- Speaker #0
Ce qui est sidérant à la fin, c'est que ces transformations ne rendent pas les soignants heureux. Je ne sais pas si ça rend les patients heureux, quelquefois non, puisqu'ils attendent aux urgences et ils s'en plaignent, etc. Mais en tout cas, ce que je sens, c'est que tout cela n'a pas apporté de la satisfaction au travail pour les soignants.
- Speaker #1
Bonjour Jean-Patrick.
- Speaker #0
Bonjour Félix.
- Speaker #1
Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous raconter votre parcours professionnel ?
- Speaker #0
Je suis ingénieur, école des mines d'Alès en 1978, et j'ai commencé... diverses vicissitudes, mais comme ingénieur de maintenance pendant 15 ans dans les hôpitaux, à Paris, à Vienne, dans l'Isère. Et après, il m'est venu le goût de diriger et de m'occuper d'un hôpital. Donc j'ai eu le plaisir d'obtenir la direction de l'hôpital Louis-Mourier à Colombes, puis de l'hôpital Saint-Louis, à Paris toujours, et d'un quart de l'assistance publique Hôpitaux de Paris. Et pour retrouver le terrain, j'ai été recruté par le groupe hospitalier Paris Saint-Joseph dans le 14e arrondissement. Et j'ai exercé pendant 15 ans comme directeur général dans ce groupe.
- Speaker #1
Est-ce que vous pouvez nous donner le plus gros tournant de votre carrière ?
- Speaker #0
Alors le plus gros tournant... C'est passé au début. A la sortie de l'école, j'avais très envie de faire de la prospection pétrolière. J'ai un contrat d'Elfa-Kitten en poche, toujours gardé précieusement à la maison. Et le soir même de mon embauche, l'après-midi même de mon embauche, le médecin du travail, parce que j'ai une vue très mauvaise, refuse mon embauche. Et je me suis retrouvé débauché le jour où j'ai été embauché. Et ça a laissé passer d'autres opportunités pendant l'été. Et en octobre 1978, je me retrouve sans rien. Ma future épouse, travaillant à Paris, voit un jour des affiches disant que l'assistance publique recrutait des ingénieurs. Je passe le concours, je l'ai, me voilà arrivé comme ingénieur de maintenance à Cochin. Tout ça pour expliquer à ceux qui ont un plan de carrière qui peut être soumis à...
- Speaker #1
Vous n'étiez donc pas prédestiné au monde de la santé ?
- Speaker #0
Absolument pas. Et je n'avais quasiment jamais consulté dans un hôpital.
- Speaker #1
Dans quel type d'environnement vous avez grandi ?
- Speaker #0
Je suis provincial. J'ai grandi dans un petit village de la Nièvre, de 2000 habitants. Mes parents, mes grands-parents étaient modestes. et j'ai suivi l'école primaire, le collège dans mon village, le lycée à Nevers. Donc je suis d'une origine modeste, mais travailleuse.
- Speaker #1
Alors vous n'étiez pas destiné au monde de la santé, mais est-ce que vous pouvez nous dire ce que fait de travailler avec, pour finalité, le patient au bout de la démarche ?
- Speaker #0
Comme n'importe quel travail, il faut toujours savoir qu'elle est... Ça va peut-être énerver des personnes que je parle comme ça, mais il faut le prendre dans un vrai sens opérationnel. Quel est le produit que nous fabriquons ? Ça pourrait être des automobiles, des avions, etc. Chacun a leurs critères de sécurité, ainsi de suite, leurs critères de pertinence. Dans la santé, c'est le patient. Et nous ne pouvons que penser à cette finalité, nous tous, du brancardier au gardien à la barrière, en passant par le professeur d'université, l'infirmière, l'aide-soignante, etc., les personnels administratifs et les directeurs, nous ne pouvons avoir qu'une seule finalité, c'est le patient. Et quand nous en dévions, quelle qu'en soit la raison, Nous avons tort.
- Speaker #1
Est-ce que vous pouvez nous dire, pour vous, les plus gros changements qui ont eu lieu pour les patients durant votre expérience ?
- Speaker #0
D'abord, il faut rendre hommage à Bernard Kouchner et à ce qu'on appelle les lois Kouchner de 2002, qui affirment les droits des patients. Et c'était important. Ça a changé la transparence dans les dossiers médicaux, ça a changé les rapports. Quelquefois trop, à Saint-Joseph, on a même été obligé d'écrire quelque chose que j'appellerais les droits et les devoirs des patients et les droits et les devoirs des soignants. Mais il était essentiel que ces lois arrivent. Il était essentiel de remettre le patient au cœur de ce qui l'intéresse le plus, c'est-à-dire de sa santé. Et nous tous sommes autour. Pour donner l'image, les musiciens écrivent une partition, ils écrivent une mélodie, et tous les autres sont des arrangeurs de musique. Nous y mettons ce qu'il faut pour que cette mélodie prenne toute son ampleur.
- Speaker #1
Comment vous considérez avoir participé à la transformation du système de santé ?
- Speaker #0
Je n'ai quasiment toujours que travaillé au sein d'un hôpital, très fugacement au siège de l'assistance publique Hôpitaux de Paris. Donc je ne peux parler que de mon engagement de terrain. Si je prends un exemple... Quand j'arrive à Saint-Joseph avec un déficit de 28 millions d'euros et qu'on le transforme en résultat positif, d'ailleurs pour partie consacrée à de l'intéressement pour le personnel et pour une autre partie à améliorer les investissements, Je sais ça un résultat d'hôpital. Quand un résultat est positif, c'est surtout qu'il donne une perspective de pérennité et d'investissement. Je pense que quand on réussit une transformation qui passe d'un résultat qui met en péril une des institutions les plus importantes de Paris, aujourd'hui nous sommes le premier privé non lucratif de France. Eh bien, on transforme le système de santé parce que, justement, on redonne la pérennité à une institution. Et je crois qu'on a souvent tort de se demander ce qu'on ferait si on était ministre, on a souvent tort de se demander ce qu'on ferait si on n'était pas au poste où on est. La vraie transformation du système de santé est faite par chacun d'entre nous, au bénéfice du patient, au bénéfice de ses besoins. et au bénéfice de ce que peut supporter la collectivité nationale.
- Speaker #1
Qu'est-ce qui a le plus changé de votre point de vue ?
- Speaker #0
Le plus changé, c'est très difficile à dire, puisque tout a changé. Clairement, la médecine a fait d'immenses progrès, on n'a jamais soigné aussi bien. La pharmacie a aidé les dispositifs médicaux, l'imagerie, la biologie, tout ça, on n'a jamais été aussi performant depuis que l'humanité existe. Ça c'est une certitude. On n'a jamais non plus été aussi transparent et été aussi performant dans la traçabilité des dossiers. Beaucoup se plaignent des tâches administratives. Je peux les comprendre. Mais ces tâches administratives sont très souvent des tâches qui garantissent la sécurité. Et là, les systèmes d'information ont évidemment fait d'énormes progrès en parallèle. Vous voyez, que de transformations dans toutes ces années. Et ce qui est sidérant à la fin, c'est que ces transformations ne rendent pas les soignants heureux. Je ne sais pas si ça rend les patients heureux, quelquefois non, puisqu'ils attendent aux urgences et ils s'en plaignent, etc. Mais en tout cas, ce que je sens, c'est que tout cela n'a pas apporté de la satisfaction au travail pour les soignants. Ce qui donc est probablement une erreur de notre part. Et ce n'est pas une erreur que des gouvernements, c'est une erreur de chacun d'entre nous. Il me semble que la Covid a exacerbé cette difficulté d'être au travail. Je ne suis plus en charge d'une direction générale, mais je le serai. D'ailleurs, nous l'avons fait à Saint-Joseph en inventant les bulles du personnel, qui sont des espaces de repos, aménagés pour ça et reconnus pour ça. Nous devons améliorer la qualité de vie au travail parce qu'on ne peut pas avoir ces évolutions technologiques, ces évolutions en matière de traçabilité, tout ça avec des soignants malheureux de ce qu'ils font.
- Speaker #1
Vous pensez que c'était mieux avant et que le système a évolué dans un sens où les gens trouvent moins leur place ?
- Speaker #0
Je me suis toujours gardé de dire que les choses étaient mieux avant parce que je pense que c'est un syndrome. Le syndrome de personnes âgées, ce n'est pas grave d'ailleurs d'être un syndrome de personnes âgées, mais c'est presque pathologique de penser que c'était mieux avant. Quand on dit qu'on n'a jamais aussi bien soigné, on ne peut pas dire que c'était mieux avant. On ne peut pas dire que c'était mieux avant quand dans mon enfance j'avais des copains qui avaient de la plurimielite et en restaient handicapés, que les sanatoriums existaient avec la tuberculose, etc. Non, arrêtons, ça n'était pas mieux avant. Mais par contre, nous n'avons probablement pas su assez accompagner le mouvement et assez continuer à mettre les soignants au cœur de l'humain. Et l'humain, c'est le métier des soignants et ils en ont envie. Et avec toutes les tâches que le besoin impose. Eh bien, on ne les a probablement pas assez automatisés, assez accompagnés pour que les soignants retrouvent du temps.
- Speaker #1
Quand on parle de temps, est-ce que vous pensez que... Le temps pour avoir des résultats profonds de transformation et de changement compris par le terrain, à contrario des résultats immédiats qui sont souvent demandés à des postes de directeur général et à des postes de direction, comment vous percevez cette nécessité du temps long et comment vous avez fait pour le manager avec des transformations profondes sur lesquelles vous avez réussi à vous engager ?
- Speaker #0
J'ai d'abord quelquefois regretté de ne pas rester assez longtemps à des postes. Je suis nommé en juin 2000 à l'hôpital Louis-Maurier à Colombes. J'en repars parce que je suis nommé à Saint-Louis en mars 2003. J'ai juste le temps d'expliquer aux gens que j'arrive et que je fais un constat, de leur dire qu'on travaille sur le constat, de commencer à mettre des actions en place et de partir. Ce n'est pas très sérieux. Alors que c'est courant, et je pense qu'il pourrait être intéressant de proposer des temps plus longs au directeur d'établissement de santé. Je ne sais pas si passer 14 ans à la place de Saint-Joseph, c'est un temps trop long. Mais en tout cas, ce qui est certain, c'est qu'au bout d'un certain nombre d'années, sept ans peut-être, tout ce qui est positif au bilan vous appartient, tout ce qui est négatif vous appartient aussi. Et ça renforce, je pense, la conviction qu'on travaille pour quelque chose, ça renforce la confiance que les équipes ont en vous, en sachant que vous allez rester assez longtemps et que vous ne serez pas une étoile filante. que ceux qui pensent que c'est bien me pardonnent le terme, mais en tout cas ce n'est pas ma conception du management et de la direction d'hôpital que de rester trop peu de temps.
- Speaker #1
Alors vous avez réussi à motiver vos chefs de service médecins, vos directeurs, vos cadres de santé, pour s'inscrire dans la durée ? Vous avez un secret ?
- Speaker #0
D'abord les médecins s'inscrivent dans la durée. C'est très rare que les médecins ne s'inscrivent pas dans la durée, les chefs de service médicaux s'inscrivent dans la durée. C'est presque par construction. Et donc, c'est plutôt quand nous, nous sommes des apparitions fugaces, c'est plutôt là qu'on n'est pas dans le mode de pensée. Par contre, les infirmières, et surtout les infirmières, les aides-soignantes n'ont pas cette approche. Les infirmières restent souvent peu de temps dans des postes. Et là encore, c'est probablement parce que la pression est trop forte. Je ne pense pas qu'elles aient envie de changer pour changer. Je pense qu'elles ont besoin de changer d'univers pour changer de pression. et peut-être d'aller à un endroit où ils en auront moins, où leurs attentes seront mieux satisfaites, ce qui n'est d'ailleurs pas toujours le cas. Et donc, vous voyez, on a à travailler, non pas en général, mais par catégorie particulière, par service particulier. Et quand... la communauté, parce qu'à Saint-Joseph, il y a aussi des gens, y compris infirmières, qui ont fait toute leur carrière dans Saint-Joseph. Et quand les gens savent que vous inscrivez dans une durée, ils vous font plus facilement confiance, parce qu'ils sentent que les réformes que vous allez leur proposer, leur imposer quelquefois, sont des réformes durables. Et qu'elles ont peut-être une chance, si elles sont bien comprises, donc ça veut dire si vous vous êtes bien expliqués, et si vous avez assez écouté, qu'elles ont une... Une chance d'apporter du bénéfice. Pas toujours facile au départ.
- Speaker #1
J'ai eu l'opportunité de vous voir en tant que directeur général quand j'étais au groupe hospitalier Paris Saint-Joseph. Vous aviez un codire avec de nombreuses femmes. Vous avez nommé des chefs de service femmes. Est-ce que vous pouvez nous dire comment vous percevez l'évolution de la place des femmes et des hommes dans le monde de la santé, vous qui avez une longue carrière derrière vous ?
- Speaker #0
Heureusement, on s'est mis à nommer des femmes chefs de service parce que c'est quand même… C'est quand même étrange. Mais je ne suis pas de ceux qui relisent l'histoire avec l'œil d'aujourd'hui pour savoir si l'histoire d'il y a 30 ans était pertinente. L'histoire d'il y a 30 ans était pertinente avec les yeux d'il y a 30 ans. L'histoire d'aujourd'hui est pertinente avec les yeux d'aujourd'hui. Heureusement, on a donné une autre orientation à l'histoire. Dans un comité de direction... Donc partagé entre administratif et médecin, entre homme-femme, entre chirurgien-médecin, etc. Vous obtenez une pluralité, une diversité qui vous fait avancer. J'aime bien l'image du rugby, ou une citation qui disait au rugby, ceux qui jouent du piano et ceux qui les déménagent, c'est un petit peu comme ça dans un comité de direction. Et le top du comité de direction, c'est quand deux médecins ne sont pas d'accord entre eux, ou deux administratifs pas d'accord entre eux, alors que d'habitude le clivage il est plutôt médecin d'accord entre eux contre les administratifs ou inversement. Et là nous étions arrivés à ça, on faisait partie. du comité de direction de cet hôpital. Tous les sujets pouvaient y être abordés, et y étaient abordés. Et on ne disait pas, ce sujet-là appartient, que sais-je, au directeur des opérations, parce que c'est la blanchisserie, et puis c'est bien bon pour lui. Non, les médecins ont un avis sur ces sujets. Ils ont un avis parce qu'ils entendent ce qui se dit dans les services. et où ils le vivent. Donc c'est ça, une direction collégiale. Maintenant, quant à ceux qui disent qu'il faudrait être deux directeurs à la tête d'un hôpital, c'est méconnaître, et je vais rester très poli. Je vais continuer à dire que c'est méconnaître ce que c'est qu'une direction. Parce que ce qui distingue le directeur d'un établissement, c'est la responsabilité personnelle qu'il a sur la sécurité, notamment la responsabilité juridique. Elle ne se partage pas à la barre d'un tribunal. On ne peut pas dire qu'on était deux, c'est pour ça que c'était difficile, ainsi de suite. Ça ne tient pas. Donc, il faut un responsable et ce responsable doit avoir les clés. On n'a pas dit qu'il devait être idiot, on n'a pas dit qu'il devait être autiste. Le métier d'un directeur, c'est d'écouter, c'est de se faire son opinion, en fonction des objectifs qu'il a proposés à son conseil d'administration, etc. Se faire son opinion, et une fois l'opinion faite, qu'il sait les inconvénients qu'il va provoquer, les avantages qu'il va apporter, alors de décider parce que c'est son rôle. Mais surtout, le fait d'être seul à décider ne veut pas dire autocrate.
- Speaker #1
Qu'est-ce que pour vous un leader ?
- Speaker #0
Je viens de le décrire. Le leader, c'est d'abord quelqu'un qui sait écouter, qui sait expliquer ses choix sans les dénaturer. C'est très respecté, ça. Quand vous savez expliquer vos choix et que vous ne les dénaturez pas. Alors, qui sait expliquer ses choix et qui est... qui est une référence professionnelle. D'ailleurs, les médecins le savent bien. Être chef de service en n'étant pas le meilleur chirurgien du service, c'est quand même pas simple. Donc, qui sait être une référence professionnelle, c'est pour ça que je renvoie à la durée, et qui a fait ses preuves dans d'autres endroits. On ne doit pas, je pense, arriver trop jeune à la tête d'un établissement de santé. Quarantaine d'années, ça me paraît raisonnable, mais il faut avoir donné des preuves d'efficacité dans ses précédents postes.
- Speaker #1
Est-ce que vous vous considérez comme un leader ?
- Speaker #0
Je suis bien obligé d'entendre ce qu'on me dit. C'est d'ailleurs pas déplaisant. Mais derrière le terme de leader, il y a aussi tout ce que ça comporte, c'est-à-dire que ça entraîne une responsabilité. Vous devez aussi prendre soin de votre équipe. Le leader, c'est aussi prendre soin, c'est aussi prendre le temps d'écouter quelqu'un qui vous dit que pour l'instant, il a quelques soucis personnels et qu'il sera peut-être un peu moins présent dans les mois qui viennent parce qu'il a besoin de... de se retrouver dans sa vie perso, etc. C'est ça aussi être leader. C'est un peu vieux jeu ce que je dis, mais c'est aussi être un peu protecteur.
- Speaker #1
Vous avez été connu pour votre grande force de travail. Est-ce que vous pensez que ça a été une clé dans votre leadership ?
- Speaker #0
Je ne sais pas si c'est une clé dans mon leadership. En tout cas, c'est une nécessité pour moi. Quand vous ne voyez pas grand-chose, vous êtes sur les bancs de l'école. Quasiment, mais ça c'était pas conscient. Quand on est à l'école primaire, c'est pas conscient de travailler, c'est même plutôt d'aller jouer qui est conscient. J'avais une maman sur mes épaules, qui m'a jamais rien lâché, qui a jamais voulu rien entendre sur le fait que je voyais ou que je voyais pas. Mais vous êtes bien obligés de tout assimiler, puisque vous voyez rien au tableau. Donc, à la fin, vous finissez par reprendre ça comme une habitude. Et d'ailleurs, quelque chose de sidérant, C'est que dès que je prépare mal une réunion, dès que je prends les choses un petit peu par-dessus la jambe, ça se passe mal. Donc à la fin, vous vous dites, bon, j'ai pas le choix, il faut que je bosse, parce que sinon, ça va tout partir en quenouille, et donc vous bossez. Alors après, qu'est-ce que ça fait sur la vie personnelle, sur la vie de famille ? Probablement pas sans incidence. Des fois, vous vous dites, il faut que j'aille mettre des bouchons dans la coque parce que l'eau fuite partout. Mais ça pose aussi de la part de votre famille une certaine participation à l'œuvre. Le fait d'avoir été logé sur place presque tout le temps fait que ma famille, ma femme, mes filles… font partie des hôpitaux. Alors, je ne dis pas que c'est bien, je dis juste que c'est mon expérience.
- Speaker #1
Comment vous avez fait pour fédérer ces métiers si différents que peuvent être les médecins, les soignants et les administratifs, qui par ailleurs peuvent venir de tous bords et de tous types de formations ? Comment vous avez fait pour les fédérer et qu'ils s'entendent et qu'ils arrivent à construire ensemble un projet d'établissement ?
- Speaker #0
D'abord... Je crois qu'il faut leur dire, il faut leur faire comprendre. S'ils le veulent bien, ils reviendraient peut-être après. que l'on est en train de parler, je le redis, du but de tous, c'est-à-dire d'améliorer la santé des patients. Si jamais ils sentent que vous n'êtes là pour faire des résultats financiers, que sais-je, ça ne va pas marcher. Ça ne va pas marcher, ils ne vont juste pas adhérer et ils auront raison. Donc, si les services supports, que sont la logistique, que sont les finances, que sont... Contrôle de gestion, etc., la DRH, la Direction des ressources humaines, si les services supports sont pris pour des billes parce qu'ils travaillent pour les autres qui ont les métiers nobles, ça ne va pas marcher non plus. Donc, c'est comment, dans un groupe, vous faites une équipe, vous entretenez le sens du respect, mais il faut donc avoir à chaque fois que des bons pros. On ne respecte pas quelqu'un qui n'est pas un bon professionnel. C'est aussi dans le recrutement. Nous avons fait chaque année un séminaire stratégique. Au milieu, on faisait des séminaires d'équipe, justement pour se demander si on travaillait bien en comité de direction, etc. Des fois, on n'a pas été tendre vis-à-vis de moi, en disant que ça partait un peu, ça dérivait, je laissais trop la parole à certains, à certaines, etc. Il faut savoir entendre et recaler. Je pense que c'est d'abord de l'écoute et du sens. Et du sens. Alors, j'allais presque faire cette interview sans parler une fois de sens, alors que j'en parle 50 000 fois tous les jours. Donc, essayez de donner du sens et de faire en sorte que vous sentiez que ce sens est partagé par tous.
- Speaker #1
L'hôpital est un lieu avec des métiers extrêmement différents. L'organisation du brancardage, la cybersécurité, une intervention au bloc opératoire par un chirurgien. On parle de choses qui n'ont rien à voir les unes avec les autres. Comment vous avez réussi à veiller à la cohérence de toutes ces activités en simultané, leur fiabilité, leur sécurité, avec autant de sujets si différents.
- Speaker #0
Je suis un acharné des tableaux de bord et des objectifs. Déjà, nous créons... Chaque début d'année, nous créons pour le comité de direction notre corpus d'objectifs. Tout le monde sait où les autres vont. Je faisais référence à la musique. Clairement, une partition d'un violon n'est pas la même que la partition d'un hautbois. Mais simplement, ils savent qu'ils jouent le même morceau. C'est assez proche en définitive. C'est au départ un partage des objectifs, que chacun comprenne les objectifs de chacun, puisse les interroger. Après vous avez les comités de direction que j'organisais chaque semaine. Chaque hôpital a ses... on parle de mon exemple, je ne dis pas que c'est bien, c'est juste que c'est le mien. Comité de direction chaque semaine, je voyais régulièrement au mois d'août tous les chefs de service de l'hôpital de façon informelle, de façon informelle... Pendant une heure ou un peu plus, chaque mois d'août, on a le temps et tout, ça peut être sympa, un peu comme là, ça peut être sympa. Et puis, quand ils voulaient me voir pour expliciter quelque chose, plus les commissions médicales d'établissement où j'étais, où les autres médecins non chefs de service pouvaient s'exprimer, on laissait beaucoup de temps. C'est beaucoup de temps, mais c'est toujours du partage et de la transparence.
- Speaker #1
On a parlé de tous les mécanismes internes à l'hôpital, mais l'hôpital s'est ouvert vers un écosystème, vers des tutelles, vers la médecine de ville. Est-ce que vous pouvez nous dire également comment fédérer l'ensemble des acteurs, puisque l'hôpital ne peut pas vivre seul, reclus, et doit être inclus dans un maillage de territoires ?
- Speaker #0
Tous ceux qui se sont interrogés sur l'hôpital, et qui ont comparé des industries avec l'hôpital, des services publics, etc., ont conclu tous, tous, tous la même chose, c'est l'animal le plus complexe qui existe. Parce qu'en fait, c'est comme de l'hôtellerie. Mais les personnes qui sont dans les lits sont malades. C'est comme un avion, mais parce que... Sauf que là, personne ne connaît les destinations de chacun, mais ils sont dans le même avion. Donc, vous voyez, on pourrait décliner tout ça. C'est une industrie très technologique, avec la cybersécurité, vous l'avez citée, mais il y a aussi toutes les règles de confidentialité des dossiers, etc. Je pourrais ne pas s'arrêter là-dessus. Et ça, c'est la particularité de l'hôpital.
- Speaker #1
Je voudrais que vous puissiez nous parler du lien avec la médecine de ville et peut-être les associations de patients, parce que l'ouverture de l'hôpital vers l'extérieur est un enjeu aujourd'hui majeur. Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire ?
- Speaker #0
Fort heureusement, l'hôpital a compris qu'il fallait s'ouvrir sur le monde extérieur. Fort heureusement. Ce qui veut donc dire que les hospitaliers doivent intégrer... En fait, les besoins des patients quand ils ne sont pas à l'hôpital, et vous avez parlé des associations, les associations sont des acteurs clés, notamment pour ce qui est des maladies chroniques, dont fait partie le cancer. Alors, c'est arrivé petit à petit, ce n'est pas d'un seul coup arrivé en disant, tiens, 1er janvier 2015, ouverture sur la vie. Non, ça ne s'est pas passé comme ça. Et donc nous avons mis en place par exemple un comité de liaison avec la ville, ou sur les heures de midi par exemple à Saint-Joseph, des médecins, professionnels de santé, pharmaciens etc., militants, parce qu'il faut être militant pour quitter votre activité libérale pendant deux heures. Et venir parler avec les hospitaliers, c'est aussi pour eux, c'est nouveau, c'est pas nouveau que pour nous. Mais alors quelle richesse ! Quelle richesse ! Et au fond, vous vous rendez compte que ça simplifie l'exercice et surtout que ça simplifie la vie des patients. Quand on sort une liste de numéros qui répondent et que les professionnels de ville possèdent et qui savent que derrière le numéro de téléphone du service de pneumologie, il y aurait quelqu'un pour leur répondre, pour les conseiller et éventuellement pour dire oui, la patiente tu peux l'envoyer dès le matin, je la recevrai en consultation, vous vous rendez compte que ça change la vie de tout le monde. Tout le monde, bien sûr, c'est une contrainte en plus.
- Speaker #1
Vous êtes un des premiers directeurs à avoir créé une direction du parcours patient, avec des fonctions transverses pour coordonner l'ensemble des activités autour du patient. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi vous avez monté ce type de direction ?
- Speaker #0
J'en reviens à mon histoire de mélodie et d'arrangement. D'abord, le terme n'était pas choisi par hasard. C'est parce que... On sait qu'un hôpital sait faire de la médecine. Mais les patients ne ressentent pas que l'acte médical. D'ailleurs, je me demande si on n'a pas inventé le mot patient pour dire qu'il devait attendre. Je le pressens quelque part. Et quand vous collez à des patients deux attentes ou trois attentes avant de voir le médecin, ça finit par ne pas devenir sérieux. Et donc, il me semblait nécessaire d'avoir une direction qui soit en charge de la prise en charge en médecine. Je dirais coordonner la médecine pour la prise en charge. soit d'aussi bonne qualité que la médecine est censée l'être. Donc la direction du patient a ses fonctions de réduction des attentes, de suppression quelquefois des attentes. Nous avons créé par exemple, grâce à la direction du parconfassion, des bornes interactives qui sont à l'entrée de l'hôpital. Vous saisissez les trois premières lettres de votre nom, votre date de naissance, où vous insérez votre carte vitale. On vous demande si vous êtes bien M. Lajoncher, Jean-Patrick, date de naissance, vous répondez oui. On vous dit que vous avez une consultation ce matin à 8h20 avec le docteur un tel ou une telle, vous répondez oui, on vous sort un petit ticket où vous avez votre parcours pour aller jusqu'à votre consultation et vous n'attendez plus que dans l'attente du médecin. Vous n'avez pas attendu au borne et vous allez directement devant le médecin. C'est une réussite de la direction du parcours patient et il y en a bien d'autres que je pourrais citer.
- Speaker #1
C'est le parfait enchaînement avec comment vous avez réussi à parvenir à innover. à être le premier à développer certaines idées et à sortir des modèles existants. Comment vous avez réussi à faire ça ?
- Speaker #0
Vous proposez une pirouette. On réussit à innover quand on ne réfléchit pas. Si vous réfléchissez à tous les problèmes que vous allez avoir, si vous faites des choses innovantes, vous n'innovez pas. Donc, nous avons lancé à Saint-Joseph l'opération Zéro Papier. J'ai commencé le 25 août 2014 dans le pôle de médecine des spécialités médicales. Et que ce lundi ou mardi, je ne sais plus si c'était un lundi ou un mardi, Ne sont plus arrivés aucun dossier papier dans les boxes de consultation. Je dis bien aucun dossier papier dans les boxes de consultation. On avait numérisé tous les dossiers, on avait fait des bandes de numérisation, avec d'ailleurs des enfants du personnel, tous ados, qui étaient venus travailler pendant deux mois de vacances pour préparer ça. Les médecins n'étaient pas forcément préparés à l'utilisation du logiciel, certains étaient plus ou moins à l'aise avec la reconnaissance vocale, etc. Mais il a fallu plonger. Au printemps d'avant, on me disait à chaque semaine en comité de direction qu'il fallait reculer d'une semaine parce qu'on n'était pas encore prêt. À la fin, on a fini par choisir une date. C'est là où je dis qu'il ne faut pas trop réfléchir. Vous savez bien que ça risque de faire un être difficile. Mais il faut plonger. Mais en fait, le plus dur. Ce n'est pas tellement de l'ébule d'innovation. C'est que cette innovation ne revienne pas en arrière, parce que l'être humain a tendance à ramener un peu des choses innovantes là où il les avait trouvées avant qu'il y ait l'innovation. Et si justement vous n'avez pas vos critères d'évaluation, vos indicateurs qualité, etc., etc., et quantitatifs, et bien vous vous retrouvez trois mois ou quatre mois après avec une innovation qui a disparu sous plein de bonnes raisons, et surtout beaucoup de mauvaises, et vous vous retrouvez comme avant l'innovation. Donc par exemple pour Zéro Papier, il a fallu tenir. Je faisais une visite quelques mois après. ...après, probablement aux alentours du mois de décembre. Je ne sais plus quelle délégation de je ne sais plus quel pays. Et on va en cardiologie. Et il parle de ce zéro papier. Et il y a un des médecins qui dit, en me regardant, il y a encore beaucoup à faire, mais surtout, ne nous l'enlevez plus. Donc ça veut dire qu'en un peu plus de trois mois, on avait encore des progrès à faire. Des progrès d'ailleurs qui étaient tous extrêmement pragmatiques. On était capable d'éditer un compte-rendu avec la moitié d'un tableau de biologie sur une feuille et puis la moitié sur l'autre. Et bien, faire en sorte que tout ça s'édite sur la même feuille, Ça paraît peut-être pas grand-chose, mais c'était quand même un sacré challenge à chaque fois. Donc c'est tous ces détails qui ont rendu l'innovation pertinente. Donc l'innovation, oui, mais il faut qu'elle soit proche du terrain. Et la première fois que j'ai parlé de zéro papier, il y a un médecin qui m'a répondu, avant de faire tout ça, vous ne pourriez pas nous changer nos ordinateurs pour qu'ils aient un temps de réponse normal ? J'ai compris que si on n'avait pas réglé. tous les sujets qui étaient des irritants, avant de lancer la grande innovation, la grande innovation ne passerait pas.
- Speaker #1
On vous connaît beaucoup pour vos grandes réussites, vos grands succès. Moi, j'ai envie de vous demander, quel a été votre plus gros échec ?
- Speaker #0
Le 1er janvier 2020, l'hôpital Saint-Joseph intègre l'hôpital Marina de Longues. qui avait des difficultés financières dont beaucoup ne se rendaient pas compte, à Marianne-Longue, mais qui ne pouvait plus supporter longtemps des déficits récurrents, un hôpital en très mauvais état qui nécessitait une reconstruction, etc. L'hôpital ne pouvait plus vivre tout seul. Pour être clair, ça n'a fait plaisir à personne là-bas. Et j'ai essayé d'impliquer une méthode qui avait réussi à Louis-Montier, à Saint-Louis. Saint Joseph, à Marie-Alain, et ça n'a pas marché. Et ça n'a pas marché, donc j'ai probablement pas su comprendre, pas su m'expliquer, etc. Il faut partir du fait que c'est soi-même qui pose un problème, même si on n'est pas totalement persuadé. Mais partons de cette idée. J'ai dû adapter mon management, revenir un peu à des basiques qui ne m'étaient pas familiers. Par exemple, dire que ce sera juste comme ça, puisque ça ne sert à rien d'en débattre, et que vous me dites que c'est au directeur de décider, il va décider, puisque vous ne souhaitez pas améliorer vous-même la décision. Donc ça, ça a été quelque chose qui m'a tracassé, qui me tracasse encore, en me demandant qu'est-ce que j'ai raté pour que ce soit un peu autrement. Ce qui ne nous a d'ailleurs rien empêché de faire, c'est aussi une grande leçon. On a fait aussi zéro papillomarien long, on a aussi restructuré le parcours patient. Tout le monde trouvait normal que les patients attendent à 8h du matin, tous en redonnant dans une salle d'attente, alors qu'on avait fait les bornes à Saint-Joseph. On a réussi, on a regroupé la biologie, on a réussi à faire des transformations quand même. Même si je ne suis pas complètement satisfait de la forme à laquelle on les a faits.
- Speaker #1
Il y a des moments où vous vous êtes senti seul ?
- Speaker #0
De base, un directeur, c'est toujours seul. C'est fait pour ça. Donc oui, ça arrive souvent. Mais par contre, il y a des moments où je me suis senti très entouré. Et ces moments, par exemple, c'était le lundi soir du comité de direction. Même quand il y avait des débats, même quand c'était un peu chaud, j'ai toujours senti un gros appui du comité de direction, et très très souvent, je rentrais chez moi, 21h, 21h30, alors tout le monde savait, d'ailleurs, dans les familles, que le lundi soir, il fallait compter sur personne du comité de direction. Mais très souvent, je suis rentré très heureux, parce que... Partant sur tel sujet d'un point A, je pensais qu'on irait à un point B. Ce n'était pas exactement le point B où on est arrivé. C'est presque le point B. Mais surtout, on a amélioré le parcours, on a amélioré la forme. Et ça, c'est fantastique. Donc, vous êtes seul par construction. Mais si vous êtes seul et soutenu, ce n'est pas la même chose.
- Speaker #1
Et donc, votre plus grosse fierté ?
- Speaker #0
J'ai du mal à parler de fierté. Ma plus grosse satisfaction, c'est avant le Covid. Les années 2017-18-19 de Saint-Joseph, qui étaient des années où on permettait de beaux investissements, où on était un des hôpitaux les plus enviés par les confrères de nos chefs de service, etc. C'est aussi que certains chefs de service non universitaires et présidés des sociétés savantes, grâce à la réputation, à la leur bien sûr, mais aussi grâce à la réputation de l'établissement. et organiser des réunions de leur société savante à Saint-Joseph. Tout ça, ça a été pour moi une grande satisfaction. Mais une grande satisfaction parce que je sentais qu'on vibrait à l'unisson. Alors évidemment, j'ai plein de détracteurs à l'intérieur de l'hôpital et je dirais heureusement, parce que sinon il y aurait quelque chose qui cloche. Mais ça a été et ça reste encore une grande satisfaction personnelle.
- Speaker #1
En quoi votre carrière a-t-elle contribué à votre bien-être personnel ?
- Speaker #0
Il me semble que... Qu'il est difficile, qu'un des deux côtés, alors je suis d'une génération où le travail est important, où souvent on le faisait passer devant la vie de famille, ça ne sera peut-être pas audible par nos auditeurs justement. Mais moi je suis pour essayer d'harmoniser les deux systèmes. Il y a une interface, il faut un peu parler de sa vie personnelle au travail, il faut un peu parler de son travail dans la vie personnelle. Mais il faut garder les deux en équilibre. Quand l'un des deux cloche, ça rejaillit sur l'autre monde, je dirais, fatalement.
- Speaker #1
Les clés de motivation pour garder un rythme élevé sur la longueur, avec ce que demande comme effort le fait d'être directeur général ? Alors,
- Speaker #0
on pourrait poser cette question aux médecins. Je trouve ça incroyablement contraignant, mais sur mon poil bon mot, mais exigeant. Quand vous êtes médecin, quand vous êtes chirurgien, parlons pour le grand public des chirurgiens, ce n'est pas parce que pendant 15 ans vous avez correctement opéré, vous avez eu des réussites, vous êtes un des meilleurs chirurgiens de la place de Paris, que vous ne pouvez pas rater votre prochaine intervention. Le passé ne justifie rien pour les médecins. Il ne peut rien justifier pour ceux qui travaillent dans un hôpital non plus, parce que pourquoi est-ce qu'on serait moins exigeant avec... Directeur, que sais-je, tel ou tel personnel de l'hôpital, qu'on l'ait avec un chirurgien. Je l'ai souvent, quand j'étais ingénieur, expliqué à mes services techniques, en disant arrêtez de considérer que vous pouvez faire des conneries, est-ce que si un chirurgien vous donne cette explication, pour vous ou pour quelqu'un de votre famille, vous allez admettre l'explication ? Non, bien sûr. Eh bien, nous travaillons pour eux. Et donc nous devons avoir le même niveau d'exigence et je pense que c'est ça qui doit nous inspirer. Nous ne pouvons pas avoir un niveau d'exigence comme directeur qui soit plus bas que celui que nous demandons à un chirurgien ou à un médecin.
- Speaker #1
Est-ce que vous avez des clés sur le physique, le mental, l'émotionnel qui vous ont permis de... de continuer à être performant toutes ces années ?
- Speaker #0
Je crois que je ne lâche jamais rien. Mais il faut le trouver dans ma cour d'école primaire. Je ne pouvais rien lâcher. Donc, ce n'est pas réfléchi. Mais je pense que je ne lâche jamais rien. Mais j'essaie aussi d'être gentil. Et j'ai toujours essayé, quand j'étais extrêmement exigeant, pour moi, pour les autres, d'être aussi gentil qu'exigeant. C'est-à-dire exigeant, mais pas insensible. Mais enfin voilà, si ça se trouve, c'est pas du tout ce qu'on ressent.
- Speaker #1
Est-ce que vous avez dû faire des sacrifices ?
- Speaker #0
Oui, on en fait toujours des sacrifices, et j'en ai probablement fait. J'espère que j'en ai pas trop demandé à ma famille. À la fin, à 68 ans, ce truc dont je suis capable de... Ce dont je suis capable de parler, c'est que je ne sais pas trop faire grand chose d'autre que travailler. Donc c'est probablement un sacrifice, parce que, à part voyager... Quand vous m'expliquez que je vais mettre le pied dans un avion, là vous savez que je suis vraiment en état de béatitude extrême. Donc j'adore voyager, mais je n'ai pas tellement de hobby à part les voyages. Donc c'est probablement que j'ai fait des sacrifices, c'est-à-dire que je n'ai pas eu tant que ça de vie ludique en dehors.
- Speaker #1
Qu'est-ce qui a guidé vos choix ?
- Speaker #0
Je ne réfléchis jamais. et quand je choisis. Ça, c'est un principe de base, parce que j'estime qu'on ne peut raisonnablement réfléchir que quand on a toutes les données d'un problème. Or, quand vous choisissez entre deux options, par exemple, prendre un travail A, un travail B, ou quitter votre travail pour en prendre un autre, vous ne savez absolument pas ce qui se passera dès la première minute après votre choix. ou alors dès la première minute si vous aviez fait le choix inverse. Donc pourquoi réfléchir sur qu'est-ce que ça va apporter dans 5 ans, dans 10 ans, etc. puisque la vie fera autre chose. Donc il faut réfléchir avec les données que vous avez, et puis faire confiance à votre instinct. Et ça, je n'ai jamais réfléchi pour un choix de poste.
- Speaker #1
Les niveaux de rémunération ont une importance dans vos choix ?
- Speaker #0
Le niveau de rémunération a une importance pour moi. S'il ne me permet pas d'avoir la vie personnelle que j'ai envie d'avoir et de donner à ma famille le bien-être que nous estimons en famille, dont nous estimons en famille avoir besoin. Et c'est ça mon propos le plus fort par rapport à ma rémunération. Je pense quand même que si vous êtes dans les critères de rémunération de telle ou telle profession, si vous demandez plus, c'est que quelque chose cloche. et quelque chose cloche dans votre vie personnelle, dans votre vie professionnelle et à la fin, vous finissez à venir pour ce que je m'emmerde au travail, autant que je sois bien payé Mais si vous n'êtes pas dans un travail mal organisé, avec des managers difficiles, etc., généralement, nous tous, nous contentons de ce que la moyenne, la médiane, le corpus de la profession offre. offre à ses salariés.
- Speaker #1
Est-ce que vous avez eu un mentor pendant votre carrière ?
- Speaker #0
J'en ai eu tout au début. Un grand monsieur, directeur de la Pitié-Salpêtrière, M. Jean Francky. Alors qu'il voyait un jeune ingénieur de 23 ans et demi arriver, c'est pris, je pense, un peu d'amitié pour moi. Et lors des réunions de chantier auxquelles il participait systématiquement, il permettait d'assister aux entrevues qu'il avait avec les chefs de service. Et ça m'a beaucoup apporté. Vous savez que plus on est jeune, plus les anciens qui vous entourent ont un impact sur vous. Et là, ce monsieur a eu un énorme impact sur moi.
- Speaker #1
Vous êtes aujourd'hui un mentor ?
- Speaker #0
Peut-être, sûrement même. Mais d'ailleurs, je pense qu'un bon mentor ne se comporte pas comme tel. Il essaye plutôt... Non pas... Quand on donne des conseils, il faut faire attention, parce que c'est juste des conseils, mais qui ne s'appliquent peut-être pas à la lettre. Donc il faut donner. Quand je vous pose des questions, il faut donner des ouvertures, il faut donner des pistes, mais il faut s'en arrêter là.
- Speaker #1
Comment pensez-vous que le monde de la santé va évoluer dans les prochaines années ? Quelle est votre vision sur les dix prochaines années ?
- Speaker #0
Les sociétés occidentales ont déjà à faire face et continueront à avoir à faire face aux défis économiques. Au défi économique, comment est-ce qu'elles vont arriver à embarquer l'industrie du médicament dans cette logique, je n'en sais rien. Comment est-ce qu'on évitera la paupérisation ? Vous voyez bien qu'on a encore beaucoup de problèmes à régler pour le grand H par exemple, qui ne sont pas que des problèmes de santé, qui sont des problèmes de prise en charge. Donc la société va être aux prises à ces difficultés-là. Je pense que nous avons à... Au niveau des hôpitaux, on a encore progressé sur ménager nos dépenses, ménager nos énergies. Il faut pour cela aussi que les professionnels, que sont les médecins, arrivent à organiser la délégation de tâches. Il faut que ce soit plutôt des groupes de professionnels qui organisent des prises en charge, que des médecins d'à côté, etc. Mais le défi majeur va être le défi économique pour garantir le haut niveau de santé auquel nous sommes parvenus. Après, pessimisme, optimisme, c'est une vision du monde. Je pense qu'on a toujours réussi à franchir ces défis ou d'autres défis dans le passé. et qu'on arrivera aussi à franchir celui-là.
- Speaker #1
Et vous attendez quelque chose de particulier de la nouvelle génération qui va arriver en poste ou qui est déjà en action aujourd'hui ?
- Speaker #0
Je pense plutôt que c'est à la nouvelle génération d'attendre quelque chose d'elle-même. Et ce que j'aimerais qu'ils se fassent comme idée, c'est l'idée de métiers au pluriel qui sont de beaux métiers. C'est très sympa de fabriquer des télés, mais ça n'a pas le même sens. Donc ce sont de beaux métiers. Pour le coup, ce sont de beaux métiers, c'est à la nouvelle génération peut-être de corriger nos défauts, il y en aura d'autres, mais peut-être de corriger nos défauts, c'est-à-dire de renvoyer du bien-être au travail, c'est d'y trouver elle-même du bien-être au travail. Peut-être un petit peu de changer de paradigme, ne pas tomber dans notre excès où on ne comptait pas nos heures. Et j'en tire pas fierté, mais c'était vrai. Mais peut-être aussi se dire que le curseur vie de famille, vie professionnelle, peut être variable, et en tout cas dans le temps, et le respecter. Mais surtout, surtout de se consacrer aux patients, parce que les patients sont toujours plus mal que nous, même quand on se plaint.
- Speaker #1
Est-ce que la formation des professionnels de santé... doit pour vous évoluer ?
- Speaker #0
La formation évolue toujours. Donc oui, elle va évoluer. Ce que j'aimerais, moi, c'est que la formation de tous les professionnels de santé fasse. Je vais être, j'espère bien m'expliquer, face à un tout petit peu moins rêvé dans les écoles pour que l'écart ne soit pas trop important entre l'école et la vraie vie. Parce que la vraie vie, c'est la vraie vie. Et quand on enseigne quelque chose qui ne soit pas exactement conforme à la vraie vie, au fond, ce n'est pas la faute à la vraie vie. C'est plutôt parce que l'enseignement doit être plus proche de la vie réelle. Et je crois que le gap est trop important. Quand les jeunes... On veut un enseignement et qu'ils arrivent dans la vie réelle, le câble est tellement important que ça fait une énorme désillusion. Et donc il faut... Plus accordé d'importance, encore au stage, mais peut-être moins cocooné, si on fait attention à mon terme, c'est-à-dire un petit peu plus en vie réelle, un tout petit peu moins protégé, je dirais, parce qu'il faut qu'on commence à percevoir ce qui va se passer une fois qu'on aura le diplôme.
- Speaker #1
On est bientôt à la fin de notre entretien. Nous avons été très sérieux. Est-ce que vous avez une anecdote à nous raconter ?
- Speaker #0
J'étais à l'hôpital Saint-Louis, un hôpital construit par Henri IV, 1607, et on avait 12 monuments historiques à l'intérieur, dont la salle de garde. Et dans les combles de la salle de garde, il y avait... D'abord, il y avait des chambres de la salle de garde dont on ne savait pas exactement qui les occupait, et en plus, après, il y avait des combles dans lesquelles nous n'étions pas allés depuis quelque temps. On me dit qu'il y a des sous-locations organisées par l'économe des internes en salle de garde, on est en 2003-2004, donc il y a prescription maintenant. Donc je décide d'y mettre bon ordre, je vois l'économe, je lui explique que ça suffit maintenant, et qu'en fait on va... Ne garder que les internes de l'hôpital qui occupent des chambres de la salle de garde. Il m'explique qu'il n'y en a plus. Donc je lui demande de faire libérer les salles de garde. Et puis on y est arrivé, on mûre les portes, etc. Mais on se rend compte qu'il reste encore une vie dans les combles. Et là, en y allant, il y avait un clochard qui s'était installé et qui accumulait des fripes, des choses comme ça, etc. Il s'était organisé une vie très sympa. Et alors, surtout, il avait fait des branchements pirates électriques, il avait un réchaud à gaz, etc. Et quand on s'est rendu compte... Que ça aurait pu faire que le réchauffé à gaz tombe sur les fripes et mette donc le feu au monument historique qui était la salle de garde. Vous voyez un petit peu la tête qu'on a pu avoir. Voilà, c'est de la vie hospitalière.
- Speaker #1
Jean-Patrick, c'est quoi pour vous la suite ?
- Speaker #0
La suite, c'est espérer que Dieu me prête vie assez longtemps pour finir la direction de... de la construction du nouvel hôpital Marianne-Longue qui est prévu pour la fin de l'année 2025. Cette construction m'occupe quelques jours par semaine, me renvoie à mon métier d'ingénieur. J'espère y apporter mes 45 ans de connaissances hospitalières. Nous en sommes actuellement au rez-de-chaussée, on commence cette semaine les façades. Et c'est un très très très grand plaisir de voir ce modelé sous mes yeux, un hôpital avec une maîtrise d'ouvrage très performante, une maîtrise d'oeuvre aussi des entreprises, avec encore des habitudes du bâtiment qui restent des habitudes du bâtiment. Donc là aussi il pourrait y avoir des anecdotes et c'est ça, j'espère qu'il va m'occuper. quelque chose qui me tient un peu à cœur, c'est organiser un jumeau numérique de l'hôpital pour essayer de mieux anticiper l'organisation. Et ça devrait m'occuper un petit peu encore.
- Speaker #1
Merci beaucoup Jean-Patrick pour votre partage si riche de votre expérience.
- Speaker #0
Merci beaucoup à vous. Merci Félix.