- Speaker #0
Et donc, être la chef pendant autant d'années, ça ne vous a pas usé ?
- Speaker #1
Pas du tout. C'est bien plus reposant que d'être infirmière. Alors là, je peux vous le dire. Vous savez, physiquement, c'est un métier difficile. Être soignante, infirmière, c'est difficile, c'est un métier difficile. Vous en portez des charges, vous en faites des kilomètres, vous vous levez tôt, vous... Donc c'est beaucoup plus facile. Alors, quand j'étais surveillante générale cadre sup', c'est vrai qu'en plus j'étais en REA, enfin bon... Mais c'était tellement passionnant. J'avais une telle équipe, les filles étaient tellement bien, nos médecins étaient tellement bien, franchement. Le cœur... Qu'à la limite, j'ai pas envie de partir en vacances, soigne.
- Speaker #0
Bonjour, je suis Félix Mamoudi, fondateur de Leader for Health. Bienvenue dans notre podcast Raison d'être, le podcast qui réunit les leaders du monde de la santé d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Aujourd'hui, nous accueillons Mme Michèle Bressan, ancienne directrice des soins de l'assistante publique des hôpitaux de Paris et protectrice du corps infirmier. Bonjour Michel.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Bienvenue à vous. Je vais commencer par vous demander de nous raconter votre carrière professionnelle.
- Speaker #1
Bon alors on va aller très vite. Je suis infirmière. J'ai été diplômée en 1968 par hasard. Infirmière par hasard. Je ne connaissais pas du tout le milieu, personne dans ma famille n'est. Donc je suis devenue infirmière parce que j'ai loupé quelque chose au lycée et puis comme infirmière ça m'a tout de suite plu. J'ai choisi l'assistance publique comme école et ensuite je suis devenue cadre infirmier, cadre, on disait surveillante générale à l'époque, cadre supérieur infirmier. Puis je suis allée, j'ai la chance de travailler dans un grand hôpital qui était l'assistance publique et donc j'ai bénéficié d'une formation professionnelle à Dauphine pour une maîtrise de gestion. Et ensuite j'ai passé un concours d'infirmière générale. J'étais infirmière générale et là j'ai eu la chance de rencontrer des infirmières générales, des anciennes, mais qui tenaient la route. Et puis, on nous a changé de titre, on nous a appelé directeur de soins, j'étais pas du tout d'accord, mais enfin bon. Infirmière générale, on voit ce que ça veut dire, directeur de soins, on sait plus, mais enfin bon, bref. Et puis ensuite, j'ai été directrice des soins dans plusieurs hôpitaux de l'assistance publique. Et puis, à la suite de cela, j'ai été nommée conseiller général des établissements, puis j'ai passé le concours de l'IGAS et j'ai terminé inspectrice générale des affaires sociales. J'ai terminé ma carrière à 65 ans, parce que c'est beaucoup plus facile de travailler dans un bureau que de travailler à l'hôpital, donc j'ai pu tenir jusqu'à 65 ans. Et puis, entre-temps, quand même, il faut savoir que j'ai eu cette carrière-là, c'est ma carrière où j'ai gagné ma vie, et où j'ai pris vraiment beaucoup de plaisir à travailler dans ce monde-là. Mais parallèlement... J'ai tout à fait par hasard, je ne savais même pas que ça existait, j'ai été appelée dans le cabinet d'un ministre, qui était Bruno Durieux, chargé des professions paramédicales, et là j'ai appris énormément de choses, notamment à comprendre d'où ça venait. Et j'ai été nommée, et juste avant en fait, il m'a trouvée, parce que j'étais membre du comité national d'éthique. Parce que j'ai été nommée au comité national d'éthique, à l'époque c'était le professeur Jean Bernard. que je ne connaissais pas, mais ses infirmières lui avaient dit de me voir et il avait demandé à ce que je sois nommée au comité national d'éthique. Donc j'étais la première infirmière au comité national d'éthique, après il y en a une autre qui a été nommée, qui était Dominique Frérignes. J'ai été dans un cabinet ministériel. Voilà, donc j'ai eu une carrière assez remplie et très intéressante. Très, très intéressante. Et puis en même temps que ça, j'ai fait un petit peu de syndicat. J'ai fait un peu de... Je vivais dans mon quartier, puisque j'ai toujours habité Paris. Donc je vivais dans mon quartier, j'avais une vie intense de quartier, si je puis dire, dans les associations, les parents d'élèves, et le catéchisme.
- Speaker #0
Quel a été le plus gros tournant de votre carrière ?
- Speaker #1
Le plus gros tournant de ma carrière, c'est lorsque j'ai compris que je voulais devenir cadre infirmier. C'est la plus jolie et la plus intéressante place à l'hôpital. Et 4Sup, puisqu'on dit 4 supérieurs aujourd'hui, surveillante générale en fait, c'était l'époque. Franchement, c'est le meilleur poste que j'ai eu et ça a été vraiment pour moi un déclic énorme. Un déclic énorme. Et ça m'a énormément plu.
- Speaker #0
Vous aviez envie de manager, d'être à la tête d'une équipe de soins ?
- Speaker #1
C'est pas comme ça en fait. C'est pas pour ça que ça m'a plu. Ça m'a plu parce que j'étais libre. de pouvoir faire des choses qui étaient plutôt dans l'administration, la gestion, de participer à des réunions avec le corps médical, beaucoup plus intéressantes que simplement les voir arriver, bonjour, rien, tout à fait. Et puis... Quand il fallait, j'étais au charbon, je descendais, j'étais dans l'unité de soins, il m'est arrivé de remplacer, ça fâchait tout le monde, mais moi j'adorais ça. De temps en temps, je remplaçais une infirmière pour savoir exactement comme ça je tenais bien l'unité de soins, ça m'a énormément plu. C'est vraiment un poste formidable. On peut voir, on voit nos patients, on peut choisir ce qu'on veut voir et on peut toujours dire, alors je ne peux pas, je suis occupée. C'est vraiment, et puis on a vraiment un impact. Je dis toujours qu'en matière de management, je leur disais, avec les filles quand on travaillait, quand j'étais directrice de soins, je leur disais, moi je suis dans la navette spatiale, donc je vois la Terre, je peux voir arriver les nuages. Il y en a d'autres qui sont dans un Boeing, donc déjà, ils voient moins loin, ils peuvent moins prévoir la météo. Le cadre infirmier d'unité de soins, de chef d'équipe, lui, il est dans son ULM. Et la cadre supérieure, elle est dans son hélicoptère, elle peut se poser partout, elle voit les choses. Mais par contre, ce n'est pas elle qui creuse le sillon. Mais bon, on voit si les sillons sont droits ou pas droits quand même quand on est dans un hélicoptère. Et donc, je leur disais tout le temps, on n'a pas la même vision des choses, donc c'est normal qu'on n'ait pas la même façon de les résoudre. Et je crois que quand celui qui est dans l'hélicoptère explique à celui qui est dans l'ULM pourquoi il réagit comme ça, quand celui qui est dans la navette spatiale explique à celui qui est dans l'hélicoptère pourquoi il va y avoir ce problème, si on se prend le temps de se parler, je suis persuadée que ça marche mieux.
- Speaker #0
On va faire un petit retour en arrière. Est-ce que vous pouvez nous dire dans quel type d'environnement vous avez grandi ?
- Speaker #1
Alors, mon père était garagiste. Donc, il avait un gros truc. Il y avait 60 compagnons, tout ça, donc c'était franchement un chef d'équipe. C'était un maquisard, un ancien maquisard, engagé volontaire, ma mère, même genre de personne. Je sais travailler en équipe parce que nous sommes cinq enfants, donc quatre frères et sœurs. Nous avons toujours vécu à Paris. Et nous sommes parisiens, ils étaient parisiens, mes parents, bref, voilà. J'ai vécu dans une famille qu'on disait nombreuse, heureuse, où on nous disait qu'on était beau, qu'on était intelligent, et qu'on était... voilà. Donc j'ai vécu dans un environnement parisien.
- Speaker #0
Est-ce que le monde de la santé et le fait de travailler pour les patients a eu un impact majeur dans votre carrière ?
- Speaker #1
Le service qui a eu le plus d'impact ? Sur ma façon de voir les choses vis-à-vis des malades, parce que moi je ne dis pas patient, je dis malade, je suis désolée, je dis malade ou bénéficiaire, comme vous voulez. C'est parce que j'ai travaillé dans un service de rang artificiel, à l'époque où il n'y avait pas beaucoup de place en hémodialyse, et où on formait des patients pour la dialyse à domicile. Et vraiment, là on avait vraiment le temps de les connaître, vraiment le temps de... Parce que quand vous formez quelqu'un, quand vous êtes en pratique d'enseignement en fait, et ça, ça a eu un impact parce que je me suis rendu compte qu'en fait... On n'a jamais le temps de bien connaître la personne qui est en face de soi à l'hôpital, et en ce moment c'est pire. Mais quand on se voit à plus long terme, on finit par se connaître et se pardonner les petites erreurs, à s'apprécier. Et c'est vraiment le service qui m'a le plus changé par rapport à ma façon de voir les choses.
- Speaker #0
Est-ce qu'il y a eu beaucoup de changements pour les patients pendant votre parcours ?
- Speaker #1
Oui, en mieux je trouve. Parce que d'abord on a commencé, parce que quand j'ai commencé, franchement, l'opinion des malades, même s'il y a toujours des personnes qui prennent soin, qui se préoccupent, tandis que c'est jamais en général, mais c'était pas pris en compte comme on le prend en compte. Les malades étaient beaucoup moins exigeants, quoi qu'on en pense, mais moi je trouve ça très bien qu'ils soient exigeants, ça nous oblige à nous bouger. Donc, enfin, quelquefois, il faudrait leur faire comprendre, mais... Je trouve qu'ils sont plus exigeants. Je trouve que ne serait-ce que les locaux, tout s'est amélioré. Oui, il y a eu un changement.
- Speaker #0
Et alors si on continue sur le changement et qu'on regarde de manière plus générale, qu'est-ce qui a le plus changé à l'hôpital ?
- Speaker #1
Ce qui a le plus changé, c'est l'intensification de l'activité. Tout va très vite. Et ça, du coup, on ne prend plus le temps, je pense, vraiment de réfléchir. Ou alors il faut vraiment le prendre sur son temps.
- Speaker #0
Vous avez connu, je pense, la position de la femme dans cet hôpital avec le corps soignant qui est principalement celui des femmes.
- Speaker #1
C'est dans le changement du système. Le système de santé, il y a le côté financier. C'est vrai que le principe... Je laisse ça au gestionnaire, il vous expliquera ça beaucoup mieux que moi. Même si j'ai toujours pensé qu'on était passé de l'activité à l'activisme, mais enfin bon, c'est une chose. Mais c'est normal que l'hôpital... L'hôpital, c'est un concentré, je le disais, c'est un concentré d'humanité. Donc c'est normal que la société influence l'hôpital. L'hôpital n'influence pas la société, mais par contre, la société influence l'hôpital. Qu'est-ce que c'est l'hôpital ? Ce sont les patients, comme vous dites, les malades, les gens qui viennent en consultation, ce ne sont plus les mêmes. Donc c'est normal que nous changions aussi. Le personnel, c'est plus le même. Les médecins sont terriblement féminisés. Je parle de l'hôpital. Les infirmiers se masculinisent. Nous restons beaucoup plus longtemps, quand je prends ma profession, la profession d'infirmière, on reste beaucoup plus longtemps à l'hôpital ou en clinique. On pratique beaucoup plus longtemps son métier qu'on ne le pratiquait à mon époque, en 72. Donc, quatre ans après mon diplôme, j'ai été appelée à participer à une espèce de sondage, ou je ne sais pas quoi, enfin un truc de la paix, parce que la durée moyenne de contrat avec l'hôpital était de deux ans et demi pour une infirmière. Vous vous rendez compte ? En 1993 ou 1992, je crois que c'était huit ans et demi, en comptant l'encadrement. Donc moi j'ai commencé, des femmes mariées avec enfants, qui faisaient toute leur carrière à l'hôpital, c'était excessivement rare. Et c'était le tonneau, les infirmières ça a toujours été le tonneau des Danaïdes, on en forme, on en forme, elles sont bonnes, elles sont non. Donc le personnel a changé, je parle des infirmières, mais c'est pareil pour les kinés, les kinés ont pris beaucoup plus d'importance, parce que les changements de pratiques, tous les paramédicaux, les techniques ont changé. Grâce aux avancées de la biologie, de la physique, de la chimie, la médecine change. C'est normal que ça évolue, que l'hôpital il évolue avec la société. Et nous les femmes, eh bien, un, on travaille avec des enfants, chose qui se faisait très peu aux deuxièmes enfants à mon époque. Je crois qu'on parlait avec une de mes amies qui était aussi devenue directrice des soins et avec qui j'étais à l'école d'infirmière, et nous étions les deux seules de la promo à être encore au travail. Vous voyez ? C'est pas beaucoup. Donc, c'est vrai qu'on s'arrêtait de travailler. Le salaire de la femme était un salaire d'appoint. Aujourd'hui, c'est leur principal salaire. C'est plus du tout la même. Et c'est normal. Et ça, il faut en tenir compte. Il faut en tenir compte. Et puis, il y avait des tas de choses qu'on ne savait pas. On était beaucoup moins bien formés au départ. Moi, les trois quarts de la promo n'avaient pas leur bac. Qu'est-ce que je dis, les trois quarts ? 90%. Tout le monde venait de province, elle remplissait les internats. C'était pas du tout la même chose. On se défendait beaucoup moins bien. On ne nous apprenait rien à l'école. On nous apprenait de la médecine, de la chirurgie, et on ne nous expliquait pas comment marchait la santé. On ne nous disait même pas ce que c'était la sécurité sociale. On ne nous expliquait pas comment marchaient les instances de l'hôpital. Il faut aller à l'école de cadre pour apprendre ça. Mais quand j'étais jeune infirmière, je ne savais même pas qu'il y avait un comité technique, un... Vous savez rien de tout ça.
- Speaker #0
Dit comme ça, on dirait pas que c'était beaucoup mieux avant.
- Speaker #1
C'était bien moins bien. Alors là, je vous assure, alors là, s'il y a une chose que je veux dire à tout le monde, C'était beaucoup moins bien. Alors, ce n'est pas si loin que ça, les années 80. On n'avait pas de matériel à usage unique, ou alors on avait les aiguilles avec une garde américaine et les seringues avec une garde française. Il fallait les connecter avec un truc. On n'avait pas les mêmes... Alors, l'informatique, on la critique beaucoup, mais ça simplifie quand même pas mal de choses. On courait partout, on écrivait nos étiquettes à la main. Les chambres, l'hôpital, même les locaux. Il faut revoir ce que c'était dans les années 70. Il y avait encore des salles communes. Alors on les boxait pour être gentils. Je ne vous parle pas des longs séjours où les personnes âgées étaient dans des salles communes de 40, 50 personnes. C'était horrible. Donc c'était horrible. J'ai failli... J'ai failli partir, moi, quand j'étais étudiante en soins infirmiers. Je suis rentrée un jour chez moi et mes enseignantes ont appelé ma mère pour lui dire il ne faut pas qu'elle s'en aille, il ne faut pas qu'elle s'en aille C'était horrible ! Non, il ne faut pas dire que ce n'était pas bien. C'était mieux avant, ce n'est pas vrai. Les médecins, ils étaient beaucoup moins nombreux. Bon, aujourd'hui, un PH, il a neuf semaines de vacances à l'hôpital. A l'époque les pauvres on les pressurait, c'était... Non, je pense que... Bon c'est normal de se plaindre parce que c'est pas bien, il faut aller mieux, il faut se plaindre pour que ça aille mieux, il faut manifester pour que ça aille mieux, c'est pas à moi qu'on va dire ça. Je suis d'accord, il faut continuer à exiger. Mais il ne faut pas dire que c'était mieux avant.
- Speaker #0
Vous avez connu l'arrivée du diplôme d'infirmière d'État ? Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
- Speaker #1
Ah non, je ne l'ai pas connu, c'était quand même avant. Oh, je suis vieille, mais pas à ce point-là. Ah non ! Non, moi, ce que j'ai connu, c'est la loi de 78, qui a été le changement de la définition de l'infirmière. Le diplôme d'État existait. Il y avait même un diplôme de psychiatrie qui était un diplôme d'école. Ça, ça a été supprimé en 1993. Mais en 1978, la définition de l'infirmière a changé. Avant, elle était infirmière, toute personne à qui le médecin confiait des responsabilités. Et à partir de 1978, il est dit que c'est en fonction du diplôme qui liabilite que l'on est infirmière. Donc ça devient un titre. D'ailleurs, quand vous prenez les pays anglo-saxons, vous remarquerez que les infirmières, elles se présentent comme nurse machin nurse Bressan Un peu comme on dit docteur Bressan si j'étais docteur. Eh bien, elles disent infirmière Bressan Vous voyez ? On donne son titre et pas son grade. C'est une petite différence. Donc ça, ça a été vraiment le changement. Et en 1981, donc découlant de cette loi de 78, on a eu la première écriture du décret de compétence. C'est ce que j'ai appelé en France un système de professionnalisation de la profession. Dans les écoles, nos enseignantes ont changé, elles ont commencé à expliquer cela. Certaines, une proportion, pas tout le monde parce que c'est toujours comme ça, mais certaines se sont intéressées à comment on évoluait et la profession a évolué beaucoup plus vite.
- Speaker #0
Est-ce que vous avez vécu durant votre carrière des problématiques de manque de moyens, financiers ou humains ?
- Speaker #1
Financiers, moi je touchais... Par contre, quand on manquait de matériel ou quand on me demandait de stériliser... Oui, j'ai connu ça, je voulais même vous dire quelque chose. J'ai travaillé en réa, j'ai fait des services un peu dynamiques. Et quand on me demandait... De faire restériliser des sondes qui avaient été utilisées et que cette stérilisation était quand même... Eh bien, je crevais les ballonnettes et sondes, ça s'appelait des soins de Gans, pour qu'elles ne soient plus opérationnelles. Bon, il faut dire que j'ai eu une hépatite virale, j'ai failli en mourir, je l'ai attrapée à l'hôpital. Et j'avais très peur de ça, bon, moi je l'avais eu, ça y était, mais j'avais très peur de ça aussi pour les autres. Et là, il y avait des médecins qui se battaient aussi pour ça. Donc ça, c'est ce qu'on appelle un manque de moyens financiers, parce que le gestionnaire qui nous demandait ça... Il le demandait, il ne savait même pas que ça existait ça, parce que ça coûtait cher. Et donc je peux comprendre, mais oui, donc j'ai connu. J'ai connu l'époque où chaque aide-soignante, chaque infirmière, chaque père professionnel prenait du matériel quand il y en avait, le planquait dans son vestiaire pour être sûr d'en avoir à la fin du mois. Bon, bien sûr qu'on a connu ça. J'ai connu l'époque où il fallait rendre, quand on cassait un thermomètre, il fallait rendre. La barre du thermomètre pour bien prouver qu'on ne l'avait pas volé, comme si on allait voler 25. J'ai connu des trucs aberrants. Certains trucs aberrants étaient dus au fait que c'était vraiment dans un souci d'avoir les moyens. Et puis d'autres trucs étaient aberrants parce que dans notre hiérarchie, certains ne font pas confiance.
- Speaker #0
Et les manques de moyens humains ?
- Speaker #1
Tout le temps. Tout le temps, tout le temps, tout le temps, je vous dis, j'ai remplacé des infirmières, il y avait des faisans-fonctions, tout le temps. Il y a même eu un moment donné, j'ai fait une campagne, la directrice générale de la paix, qui était madame Van der Berghe, m'a confié la campagne de recrutement des infirmières. On les logeait, on leur remboursait leurs frais de voyage si elles venaient de province pour prendre un poste chez nous. Enfin, j'ai toujours connu... Toujours connue, toujours connue, je n'ai pas connu une année où on n'avait pas des difficultés de recrutement, au moins dans les trois mois qui précédaient la sortie du diplôme. Toujours, toujours. En plus, les difficultés de recrutement, elles sont accentuées par le turnover. Ça, c'est un truc, le turnover, c'est un vrai... c'est un fan, comment s'appellent les fans en anglais ? C'est vraiment ça, ça tourne de plus en plus vite, c'est une hélice qui tourne, qui tourne, qui tourne. Le turnover, je change d'équipe entre le matin ou l'après-midi, ou la nuit. Je change de service, tout ça au sein du même hôpital. Alors, ça n'est pas enregistré, ça, mais c'est quand même du turnover pour le service. Je change d'hôpital. Je change de région, de ville, de région. Donc, ça s'accélère, ça s'accélère. Donc, ce que l'on voit... au ministère, parce que je l'ai vu au ministère quand même, sur le fait qu'il y ait des infirmières ou d'autres paramédicaux qui s'en aillent, ça n'est que l'infime partie de ce que l'on vit sur le terrain dans une équipe. Parce que dans une équipe... Sur dix infirmières, il y en a deux qui vont peut-être nous faire un bébé, donc ça c'est hyper chouette, mais il va bien falloir, ça fait quand même... Il y en a deux qui vont demander à changer de service, donc ce turnover il est accéléré.
- Speaker #0
Ça veut dire que la crise des soignants c'est finalement pas nouveau ?
- Speaker #1
Ah ben non, non. Ce qui est nouveau, c'est que je trouve que là cette année j'ai constaté qu'on a invisibilisé... Le manque d'infirmières. Je parle de la télévision, des journaux. Et cette année, on disait on manque des soignants Comme ça, on met tout le monde dans le même panier, n'est-ce pas ? Et comme on ne dit plus un médecin, on dit un professionnel de santé. Moi, j'aime bien quand on donne les choses qui parlent aux... Quand je dis je préfère infirmière générale parce qu'au moins, le maladie, c'est que c'est un général qui est infirmier. Vous voyez ? Et j'aime bien les choses qui sont claires. Et je trouve qu'on a invisibilisé le fait qu'on manquait d'infirmières. Alors là, on le dit maintenant depuis quelques mois, mais depuis un an et demi, deux ans, on ne le disait pas. On disait beaucoup qu'on manquait de médecins. On en manque. C'est dans certains hôpitaux, dans certains endroits, certainement. C'est vrai. Pas partout. Mais on les invisibilise. Et ça, c'est mauvais signe. Qu'est-ce qui,
- Speaker #0
pour vous, est un leader ?
- Speaker #1
Pour moi, un leader, c'est quelqu'un avec qui je prendrais Monte Cassino. C'est-à-dire, je ne cherche pas à savoir vraiment d'où il vient. Je cherche à avoir suffisamment confiance en lui. pour prendre Monte Cassino. Donc il faut que je le reconnaisse professionnellement, parce que si je pense qu'il ne sait pas faire ce que je sais faire, il ne sera jamais mon leader. Jamais. Il faut que j'ai confiance en lui, sur le fait qu'il va me protéger, enfin me protéger, ce n'est peut-être pas le bon mot, mais qu'il ne va pas me faire faire n'importe quoi vraiment. Et que ce pourquoi il me fait marcher ou monter la colline, ça vaut le coup.
- Speaker #0
Vous avez été cette personne-là ?
- Speaker #1
Je ne sais pas si je l'ai été, il faut demander aux autres, mais j'ai essayé de l'être.
- Speaker #0
Dans ce que j'entends, vous parlez aussi de légitimité par le travail, quand vous dites j'ai besoin, chez un leader, de reconnaître sa capacité à faire et à comprendre Oui. Vous pouvez nous en dire plus ?
- Speaker #1
Ce que j'ai trouvé à l'hôpital, dans leurs organisations, et je l'ai vécu, c'est qu'il y a de plus en plus d'inspecteurs des travaux finis. Un bon directeur d'hôpital. C'est un directeur d'hôpital qui garde ses problèmes, qui les résout, et qui ne nous donne à nous que nos problèmes. Mais qui ne nous confie pas ses problèmes. C'est son problème, si je puis dire, il se le garde et il le gère. Pour moi, c'est ça un bon directeur d'hôpital. C'est également quelqu'un qui me fait confiance. et qui sait, mais qui me dit clairement les choses. Et quand ce n'est pas possible, il m'explique pourquoi. Un grand chef de service, ce n'est pas simplement parce qu'il a écrit beaucoup d'articles. c'est quelqu'un qui se préoccupe de nous, qui nous connaît, qui ne parle pas de nous sans savoir nos prénoms, nous, non. Je me souviendrai toujours d'une émission de télévision où il y avait un grand chirurgien cardiaque qui était formidable, sur le plateau. Et il y a une fille qui a levé la main dans le public. C'était une de ses infirmières de nuit. Quelle crise de rigolade ! Donc vous voyez, c'est ça pour moi. Donc en fait, un leader pour moi c'est quelqu'un que je reconnais professionnellement et qui me fait confiance et à qui je fais confiance. Mais on peut ne pas être d'accord. Et puis moi je suis là, à partir du moment où je décide de le suivre, je le suis. Mais parce que j'ai confiance. Même si je dois arriver morte en haut de mon décasino. Ce n'est pas grave. Ce n'est pas grave, puisque je l'ai décidé.
- Speaker #0
Notre secteur est rempli de professionnels très différents, des médecins, des soignants, des administratifs. Comment vous avez fait pour arriver à les faire travailler ensemble et à les faire collaborer ?
- Speaker #1
Moi, je n'ai rien fait. Ce sont eux qui m'ont fait collaborer avec eux. Moi j'ai un... Par principe, je crois que les gens veulent réussir. Il n'y a personne qui arrive le matin en disant je vais tout bousiller, je vais les enquiquiner Non, ce n'est pas vrai. Donc, en plus, quand on prend le temps de se connaître, finalement, on s'apprécie plus ou moins quand même, on s'apprécie un peu. Et ce n'est pas moi, en fait, qui les ai fait collaborer. Ce sont eux qui étaient d'accord pour que je collabore avec eux ou pour collaborer avec moi. Mais je n'ai pas la volonté de les faire collaborer. Par contre, j'avais la volonté d'aller leur dire ce que tu fais est complètement idiot ou ce que tu fais m'ennuie ou est-ce que ce que je vais faire, c'est bien quand même ? Et puis quelquefois j'ai fait des choses et ils sont venus me dire vraiment tu n'aurais pas dû. Et bien je recule. Vous voyez ? Par contre j'ai travaillé avec une équipe. Et quand j'étais directrice des soins, puisqu'on dit ça comme ça, j'avais un alter ego. Vous voyez ? Et on se remplaçait, on travaillait ensemble. Et ce qu'on a décidé tous les deux dès le départ... C'est quand il y a une décision à prendre, si je dois dire non, je le dis tout seul, je t'en parle après. Mais si je dois dire oui, je dis je réfléchis, je t'en parle avant. Parce que si j'ai dit non, c'est beaucoup plus facile d'aller dire oui après que d'aller dire non quand on a dit oui. Et ça, quand on est vraiment en collaboration, il y a des choses qu'il faut faire. Il y a un respect quand même de... de l'importance de l'autre.
- Speaker #0
Le corps infirmier n'est pas le corps le plus bavard de l'hôpital, ce n'est pas forcément celui à qui on donne le plus la parole. Et dans ce que vous racontez, vous avez aussi pu prendre position dans des discussions avec les médecins, avec l'administration. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire là-dessus ?
- Speaker #1
Le corps infirmier est très bavard. Détrompez-vous. Il n'est pas bavard officiellement, mais il est très bavard. A votre avis, comment moi, directrice des soins d'un gros hôpital, je pouvais, dans certaines réunions, intervenir ? et dire des choses. Comment il savait que je savais ? Qui me l'avait dit ? Les aides-soignantes, les infirmières, les agents, ils sont très bavards. Pas officiellement, mais très bavards. Il y avait un jour un chef de service que j'aimais beaucoup et qui m'avait connu cadre infirmier et peut-être même m'avait-il connu infirmière lorsqu'il était interne. Je ne m'en souvenais pas de lui, mais peut-être même. J'ai rencontré avant, et un jour, il m'a... Il y a un de ses confrères, un médecin, qui me dit, vous savez, il m'a l'impression, on discutait avec... Bref, et il a dit, méfiez-vous, je ne sais pas comment elle fait, mais elle sait tout ce qui se passe. Parce que le corps infirmier et le corps aide-soignant est très bavard.
- Speaker #0
Et alors vous aviez des astuces pour garder les pieds sur terre et pour garder le lien avec...
- Speaker #1
Oh, alors déjà, une de mes astuces, qui n'était pas une astuce, c'est que j'avais la chance d'être... Terriblement aidé à la maison et donc c'est vrai que c'est pas bien et ce serait aujourd'hui je le ferais plus. Mais j'avais tendance à être beaucoup beaucoup là, d'accord ? Même peut-être un peu trop, je pense. Mais enfin mes enfants ne s'en plaignent pas et mon mari ne s'en plaignait pas non plus. Mais c'est vrai que j'étais beaucoup là. Lorsque je prenais un poste, Parce que j'ai changé de poste. C'est ça qui est formidable, l'infirmière. C'est que si vraiment vous trouvez que ça ne prend pas une bonne tournure, soit vous décidez d'essayer. Soit vous essayez que ça aille mieux, soit vous changez de service. Si celui qui prend le service ne vous plaît pas, vous pouvez partir, prenez votre sac, vous partez, vous avez du boulot partout. Vous pouvez même partir à l'étranger. On n'est pas bloqué dans un poste, nous. Déjà, je me promenais dans le service ou dans l'hôpital quelques quinzaines de jours avant pour voir sans être vu. J'adorais même... à la sortie d'un hôpital et à regarder les gens qui sortaient. Et puis quand je le prenais, j'ai fait... Je ne l'ai pas toujours fait, mais je l'ai fait plusieurs fois. S'il y avait un cadre... Quand j'étais infirmière générale, pas quand j'étais surveillante générale, mais quand j'étais infirmière générale... Parce que surveillante générale, pour besoin, vous êtes sur le terrain. Avant qu'ils nous fassent l'épaule à la gomme, là, mais bon. Et ce que je faisais, c'est que je repérais un... Un cadre infirmier qui avait de la bouteille, qui connaissait bien tout ça, qui avait bonne réputation par rapport à ce que j'avais entendu.
- Speaker #0
Je me renseignais un peu et je lui demandais d'être mon coach. Je suis sûre que c'est ça que vous voulez que je vous dise. Je lui demandais d'être mon coach, c'est-à-dire quand vraiment je n'étais pas bien, quand je ne savais pas ce que j'avais, ou que j'avais un doute ou quelque chose, je venais chez elle. où elle venait chez moi prendre un café, c'est-à-dire dans nos bureaux, et je lui expliquais le truc et elle me faisait réfléchir. Et ça, ça m'a beaucoup aidée. Alors au bout d'un an et demi, deux ans, j'en avais moins besoin. Mais au début, c'est hyper important.
- Speaker #1
Est-ce que vous avez eu des moments de doute durant votre carrière ?
- Speaker #0
Oui. Quand j'étais jeune infirmière, oui. Vous savez, on a tous nos cimetières. Nous autres, ceux qui sont au chevet des malades. J'en ai eu quand j'étais étudiante, enfin quand on disait élève à l'époque, élève infirmière. J'en ai eu un gros puisque je voulais quitter, je voulais arrêter. Et puis j'en ai eu un gros aussi quand j'étais jeune infirmière, oui. Et puis quand j'étais surveillante en réa aussi, j'en ai eu un ou deux. Mais ces doutes-là, je les ai eus parce que... Parce qu'en fait, je savais quelque chose, nous savions quelque chose et on se taisait. On n'avait pas le droit de dire. On m'a même fait déchirer un rapport, moi, à la demande du chef de service et du directeur, pour un truc que je n'ai toujours pas digéré. Donc... C'est pour ça que ce que j'appelle les inspecteurs de travaux finis, ils m'énervent. Mais je suis assez contente qu'ils soient là par moment. Parce qu'on déclare les événements indésirables aujourd'hui. A l'époque, on ne le déclarait pas. Quand on dit que c'était mieux avant, est-ce que c'était mieux avant de cacher les choses ?
- Speaker #1
Comment vous avez avancé par rapport à ces doutes, par rapport à des fois ces envies de tout quitter ? Parce que c'est des métiers qui... Moi,
- Speaker #0
j'ai eu une chance formidable. Lorsque j'ai rencontré mon mari, celui qui est devenu mon mari, il savait que j'étais un peu tonique et que je voulais travailler. Et il m'a énormément aidé. Quand j'avais un doute, ou même quand je n'avais pas de doute, je lui parlais de l'hôpital la longueur de journée. Donc ça m'a énormément aidé.
- Speaker #1
Votre plus grosse fierté ?
- Speaker #0
Ma plus grosse fierté ? Je me trouve fière de plein de choses. Ah si, quand j'ai été nommée au Comité national d'éthique, je dois dire que là j'étais très fière, parce que je ne connaissais pas le professeur Jean Bernard, et il m'a invité à venir le voir, c'était quelqu'un, et en fait il m'a dit, ce sont les infirmières et les cadres de mon service, et les surveillantes de mon service qui m'ont donné votre nom, je veux vous rencontrer. pour me faire nommer au comité national d'éthique. Et ça, je dois dire que j'ai été drôlement fière. Fière d'être au comité national d'éthique, même si j'avais très peur, mais fière que les films aient donné mon nom.
- Speaker #1
Est-ce que votre carrière a contribué à votre bien-être personnel ?
- Speaker #0
Ah ça, je suis sûre que oui. Ceci dit, je pense que j'aurais été prof d'histoire géo, j'aurais adoré. Je pense que... J'aurais adoré être commerçante, j'aurais adoré être petite main et première main chez les grands couturiers, je crois que j'aurais tout aimé. Je crois que j'aurais tout aimé parce que en fait, moins que ça, ça m'aurait certainement moins enrichie que l'hôpital, j'en suis sûre. Enfin sur le plan intellectuel et spirituel si je puis dire, sur le plan financier j'aurais peut-être été enrichie. Mais parce que l'hôpital ne m'a pas enrichie, non. Mais j'aurais été passionnée quand même, je pense, ça ne m'aurait plus quand même. Oui, oui, ça m'aurait plu quand même. Parce que je pense qu'en fait, quand on est bien dans sa vie, c'est plus facile d'être bien dans son métier.
- Speaker #1
Vous parlez de passion et de rythme de travail très élevé.
- Speaker #0
Très élevé. Vous savez, je dis tout le temps que j'aime pas quand les infirmières en bonne santé se plaignent alors que ces pauvres malades ne peuvent rien dire, vous voyez. Donc, j'avais une bonne santé, j'étais jeune, j'ai de l'air. Bon, voilà.
- Speaker #1
Vous vous êtes pas posé la question ?
- Speaker #0
Non. Je n'ai jamais eu le sentiment de travailler énormément. Et puis quand je travaillais trop, je le disais.
- Speaker #1
Et donc être la chef pendant autant d'années, ça ne vous a pas usé ?
- Speaker #0
Pas du tout. C'est bien plus reposant que d'être infirmière. Alors là, je peux vous le dire. Vous savez, physiquement, c'est un métier. Difficile, être soignante, infirmière. C'est difficile, c'est un métier difficile. Vous en portez des charges, vous en faites des kilomètres, vous vous levez tôt, vous... Donc c'est beaucoup plus facile. Alors, quand j'étais... je surveillais en général le cadre sup', c'est vrai qu'en plus j'étais en REAR, enfin bon... Mais c'était tellement passionnant, j'avais une telle équipe, les filles étaient tellement bien, nos médecins étaient tellement bien, franchement, qu'à la limite j'ai eu envie de partir en vacances.
- Speaker #1
Vous avez eu un mentor ?
- Speaker #0
Sur le plan purement intellectuel, oui. Dans ma profession. Oui, Marie-Claude Beaujon, que je vois toujours d'ailleurs. Et... Et Jeanne Giray, qui était ma première surveillante générale, ça m'a marquée, je vais vous dire. Jeanne Giray, j'étais jeune infirmière d'après-midi. Alors à l'époque, une infirmière d'après-midi, elle avait 35 malades, une seule aide-soignante, elle servait les repas et elle faisait la vaisselle. On est d'accord ? A l'époque, on n'avait pas les ordinateurs, mais on remplissait des tonnes de pancartes avec des couleurs bleues, des couleurs rouges, des couleurs vertes, qui ne servaient à rien du tout. Et alors, quand on me dit qu'on a la paperasserie, on écrivait les étiquettes à la main, enfin bref. Mais par contre, comme on était d'après-midi, on était moins importante que celle du matin, vous voyez. C'était vraiment très particulier. Et cette surveillante générale, elle nous a dit qu'on pouvait écrire. Elle nous a dit, vous avez le droit d'écrire, c'est mieux que de le dire, parce que ça reste. Et je vous jure que c'est resté dans ma tête. Parce que moi, s'il y a une chose que j'ai faite, contrairement, je pense à beaucoup de mes consoeurs et de mes collègues, c'est que moi, je savais écrire. Et que je savais faire un rapport, je savais faire un courrier, et en plus j'osais.
- Speaker #1
Et vous avez été mentor vous-même ?
- Speaker #0
Ah ben j'ai un fan club ! Elle s'appelle le fan club. Alors je ne sais pas si j'ai été mentor. Bien qu'un jour j'ai lu dans un article, il n'y a pas très longtemps, j'ai lu dans un article de la presse infirmière, un de mes anciens collègues qui me citait, comme mentor si je puis dire, comme exemple, donc je vais dire mentor, vous dites mentor c'est plus chic, mais en fait bon, j'ai entretenu de bonnes relations avec beaucoup de gens, et j'ai entretenu de bonnes relations avec beaucoup de gestionnaires, de directeurs, de trucs que j'adore. Que j'adore, et puis j'ai plein de potes médecins, enfin bref, quand vous avez travaillé longtemps, que les gens vous ont apprécié, que vous les avez appréciés, ben voilà. Quand on a été bien dans son métier, on garde quand même quelques amitiés, non ?
- Speaker #1
Comment pensez-vous que le monde de la santé va évoluer dans les prochaines années ? Qu'est-ce qui, pour vous, est marquant ?
- Speaker #0
Comment évoluer ? Je ne sais pas trop. Ce que j'aimerais, c'est que sur le plan médiatique, on parle un peu moins des problèmes de financement et un peu plus des problèmes de pratique. Parce que là, tout ce qui ressort et tout ce que l'on voit... Tout le monde parle des problèmes de financement parce que, à mon avis, c'est ce qu'il y a de plus facile à dire. Tout le monde se prend pour un gestionnaire. Aujourd'hui, tout le monde est gestionnaire. Donc, c'est terrible. Mais ça, j'aimerais bien qu'on parle un peu plus des problèmes de pratique. Je ne sais pas comment il va évoluer, mais je pense qu'il ne peut qu'évoluer en bien. Parce que je n'ai jamais vu... Si notre société continue à être à peu près correcte, je n'ai jamais vu... On ne recule jamais, quand vous regardez bien. On ne recule jamais. Ça va toujours de mieux en mieux. Aujourd'hui, on diagnostique, même si la prévention ne marche pas bien, mais quand même, la prévention, c'est autre chose qu'il y a 30 ans. Les cancers du sein, la prévention des cancers du sein, c'est vrai qu'elle n'est pas faite à 100%, c'est vrai qu'il faut râler, qu'il faut que ça continue. Enfin, il n'y a pas de comparaison. Moi, je pense que ça va bien évoluer. Franchement, je pense que ça va bien évoluer. Le système de financement, j'en sais rien, mais je laisse ça aux autres, mais je pense que ça va bien évoluer parce que je vois pas pourquoi les professionnels de santé seraient moins bons et moins sympas et moins efficaces. Je vois pas pourquoi, d'un seul coup, ils se mettraient à dégringoler alors qu'ils ont toujours monté en compétences. Je vois pas pourquoi. Donc je me dis, ça peut qu'évoluer en bien.
- Speaker #1
Qu'est-ce que vous attendez de la jeune génération ?
- Speaker #0
Qu'elle se laisse pas faire. qu'elle ne se laisse pas faire. Qu'elle ne se laisse pas faire et qu'elle ne se contente pas de répéter ou de décrire ce qu'elle voit. Qu'elles cherchent, qu'elles se forment, qu'elles s'informent, qu'elles essaient de comprendre. C'est ça que j'attendais, qu'elles soient plus intellectuelles que nous ne l'avons été. Et j'attendais, alors évidemment on vous dira, vous entendez, toutes mes copines là me disent, tu sais Michel, tu dis ça mais franchement les jeunes diplômés elles ne savent rien. Je ne dis plus rien puisque ce n'est pas moi qui suis au boulot. Mais ce que je sais c'est que quand je suis sortie de l'école je ne savais rien. Je ne savais rien. Mais ma première semaine, je pleurais. Je partais très en retard. Je pleurais parce que je n'y arrivais pas. Non, elles ne sont pas plus mauvaises que nous. Par contre, elles sont plus exigeantes. Et ça, il faut qu'elles continuent. Les femmes sont plus exigeantes.
- Speaker #1
Est-ce que vous pensez que la formation des infirmières doit changer ?
- Speaker #0
Là, elle a beaucoup changé. Donc, je ne sais pas du tout, je ne peux pas vous dire, parce qu'en fait, elle a beaucoup évolué depuis dix ans. Il y a longtemps que je n'ai pas regardé le programme. Donc, je ne peux pas vous dire. De toute façon, elle doit changer, puisque tout doit évoluer. Donc de toute façon une formation si elle ne change pas, c'est qu'elle est arrêtée, donc elle changera. Voilà, mais je ne sais pas comment. Alors là je ne sais pas du tout comment. Par contre je crois terriblement aux compagnies à nage. Nous sommes des métiers où il faut avoir une sorte d'apprentissage. Vous savez, plus vous faites un geste, plus vous faites quelque chose. C'est pour ça que sur l'avenir, mon dada c'est de dire... Il faut protéger. les professionnels. Il faut se préoccuper d'eux. Parce que plus on a de l'expérience, meilleur on est. En plus, si on nous forme et qu'on nous apporte un peu de théorie en plus, au fur et à mesure que ça évolue, c'est quand même dommage de se priver de toute cette expérience, de toute cette compétence, parce que les gens nous quittent. Ça, je ne comprends pas. En plus, on nous demande de partir à la retraite à 65 ans, peut-être un jour à 70 ans. Ce sont des métiers difficiles physiquement. Il faut protéger physiquement. Il faut se préoccuper de l'avenir du professionnel, pas de la jeune. Parce que vous avez remarqué, on dit toujours Ah ! Ça se dit un peu moins, mais quand même. Ah, elle est bien ma petite infirmière. Moi, je fais 1m70. C'était plus grande que la plupart du monde là autour. Donc, on croit toujours que c'est une jeune. Et on montre d'ailleurs toujours, et puis les médias en plus font ça. Vous voyez rarement dans un film une vieille infirmière. un peu revêche. Donc, en fait, mais moi je dis que on va tous travailler plus longtemps, enfin, ils vont, elles vont travailler plus longtemps. Donc nous devons nous préoccuper, absolument, de les maintenir et de faire en sorte qu'elles soient en santé pour pouvoir... travailler tout le temps qui sera nécessaire. Et ça, je trouve qu'on ne fait pas assez. On parle de prévention, vous avez des tas de gens qui passent à la télévision pour dire Oui, la prévention est très mal faite, on a des grands docteurs qui nous expliquent tout ça, mais la prévention de notre personnel, on fait une prévention pour eux. Où sont les programmes de prévention sur les risques professionnels ? On a quelques bons rapports, mais on ne fait rien.
- Speaker #1
Et alors protéger le corps de ces infirmières, ça consisterait en quoi ?
- Speaker #0
Les infirmières ou les aides-soignantes ou les agents hospitaliers, mais à la limite les logisticiens, ceux qui sont dans les magasins, qui portent et tout. Aujourd'hui, regardez, la médecine elle évolue grâce à la technique, c'est vrai. Mais nous, le lit à hauteur variable, tout le monde, plus personne ne... Mais je me souviens de batailles, de batailles rangées pour obtenir des lits à hauteur variable. Je vous dis ça dans les années 80, c'était terrible. Et après, quand on les a obtenus, les matelas étaient trop petits. Mais enfin bon, ça va. Mais bon, le lit à hauteur variable, on disait, c'est pour protéger le dos des malades. Non, c'était aussi pour que les malades tombent moins parce que c'est moins haut. Mais c'est aussi protéger le dos du personnel. Il y a du matériel pour éviter d'avoir à lever les malades ou pour nous aider. Aujourd'hui, pour prendre le métro, je vais m'acheter un exosquelette, parce qu'il n'y a pas un escalier roulant qui marche. Donc, à l'hôpital, on pourrait réfléchir, pour certains qui ont des métiers difficiles, à les aider. Le brancardier, vous vous rendez compte, les brancardiers ? Alors, ils sont tous jeunes, on les voit tous jeunes. Mais on les use, enfin, qu'est-ce que ça veut dire, ça ? Donc moi je pense vraiment que si j'avais un dada aujourd'hui, si je devais avoir 20 ans de moins, et 20 ans ça me fait que je suis encore un peu vieille, donc disons 30 ans de moins, si je devais avoir 30 ans de moins, ce serait vraiment mon dada ça. Faire en sorte que l'on puisse travailler longtemps dans de bonnes conditions, vraiment. Ça enclenche automatiquement l'équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, en plus de la protection physique, de la prévention. Vous vous rendez compte, c'est normal en vieillissant, on a des... Les pathologies qui arrivent, ça peut arriver. Mais si on les trouve tôt, c'est quand même mieux. Donc on pourrait avoir vraiment un vrai programme de protection. J'allais dire, je ferais un plan longévité. Longévité à l'hôpital.
- Speaker #1
Vous pensez aussi à l'aménagement du temps de travail pour les soignants et les aides-soignantes ?
- Speaker #0
Oui, alors ça, on l'aménage sans le dire, déjà. Bon, on l'a toujours fait. Mais ça, bien sûr que c'est important. Ceci dit, c'est vrai qu'on a multiplié le temps partiel, les choses comme ça. Pour les cadres, c'est un... Un casse-tête chinois pour les... Donc c'est vrai que c'est compliqué. Parce que comme on est ric-rac quand on est à effectif plein... Dès qu'il y a un truc, on est en dessous. Pendant des années, je n'étais pas pour les normes, tant d'infirmières pour tant de patients dans telle spécialité. Pendant des années, je n'étais pas trop. On l'avait fait pour la réa, même s'il fallait couper les infirmières en deux, puisque c'était une infirmière pour deux malades et demi. Ça m'a toujours fait rire. Ça m'a toujours fait rire. Bon, et surtout que les unités de soins étaient prévues pour 3 et 3, enfin bon bref. Mais finalement maintenant je trouve que ce n'était pas un mauvais truc. Je l'avais vu à l'hôpital d'Adassa. À Jérusalem j'avais été à l'hôpital d'Adassa il y a longtemps de ça. Et déjà la directrice des soins m'avait dit tu sais tu as tort, il faut le faire. Parce qu'avoir une norme... C'est le minimum, mais rien ne t'empêche d'en mettre en plus. Et ça, je ne l'avais pas compris pendant longtemps.
- Speaker #1
Mais quand on parle de qualité de vie de nos professionnels de santé, vous avez parlé aussi au début du volume d'activité très fort. Est-ce que justement ces normes ne devraient pas être revues à la baisse, avec moins de patients par soignant, pour être capable d'être plus proche du patient ?
- Speaker #0
Elles me disent, quand je discute avec elles, parce qu'on en discute un petit peu... Quand je discute avec elle, c'est tellement différent que je ne sais pas trop si c'est... Répondre à cette question, aujourd'hui, m'est très difficile. Par contre, si vous me donnez une mission, d'aller voir ce qui serait mieux, et que vous me payez, parce que j'en ai marre de travailler gratuitement, en fait, je ne travaille plus, mais j'ai beaucoup fait de choses en plus, et bien, ça, ce serait un truc qui serait intéressant. et de le faire Et pas non, pas ma spécialité est plus importante que la sienne, enfin vous voyez, on enlève toutes les histoires, toutes les chapelles, tous les machins, et on essaie de trouver quelque chose d'intelligent. Mais je ne suis pas très sûre que ce soit par patient, parce qu'avec les hôpitaux de jour, ce n'est pas la même chose. Enfin vous voyez, c'est compliqué, et puis si votre patient il marche et qu'il vous comprend, c'est quand même beaucoup plus facile qu'un patient qui ne marche pas, ou qui ne parle pas votre langue, ou qui est complètement sourd. Vous voyez... C'est difficile ça, c'est difficile parce que c'est de l'humain. C'est pour ça qu'il faut croire ceux qui vivent des situations.
- Speaker #1
Recentrer du temps soignant sur de relationnels patients semble être une piste intéressante quand même.
- Speaker #0
Oui mais... C'est bien dit comme ça. Mais si c'est pour prendre le café dans la salle de détente, ça ne sert à rien d'avoir du temps, vous voyez ? Moi, je me méfie. Je me méfie.
- Speaker #1
Pour mes deux dernières questions, on sera un peu plus léger. Je vais vous demander de nous raconter une anecdote.
- Speaker #0
Peut-être que si je réfléchissais, j'en aurais plein, plein, plein, plein, plein. Mais une qui m'a marquée, vraiment, et qui s'adresse au... À l'encadrement, parce que moi je crois terriblement à l'encadrement. Quand l'encadrement va, tout va, vous voyez, c'est comme le bâtiment. Donc je vais vous raconter une anecdote par rapport à l'encadrement. J'étais surveillante générale, j'avais dû avoir des mots avec quelqu'un, je sais pas, et un jour, dans les ascenseurs, il y avait marqué Bressan, pute, machin, enfin des gros mots, salope, enfin bon bref. J'étais affolée, j'ai appelé mon mari, Tu te rends compte dans l'ascenseur ce qui est marqué et tout ? Il s'est mis à rire, il m'a dit, allez, allez, j'espère que ce soir tu seras à la hauteur de ta réputation. Je vous jure, ça m'a fait rire. Quand je l'ai dit à mon chef de service, il m'a dit Michel, vous êtes plus célèbre que moi Donc il m'a fait rire, et du coup je m'en suis fichue. Et ça, parce qu'il y a des cadres qui sont vraiment... Moi, en fait, j'ai pas eu de gros problèmes, mais je peux vous dire que je suis intervenue, lorsque j'étais directrice des soins à la paix, je suis intervenue sur des sujets où les cadres avaient leurs pneus crevés, où ils pouvaient prendre peur. Donc c'est très difficile, il faut les soutenir. Il faut pas les lâcher. C'est un peu, vous savez, comme en ce moment, on parle de... Beaucoup des proviseurs et des chefs d'établissement, c'est un peu le même truc. On les lâche en race campagne, sans munitions.
- Speaker #1
Merci Michel pour le partage de votre expérience si précieuse et si incarnée.
- Speaker #0
Merci, c'est gentil de me dire ça. J'espère que vous allez bien expliquer à tous. tous ceux qui vous montreraient ça, qu'il faut râler, ok, mais il faut qu'on sache que c'est quand même beaucoup mieux, beaucoup, beaucoup mieux, et que ça va quand même aller de mieux en mieux. Moi, j'en suis persuadée. En tout cas, pour les malades. Et j'espère pour le personnel.