les a amenés à ne s'occuper finalement plus que du symptôme, plus que de la maladie générale. Je crois que ça, c'est encore un... C'est quelque chose qui, je ne sais pas encore, la transmission des connaissances de la maladie de fond, ça sera une problématique importante. Bon alors après, ce qui me gêne le plus, enfin ce qui m'ennuie maintenant, c'est la difficulté de pouvoir joindre des médecins. La difficulté de demander à un médecin de s'occuper d'un ami ou d'un malade, il est rarement disponible, il délègue, ce sont des choses auxquelles je n'étais pas habitué, qui probablement n'auront pas de conséquences. Globalement, je vais revenir sur la mortalité générale, sur la santé, mais ça a des conséquences sur la prise en charge individuelle. Je pense que c'est assez difficile, le fait qu'il faille plusieurs mois pour certains rendez-vous qui étaient impossibles. Dans le service, on ne va pas parler de mon temps, mais c'est quand même, moi je crois que c'était un point important. Parce que même, il était hors de question de laisser quelqu'un avec une tumeur du foie ou une tumeur du pancréas attendre plus de 3-4 jours. Il y avait tout le temps la possibilité de les voir, parce que ça me semblait inhumain. Quand j'avais été aux États-Unis, j'avais été aussi frappé par le fait qu'à la Mayo Clinic, vous avez un rendez-vous dans les 12 heures. Alors peut-être que la finalité n'est pas la même, mais la conséquence est qu'on ne peut pas laisser des gens s'angoisser avec une lésion. Donc ça, c'est vraiment quelque chose qui me... Qui me peine, moi, de voir des gens qu'on laisse avec une angoisse, qui n'ont pas le discours.

  • Speaker #0

    Dans un secteur où le sens, après le post-Covid, a été beaucoup questionné, qu'est-ce qui, pour vous, sont les éléments importants qui permettent à un professionnel de santé de donner du sens à son travail ?

  • Speaker #1

    Le post-Covid a été une période absolument extraordinaire, c'est-à-dire la mobilisation à un moment donné, le fait qu'il y avait moins d'obstacles, les procédures ont été bouleversées, et donc ça a été fantastique pour des médecins, des infirmières. On a vu des gens rester à l'hôpital. C'était un point important. Après, dans le post-Covid, qu'est-ce qui peut donner un sens ? Je ne sais pas si ça se décrète. Ce qui me fait peur actuellement, c'est de voir de moins en moins de gens qui s'engagent dans le soin à l'autre, la préoccupation à l'autre. Ça, c'est quelque chose qui m'impressionne. Ça m'impressionne... Si c'était un problème purement français, finalement, on se dit on va le résoudre. Mais c'est dans tous les pays du monde. Dans tous les pays du monde, il n'y a plus d'infirmières. Enfin, il n'y a pas assez d'infirmières. Il n'y a pas assez de médecins. Pour répondre aux demandes des malades. Même l'Italie, qui n'avait pas de numerus clausus, a engagé 500 médecins cubains pour prendre des gardes en Calabre. 35% des médecins en Angleterre ne sont pas nés, ils n'ont pas été tous formés en Angleterre. En Allemagne, ils n'auraient pas pu aborder, ils n'auraient pas pu supporter l'épidémie de Covid s'ils n'avaient pas eu les médecins syriens. On se demande ce qui fait qu'il n'y a plus cet attrait. C'est la première chose. Ça m'inquiète un tout petit peu, enfin ça m'inquiète, ça ne me rend pas optimiste. Je ne sais pas comment on peut le compenser. Je ne suis pas sûr que ce soit uniquement une question de revenus. Je crois qu'au contraire les revenus l'aggravent. Parce que quand les revenus sont suffisants, les gens maintenant ne travaillent plus que trois jours par semaine. Si les revenus n'étaient pas aussi importants, je pense que pour les radiologues et pour certaines spécialités, Il ne pourrait pas se cantonner de travailler trois jours par semaine, ce qui aggrave les choses. Donc ce n'est pas uniquement une question de revenus, parce que j'ai même vu qu'en Suisse, il manquait d'infirmières, alors qu'elles sont très très bien payées. Le deuxième élément qui est un élément un peu inquiétant, c'est au-delà de presque une répulsion à se consacrer à l'autre, à s'occuper de l'autre. le nettoyer, lui faire des pansements. Il y a aussi, chez un certain nombre, le refus de rentrer dans une organisation. Chez un certain nombre d'infirmières, la difficulté à accepter le rôle d'une surveillante, la difficulté pour certains médecins et infirmières à refuser de se mettre dans des plannings. Heureusement, il y a eu un coup d'arrêt à l'intérim, mais sinon, il y avait des milliers de médecins qui se dégageaient de toute l'organisation des hôpitaux pour ne faire que de l'intérim, se travailler quand ils veulent, comme ils veulent, au moment où ils veulent, sans prendre les gardes des jours qui... qu'il fallait prendre, mais uniquement selon leur désir. Et ça, ça avait une double gravité, parce que, bon, premièrement, ça n'assurait pas la continuité, mais deuxièmement, ça les détachait de la prise en charge collective. Alors, parlons pas de la qualité, là, parce que, alors là, du coup, comme on ne fait pas partie de la... Du groupe, on ne fait pas partie du service, on connaît encore moins bien les malades et on est encore plus symptomatique et donc on est moins bon.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est pour vous un leader ?

  • Speaker #1

    Alors un leader, c'est probablement quelqu'un qui arrive à montrer qu'il y a une ligne. Il y a une ligne dans un service, qu'on n'agit pas uniquement en fonction des dates, en fonction des humeurs. On sait ce qu'on veut, on la définit, on essaye de l'exprimer, c'est pas toujours facile de l'exprimer. Et ça c'est la première chose. La deuxième, c'est d'essayer de développer... On travaille bien qu'avec des gens heureux. Donc il faut... c'est pas facile. Il faut déceler ce qui rend les gens heureux. Alors je vais prendre un exemple inverse. Je vais prendre un exemple inverse. J'envoie... on envoie des abstracts pour un congrès. Et j'arrive un matin, j'attrape l'interne en lui disant Tu sais, ton abstract, il a été accepté à Houston, tu vas pouvoir le présenter. Et à ce moment-là, je vois le type devenir blanc. Blanc. Et à ce moment-là, j'ai compris qu'au fond, pour lui, c'était une angoisse terrible, et que ce n'était pas ça sa vie. Sa vie, ce n'était pas d'aller, alors que pour d'autres, pour moi, c'est la première abstraite, c'était absolument extraordinaire. Ce n'était pas ça sa vie. Et au fond... Une équipe, c'est décelé chez chacun, celui qui a envie de se mettre en avant, celui qui a envie d'exprimer, celui qui aime parler en public, et puis celui qui, surtout, ne pas l'amener à faire comme les autres. Ça, je crois que c'est un point important. La troisième chose, c'est partir du principe que toute parole doit être prise en compte, partir du principe que les autres ne sont pas des cons, c'est-à-dire qu'on est dans une attitude où il va falloir savoir telle position qui a été prise par tel autre service. Probablement, il faut comprendre pourquoi et comprendre la position des autres spécialités. Je pense que ça, ça aide. Voilà. Et puis, qu'est-ce que... Oui, qu'est-ce qu'on m'avait dit ? On sait bien, quand on vous donne un papier à relire, on sait bien que vous le relisez à fond, que vous travaillez. Et donc, du coup, c'est impossible pour nous de ne pas travailler. Donc ça, c'est un point important. C'est une chose qu'on m'a dit assez tard. Vous savez, quand il y a des papiers à corriger, Il y a le patron qui le corrige, vous me parlez de leader, le patron qui le corrige un tout petit peu, 3,4 choses, qui vérifie que son nom est dessus, et puis il y a d'autres qui travaillent à fond. Et donc, quand on travaille dessus, l'autre ne peut pas ne pas travailler.

  • Speaker #0

    Vous avez beaucoup parlé dans cet entretien du lien entre les professionnels de santé, de la capacité à donner la parole à tous. Qu'est-ce qui vous a donné cette culture et comment vous avez fait pour développer cette partie de votre management ?

  • Speaker #1

    Alors là, on va rentrer dans quelque chose… De très personnel, mais qui avait comme été dénoncé, quand je suis arrivé en France, c'était... Il faut comprendre la France, il faut comprendre le système, il faut comprendre le fonctionnement, le fonctionnement de l'administration, le fonctionnement des RH. Moi j'ai eu la chance en 1966, d'abord j'avais mon passage en Afrique, J'avais quand même une position des luttes anticoloniales, des luttes d'indépendance. J'ai vécu toutes les indépendances, ce qui pour moi était assez extraordinaire. Et puis ensuite, effectivement, j'ai eu une culture politique et j'ai donc été au Parti communiste français, qui a été un facteur d'intégration. Absolument fantastique. Ça a été pour moi la défense des gens qui avaient besoin d'être défendus. La deuxième chose, c'était une position antiraciste formidable. J'ai jamais eu le moindre... Après, il paraît que ça a changé, il y a des choses. Et puis... Une éducation, la nécessité de bien connaître les textes, de bien connaître les choses et d'écouter. Parce que ce qui, au fond, j'avais appris, c'était la responsabilité, c'est-à-dire la parole devait être suivie. d'une activité. On ne pouvait pas se permettre de lancer simplement des slogans. À partir du moment où vous devez faire une grève... Il fallait qu'elle réussisse, il fallait que vous soyez à peu près sûrs, que vous ayez une majorité de gens qui suivent la grève. Parce que si jamais ça foirait, si le mouvement foirait, vous en preniez la responsabilité, puis vous le payez. Vous le payez parce qu'après on ne peut plus remuer les gens, on ne peut plus les mobiliser. Voilà, donc il faut écouter, il faut analyser. Et puis il faut comprendre comment se fait le système. Et puis ensuite, j'ai quitté le parti quand il a eu la rupture de l'Union de la gauche, parce que j'avais toujours été dans un... dans une volonté d'union. L'union était fondamentale pour moi. Mais à partir du moment où il y a eu la rupture de l'union de la gauche, puis voilà.

  • Speaker #0

    Et ça vous a beaucoup servi dans votre carrière professionnelle et dans la manière de manager vos équipes ?

  • Speaker #1

    Moi, je crois que ça m'a servi. Ça m'a servi dans l'écoute, l'écoute des autres. Ça m'a servi dans un respect de l'administration. Ça a été... Je pense que j'ai été terriblement aidé par l'administration, j'avais bien compris. J'avais bien compris que dans un hôpital, ce n'est pas vos collègues qui vous donneront des crédits, ce n'est pas vos collègues qui vous faciliteront les choses, parce que chacun se défend, et que donc il fallait avoir le soutien de ceux qui sont responsables du fonctionnement de l'institution. Et ceux qui sont responsables du fonctionnement de l'institution, c'est l'administration. Donc c'est vrai, ça m'a beaucoup servi sur ce plan-là. Ce respect d'écoute de l'administration, qui en plus a sa logique, je me suis toujours refusé à la caricature, qu'on ne prenne rien, ils ne sont pas au truc, ce n'est pas vrai. Voilà, le refus de la caricature est un point important aussi, ça on apprend qu'en face... C'est des gens qui savent ce qu'ils font et ils ne le font pas n'importe comment. Donc il faut analyser.

  • Speaker #0

    Vous avez un parcours atypique que vous nous avez raconté. Malgré ça, vous avez réussi à atteindre le rang de professeur, qui est quelque chose de très complexe en santé. Comment vous avez fait et est-ce que vous avez eu des difficultés ? Et finalement, qu'est-ce qui vous a accompagné vers votre titre de professeur ?

  • Speaker #1

    Le rendre professeur, moi je me suis toujours, je voulais l'être. Alors j'ai jamais calculé, j'ai jamais calculé en me disant je vais aller dans tel service, comme je voyais très bien, en me disant je vais aller dans tel service parce que je sais que dans 5 à 10 ans, il y a un poste qui va se libérer, ça me permettra. Bon ça c'est le genre de choses. Qu'il ne faut pas faire. D'abord, si jamais il y a des jeunes, il ne faut pas calculer. Il ne faut pas calculer, il faut se mettre dans un endroit, il faut travailler, s'imposer. Et puis, dans les qualités, comment on choisit un professeur ? On choisit un professeur par sa capacité de travail, par ses qualités humaines, mais on le choisit aussi par la persévérance. Ça, je crois que c'est un point important. Et puis j'ai eu la chance d'avoir des gens qui m'ont aidé, qui m'ont soutenu malgré un certain nombre, malgré à ce moment-là, ce qui ne m'a pas servi, mes opinions politiques. Bon, maintenant, ça n'est plus le cas. Mais en tous les cas, en dehors de vraiment d'exceptions qu'on peut compter presque sur les doigts d'une main, Tous ceux qui se donnent les moyens d'essayer d'être professeur, y arrivent. C'est un peu terrible ce que je vais dire. Après, ils se donnent des raisons. J'en ai tellement entendu dire, alors que je savais qu'ils n'en avaient pas la capacité, qu'ils n'en avaient pas la force de travail, j'en ai tellement entendu dire Ah, mais moi je n'ai pas fait ça parce que je ne voulais pas, parce que je ne m'entendais pas bien. C'est-à-dire substituer la relation personnelle à l'incapacité professionnelle ou l'insuffisance de capacité professionnelle. Ça c'est très... et heureusement que ça existe ça. Ça permet de rassurer les gens, de se dire c'est parce que je ne m'entendais pas, parce que je ne voulais pas faire ce qu'ils me disaient, parce que ceci... On voulait laisser dire, mais ce n'est pas ça. Le fond n'est pas là.

  • Speaker #0

    Vous êtes donc un produit de la légitimité par le travail ? Oui,

  • Speaker #1

    je suis très élitiste. Très éditive, mais c'est quelque chose qu'on apprenait, c'est quelque chose que j'ai appris à l'école, c'est-à-dire qu'il est hors de question de laisser la bourgeoisie, au fils de truc, de prendre les rênes du pouvoir. Il faut travailler, travailler pour avoir... C'est pour avoir ces promotions.

  • Speaker #0

    Vous nous avez beaucoup parlé d'éléments incroyables de votre carrière. Est-ce que vous pouvez nous partager votre plus gros échec ?

  • Speaker #1

    Mon plus gros échec, ça a été la mort d'un donneur. Je me suis lancé, on était la première équipe à faire des transplantations à partir de donneurs vivants. C'est-à-dire que le foie, cet organe extraordinaire, il a la capacité de régénérer. En plus, il a des territoires anatomiques autonomes. C'est-à-dire que si on coupe, on prend une partie du foie et qu'on la met en condition de fonctionnement chez un receveur, il va fonctionner et il va grossir. Et donc la transplantation à donneurs vivants, elle a commencé chez les enfants. Pourquoi ? Parce que la mort d'un enfant en attendant un greffon, c'est insupportable. C'est quelque chose qu'on ne peut pas tolérer. Et donc on pouvait, à ce moment-là, ça a pu être fait au début des années 80, ça a été montré. Et donc, prendre une partie du foie d'une mère ou du père, souvent du père, contrairement à ce qu'on pensait, souvent du père, de le prendre, de le greffer à l'enfant. Et puis, très progressivement, on s'est dit, mais pourquoi pas le faire à des adultes ? Alors à ce moment-là, on prenait un peu plus de foi, donc on faisait courir un risque un peu supplémentaire au donneur. Et donc là, le processus de faire une grosse opération chez quelqu'un qui est parfaitement sain, même si c'est pour sauver quelqu'un d'autre, c'est un processus qui est... difficile, c'est-à-dire c'est la négation de notre métier. Parce que vous prenez quelqu'un de parfaitement sain, vous allez le rendre malade. Et puis la 147e greffe, le frère qui avait donné pour son frère, a développé en post-hépatectomie une maladie qu'on n'avait pas décelée. C'était une maladie de sanguine. Et il en est mort. Et ça, ça a été un bouleversement qui m'a amené d'ailleurs à arrêter la transplantation d'honneur vivant, à beaucoup réfléchir sur ce que ça représentait dans un pays... ou quand même il y avait d'autres... Donc là, on est dans les ressources limitées totales, c'est-à-dire le choix. Puis m'apercevoir que c'était pas... c'était probablement pas la voie qu'il fallait suivre. Alors c'est fantastique dans des pays où on ne peut pas prendre d'organes sur des gens qui viennent de décéder, pour des religions religieuses, pour des régions culturelles. Mais dans notre pays, c'est pas adapté, puis d'ailleurs c'est maintenant exceptionnel. Mais ça a été terriblement doux. Ça a été complètement bouleversé.

  • Speaker #0

    Vous avez pris la décision d'être totalement transparent sur tout ce qui s'était passé ?

  • Speaker #1

    Ah oui. J'avais bénéficié de l'expérience. Parce qu'il y a un donneur, le premier donneur qui est mort à New York. Alors aux Etats-Unis, non. Et j'avais bénéficié, j'avais regardé ce qu'il fallait faire, et donc immédiatement, quand il y a eu la mort du donneur. Alors la première chose que j'ai faite, c'est que je l'ai transféré, quand il allait très mal, dans un autre hôpital, un très grand hôpital à Bichat, puisqu'on était à Beaujon, je l'ai transféré à Bichat. parce que je pense que l'affectif faisait que... Pour bien soigner, il faut quand même avoir une certaine neutralité, une distance. Ça, c'est point important. Et donc, le confier à une autre équipe qui n'était pas impliquée dans l'aventure du donneur vivant. Et puis la deuxième chose, quand il est mort, ça a été immédiatement de faire même un communiqué de presse, une transparence, de publier le cas. Voilà, ça me paraît aussi fondamental. La transparence est un élément fondamental dans notre carrière. De publier ses résultats, donner exactement la réalité des choses, c'est aussi un devoir. C'est un devoir, c'est-à-dire on ne travaille pas que pour soi, on travaille et on doit, c'est un devoir de publier, de donner ses résultats, ne serait-ce pour le rendre à la société qui vous emploie. de le rendre à la population, et puis de le communiquer aux autres médecins, de façon à ce qu'ils puissent progresser aussi, si échec est succès.

  • Speaker #0

    On a parlé d'échec, votre plus grande fierté ?

  • Speaker #1

    Ma plus grande fierté, c'est d'avoir été professeur, d'avoir été chef de service, d'avoir été nommé la haute autorité de santé. Et puis je dois dire que je suis extrêmement fier d'être maintenant secrétaire adjoint de l'Académie de médecine. Je suis le premier chirurgien depuis 1800 à être nommé secrétaire adjoint. Donc les médecins ont pris un chirurgien. Bon, c'est vrai que je suis un peu médecin. Voilà, donc je travaille dans un cadre avec des gens... Toujours dans un grand élitisme, c'est assez exceptionnel, de toutes les spécialités. C'est absolument inouï, c'est absolument inouï de discuter avec les meilleurs hématologues, les meilleurs infectiologues, y compris même les meilleurs vétérinaires, les biologistes, au sein de l'Académie de médecine, de discuter des sujets. Et on en discute à un très haut niveau de réflexion. Et puis sans aucun corporatisme, ça c'est un point fondamental, ça tue le corporatisme.

  • Speaker #0

    Si on parle de corporatisme, ça a été un élément de difficulté pour arriver à dépasser les limites du secteur de la santé ?

  • Speaker #1

    Ah oui, pas facile de faire comprendre aux gens que la santé c'est pas le problème des médecins. La santé c'est pas le problème des médecins, c'est un problème... D'ailleurs, je n'ai jamais été partisan que ce soit un médecin qui soit ministre de la Santé. Moi, je pense que la gauche n'arrivera pas à revivre si elle ne comprend pas que la défense du service public, ce n'est pas forcément la défense des gens qui travaillent dans le service public. C'est une confusion. C'est pareil pour les médecins. La défense du... Tout mouvement dans un hôpital n'est pas sacré. C'est pas parce que telle catégorie se trouve un petit peu... n'est pas contente que ça doit être mis en avance. Ce qui compte, c'est l'hôpital au service. Hôpital ouvert jour et nuit. L'hôpital qui puisse accueillir des gens sans... Préalable financier, sans préalable. Voilà, ça me semble fondamental. Le corporatisme, c'est quelque chose d'insupportable.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que vous attendez de la nouvelle génération qui arrive, avec tous les enjeux que vous nous avez cités dans cet entretien ? Qu'est-ce qui, pour vous, est clé de garder, de sauvegarder, de développer ?

  • Speaker #1

    J'attends qu'elle me démontre qu'elle est capable. Dans ce monde où finalement on a beaucoup l'impression qu'il y a de plus en plus d'individualisme, de volonté de préserver ce que l'on appelle un équilibre, j'attends qu'elle me démontre, et je crois qu'elle y arrivera, enfin il y aura une qualité, qu'elle me démontre sa capacité à prendre en charge. les souffrances, et notamment, et continuer à développer le service public. Voilà, ça c'est vraiment... Je n'ai pas la clé, je n'ai pas la solution, je ne sais pas. Heureusement que je ne suis pas en situation de responsabilité, parce que... Mais voilà, je crois qu'il y a de toute façon, il y a plein de jeunes... fantastique, peut-être la proportion un peu moins importante, mais elle me démontrera que c'est possible.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il y a des éléments en lien avec la formation, peut-être plus particulièrement des médecins, qui doivent évoluer pour répondre à ce que vous nous dites ?

  • Speaker #1

    Ça, c'est une vraie bataille. C'est ce qu'on appelle, quelle place doit-on avoir au tutorat ? L'apprentissage, le maître apprend à l'élève. Ça, il faut que ça s'arrête. C'est pas possible. On ne peut pas rester dans la relation de formation individuelle, le compagnonnage. C'est un élément... Je pense que là, c'est vraiment... Il faut tout faire pour dépasser le compagnonnage, c'est-à-dire qu'il faut institutionnaliser l'enseignement et donc le démocratiser. C'est un point important. Là, je vois très bien la simulation, les jumeaux numériques, les éléments comme ça. Très probablement, ça va permettre de passer, ça va former, ça va faciliter la formation. Tester, tester, faciliter la formation. On va sortir de la relation individuelle. C'est-à-dire que moi je pense que c'est un bon chirurgien, donc c'est en contradiction à ce que je vous disais peut-être tout à l'heure. Moi je pense que ce sera un bon chirurgien, moi je pense que c'est un type qui est à droit, moi je pense que c'est un type qui est courageux. Là on aura probablement des moyens un peu plus objectifs. Et donc, ça, ça peut rendre optimiste.

  • Speaker #0

    Pour finir notre entretien, on sera un peu moins sérieux. Est-ce que vous avez une anecdote à nous raconter ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne sais pas si elle est sérieuse. Malheureusement, elle est trop sérieuse. Je ne peux pas raconter une blague. Non, ce qui m'a le plus impressionné, c'est un malade que j'avais transplanté et qui me raconte avec son accent. Il avait été transplanté depuis quelques mois. Il traversait pour rentrer chez lui une voie ferrée. Un train passe à toute vitesse. Il me dit Oh là là, j'ai eu peur qu'on meure tous les deux. Je lui dis Mais qu'est-ce que... Ben oui, celui qui est en moi. Et donc, je trouve que c'est un... C'est quelque chose qui m'a bouleversé, c'est-à-dire que le transplanté se sentait associé au donneur qui était en lui. Ce n'était pas le cas. Ça m'a éclairé. Ce n'est pas le cas, tous les donneurs. Il y a eu des réflexions. Il y a Jean-Luc Nancy, qui était un philosophe, qui avait fait quelque chose sur les corps. Puis il y en a eu plein, mais qui ne pensaient jamais aux donneurs. Voilà, c'est une... On a failli mourir à deux.

  • Speaker #0

    C'est quoi la suite pour Jacques Belgitti ?

  • Speaker #1

    Je suis pour un certain temps encore à l'Académie de médecine. C'est une ouverture. C'est plein de nouveaux sujets. Essayer d'être au niveau. Ce qu'il faut, c'est à un moment donné, savoir quand est-ce qu'il faut s'arrêter. Est-ce qu'il faut s'arrêter pour faire autre chose ? Pour écrire ? Pour faire que de l'histoire ? Mais je ne sais pas. Pour le moment, je continue. Je continue à lire, à écrire et voilà.

  • Speaker #0

    Merci Jacques de nous avoir partagé toute votre passion et toute votre expérience.

  • Speaker #1

    Merci.

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Description

Dans cet épisode passionnant, nous avons l'honneur d'accueillir le Professeur Jacques Belghiti, une figure emblématique de la chirurgie hépatobiliaire et de la transplantation hépatique. Ancien chef de service à l'hôpital Beaujon (APHP), il est reconnu mondialement pour ses contributions significatives à la médecine et son dévouement exceptionnel aux patients.

Ses réalisations lui ont valu de nombreuses distinctions prestigieuses, dont la haute distinction de Chevalier de l'Ordre National du Mérite. Le Professeur partage avec nous son parcours inspirant, ses défis, et sa vision pour l'avenir de la chirurgie et des soins de santé.

Découvrez comment son dévouement et son approche humaniste continuent d'influencer et d'inspirer les générations futures de soignants. Abonnez-vous à notre chaîne pour recevoir les notifications de nos prochains épisodes !

Leaders for Health


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Transcription

  • Speaker #0

    Vous êtes donc un produit de la légitimité par le travail ?

  • Speaker #1

    Oui, je suis très élitiste. Mais c'est quelque chose qu'on apprenait, c'est quelque chose que j'ai appris à l'école, c'est-à-dire qu'il est hors de question de laisser la bourgeoisie, au fils de truc, de prendre les rênes du pouvoir. Il faut travailler, travailler pour avoir ces promotions.

  • Speaker #0

    Bonjour, je suis Félix Mamoudi, fondateur de Leader for Health. Bienvenue dans notre podcast Raison d'être, le podcast qui réunit les leaders du monde de la santé d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Aujourd'hui, nous accueillons le professeur Jacques Belguiti, secrétaire adjoint de l'Académie de médecine et défenseur de notre système de santé publique. Bonjour Jacques.

  • Speaker #1

    Bonjour Félix.

  • Speaker #0

    Bienvenue.

  • Speaker #1

    Merci.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez commencer par nous raconter votre parcours professionnel ?

  • Speaker #1

    J'ai commencé mes études de médecine en 68. Après une scolarité extrêmement difficile, je les ai commencé avec enthousiasme, ça s'est passé très bien. Mais comme je voulais être chirurgien depuis ma petite enfance, je me suis orienté vers des stages de médecine. Parce que je concevais qu'on pouvait être un bon chirurgien à partir du moment où on avait une bonne acquisition de la médecine. Et puis ensuite, j'ai fait des stages de chirurgie, également avec enthousiasme. Et j'ai gravi tous les échelons. Avec du recul, j'ai l'impression, sans grande difficulté, mais avec des souvenirs quand même. que c'était souvent difficile dans une certaine adversité de temps en temps. Voilà, j'ai eu la chance d'être assez vite chef de service d'un très grand service de chirurgie hépatobilière et de transplantation. J'ai été chef de service plus de 20 ans à l'hôpital Beaujon, qui était un centre d'excellence. qui se caractérisait par la réunion de radiologues, de médecins, qui avaient la... La passion, oui, également la passion de la spécialité, et puis un engagement dans le service public absolument total.

  • Speaker #0

    Le plus gros tournant de votre carrière ?

  • Speaker #1

    Le plus grand tournant de ma carrière, c'est probablement l'aventure de la transplantation hépatique. La première transplantation hépatique qui a eu lieu en novembre 89, au moment de la chute du mur de Berlin. Je me souviens cette nuit-là, et donc de pouvoir accéder à une innovation technologique que j'avais préparée par des voyages à l'étranger, par des stages. Ça a été vraiment un élément important. Puis ensuite... Le développement de ma spécialité, de ma carrière à l'intérieur, à Beaujon. Le deuxième tournant, c'est probablement au moment où je prends ma retraite, d'être nommé la Haute Autorité de Santé. Et à ce moment-là, c'est le passage entre une activité qui était uniquement dirigée vers le malade, à une conception beaucoup plus de santé publique. où à ce moment-là, les soins n'étaient plus conçus individuellement, mais dans leur portée économique, dans leur portée éthique. Et ça, ça a été un apprentissage important de savoir qu'est-ce qui est bon en termes de santé publique pour la population, et pas uniquement pour un malade individuellement.

  • Speaker #0

    Vous avez l'air d'avoir un attrait particulier pour l'intérêt commun. Est-ce que c'est quelque chose qui vous a guidé pendant votre carrière ?

  • Speaker #1

    Ah oui. J'ai toujours été mu par le service public. C'est quelque chose de fondamental. D'abord, je ne pouvais pas concevoir des rapports financiers avec des malades. La notion de la bourse ou la vie ou la pression était quelque chose qui était absolument inconcevable pour moi. Je m'amuse. Une proposition à un moment donné de diriger le plus grand centre de chirurgie hépatobilière des États-Unis, au Slot Catherine à New York. J'avais fait deux, trois voyages, tout était prêt, tout était bon, et quand je me suis rendu compte un peu que ça aurait changé mes rapports aux malades, mais également mes rapports à mes collègues, c'est-à-dire qu'une des fonctions importantes était d'essayer de ramasser des fonds, d'essayer de voir, et ça c'était complètement inconcevable. Ça ne correspondait pas du tout et puis j'aurais très mal fait les choses, très certainement.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez nous expliquer la greffe hépatobilière pour les nuls ?

  • Speaker #1

    La greffe hépatobilière, c'est quelque chose d'extraordinaire parce que le foie est l'organe le plus élaboré, enfin un des organes les plus élaborés de l'organisme puisque c'est lui qui synthétise pratiquement toutes les protéines. Il a des relations, des connexions vasculaires, des connexions biliaires qui sont importantes. Ce qui fait que techniquement, la greffe, quand le foie ne fonctionne plus, alors dans l'imaginaire, on a le non-fonctionnement chronique du foie, qui était une des conséquences de l'alcool. On sait maintenant... Une des conséquences les plus importantes, c'est les hépatites virales, sur lesquelles l'alcool avait une mauvaise influence. Le deuxième élément, c'est qu'on peut avoir des insuffisances hépatiques aiguës. La seule façon, quand le foin ne marche pas, de pouvoir sauver le malade, c'est de le greffer. Et cette greffe, à un moment, ça dure longtemps, ça dure plusieurs heures, parce qu'il y a plusieurs connexions, c'est techniquement assez difficile. Et son retentissement est un retentissement majeur sur la circulation, sur le poumon, ce qui fait qu'on est obligé d'acquérir une expertise médicale importante.

  • Speaker #0

    On va revenir un peu en arrière. Est-ce que vous pouvez nous raconter dans quel environnement vous avez grandi ?

  • Speaker #1

    J'ai grandi, je suis né au Maroc, un père marocain, d'une mère française. J'ai vécu entre deux cultures. Puis ensuite, je ne sais pas si c'est une chance, dans la petite enfance, je suis parti en Afrique, au Togo, en Afrique occidentale. Je suis resté plusieurs années. Puis ensuite, je suis revenu... Alors, la conséquence, c'était... D'abord la multiplicité des cultures, la confrontation à ce que représentait le colonialisme, et puis un retour en France où j'avais une certaine richesse culturelle, mais une absence où mon éducation, la scolarité avait été très mauvaise. Et donc ce qui fait que ça a été catastrophique. Au point par exemple où mes parents m'avaient mis pensionnaire au lycée Lacanale et au bout de la première année, le préviseur avait décidé que je n'étais pas apte aux études et m'avait inscrit à un CAP de serrurier. Donc vous avez déjà peut-être vu que j'avais un attrait pour l'activité manuelle, mais bon. Ensuite, ça a été un peu difficile, jusqu'à la terminale, où après, il n'y a pas eu de problème.

  • Speaker #0

    Et comment on passe d'échec scolaire à professeur de chirurgie ?

  • Speaker #1

    Par le travail. Par le travail, parce que ça, j'ai eu... Je savais que j'avais énormément de retard, je savais... J'avais été très impressionné, effectivement. par une réflexion d'un professeur qui avait vu que comme j'étais bon en histoire géo, ça prouvait que je travaillais. Ça prouvait que je travaillais et donc à ce moment-là, je me suis dit que c'est la façon de s'en sortir, parce que le reste, c'était assez catastrophique. Et donc, voilà, je pense que j'ai énormément travaillé, j'ai toujours... C'est pas difficile pour moi, mais c'est un plaisir. C'est un plaisir d'apprendre, c'est un plaisir de travailler, c'est un plaisir... Donc voilà, je crois que c'est un élément important. Le deuxième élément, c'est dans le travail, il y a le travail théorique, il y a le travail pratique, il y a la disponibilité. Et ça, je pense que je ne serais pas arrivé... Une carrière si je n'avais pas eu cette disponibilité importante, mais c'est une disponibilité qui n'était pas pénible.

  • Speaker #0

    Est-ce que travailler pour les patients a eu particulièrement du sens pour vous ?

  • Speaker #1

    Ah bah oui, parce que... Bon d'abord, d'essayer de surmonter un certain nombre de maladies qui n'étaient pas... Alors, probablement qui n'étaient pas très bien... considéré sur lequel il n'y avait pas énormément d'investissement, qui sont les cirrhoses du foie, les maladies tumorales. C'était quelque chose d'important. Il y avait un challenge d'essayer de trouver. Et puis j'ai eu la chance quand même d'être dans une spécialité qui naissait. Ça a été une chance extraordinaire. La chirurgie hépatique se développait parce qu'elle avait besoin de technologie. Ça a été tout de suite après la chirurgie cardiaque la chirurgie la plus technologique. Et donc elle naissait, elle se développait. Et ça, ça m'a énormément aidé, cette volonté de rester dans l'innovation. Dans le service, il y avait quelque chose, quand j'étais chef de service, qui était presque écrit au fronton, aucune innovation ne doit nous échapper, c'est-à-dire qu'il faut toujours essayer de faire, et donc ça demandait une culture, savoir ce qui se faisait ailleurs, d'aller dans les congrès, de lire les revues.

  • Speaker #0

    Est-ce que le fait de ne pas pouvoir sauver tous les patients a été quelque chose de clé et d'important dans la lecture de votre spécialité ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est important, mais qu'est-ce que ça ? Bon, on sait tous qu'il y a un certain nombre de tumeurs, de tumeurs cancéreuses sur lesquelles on ne pouvait pas prendre, qu'on ne pouvait pas vaincre. Mais au fond, la question qui se posait, c'est de se dire, soit on intervenait trop tard, soit on intervenait pas au bon moment, soit on intervenait de façon un peu trop brutale. Et probablement, ce qui me paraissait important, c'était de déceler dans le développement d'une maladie le moment. où il fallait agir. Alors, si je reprends l'exemple des tumeurs malignes, l'alliance chimiothérapie-chirurgie a été quelque chose d'extraordinaire. C'est-à-dire laisser trop sous chimiothérapie, après c'est trop tard. Opérer trop tôt, c'est pas bon. Et donc justement, cette conjonction de deux traitements, un traitement médical et un traitement chirurgical, vraiment a été un moteur important. Puis le deuxième moteur, c'est la transplantation hépatique. C'est la possibilité, quand les lésions sont irréversibles, de pouvoir changer un foie.

  • Speaker #0

    Avec des ressources toujours contraintes ?

  • Speaker #1

    Alors voilà, ça je crois que c'est l'avantage qu'ont les transplanteurs. Les transplanteurs résonnent toujours en ressources limitées. Peut-être les choses changeront un jour, dans la mesure où maintenant on peut greffer, on va probablement greffer de façon un peu plus fréquente des organes d'animaux. Là on voit l'explosion actuellement. Mais pour le moment, les organes sont limités et donc... Il faut choisir, il faut choisir à qui on va greffer. Et là, on aborde des questions éthiques qui sont complexes, c'est-à-dire est-ce qu'on va greffer le plus urgent, est-ce qu'on va greffer celui avec qui ça va servir le plus longtemps possible ? Certains pays font intervenir celui qu'ils méritent, font intervenir des critères différents. Et donc ça, c'est un élément qui en permanence se pose et qui fait ressortir, voilà, typiquement, typiquement une question qui ne peut pas se résoudre par la relation purement entre médecin et malade. Le malade n'appartient pas au médecin, d'abord parce que l'organe appartient à la communauté. Et donc le médecin, à ce moment-là, ne peut pas prendre une décision seul, il ne peut prendre une décision que collectivement. La conception d'une décision collective, je crois que c'est l'élément fondamental, fondamental d'une pratique médicale. On le voit de plus en plus maintenant, que ce soit dans le domaine cancéreux, que ce soit dans le domaine de la fin de vie, la décision collective, la discussion, les échanges, est absolument fondamentale. Et probablement, une des qualités qui sera le plus, qui faudra le plus développer ou qui permettra, c'est ceux qui sont capables d'avoir ces réflexions collectives, c'est-à-dire de recueillir. tous les éléments des autres membres de la communauté médicale, mais aussi au-delà de la communauté médicale, ce qui me paraît fondamental.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui a le plus changé durant votre parcours ?

  • Speaker #1

    Premièrement, le fait que toutes les discussions, les prises en charge des malades, les décisions, soit des décisions collectives, ça a été important. La deuxième chose qui a énormément changé, c'est le fait que dans un service de chirurgie, y compris dans un service de transplantation, il y ait de plus en plus de femmes, avec indéniablement une approche différente, moins aventureuse, plus méticuleuse, plus soucieuse, pas uniquement de la maladie, mais des conditions sociales d'un malade. plus respectueuse des recommandations. Et donc ça a été un apport, surtout dans une spécialité qui se développait, qui était un peu aventureuse, ça apportait un équilibre important. Alors je dois dire que... Pour profiter de cet équilibre, il faut absolument qu'elles aient une place équivalente. Et notamment de les aider à l'exprimer. Parce que la femme est en retrait tout souvent sur la prise de parole. Dans le monde médical, elle est en retrait sur la prise de parole. Et donc, un élément important, et ça c'est quelque chose que j'avais depuis... Non. qui se faisait tout naturellement dans le service où j'étais, parce que j'avais pris l'habitude, c'était une tradition, c'est que chacun devait s'exprimer à tour de rôle, on fait un tour de table et chacun devait s'exprimer. Et finalement, ça c'est un point important. Alors ensuite, la différence a été l'introduction de la limitation de temps de travail. Alors... Pas tellement dans la génération des chirurgiens que j'ai connus jusqu'à 2014, où c'était très très faible, mais des autres, des anesthésistes, des réanimateurs. Et la conséquence que j'y voyais, c'est que du coup il y avait des ruptures dans la connaissance des malades, parce qu'à prendre des gardes, je ne sais pas si c'est toujours résolu, mais... La conséquence importante d'une rupture, c'est-à-dire que... Je me souviens d'ailleurs, le premier exemple qui me frappait, c'est que quand j'avais commencé, très vite, je faisais des visites avec les infirmières, et très souvent, une infirmière, comment vous le trouvez ce matin, comment, par rapport à hier, elle avait une... quelque chose qu'il fallait absolument écouter, quelquefois plus que l'interne. Et puis à un moment donné, ce n'était plus possible, parce que ce n'était jamais la même infirmière, parce qu'il y avait des changements. Donc du coup, il fallait chercher d'autres qualités. Mais chez les anesthésistes, par exemple, ou chez les réanimateurs, ça les a amenés à ne s'occuper finalement plus que du symptôme, plus que de la maladie générale. Je crois que ça, c'est encore un... C'est quelque chose qui, je ne sais pas encore, la transmission des connaissances de la maladie de fond, ça sera une problématique importante. Bon alors après, ce qui me gêne le plus, enfin ce qui m'ennuie maintenant, c'est la difficulté de pouvoir joindre des médecins. La difficulté de demander à un médecin de s'occuper d'un ami ou d'un malade, il est rarement disponible, il délègue, ce sont des choses auxquelles je n'étais pas habitué, qui probablement n'auront pas de conséquences. Globalement, je vais revenir sur la mortalité générale, sur la santé, mais ça a des conséquences sur la prise en charge individuelle. Je pense que c'est assez difficile, le fait qu'il faille plusieurs mois pour certains rendez-vous qui étaient impossibles. Dans le service, on ne va pas parler de mon temps, mais c'est quand même, moi je crois que c'était un point important. Parce que même, il était hors de question de laisser quelqu'un avec une tumeur du foie ou une tumeur du pancréas attendre plus de 3-4 jours. Il y avait tout le temps la possibilité de les voir, parce que ça me semblait inhumain. Quand j'avais été aux États-Unis, j'avais été aussi frappé par le fait qu'à la Mayo Clinic, vous avez un rendez-vous dans les 12 heures. Alors peut-être que la finalité n'est pas la même, mais la conséquence est qu'on ne peut pas laisser des gens s'angoisser avec une lésion. Donc ça, c'est vraiment quelque chose qui me... Qui me peine, moi, de voir des gens qu'on laisse avec une angoisse, qui n'ont pas le discours.

  • Speaker #0

    Dans un secteur où le sens, après le post-Covid, a été beaucoup questionné, qu'est-ce qui, pour vous, sont les éléments importants qui permettent à un professionnel de santé de donner du sens à son travail ?

  • Speaker #1

    Le post-Covid a été une période absolument extraordinaire, c'est-à-dire la mobilisation à un moment donné, le fait qu'il y avait moins d'obstacles, les procédures ont été bouleversées, et donc ça a été fantastique pour des médecins, des infirmières. On a vu des gens rester à l'hôpital. C'était un point important. Après, dans le post-Covid, qu'est-ce qui peut donner un sens ? Je ne sais pas si ça se décrète. Ce qui me fait peur actuellement, c'est de voir de moins en moins de gens qui s'engagent dans le soin à l'autre, la préoccupation à l'autre. Ça, c'est quelque chose qui m'impressionne. Ça m'impressionne... Si c'était un problème purement français, finalement, on se dit on va le résoudre. Mais c'est dans tous les pays du monde. Dans tous les pays du monde, il n'y a plus d'infirmières. Enfin, il n'y a pas assez d'infirmières. Il n'y a pas assez de médecins. Pour répondre aux demandes des malades. Même l'Italie, qui n'avait pas de numerus clausus, a engagé 500 médecins cubains pour prendre des gardes en Calabre. 35% des médecins en Angleterre ne sont pas nés, ils n'ont pas été tous formés en Angleterre. En Allemagne, ils n'auraient pas pu aborder, ils n'auraient pas pu supporter l'épidémie de Covid s'ils n'avaient pas eu les médecins syriens. On se demande ce qui fait qu'il n'y a plus cet attrait. C'est la première chose. Ça m'inquiète un tout petit peu, enfin ça m'inquiète, ça ne me rend pas optimiste. Je ne sais pas comment on peut le compenser. Je ne suis pas sûr que ce soit uniquement une question de revenus. Je crois qu'au contraire les revenus l'aggravent. Parce que quand les revenus sont suffisants, les gens maintenant ne travaillent plus que trois jours par semaine. Si les revenus n'étaient pas aussi importants, je pense que pour les radiologues et pour certaines spécialités, Il ne pourrait pas se cantonner de travailler trois jours par semaine, ce qui aggrave les choses. Donc ce n'est pas uniquement une question de revenus, parce que j'ai même vu qu'en Suisse, il manquait d'infirmières, alors qu'elles sont très très bien payées. Le deuxième élément qui est un élément un peu inquiétant, c'est au-delà de presque une répulsion à se consacrer à l'autre, à s'occuper de l'autre. le nettoyer, lui faire des pansements. Il y a aussi, chez un certain nombre, le refus de rentrer dans une organisation. Chez un certain nombre d'infirmières, la difficulté à accepter le rôle d'une surveillante, la difficulté pour certains médecins et infirmières à refuser de se mettre dans des plannings. Heureusement, il y a eu un coup d'arrêt à l'intérim, mais sinon, il y avait des milliers de médecins qui se dégageaient de toute l'organisation des hôpitaux pour ne faire que de l'intérim, se travailler quand ils veulent, comme ils veulent, au moment où ils veulent, sans prendre les gardes des jours qui... qu'il fallait prendre, mais uniquement selon leur désir. Et ça, ça avait une double gravité, parce que, bon, premièrement, ça n'assurait pas la continuité, mais deuxièmement, ça les détachait de la prise en charge collective. Alors, parlons pas de la qualité, là, parce que, alors là, du coup, comme on ne fait pas partie de la... Du groupe, on ne fait pas partie du service, on connaît encore moins bien les malades et on est encore plus symptomatique et donc on est moins bon.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est pour vous un leader ?

  • Speaker #1

    Alors un leader, c'est probablement quelqu'un qui arrive à montrer qu'il y a une ligne. Il y a une ligne dans un service, qu'on n'agit pas uniquement en fonction des dates, en fonction des humeurs. On sait ce qu'on veut, on la définit, on essaye de l'exprimer, c'est pas toujours facile de l'exprimer. Et ça c'est la première chose. La deuxième, c'est d'essayer de développer... On travaille bien qu'avec des gens heureux. Donc il faut... c'est pas facile. Il faut déceler ce qui rend les gens heureux. Alors je vais prendre un exemple inverse. Je vais prendre un exemple inverse. J'envoie... on envoie des abstracts pour un congrès. Et j'arrive un matin, j'attrape l'interne en lui disant Tu sais, ton abstract, il a été accepté à Houston, tu vas pouvoir le présenter. Et à ce moment-là, je vois le type devenir blanc. Blanc. Et à ce moment-là, j'ai compris qu'au fond, pour lui, c'était une angoisse terrible, et que ce n'était pas ça sa vie. Sa vie, ce n'était pas d'aller, alors que pour d'autres, pour moi, c'est la première abstraite, c'était absolument extraordinaire. Ce n'était pas ça sa vie. Et au fond... Une équipe, c'est décelé chez chacun, celui qui a envie de se mettre en avant, celui qui a envie d'exprimer, celui qui aime parler en public, et puis celui qui, surtout, ne pas l'amener à faire comme les autres. Ça, je crois que c'est un point important. La troisième chose, c'est partir du principe que toute parole doit être prise en compte, partir du principe que les autres ne sont pas des cons, c'est-à-dire qu'on est dans une attitude où il va falloir savoir telle position qui a été prise par tel autre service. Probablement, il faut comprendre pourquoi et comprendre la position des autres spécialités. Je pense que ça, ça aide. Voilà. Et puis, qu'est-ce que... Oui, qu'est-ce qu'on m'avait dit ? On sait bien, quand on vous donne un papier à relire, on sait bien que vous le relisez à fond, que vous travaillez. Et donc, du coup, c'est impossible pour nous de ne pas travailler. Donc ça, c'est un point important. C'est une chose qu'on m'a dit assez tard. Vous savez, quand il y a des papiers à corriger, Il y a le patron qui le corrige, vous me parlez de leader, le patron qui le corrige un tout petit peu, 3,4 choses, qui vérifie que son nom est dessus, et puis il y a d'autres qui travaillent à fond. Et donc, quand on travaille dessus, l'autre ne peut pas ne pas travailler.

  • Speaker #0

    Vous avez beaucoup parlé dans cet entretien du lien entre les professionnels de santé, de la capacité à donner la parole à tous. Qu'est-ce qui vous a donné cette culture et comment vous avez fait pour développer cette partie de votre management ?

  • Speaker #1

    Alors là, on va rentrer dans quelque chose… De très personnel, mais qui avait comme été dénoncé, quand je suis arrivé en France, c'était... Il faut comprendre la France, il faut comprendre le système, il faut comprendre le fonctionnement, le fonctionnement de l'administration, le fonctionnement des RH. Moi j'ai eu la chance en 1966, d'abord j'avais mon passage en Afrique, J'avais quand même une position des luttes anticoloniales, des luttes d'indépendance. J'ai vécu toutes les indépendances, ce qui pour moi était assez extraordinaire. Et puis ensuite, effectivement, j'ai eu une culture politique et j'ai donc été au Parti communiste français, qui a été un facteur d'intégration. Absolument fantastique. Ça a été pour moi la défense des gens qui avaient besoin d'être défendus. La deuxième chose, c'était une position antiraciste formidable. J'ai jamais eu le moindre... Après, il paraît que ça a changé, il y a des choses. Et puis... Une éducation, la nécessité de bien connaître les textes, de bien connaître les choses et d'écouter. Parce que ce qui, au fond, j'avais appris, c'était la responsabilité, c'est-à-dire la parole devait être suivie. d'une activité. On ne pouvait pas se permettre de lancer simplement des slogans. À partir du moment où vous devez faire une grève... Il fallait qu'elle réussisse, il fallait que vous soyez à peu près sûrs, que vous ayez une majorité de gens qui suivent la grève. Parce que si jamais ça foirait, si le mouvement foirait, vous en preniez la responsabilité, puis vous le payez. Vous le payez parce qu'après on ne peut plus remuer les gens, on ne peut plus les mobiliser. Voilà, donc il faut écouter, il faut analyser. Et puis il faut comprendre comment se fait le système. Et puis ensuite, j'ai quitté le parti quand il a eu la rupture de l'Union de la gauche, parce que j'avais toujours été dans un... dans une volonté d'union. L'union était fondamentale pour moi. Mais à partir du moment où il y a eu la rupture de l'union de la gauche, puis voilà.

  • Speaker #0

    Et ça vous a beaucoup servi dans votre carrière professionnelle et dans la manière de manager vos équipes ?

  • Speaker #1

    Moi, je crois que ça m'a servi. Ça m'a servi dans l'écoute, l'écoute des autres. Ça m'a servi dans un respect de l'administration. Ça a été... Je pense que j'ai été terriblement aidé par l'administration, j'avais bien compris. J'avais bien compris que dans un hôpital, ce n'est pas vos collègues qui vous donneront des crédits, ce n'est pas vos collègues qui vous faciliteront les choses, parce que chacun se défend, et que donc il fallait avoir le soutien de ceux qui sont responsables du fonctionnement de l'institution. Et ceux qui sont responsables du fonctionnement de l'institution, c'est l'administration. Donc c'est vrai, ça m'a beaucoup servi sur ce plan-là. Ce respect d'écoute de l'administration, qui en plus a sa logique, je me suis toujours refusé à la caricature, qu'on ne prenne rien, ils ne sont pas au truc, ce n'est pas vrai. Voilà, le refus de la caricature est un point important aussi, ça on apprend qu'en face... C'est des gens qui savent ce qu'ils font et ils ne le font pas n'importe comment. Donc il faut analyser.

  • Speaker #0

    Vous avez un parcours atypique que vous nous avez raconté. Malgré ça, vous avez réussi à atteindre le rang de professeur, qui est quelque chose de très complexe en santé. Comment vous avez fait et est-ce que vous avez eu des difficultés ? Et finalement, qu'est-ce qui vous a accompagné vers votre titre de professeur ?

  • Speaker #1

    Le rendre professeur, moi je me suis toujours, je voulais l'être. Alors j'ai jamais calculé, j'ai jamais calculé en me disant je vais aller dans tel service, comme je voyais très bien, en me disant je vais aller dans tel service parce que je sais que dans 5 à 10 ans, il y a un poste qui va se libérer, ça me permettra. Bon ça c'est le genre de choses. Qu'il ne faut pas faire. D'abord, si jamais il y a des jeunes, il ne faut pas calculer. Il ne faut pas calculer, il faut se mettre dans un endroit, il faut travailler, s'imposer. Et puis, dans les qualités, comment on choisit un professeur ? On choisit un professeur par sa capacité de travail, par ses qualités humaines, mais on le choisit aussi par la persévérance. Ça, je crois que c'est un point important. Et puis j'ai eu la chance d'avoir des gens qui m'ont aidé, qui m'ont soutenu malgré un certain nombre, malgré à ce moment-là, ce qui ne m'a pas servi, mes opinions politiques. Bon, maintenant, ça n'est plus le cas. Mais en tous les cas, en dehors de vraiment d'exceptions qu'on peut compter presque sur les doigts d'une main, Tous ceux qui se donnent les moyens d'essayer d'être professeur, y arrivent. C'est un peu terrible ce que je vais dire. Après, ils se donnent des raisons. J'en ai tellement entendu dire, alors que je savais qu'ils n'en avaient pas la capacité, qu'ils n'en avaient pas la force de travail, j'en ai tellement entendu dire Ah, mais moi je n'ai pas fait ça parce que je ne voulais pas, parce que je ne m'entendais pas bien. C'est-à-dire substituer la relation personnelle à l'incapacité professionnelle ou l'insuffisance de capacité professionnelle. Ça c'est très... et heureusement que ça existe ça. Ça permet de rassurer les gens, de se dire c'est parce que je ne m'entendais pas, parce que je ne voulais pas faire ce qu'ils me disaient, parce que ceci... On voulait laisser dire, mais ce n'est pas ça. Le fond n'est pas là.

  • Speaker #0

    Vous êtes donc un produit de la légitimité par le travail ? Oui,

  • Speaker #1

    je suis très élitiste. Très éditive, mais c'est quelque chose qu'on apprenait, c'est quelque chose que j'ai appris à l'école, c'est-à-dire qu'il est hors de question de laisser la bourgeoisie, au fils de truc, de prendre les rênes du pouvoir. Il faut travailler, travailler pour avoir... C'est pour avoir ces promotions.

  • Speaker #0

    Vous nous avez beaucoup parlé d'éléments incroyables de votre carrière. Est-ce que vous pouvez nous partager votre plus gros échec ?

  • Speaker #1

    Mon plus gros échec, ça a été la mort d'un donneur. Je me suis lancé, on était la première équipe à faire des transplantations à partir de donneurs vivants. C'est-à-dire que le foie, cet organe extraordinaire, il a la capacité de régénérer. En plus, il a des territoires anatomiques autonomes. C'est-à-dire que si on coupe, on prend une partie du foie et qu'on la met en condition de fonctionnement chez un receveur, il va fonctionner et il va grossir. Et donc la transplantation à donneurs vivants, elle a commencé chez les enfants. Pourquoi ? Parce que la mort d'un enfant en attendant un greffon, c'est insupportable. C'est quelque chose qu'on ne peut pas tolérer. Et donc on pouvait, à ce moment-là, ça a pu être fait au début des années 80, ça a été montré. Et donc, prendre une partie du foie d'une mère ou du père, souvent du père, contrairement à ce qu'on pensait, souvent du père, de le prendre, de le greffer à l'enfant. Et puis, très progressivement, on s'est dit, mais pourquoi pas le faire à des adultes ? Alors à ce moment-là, on prenait un peu plus de foi, donc on faisait courir un risque un peu supplémentaire au donneur. Et donc là, le processus de faire une grosse opération chez quelqu'un qui est parfaitement sain, même si c'est pour sauver quelqu'un d'autre, c'est un processus qui est... difficile, c'est-à-dire c'est la négation de notre métier. Parce que vous prenez quelqu'un de parfaitement sain, vous allez le rendre malade. Et puis la 147e greffe, le frère qui avait donné pour son frère, a développé en post-hépatectomie une maladie qu'on n'avait pas décelée. C'était une maladie de sanguine. Et il en est mort. Et ça, ça a été un bouleversement qui m'a amené d'ailleurs à arrêter la transplantation d'honneur vivant, à beaucoup réfléchir sur ce que ça représentait dans un pays... ou quand même il y avait d'autres... Donc là, on est dans les ressources limitées totales, c'est-à-dire le choix. Puis m'apercevoir que c'était pas... c'était probablement pas la voie qu'il fallait suivre. Alors c'est fantastique dans des pays où on ne peut pas prendre d'organes sur des gens qui viennent de décéder, pour des religions religieuses, pour des régions culturelles. Mais dans notre pays, c'est pas adapté, puis d'ailleurs c'est maintenant exceptionnel. Mais ça a été terriblement doux. Ça a été complètement bouleversé.

  • Speaker #0

    Vous avez pris la décision d'être totalement transparent sur tout ce qui s'était passé ?

  • Speaker #1

    Ah oui. J'avais bénéficié de l'expérience. Parce qu'il y a un donneur, le premier donneur qui est mort à New York. Alors aux Etats-Unis, non. Et j'avais bénéficié, j'avais regardé ce qu'il fallait faire, et donc immédiatement, quand il y a eu la mort du donneur. Alors la première chose que j'ai faite, c'est que je l'ai transféré, quand il allait très mal, dans un autre hôpital, un très grand hôpital à Bichat, puisqu'on était à Beaujon, je l'ai transféré à Bichat. parce que je pense que l'affectif faisait que... Pour bien soigner, il faut quand même avoir une certaine neutralité, une distance. Ça, c'est point important. Et donc, le confier à une autre équipe qui n'était pas impliquée dans l'aventure du donneur vivant. Et puis la deuxième chose, quand il est mort, ça a été immédiatement de faire même un communiqué de presse, une transparence, de publier le cas. Voilà, ça me paraît aussi fondamental. La transparence est un élément fondamental dans notre carrière. De publier ses résultats, donner exactement la réalité des choses, c'est aussi un devoir. C'est un devoir, c'est-à-dire on ne travaille pas que pour soi, on travaille et on doit, c'est un devoir de publier, de donner ses résultats, ne serait-ce pour le rendre à la société qui vous emploie. de le rendre à la population, et puis de le communiquer aux autres médecins, de façon à ce qu'ils puissent progresser aussi, si échec est succès.

  • Speaker #0

    On a parlé d'échec, votre plus grande fierté ?

  • Speaker #1

    Ma plus grande fierté, c'est d'avoir été professeur, d'avoir été chef de service, d'avoir été nommé la haute autorité de santé. Et puis je dois dire que je suis extrêmement fier d'être maintenant secrétaire adjoint de l'Académie de médecine. Je suis le premier chirurgien depuis 1800 à être nommé secrétaire adjoint. Donc les médecins ont pris un chirurgien. Bon, c'est vrai que je suis un peu médecin. Voilà, donc je travaille dans un cadre avec des gens... Toujours dans un grand élitisme, c'est assez exceptionnel, de toutes les spécialités. C'est absolument inouï, c'est absolument inouï de discuter avec les meilleurs hématologues, les meilleurs infectiologues, y compris même les meilleurs vétérinaires, les biologistes, au sein de l'Académie de médecine, de discuter des sujets. Et on en discute à un très haut niveau de réflexion. Et puis sans aucun corporatisme, ça c'est un point fondamental, ça tue le corporatisme.

  • Speaker #0

    Si on parle de corporatisme, ça a été un élément de difficulté pour arriver à dépasser les limites du secteur de la santé ?

  • Speaker #1

    Ah oui, pas facile de faire comprendre aux gens que la santé c'est pas le problème des médecins. La santé c'est pas le problème des médecins, c'est un problème... D'ailleurs, je n'ai jamais été partisan que ce soit un médecin qui soit ministre de la Santé. Moi, je pense que la gauche n'arrivera pas à revivre si elle ne comprend pas que la défense du service public, ce n'est pas forcément la défense des gens qui travaillent dans le service public. C'est une confusion. C'est pareil pour les médecins. La défense du... Tout mouvement dans un hôpital n'est pas sacré. C'est pas parce que telle catégorie se trouve un petit peu... n'est pas contente que ça doit être mis en avance. Ce qui compte, c'est l'hôpital au service. Hôpital ouvert jour et nuit. L'hôpital qui puisse accueillir des gens sans... Préalable financier, sans préalable. Voilà, ça me semble fondamental. Le corporatisme, c'est quelque chose d'insupportable.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que vous attendez de la nouvelle génération qui arrive, avec tous les enjeux que vous nous avez cités dans cet entretien ? Qu'est-ce qui, pour vous, est clé de garder, de sauvegarder, de développer ?

  • Speaker #1

    J'attends qu'elle me démontre qu'elle est capable. Dans ce monde où finalement on a beaucoup l'impression qu'il y a de plus en plus d'individualisme, de volonté de préserver ce que l'on appelle un équilibre, j'attends qu'elle me démontre, et je crois qu'elle y arrivera, enfin il y aura une qualité, qu'elle me démontre sa capacité à prendre en charge. les souffrances, et notamment, et continuer à développer le service public. Voilà, ça c'est vraiment... Je n'ai pas la clé, je n'ai pas la solution, je ne sais pas. Heureusement que je ne suis pas en situation de responsabilité, parce que... Mais voilà, je crois qu'il y a de toute façon, il y a plein de jeunes... fantastique, peut-être la proportion un peu moins importante, mais elle me démontrera que c'est possible.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il y a des éléments en lien avec la formation, peut-être plus particulièrement des médecins, qui doivent évoluer pour répondre à ce que vous nous dites ?

  • Speaker #1

    Ça, c'est une vraie bataille. C'est ce qu'on appelle, quelle place doit-on avoir au tutorat ? L'apprentissage, le maître apprend à l'élève. Ça, il faut que ça s'arrête. C'est pas possible. On ne peut pas rester dans la relation de formation individuelle, le compagnonnage. C'est un élément... Je pense que là, c'est vraiment... Il faut tout faire pour dépasser le compagnonnage, c'est-à-dire qu'il faut institutionnaliser l'enseignement et donc le démocratiser. C'est un point important. Là, je vois très bien la simulation, les jumeaux numériques, les éléments comme ça. Très probablement, ça va permettre de passer, ça va former, ça va faciliter la formation. Tester, tester, faciliter la formation. On va sortir de la relation individuelle. C'est-à-dire que moi je pense que c'est un bon chirurgien, donc c'est en contradiction à ce que je vous disais peut-être tout à l'heure. Moi je pense que ce sera un bon chirurgien, moi je pense que c'est un type qui est à droit, moi je pense que c'est un type qui est courageux. Là on aura probablement des moyens un peu plus objectifs. Et donc, ça, ça peut rendre optimiste.

  • Speaker #0

    Pour finir notre entretien, on sera un peu moins sérieux. Est-ce que vous avez une anecdote à nous raconter ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne sais pas si elle est sérieuse. Malheureusement, elle est trop sérieuse. Je ne peux pas raconter une blague. Non, ce qui m'a le plus impressionné, c'est un malade que j'avais transplanté et qui me raconte avec son accent. Il avait été transplanté depuis quelques mois. Il traversait pour rentrer chez lui une voie ferrée. Un train passe à toute vitesse. Il me dit Oh là là, j'ai eu peur qu'on meure tous les deux. Je lui dis Mais qu'est-ce que... Ben oui, celui qui est en moi. Et donc, je trouve que c'est un... C'est quelque chose qui m'a bouleversé, c'est-à-dire que le transplanté se sentait associé au donneur qui était en lui. Ce n'était pas le cas. Ça m'a éclairé. Ce n'est pas le cas, tous les donneurs. Il y a eu des réflexions. Il y a Jean-Luc Nancy, qui était un philosophe, qui avait fait quelque chose sur les corps. Puis il y en a eu plein, mais qui ne pensaient jamais aux donneurs. Voilà, c'est une... On a failli mourir à deux.

  • Speaker #0

    C'est quoi la suite pour Jacques Belgitti ?

  • Speaker #1

    Je suis pour un certain temps encore à l'Académie de médecine. C'est une ouverture. C'est plein de nouveaux sujets. Essayer d'être au niveau. Ce qu'il faut, c'est à un moment donné, savoir quand est-ce qu'il faut s'arrêter. Est-ce qu'il faut s'arrêter pour faire autre chose ? Pour écrire ? Pour faire que de l'histoire ? Mais je ne sais pas. Pour le moment, je continue. Je continue à lire, à écrire et voilà.

  • Speaker #0

    Merci Jacques de nous avoir partagé toute votre passion et toute votre expérience.

  • Speaker #1

    Merci.

Description

Dans cet épisode passionnant, nous avons l'honneur d'accueillir le Professeur Jacques Belghiti, une figure emblématique de la chirurgie hépatobiliaire et de la transplantation hépatique. Ancien chef de service à l'hôpital Beaujon (APHP), il est reconnu mondialement pour ses contributions significatives à la médecine et son dévouement exceptionnel aux patients.

Ses réalisations lui ont valu de nombreuses distinctions prestigieuses, dont la haute distinction de Chevalier de l'Ordre National du Mérite. Le Professeur partage avec nous son parcours inspirant, ses défis, et sa vision pour l'avenir de la chirurgie et des soins de santé.

Découvrez comment son dévouement et son approche humaniste continuent d'influencer et d'inspirer les générations futures de soignants. Abonnez-vous à notre chaîne pour recevoir les notifications de nos prochains épisodes !

Leaders for Health


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous êtes donc un produit de la légitimité par le travail ?

  • Speaker #1

    Oui, je suis très élitiste. Mais c'est quelque chose qu'on apprenait, c'est quelque chose que j'ai appris à l'école, c'est-à-dire qu'il est hors de question de laisser la bourgeoisie, au fils de truc, de prendre les rênes du pouvoir. Il faut travailler, travailler pour avoir ces promotions.

  • Speaker #0

    Bonjour, je suis Félix Mamoudi, fondateur de Leader for Health. Bienvenue dans notre podcast Raison d'être, le podcast qui réunit les leaders du monde de la santé d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Aujourd'hui, nous accueillons le professeur Jacques Belguiti, secrétaire adjoint de l'Académie de médecine et défenseur de notre système de santé publique. Bonjour Jacques.

  • Speaker #1

    Bonjour Félix.

  • Speaker #0

    Bienvenue.

  • Speaker #1

    Merci.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez commencer par nous raconter votre parcours professionnel ?

  • Speaker #1

    J'ai commencé mes études de médecine en 68. Après une scolarité extrêmement difficile, je les ai commencé avec enthousiasme, ça s'est passé très bien. Mais comme je voulais être chirurgien depuis ma petite enfance, je me suis orienté vers des stages de médecine. Parce que je concevais qu'on pouvait être un bon chirurgien à partir du moment où on avait une bonne acquisition de la médecine. Et puis ensuite, j'ai fait des stages de chirurgie, également avec enthousiasme. Et j'ai gravi tous les échelons. Avec du recul, j'ai l'impression, sans grande difficulté, mais avec des souvenirs quand même. que c'était souvent difficile dans une certaine adversité de temps en temps. Voilà, j'ai eu la chance d'être assez vite chef de service d'un très grand service de chirurgie hépatobilière et de transplantation. J'ai été chef de service plus de 20 ans à l'hôpital Beaujon, qui était un centre d'excellence. qui se caractérisait par la réunion de radiologues, de médecins, qui avaient la... La passion, oui, également la passion de la spécialité, et puis un engagement dans le service public absolument total.

  • Speaker #0

    Le plus gros tournant de votre carrière ?

  • Speaker #1

    Le plus grand tournant de ma carrière, c'est probablement l'aventure de la transplantation hépatique. La première transplantation hépatique qui a eu lieu en novembre 89, au moment de la chute du mur de Berlin. Je me souviens cette nuit-là, et donc de pouvoir accéder à une innovation technologique que j'avais préparée par des voyages à l'étranger, par des stages. Ça a été vraiment un élément important. Puis ensuite... Le développement de ma spécialité, de ma carrière à l'intérieur, à Beaujon. Le deuxième tournant, c'est probablement au moment où je prends ma retraite, d'être nommé la Haute Autorité de Santé. Et à ce moment-là, c'est le passage entre une activité qui était uniquement dirigée vers le malade, à une conception beaucoup plus de santé publique. où à ce moment-là, les soins n'étaient plus conçus individuellement, mais dans leur portée économique, dans leur portée éthique. Et ça, ça a été un apprentissage important de savoir qu'est-ce qui est bon en termes de santé publique pour la population, et pas uniquement pour un malade individuellement.

  • Speaker #0

    Vous avez l'air d'avoir un attrait particulier pour l'intérêt commun. Est-ce que c'est quelque chose qui vous a guidé pendant votre carrière ?

  • Speaker #1

    Ah oui. J'ai toujours été mu par le service public. C'est quelque chose de fondamental. D'abord, je ne pouvais pas concevoir des rapports financiers avec des malades. La notion de la bourse ou la vie ou la pression était quelque chose qui était absolument inconcevable pour moi. Je m'amuse. Une proposition à un moment donné de diriger le plus grand centre de chirurgie hépatobilière des États-Unis, au Slot Catherine à New York. J'avais fait deux, trois voyages, tout était prêt, tout était bon, et quand je me suis rendu compte un peu que ça aurait changé mes rapports aux malades, mais également mes rapports à mes collègues, c'est-à-dire qu'une des fonctions importantes était d'essayer de ramasser des fonds, d'essayer de voir, et ça c'était complètement inconcevable. Ça ne correspondait pas du tout et puis j'aurais très mal fait les choses, très certainement.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous pouvez nous expliquer la greffe hépatobilière pour les nuls ?

  • Speaker #1

    La greffe hépatobilière, c'est quelque chose d'extraordinaire parce que le foie est l'organe le plus élaboré, enfin un des organes les plus élaborés de l'organisme puisque c'est lui qui synthétise pratiquement toutes les protéines. Il a des relations, des connexions vasculaires, des connexions biliaires qui sont importantes. Ce qui fait que techniquement, la greffe, quand le foie ne fonctionne plus, alors dans l'imaginaire, on a le non-fonctionnement chronique du foie, qui était une des conséquences de l'alcool. On sait maintenant... Une des conséquences les plus importantes, c'est les hépatites virales, sur lesquelles l'alcool avait une mauvaise influence. Le deuxième élément, c'est qu'on peut avoir des insuffisances hépatiques aiguës. La seule façon, quand le foin ne marche pas, de pouvoir sauver le malade, c'est de le greffer. Et cette greffe, à un moment, ça dure longtemps, ça dure plusieurs heures, parce qu'il y a plusieurs connexions, c'est techniquement assez difficile. Et son retentissement est un retentissement majeur sur la circulation, sur le poumon, ce qui fait qu'on est obligé d'acquérir une expertise médicale importante.

  • Speaker #0

    On va revenir un peu en arrière. Est-ce que vous pouvez nous raconter dans quel environnement vous avez grandi ?

  • Speaker #1

    J'ai grandi, je suis né au Maroc, un père marocain, d'une mère française. J'ai vécu entre deux cultures. Puis ensuite, je ne sais pas si c'est une chance, dans la petite enfance, je suis parti en Afrique, au Togo, en Afrique occidentale. Je suis resté plusieurs années. Puis ensuite, je suis revenu... Alors, la conséquence, c'était... D'abord la multiplicité des cultures, la confrontation à ce que représentait le colonialisme, et puis un retour en France où j'avais une certaine richesse culturelle, mais une absence où mon éducation, la scolarité avait été très mauvaise. Et donc ce qui fait que ça a été catastrophique. Au point par exemple où mes parents m'avaient mis pensionnaire au lycée Lacanale et au bout de la première année, le préviseur avait décidé que je n'étais pas apte aux études et m'avait inscrit à un CAP de serrurier. Donc vous avez déjà peut-être vu que j'avais un attrait pour l'activité manuelle, mais bon. Ensuite, ça a été un peu difficile, jusqu'à la terminale, où après, il n'y a pas eu de problème.

  • Speaker #0

    Et comment on passe d'échec scolaire à professeur de chirurgie ?

  • Speaker #1

    Par le travail. Par le travail, parce que ça, j'ai eu... Je savais que j'avais énormément de retard, je savais... J'avais été très impressionné, effectivement. par une réflexion d'un professeur qui avait vu que comme j'étais bon en histoire géo, ça prouvait que je travaillais. Ça prouvait que je travaillais et donc à ce moment-là, je me suis dit que c'est la façon de s'en sortir, parce que le reste, c'était assez catastrophique. Et donc, voilà, je pense que j'ai énormément travaillé, j'ai toujours... C'est pas difficile pour moi, mais c'est un plaisir. C'est un plaisir d'apprendre, c'est un plaisir de travailler, c'est un plaisir... Donc voilà, je crois que c'est un élément important. Le deuxième élément, c'est dans le travail, il y a le travail théorique, il y a le travail pratique, il y a la disponibilité. Et ça, je pense que je ne serais pas arrivé... Une carrière si je n'avais pas eu cette disponibilité importante, mais c'est une disponibilité qui n'était pas pénible.

  • Speaker #0

    Est-ce que travailler pour les patients a eu particulièrement du sens pour vous ?

  • Speaker #1

    Ah bah oui, parce que... Bon d'abord, d'essayer de surmonter un certain nombre de maladies qui n'étaient pas... Alors, probablement qui n'étaient pas très bien... considéré sur lequel il n'y avait pas énormément d'investissement, qui sont les cirrhoses du foie, les maladies tumorales. C'était quelque chose d'important. Il y avait un challenge d'essayer de trouver. Et puis j'ai eu la chance quand même d'être dans une spécialité qui naissait. Ça a été une chance extraordinaire. La chirurgie hépatique se développait parce qu'elle avait besoin de technologie. Ça a été tout de suite après la chirurgie cardiaque la chirurgie la plus technologique. Et donc elle naissait, elle se développait. Et ça, ça m'a énormément aidé, cette volonté de rester dans l'innovation. Dans le service, il y avait quelque chose, quand j'étais chef de service, qui était presque écrit au fronton, aucune innovation ne doit nous échapper, c'est-à-dire qu'il faut toujours essayer de faire, et donc ça demandait une culture, savoir ce qui se faisait ailleurs, d'aller dans les congrès, de lire les revues.

  • Speaker #0

    Est-ce que le fait de ne pas pouvoir sauver tous les patients a été quelque chose de clé et d'important dans la lecture de votre spécialité ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est important, mais qu'est-ce que ça ? Bon, on sait tous qu'il y a un certain nombre de tumeurs, de tumeurs cancéreuses sur lesquelles on ne pouvait pas prendre, qu'on ne pouvait pas vaincre. Mais au fond, la question qui se posait, c'est de se dire, soit on intervenait trop tard, soit on intervenait pas au bon moment, soit on intervenait de façon un peu trop brutale. Et probablement, ce qui me paraissait important, c'était de déceler dans le développement d'une maladie le moment. où il fallait agir. Alors, si je reprends l'exemple des tumeurs malignes, l'alliance chimiothérapie-chirurgie a été quelque chose d'extraordinaire. C'est-à-dire laisser trop sous chimiothérapie, après c'est trop tard. Opérer trop tôt, c'est pas bon. Et donc justement, cette conjonction de deux traitements, un traitement médical et un traitement chirurgical, vraiment a été un moteur important. Puis le deuxième moteur, c'est la transplantation hépatique. C'est la possibilité, quand les lésions sont irréversibles, de pouvoir changer un foie.

  • Speaker #0

    Avec des ressources toujours contraintes ?

  • Speaker #1

    Alors voilà, ça je crois que c'est l'avantage qu'ont les transplanteurs. Les transplanteurs résonnent toujours en ressources limitées. Peut-être les choses changeront un jour, dans la mesure où maintenant on peut greffer, on va probablement greffer de façon un peu plus fréquente des organes d'animaux. Là on voit l'explosion actuellement. Mais pour le moment, les organes sont limités et donc... Il faut choisir, il faut choisir à qui on va greffer. Et là, on aborde des questions éthiques qui sont complexes, c'est-à-dire est-ce qu'on va greffer le plus urgent, est-ce qu'on va greffer celui avec qui ça va servir le plus longtemps possible ? Certains pays font intervenir celui qu'ils méritent, font intervenir des critères différents. Et donc ça, c'est un élément qui en permanence se pose et qui fait ressortir, voilà, typiquement, typiquement une question qui ne peut pas se résoudre par la relation purement entre médecin et malade. Le malade n'appartient pas au médecin, d'abord parce que l'organe appartient à la communauté. Et donc le médecin, à ce moment-là, ne peut pas prendre une décision seul, il ne peut prendre une décision que collectivement. La conception d'une décision collective, je crois que c'est l'élément fondamental, fondamental d'une pratique médicale. On le voit de plus en plus maintenant, que ce soit dans le domaine cancéreux, que ce soit dans le domaine de la fin de vie, la décision collective, la discussion, les échanges, est absolument fondamentale. Et probablement, une des qualités qui sera le plus, qui faudra le plus développer ou qui permettra, c'est ceux qui sont capables d'avoir ces réflexions collectives, c'est-à-dire de recueillir. tous les éléments des autres membres de la communauté médicale, mais aussi au-delà de la communauté médicale, ce qui me paraît fondamental.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui a le plus changé durant votre parcours ?

  • Speaker #1

    Premièrement, le fait que toutes les discussions, les prises en charge des malades, les décisions, soit des décisions collectives, ça a été important. La deuxième chose qui a énormément changé, c'est le fait que dans un service de chirurgie, y compris dans un service de transplantation, il y ait de plus en plus de femmes, avec indéniablement une approche différente, moins aventureuse, plus méticuleuse, plus soucieuse, pas uniquement de la maladie, mais des conditions sociales d'un malade. plus respectueuse des recommandations. Et donc ça a été un apport, surtout dans une spécialité qui se développait, qui était un peu aventureuse, ça apportait un équilibre important. Alors je dois dire que... Pour profiter de cet équilibre, il faut absolument qu'elles aient une place équivalente. Et notamment de les aider à l'exprimer. Parce que la femme est en retrait tout souvent sur la prise de parole. Dans le monde médical, elle est en retrait sur la prise de parole. Et donc, un élément important, et ça c'est quelque chose que j'avais depuis... Non. qui se faisait tout naturellement dans le service où j'étais, parce que j'avais pris l'habitude, c'était une tradition, c'est que chacun devait s'exprimer à tour de rôle, on fait un tour de table et chacun devait s'exprimer. Et finalement, ça c'est un point important. Alors ensuite, la différence a été l'introduction de la limitation de temps de travail. Alors... Pas tellement dans la génération des chirurgiens que j'ai connus jusqu'à 2014, où c'était très très faible, mais des autres, des anesthésistes, des réanimateurs. Et la conséquence que j'y voyais, c'est que du coup il y avait des ruptures dans la connaissance des malades, parce qu'à prendre des gardes, je ne sais pas si c'est toujours résolu, mais... La conséquence importante d'une rupture, c'est-à-dire que... Je me souviens d'ailleurs, le premier exemple qui me frappait, c'est que quand j'avais commencé, très vite, je faisais des visites avec les infirmières, et très souvent, une infirmière, comment vous le trouvez ce matin, comment, par rapport à hier, elle avait une... quelque chose qu'il fallait absolument écouter, quelquefois plus que l'interne. Et puis à un moment donné, ce n'était plus possible, parce que ce n'était jamais la même infirmière, parce qu'il y avait des changements. Donc du coup, il fallait chercher d'autres qualités. Mais chez les anesthésistes, par exemple, ou chez les réanimateurs, ça les a amenés à ne s'occuper finalement plus que du symptôme, plus que de la maladie générale. Je crois que ça, c'est encore un... C'est quelque chose qui, je ne sais pas encore, la transmission des connaissances de la maladie de fond, ça sera une problématique importante. Bon alors après, ce qui me gêne le plus, enfin ce qui m'ennuie maintenant, c'est la difficulté de pouvoir joindre des médecins. La difficulté de demander à un médecin de s'occuper d'un ami ou d'un malade, il est rarement disponible, il délègue, ce sont des choses auxquelles je n'étais pas habitué, qui probablement n'auront pas de conséquences. Globalement, je vais revenir sur la mortalité générale, sur la santé, mais ça a des conséquences sur la prise en charge individuelle. Je pense que c'est assez difficile, le fait qu'il faille plusieurs mois pour certains rendez-vous qui étaient impossibles. Dans le service, on ne va pas parler de mon temps, mais c'est quand même, moi je crois que c'était un point important. Parce que même, il était hors de question de laisser quelqu'un avec une tumeur du foie ou une tumeur du pancréas attendre plus de 3-4 jours. Il y avait tout le temps la possibilité de les voir, parce que ça me semblait inhumain. Quand j'avais été aux États-Unis, j'avais été aussi frappé par le fait qu'à la Mayo Clinic, vous avez un rendez-vous dans les 12 heures. Alors peut-être que la finalité n'est pas la même, mais la conséquence est qu'on ne peut pas laisser des gens s'angoisser avec une lésion. Donc ça, c'est vraiment quelque chose qui me... Qui me peine, moi, de voir des gens qu'on laisse avec une angoisse, qui n'ont pas le discours.

  • Speaker #0

    Dans un secteur où le sens, après le post-Covid, a été beaucoup questionné, qu'est-ce qui, pour vous, sont les éléments importants qui permettent à un professionnel de santé de donner du sens à son travail ?

  • Speaker #1

    Le post-Covid a été une période absolument extraordinaire, c'est-à-dire la mobilisation à un moment donné, le fait qu'il y avait moins d'obstacles, les procédures ont été bouleversées, et donc ça a été fantastique pour des médecins, des infirmières. On a vu des gens rester à l'hôpital. C'était un point important. Après, dans le post-Covid, qu'est-ce qui peut donner un sens ? Je ne sais pas si ça se décrète. Ce qui me fait peur actuellement, c'est de voir de moins en moins de gens qui s'engagent dans le soin à l'autre, la préoccupation à l'autre. Ça, c'est quelque chose qui m'impressionne. Ça m'impressionne... Si c'était un problème purement français, finalement, on se dit on va le résoudre. Mais c'est dans tous les pays du monde. Dans tous les pays du monde, il n'y a plus d'infirmières. Enfin, il n'y a pas assez d'infirmières. Il n'y a pas assez de médecins. Pour répondre aux demandes des malades. Même l'Italie, qui n'avait pas de numerus clausus, a engagé 500 médecins cubains pour prendre des gardes en Calabre. 35% des médecins en Angleterre ne sont pas nés, ils n'ont pas été tous formés en Angleterre. En Allemagne, ils n'auraient pas pu aborder, ils n'auraient pas pu supporter l'épidémie de Covid s'ils n'avaient pas eu les médecins syriens. On se demande ce qui fait qu'il n'y a plus cet attrait. C'est la première chose. Ça m'inquiète un tout petit peu, enfin ça m'inquiète, ça ne me rend pas optimiste. Je ne sais pas comment on peut le compenser. Je ne suis pas sûr que ce soit uniquement une question de revenus. Je crois qu'au contraire les revenus l'aggravent. Parce que quand les revenus sont suffisants, les gens maintenant ne travaillent plus que trois jours par semaine. Si les revenus n'étaient pas aussi importants, je pense que pour les radiologues et pour certaines spécialités, Il ne pourrait pas se cantonner de travailler trois jours par semaine, ce qui aggrave les choses. Donc ce n'est pas uniquement une question de revenus, parce que j'ai même vu qu'en Suisse, il manquait d'infirmières, alors qu'elles sont très très bien payées. Le deuxième élément qui est un élément un peu inquiétant, c'est au-delà de presque une répulsion à se consacrer à l'autre, à s'occuper de l'autre. le nettoyer, lui faire des pansements. Il y a aussi, chez un certain nombre, le refus de rentrer dans une organisation. Chez un certain nombre d'infirmières, la difficulté à accepter le rôle d'une surveillante, la difficulté pour certains médecins et infirmières à refuser de se mettre dans des plannings. Heureusement, il y a eu un coup d'arrêt à l'intérim, mais sinon, il y avait des milliers de médecins qui se dégageaient de toute l'organisation des hôpitaux pour ne faire que de l'intérim, se travailler quand ils veulent, comme ils veulent, au moment où ils veulent, sans prendre les gardes des jours qui... qu'il fallait prendre, mais uniquement selon leur désir. Et ça, ça avait une double gravité, parce que, bon, premièrement, ça n'assurait pas la continuité, mais deuxièmement, ça les détachait de la prise en charge collective. Alors, parlons pas de la qualité, là, parce que, alors là, du coup, comme on ne fait pas partie de la... Du groupe, on ne fait pas partie du service, on connaît encore moins bien les malades et on est encore plus symptomatique et donc on est moins bon.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que c'est pour vous un leader ?

  • Speaker #1

    Alors un leader, c'est probablement quelqu'un qui arrive à montrer qu'il y a une ligne. Il y a une ligne dans un service, qu'on n'agit pas uniquement en fonction des dates, en fonction des humeurs. On sait ce qu'on veut, on la définit, on essaye de l'exprimer, c'est pas toujours facile de l'exprimer. Et ça c'est la première chose. La deuxième, c'est d'essayer de développer... On travaille bien qu'avec des gens heureux. Donc il faut... c'est pas facile. Il faut déceler ce qui rend les gens heureux. Alors je vais prendre un exemple inverse. Je vais prendre un exemple inverse. J'envoie... on envoie des abstracts pour un congrès. Et j'arrive un matin, j'attrape l'interne en lui disant Tu sais, ton abstract, il a été accepté à Houston, tu vas pouvoir le présenter. Et à ce moment-là, je vois le type devenir blanc. Blanc. Et à ce moment-là, j'ai compris qu'au fond, pour lui, c'était une angoisse terrible, et que ce n'était pas ça sa vie. Sa vie, ce n'était pas d'aller, alors que pour d'autres, pour moi, c'est la première abstraite, c'était absolument extraordinaire. Ce n'était pas ça sa vie. Et au fond... Une équipe, c'est décelé chez chacun, celui qui a envie de se mettre en avant, celui qui a envie d'exprimer, celui qui aime parler en public, et puis celui qui, surtout, ne pas l'amener à faire comme les autres. Ça, je crois que c'est un point important. La troisième chose, c'est partir du principe que toute parole doit être prise en compte, partir du principe que les autres ne sont pas des cons, c'est-à-dire qu'on est dans une attitude où il va falloir savoir telle position qui a été prise par tel autre service. Probablement, il faut comprendre pourquoi et comprendre la position des autres spécialités. Je pense que ça, ça aide. Voilà. Et puis, qu'est-ce que... Oui, qu'est-ce qu'on m'avait dit ? On sait bien, quand on vous donne un papier à relire, on sait bien que vous le relisez à fond, que vous travaillez. Et donc, du coup, c'est impossible pour nous de ne pas travailler. Donc ça, c'est un point important. C'est une chose qu'on m'a dit assez tard. Vous savez, quand il y a des papiers à corriger, Il y a le patron qui le corrige, vous me parlez de leader, le patron qui le corrige un tout petit peu, 3,4 choses, qui vérifie que son nom est dessus, et puis il y a d'autres qui travaillent à fond. Et donc, quand on travaille dessus, l'autre ne peut pas ne pas travailler.

  • Speaker #0

    Vous avez beaucoup parlé dans cet entretien du lien entre les professionnels de santé, de la capacité à donner la parole à tous. Qu'est-ce qui vous a donné cette culture et comment vous avez fait pour développer cette partie de votre management ?

  • Speaker #1

    Alors là, on va rentrer dans quelque chose… De très personnel, mais qui avait comme été dénoncé, quand je suis arrivé en France, c'était... Il faut comprendre la France, il faut comprendre le système, il faut comprendre le fonctionnement, le fonctionnement de l'administration, le fonctionnement des RH. Moi j'ai eu la chance en 1966, d'abord j'avais mon passage en Afrique, J'avais quand même une position des luttes anticoloniales, des luttes d'indépendance. J'ai vécu toutes les indépendances, ce qui pour moi était assez extraordinaire. Et puis ensuite, effectivement, j'ai eu une culture politique et j'ai donc été au Parti communiste français, qui a été un facteur d'intégration. Absolument fantastique. Ça a été pour moi la défense des gens qui avaient besoin d'être défendus. La deuxième chose, c'était une position antiraciste formidable. J'ai jamais eu le moindre... Après, il paraît que ça a changé, il y a des choses. Et puis... Une éducation, la nécessité de bien connaître les textes, de bien connaître les choses et d'écouter. Parce que ce qui, au fond, j'avais appris, c'était la responsabilité, c'est-à-dire la parole devait être suivie. d'une activité. On ne pouvait pas se permettre de lancer simplement des slogans. À partir du moment où vous devez faire une grève... Il fallait qu'elle réussisse, il fallait que vous soyez à peu près sûrs, que vous ayez une majorité de gens qui suivent la grève. Parce que si jamais ça foirait, si le mouvement foirait, vous en preniez la responsabilité, puis vous le payez. Vous le payez parce qu'après on ne peut plus remuer les gens, on ne peut plus les mobiliser. Voilà, donc il faut écouter, il faut analyser. Et puis il faut comprendre comment se fait le système. Et puis ensuite, j'ai quitté le parti quand il a eu la rupture de l'Union de la gauche, parce que j'avais toujours été dans un... dans une volonté d'union. L'union était fondamentale pour moi. Mais à partir du moment où il y a eu la rupture de l'union de la gauche, puis voilà.

  • Speaker #0

    Et ça vous a beaucoup servi dans votre carrière professionnelle et dans la manière de manager vos équipes ?

  • Speaker #1

    Moi, je crois que ça m'a servi. Ça m'a servi dans l'écoute, l'écoute des autres. Ça m'a servi dans un respect de l'administration. Ça a été... Je pense que j'ai été terriblement aidé par l'administration, j'avais bien compris. J'avais bien compris que dans un hôpital, ce n'est pas vos collègues qui vous donneront des crédits, ce n'est pas vos collègues qui vous faciliteront les choses, parce que chacun se défend, et que donc il fallait avoir le soutien de ceux qui sont responsables du fonctionnement de l'institution. Et ceux qui sont responsables du fonctionnement de l'institution, c'est l'administration. Donc c'est vrai, ça m'a beaucoup servi sur ce plan-là. Ce respect d'écoute de l'administration, qui en plus a sa logique, je me suis toujours refusé à la caricature, qu'on ne prenne rien, ils ne sont pas au truc, ce n'est pas vrai. Voilà, le refus de la caricature est un point important aussi, ça on apprend qu'en face... C'est des gens qui savent ce qu'ils font et ils ne le font pas n'importe comment. Donc il faut analyser.

  • Speaker #0

    Vous avez un parcours atypique que vous nous avez raconté. Malgré ça, vous avez réussi à atteindre le rang de professeur, qui est quelque chose de très complexe en santé. Comment vous avez fait et est-ce que vous avez eu des difficultés ? Et finalement, qu'est-ce qui vous a accompagné vers votre titre de professeur ?

  • Speaker #1

    Le rendre professeur, moi je me suis toujours, je voulais l'être. Alors j'ai jamais calculé, j'ai jamais calculé en me disant je vais aller dans tel service, comme je voyais très bien, en me disant je vais aller dans tel service parce que je sais que dans 5 à 10 ans, il y a un poste qui va se libérer, ça me permettra. Bon ça c'est le genre de choses. Qu'il ne faut pas faire. D'abord, si jamais il y a des jeunes, il ne faut pas calculer. Il ne faut pas calculer, il faut se mettre dans un endroit, il faut travailler, s'imposer. Et puis, dans les qualités, comment on choisit un professeur ? On choisit un professeur par sa capacité de travail, par ses qualités humaines, mais on le choisit aussi par la persévérance. Ça, je crois que c'est un point important. Et puis j'ai eu la chance d'avoir des gens qui m'ont aidé, qui m'ont soutenu malgré un certain nombre, malgré à ce moment-là, ce qui ne m'a pas servi, mes opinions politiques. Bon, maintenant, ça n'est plus le cas. Mais en tous les cas, en dehors de vraiment d'exceptions qu'on peut compter presque sur les doigts d'une main, Tous ceux qui se donnent les moyens d'essayer d'être professeur, y arrivent. C'est un peu terrible ce que je vais dire. Après, ils se donnent des raisons. J'en ai tellement entendu dire, alors que je savais qu'ils n'en avaient pas la capacité, qu'ils n'en avaient pas la force de travail, j'en ai tellement entendu dire Ah, mais moi je n'ai pas fait ça parce que je ne voulais pas, parce que je ne m'entendais pas bien. C'est-à-dire substituer la relation personnelle à l'incapacité professionnelle ou l'insuffisance de capacité professionnelle. Ça c'est très... et heureusement que ça existe ça. Ça permet de rassurer les gens, de se dire c'est parce que je ne m'entendais pas, parce que je ne voulais pas faire ce qu'ils me disaient, parce que ceci... On voulait laisser dire, mais ce n'est pas ça. Le fond n'est pas là.

  • Speaker #0

    Vous êtes donc un produit de la légitimité par le travail ? Oui,

  • Speaker #1

    je suis très élitiste. Très éditive, mais c'est quelque chose qu'on apprenait, c'est quelque chose que j'ai appris à l'école, c'est-à-dire qu'il est hors de question de laisser la bourgeoisie, au fils de truc, de prendre les rênes du pouvoir. Il faut travailler, travailler pour avoir... C'est pour avoir ces promotions.

  • Speaker #0

    Vous nous avez beaucoup parlé d'éléments incroyables de votre carrière. Est-ce que vous pouvez nous partager votre plus gros échec ?

  • Speaker #1

    Mon plus gros échec, ça a été la mort d'un donneur. Je me suis lancé, on était la première équipe à faire des transplantations à partir de donneurs vivants. C'est-à-dire que le foie, cet organe extraordinaire, il a la capacité de régénérer. En plus, il a des territoires anatomiques autonomes. C'est-à-dire que si on coupe, on prend une partie du foie et qu'on la met en condition de fonctionnement chez un receveur, il va fonctionner et il va grossir. Et donc la transplantation à donneurs vivants, elle a commencé chez les enfants. Pourquoi ? Parce que la mort d'un enfant en attendant un greffon, c'est insupportable. C'est quelque chose qu'on ne peut pas tolérer. Et donc on pouvait, à ce moment-là, ça a pu être fait au début des années 80, ça a été montré. Et donc, prendre une partie du foie d'une mère ou du père, souvent du père, contrairement à ce qu'on pensait, souvent du père, de le prendre, de le greffer à l'enfant. Et puis, très progressivement, on s'est dit, mais pourquoi pas le faire à des adultes ? Alors à ce moment-là, on prenait un peu plus de foi, donc on faisait courir un risque un peu supplémentaire au donneur. Et donc là, le processus de faire une grosse opération chez quelqu'un qui est parfaitement sain, même si c'est pour sauver quelqu'un d'autre, c'est un processus qui est... difficile, c'est-à-dire c'est la négation de notre métier. Parce que vous prenez quelqu'un de parfaitement sain, vous allez le rendre malade. Et puis la 147e greffe, le frère qui avait donné pour son frère, a développé en post-hépatectomie une maladie qu'on n'avait pas décelée. C'était une maladie de sanguine. Et il en est mort. Et ça, ça a été un bouleversement qui m'a amené d'ailleurs à arrêter la transplantation d'honneur vivant, à beaucoup réfléchir sur ce que ça représentait dans un pays... ou quand même il y avait d'autres... Donc là, on est dans les ressources limitées totales, c'est-à-dire le choix. Puis m'apercevoir que c'était pas... c'était probablement pas la voie qu'il fallait suivre. Alors c'est fantastique dans des pays où on ne peut pas prendre d'organes sur des gens qui viennent de décéder, pour des religions religieuses, pour des régions culturelles. Mais dans notre pays, c'est pas adapté, puis d'ailleurs c'est maintenant exceptionnel. Mais ça a été terriblement doux. Ça a été complètement bouleversé.

  • Speaker #0

    Vous avez pris la décision d'être totalement transparent sur tout ce qui s'était passé ?

  • Speaker #1

    Ah oui. J'avais bénéficié de l'expérience. Parce qu'il y a un donneur, le premier donneur qui est mort à New York. Alors aux Etats-Unis, non. Et j'avais bénéficié, j'avais regardé ce qu'il fallait faire, et donc immédiatement, quand il y a eu la mort du donneur. Alors la première chose que j'ai faite, c'est que je l'ai transféré, quand il allait très mal, dans un autre hôpital, un très grand hôpital à Bichat, puisqu'on était à Beaujon, je l'ai transféré à Bichat. parce que je pense que l'affectif faisait que... Pour bien soigner, il faut quand même avoir une certaine neutralité, une distance. Ça, c'est point important. Et donc, le confier à une autre équipe qui n'était pas impliquée dans l'aventure du donneur vivant. Et puis la deuxième chose, quand il est mort, ça a été immédiatement de faire même un communiqué de presse, une transparence, de publier le cas. Voilà, ça me paraît aussi fondamental. La transparence est un élément fondamental dans notre carrière. De publier ses résultats, donner exactement la réalité des choses, c'est aussi un devoir. C'est un devoir, c'est-à-dire on ne travaille pas que pour soi, on travaille et on doit, c'est un devoir de publier, de donner ses résultats, ne serait-ce pour le rendre à la société qui vous emploie. de le rendre à la population, et puis de le communiquer aux autres médecins, de façon à ce qu'ils puissent progresser aussi, si échec est succès.

  • Speaker #0

    On a parlé d'échec, votre plus grande fierté ?

  • Speaker #1

    Ma plus grande fierté, c'est d'avoir été professeur, d'avoir été chef de service, d'avoir été nommé la haute autorité de santé. Et puis je dois dire que je suis extrêmement fier d'être maintenant secrétaire adjoint de l'Académie de médecine. Je suis le premier chirurgien depuis 1800 à être nommé secrétaire adjoint. Donc les médecins ont pris un chirurgien. Bon, c'est vrai que je suis un peu médecin. Voilà, donc je travaille dans un cadre avec des gens... Toujours dans un grand élitisme, c'est assez exceptionnel, de toutes les spécialités. C'est absolument inouï, c'est absolument inouï de discuter avec les meilleurs hématologues, les meilleurs infectiologues, y compris même les meilleurs vétérinaires, les biologistes, au sein de l'Académie de médecine, de discuter des sujets. Et on en discute à un très haut niveau de réflexion. Et puis sans aucun corporatisme, ça c'est un point fondamental, ça tue le corporatisme.

  • Speaker #0

    Si on parle de corporatisme, ça a été un élément de difficulté pour arriver à dépasser les limites du secteur de la santé ?

  • Speaker #1

    Ah oui, pas facile de faire comprendre aux gens que la santé c'est pas le problème des médecins. La santé c'est pas le problème des médecins, c'est un problème... D'ailleurs, je n'ai jamais été partisan que ce soit un médecin qui soit ministre de la Santé. Moi, je pense que la gauche n'arrivera pas à revivre si elle ne comprend pas que la défense du service public, ce n'est pas forcément la défense des gens qui travaillent dans le service public. C'est une confusion. C'est pareil pour les médecins. La défense du... Tout mouvement dans un hôpital n'est pas sacré. C'est pas parce que telle catégorie se trouve un petit peu... n'est pas contente que ça doit être mis en avance. Ce qui compte, c'est l'hôpital au service. Hôpital ouvert jour et nuit. L'hôpital qui puisse accueillir des gens sans... Préalable financier, sans préalable. Voilà, ça me semble fondamental. Le corporatisme, c'est quelque chose d'insupportable.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce que vous attendez de la nouvelle génération qui arrive, avec tous les enjeux que vous nous avez cités dans cet entretien ? Qu'est-ce qui, pour vous, est clé de garder, de sauvegarder, de développer ?

  • Speaker #1

    J'attends qu'elle me démontre qu'elle est capable. Dans ce monde où finalement on a beaucoup l'impression qu'il y a de plus en plus d'individualisme, de volonté de préserver ce que l'on appelle un équilibre, j'attends qu'elle me démontre, et je crois qu'elle y arrivera, enfin il y aura une qualité, qu'elle me démontre sa capacité à prendre en charge. les souffrances, et notamment, et continuer à développer le service public. Voilà, ça c'est vraiment... Je n'ai pas la clé, je n'ai pas la solution, je ne sais pas. Heureusement que je ne suis pas en situation de responsabilité, parce que... Mais voilà, je crois qu'il y a de toute façon, il y a plein de jeunes... fantastique, peut-être la proportion un peu moins importante, mais elle me démontrera que c'est possible.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il y a des éléments en lien avec la formation, peut-être plus particulièrement des médecins, qui doivent évoluer pour répondre à ce que vous nous dites ?

  • Speaker #1

    Ça, c'est une vraie bataille. C'est ce qu'on appelle, quelle place doit-on avoir au tutorat ? L'apprentissage, le maître apprend à l'élève. Ça, il faut que ça s'arrête. C'est pas possible. On ne peut pas rester dans la relation de formation individuelle, le compagnonnage. C'est un élément... Je pense que là, c'est vraiment... Il faut tout faire pour dépasser le compagnonnage, c'est-à-dire qu'il faut institutionnaliser l'enseignement et donc le démocratiser. C'est un point important. Là, je vois très bien la simulation, les jumeaux numériques, les éléments comme ça. Très probablement, ça va permettre de passer, ça va former, ça va faciliter la formation. Tester, tester, faciliter la formation. On va sortir de la relation individuelle. C'est-à-dire que moi je pense que c'est un bon chirurgien, donc c'est en contradiction à ce que je vous disais peut-être tout à l'heure. Moi je pense que ce sera un bon chirurgien, moi je pense que c'est un type qui est à droit, moi je pense que c'est un type qui est courageux. Là on aura probablement des moyens un peu plus objectifs. Et donc, ça, ça peut rendre optimiste.

  • Speaker #0

    Pour finir notre entretien, on sera un peu moins sérieux. Est-ce que vous avez une anecdote à nous raconter ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne sais pas si elle est sérieuse. Malheureusement, elle est trop sérieuse. Je ne peux pas raconter une blague. Non, ce qui m'a le plus impressionné, c'est un malade que j'avais transplanté et qui me raconte avec son accent. Il avait été transplanté depuis quelques mois. Il traversait pour rentrer chez lui une voie ferrée. Un train passe à toute vitesse. Il me dit Oh là là, j'ai eu peur qu'on meure tous les deux. Je lui dis Mais qu'est-ce que... Ben oui, celui qui est en moi. Et donc, je trouve que c'est un... C'est quelque chose qui m'a bouleversé, c'est-à-dire que le transplanté se sentait associé au donneur qui était en lui. Ce n'était pas le cas. Ça m'a éclairé. Ce n'est pas le cas, tous les donneurs. Il y a eu des réflexions. Il y a Jean-Luc Nancy, qui était un philosophe, qui avait fait quelque chose sur les corps. Puis il y en a eu plein, mais qui ne pensaient jamais aux donneurs. Voilà, c'est une... On a failli mourir à deux.

  • Speaker #0

    C'est quoi la suite pour Jacques Belgitti ?

  • Speaker #1

    Je suis pour un certain temps encore à l'Académie de médecine. C'est une ouverture. C'est plein de nouveaux sujets. Essayer d'être au niveau. Ce qu'il faut, c'est à un moment donné, savoir quand est-ce qu'il faut s'arrêter. Est-ce qu'il faut s'arrêter pour faire autre chose ? Pour écrire ? Pour faire que de l'histoire ? Mais je ne sais pas. Pour le moment, je continue. Je continue à lire, à écrire et voilà.

  • Speaker #0

    Merci Jacques de nous avoir partagé toute votre passion et toute votre expérience.

  • Speaker #1

    Merci.

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